Chapelet des sept douleurs de Marie

La publication du « Chapelet des sept douleurs de Marie » représente une dévotion chère à saint Jean Bosco qui voulait l’inculquer à ses jeunes. Suivant la structure du « Chemin de Croix », on propose sept scènes douloureuses avec de brèves considérations et prières, pour aider à une participation plus vive aux souffrances de Marie et de son Fils. Riche en images affectives et en sentiments de contrition, le texte reflète le désir de s’unir à la Vierge des Douleurs dans la compassion rédemptrice. Les indulgences accordées par les Papes attestent la haute valeur pastorale du texte qui est un petit trésor de prière et de réflexion, pour alimenter l’amour envers la Mère des douleurs.

Préface
Le but principal de ce fascicule est de faciliter le souvenir et la méditation des Douleurs indicibles du tendre Cœur de Marie. Cette pratique Lui est très agréable, comme Elle l’a révélé plusieurs fois à ses dévots, et c’est un moyen très efficace pour obtenir sa protection.
Afin de faciliter cet exercice de Méditation, on le pratiquera comme un chapelet où l’on évoque les sept principales douleurs de Marie. Elles pourront ensuite être méditées individuellement en sept brèves considérations, comme on le fait habituellement pour le Chemin de Croix.
Que le Seigneur nous accompagne de sa grâce et de sa bénédiction céleste afin de réaliser l’intention désirée. Que l’âme de chacun se laisse pénétrer par le souvenir fréquent des douleurs de Marie, pour son bien spirituel et pour la plus grande gloire de Dieu.

Chapelet des sept douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie avec sept brèves considérations sur celles-ci exposées à la manière du Chemin de Croix

Préparation
Chers frères et sœurs en Jésus-Christ, nous faisons nos exercices habituels en méditant avec amour les grandes douleurs que la Bienheureuse Vierge Marie a endurées dans la vie et la mort de son Fils bien-aimé et notre Divin Sauveur. Imaginons que nous sommes devant Jésus suspendu à la croix, et que sa mère dit à chacun de nous : Venez, et voyez s’il y a une douleur pareille à la mienne.
Persuadés que cette Mère compatissante veut nous accorder une protection spéciale en méditant ses douleurs, invoquons l’aide Divine par les prières suivantes :

Antienne. Veni, Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende.

Emitte Spiritum tuum et creabuntur
Et renovabis faciem terrae.
Memento Congregationis tuae,
Quam possedisti ab initio.
Domine exaudi orationem meam.
Et clamor meus ad te veniat.

Prions.
Nous vous en supplions, Seigneur, illuminez nos esprits de la lumière de votre clarté, afin que nous puissions voir ce qui doit être fait, et que nous puissions faire ce qui est juste. Par le Christ notre Seigneur. Amen.

Première douleur. Prophétie de Syméon
La première douleur fut lorsque la Bienheureuse Vierge Mère de Dieu présenta son Fils unique au Temple dans les bras du saint vieillard Siméon qui lui dit : « Voici qu’une épée transpercera ton âme », ce qui signifiait la passion et la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Vierge des douleurs, par cette épée cruelle prophétisée par le saint vieillard Siméon qui allait transpercer votre âme dans la passion et la mort de votre cher Jésus, je vous supplie de m’obtenir la grâce de garder toujours la mémoire de votre cœur transpercé et des peines très amères endurées par votre Fils pour mon salut. Ainsi soit-il.

Deuxième douleur. Fuite en Égypte
La deuxième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’il lui fallut fuir en Égypte à cause de la persécution du cruel Hérode, qui cherchait impieusement à tuer son Fils bien-aimé.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Marie, océan d’amertume et de larmes, par cette douleur que vous avez éprouvée en fuyant en Égypte pour protéger votre Fils de la cruauté barbare d’Hérode, je vous supplie de bien vouloir être mon guide, afin que par vous je sois libéré des persécutions des ennemis visibles et invisibles de mon âme. Ainsi soit-il.

Troisième douleur. Perte de Jésus au temple
La troisième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’au temps de Pâques, après son séjour à Jérusalem avec son époux Joseph et son cher fils Jésus Sauveur, elle le perdit au moment de retourner dans sa pauvre maison, et soupira la perte de son unique Bien-aimé pendant trois jours continus.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Mère inconsolable, vous qui, ayant perdu la présence corporelle de votre Fils et l’avez cherché anxieusement pendant trois jours continus,  obtenez la grâce à tous les pécheurs afin qu’eux aussi le cherchent par des actes de contrition et le retrouvent. Ainsi soit-il.

Quatrième douleur. Rencontre de Jésus portant la Croix
La quatrième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’elle rencontra son Fils bien-aimé portant une lourde croix sur ses épaules délicates en direction du Mont Calvaire afin d’être crucifié pour notre salut.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Vierge marquée par la passion plus que toute autre, par ce spasme que vous avez éprouvé dans votre cœur en rencontrant votre Fils alors qu’il portait le bois de la Très Sainte Croix vers le Mont Calvaire, faites, je vous en prie, que je l’accompagne sans cesse moi aussi par la pensée, que je pleure mes fautes, cause manifeste de ses tourments et des vôtres. Ainsi soit-il.

Cinquième douleur. Crucifixion de Jésus
La cinquième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’elle vit son Fils élevé sur le bois dur de la Croix, et que son Corps Sacré versait du sang de toutes parts.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Rose parmi les épines, par ces douleurs amères qui transpercèrent votre sein en regardant de vos propres yeux votre Fils transpercé et élevé sur la Croix, obtenez-moi, je vous en prie, que par des méditations assidues je ne cherche que Jésus crucifié à cause de mes péchés. Ainsi soit-il.

Sixième douleur. Déposition de Jésus de la croix
La sixième Douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsque son Fils bien-aimé, blessé au côté après sa mort et déposé de la Croix, tué ainsi de manière impitoyable, fut déposé entre ses bras très saints.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Vierge tourmentée, qui avez accueilli sur votre sein votre Fils mort, vaincu sur la Croix, qui avez baisé ces Plaies sacrées et répandu sur lui une pluie de larmes, faites que moi aussi, par des larmes de vraie componction, je lave continuellement les blessures mortelles que mes péchés vous ont faites. Ainsi soit-il.

Septième douleur. Sépulture de Jésus.
La septième Douleur de la Vierge Marie, Dame et Avocate des serviteurs et misérables pécheurs que nous sommes, fut lorsqu’elle accompagna le Très Saint Corps de son Fils à la sépulture.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Martyre des Martyrs, par ce tourment amer que vous avez souffert lorsqu’après la sépulture de votre Fils, il vous fallut vous éloigner de cette tombe aimée, obtenez, je vous en prie, la grâce à tous les pécheurs, afin qu’ils comprennent combien il est gravement dommageable pour l’âme d’être loin de son Dieu. Ainsi soit-il.

On récitera trois Ave Maria en signe de profond respect pour les larmes que la Bienheureuse Vierge a versées dans toutes ses Douleurs pour implorer par son intermédiaire des pleurs semblables pour nos péchés.
Ave Maria etc.

Le Chapelet terminé, on récite la complainte de la Bienheureuse Vierge, c’est-à-dire l’hymne Stabat Mater etc.

Hymne – Complainte de la Bienheureuse Vierge Marie

Stabat Mater dolorosa
Iuxta crucem lacrymosa,
Dum pendebat Filius.

Cuius animam gementem
Contristatam et dolentem
Pertransivit gladius.

O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater unigeniti!

Quae moerebat, et dolebat,
Pia Mater dum videbat.
Nati poenas inclyti.

Quis est homo, qui non fleret,
Matrem Christi si videret
In tanto supplicio?

Quis non posset contristari,
Christi Matrem contemplari
Dolentem cum filio?

Pro peccatis suae gentis
Vidit Iesum in tormentis
Et flagellis subditum.

Vidit suum dulcem natura
Moriendo desolatum,
Dum emisit spiritum.

Eia mater fons amoris,
Me sentire vim doloris
Fac, ut tecum lugeam.

Fac ut ardeat cor meum
In amando Christum Deum,
Ut sibi complaceam.

Sancta Mater istud agas,
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide.

Tui nati vulnerati
Tam dignati pro me pati
Poenas mecum divide.

Fac me tecum pie flere,
Crucifixo condolere,
Donec ego vixero.

Iuxta Crucem tecum stare,
Et me tibi sociare
In planctu desidero.

Virgo virginum praeclara,
Mihi iam non sia amara,
Fac me tecum plangere.

Fac ut portem Christi mortem,
Passionis fac consortem,
Et plagas recolere.

Fac me plagis vulnerari,
Fac me cruce inebriari,
Et cruore Filii.

Flammis ne urar succensus,
Per te, Virgo, sim defensus
In die Iudicii.

Christe, cum sit hine exire,
Da per matrem me venire
Ad palmam victoriae.

Quando corpus morietur,
Fac ut animae donetur
Paradisi gloria. Amen.

Debout, la mère des douleurs
Près de la croix était en pleurs
Quand son Fils pendait au bois.

Alors, son âme gémissante
Toute triste et toute dolente
Un glaive la transperça.

Qu’elle était triste, anéantie,
La femme entre toutes bénie,
La Mère du Fils de Dieu !

Dans le chagrin qui la poignait,
Cette tendre Mère pleurait
Son Fils mourant sous ses yeux.

Quel homme sans verser de pleurs
Verrait la Mère du Seigneur
Endurer si grand supplice ?

Qui pourrait dans l’indifférence
Contempler en cette souffrance
La Mère auprès de son Fils ?

Pour toutes les fautes humaines,
Elle vit Jésus dans la peine
Et sous les fouets meurtri.

Elle vit l’Enfant bien-aimé
Mourir tout seul, abandonné,
Et soudain rendre l’esprit.

O Mère, source de tendresse,
Fais-moi sentir grande tristesse
Pour que je pleure avec toi.

Fais que mon âme soit de feu
Dans l’amour du Seigneur mon Dieu :
Que je lui plaise avec toi.

Mère sainte, daigne imprimer
Les plaies de Jésus crucifié
En mon cœur très fortement.

Pour moi, ton Fils voulut mourir,
Aussi donne-moi de souffrir
Une part de ses tourments.

Pleurer en toute vérité
Comme toi près du crucifié
Au long de mon existence.

Je désire auprès de la croix
Me tenir, debout avec toi,
Dans ta plainte et ta souffrance.

Vierge des vierges, toute pure,
Ne sois pas envers moi trop dure,
Fais que je pleure avec toi.

Du Christ fais-moi porter la mort,
Revivre le douloureux sort
Et les plaies, au fond de moi.

Fais que ses plaies me blessent,
Que la croix me donne l’ivresse
Du sang versé par ton Fils.

Je crains les flammes éternelles ;
O Vierge, assure ma tutelle
À l’heure de la justice.

Ô Christ, à l’heure de partir,
Puisse ta Mère me conduire
À la palme de la victoire.

À l’heure où mon corps va mourir,
À mon âme fais obtenir
La gloire du paradis.

Le Souverain Pontife Innocent XI accorde une indulgence de 100 jours chaque fois que l’on récite le Stabat Mater. Benoît XIII a accordé une indulgence de sept ans à ceux qui réciteront le Chapelet des Sept Douleurs de Marie. De nombreuses autres indulgences ont été accordées par d’autres Souverains Pontifes, spécialement aux Confrères et Consœurs de la compagnie de Notre-Dame des Douleurs.

Les sept douleurs de Marie méditées à la manière du Chemin de Croix
Invoquer l’aide divine en disant :
Actiones nostras, quaesumus Domine, aspirando praeveni, et adiuvando prosequere, ut cuncta nostra oratio et operatio a te semper incipiat, et per te coepta finiatur. Per Christum Dominum Nostrum. Amen.

Acte de Contrition
Ô Vierge affligée entre toutes, combien j’ai été ingrat dans le temps passé envers mon Dieu, avec quelle ingratitude j’ai répondu à ses innombrables bienfaits ! Maintenant je m’en repens, et dans l’amertume de mon cœur et dans les larmes de mon âme, je Lui demande humblement pardon d’avoir outragé son infinie bonté, résolu à l’avenir, avec la grâce céleste, de ne plus jamais l’offenser. Ah ! par toutes les douleurs que vous avez supportées dans la terrible passion de votre bien-aimé Jésus, je vous prie en soupirant au plus profond de moi-même de m’obtenir de Lui, pitié et miséricorde pour mes péchés. Agréez ce saint exercice que je vais faire et recevez-le en union avec les peines et les douleurs que Vous avez souffertes pour votre Fils Jésus. Accordez-moi, oui, accordez-moi que les épées qui ont transpercé votre esprit, transpercent aussi le mien, et que je vive et meure dans l’amitié de mon Seigneur, pour participer éternellement à la gloire qu’il m’a acquise par son précieux Sang. Ainsi soit-il.

Première douleur
Dans cette première douleur, imaginons-nous au temple de Jérusalem, où la Très Sainte Vierge entendit la prophétie du vieillard Siméon.

Méditation
Ah ! quelles angoisses le cœur de Marie a-t-il dû éprouver en entendant les paroles douloureuses par lesquelles le Saint vieillard Siméon lui prédisait l’amère passion et l’atroce mort de son très doux Jésus ! Au même instant se présentaient à son esprit les affronts, les outrages et le massacre que les impies feraient du Rédempteur du monde. Mais sais-tu quelle fut l’épée la plus pénétrante qui la transperça en cette circonstance ? Ce fut de considérer l’ingratitude avec laquelle son cher Fils serait payé de retour par les hommes. En réfléchissant maintenant que tu es malheureusement au nombre de ceux-là cause de tes péchés, jette-toi aux pieds de cette Mère Douloureuse et dis-lui en pleurant (chacun s’agenouille) : Ô Vierge de pitié, qui avez éprouvé une grande douleur dans votre esprit en voyant l’abus que moi, créature indigne, je ferais du sang de votre aimable Fils, faites, oui faites par votre Cœur tellement affligé, qu’à l’avenir je réponde aux Divines Miséricordes, que je profite des grâces célestes, que je ne reçoive pas en vain les lumières et les inspirations que vous daignerez m’obtenir afin que j’aie le bonheur d’être au nombre de ceux à qui l’amère passion de Jésus procure un salut éternel. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Deuxième douleur
Dans cette deuxième douleur, considérons le voyage très pénible que la Vierge fit en Égypte pour délivrer Jésus de la cruelle persécution d’Hérode.

Méditation
Considère l’amère douleur que Marie a dû éprouver lorsqu’elle dut se mettre en chemin de nuit sur l’ordre de l’Ange afin de préserver son Fils du massacre ordonné par ce prince féroce. À chaque cri d’animal, à chaque souffle de vent, à chaque mouvement de feuille qu’elle entendait sur ces routes désertes, elle était remplie d’effroi, craignant quelque malheur pour l’enfant Jésus qu’elle portait avec elle. Tantôt elle se tournait d’un côté, tantôt de l’autre, tantôt elle pressait le pas, tantôt elle se cachait, croyant être rejointe par les soldats, qui, arrachant de ses bras son Fils bien-aimé, l’auraient traité barbarement sous ses yeux. Fixant son œil larmoyant sur son Jésus et le serrant fortement contre sa poitrine, elle lui donnait mille baisers en poussant des soupirs angoissés de son cœur. Et maintenant, réfléchis combien de fois tu as renouvelé cette amère douleur à Marie, forçant son Fils par tes graves péchés à fuir de ton âme. Maintenant que tu connais le grand mal commis, tourne-toi plein de repentir vers cette Mère compatissante en lui disant :
Ah, très douce Mère ! Une fois Hérode vous a contrainte, vous et votre Jésus, à prendre la fuite à cause de la persécution inhumaine qu’il avait ordonnée. Mais moi, oh ! combien de fois j’ai obligé mon Rédempteur, et par conséquent vous aussi, à partir rapidement de mon cœur, en y introduisant le péché maudit, votre ennemi impitoyable et celui de mon Dieu. Hélas ! tout affligé et contrit, je vous en demande humblement pardon.
Oui, miséricorde, ô ma chère Mère, miséricorde, et je vous promets à l’avenir, avec l’aide Divine, de toujours maintenir mon Sauveur et Vous en possession totale de mon âme. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Troisième douleur
Dans cette troisième douleur, considérons la Vierge angoissée qui, en larmes, cherche son Jésus égaré.

Méditation
Combien grande fut la peine de Marie, lorsqu’elle s’aperçut d’avoir perdu son aimable Fils ! Et comme sa douleur s’accrut lorsqu’après l’avoir diligemment cherché auprès de ses amis, parents et voisins, elle ne put avoir aucune nouvelle de Lui ! Elle erra trois jours entiers dans les contrées de la Judée, sans se soucier des inconvénients, de la fatigue, des dangers, répétant ces paroles de désolation : quelqu’un a-t-il vu celui que mon âme aime ? L’anxiété avec laquelle elle le cherchait lui faisait imaginer à chaque instant de le voir, ou d’entendre sa voix. Mais ensuite, se voyant déçue, comme elle frissonnait et éprouvait plus sensiblement le regret d’une si déplorable perte ! Quelle confusion pour toi, pécheur, qui as tant de fois égaré ton Jésus par les graves fautes que tu as commises ! Tu ne t’es donné aucune peine de le chercher, signe évident que tu fais peu ou pas de cas du précieux trésor de l’amitié Divine. Pleure donc ta cécité, tourne-toi vers cette Mère Douloureuse, et dis-lui en soupirant :
Notre-Dame des douleurs, faites que j’apprenne de vous la vraie manière de chercher Jésus que j’ai perdu pour suivre mes passions et les iniques suggestions du démon, afin que je réussisse à le retrouver, et quand je l’aurai retrouvé, je répéterai continuellement vos paroles : J’ai retrouvé celui que mon cœur aime ; je le garderai toujours avec moi, et je ne le laisserai plus jamais partir. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Quatrième douleur
Dans la quatrième douleur, considérons la rencontre que fit la Vierge affligée avec son Fils sur le chemin de la croix.

Méditation
Venez donc, cœurs endurcis, et voyez si vous pouvez supporter ce spectacle de désolation. C’est une mère, la plus tendre, la plus aimante des mères, qui rencontre son Fils, le plus doux, le plus aimable des fils. Et comment le rencontre-t-elle ? Ô Dieu ! au milieu de la plus impie populace qui le traîne cruellement à la mort, couvert de plaies, ruisselant de sang, déchiré par les blessures, avec une couronne d’épines sur la tête et un lourd tronc sur les épaules, haletant, essoufflé, languissant. À chaque pas, il semble vouloir rendre le dernier soupir.
Considère, ô mon âme, l’arrêt mortel que fait la Très Sainte Vierge au premier regard qu’elle fixe sur son Jésus tourmenté. Elle voudrait lui faire un dernier adieu, mais comment faire, si la douleur l’empêche de prononcer un seul mot ? Elle voudrait se jeter à son cou, mais elle reste immobile et pétrifiée par la force de l’affliction intérieure. Elle voudrait se soulager par les larmes, mais son cœur est tellement serré et opprimé qu’elle ne peut verser une larme. Oh ! qui peut retenir ses larmes en voyant une pauvre Mère plongée dans une si grande affliction ? Mais qui donc est la cause d’une si amère peine ? Ah, c’est moi, oui c’est moi avec mes péchés qui ai fait une si barbare blessure à votre tendre cœur, ô Vierge Douloureuse. Pourtant, qui le croirait ? Je reste insensible sans être le moins du monde ému. Mais si j’ai été ingrat par le passé, je ne le serai plus à l’avenir.
En attendant, prosterné à vos pieds, ô Très Sainte Vierge, je vous demande humblement pardon de tant de chagrin que je vous ai causé. Je le sais et je le confesse : je ne mérite pas de pitié, étant moi la vraie raison pour laquelle vous êtes tombée de douleur en rencontrant votre Jésus tout couvert de plaies. Mais souvenez-vous, oui souvenez-vous que vous êtes mère de miséricorde. Montrez-vous donc comme telle envers moi, car je vous promets à l’avenir d’être plus fidèle à mon Rédempteur, et de compenser ainsi tant de dégoûts que j’ai donnés à votre esprit tellement affligé. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Cinquième douleur
Dans cette cinquième douleur, imaginons que nous sommes au Mont Calvaire où la Vierge très affligée vit expirer son Fils bien-aimé sur la Croix.

Méditation
Nous voici au Calvaire où deux autels sont déjà dressés pour le sacrifice, l’un dans le corps de Jésus, l’autre dans le cœur de Marie. Ô funeste spectacle ! Nous voyons la Mère noyée dans un océan d’afflictions en voyant son cher et aimable fruit de ses entrailles arraché par une mort impitoyable. Chaque coup de marteau, chaque plaie, chaque lacération que le Sauveur reçoit sur sa chair, résonne profondément dans le cœur de la Vierge. Elle se tient au pied de la Croix, tellement pénétrée de peine et transpercée par le chagrin que l’on ne saurait décider qui sera le premier à expirer, Jésus ou Marie. Elle fixe son regard sur le visage de son Fils agonisant, considère ses pupilles languissantes, son visage pâle, ses lèvres livides, sa respiration difficile. Elle constate enfin qu’il ne vit plus et qu’il a déjà remis son esprit au sein de son Père éternel. Ah ! que son âme fait alors tout son possible pour se séparer de son corps et s’unir à celle de Jésus ! Et qui peut supporter une telle vue ?
Ô Mère, au lieu de vous retirer du Calvaire, afin de ne pas ressentir si vivement les angoisses, vous y restez immobile pour absorber jusqu’à la dernière goutte l’amer calice de vos afflictions. Quelle confusion ce doit être pour moi qui cherche tous les moyens d’éviter les croix et ces petites souffrances que le Seigneur daigne m’envoyer pour mon bien ! Vierge très douloureuse, je m’humilie devant vous, faites que je connaisse une fois clairement le prix et la grande valeur de la souffrance, afin que j’y prenne un tel attachement, que je ne me lasse jamais de m’écrier avec Saint François Xavier : Plus Domine, Plus Domine, plus de souffrance, mon Dieu. Ah oui, plus souffrir, ô mon Dieu. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Sixième douleur
Dans cette sixième douleur, imaginons-nous voir la Vierge inconsolable quand elle reçoit dans ses bras son Fils défunt descendu de la Croix.

Méditation
Considère l’amère douleur qui pénétra l’âme de Marie, lorsqu’elle vit sur son sein le corps défunt de son bien-aimé Jésus. En fixant son regard sur ses blessures et sur ses plaies, en le voyant rougi de son propre sang, son chagrin intérieur fut si grand que son cœur fut mortellement transpercé. Si elle ne mourut pas, ce fut la Toute-Puissance Divine qui la conserva en vie. Ô pauvre Mère, oui, pauvre mère, qui conduisez à la tombe le cher objet de vos plus tendres complaisances, qui d’un bouquet de roses est devenu un faisceau d’épines par les mauvais traitements et les lacérations que lui ont infligés les impies bourreaux. Qui n’aura pas compassion de vous ? Qui ne se sentira pas déchiré par la douleur en vous voyant dans un état d’affliction à émouvoir même le plus dur des rochers ? J’observe Jean inconsolable, Madeleine avec les autres Marie qui pleurent amèrement, Nicodème qui ne peut plus se tenir debout à cause de l’affliction. Et moi, moi seul qui ne verse pas une larme au milieu de tant de douleur ! Ingrat et oublieux que je suis !
Ô Mère très douce, me voici à vos pieds, recevez-moi sous votre puissante protection et faites que mon cœur reste transpercé par cette épée qui a traversé de part en part votre esprit affligé, afin qu’il s’attendrisse enfin et pleure vraiment mes graves péchés qui vous ont causé un si cruel martyre. Et qu’il en soit ainsi. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Septième douleur
Dans cette septième douleur, considérons la Vierge très affligée qui voit son Fils défunt enfermé dans le tombeau.

Méditation
Considère le soupir mortel que poussa le cœur affligé de Marie lorsqu’elle vit son aimable Jésus déposé dans la tombe ! Oh ! quelle peine, quel chagrin éprouva son esprit lorsque fut levée la pierre avec laquelle on devait fermer ce très sacré monument ! Il n’était pas possible de la détacher du bord du sépulcre, tant la douleur la rendait insensible et immobile, ne cessant jamais de contempler ces plaies et ces cruelles blessures. Quand ensuite la tombe fut fermée, c’est alors que la désolation intérieure fut si grande qu’elle se serait sans doute éteinte si Dieu ne l’avait conservée en vie. Ô mère très éprouvée ! Vous quitterez maintenant ce lieu avec votre corps, mais votre cœur restera sûrement ici, car c’est ici qu’est votre vrai trésor. Faites que toute notre affection reste en sa compagnie, tout notre amour. Comment se pourrait-il que nous ne soyons pas remplis de bienveillance envers le Sauveur, qui a donné tout son sang pour notre salut ? Comment se pourrait-il que nous ne vous aimions pas, vous qui avez tant souffert à cause de nous.
Maintenant, affligés et repentants pour avoir causé tant de douleurs à votre Fils et tant d’amertume à vous, nous nous prosternons à vos pieds et pour toutes ces peines que vous nous avez fait la grâce de méditer, accordez-nous cette faveur : que le souvenir de celles-ci reste toujours vivement imprimé dans notre esprit, que nos cœurs se consument d’amour pour notre bon Dieu, et pour Vous, notre très douce Mère, et que le dernier soupir de notre vie soit uni à ceux que vous avez exhalés du fond de votre âme dans la douloureuse passion de Jésus, à qui soient honneur, gloire et actions de grâces pour tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Ensuite, on dit le Stabat Mater, comme ci-dessus.

Antienne. Tuam ipsius animam (ait ad Mariam Simeon) pertransiet gladius.
Ora pro nobis Virgo Dolorosissima.
Ut digni efficiamur promissionibus Christi.

Oremus
Deus in cuius passionem secundum Simeonis prophetiam, dulcissimam animam Gloriosae Virginis et Matris Mariae doloris gladius pertransivit, concede propitius, ut qui dolorum eius memoriam recolimus, passionis tuae effectum felicem consequamur. 
Qui vivis etc.

Louange à Dieu et à la Vierge Douloureuse.

Avec la permission de la Révision Ecclésiastique

La Fête des Sept Douleurs de Marie Vierge Douloureuse, célébrée par la Pieuse Union et Société, tombe le troisième dimanche de septembre dans l’église Saint-François-d’Assise.

Texte de la 3e édition, Turin, Typographie de Giulio Speirani et fils, 1871




La dixième colline (1864)

Le rêve de la « Dixième Colline », raconté par Don Bosco en octobre 1864, est l’une des pages les plus évocatrices de la tradition salésienne. Dans ce rêve, le saint se retrouve dans une immense vallée remplie de jeunes : certains sont déjà à l’Oratoire, d’autres sont encore à rencontrer. Guidé par une voix mystérieuse, il doit les conduire au-delà d’un escarpement abrupt, puis à travers dix collines, symboles des dix commandements, vers une lumière qui préfigure le Paradis. Le char de l’Innocence, les cohortes pénitentielles et la musique céleste dessinent une fresque éducative : elles montrent la difficulté de préserver la pureté, la valeur du repentir et le rôle irremplaçable des éducateurs. Avec cette vision prophétique, Don Bosco anticipe l’expansion mondiale de son œuvre et son engagement à accompagner chaque jeune sur le chemin du salut.

            Don Bosco avait rêvé la nuit précédente. Au même moment, un jeune de Casal Monferrato, un certain C. E., fit lui aussi le même rêve au cours duquel il avait l’impression d’être avec Don Bosco et de lui parler. En se levant le matin, il était tellement impressionné qu’il alla raconter son rêve à son professeur, qui le pressa d’aller en parler à Don Bosco. Le jeune alla aussitôt et tomba sur lui au moment où il descendait l’escalier pour le chercher et lui raconter la même chose.
            Don Bosco avait eu l’impression de se trouver dans une immense vallée remplie de milliers et de milliers de jeunes, mais tellement nombreux qu’il ne pensait pas pouvoir en trouver un si grand nombre dans le monde entier. Parmi ces jeunes, il distinguait tous ceux qui avaient été et ceux qui étaient dans la maison. Tous les autres étaient ceux qui viendraient peut-être plus tard. Au milieu des jeunes il y avait les prêtres et les clercs de la maison.
            Une côte très élevée fermait la vallée d’un côté. Tandis que Don Bosco réfléchissait à ce qu’il devait faire de tous ces jeunes, une voix lui dit :
            – Tu vois cette côte ? Eh bien, toi et tes jeunes, vous devez grimper jusqu’au sommet.
            Alors Don Bosco donna l’ordre à tous ces jeunes de se diriger vers le point indiqué. Les jeunes se mirent en marche et, au pas de course, gravirent la pente. Les prêtres de la maison coururent également vers le haut, poussant les jeunes pour les faire avancer, relevant ceux qui tombaient et portant sur leurs épaules ceux qui étaient fatigués et ne pouvaient pas marcher. Don Rua avait retroussé les manches de sa soutane et travaillait plus fort que tous les autres. Il prenait même les jeunes deux par deux et les lançait en l’air sur la côte, sur laquelle ils tombaient sur leurs pieds, puis couraient allègrement de-ci de-là. Don Cagliero et Don Francesia parcouraient les rangs en criant :
            – Courage ! En avant, en avant, courage !
            En peu de temps, ces troupes de jeunes atteignirent le sommet de la côte. Don Bosco était monté à son tour et dit :
            – Et maintenant, qu’allons-nous faire ?
            Et la voix ajouta :
            – Tu dois franchir avec tes jeunes ces dix collines que tu vois devant toi l’une après l’autre.
            – Mais comment tous ces jeunes, si petits et si délicats, pourront-ils supporter un si long voyage ?
            – On portera ceux qui ne pourront pas aller avec leurs jambes, lui répondit-on.
            Et voici qu’à l’une des extrémités de la colline on vit apparaître et monter un chariot magnifique. Il est impossible de le décrire, tant il était beau, mais on peut tout de même en dire quelque chose. Il était triangulaire et avait trois roues qui se déplaçaient dans toutes les directions. Des trois angles partaient trois perches qui se rejoignaient en un point au-dessus du char, formant une sorte de tonnelle. Sur ce point de jonction s’élevait un magnifique étendard sur lequel était écrit en grosses lettres : Innocentia. Il y avait aussi une bande qui faisait le tour du chariot, marquant le bord et portant l’inscription : Adjutorio Dei Altissimi Patris et Filii et Spiritus Sancti (sous la protection du Dieu Très-Haut, Père et Fils et Saint-Esprit).
            Le chariot, resplendissant d’or et de pierres précieuses, s’avança et s’arrêta au milieu des jeunes. Au commandement, beaucoup d’enfants montèrent dessus. Ils étaient 500. Cinq cents sur plusieurs milliers étaient encore innocents.
            Après les avoir placés sur le chariot, Don Bosco réfléchissait à la direction à prendre, lorsqu’il vit s’ouvrir devant lui une route large et facile, mais toute semée d’épines. Soudain apparurent six jeunes qui étaient morts à l’Oratoire ; Ils étaient vêtus de blanc et portaient une autre belle bannière sur laquelle était écrit : Poenitentia. Ils allèrent se placer à la tête de toutes ces phalanges de jeunes qui allaient commencer la marche à pied. On donna alors le signal du départ. Beaucoup de prêtres se mirent au timon du chariot qui, tiré par eux, se met en marche. Les six vêtus de blanc le suivent. Derrière eux, tout le reste de la multitude. Sur une musique magnifique et inexprimable, les jeunes qui se trouvaient sur le char entonnent le psaume Laudate pueri Dominum (Louez Dieu, vous les petits, Ps 113, 1).
            Don Bosco marchait, enivré par cette musique céleste, lorsqu’il se souvint de se retourner pour voir si tous les jeunes l’avaient suivi. Mais quel spectacle douloureux ! Beaucoup étaient restés dans la vallée, beaucoup avaient rebroussé chemin. Brisé par la douleur, il décida de reprendre le chemin parcouru pour essayer de persuader les jeunes qui s’étaient découragés et les aider à le suivre. Mais on le lui interdit d’une façon absolue. Il s’écria :
            – Mais ces pauvres petits sont en train de se perdre !
            On lui répondit :
            – Tant pis pour eux. Ils ont été appelés comme les autres, et ils n’ont pas voulu te suivre. Ils ont vu le chemin qu’ils devaient prendre, et cela suffit.
            Don Bosco voulut répondre, il pria, il supplia. Tout fut inutile.
            – L’obéissance est pour toi aussi ! – lui dit-on. Et il dut continuer son chemin.
            La douleur n’était pas encore apaisée qu’un autre triste incident se produisit. Beaucoup de jeunes parmi ceux qui se trouvaient sur le chariot étaient tombés à terre l’un après l’autre. Sur 500, il en restait à peine 150 sous la bannière de l’innocence.
            Le cœur de Don Bosco fut pris d’une détresse insupportable. Espérant que ce n’était là qu’un rêve, il fit tout son possible pour se réveiller, mais se rendit compte que c’était une terrible réalité. Il battait des mains et entendait le bruit ; il gémissait et entendait son gémissement se répercuter dans la pièce ; il voulait chasser ce terrible fantasme, mais il ne pouvait pas.
            – Ah, mes chers jeunes ! s’exclamait-il à cet instant, en racontant son rêve. J’ai connu et j’ai vu ceux qui sont restés dans la vallée, ceux qui ont fait demi-tour ou qui sont tombés du chariot ! Je vous ai tous connus. Mais ne doutez pas, je ferai tout mon possible pour vous sauver. Beaucoup d’entre vous, que j’ai invités à se confesser, n’ont pas répondu à l’appel ! Par pitié, sauvez vos âmes.
            Beaucoup de jeunes parmi ceux qui étaient tombés du chariot étaient allés se placer au fur et à mesure dans les rangs de ceux qui marchaient derrière la deuxième bannière. Pendant ce temps, la musique du chariot devenait si douce qu’elle finit par vaincre la douleur de Don Bosco. On avait déjà franchi sept collines et après avoir atteint la huitième, la troupe entra dans un endroit merveilleux où ils s’arrêtèrent pour se reposer un peu. Les maisons y étaient d’une richesse et d’une beauté indescriptibles.
            Don Bosco s’adressa aux jeunes de cette région en ajoutant :
            – Je vous dirai avec sainte Thérèse ce qu’elle a dit des choses du paradis : ce sont des choses qu’on dévalue quand on en parle, parce qu’elles sont si belles qu’il est inutile de s’efforcer de les décrire. Je me contenterai donc de remarquer que les montants des portes de ces maisons semblaient être faits à la fois d’or, de cristal et de diamant, provoquant la surprise, le plaisir de l’œil et la joie. Les champs étaient remplis d’arbres sur lesquels on voyait à la fois des fleurs, des boutons, des fruits mûrs et des fruits verts. C’était un magnifique enchantement.
            Les jeunes allèrent partout de-ci de-là, les uns pour une chose, les autres pour une autre, car ils avaient une grande curiosité ainsi qu’une grande envie des fruits.
            C’est dans ce village que le jeune de Casale rencontra Don Bosco et eut ne long dialogue avec lui. Don Bosco et le jeune se souvenaient parfaitement des questions posées et des réponses reçues. Singulière combinaison de deux rêves.
            Une autre surprise étrange attendait ici Don Bosco. Ses jeunes lui apparurent soudain devenus vieux, sans dents, le visage plein de rides, les cheveux blancs, courbés, boitant, appuyés sur leur bâton. Don Bosco s’étonnait de cette métamorphose, mais la voix lui dit :
            – Tu t’étonnes ? Mais tu dois savoir que ce n’est pas depuis quelques heures que tu as quitté la vallée, mais depuis des années et des années. C’est cette musique qui a fait que ton voyage t’a paru court. Comme preuve, regarde ta physionomie et tu sauras que je dis la vérité. – Et on lui présenta un miroir. Il se regarda dans le miroir et vit qu’il avait l’air d’un vieil homme, avec un visage ridé et des dents mauvaises et peu nombreuses.
            Entre-temps, le groupe se remit en route et les jeunes demandaient de temps en temps à s’arrêter pour voir des choses nouvelles. Mais Don Bosco leur disait :
            – Allez, allez. Nous n’avons besoin de rien, nous n’avons pas faim, nous n’avons pas soif, allons.
            (Au loin, sur la dixième colline apparut une lumière qui augmentait comme si elle sortait d’une porte merveilleuse). Puis le chant reprit, mais d’une beauté telle qu’on ne peut l’entendre et la goûter qu’au Paradis. Ce n’était pas une musique instrumentale et elle ne ressemblait pas à des voix humaines. C’était une musique impossible à décrire. La jubilation qui inonda l’âme de Don Bosco fut tel qu’il se réveilla et se retrouva dans son lit.
            Don Bosco expliqua son rêve de la manière suivante :
            – La vallée est le monde. La grande côte représente les obstacles pour s’en détacher. – Le chariot, vous le comprenez. – Les troupes de jeunes à pied sont les jeunes qui ont perdu leur innocence et se sont repentis de leurs fautes.
            Don Bosco ajouta que les 10 collines représentaient les 10 commandements de la loi de Dieu, dont l’observance conduit à la vie éternelle.
            Puis il ajouta que, s’il le fallait, il était prêt à dire confidentiellement à certains jeunes ce qu’ils faisaient dans le rêve, s’ils étaient restés dans la vallée ou s’ils étaient tombés du chariot.
            Quand il descendit du pupitre, l’élève Ferraris Antonio s’approcha de lui et lui raconta – nous étions présents et nous avons entendu parfaitement ses paroles – qu’il avait rêvé la veille au soir qu’il était en compagnie de sa mère, qui lui avait demandé s’il rentrerait à la maison à Pâques pour les vacances. Il lui avait répondu qu’il irait au paradis avant Pâques. Puis, en confidence, il dit encore quelques mots à l’oreille de Don Bosco. Ferraris Antonio mourut le 16 mars 1865.
            Quant à nous, nous avons immédiatement mis le rêve par écrit, et le soir même du 22 octobre 1864, nous avons ajouté à la fin la note suivante. « Je tiens pour certain que Don Bosco a tenté de dissimuler avec ses explications ce qui est le plus surprenant dans le rêve, du moins dans certains de ses détails. L’explication des dix commandements ne me satisfait pas. La huitième colline sur laquelle Don Bosco fait une halte, et où il se voit comme dans un miroir tellement vieilli, je crois que cela indique que la fin de sa vie arrivera après ses soixante-dix ans. L’avenir nous le dira ».
            Ce futur est donc maintenant du passé, et nous sommes confirmés dans notre opinion. Le rêve indiquait à Don Bosco la durée de sa vie. Comparons ce rêve avec celui de la Roue, que nous n’avons pu connaître que quelques années plus tard. Chaque tour de la Roue représente dix ans ; il en va de même, semble-t-il, dans les déplacements de colline en colline. Chacune des dix collines représente dix ans, et ensemble elles signifient cent ans, le maximum de la vie d’un homme. Or nous voyons Don Bosco encore enfant commencer sa mission parmi ses camarades des Becchi pendant la première décennie et entreprendre ainsi son voyage. Il parcourt entièrement les sept collines, c’est-à-dire les sept collines dans leur totalité, c’est-à-dire sept décennies, ce qui signifie qu’il atteindra soixante-dix ans. Il gravit la huitième colline et s’arrête ; il voit des maisons et des champs merveilleusement beaux, c’est-à-dire sa Pieuse Société rendue grande et féconde par l’infinie bonté de Dieu. Il a encore un long chemin à parcourir sur la huitième colline et il repart, mais il n’atteint pas la neuvième, parce qu’il se réveille. De fait, il n’acheva pas la huitième décennie en mourant à l’âge de 72 ans et 5 mois.
            Qu’en pense le lecteur ? Nous ajouterons que le lendemain soir, Don Bosco nous interrogea sur ce que nous pensions du rêve. Nous lui avons répondu qu’il ne concernait pas seulement les jeunes, mais qu’il indiquait aussi l’expansion de la Pieuse Société dans le monde entier.
            – Mais quoi ? répliqua un de nos confrères ; nous avons déjà les collèges de Mirabello et de Lanzo et on en ouvrira sans doute quelques autres dans le Piémont. Que veux-tu de plus ?
            – Non, l’avenir que le rêve nous annonce sera bien autre chose.
            Et Don Bosco, en souriant, approuva notre conviction.
(1864, MB VII, 796-802)




Le sage

L’empereur Cyrus le Grand aimait converser aimablement avec un ami très sage nommé Akkad.
Un jour, alors qu’il revenait épuisé d’une campagne de guerre contre les Mèdes, Cyrus s’arrêta chez son vieil ami pour passer quelques jours avec lui.
– Je suis épuisé, cher Akkad. Toutes ces batailles m’épuisent. Comme j’aimerais pouvoir m’arrêter et passer du temps avec vous, à bavarder sur les rives de l’Euphrate…
– Mais, cher sire, maintenant que vous avez vaincu les Mèdes, que ferez-vous ?
– Je veux m’emparer de Babylone et la soumettre.
– Et après Babylone ?
– Je soumettrai la Grèce.
– Et après la Grèce ?
– Je conquerrai Rome.
– Et après ça ?
– Je m’arrêterai. Je reviendrai ici et nous passerons des jours heureux à converser amicalement sur les rives de l’Euphrate…
– Et pourquoi, sire, mon ami, pourquoi ne pas commencer tout de suite ?

Il y aura toujours un autre jour pour dire : « Je t’aime ».
N’oublie pas tes proches aujourd’hui, chuchote-leur à l’oreille, dis-leur combien tu les aimes. Prends le temps de leur dire : « Je suis désolé », « s’il te plaît, écoute-moi », « merci ».
Demain, tu ne regretteras pas ce que tu as fait aujourd’hui.




Le criquet et la monnaie

Un sage indien avait un ami proche qui vivait à Milan. Ils s’étaient rencontrés en Inde, où l’Italien s’était rendu avec sa famille pour un voyage touristique. L’Indien avait servi de guide à l’Italien, l’emmenant explorer les coins les plus caractéristiques de son pays.
En guise de reconnaissance, l’ami milanais avait invité l’Indien chez lui. Il voulait lui rendre la pareille et lui faire découvrir sa ville. L’Indien était très réticent à partir, mais il céda à l’insistance de son ami italien et, un beau jour, il débarqua d’un avion à Malpensa.
Le lendemain, le Milanais et l’Indien se promenaient dans le centre-ville. L’Indien, avec son visage couleur chocolat, sa barbe noire et son turban jaune, attirait le regard des passants, et le Milanais se promenait, fier d’avoir un ami aussi exotique.
Soudain, sur la place San Babila, l’Indien s’arrêta et dit : « Vous entendez ce que j’entends ? » Le Milanais, un peu déconcerté, tendit l’oreille autant qu’il le put, mais admit qu’il n’entendait rien d’autre que le grand bruit de la circulation urbaine.
– Il y a un grillon qui chante tout près, poursuit l’Indien, sûr de lui.
– Vous vous trompez, répondit le Milanais. Je n’entends que le bruit de la ville. D’ailleurs, qui peut penser qu’il y ait des grillons par ici ?

– Je ne me trompe pas. J’entends le chant d’un grillon, rétorqua l’Indien qui se mit résolument à chercher parmi les feuilles de quelques jeunes arbres rabougris. Au bout d’un moment, il montra à son ami, qui l’observait d’un air sceptique, un petit insecte, un splendide grillon chanteur, qui se recroquevillait en grognant contre les perturbateurs de son concert.
– Avez-vous vu qu’il y avait un grillon ? dit l’Indien.
– C’est vrai, admit le Milanais. Vous, les Indiens, vous avez l’ouïe beaucoup plus fine que nous, les Blancs…
– Cette fois, vous avez tort, sourit le sage Indien. Faites attention… L’Indien sortit une petite pièce de sa poche et, feignant de ne pas s’en apercevoir, la laissa tomber sur le trottoir.
Aussitôt, quatre ou cinq personnes se retournèrent pour regarder.
– Vous avez vu ça ? expliqua l’Indien. Cette pièce a produit un tintement plus mince et plus faible que le chant du grillon. Mais avez-vous remarqué combien de Blancs l’ont entendu ?

« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »




Entretien avec le Recteur Majeur, Don Fabio Attard

Nous avons réalisé un entretien exclusif avec le Recteur Majeur des Salésiens, Don Fabio Attard, qui revient sur les étapes fondamentales de sa vocation et de son parcours humain et spirituel. Sa vocation est née dans un oratoire et s’est consolidée à travers un parcours de formation riche qui l’a conduit de l’Irlande à la Tunisie, de Malte à Rome. De 2008 à 2020, il a été Conseiller général pour la Pastorale des Jeunes, fonction qu’il a exercée avec une vision multiculturelle acquise grâce à des expériences dans différents contextes. Son message central est la sainteté comme fondement de l’action éducative salésienne : « Je voudrais voir une Congrégation plus sainte », affirme-t-il, soulignant que l’efficacité professionnelle doit s’enraciner dans l’identité consacrée.

Quelle est l’histoire de ta vocation ?

Je suis né à Gozo, Malte, le 23 mars 1959, cinquième d’une fratrie de sept enfants. À ma naissance, mon père était pharmacien à l’hôpital, tandis que ma mère avait ouvert un petit magasin de tissus et de couture, qui s’est développé au fil du temps pour devenir une petite chaîne de cinq magasins. C’était une femme très travailleuse, mais l’entreprise est toujours restée familiale.

J’ai fréquenté l’école primaire et secondaire locale. Un élément très beau et particulier de mon enfance est que mon père était catéchiste laïc à l’oratoire, qui jusqu’en 1965 était dirigé par les salésiens. Ayant lui-même, dans sa jeunesse, fréquenté cet oratoire, il y était resté comme seul catéchiste laïc. Quand j’ai commencé à le fréquenter, à l’âge de six ans, les salésiens venaient de quitter l’œuvre. Un jeune prêtre (qui est toujours en vie) a pris la relève et a poursuivi les activités de l’oratoire dans le même esprit salésien, ayant lui-même vécu là en tant que séminariste.
On continuait avec le catéchisme, la bénédiction eucharistique quotidienne, le football, le théâtre, la chorale, les excursions, les fêtes… tout ce qu’on vit normalement dans un oratoire. Il y avait beaucoup d’enfants et d’adolescents, et j’ai grandi dans cet environnement. En pratique, ma vie se déroulait entre ma famille et l’oratoire. J’étais également enfant de chœur dans ma paroisse. Ainsi, à la fin de mes études secondaires, je me suis orienté vers la prêtrise, car depuis mon enfance, j’avais ce désir dans mon cœur.

Aujourd’hui, je me rends compte à quel point j’avais été influencé par ce jeune prêtre que j’admirais : il était toujours présent avec nous dans la cour, dans les activités de l’oratoire. Cependant, à cette époque, les salésiens n’étaient plus là. Alors je suis entré au séminaire, où l’on faisait alors deux ans de propédeutique en tant qu’internes. Au cours de la troisième année – qui correspondait à la première année de philosophie – j’ai rencontré un ami de la famille, âgé d’environ 35 ans, une vocation adulte, qui était entré comme aspirant salésien (il est encore en vie aujourd’hui et est coadjuteur). Quand il a fait cette démarche, un feu s’est allumé en moi et avec l’aide de mon directeur spirituel, j’ai commencé un discernement vocationnel.
Ce fut un parcours important mais aussi exigeant. J’avais 19 ans, mais ce guide spirituel m’a aidé à chercher la volonté de Dieu, et pas simplement la mienne. La dernière année – la quatrième de philosophie – au lieu de le suivre au séminaire, je l’ai vécue comme aspirant salésien, en terminant les deux années de philosophie requises.

Dans ma famille, l’environnement était fortement marqué par la foi. Nous participions chaque jour à la messe, nous récitions le chapelet à la maison, nous étions très unis. Aujourd’hui encore, bien que nos parents soient au paradis, nous conservons cette même unité entre frères et sœurs.

Une autre expérience familiale m’a profondément marqué, même si je ne m’en suis rendu compte qu’avec le temps. Mon frère, le deuxième de la famille, est mort à 25 ans d’une insuffisance rénale. Aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, il serait encore en vie grâce à la dialyse et aux greffes, mais à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de possibilités. J’ai été à ses côtés pendant les trois dernières années de sa vie, nous partagions la même chambre et je l’aidais souvent la nuit. C’était un jeune serein, joyeux, qui vivait sa fragilité avec une joie extraordinaire.
J’avais 16 ans quand il est mort. Cinquante ans ont passé, mais quand je repense à cette époque, à cette expérience quotidienne de proximité, faite de petits gestes, je réalise à quel point cela a marqué ma vie.

Je suis né dans une famille où régnaient la foi, le sens du travail et la responsabilité partagée. Mes parents sont pour moi deux exemples extraordinaires. Ils ont vécu le mystère de la croix avec une grande foi et dans une grande sérénité, sans jamais faire peser quoi que ce soit sur qui que ce soit, sachant transmettre en même temps la joie de la vie familiale. Je peux dire que j’ai eu une très belle enfance. Nous n’étions ni riches ni pauvres, mais toujours sobres et discrets. Ils nous ont appris à travailler, à bien gérer les ressources, à ne pas gaspiller, à vivre avec dignité, avec élégance et, surtout, avec une particulière attention envers les pauvres et les malades.

Comment ta famille a-t-elle réagi lorsque tu as pris la décision de suivre la vocation consacrée ?

Le moment était venu où, avec mon directeur spirituel, nous avions clarifié que ma voie était celle des salésiens. Je devais également l’annoncer à mes parents. Je me souviens que c’était une soirée tranquille, nous étions en train de dîner tous les trois. À un moment donné, j’ai dit : « J’ai quelque chose à vous dire : j’ai fait mon discernement et j’ai décidé d’entrer chez les salésiens. »
Mon père était ravi. Il m’a immédiatement répondu : « Que le Seigneur te bénisse. » Ma mère, en revanche, s’est mise à pleurer, un peu comme toutes les mères. Elle m’a demandé : « Alors tu t’en vas ? » Alors mon père est intervenu avec douceur et fermeté : « Qu’il s’éloigne de nous ou non, c’est son chemin. »
Ils m’ont béni et encouragé. Ce sont des moments qui restent gravés à jamais dans ma mémoire.

Je me souviens en particulier de ce qui s’est passé vers la fin de la vie de mes parents. Mon père est décédé en 1997, et six mois plus tard, on a découvert un cancer incurable chez ma mère.
À cette époque, mes supérieurs m’avaient demandé d’aller enseigner à l’Université Pontificale Salésienne (UPS), mais je ne savais pas quelle décision prendre. Ma mère n’allait pas bien, elle était proche de la mort. En discutant avec mes frères, ils m’ont dit : « Fais ce que tes supérieurs te demandent. »
J’étais à la maison et j’en ai parlé avec elle : « Maman, mes supérieurs me demandent d’aller à Rome. »
Avec la lucidité d’une vraie mère, elle m’a répondu : « Écoute, mon fils, si cela ne tenait qu’à moi, je te demanderais de rester ici, car je n’ai personne d’autre et je ne voudrais pas être un fardeau pour tes frères. Mais… » – et là, elle a dit une phrase que je garde dans mon cœur – « Tu n’es pas à moi, tu appartiens à Dieu. Fais ce que tes supérieurs te disent. »
Cette phrase, prononcée un an avant sa mort, est pour moi un trésor, un héritage précieux. Ma mère était une femme intelligente, sage, perspicace : elle savait que la maladie allait l’emporter, mais à ce moment-là, elle a su être libre intérieurement. Libre de dire des mots qui confirmaient une fois de plus le don qu’elle avait fait à Dieu : offrir un fils à la vie consacrée.

La réaction de ma famille, du début à la fin, a toujours été marquée par un profond respect et un grand soutien. Et aujourd’hui encore, mes frères et sœurs continuent à perpétuer cet esprit.

Quel a été ton parcours de formation depuis le noviciat jusqu’à aujourd’hui ?

Ce fut un parcours très riche et varié. J’ai commencé le pré-noviciat à Malte, puis j’ai fait mon noviciat à Dublin, en Irlande. Une expérience vraiment belle.

Après le noviciat, mes compagnons sont partis à Maynooth pour étudier la philosophie à l’université, mais j’avais déjà terminé ces études. C’est pourquoi mes supérieurs m’ont demandé de rester encore un an au noviciat, où j’ai enseigné l’italien et le latin. Ensuite, je suis retourné à Malte pour effectuer deux ans de stage, qui ont été très beaux et enrichissants.

J’ai ensuite été envoyé à Rome pour étudier la théologie à l’Université pontificale salésienne, où j’ai passé trois années extraordinaires. Ces années m’ont ouvert l’esprit. Nous vivions en communauté avec quarante confrères provenant de vingt pays différents : Asie, Europe, Amérique latine… Le corps enseignant était également international. C’était au milieu des années 1980, environ vingt ans après le Concile Vatican II, et on respirait encore beaucoup d’enthousiasme. Il y avait des débats théologiques animés, la théologie de la libération, l’intérêt pour la méthode et la pratique. Ces études m’ont appris à lire la foi non seulement comme un contenu intellectuel, mais comme un choix de vie.

Après ces trois années, j’ai poursuivi les études en faisant deux années de spécialisation en théologie morale à l’Académie Alphonsienne, avec les Pères rédemptoristes. Là aussi, j’ai rencontré des personnalités importantes, comme le célèbre Bernhard Häring, avec lequel j’ai noué une amitié personnelle et que j’allais voir régulièrement chaque mois pour discuter avec lui. Au total, ce furent cinq années – entre le baccalauréat et la licence – qui m’ont profondément formé sur le plan théologique.

Par la suite, m’étant porté volontaire pour les missions, mes supérieurs m’ont envoyé en Tunisie, avec un autre salésien, pour rétablir la présence salésienne dans le pays. Nous avons repris une école gérée par une congrégation féminine qui était sur le point de fermer faute de vocations. C’était une école de 700 élèves. Nous avons donc dû apprendre le français et aussi l’arabe. Pour nous préparer, nous avons passé quelques mois à Lyon, en France, puis nous nous sommes consacrés à l’étude de l’arabe.
Je suis resté là-bas trois ans. Ce fut une autre grande expérience, car nous nous sommes retrouvés à vivre la foi et le charisme salésien dans un contexte où l’on ne pouvait pas parler explicitement de Jésus. Cependant, il était possible de construire des parcours éducatifs fondés sur des valeurs humaines : le respect, la disponibilité, la vérité. Notre témoignage était silencieux mais éloquent. Dans cet environnement, j’ai appris à connaître et à aimer le monde musulman. Tous étaient musulmans, les élèves, les enseignants et les familles ; ils nous ont accueillis très chaleureusement. Ils nous ont fait sentir comme faisant partie de leur famille. Je suis retourné plusieurs fois en Tunisie et j’ai toujours rencontré le même respect et la même appréciation, au-delà de notre appartenance religieuse.

Après cette expérience, je suis retourné à Malte et j’ai travaillé pendant cinq ans dans le secteur social, plus précisément dans une maison salésienne qui accueille des jeunes ayant besoin d’un accompagnement éducatif plus attentif, y compris en internat.

Après ces huit années passées dans la pastorale (entre la Tunisie et Malte), on m’a proposé de terminer mon doctorat. J’ai choisi de retourner en Irlande, car le thème était lié à la conscience selon la pensée du cardinal John Henry Newman, aujourd’hui saint. Une fois mon doctorat terminé, le Recteur Majeur de l’époque, Don Juan Edmundo Vecchi – d’éternelle e mémoire – m’a demandé de rejoindre l’Université Pontificale Salésienne en tant que professeur de théologie morale.

En regardant tout mon parcours, depuis l’aspirantat jusqu’au doctorat, je peux dire que cela a été un ensemble d’expériences non seulement de contenus, mais aussi de contextes culturels très différents. Je remercie le Seigneur et la Congrégation, car ils m’ont offert la possibilité de vivre une formation aussi variée et riche.

Tu connais donc le maltais, qui est ta langue maternelle, l’anglais, qui est la deuxième langue à Malte, le latin, que tu as enseigné, l’italien, que tu as étudié en Italie, le français et l’arabe, que tu as appris à Manouba, en Tunisie… Combien de langues connais-tu ?

Cinq, six langues, plus ou moins. Mais quand on me pose la question, je réponds toujours que ce sont des coïncidences historiques.
À Malte, nous grandissons déjà avec deux langues : le maltais et l’anglais, et à l’école, nous apprenons une troisième langue. À mon époque, on enseignait aussi l’italien. Ensuite, j’étais naturellement porté vers les langues, et j’ai également choisi le latin. Plus tard, en Tunisie, j’ai dû apprendre le français et aussi l’arabe.

À Rome, en vivant avec de nombreux étudiants hispanophones, l’oreille s’habitue, et quand j’ai été élu conseiller pour la pastorale des jeunes, j’ai approfondi un peu l’espagnol, qui est une très belle langue.

Toutes les langues sont belles. Bien sûr, leur apprentissage demande un effort dans l’étude et dans la pratique. Certains ont plus de facilités que d’autres ; cela fait partie des dispositions personnelles. Mais ce n’est ni un mérite ni une faute. C’est simplement un don, une prédisposition naturelle.

De 2008 à 2020, tu as été conseiller général pour la pastorale des jeunes pendant deux mandats. Comment ton expérience t’a-t-elle aidé dans cette mission ?

Lorsque le Seigneur nous confie une mission, nous emportons avec nous tout le bagage d’expériences que nous avons accumulées au fil du temps.
Ayant vécu dans des contextes culturels différents, je ne courais pas le risque de tout voir à travers le filtre d’une seule culture. Je suis européen, je viens de la Méditerranée, d’un pays qui a été une colonie anglaise, mais j’ai eu la chance de vivre dans des communautés internationales et multiculturelles.

Les années d’études à l’UPS m’ont également beaucoup aidé. Nous avions des professeurs qui ne se limitaient pas à transmettre des contenus, mais qui nous apprenaient à faire la synthèse, à construire une méthode. Par exemple, si l’on étudiait l’histoire de l’Église, on comprenait à quel point il était essentiel de comprendre la patristique. Si l’on abordait la théologie biblique, on apprenait à la relier à la théologie sacramentelle, à la morale, à l’histoire de la spiritualité. En somme, on nous apprenait à penser de manière organique. Cette capacité de synthèse, cette architecture de la pensée, fait ensuite partie de votre formation personnelle. Quand on fait de la théologie, on apprend à identifier les points fixes et à les relier entre eux. Il en va de même pour une proposition pastorale, pédagogique ou philosophique. Quand on rencontre des personnes de grande envergure, on absorbe non seulement ce qu’elles disent, mais aussi la manière dont elles le disent, et cela forge ton style.

Un autre élément important est qu’au moment de mon élection, j’avais déjà vécu des expériences dans des milieux missionnaires, où la religion catholique était pratiquement absente, et j’avais travaillé avec des personnes marginalisées et vulnérables. J’avais également acquis une certaine expérience dans le monde universitaire et, parallèlement, je m’étais beaucoup consacré à l’accompagnement spirituel.

De plus, entre 2005 et 2008, juste après mon expérience à l’UPS, l’archidiocèse de Malte m’avait demandé de fonder un institut de formation pastorale, à la suite d’un synode diocésain qui en avait reconnu la nécessité. L’archevêque m’a confié la tâche de le mettre sur pied à partir de zéro. La première chose que j’ai faite a été de constituer une équipe composée de prêtres, de religieux, de laïcs, hommes et femmes. Nous avons mis en place une nouvelle méthode de formation, qui est encore utilisée aujourd’hui. L’institut continue de très bien fonctionner, et d’une certaine manière, cette expérience a été une préparation précieuse pour le travail que j’ai accompli par la suite dans la pastorale des jeunes.
Dès le début, j’ai toujours cru au travail d’équipe et à la collaboration avec les laïcs. Ma première expérience en tant que directeur s’est déroulée dans ce style : une équipe éducative stable, qu’on appellerait aujourd’hui une CEP (Communauté éducative et pastorale), avec des réunions régulières et non occasionnelles. Nous nous réunissions chaque semaine avec les éducateurs et les professionnels. Et cette approche, qui est devenue une méthode au fil du temps, est restée une référence pour moi.

À cela s’ajoute l’expérience universitaire. J’ai passé six ans comme professeur à l’Université pontificale salésienne, où arrivaient des étudiants de plus de cent pays, puis comme examinateur et directeur de thèses de doctorat à l’Académie Alphonsienne.

Je pense que tout cela m’a préparé à assumer cette responsabilité avec lucidité et vision de futur.

Ainsi, lorsque la Congrégation, lors du Chapitre général de 2008, m’a demandé d’assumer cette charge, j’avais déjà une vision large et multiculturelle. Cela m’a aidé, car mettre ensemble des diversités ne m’était pas difficile : cela faisait partie de la normalité. Bien sûr, il ne s’agissait pas simplement de faire un « mélange » d’expériences : il fallait trouver les fils conducteurs, donner une cohérence et une unité.

Ce que j’ai pu vivre en tant que Conseiller général n’est pas mon mérite personnel. Je crois que n’importe quel salésien, s’il avait eu les mêmes opportunités et le soutien de la Congrégation, aurait pu vivre des expériences similaires et apporter sa contribution avec générosité.

Y a-t-il une prière, une « bonne nuit » salésienne, une habitude que tu ne manques jamais de faire ?

La dévotion à Marie. À la maison, nous avons grandi avec le chapelet quotidien, récité en famille. Ce n’était pas une obligation, c’était quelque chose de naturel : nous le faisions avant de manger, car nous mangions toujours ensemble. À l’époque, c’était possible. Aujourd’hui, c’est peut-être moins le cas, mais à l’époque, c’était ainsi que nous vivions : la famille réunie, la prière partagée, le repas en commun.

Au début, je ne me rendais peut-être pas compte de la profondeur de cette dévotion mariale. Mais avec les années, quand on commence à distinguer l’essentiel du secondaire, j’ai compris à quel point cette présence maternelle avait accompagné ma vie.
La dévotion à Marie s’exprime sous différentes formes : le chapelet quotidien, lorsque c’est possible ; un moment de recueillement devant une image ou une statue de la Vierge Marie ; une prière simple, mais faite avec le cœur. Ce sont des gestes qui accompagnent le cheminement de la foi.

Bien sûr, il y a quelques points fixes : l’Eucharistie quotidienne et la méditation quotidienne. Ce sont des piliers qui ne se discutent pas, qui se vivent. Non seulement parce que nous sommes consacrés, mais parce que nous sommes croyants. On ne vit la foi qu’en la nourrissant. Quand nous la nourrissons, elle grandit en nous. Et ce n’est que si elle grandit en nous que nous pouvons aider les autres à grandir aussi. Pour nous, qui sommes éducateurs, c’est évident : si notre foi ne se traduit pas dans une vie concrète, tout le reste devient façade.

Ces pratiques – la prière, la méditation, la dévotion – ne sont pas réservées aux saints. Elles sont l’expression de la cohérence de notre vie. Si j’ai fait un choix de foi, j’ai aussi la responsabilité de le cultiver. Sinon, tout se réduit à quelque chose d’extérieur, d’apparent. Et cela, avec le temps, ne tient pas.

Si tu pouvais revenir en arrière, ferais-tu les mêmes choix ?

Oui, absolument. Il y a eu des moments très difficiles dans ma vie, comme pour tout le monde. Je ne veux pas passer pour la « victime du jour ». Je crois que chaque personne, pour grandir, doit traverser des phases d’obscurité, des moments de désolation, de solitude, où elle se sent trahie ou injustement accusée. J’ai vécu ces moments-là. Mais j’ai eu la chance d’avoir un directeur spirituel à mes côtés.

Quand on traverse certaines épreuves avec quelqu’un qui t’accompagne, on parvient à comprendre que tout ce que Dieu permet a un sens, un but. Et quand on sort de ce « tunnel », on découvre qu’on est une personne différente, plus mûre. C’est comme si, à travers cette épreuve, on était transformé.

Si j’étais resté seul, j’aurais risqué de prendre de mauvaises décisions, sans vision, aveuglé par la fatigue du moment. Quand on est en colère, quand on se sent seul, ce n’est pas le moment de prendre des décisions. C’est le moment de marcher, de demander de l’aide, de se faire accompagner.

Vivre certaines étapes avec l’aide de quelqu’un, c’est comme être une pâte mise au four : le feu la cuit, la mûrit. C’est pourquoi, à la question de savoir si je changerais quelque chose, ma réponse est non. Car même les moments les plus difficiles, même ceux que je ne comprenais pas, m’ont aidé à devenir la personne que je suis aujourd’hui.

Est-ce que je me sens quelqu’un de parfait ? Non. Mais je sens que je suis en chemin, chaque jour, essayant de vivre devant la miséricorde et la bonté de Dieu.

Et aujourd’hui, au moment où je donne cette interview, je peux dire sincèrement que je me sens heureux. Je n’ai peut-être pas encore pleinement compris ce que signifie être Recteur Majeur – cela prend du temps –, mais je sais que c’est une mission, pas une promenade. Cela comporte des difficultés. Cependant, je me sens aimé, estimé par mes collaborateurs et par toute la Congrégation.

Et tout ce que je suis aujourd’hui, je le dois à ce que j’ai vécu, même dans les passages les plus difficiles. Je ne les changerais pour rien au monde. Ils ont fait de moi ce que je suis.

As-tu un projet qui te tient particulièrement à cœur ?

Oui. Si je ferme les yeux et que j’imagine quelque chose que je désire vraiment, je voudrais voir une Congrégation plus sainte. Plus sainte. Plus sainte.

La première lettre de Don Pascual Chávez, intitulée « Soyez saints », m’a profondément inspiré en 2002. Cette lettre m’a touché au plus profond de moi-même, elle m’a marqué.
Les projets sont nombreux, tous valables, bien structurés, avec des visions vastes et profondes. Mais quelle valeur ont-ils s’ils sont menés par des personnes qui ne sont pas saintes ? Nous pouvons faire un excellent travail, nous pouvons même être appréciés – et cela n’est pas négatif en soi –, mais nous ne travaillons pas pour avoir du succès. Notre point de départ est une identité : nous sommes des personnes consacrées.

Ce que nous proposons n’a de sens que si cela vient de là. Il est clair que nous souhaitons que nos projets soient couronnés de succès, mais nous souhaitons encore plus qu’ils apportent la grâce, qu’ils touchent les gens au plus profond d’eux-mêmes. Il ne suffit pas d’être efficaces. Nous devons être efficaces au sens le plus profond du terme : efficaces dans notre témoignage, dans notre identité, dans notre foi.
L’efficacité peut exister même sans aucune référence religieuse. Nous pouvons être d’excellents professionnels, mais cela ne suffit pas. Notre consécration n’est pas un détail : c’est le fondement. Si elle devient marginale, si nous la mettons de côté pour faire place à l’efficacité, alors nous perdons notre identité.

Les gens nous observent. Dans les écoles salésiennes, on reconnaît que les résultats sont bons – et c’est une bonne chose. Mais nous reconnaissent-ils aussi comme des hommes de Dieu ? Telle est la question.
Si on nous voit seulement comme de bons professionnels, alors nous sommes efficaces et rien de plus. Mais notre vie doit se nourrir de Lui – Voie, Vérité et Vie – et non de ce que « je pense », ou de ce que « je veux », ou de « ce qui me semble ».

C’est pourquoi, plutôt que de parler d’un projet personnel, je préfère parler d’un désir profond : devenir saints. Et en parler de manière concrète, non idéalisée. Quand Don Bosco parlait à ses garçons du trinôme savoir-santé-sainteté, il ne visait pas une sainteté faite uniquement de prière à la chapelle. Il pensait à une sainteté vécue dans la relation avec Dieu et nourrie par la relation avec Dieu. La sainteté chrétienne est le reflet de cette relation vivante et quotidienne.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui s’interroge sur sa vocation ?

Je lui dirais de découvrir, pas à pas, quel est le projet de Dieu pour lui.
Le cheminement vocationnel n’est pas une question que l’on pose en attendant une réponse toute faite de la part de l’Église. C’est un pèlerinage. Quand un jeune me dit : « Je ne sais pas si je veux devenir salésien ou non », j’essaie de l’éloigner de cette formulation. Car il ne s’agit pas simplement de décider : « Je vais devenir salésien ». La vocation n’est pas une option par rapport à une « chose ».

Dans ma propre expérience, lorsque j’ai dit à mon directeur spirituel : « Je veux devenir salésien, je dois le devenir », il m’a fait réfléchir très calmement : « Est-ce vraiment la volonté de Dieu ? Ou est-ce seulement ton désir à toi ? »

Il est normal qu’un jeune cherche ce qu’il désire, c’est une bonne chose. Mais celui qui l’accompagne a pour tâche d’éduquer cette recherche, de transformer un enthousiasme initial en un cheminement de maturation intérieure.
« Tu veux faire du bien ? C’est bien. Alors, apprends à te connaître toi-même, reconnais que tu es aimé de Dieu. »
Ce n’est qu’à partir de cette relation profonde avec Dieu que peut émerger la vraie question : « Quel est le projet de Dieu pour moi ? »
Car ce que je désire aujourd’hui pourrait ne plus me suffire demain. Si la vocation se réduit à ce qui me « plaît », alors elle sera fragile. La vocation est plutôt une voix intérieure qui interpelle, qui demande d’entrer en dialogue avec Dieu et de répondre.

Quand un jeune arrive à ce stade, quand il est accompagné dans la découverte de cet espace intérieur où habite Dieu, alors il commence vraiment à cheminer.

C’est pourquoi celui qui l’accompagne doit être très attentif, profond, patient. Jamais superficiel.

L’Évangile d’Emmaüs en est une image parfaite. Jésus s’approche des deux disciples, il les écoute même s’il sait qu’ils parlent dans la confusion. Puis, après les avoir écoutés, il commence à parler. Et eux, à la fin, l’invitent : « Reste avec nous, car le soir tombe. »
Et ils le reconnaissent dans le geste de rompre le pain. Puis ils se disent : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous tandis qu’il nous parlait en chemin ? »

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes sont en quête. Notre tâche, en tant qu’éducateurs, est de ne pas être pressés. Mais de les aider, avec calme et progressivement, à découvrir la grandeur qui est déjà dans leur cœur. Car c’est là, dans cette profondeur, qu’ils rencontrent le Christ. Comme le dit saint Augustin : « Tu étais en moi, et moi en dehors de moi. C’est là que je te cherchais. »

As-tu un message à transmettre aujourd’hui à la Famille salésienne ?

C’est le même message que j’ai partagé ces derniers jours, lors de la réunion du Conseil de la Famille salésienne : La foi. Enracinons-nous toujours plus dans la personne du Christ.

C’est de cet enracinement que naît une connaissance authentique de Don Bosco. Les premiers salésiens, lorsqu’ils ont voulu écrire un livre sur le vrai Don Bosco, ne l’ont pas intitulé « Don Bosco apôtre des jeunes », mais « Don Bosco avec Dieu » – un texte écrit par Don Eugenio Ceria en 1929.
Et cela nous fait réfléchir. Pourquoi eux, qui l’avaient vu à l’œuvre tous les jours, n’ont-ils pas choisi de mettre en avant le Don Bosco infatigable, organisateur, éducateur ? Non, ils ont voulu raconter le Don Bosco profondément uni à Dieu.
Ceux qui l’ont bien connu ne se sont pas arrêtés aux apparences, mais sont allés à la racine : Don Bosco était un homme immergé en Dieu.

À la Famille salésienne, je dis : nous avons reçu un trésor. Un immense don. Mais tout don implique une responsabilité.
Dans mon discours final, j’ai dit : « Il ne suffit pas d’aimer Don Bosco, il faut le connaître. »
Et nous ne pouvons vraiment le connaître que si nous sommes des personnes de foi.

Nous devons le regarder avec les yeux de la foi. C’est seulement ainsi que nous pouvons rencontrer le croyant qu’était Don Bosco, en qui le Saint-Esprit a agi avec force : avec dynamis, avec charis, avec charisme, avec grâce.
Nous ne pouvons pas nous limiter à répéter certaines de ses maximes ou à raconter ses miracles. Car nous courons le risque de nous arrêter aux anecdotes de Don Bosco, au lieu de nous arrêter à l’histoire de Don Bosco, car Don Bosco est plus grand que Don Bosco.
Cela signifie étudier, réfléchir, approfondir. Cela signifie éviter toute superficialité.

Et alors nous pourrons dire en vérité : « Telle est ma foi, tel est mon charisme : enracinés dans le Christ, sur les pas de Don Bosco. »




Éduquer les facultés de l’esprit avec saint François de Sales

Saint François de Sales présente l’esprit comme la partie la plus élevée de l’âme, dirigée par l’intellect, la mémoire et la volonté. Le cœur de sa pédagogie est l’autorité de la raison, une « torche divine » qui rend l’homme véritablement humain et doit guider, éclairer et discipliner les passions, l’imagination et les sens. Éduquer l’esprit signifie donc cultiver l’intellect par l’étude, la méditation et la contemplation, exercer la mémoire comme réservoir des grâces reçues, et renforcer la volonté afin qu’elle choisisse constamment le bien. De cette harmonie jaillissent les vertus cardinales – prudence, justice, force et tempérance – qui forment des personnes libres, équilibrées et capables d’une véritable charité.

            L’esprit est considéré par François de Sales comme la partie supérieure de l’âme. Ses facultés sont l’entendement, la mémoire et la volonté. L’imagination pourrait en faire partie, dans la mesure où la raison et la volonté interviennent dans son fonctionnement. La volonté, quant à elle, est la faculté maîtresse, à laquelle il convient de réserver un traitement particulier. C’est par l’esprit que l’homme devient, selon la définition classique, un « animal raisonnable ». « Nous ne sommes hommes que par la raison », écrit François de Sales. Après « les grâces corporelles », ce sont « les dons de l’esprit » qui devront faire l’objet de nos réflexions et de notre reconnaissance, et parmi ceux-ci l’auteur de l’Introduction distingue les dons reçus de la nature et ceux acquis par l’éducation :

Considérez les dons de l’esprit : combien y a-t-il au monde de gens hébétés, enragés, insensés ; et pourquoi n’êtes-vous pas du nombre ? Dieu vous a favorisée. Combien y en a-t-il qui ont été nourris rustiquement et en extrême ignorance ; et la Providence divine vous a fait élever civilement et honorablement.

            Parmi les hommes qui ont été comblés sous ce rapport, il faut nommer le « glorieux saint Augustin », riche de « tous les dons de nature et de grâce que le Seigneur lui avait libéralement départis », et doué entre autres « d’un grand esprit, d’un bon jugement accompagné d’une heureuse mémoire ».

La raison, « divin flambeau »
            Dans son Exercice du sommeil ou repos spirituel, composé à Padoue quand il avait vingt-trois ans, François se proposait un sujet de méditation surprenant :

Je m’arrêterai en l’admiration de la beauté de la raison que Dieu a donnée à l’homme, afin qu’éclairé et enseigné par sa merveilleuse splendeur, il haïsse le vice et aime la vertu. Hé ! que ne suivons-nous la lumière brillante de ce divin flambeau, puisque l’usage nous en est donné pour voir où nous devons mettre le pied !

            « La raison naturelle est un bon arbre que Dieu a planté en nous, les fruits qui en proviennent ne peuvent être que bons », affirme l’auteur du Traité ; il est vrai qu’elle est « grandement blessée et comme à moitié morte par le péché », mais son exercice n’est pas fondamentalement entravé.
            Dans le royaume intérieur de l’homme, « la raison doit être la reine, à laquelle toutes les facultés de notre esprit, tous nos sens et notre corps même doivent demeurer absolument assujettis ». C’est la raison qui distingue l’homme de l’animal et il faut se garder d’imiter « guenons et marmots, lesquels sont toujours mornes, tristes et fâcheux au défaut de la lune, comme au contraire, au renouvellement d’icelle, ils sautent, dansent et font leurs singeries ». Il faut faire régner, dit saint François de Sales, « l’autorité de la raison ».
            Entre la partie supérieure de l’esprit, qui doit régner, et la partie inférieure de notre être, que François de Sales désigne parfois sous le nom biblique de « chair », la bataille parfois devient âpre. Chaque camp a ses alliés. L’esprit, qui est le « donjon de l’âme », est accompagné « de ses trois soldats : l’entendement, la mémoire et la volonté ». Attention donc à la chair qui complote et se cherche des alliés dans la place :

Cette chair pratique ores l’entendement, ores la volonté, ores l’imagination, lesquels se bandant contre la raison, livrent bien souvent la place, et font division et mauvais offices à la raison. […] Cette chair allèche la volonté, ores par des plaisirs, ores par des richesses ; ores elle nous met des imaginations de prétentions, ores en l’entendement une grande curiosité, tout sous espèces et prétexte de bien.

            Dans cette bataille, rien n’est perdu tant que l’esprit résiste, alors même que toutes les passions de l’âme semblent en révolte : « Si ces soldats étaient fidèles, l’esprit n’aurait aucune crainte, ains (mais) il se moquerait de ses ennemis, comme font ceux qui, ayant des munitions suffisantes, se trouvent au donjon d’une forteresse imprenable ; et ce, bien que les ennemis soient aux faubourgs, voire que la ville fût prise. » La cause de tous ces déchirements intérieurs est l’amour-propre. En effet, « nos entendements sont ordinairement si pleins de raisons, d’opinions et de considérations suggérées par l’amour-propre que cela cause de grandes guerres en l’âme ».
            En éducation, il est important de faire sentir la supériorité de l’esprit. « Le principe d’une éducation humaine est là, dit le père Lajeunie : montrer à l’enfant, dès que sa petite raison s’éveille, ce qui est beau et bien, et par l’amour du beau, le détourner du laid ; créer ainsi dans son cœur l’habitude du contrôle de ses réflexes instinctifs au lieu de les suivre servilement ; car c’est ainsi que se forme ce processus de sensualisation qui le rend esclave de ses désirs spontanés. À l’heure des choix décisifs cette habitude de céder toujours sans contrôle aux pulsions instinctives peut s’avérer catastrophique. »

L’entendement, « œil de l’âme »
            L’entendement, qui est cette faculté typiquement humaine et rationnelle de connaître et de comprendre, a souvent été comparé à la vue. On dit par exemple : « Je vois », pour dire : « J’ai compris ». Pour François de Sales, l’entendement est « l’œil de notre âme ». L’activité incroyable dont il est capable le rend semblable à « un ouvrier, lequel avec cent milliers d’yeux et de mains, comme un autre Argus, fait plus d’ouvrage que tous les ouvriers du monde, puisqu’il n’y a rien au monde qu’il ne représente ».
            Comment fonctionne l’entendement humain ? François de Sales a analysé avec précision les quatre actions dont il est capable : la simple pensée, l’étude, la méditation et la contemplation. La simple pensée s’exerce sur une grande diversité de choses, sans aucune fin, « comme font les mouches qui se vont posant sur les fleurs sans en prétendre tirer aucun suc ». L’étude au contraire se fait lorsque nous considérons les choses « pour les savoir, pour les bien entendre et pour en pouvoir bien parler », afin d’en « remplir notre mémoire », comme font les hannetons qui « se vont posant sur les roses, non pour autre fin que pour se saouler et se remplir le ventre ».
            François de Sales pourrait s’arrêter là, mais il connaît et recommande deux autres formes plus élevées. Alors que l’étude a pour but d’accroître les connaissances, la méditation se fait « pour émouvoir les affections », et particulièrement celle de l’amour. Mais l’activité suprême de l’entendement est la contemplation, qui consiste à nous réjouir du bien que nous avons connu au moyen de la méditation et que nous avons aimé par le moyen de cette connaissance ; nous ressemblons cette fois aux petits oiseaux de la volière qui prennent plaisir à « donner du plaisir à leur maître ». Avec la contemplation l’esprit humain parvient à son sommet ; l’auteur du Traité de l’amour de Dieu dira que la raison « vivifie enfin l’entendement même par la contemplation ».
            Revenons à l’étude, cette activité de l’entendement qui nous intéresse plus particulièrement. « C’est un vieil axiome entre les philosophes, dit François de Sales, que tout homme désire de savoir ». Reprenant à son compte cette affirmation d’Aristote ainsi que l’exemple de Platon, il veut montrer que c’est là un grand privilège. Ce qu’il veut savoir, c’est la vérité. La vérité est plus belle que « cette fameuse Hélène, pour la beauté de laquelle moururent tant de Grecs et de Troyens ». L’esprit est fait pour la recherche de la vérité : « La vérité est l’objet de notre entendement, qui a, par conséquent, tout son contentement à découvrir et connaître la vérité des choses ». Quand l’esprit trouve quelque chose de nouveau, il en ressent une joie intense, et quand on a commencé à trouver quelque chose de beau, on est porté à poursuivre la recherche, « comme ceux qui ont trouvé une minière d’or fouillent toujours plus avant pour trouver davantage de ce tant désiré métal ». La vérité suprême étant Dieu, c’est la connaissance de Dieu qui est la science suprême qui remplit notre esprit. C’est lui qui nous « a donné l’entendement pour le connaître » ; hors de lui, que de « pensées vaines et cogitations inutiles » !

Cultiver son intelligence
            L’homme se caractérise par un grand désir de savoir. C’est ce désir « qui fit sortir d’Athènes et tant courir ce grand Platon », et qui « fit renoncer ces anciens philosophes à leurs commodités corporelles ». Certains vont même jusqu’à jeûner « pour mieux étudier ». C’est que l’étude nous procure un plaisir intellectuel, supérieur aux plaisirs sensuels et difficile à arrêter : « L’amour intellectuel trouvant en l’union qu’il fait à son objet plus de contentement qu’il n’avait espéré, y perfectionnant sa connaissance, il la continue en s’unissant et s’unit toujours plus en la continuant ».
            Il s’agit de « bien éclairer l’entendement » en s’efforçant de le « purger » des ténèbres de l’ignorance. François de Sales insiste sur la valeur de l’étude et de l’apprentissage : « Étudiez toujours de plus en plus, en esprit de diligence et d’humilité », écrivait-il à un étudiant. Mais il ne suffit pas de purger l’entendement de ses ignorances, il faut aussi le « parer et orner », le « tapisser de considérations ». Pour savoir parfaitement une chose, il faut bien apprendre, prendre du temps, en « assujettissant » l’entendement, c’est-à-dire en l’obligeant à se fixer sur une chose, avant de passer à une autre.
            Le jeune François appliquait son esprit non seulement aux études et aux connaissances intellectuelles, mais aussi à certains sujets essentiels à la vie de l’homme sur la terre, notamment à la « considération de la vanité des grandeurs, des richesses, des honneurs, des commodités et des voluptés de ce monde » ; à la « considération de la laideur, de l’abjection et de la déplorable misère qui se retrouve au vice et au péché » et à la « connaissance de l’excellence de la vertu ».
            L’esprit humain est souvent distrait, il oublie, il est superficiel, se contentant d’une connaissance vague ou vaine. Par la méditation, non seulement des vérités éternelles, mais aussi des phénomènes et des actions de ce monde, il devient capable d’une vision plus réaliste et plus profonde de la réalité. C’est pourquoi les méditations que l’auteur propose à Philothée comportent une première partie intitulée « considérations ». Considérer veut dire appliquer son esprit à un objet bien précis, l’examiner avec attention sous ses divers aspects. François de Sales invite Philothée à « penser », à « voir », à examiner les différents « points », dont certains méritent d’être considérées « à part ». Il exhorte à voir les choses en général et à descendre dans les cas particuliers. Il veut que l’on examine les principes, les causes et les conséquences de telle vérité ou de telle situation, ainsi que les circonstances qui les accompagnent. Il faut aussi savoir « peser » certaines paroles ou sentences dont l’importance risque de nous échapper, les considérer une à une, les comparer l’une à l’autre.
            Comme en toute chose, il peut y avoir des excès ou des déformations dans le désir de savoir. Attention à la vanité du faux savant : il en est en effet qui, « pour un peu de science, veulent être honorés et respectés du monde, comme si chacun devait aller à l’école chez eux et les tenir pour maîtres : c’est pourquoi on les appelle pédants ». Or, « la science nous déshonore quand elle nous enfle et qu’elle dégénère en pédanterie ». Quel ridicule de vouloir instruire Minerve, la déesse de la sagesse ! « La peste de la science est la présomption, laquelle rend les esprits enflés et hydropiques, ainsi que sont d’ordinaire les savants du monde ».
            Quand notre esprit se pose sur des questions qui nous dépassent et qui sont du domaine des mystères de la foi, il faut le « purger de toute curiosité », il faut le « tenir clos et couvert à telles vaines et sottes questions et curiosités ». C’est la « pureté d’entendement », « seconde modestie » ou « intérieure modestie ». Enfin il faut savoir que l’entendement peut se tromper et qu’il existe des « péchés de l’entendement », comme celui que François de Sales reproche à madame de Chantal qui s’était trompée dans la trop grande estime qu’elle avait de son directeur.

La mémoire et ses « magasins »
            Comme l’entendement, la mémoire est une faculté de l’esprit qui suscite l’admiration. François de Sales la compare à un magasin « qui vaut plus que tous ceux d’Anvers ou de Venise ». Ne dit-on pas « emmagasiner » dans sa mémoire ? La mémoire est un soldat dont la fidélité nous est bien utile. Elle est un don de Dieu, déclare l’auteur de l’Introduction : Dieu vous l’a donnée, dit-il à Philothée, « pour vous souvenir de lui », l’invitant à fuir les « souvenirs détestables et frivoles ».
            Cette faculté de l’esprit humain a besoin d’entraînement. Quand il était étudiant à Padoue, le jeune François exerçait sa mémoire non seulement dans les études, mais aussi dans sa vie spirituelle, où le souvenir des bienfaits reçus est un élément primordial. C’est par elle qu’il faut commencer :

Avant toute autre chose, je tâcherai à rafraîchir ma mémoire de tous les bons mouvements, désirs, affections, résolutions, projets, sentiments et douceurs qu’autrefois la divine Majesté m’a inspirés et fait expérimenter en la considération de ses saints mystères, de la beauté de la vertu, de la noblesse de son service et d’une infinité de bénéfices qu’elle m’a très libéralement départis ; je mettrai ordre aussi à me ramentevoir (souvenir) de l’obligation que je lui ai de ce que, par sa sainte grâce, elle a quelquefois débilité mes sens en m’envoyant certaines maladies et infirmités lesquelles m’ont grandement profité.

            Dans les difficultés et les craintes, il est indispensable de se servir de la mémoire pour « nous ressouvenir des promesses » et « demeurer fermes en cette confiance que tout périra plutôt que ces promesses viennent à manquer ». Cependant, la mémoire du passé n’est pas toujours bonne. En certaines circonstances exceptionnelles de la vie spirituelle, il « la faut purger de la souvenance des choses caduques et affaires mondaines », oublier pour un temps les choses matérielles et temporelles, quoique bonnes et utiles. Dans le domaine moral, et pour exercer les vertus, la personne qui s’est sentie offensée prendra une mesure radicale : « J’ai trop de mémoire des piques et injures, je la perdrai dorénavant ».

« Il faut avoir l’esprit juste et raisonnable »
            Les capacités de l’esprit humain, notamment de l’entendement et de la mémoire, ne sont pas destinées seulement aux prouesses intellectuelles, mais aussi et avant toute chose à la conduite de la vie. Chercher à comprendre l’homme, à comprendre la vie et à définir les normes de comportement selon la raison, telle devrait être une des tâches fondamentales de l’esprit humain et de son éducation. La partie centrale de l’Introduction, qui traite de « l’exercice des vertus », contient vers la fin un chapitre qui résume en quelque sorte l’enseignement de François de Sales sur les vertus : « Il faut avoir l’esprit juste et raisonnable ».
            Avec finesse et un brin d’humour, l’auteur dénonce nombre de conduites bizarres, folles ou simplement injustes : « Nous accusons pour peu le prochain, et nous nous excusons en beaucoup » ; « nous voulons vendre fort cher, et acheter à bon marché » ; « ce que nous faisons pour autrui nous semble toujours beaucoup, ce qu’il fait pour nous n’est rien » ; « nous avons un cœur doux, gracieux et courtois en notre endroit, et une cœur dur, sévère, rigoureux envers le prochain » ; « nous avons bien deux poids : l’un pour peser nos commodités avec le plus d’avantage que nous pouvons, l’autre pour peser celles du prochain avec le plus de désavantage qu’il se peut ». Pour bien juger, conseille-t-il à Philothée, il faut se mettre toujours à la place du prochain : « Rendez-vous vendeuse en achetant et acheteuse en vendant ». On ne perd rien à vivre « généreusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur royal, égal et raisonnable ».
            C’est la raison qui est à la base de l’édifice de l’éducation. Certains parents n’ont pas l’esprit juste car « il y a des enfants vertueux que leurs pères et mères ne peuvent presque pas voir, pour quelque imperfection corporelle ; il y a des vicieux qui sont les favoris, pour quelque grâce corporelle ». Il y a des éducateurs et des responsables qui se laissent aller à des préférences. « Tenez bien la balance droite entre les filles », recommandait-il à une supérieure de la Visitation, afin que « les dons naturels ne vous fassent point distribuer iniquement vos affections et bons offices ». Il ajoutait même : « La beauté, la bonne grâce, le bien parler donnent souvent de grands attraits aux personnes qui vivent encore selon leurs inclinations; la charité regarde la vraie vertu et la beauté cordiale, et se répand sans particularité ».
            Mais c’est la jeunesse surtout qui court les risques les plus grands, car si « l’amour-propre nous détraque ordinairement de la raison », cela se vérifie peut-être davantage encore chez les jeunes tentés par la vanité et l’ambition. François de Sales explique au jeune homme qui va « prendre la haute mer du monde », la nature exacte de ces deux écueils qu’il va rencontrer :

Comme la vanité est un manquement de courage, qui, n’ayant pas la force d’entreprendre l’acquisition de la vraie et solide louange, en veut et se contente d’en avoir de la fausse et vide, aussi l’ambition est un excès de courage qui nous porte à pourchasser des gloires et honneurs sans et contre la règle de la raison. Ainsi, la vanité fait qu’on s’amuse à ces folâtres galanteries qui sont à louange devant les femmes et autres esprits minces, et qui sont à mépris devant les grands courages et esprits relevés ; et l’ambition fait que l’on veut avoir des honneurs avant que les avoir mérités. C’est elle qui nous fait mettre en compte pour nous, et à trop haut prix, le bien de nos prédécesseurs, et voudrions volontiers tirer notre estime de la leur.

            La raison d’un jeune homme risque de se perdre surtout quand celui-ci se laisse « embarrasser parmi les amourettes ». Attention donc, écrit l’évêque au jeune homme, à ne « point permettre à vos affections de prévenir votre jugement et raison au choix des sujets aimables: car quand une fois l’affection a pris course, elle traîne le jugement comme un esclave, à des choix fort impertinents et dignes du repentir qui les suit par après bientôt ». Il expliquait de même aux religieuses de la Visitation que « nos entendements sont ordinairement si pleins de raisons, d’opinions et de considérations suggérées par l’amour-propre que cela cause de grandes guerres en l’âme ».

La raison, source des quatre vertus cardinales
            La raison ressemble au fleuve du paradis, « que Dieu fait sourdre pour arroser tout l’homme en toutes ses facultés et exercices » ; il se divise en quatre bras, qui correspondent aux quatre vertus que la tradition philosophique appelle les quatre vertus cardinales : la prudence, la justice, la force et la tempérance. « Toutes les vertus sont vertus par la convenance ou conformité qu’elles ont à la raison ; et une action ne peut être dite vertueuse si elle ne procède de l’affection que le cœur porte à l’honnêteté et beauté de la raison ». Et le chemin du bonheur passe par une vie vertueuse guidée par la raison et caractérisée par ces quatre vertus.
            La prudence « incline notre entendement à véritablement discerner le mal qui doit être évité, d’avec le bien qui doit être fait ». Attention aux passions qui risquent de déformer notre jugement en ruinant la prudence ! La prudence ne s’oppose pas à la simplicité : nous serons à la fois « prudents comme le serpent, pour n’être pas déçus (trompés) ; simples comme la colombe, pour ne point tromper personne ».
            La justice consiste à « rendre à Dieu, au prochain et à soi-même ce qu’il est obligé ». À Dieu nous rendons « la révérence, hommage et soumission que nous lui devons comme à notre souverain Seigneur et principe ». La justice envers les parents comporte le devoir de la piété, laquelle « s’étend à tous les offices qui se peuvent légitimement rendre, soit en honneur, soit en service ».
            La vertu de force sert à « vaincre les difficultés qu’on sent à faire le bien et repousser le mal ». C’est elle qui gouverne « l’appétit irascible ». Elle est bien nécessaire, parce que l’appétit sensuel est « un sujet rebelle, séditieux, remuant ». Quand la raison domine sur les passions, la colère fait place à la douceur, sa grande alliée. Souvent, la force s’accompagne de la magnanimité, « une vertu qui nous porte et incline aux actions grandes et relevées ».
            Enfin la tempérance est indispensable « pour réprimer les inclinations insolentes de la sensualité », elle gouverne « l’appétit de convoitise » et modère les passions. Si l’âme se passionne trop pour la jouissance des cinq sens corporels, elle s’abaisse et se rend incapable de jouissances plus hautes. La vigilance sur nos sens est donc de rigueur, principalement sur les deux sens du toucher et du goût, qui sont « plus grossiers, brutaux et impétueux ».
            En conclusion, ces quatre vertus sont comme des manifestations de cette lumière naturelle que nous fournit la raison. En pratiquant ces vertus, la raison fera « l’exercice de sa supériorité et de l’autorité qu’elle a de ranger les appétits sensuels ».




Éduquer nos émotions avec saint François de Sales

La psychologie moderne a montré l’importance et l’influence de nos émotions dans la vie de notre psychisme. Mais on ne parle plus guère des « passions de l’âme », que l’anthropologie classique analysait soigneusement, comme en témoigne l’œuvre de François de Sales, notamment quand il écrit que « l’âme en tant qu’âme est la source des passions et affections ». Dans le vocabulaire de François de Sales, le terme « émotion » n’apparaît pas encore avec les connotations que nous lui connaissons. Par contre, il dira que nos passions sont « émues » dans certaines circonstances. En éducation la question qui se pose est l’attitude qu’il convient d’avoir devant ces manifestations involontaires de notre sensibilité et qui ont presque toujours des répercussions physiologiques. L’humanisme de saint François de Sales s’accommode-t-il de ces phénomènes « remuants » ?

« Je suis tant homme que rien plus »
            Tous eux qui ont connu François de Sales ont noté sa grande sensibilité et émotivité. Parfois on lui voyait monter le sang au visage et il devenait tout rouge. Comme un bon Savoyard, c’était « un volcan sous la neige ». On l’a vu pleurer sur la mort des êtres chers, mais aussi sur les péchés des autres. Lors de la mort de sa petite sœur Jeanne, qu’il avait « baptisée de ses propres mains », il écrivait à Jeanne de Chantal, elle-même consternée :

Hélas, ma Fille, je suis tant homme que rien plus. Mon cœur s’est attendri plus que je n’eusse pensé ; mais la vérité est que le déplaisir de ma mère et le vôtre y ont beaucoup contribué, car j’ai eu peur de votre cœur et de celui de ma mère.

            Comme on le voit, il ne refoulait pas systématiquement les manifestations extérieures de ses sentiments, son humanisme s’en accommodait. Il a pleuré à la mort de sa mère, de sa petite sœur, de son évêque. Un témoignage précieux de Jeanne de Chantal nous apprend que « notre saint n’était pas exempt de sentiments et émotions des passions, et ne voulait pas qu’on désirât d’en être affranchi ».
            Comme ils sont nombreux et divers les états successifs de notre âme ! Tantôt elle est « triste, joyeuse, en douceur, en amertume, en paix, en trouble, en clarté, en ténèbres, en tentations, en repos, en goût, en dégoût, en sécheresse, en tendreté ». François de Sales remarque sans tarder que les passions de l’âme réagissent sur le corps, provoquant des manifestations extérieures des mouvements intérieurs : « Quand on craint on devient pâle ; quand l’on nous avertit de quelque chose qui nous fâche, la couleur monte au visage et l’on devient rouge, ou bien la fâcherie nous tire la larme de l’œil. » Quand Mme de Chantal rencontrera l’assassin de son mari, que se passera-t-il ?

Je sais que sans doute, [votre cœur] se remuera et renversera, que votre sang bouillonnera ; mais qu’est cela ? Ainsi fit bien celui de notre cher Sauveur à la vue de son Lazare mort et de sa passion représentée. […] C’est cela, ma Fille : Dieu nous fait voir en ces émotions, combien nous sommes de chair, d’os et d’esprit.

            François de Sales n’était pas de l’avis des « apathistes » qui affirmaient que « les saints et les justes étaient exempts de toute perturbation » ; même le Christ a été troublé, et s’il n’a pas eu des passions proprement dites, on lui attribue cependant des « propassions ». C’est une erreur de penser que « l’homme, par une soigneuse et fréquente mortification, pouvait arriver jusques là que d’être sans passions et émotions de colère ; qu’il pouvait recevoir un soufflet sans rougir, être injurié, moqué, battu sans le ressentir ». C’est faux, parce que « tant que l’homme vivra, rampera et traînera sur cette terre il aura des passions, sentira des trémoussements de colère, des soulèvements de cœur, des affections, inclinations, répugnances, aversions et telles autres choses auxquelles nous sommes tous sujets ».

Les douze passions de l’âme
            Le nombre des passions a varié. L’Introduction à la vie dévote en compte sept, semblables aux sept cordes d’un luth qu’il faut accorder au cours de l’exercice annuel de renouvellement spirituel : l’amour, la haine, le désir, la crainte, l’espérance, la tristesse et la joie. Plus tard, au chapitre III du premier livre du Traité de l’amour de Dieu, on en compte pas moins de douze, comme autant de tribus formant tout un peuple : « l’amour, le désir, l’espérance, le désespoir, la joie, la haine, la fuite du mal, la crainte, le courage, la colère, la tristesse et la satisfaction ou assouvissement ».

L’amour, première et principale passion
            La cause est entendue : « L’amour tient le premier rang entre les passions de l’âme : c’est le roi de tous les mouvements du cœur, il convertit tout le reste à soi et nous rend tels que ce qu’il aime. »
            Pour parler de l’amour, l’évêque de Genève prend l’image de l’horloge : « L’amour est la vie de notre cœur ; et comme le contrepoids donne le mouvement à toutes les pièces d’un horloge, aussi l’amour donne à l’âme tous les mouvements qu’elle a ».
            En tant que passion ou émotion, l’amour naît spontanément du plaisir que suscitent les qualités extérieures de la personne ou des choses, alors que la haine ou antipathie provient de la vue des défauts ou laideurs. Cette attirance ou antipathie naturelle que nous éprouvons pour certaines personnes ou certaines choses peut être très utile. Cependant, elle doit se soumettre aux deux facultés supérieures que sont la raison et la volonté.
            La haine, écrit François de Sales citant saint Jean Chrysostome, « est un démon volontaire, une manie voulue, un jouet du diable ». Mais il s’agit ici de la haine entretenue entre les personnes. Il y a des haines instinctives, irrationnelles, inconscientes : entre les mulets et les chevaux, entre le chou et la brebis… Mais la haine peut devenir très bonne et utile quand on déteste le péché, ainsi que « toutes les affections, dépendances et acheminements du péché ».

Le désir et la fuite
            Le désir consiste en « l’espérance d’un bien futur ». « Le désir qui précède la jouissance aiguise et affine le ressentiment d’icelle, et plus le désir a été pressant et puissant, plus la possession de la chose désirée est agréable et délicieuse ».
            Les désirs les plus communs sont les désirs touchant les biens, les plaisirs et les honneurs. L’auteur de l’Introduction propose une éducation du désir : il faut se garder du désir des choses vicieuses, des choses dangereuses, des choses fort éloignées, ou de rêver d’une autre vie impossible, même pour des motifs élevés ou religieux. François de Sales enseigne le réalisme. Il faut prendre les personnes, les choses, les événements tels qu’ils sont, à commencer par soi-même. À quoi sert-il de désirer même d’avoir un esprit ou un jugement meilleurs que celui que l’on a ? « Chacun doit avoir [le désir] de cultiver le sien tel qu’il est ».

L’espoir et le désespoir
            L’espoir concerne un bien que l’on pense pouvoir obtenir. Philothée est invitée à examiner comment elle s’est comportée « en l’espérance, trop mise peut-être au monde et en la créature, et trop peu mise en Dieu et ès choses éternelles ».
            Le désespoir fait partie de ces passions dont il est extrêmement difficile de faire un usage positif, à moins qu’on le réduise à « la juste défiance de nous-mêmes, ou bien au sentiment que nous devons avoir de la vanité, faiblesse et inconstance des faveurs, assistances et promesses du monde ». Voyez le désespoir des « jeunes apprentis de la perfection » :
            Dès qu’ils rencontrent de la difficulté en leur chemin, voilà quant et quant (en même temps) le chagrin qui les pousse à faire tant de plaintes qu’il semble qu’il y ait grand pitié en eux. L’orgueil ou la vanité ne leur peut permettre un petit défaut que tout incontinent [aussitôt] ils n’entrent en de grands troubles qui les portent par après au désespoir : Ô Dieu, il ne faut plus rien attendre de moi, je ne ferai jamais rien qui vaille ! C’est bien dit ; hé, pensiez-vous être si brave que de ne point faillir ? En toutes sortes d’arts il faut être apprenti, premier que d’être maître.

La joie et la tristesse
            La joie est « l’allégresse pour le bien obtenu ». Lorsque nous rencontrons ceux que nous aimons, « il ne se peut pas faire que nous ne soyons émus de joie et de contentement ». Mais la joie peut être « excessive et pour choses indignes ». La joie va parfois jusqu’au rire. La possession d’un bien provoque infailliblement une complaisance ou jouissance, comme la loi de la gravité « émeut » la pierre :

Le poids des choses les ébranle, les meut et les arrête : c’est le poids de la pierre qui lui donne l’émotion et le branle à la descente, soudain que les empêchements lui sont ôtés ; c’est le même poids qui lui fait continuer son mouvement en bas ; et c’est enfin le même poids encore qui la fait arrêter et accoiser (reposer) quand elle est arrivée en son lieu.

            La tristesse est presque toujours mauvaise, à part celle qui consiste à s’affliger d’un mal réel chez autrui et chez soi-même, mais même dans ce cas il faut ne pas se laisser abattre par l’excès. La tristesse est presque toujours inutile, voire contraire au service du saint amour. Méfions-nous de la mauvaise tristesse qui « trouble l’âme, donne des craintes déréglées, dégoûte de l’oraison, assoupit et accable le cerveau, prive l’âme de conseil, de résolution, de jugement et de courage ».
            Il faut donc la chasser le plus possible. François de Sales donne pour cela un certain nombre de conseils. À côté des remèdes proprement spirituels, il conseille de « s’employer aux œuvres extérieures », de « les diversifier le plus que l’on peut, pour divertir l’âme de l’objet triste, purifier et échauffer l’âme les esprits ». Un autre remède très utile consistera à découvrir tous les sentiments de son âme à une personne de confiance. La tristesse est « la douleur pour le mal présent ». Elle peut aller dans certains cas jusqu’aux pleurs :

Un père, envoyant son fils en cour ou aux études, ne laisse pas de pleurer en le licenciant, témoignant qu’encore qu’il veuille selon la portion supérieure le départ de cet enfant pour son avancement à la vertu, néanmoins selon l’inférieure il a de la répugnance à la séparation ; et quoiqu’une fille soit mariée au gré de son père et de sa mère, si est-ce que prenant leur bénédiction elle excite les larmes, en sorte que la volonté supérieure acquiesçant à son départ, l’inférieure montre de la résistance.

            Elle aussi peut être excessive et pour des choses vaines, comme pour ce pauvre Alexandre le Grand, qui se laissa aller à une passion déraisonnable quand il apprend qu’il y avait d’autres terres qu’il ne pourra jamais conquérir : « Comme un petit enfant qui veut pleurer pour une pomme qu’on lui refuse, cet Alexandre que les mondains appellent le Grand, plus fol néanmoins qu’un petit enfant, se prend à pleurer à chaudes larmes de quoi il n’y avait pas apparence qu’il pût conquérir les autres mondes ».
            La tristesse est une passion de l’âme qu’il est très difficile de faire servir au bien. Certes, il y a une « tristesse selon Dieu » qui est bonne parce qu’elle conduit à la pénitence et qu’il faudrait nommer plutôt déplaisir, ou sentiment et détestation du mal ; elle n’engourdit pas l’esprit, mais le rend actif, prompt et diligent, ce qui la rend fort utile. Il y a une tristesse qui procède de la condition naturelle de ceux qui ont l’humeur mélancolique et qu’il est difficile de changer, mais dont il faut néanmoins combattre le plus possible les manifestations. Quant à la tristesse qui procède de la variété des accidents humains de cette vie, elle peut servir grandement à progresser dans l’espérance chrétienne. Aussi, « parmi toutes les mélancolies qui nous peuvent arriver, nous devons employer l’autorité de la volonté supérieure pour faire tout ce qui se peut en faveur du divin amour ».
            Certes, quelqu’un qui est d’humeur mélancolique pourra difficilement changer son tempérament, mais il pourra dire des paroles « gracieuses, bonteuses et courtoises, et, malgré son inclination, faire par raison les choses convenables, en paroles et en œuvres de charité, douceur et condescendance ». « On est excusable de n’être pas toujours gai, car on n’est pas maître de la gaieté pour l’avoir quand on veut ; mais on n’est pas excusable de n’être pas toujours bonteux, maniable et condescendant, car cela est toujours au pouvoir de notre volonté. »

Le courage et la crainte
            L’homme est un être perpétuellement agité de mouvements divers « qui tantôt l’élèvent aux espérances, tantôt l’abaissent par la crainte ». La crainte se rapporte à un « mal à venir ». Avant d’être une vertu, le courage est un sentiment qui nous envahit parfois devant les difficultés qui devraient normalement nous abattre. François de Sales l’a éprouvé au moment d’entreprendre une longue visite de son diocèse de montagnes :

Tout maintenant je monte à cheval pour la visite qui durera environ cinq mois. […] Je m’y en vais de grand courage, et dès ce matin, j’ai senti une particulière consolation à l’entreprendre, quoiqu’auparavant, durant plusieurs jours, j’en eusse eu mille vaines appréhensions et tristesses, lesquelles néanmoins ne touchaient que la peau de mon cœur et non point l’intérieur : c’était comme ces frissonnements qui arrivent au premier sentiment de quelque froidure.

            Mais il y a aussi certains courages qui ne méritent pas ce nom, comme celui de se battre en duel : l’évêque de Genève se demande comment « l’on peut avoir un courage si déréglé, même pour des bagatelles et choses de rien ». Le vrai courage est celui qui est réglé par la raison. Et quant au courage chrétien, c’est tout simplement un don de Dieu.
            Au contraire, il n’est pas en notre pouvoir de ne pas ressentir la crainte en certaines occasions : « C’est comme qui dirait à une personne à la rencontre d’un lion ou d’un ours : n’ayez point peur ». Les enfants « voient un chien qui aboie, soudain ils se prennent à crier, et ne cessent point qu’ils ne soient auprès de leur maman ». Il en est de même face aux éléments déchaînés de la nature :

Les éclairs, tonnerres, foudres, tempêtes, inondations, tremble-terre et autres tels accidents inopinés excitent même les plus indévots à craindre Dieu ; et la nature, prévenant le discours en telles occurrences, pousse le cœur, les yeux et les mains mêmes devers le ciel pour réclamer le secours de la très sainte Divinité, selon le sentiment commun du genre humain, qui est, dit Tite-Live, que ceux qui servent la Divinité prospèrent, et ceux qui la méprisent sont affligés.

            Certains, voulant faire les courageux, vont de nuit quelque part, mais « dès qu’ils entendent tomber une petite pierre du plancher, ou qu’ils oyent (entendent) seulement courir une petite souris se prennent à crier : Ô mon Dieu ! – Qu’est-ce, leur dit-on, qu’avez-vous trouvé ? – J’ai ouï. – Et quoi ? – Je ne sais ». Cette crainte naturelle, que nous n’avons pas choisie, n’est ni louable ni blâmable, mais elle est peut être utile. Il y a des craintes salutaires et d’autres exagérées : « crainte des dangers de pécher et des pertes des biens de ce monde : on craint trop l’un, et trop peu l’autre ».

La colère et son assouvissement
            François de Sales reconnaissait que « de son naturel, il était fort prompt et sujet à se mettre en colère ». On ne peut s’empêcher de ressentir de la colère en certaines circonstances : « Si l’on me vient rapporter que quelqu’un a médit de moi, ou que l’on me fasse quelque autre contradiction, incontinent (aussitôt) la colère s’émeut et je n’ai pas une veine qui ne se torde, parce que le sang bouillonne ».
            La colère, de soi, n’est pas mauvaise : elle est « un serviteur qui, étant puissant, courageux et grand entrepreneur, fait aussi d’abord beaucoup de besogne ». Dans certains cas elle est « un secours donné à la raison ». Mais c’est un serviteur qui peut devenir dangereux et peu désirable. C’est surtout au sujet de la colère que François de Sales multiplie les conseils et les mises en garde, parce que cette passion est difficile à maîtriser. Elle peut parfois être légitime et les grands saints ont su la lancer et la retirer comme bon leur semblait ; « mais nous autres, qui avons des passions indomptées, toutes jeunes, ou du moins mal apprises, nous ne pouvons lâcher notre ire qu’avec péril de beaucoup de désordre, parce qu’étant une fois en campagne on ne la peut plus retenir ni ranger comme il serait requis ».

Un idéal difficile à atteindre : l’égalité d’humeur
            Les émotions et les passions font de l’homme un être extrêmement sujet aux variations de la « température » psychologique, à l’image des variations climatiques : « sa vie s’écoule sur cette terre comme les eaux, flottant et ondoyant en une perpétuelle diversité de mouvements ».
            Malgré certaines expressions où il est question de « suffoquer et étouffer les passions », pour François de Sales il ne s’agit pas d’éliminer les émotions, passions et sentiments, chose impossible, mais de les contrôler autant que faire se peut, c’est-à-dire de les modérer et de les orienter vers une fin qui soit bonne. La tradition philosophique, préoccupée de la « constance », et la tradition spirituelle orientée vers la recherche de la paix de l’âme et la lutte contre l’inquiétude, en tant qu’elle est le fruit de l’amour-propre, se rejoignent ici :

Il nous faut tâcher d’avoir une continuelle et inviolable égalité de cœur en une si grande inégalité d’accidents, et quoique toutes choses se tournent et varient diversement autour de nous, il nous faut demeurer constamment immobiles à toujours regarder, tendre et prétendre à notre Dieu.

            Les médecins que connaissait François de Sales disaient que « quand les quatre humeurs sont en bon ordre tout va bien, et l’on jouit d’une pleine santé ; comme au contraire, quand l’une prédomine sur l’autre on est malade, et à mesure que la prédomination est grande, la maladie l’est aussi. Par exemple, quand le flegme vient à surabonder, il réduit l’homme à de graves infirmités ».
            En réalité, il y en a toujours l’une ou l’autre qui prédomine, ce qui fait que la santé n’est presque jamais pleine et entière, mais elle penche toujours de quelque côté. Il en va de même pour les passions et les émotions. Quand l’une d’elles prédomine sur l’autre, elle cause des maladies et des bizarreries :

Aujourd’hui on sera joyeux à l’excès, et tôt après on sera démesurément triste. En temps de carnaval, on verra des joies et liesses qui se montrent par des actions badines et folâtres, et bientôt après vous verrez des tristesses et ennuis si extrêmes que c’est chose horrible et, ce semble, irrémédiable. Tel aura à cette heure trop d’espérance et ne pourra craindre chose quelconque, lequel peu après sera saisi d’une crainte qui l’enfoncera jusques aux enfers.

            Quand les passions nous rendent malades, deux méthodes sont possibles, correspondant à l’allopathie et à l’homéopathie : « Nous combattons les passions, ou leur opposant des passions contraires, ou leur opposant des plus grandes affections de leur sorte. »
            Il ne s’agit donc pas de feindre d’ignorer ces passions et émotions, comme si elles n’existaient pas – ce qui est impossible – mais de « veiller continuellement sur son cœur et sur son esprit pour tenir les passions en règle et sous l’empire de la raison ; autrement on ne verra que bizarreries et inégalités ». La raison, dit-il encore, « s’empare tantôt d’une passion, tantôt de l’autre, pour la modérer et gouverner ». Philothée sera heureuse quand elle aura pacifié beaucoup de passions qui l’inquiétaient.
            Le but à atteindre est exprimé par une formule typique : « posséder son âme », ce qui exige avant tout la patience : « C’est le grand bonheur de l’homme, Philothée, que de posséder son âme ; et à mesure que la patience est plus parfaite, nous possédons plus parfaitement nos âmes. » Malgré les difficultés, il faut tâcher d’acquérir « ce bien non pareil de l’égalité ». L’égalité de l’esprit est « un des plus illustres ornements de la vie chrétienne et un des plus aimables moyens pour acquérir et conserver la grâce de Dieu, et même de bien édifier le prochain. Ce sera le rôle des facultés supérieures, la raison et surtout la volonté, de « régler » les passions.




Éduquer le corps et ses 5 sens avec saint François de Sales

            Chez beaucoup d’anciens ascètes chrétiens, influencés par les idées néoplatoniciennes, le corps a souvent été considéré comme un ennemi dont il fallait combattre la corruption, voire comme un objet de mépris dont il ne fallait tenir aucun compte. Beaucoup de spirituels du moyen âge ne se préoccupaient du corps que pour lui infliger des pénitences. Certains collèges du temps perpétuaient les vieilles méthodes. Montaigne lui-même avait dénoncé le traitement subi au collège de Guyenne à Bordeaux. Dans la plupart des écoles du temps, rien n’était prévu pour délasser « frère âne ». Pour Calvin, la nature humaine, totalement corrompue par le péché originel, ne pouvait être qu’une « ordure ».
            À l’inverse, beaucoup d’écrivains et d’artistes de la Renaissance exaltaient le corps au point de lui vouer un culte où la sensualité avait une grande part. Quant à « l’infâme Rabelais », il agrandissait démesurément le corps de ses géants et se complaisait dans l’étalage des réalités physiques les plus basses. À l’inverse, beaucoup d’auteurs et d’artistes de la Renaissance exaltaient le corps au point de lui vouer un culte où la sensualité avait une grande part.

Reconnaissance et réalisme salésiens
            Fidèle à sa formation et à ses principes, François de Sales propose une vision humaniste du corps, selon une conception chrétienne qui recommande l’amour et la maîtrise du corps. Dans la méditation sur la création, l’auteur de l’Introduction à la vie dévote rappelle à Philothée que Dieu lui a donné non seulement l’entendement, la mémoire la volonté et l’imagination, mais aussi « les yeux pour voir les merveilles de ses ouvrages, la langue pour le louer ». Il ajoute : « Considérez l’être que Dieu vous a donné ; car c’est le premier être du monde visible ».  Il conclut : « Je veux […] m’honorer de la condition de l’être qu’il m’a donné ».
            Entre la divinisation du corps et son mépris, François de Sales offre une vision réaliste de la nature humaine. En tant que corps animé, l’homme possède la triple « faculté de nourrir, croître et produire ». En cela il ressemble aux plantes et aux animaux qui se nourrissent, croissent et se reproduisent. Manger et boire entretiennent la vie du corps et favorisent sa croissance.
            Certes, le corps est voué à la mort, mais ce n’est pas une raison pour le négliger et le dénigrer injustement tant qu’il est vivant. Les maux physiques ne doivent pas porter à la haine du corps ; le mal moral est bien pire. On ne trouve pas non plus chez François de Sales un oubli ou une occultation des réalités corporelles, comme il adviendra un peu plus tard à l’âge classique, et cela malgré les traits de préciosité qui ne manquent pas dans son œuvre.
            Cette attitude de François de Sales envers le corps a suscité déjà de son temps quelques réactions scandalisées. Aurait-il manqué parfois de retenue et de pudeur dans certaines de ses expressions ? Dans un chapitre du Traité de l’amour de Dieu, que de bonnes âmes lui avaient conseillé de supprimer sous prétexte qu’il pouvait donner de mauvaises pensées, l’auteur a écrit qu’« on applique une bouche à l’autre quand on se baise, pour témoigner qu’on voudrait verser les âmes l’une dedans l’autre réciproquement, pour les unir d’une union parfaite ». Ailleurs il dira de lui-même : « Ce bon Père dit que je suis une fleur et un vase de fleurs, et un phœnix ; mais en vérité, je ne suis qu’un puant homme, un corbeau, un fumier ».
            Ennemi de la pudibonderie, François de Sales ne connaissait pas encore la réserve et les peurs que l’on constatera quelque temps plus tard. Est-ce chez lui une survivance des habitudes du moyen âge ou tout simplement une manifestation de son goût « biblique » ? On n’y trouve en tout cas rien de comparable avec les trivialités rabelaisiennes.
            Les dons naturels les plus estimés sont la beauté, la force et la santé. Pour ce qui est de la beauté, François de Sales disait à propos de sainte Brigide, née en Écosse, que « c’était une fille extrêmement belle, car les Écossais sont naturellement beaux et on trouve en ce pays les plus belles créatures qui se puissent voir ». Qu’on songe par ailleurs au répertoire d’images évoquant les perfections physiques de l’époux et de l’épouse empruntées au Cantique des Cantiques. Même si les représentations en sont sublimées et transposées dans le registre spirituel, elles restent significatives d’une atmosphère où l’on exalte la beauté naturelle de l’homme et de la femme. Cependant la beauté extérieure n’est pas la plus importante : « La beauté de la fille de Sion est au-dedans ».

Lien étroit entre le corps et l’âme
            Bien loin du dualisme platonicien, François de Sales affirme que nos corps sont « une partie de notre personne ». L’âme personnifiée pourra même dire avec un accent de tendresse : « Cette chair est ma chère moitié, c’est ma sœur, c’est ma chère compagne, née avec moi, nourrie avec moi ».
            François de Sales a été très attentif au lien qui unit le corps et l’âme, la santé du corps et celle de l’âme. Chacun peut constater que les infirmités corporelles « ne laissent pas d’incommoder l’esprit, pour l’étroite liaison qui est entre eux ». Inversement, l’esprit agit sur le corps et il peut arriver « que le corps se ressente des affections du cœur et qu’il en devienne las », comme il arriva à Jésus, qui s’assit au bord du puits de Jacob, fatigué par l’intensité de son engagement au service du royaume de Dieu.
            Cependant, comme « le corps et l’esprit vont souvent en contraire mouvement, et à mesure que l’un s’affaiblit, l’autre se fortifie », et comme « l’esprit doit régner », « il le faut tellement secourir et établir qu’il demeure toujours le plus fort ». Et si je prends soin du corps, c’est « afin qu’il serve à l’esprit ».
            Chez François de Sales la polarité corps-âme est souvent remplacée par celle d’intérieur-extérieur. Un changement à l’intérieur se manifeste à l’extérieur. Si vous réformez votre intérieur, dit François à Philothée, cela se verra dans votre maintien, dans vos yeux, dans votre bouche, dans vos mains, « voire même en vos cheveux ». La pratique de la vertu « rend l’homme intérieurement, et encore extérieurement beau ». Inversement, un changement extérieur, une posture du corps peuvent favoriser un changement intérieur. C’est ainsi que pour la vie spirituelle, il donnera des conseils très pratiques à la personne qui n’a pas de goût à la méditation : « Piquez quelquefois votre cœur par quelque contenance et mouvement de dévotion extérieure ».

Amour et maîtrise du corps
            S’agissant de l’attitude à avoir à l’égard du corps et des réalités corporelles, on ne s’étonne pas de voir François de Sales recommander à Philothée avant toute chose la gratitude pour ce don fait à la nature humaine : « Considérez les grâces corporelles que Dieu vous a données : quel corps, quelles commodités de l’entretenir, quelle santé, quelles consolations loisibles pour icelui, quels amis, quelles assistances ».
            La vérité, c’est que nous devons aimer notre corps, parce que le corps est requis aux bonnes œuvres, parce qu’il est une partie de notre personne et qu’il est destiné lui aussi à la félicité éternelle. Le chrétien doit aimer son corps comme une image vivante de celui du Sauveur incarné. L’amour de notre corps fait partie de cet amour que nous nous devons à nous-mêmes.
            Si l’amour du corps est recommandé, celui-ci doit rester soumis à l’esprit, comme le serviteur à son maître. C’est ce qu’il explique au jeune homme qui va « prendre la haute mer du monde » : « Je vous souhaite encore un cœur vigoureux, lui écrit-il, pour ne point trop flatter votre corps en délicatesse au manger, au dormir et telles autres mollesses ; car enfin, un cœur généreux a toujours un peu de mépris des mignardises et délices corporelles ».
            Pour que le corps reste « soumis à la loi de l’esprit », il convient d’éviter les excès, ni le maltraiter, ni le flatter. Il écrit : « Si le travail que vous ferez vous est nécessaire, ou fort utile à la gloire de Dieu, j’aime mieux que vous souffriez la peine du travail que celle du jeûne ». Ce qu’il faut éviter, c’est l’excès de « tendreté » envers soi-même. Avec une ironie subtile mais impitoyable, il s’en prend à cette imperfection non seulement « propre aux enfants, et, si je l’ose dire, aux femmes », mais aussi aux hommes « peu courageux », qui « sont grandement tendres d’eux-mêmes, et ne font jamais autre chose que de se dorloter, mignarder et conserver ».

Prendre soin de sa santé
            L’évêque de Genève prenait soin de son corps selon son devoir, il obéissait à son médecin et à ses « infirmières ». Il s’occupait aussi de la santé des autres, conseillant les mesures appropriées. Il écrira par exemple à la mère d’un jeune élève au collège d’Annecy, « qu’il faut faire traiter Charles par les médecins, afin que l’enflure de son ventre ne prenne pas suite ».
            L’hygiène est au service de la santé. François de Sales désirait « la netteté et du cœur et du corps ». Il recommandait la propreté, bien différent en cela de saint Hilarion qui disait « qu’il ne fallait point rechercher de la netteté en nos corps, qui ne sont que charognes puantes et toutes pleines d’infection ». Il était de l’avis de saint Augustin et des anciens qui prenaient des bains « pour tenir leurs corps nets des crasses que le hâle et les sueurs sales et adustes produisaient, et les autres pour la santé, qui certes est grandement aidée de la netteté ».
            Pour pouvoir travailler et remplir les devoirs de sa charge, chacun devrait prendre ce qui est nécessaire au corps en fait de nourriture et de repos : « Manger peu, travailler beaucoup, avoir beaucoup de tracas d’esprit et refuser le dormir au corps, c’est vouloir tirer beaucoup de service d’un cheval qui est efflanqué et sans le faire repaître ». Le corps a besoin aussi de repos, c’est une évidence. Il estimait que « les veillées du soir sont dangereuses pour la tête et l’estomac », alors que « le lever matin sert à la santé et à la sainteté ».

Éduquer nos sens, surtout les yeux et les oreilles
            Les sens sont des dons merveilleux du Créateur. Ils nous mettent en contact avec le monde et nous ouvrent à toutes les réalités sensibles, à la nature, au cosmos. Les sens sont la porte de l’esprit, auquel ils fournissent pour ainsi dire la matière première, car, comme dit la tradition scolastique, rien n’est dans l’intelligence qui n’ait auparavant passé par les sens.
            Mais quand François de Sales parle des sens, son intérêt le porte surtout sur le plan éducatif et moral et son enseignement à ce sujet rejoint ce qu’il a dit à propos du corps en général : admiration et vigilance. D’une part, il dira que Dieu nous a donné « les yeux pour voir les merveilles de ses ouvrages, la langue pour le louer, et ainsi des autres facultés », mais sans omettre la recommandation de « mettre sentinelles aux yeux, bouche, oreilles, mains, odorat ».
            Il faut commencer par la vue, car « entre toutes les parties extérieures du corps humain, il n’y en a point de plus noble. L’œil est fait pour la lumière ; la preuve en est que « plus les choses sont belles, agréables à la vue et dûment éclairées, plus l’œil les regarde avidement et vivement ». On sait bien qu’entre amants, « les yeux parlent mieux que la langue ».
            Il faut aussi prendre garde aux yeux, par lesquels peut entrer la tentation et le péché, comme il advint à Ève, qui se plut à « voir la beauté du fruit défendu », ou à David, qui « arrêta son regard » sur la femme d’Urie. Dans certains cas il faut faire comme on fait avec l’oiseau de chasse, épervier ou faucon : « Qui le veut faire revenir, il lui faut montrer le leurre, qui le veut accoiser, il lui faut mettre le chaperon » ; c’est ainsi que pour éviter les mauvais regards, « il faut divertir les yeux ou les couvrir de leur chaperon naturel ».
            On remarque également l’importance qu’il attachait à l’ouïe, aussi bien pour des raisons esthétiques que morales. « Une excellente mélodie écoutée avec grande attention » a cet effet remarquable qu’elle « tient attachées les oreilles ». Mais attention à ne pas dépasser nos capacités auditives : « Pour belle que soit une musique, si elle est forte et trop proche de nous, elle nous importune et offense nos oreilles ». D’autre part, il faut savoir que « le cœur et les oreilles s’entretiennent l’un à l’autre », car c’est par l’oreille qu’il « reçoit les pensées des autres ». C’est par l’oreille aussi qu’entrent au plus profond de l’âme les paroles suspectes, enjôleuses, mensongères ou médisantes, dont il faut se garder car « on empoisonne les âmes par l’oreille, comme le corps par la bouche ».

Les autres sens
            Que dire de l’omniprésence des images olfactives ? Une citation parmi tant d’autres : « Le basilic, le romarin, la marjolaine, l’hysope, le clou de girofle, la cannelle, la noix muscade, les citrons et le musc, mis ensemble et demeurant en corps, rendent voirement une odeur bien agréable par mélange de leur bonne senteur ; mais non pas à beaucoup près de ce que fait l’eau qui en est distillée, en laquelle les suavités de tous ces ingrédients, séparées de leur corps, se mêlent beaucoup plus excellemment, s’unissant en une très parfaite odeur qui pénètre bien plus l’odorat qu’elles ne feraient pas, si avec elle et son eau les corps des ingrédients se trouvaient conjoints et unis.
            Ne confondons pas cependant le baume sacré avec les parfums du monde corrompu qui nous entoure. Il existe en effet un odorat spirituel, que nous aurions intérêt à cultiver. C’est lui qui nous permet de sentir la présence spirituelle de l’être aimé, mais c’est lui aussi qui fait que nous nous laissons pas arrêter par les mauvaises odeurs de notre prochain. Le modèle, c’est le père qui reçoit « à bras ouverts » l’enfant prodigue qui revient vers lui, « à demi-nu, tout crasseux, souillé et puant des ordures qu’il avait contractées parmi ces vilains animaux ».
            À propos du goût, certaines observations de François de Sales pourraient faire penser qu’il était un gourmand-né, voire un éducateur du goût : « Qui ne sait que la douceur du miel s’unit de plus en plus à notre sens par un progrès continuel de savourement, lorsque le tenant longuement en la bouche, ou que l’avalant tout bellement, sa saveur pénètre plus avant le sens de notre goût ». Malgré la douceur du miel, il fallait grandement apprécier le sel, qui est d’un usage plus commun.
            Au nom de la sobriété et de la tempérance, il recommandait de savoir renoncer à notre goût personnel en mangeant ce qui est « mis devant » nous, et de se rappeler que « comme il y a une tempérance pour le goût corporel, aussi en faut-il une pour le goût de l’esprit », « une sobriété pour l’esprit comme il y en a une pour le corps ».
            Enfin, s’agissant du sens du toucher, c’est surtout dans le sens spirituel et mystique qu’il en parle. C’est ainsi qu’il recommande de « toucher Notre-Seigneur crucifié » : « son chef », « ses mains sacrées », « son précieux corps », « son cœur ». Au jeune homme, qui « va prendre la haute mer du monde », il demande de se gouverner énergiquement et de mépriser les « mollesses », les « mignardises et délices corporelles » : « Je veux donc dire que je voudrais que parfois vous gourmandassiez votre corps à lui faire sentir quelques âpretés et duretés, par le mépris des délicatesses et le renoncement fréquent des choses agréables aux sens ; car encore faut-il quelquefois que la raison fasse l’exercice de sa supériorité et de l’autorité qu’elle a de ranger les appétits sensuels ».

Le corps et la vie spirituelle
            Le corps lui-même est appelé à participer à la vie spirituelle qui s’exprime en premier lieu au cours de l’oraison :

Pour vrai, l’essence de la prière est en l’âme, mais la voix, les actions et les autres signes extérieurs, par lesquels on explique l’intérieur, sont des nobles appartenances et très utiles propriétés de l’oraison ; ce sont ses effets et opérations. L’âme ne se contente pas de prier si tout son homme ne prie ; elle fait prier quant et elle les yeux, les mains, les genoux. […] L’âme prosternée devant Dieu tire aisément à son pli tout le corps ; elle lève les yeux ou elle lève le cœur, et les mains, là d’où elle attend le secours.

            Il expliquera aussi que « prier en esprit et vérité, c’est prier de bon cœur et affectionnément, sans feinte ni hypocrisie, et au reste y employer tout l’homme, l’âme et le corps, afin que ce que Dieu a conjoint ne soit séparé ».
            « Il faut que tout l’homme prie », répétera-t-il aux filles de la Visitation. Mais la meilleure prière est celle de Philothée, quand elle décide d’offrir et de consacrer à Dieu non seulement son âme, son esprit et son cœur, mais aussi son « corps avec tous ses sens » ; c’est ainsi qu’elle l’aimera et le servira véritablement avec tout son être.




Le nom

Dans la faculté de médecine d’une grande université, le professeur d’anatomie distribue un questionnaire à tous les étudiants pour l’examen final.
Un étudiant qui s’était préparé méticuleusement répondit promptement à toutes les questions jusqu’à la dernière.
La question était la suivante : « Quel est le prénom de la femme de ménage ? »
L’étudiant remit le test en laissant la dernière réponse en blanc.
Avant de rendre sa copie, il demanda au professeur si la dernière question de l’examen serait prise en compte dans la note.
– Bien sûr, répondit le professeur. Au cours de votre carrière, vous rencontrerez de nombreuses personnes. Elles ont toutes leur importance. Elles méritent votre attention, ne serait-ce que par un petit sourire ou un simple bonjour.
L’étudiant n’oublia jamais la leçon et apprit que le prénom de la femme de ménage était Marianne.

Un disciple demanda à Confucius : « Si le roi vous demandait de gouverner le pays, quelle serait votre première action ? »
– Je voudrais apprendre le nom de tous mes collaborateurs.
– Quelle absurdité ! Ce n’est certainement pas une question primordiale pour un premier ministre.
– Un homme ne peut espérer recevoir de l’aide de ce qu’il ne connaît pas, répondit Confucius. S’il ne connaît pas la nature, il ne connaîtra pas Dieu. De même, s’il ne sait pas qui il a à ses côtés, il n’aura pas d’amis. Sans amis, il ne pourra pas élaborer de plan. Sans un plan, il ne pourra pas diriger les actions de qui que ce soit. Sans une direction, le pays plongera dans l’obscurité et même les danseurs ne sauront plus comment mettre un pied à côté de l’autre. Ainsi, un geste apparemment anodin, comme apprendre le nom de son voisin, peut faire une énorme différence.
Le péché incorrigible de notre époque, c’est que tout le monde veut arranger les choses immédiatement et oublie qu’il a besoin des autres pour le faire.




In memoriam. Cardinal Angelo Amato, sdb

L’Église universelle et la Famille Salesienne ont fait leurs adieux une dernière fois, le 31 décembre 2024, au cardinal Angelo Amato, S.D.B., préfet émérite de la Congrégation des Causes des Saints. Né à Molfetta (dans la province de Bari, Italie) le 8 juin 1938, il a longtemps servi le Saint-Siège et a été un point de référence pour la théologie, la recherche académique et la promotion de la sainteté dans l’Église. Ses funérailles, présidées le 2 janvier 2025 par le Cardinal Giovanni Battista Re, Doyen du Collège cardinalice, se sont tenues à l’Autel de la Chaire de la Basilique Saint-Pierre. À la fin, le Saint-Père François a présidé le rite de l’« Ultima Commendatio » et de la « Valedictio », rendant hommage à ce fils illustre de saint Jean Bosco.
Voici un profil biographique qui retrace sa vie, les étapes les plus significatives de sa formation, ses expériences académiques et pastorales, jusqu’à sa mission de Préfet de la Congrégation des Causes des Saints.

Les origines et le choix salésien
Angelo Amato est né à Molfetta le 8 juin 1938, premier de quatre enfants d’une famille dédiée à la construction navale. Élevé dans un environnement qui favorisait son esprit d’engagement et de responsabilité, il a effectué ses premières études dans les écoles élémentaires dirigées par les sœurs franciscaines de S. Pierre d’Alcantara et les sœurs salésiennes des Sacrés Cœurs, à Molfetta. Par la suite, il a poursuivi ses études au collège et, entrevoyant un avenir possible dans la carrière maritime, s’est inscrit à l’Institut naval de Bari, dans la section des capitaines au long cours. C’est justement au cours de sa troisième année d’études, en octobre 1953, qu’il a pris la décision d’entreprendre la voie du sacerdoce. Il quitta l’Institut naval et entra à l’aspirantat salésien de Torre Annunziata. Sa vocation religieuse s’est donc insérée dès le début dans la Famille Salésienne. Après une période d’essai, il fit son noviciat à Portici Bellavista de 1955 à 1956. Le 16 août 1956, jour que la tradition salésienne réserve à la première profession des novices, il prononça ses premiers vœux, devenant salésien de Don Bosco. À partir de ce moment, sa vie sera profondément liée au charisme salésien, avec une attention particulière aux jeunes et à l’éducation. Après avoir terminé son noviciat, Angelo Amato fréquenta l’Institut de philosophie San Gregorio de Catane, où il obtint le diplôme de lycée classique (en 1959) et, par la suite, la licence en Philosophie à l’Athénée Pontifical Salésien de Rome (aujourd’hui Université Pontificale Salésienne). En 1962, il prononça les vœux perpétuels, consolidant définitivement son appartenance à la Congrégation salésienne. Au cours de ces mêmes années, il effectua son stage pratique au collège salésien de Cisternino (Brindisi), enseignant les lettres dans le collège, une expérience qui l’a mis dès le départ en contact avec l’apostolat auprès des jeunes et l’enseignement, deux dimensions qui marqueront toute sa mission.

L’ordination sacerdotale et les études de théologie
L’étape suivante du parcours d’Angelo Amato fut l’étude de la Théologie à la Faculté de théologie de l’Université Salésienne, toujours à Rome, où il obtint la licence en Théologie. Ordonné prêtre le 22 décembre 1967, il décida de se spécialiser davantage et s’inscrivit à l’Université Pontificale Grégorienne. En 1974, il y obtint le doctorat en Théologie, devenant membre du corps enseignant de l’université. Le domaine de la théologie le fascinait profondément, comme le prouve la grande quantité de publications et d’essais dont il fut l’auteur au cours de sa carrière académique.

L’expérience en Grèce et la recherche sur le monde orthodoxe
Une phase déterminante dans la formation du père Angelo Amato fut le séjour en Grèce, à partir de 1977, promu par le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens (aujourd’hui Dicastère pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens). Il passa d’abord quatre mois dans la résidence athénienne des jésuites, où il se consacra à l’étude du grec moderne, tant écrit que parlé, en vue de son inscription à l’Université de Thessalonique. Admis aux cours, il obtint une bourse d’études du Patriarcat de Constantinople, grâce à laquelle il put séjourner au Moni Vlatadon (Monastère de Vlatadon), siège d’un institut d’études patristiques (Idrima ton Paterikon Meleton) et d’une bibliothèque spécialisée en théologie orthodoxe, enrichie par des microfilms de manuscrits du Mont Athos. À l’Université de Thessalonique, il suivit des cours d’histoire des dogmes avec le professeur Yannis Kaloghirou et de dogmatique systématique avec Yannis Romanidis. Parallèlement, il poursuivit une importante étude sur le sacrement de pénitence dans la théologie grecque orthodoxe du XVIe au XXe siècle ; sa recherche, soutenue par le célèbre patrologue grec Konstantinos Christou, fut publiée en 1982 dans la collection « Análekta Vlatádon ». Cette période d’échange œcuménique et de connaissance approfondie du monde chrétien oriental enrichit considérablement la formation d’Amato, le rendant expert en théologie orthodoxe et dans les dynamiques de dialogue entre l’Orient et l’Occident.

Retour à Rome au service de l’Université Pontificale Salésienne
Rentré à Rome, Angelo Amato assuma le poste de professeur de Christologie à la Faculté de Théologie de l’Université Pontificale Salésienne. Ses qualités de chercheur et sa clarté d’exposition ne passèrent pas inaperçues. Il fut nommé Doyen de la Faculté de Théologie pour deux mandats (1981-1987 et 1994-1999). De plus, entre 1997 et 2000, il occupa le rôle de Vice-Recteur de l’Université. Au cours de ces années, il acquit une expérience supplémentaire à l’étranger : en 1988, il fut envoyé à Washington pour approfondir la théologie des religions et pour compléter son manuel de christologie. Parallèlement à son travail académique, il eut des rôles de conseiller auprès de divers organismes du Saint-Siège : consultant de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et des Conseils Pontificaux pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens et pour le Dialogue Interreligieux. Il exerça également la fonction de conseiller auprès de l’Académie Pontificale Mariale Internationale, ce qui souligne son intérêt pour la mariologie, typique de la spiritualité salésienne centrée sur Marie Auxiliatrice. En 1999, il fut nommé prélat secrétaire de l’Académie Pontificale de Théologie restructurée et directeur de la nouvelle revue théologique « Path ». De plus, entre 1996 et 2000, il fit partie de la commission théologique-historique du Grand Jubilé de l’An 2000, apportant ainsi une contribution significative à l’organisation des célébrations jubilaires.

Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et l’épiscopat
Le 19 décembre 2002 arriva une nomination de grande importance : le Pape Jean-Paul II le désigna comme Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, l’élevant simultanément à la dignité archiépiscopale et l’assignant au siège titulaire de Sila, avec le titre personnel d’Archevêque. Il reçut l’ordination épiscopale le 6 janvier 2003, dans la Basilique Vaticane, des mains de Jean-Paul II (aujourd’hui Saint Jean-Paul II).
Dans ce rôle, Monseigneur Angelo Amato collabora avec le Préfet de l’époque, le Cardinal Joseph Ratzinger (futur Benoît XVI). La mission du Dicastère était, et est, de promouvoir et de protéger la doctrine catholique dans le monde entier. Au cours de son mandat, le nouvel Archevêque continua d’avoir une approche académique, alliant ses compétences spécialisées en théologie avec le service ecclésial tourné vers l’orthodoxie de la foi.

Préfet de la Congrégation des Causes des Saints et pourpre cardinalice
Un pas supplémentaire dans la carrière ecclésiastique arriva le 9 juillet 2008 : le Pape Benoît XVI le nomma Préfet de la Congrégation des Causes des Saints, en remplacement du Cardinal José Saraiva Martins. Dans ce dicastère, Monseigneur Amato était responsable de suivre le processus de béatification et de canonisation des Serviteurs de Dieu, le discernement sur les vertus héroïques, les miracles et le témoignage de ceux qui, au cours de l’histoire, sont devenus saints et bienheureux de l’Église catholique.
Lors du Consistoire du 20 novembre 2010, Benoît XVI le créa Cardinal, lui assignant la Diaconie de Sainte-Marie in Aquiro. Le nouveau cardinal put ainsi participer au conclave de mars 2013, qui vit l’élection du Pape François. Pendant le pontificat de ce dernier, le Cardinal Amato fut confirmé « donec aliter provideatur » comme Préfet de la Congrégation des Causes des Saints (19 décembre 2013). Il poursuivit son activité jusqu’au 31 août 2018, date à laquelle il présenta sa démission pour limite d’âge, laissant une empreinte durable grâce au nombre de béatifications et de canonisations examinées au cours de ces années.

Au service de l’Église locale : l’exemple de don Tonino Bello
Un témoignage particulier du lien du Cardinal Amato avec sa terre d’origine se produisit en novembre 2013, lorsqu’il se rendit à la Cathédrale de Molfetta pour la clôture de la phase diocésaine du processus de béatification et de canonisation de don Tonino Bello (1935-1993). Ce dernier, Évêque de Molfetta de 1982 à 1986, fut une figure très aimée pour son engagement en faveur de la paix et des pauvres. À cette occasion, le Cardinal Amato souligna que la sainteté n’est pas l’apanage de quelques élus, mais une vocation universelle : tous les croyants, inspirés par la personne et le message du Christ, sont appelés à vivre profondément la foi, l’espérance et la charité.

Les dernières années et la mort
Après avoir quitté la direction de la Congrégation des Causes des Saints, le Cardinal Angelo Amato continua d’offrir son service à l’Église, participant à des événements, des cérémonies, et mettant à disposition ses profondes connaissances théologiques. Son engagement fut toujours marqué par une grande finesse humaine, un respect évident pour l’interlocuteur et une humilité qui frappait souvent quiconque le rencontrait. Le 3 mai 2021, sa diaconie de Sainte-Marie in Aquiro fut élevée pro hac vice au titre presbytéral, honorant encore davantage sa longue et fidèle dévotion au ministère ecclésial.
 La mort du cardinal, survenue le 31 décembre 2024 à 86 ans, a laissé un vide dans la Famille Salésienne et dans le Collège cardinalice, désormais constitué de 252 cardinaux, dont 139 électeurs et 113 non électeurs. L’annonce de sa disparition a suscité des réactions de deuil et de reconnaissance dans le monde ecclésial. L’Université Pontificale Salésienne, en particulier, a rappelé ses longues années d’enseignement en tant que professeur de Christologie, son double mandat de Doyen de la Faculté de Théologie, ainsi que la période où il occupa le poste de Vice-Recteur de l’Université.

Un héritage de fidélité et de recherche de sainteté
En regardant la figure du Cardinal Angelo Amato, on ne peut manquer de saisir certains traits qui ont caractérisé son ministère et son témoignage. Tout d’abord, son profil de religieux salésien : la fidélité aux vœux, le lien profond avec le charisme de saint Jean Bosco, l’attention aux jeunes, à la formation intellectuelle et spirituelle, représentent une ligne directrice constante dans sa vie. En deuxième lieu, la vaste production théologique, en particulier dans le domaine christologique et mariologique, et sa contribution au dialogue avec le monde orthodoxe, dont il fut un chercheur passionné.
Indubitablement, le service rendu au Saint-Siège en tant que Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Préfet de la Congrégation des Causes des Saints et cardinal, souligne l’importance de son rôle dans la promotion et la protection de la doctrine catholique, ainsi que dans la valorisation des témoins de sainteté. Le Cardinal Amato fut un témoin privilégié de la richesse spirituelle que l’Église universelle a exprimée au fil des siècles, et il a été un acteur actif dans la reconnaissance de figures qui représentent un phare pour le peuple de Dieu.
De plus, sa participation à un conclave (celui de 2013), sa proximité avec de grands Papes comme Jean-Paul II, Benoît XVI et François, et sa collaboration avec de nombreux dicastères témoignent d’un service à trois cent soixante degrés, où se mêlent la dimension académique et l’exercice pastoral dans le gouvernement dans l’Église.
La mort du Cardinal Angelo Amato laisse un héritage de doctrine, de sensibilité œcuménique et d’amour pour l’Église. Le diocèse de Molfetta, qui avait déjà pu bénéficier de sa participation au processus de béatification de don Tonino Bello, se souvient de lui comme d’un homme de foi et d’un pasteur infatigable, capable d’unir les exigences de la discipline théologique à celles de la charité pastorale. La Famille Salésienne, en particulier, perçoit en lui le fruit d’un charisme bien vécu, imprégné de cette « charité éducative » qui, depuis Don Bosco, accompagne le parcours de tant de consacrés et de prêtres dans le monde, toujours au service des plus jeunes et des plus nécessiteux.
Aujourd’hui, l’Église le confie à la miséricorde du Seigneur, dans la certitude que, comme l’a affirmé le Pape lui-même, le Cardinal Amato, « bon et vigilant serviteur », puisse contempler le visage de Dieu dans la gloire des saints qu’il a lui-même contribué à reconnaître. Son témoignage, rendu concret par une vie donnée et une profonde préparation théologique, reste comme un signe et un encouragement pour tous ceux qui désirent servir l’Église avec fidélité, douceur et dévouement, jusqu’à la fin de leur pèlerinage terrestre.
De cette manière, le message d’espoir et de sainteté qui a animé chacune de ses actions trouve son accomplissement : celui qui sème dans le sillon de l’obéissance, de la vérité et de la charité, récolte un fruit qui devient un bien commun, une inspiration et une lumière pour les générations futures. Et c’est là, en définitive, l’héritage le plus beau que le Cardinal Angelo Amato laisse à sa famille religieuse, au diocèse de Molfetta et à l’Église entière.

Et nous ne pouvons pas négliger l’héritage des écrits que le Cardinal Angelo Amato nous a laissé. Nous présentons ci-après une liste, certainement non exhaustive, de ses publications.


























































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































































Année



Titre



Info



1



1974



I
pronunciamenti tridentini sulla necessità della confessione
sacramentale nei canoni 6-9 della sessione XIV (25 novembre 1551)



Essai
d’herméneutique conciliaire



2



1975



Problemi
attuali di cristologia



Conférences
de la Faculté de théologie salésienne
1974-1975



3



1976



La
Chiesa locale: prospettive teologiche e pastorali



Conférences
de la Faculté de théologie salésienne
1975-1976



4



1977



Cristologia
metaecclesiale?



Considérations
sur la christologie "métadogmatique" d’E.
Schillebeeckx



5



1977



Il
Gesù storico



Problèmes
et interprétations



6



1977



Temi
teologico-pastorali







7



1978



Annuncio
cristiano e cultura contemporanea







8



1978



Studi
di cristologia patristica attuale



À
propos de deux publications récentes d’Alois Grillmeier



9



1979



Il
sacramento della penitenza nelle “Risposte” del
patriarca Geremia II ai teologi luterani di Tübingen
(1576,1579,1581)







10



1980



Annunciare
Cristo ai giovani



(co-auteur)



11



1980



Il
Cristo biblico-ecclesiale



Proposition
d’une synthèse critériologique sur les contenus
essentiels de l’annonce christologique contemporaine



12



1980



Il
Cristo biblico-ecclesiale latinoamericano



Le
module christologique "religion-populaire" de Puebla



13



1980



La
figura di Gesù Cristo nella cultura contemporanea



Le
Christ dans le conflit des interprétations



14



1980



Selezione
orientativa sulle pubblicazioni cristologiche in Italia







15



1980



L’enciclica
del dialogo rivisitata



À
propos du Colloque international d’études sur "Ecclesiam
suam" de Paul VI (Rome, 24-26 octobre 1980)



16



1981



Il
Salvatore e la Vergine-Madre: la maternità salvifica di
Maria e le cristologie contemporanee



Actes
du 3e Symposium mariologique international (Rome, octobre 1980)



17



1981



La
risurrezione di Gesù nella teologia contemporanea







18



1981



Mariologia
in contesto



Un
exemple de théologie inculturée : "Le visage
métis de Marie de Guadalupe" (Puebla n. 446)



19



1982



Il
sacramento della penitenza nella teologia greco-ortodossa



Études
historiques et dogmatiques, XVIe-XXe siècles



20



1983



Inculturazione-Contestualizzazione:
teologia in contesto



Éléments
de bibliographie choisie



21



1983



La
dimension “thérapeutique” du sacrement de la
pénitence dans la théologie et la praxis de l’Église
gréco-orthodoxe







22



1984



Come
conoscere oggi Maria







23



1984



Inculturazione
e formazione salesiana



Dossier
de la rencontre de Rome, 12-17 septembre 1983 (co-auteur)



24



1984



Maria
e lo Spirito Santo



Actes
du 4e Symposium Mariologique International (Rome, octobre 1982)



25



1985



Come
collaborare al progetto di Dio con Maria



Principes
et propositions



26



1987



La
Madre della misericordia







27



1988



Gesù
il Signore



Essais
de christologie



28



1989



Essere
donna



Études
sur la lettre apostolique "Mulieris dignitatem" de
Jean-Paul II (co-auteur)



29



1990



Cristologia
e religioni non cristiane



Problématique
et actualité : considérations introductives



30



1991



Come
pregare con Maria







31



1991



Studio
dei Padri e teologia dogmatica



Réflexions
à partir de l’Instruction de la Congrégation pour
l’éducation catholique du 10 novembre 1989 (=IPC)



32



1991



Verbi
revelati ‘accommodata praedicatio’ lex omnis
evangelizationis”

(GS n.44)



Réflexions
historiques et théologiques sur l’inculturation



33



1992



Angeli
e demoni Il dramma
della storia tra il bene e il male







34



1992



Dio
Padre – Dio Madre



Réflexions
préliminaires



35



1992



Il
mistero di Maria e la morale cristiana







36



1992



Il
posto di Maria nella “Nuova evangelizzazione”







37



1993



Cristologia
della Secunda
Clementis



Considérations
initiales



38



1993



Lettera
cristologica dei primi concili ecumenici







39



1994



Trinità
in contesto







40



1996



Maria
presso la Croce, volto misericordioso di Dio per il nostro tempo



Congrès
marial des Servantes de Marie Réparatrice, Rovigo, 12-15
septembre 1995



41



1996



Tertio
millennio adveniente
:
Lettera apostolica di Giovanni Paolo II



Texte
et commentaire théologique pastoral



42



1996



Vita
consecrata
. Una
prima lettura teologica







43



1997



Alla
ricerca del volto di Cristo: … ma voi chi dite che io sia?



Actes
de la XXVIIe Semaine théologique diocésaine, Figline
Valdarno, 2-5 septembre 1997



44



1997



Gesù
Cristo verità di Dio e ricerca dell’uomo



Christologie



45



1997



La
catechesi al traguardo. Studi sul Catechismo della Chiesa
cattolica



(co-auteur)



46



1997



Super
fundamentum Apostolorum



Études
en l’honneur de S. Ém. le cardinal A.M. Javierre Ortas
(co-auteur)



47



1998



El
Evangelio del Padre







48



1998



Gesù
Cristo morto e risorto per noi consegna lo Spirito



Méditations
théologiques sur le mystère pascal (co-auteur)



49



1998



Il
Vangelo del Padre







50



1998



Una
lettura cristologica della “Secunda
Clementis



Existence
d’influences pauliniennes ?



51



1999



Evangelización,
catequesis, catequistas



Une
nouvelle étape pour l’Église du troisième
millénaire



52



1999



La
Vergine Maria dal Rinascimento a oggi







53



1999



Missione
della Chiesa e Chiesa in missione]. Gesù Cristo, Verbo del
Padre



Domaine
II



54



1999



La
Chiesa santa, madre di figli peccatori



Approche
ecclésiologique et implications pastorales



55



2000



Dominus
Iesus
: l’unicità
e l’universalità salvifica di Gesù Cristo e
della Chiesa



Déclaration



56



2000



Gesù
Cristo e l’unicità della mediazione



(co-auteur)



57



2000



Gesù
Cristo, speranza del mondo



Miscellanées
en l’honneur de Marcello Bordoni



58



2000



La
Vierge dans la catéchèse, hier et aujourd’hui



Communications
présentées à la 55e Session de la Société
française d’études mariales, Sanctuaire Notre-Dame
de la Salette, 1999 (co-auteur)



59



2000



Maria
e la Trinità



Spiritualité
mariale et existence chrétienne



60



2000



Maria
nella catechesi ieri e oggi



Un
regard historique synthétique



61



2001



Crescere
nella grazia e nella conoscenza di Gesù







62



2002



Dichiarazione
Dominus
Iesus
” (6
agosto 2000)



Études
(co-auteur)



63



2003



Maria
Madre della speranza



Pour
une inculturation de l’espérance et de la miséricorde.
[Partie composante de monographie]



64



2005



La
Madre del Dio vivo a servizio della vita



Actes
du 12e Colloque international de mariologie, Sanctuaire du Colle,
Lenola (Latina), 30 mai – 1er juin 2002 (co-auteur)



65



2005



Lo
sguardo di Maria sul mondo contemporaneo



Actes
du XVIIe Colloque international de mariologie, Rovigo, 10-12
septembre 2004



66



2005



Maria,
sintesi di valori



Histoire
culturelle de la mariologie (co-auteur)



67



2007



Sui
sentieri di Clotilde Micheli fondatrice delle Suore degli Angeli
adoratrici della SS. Trinità



Spiritualité
et promotion humaine (co-auteur)



68



2007



San
Francesco Antonio Fasani apostolo francescano e culture
dell’Immacolata







69



2007



Il
vescovo maestro della fede



Défis
contemporains au magistère de la vérité



70



2008



Gesù,
identità del cristianesimo Conoscenza
ed esperienza







71



2008



La
Dominus Iesus
e le religioni







72



2009



Catholicism
and secularism in contemporary Europe







73



2009



Futuro
presente Contributi
sull’enciclica “Spe salvi” di Benedetto XVI



(co-auteur)



74



2009



La
santità dei papi e di Benedetto XIII







75



2009



Maria
di Nazaret. Discepola e testimone della parola







76



2009



Reflexiones
sobre la cristología contemporánea







77



2010



I
santi nella Chiesa







78



2010



Il
celibato di Cristo nelle trattazioni cristologiche contemporanee



Examen
critique et systématique



79



2010



Il
celibato di Gesù







80



2010



Il
santo di Dio. Cristologia e santità







81



2011



Dialogo
interreligioso Significato
e valore







82



2011



I
santi si specchiano in Cristo







83



2011



Istruzione
Sanctorum
mater



Présentation



84



2011



Le
cause dei santi



Document
pour le "Studium"



85



2011



Maria
la Theotokos.
Conoscenza ed esperienza







86



2012



I
santi testimoni della fede







87



2012



Santa
Ildegarda di Bingen







88



2012



Santi
e beati. Come
procede la Chiesa







89



2012



Testi
mariani del secondo millennio



(co-auteur)



90



2013



I
santi evangelizzano



Contribution
au Synode des Évêques d’octobre 2012, qui documente
la nature évangélisatrice indispensable des Saints,
qui grâce à leur conduite chrétienne
exemplaire, nourrie de foi, d’espérance et de charité,
deviennent des points de référence pour l’Église
Catholique et pour les fidèles du monde entier et de toutes
les cultures, les orientant vers une vie de sainteté. Le
volume est divisé en deux parties : la première
contient des réflexions doctrinales sur le concept de
Sainteté et sur les causes des Saints, la seconde partie
recueille des homélies, lettres et relations, tenues au
cours de l’année 2012, qui décrivent la vie et
l’œuvre de Saints, Bienheureux, Vénérables et
Serviteurs de Dieu.



91



2013



Il
Paradiso: di che si tratta?







92



2014



Accanto
a Giovanni Paolo II



Les
amis et les collaborateurs racontent (co-auteur)



93



2014



I
santi profeti di speranza







94



2014



La
Santissima Eucaristia nella fede e nel diritto della Chiesa



(co-auteur)



95



2014



San
Pietro Favre







96



2014



Sant’Angela
da Foligno







97



2015



I
santi: apostoli di Cristo risorto







98



2015



Gregorio
di Narek. Dottore della Chiesa







99



2015



Beato
Oscar Romero







100



2015



Santa
Maria dell’incarnazione







101



2015



San
Joseph Vaz







102



2015



I
Santi apostoli di Cristo risorto







103



2016



I
santi: messaggeri di misericordia







104



2016



Misericordiosi
come il Padre



Expériences
de miséricorde dans le vécu de la sainteté



105



2017



I
santi, ministri della carità



Contient
des considérations sur la charité et une galerie
d’hommes et de femmes (saints, bienheureux, vénérables
et serviteurs de Dieu) exemplaires dans l’exercice héroïque
de cette énergie divine qu’est la charité.



106



2017



Il
messaggio di Fatima tra carisma e profezia



Actes
du Forum International de Mariologie (Rome 7-9 mai 2015)



107



2018



I
santi e la Madre di Dio







108



2019



Perseguitati
per la fede



Les
victimes du national-socialisme en Europe centre-orientale



109



2019



Sufficit
gratia mea



Miscellanées
d’études offertes à Son Ém. le Card. Angelo
Amato à l’occasion de son 80e anniversaire.



110



2019



Un’inedita
Sicilia. Eventi e personaggi da riscoprire







111



2020



Il
segreto di Tiffany Grant







112



2021



Iesus
Christus heri et hodie, ipse et in saecula



Recueil
de contributions promu par l’Université Pontificale
Salésienne pour le Card. Angelo Amato, à l’occasion
de son 80e anniversaire.



113



2021



Dici
l’anticu… La cultura popolare nel paese del Gattopardo.
Proverbi di Palma di Montechiaro







114



2023



Una
Sicilia ancora da scoprire. Eventi e personaggi inediti