Dialogue familial

Fils : Avez-vous entendu ce qui s’est passé en Ukraine ?
Père : Bah !
Mère : La soupe est-elle assez salée ?
Fils : C’est un problème, n’est-ce pas ?
Père : Oui.
Fils : Alors, qu’en penses-tu ?
Père : Tu as raison, il manque un peu de sel.
Mère : Tiens, prends-le.
Fils : C’est étrange de voir comment on en est arrivé là.
Mère : Combien as-tu obtenu en mathématiques ?
Père : Je n’ai jamais rien compris aux mathématiques.
Mère : Il fait froid ce soir…

Un mari écoute sa femme pendant 17 secondes au maximum, puis il commence à parler.
Une femme écoute son mari pendant 17 secondes au maximum, puis elle commence à parler.
Le mari et la femme écoutent leurs enfants pendant…




Le criquet et la monnaie

Un sage indien avait un ami proche qui vivait à Milan. Ils s’étaient rencontrés en Inde, où l’Italien s’était rendu avec sa famille pour un voyage touristique. L’Indien avait servi de guide à l’Italien, l’emmenant explorer les coins les plus caractéristiques de son pays.
En guise de reconnaissance, l’ami milanais avait invité l’Indien chez lui. Il voulait lui rendre la pareille et lui faire découvrir sa ville. L’Indien était très réticent à partir, mais il céda à l’insistance de son ami italien et, un beau jour, il débarqua d’un avion à Malpensa.
Le lendemain, le Milanais et l’Indien se promenaient dans le centre-ville. L’Indien, avec son visage couleur chocolat, sa barbe noire et son turban jaune, attirait le regard des passants, et le Milanais se promenait, fier d’avoir un ami aussi exotique.
Soudain, sur la place San Babila, l’Indien s’arrêta et dit : « Vous entendez ce que j’entends ? » Le Milanais, un peu déconcerté, tendit l’oreille autant qu’il le put, mais admit qu’il n’entendait rien d’autre que le grand bruit de la circulation urbaine.
– Il y a un grillon qui chante tout près, poursuit l’Indien, sûr de lui.
– Vous vous trompez, répondit le Milanais. Je n’entends que le bruit de la ville. D’ailleurs, qui peut penser qu’il y ait des grillons par ici ?

– Je ne me trompe pas. J’entends le chant d’un grillon, rétorqua l’Indien qui se mit résolument à chercher parmi les feuilles de quelques jeunes arbres rabougris. Au bout d’un moment, il montra à son ami, qui l’observait d’un air sceptique, un petit insecte, un splendide grillon chanteur, qui se recroquevillait en grognant contre les perturbateurs de son concert.
– Avez-vous vu qu’il y avait un grillon ? dit l’Indien.
– C’est vrai, admit le Milanais. Vous, les Indiens, vous avez l’ouïe beaucoup plus fine que nous, les Blancs…
– Cette fois, vous avez tort, sourit le sage Indien. Faites attention… L’Indien sortit une petite pièce de sa poche et, feignant de ne pas s’en apercevoir, la laissa tomber sur le trottoir.
Aussitôt, quatre ou cinq personnes se retournèrent pour regarder.
– Vous avez vu ça ? expliqua l’Indien. Cette pièce a produit un tintement plus mince et plus faible que le chant du grillon. Mais avez-vous remarqué combien de Blancs l’ont entendu ?

« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »




Don Bosco assiste à un conciliabule de démons (1884)

Les pages qui suivent nous plongent au cœur de l’expérience mystique de Saint Jean Bosco, à travers deux rêves saisissants qu’il a eus entre septembre et décembre 1884. Dans le premier, le Saint traverse la plaine vers Castelnuovo avec un personnage mystérieux et médite sur la rareté des prêtres, avertissant que seul un travail acharné, l’humilité et la moralité peuvent faire éclore de véritables vocations. Dans le second cycle onirique, Bosco assiste à un concile infernal : des démons monstrueux complotent pour anéantir la Congrégation Salésienne naissante, en répandant la gourmandise, la soif de richesses, la liberté sans obéissance et l’orgueil intellectuel. Entre présages de mort, menaces internes et signes de la Providence, ces rêves deviennent un miroir dramatique des luttes spirituelles qui attendent chaque éducateur et l’Église entière, offrant à la fois de sévères avertissements et de lumineuses espérances.

            Les deux rêves que Don Bosco a eus en septembre et en décembre sont riches d’enseignements.

            Le premier, qu’il a eu dans la nuit du 29 au 30 septembre, est une leçon pour les prêtres. Il lui a semblé qu’il se dirigeait vers Castelnuovo à travers une plaine ; un vénérable prêtre, dont il dit ne plus se souvenir du nom, marchait à ses côtés. L’entretien tomba sur les prêtres. – Travail, travail, travail ! disaient-ils : voilà le but et la gloire des prêtres. Ne jamais se lasser de travailler. Ainsi, combien d’âmes seraient sauvées ! Combien de choses on pourrait faire pour la gloire de Dieu ! Si le missionnaire faisait vraiment le missionnaire, si le curé faisait vraiment le curé, combien de merveilles de sainteté resplendiraient de toutes parts ! Mais malheureusement beaucoup ont peur de travailler et préfèrent leurs commodités…
            Pendant qu’ils faisaient entre eux ces raisonnements, ils arrivèrent à un endroit appelé Filippelli. Alors Don Bosco commença à se lamenter sur l’actuel manque de prêtres.
            – C’est vrai, répondit l’autre, il y a une pénurie de prêtres, mais si tous les prêtres étaient prêtres, il y en aurait suffisamment. Combien de prêtres ne font rien pour le ministère ! Les uns ne font que le prêtre de famille ; d’autres, par timidité, sont oisifs, alors que s’ils se mettaient dans le ministère, s’ils se présentaient à l’examen de confession, ils rempliraient un grand vide dans les rangs de l’Église… Dieu proportionne les vocations en fonction des besoins. Quand vint le service militaire des clercs, tous commencèrent à s’effrayer, comme si personne ne voulait plus devenir prêtre ; mais quand les imaginations se calmèrent, on vit que les vocations augmentaient au lieu de diminuer.
            – Et maintenant, demanda Don Bosco, que faut-il faire pour promouvoir les vocations parmi les jeunes ?
            – Rien d’autre, répondit son compagnon, que de cultiver jalousement la moralité parmi eux. La moralité est le terreau des vocations.
            – Et que doivent surtout faire les prêtres pour que leur vocation porte du fruit ?
            – Presbyter discat domum suam regere et sanctificare. (Le prêtre doit apprendre à gouverner et à sanctifier sa maison). Que chacun soit un exemple de sainteté dans sa famille et dans sa paroisse. Pas d’excès dans la nourriture et dans les soucis temporels… Qu’il soit avant tout un modèle dans sa maison et il sera ensuite le premier à l’extérieur.
            À un certain endroit de la route, le prêtre demanda à Don Bosco où il allait ; Don Bosco indiqua Castelnuovo. Alors il le laissa aller et resta avec un groupe de personnes qui le précédaient. Après quelques pas, Don Bosco se réveilla. Dans ce rêve, nous pouvons voir un souvenir des promenades d’autrefois dans ces lieux.

Prédiction de la mort de certains salésiens
            Le deuxième rêve a trait à la Congrégation et met en garde contre les dangers qui pourraient menacer son existence. En fait, plus qu’un rêve, il s’agit d’un argument développé au cours d’une succession de rêves.
            Dans la nuit du 1er décembre, le clerc Viglietti fut réveillé par des cris déchirants provenant de la chambre de Don Bosco. Il saute immédiatement du lit et écoute. Don Bosco, d’une voix étouffée par les sanglots, s’écrie :
            – Oh ! oh ! à l’aide ! à l’aide !
            Viglietti entra sans plus attendre et lui dit :
            – Oh ! Don Bosco, vous vous sentez mal ?
            – Oh ! Viglietti, répondit-il en se réveillant, non, je ne suis pas malade, mais je ne pouvais plus respirer, tu sais. Mais ça suffit, retourne tranquillement dans ton lit et dors.
            Le matin, quand Viglietti lui apporta comme d’habitude le café après la messe, il lui dit :
            – Oh ! Viglietti, je n’en peux plus, j’ai l’estomac tout retourné à cause des cris de cette nuit. Cela fait quatre nuits consécutives que je fais des rêves qui me forcent à crier et m’épuisent à l’excès. Il y a quatre nuits, j’ai vu une longue file de salésiens qui allaient tous l’un après l’autre, chacun portant une perche, au sommet de laquelle il y avait une pancarte et sur la pancarte un numéro imprimé. On pouvait lire 73 sur l’un, 30 sur l’autre, 62 sur un troisième, et ainsi de suite. Après de nombreux passages de salésiens, la lune apparut dans le ciel, et dans la lune, à mesure qu’un salésien apparaissait, on pouvait voir un nombre qui n’était jamais supérieur à 12, suivi de plusieurs points noirs. Tous les salésiens que j’avais vus allèrent s’asseoir chacun sur une tombe préparée à cet effet.
            Voici l’explication de ce spectacle. Le nombre inscrit sur les pancartes était le nombre d’années de vie destinées à chacun ; l’apparition de la lune sous différentes formes et phases indiquait le dernier mois de vie ; les points noirs étaient les jours du mois au cours duquel ils allaient mourir. Parfois, il en voyait plusieurs réunis en groupes : c’étaient ceux qui devaient mourir ensemble, le même jour. S’il avait voulu raconter en détail tous les incidents et circonstances, il dit qu’il lui aurait fallu au moins une bonne dizaine de jours.

Il assiste à un conciliabule de démons
            Il y a trois nuits, poursuit-il, j’ai encore eu un rêve. Je vais te le raconter brièvement. Il m’a semblé que j’étais dans une grande salle, où des démons en grand nombre tenaient une conférence et discutaient de la manière d’exterminer la Congrégation salésienne. Ils ressemblaient à des lions, à des tigres, à des serpents et à d’autres bêtes, mais leur figure était comme indéterminée et faisait penser plutôt à la figure humaine. Ils ressemblaient à des ombres qui s’abaissaient et se relevaient, se raccourcissaient et s’étiraient, comme le feraient de nombreux corps s’ils avaient derrière eux une lampe placée d’un côté ou de l’autre, tantôt abaissée vers le sol, tantôt relevée. Mais cette fantasmagorie inspirait un sentiment de terreur.
            Et voici que l’un des démons s’avance et ouvre la séance. Pour détruire la Pieuse Société, il propose un moyen : la gourmandise. Il montra les conséquences de ce vice : inertie, corruption des mœurs, scandale, absence d’esprit de sacrifice, absence de souci de la jeunesse… Mais un autre démon lui répondit :
            – Ton moyen n’est ni universel ni efficace, parce qu’on ne peut pas attaquer ainsi tous les membres à la fois, parce que la table des religieux sera toujours frugale et le vin mesuré ; la Règle fixe leur nourriture ordinaire et les Supérieurs surveillent pour prévenir le désordre. Ceux qui exagèrent quelquefois dans le boire et le manger, au lieu de scandaliser, seraient plutôt repoussés. Non, ce n’est pas là l’arme pour combattre les salésiens. Je propose un autre moyen, qui sera plus efficace et qui atteindra mieux notre but : l’amour des richesses. Dans une Congrégation religieuse, quand l’amour des richesses s’en mêle, l’amour du confort s’en mêle aussi, on cherche par tous les moyens à avoir un pécule, le lien de la charité est rompu, chacun pense à soi, on néglige les pauvres pour ne s’occuper que des plus fortunés, on vole à la Congrégation…
            Il voulait continuer, mais un troisième démon surgit, qui s’exclama :
            – Mais quoi ? La gourmandise ! Les richesses ! Chez les salésiens, l’amour des richesses ne peut vaincre que peu de personnes. Ils sont tous pauvres, les salésiens, ils ont peu d’occasions d’acquérir un pécule. En général, ils sont ainsi faits et leurs besoins pour tant de jeunes et tant de maisons sont si grands que toute somme, même importante, serait vite dépensée. Ils n’ont pas la possibilité d’amasser des trésors. Moi, j’ai un moyen infaillible pour nous approprier la Société Salésienne, c’est la liberté. Pousser les salésiens à mépriser les Règles, à rejeter certaines charges comme lourdes et déshonorantes, les pousser à s’opposer à leurs supérieurs d’opinions différentes, à aller chez eux sous prétexte d’invitations et autres choses du même genre.
            Pendant que les démons parlementaient, Don Bosco pensait : – Je fais attention, vous savez, à ce que vous dites. Parlez, parlez, pour que je puisse déjouer vos complots.
            Enfin un quatrième démon se leva d’un bond en criant :
            – Mais qu’est-ce que vous dites ! Vos armes sont cassées ! Les Supérieurs sauront freiner cette liberté, ils chasseront des maisons tous ceux qui oseront se montrer rebelles contre les Règles. Certains se laisseront peut-être emporter par l’amour de la liberté, mais la grande majorité s’en tiendra à son devoir. Moi, j’ai un moyen adapté pour tout détruire à partir des fondations, un moyen tel que les salésiens pourront difficilement en être préservés ; ce sera vraiment un défaut à la racine. Ecoutez-moi bien. Il faut les persuader que la science devra être leur gloire principale. Incitez-les donc à étudier beaucoup pour eux-mêmes, pour acquérir la renommée, et à ne pas mettre en pratique ce qu’ils apprennent, à ne pas faire usage de la science pour le bien d’autrui. D’où l’ostentation des connaissances devant les ignorants et les pauvres, la paresse dans le ministère sacré. Plus d’oratoires festifs, plus de catéchismes aux enfants, plus de petites classes pour instruire les enfants pauvres et abandonnés, plus de longues heures au confessionnal. Ils se contenteront de prêcher, mais rarement, et de façon stérile, parce qu’ils le feront par orgueil, pour avoir la louange des hommes et non pour sauver les âmes.
            Sa proposition fut accueillie par un applaudissement général. Don Bosco entrevit alors le jour où les salésiens se laisseraient aller à croire que le bien de la Congrégation et son honneur consisteraient uniquement dans le savoir, et il craignit que non seulement ils pratiquent cette façon de voir, mais qu’ils prêchent haut et fort qu’il doit en être ainsi.
            Don Bosco se tenait de nouveau dans un coin de la pièce, écoutant et observant tout, lorsqu’un des démons le découvrit et, en criant, le désigna aux autres. À ce cri, ils se précipitèrent tous sur lui en criant :
            – Nous allons en finir ! C’était une bacchanale infernale de spectres qui le heurtaient, le saisissaient par les bras et par le corps, et il criait : Lâchez-moi ! Au secours ! – Enfin, il se réveilla, l’estomac retourné par tant de cris.

Lions, tigres et monstres déguisés en agneaux
            La nuit suivante, il se rendit compte que le diable avait attaqué les salésiens sur leur point le plus essentiel, les poussant à transgresser les Règles. Parmi eux il vit distinctement devant lui ceux qui les observaient et ceux qui ne les observaient pas.
            La dernière nuit, le rêve avait été effrayant. Don Bosco vit un grand troupeau d’agneaux et de brebis représentant les salésiens. Il s’approcha, essayant de caresser les agneaux ; mais il s’aperçut que leur laine, au lieu d’être de la laine d’agneau, ne servait que de couverture, cachant des lions, des tigres, des chiens enragés, des porcs, des panthères, des ours, et chacun avait sur les flancs un monstre laid et féroce. Au milieu du troupeau se tenaient quelques-uns réunis en conseil. Sans se faire remarquer, Don Bosco s’approcha d’eux pour écouter ce qu’ils disaient : ils étaient en train de comploter pour détruire la Congrégation salésienne. L’un d’eux dit :
            – Il faut massacrer les salésiens.
            Et un autre ajouta en ricanant :
            – Il faut les étrangler.
            Mais au milieu de tout cela, l’un d’entre eux vit Don Bosco qui écoutait tout près. Il donna l’alerte et tous crièrent d’une seule voix qu’il fallait commencer par Don Bosco. Cela dit, ils se précipitèrent sur lui comme pour l’étrangler. C’est alors qu’il poussa le cri qui réveilla Viglietti. En plus de cette violence diabolique il y avait autre chose qui oppressait son esprit : il avait vu une grande pancarte déployée sur ce troupeau, où l’on pouvait lire : BESTIIS COMPARATI SUNT (ils sont comparés à des bêtes). Après avoir raconté cela, il baissa la tête et pleura.
            Viglietti lui prit la main et la serra contre son cœur :
            – Ah ! Don Bosco, lui dit-il, nous serons toujours pour vous des fils fidèles et bons, n’est-ce pas, avec l’aide de Dieu ?
            – Cher Viglietti, répondit-il, sois bon et prépare-toi à voir les événements. Je t’ai un peu parlé de ces rêves ; si je devais tout te raconter en détail, j’en aurais pour longtemps. Que de choses j’ai vues ! Il y en a dans nos maisons qui ne feront plus jamais la neuvaine de Noël. Oh, si je pouvais parler aux jeunes, si j’avais la force de m’entretenir avec eux, si je pouvais faire le tour des maisons, faire ce que je faisais autrefois, révéler à chacun l’état de sa conscience, tel que je l’ai vu en rêve, et dire à certains : Brise la glace, fais une fois une bonne confession ! Ils me répondraient : Mais moi je me suis bien confessé ! Je pourrais au contraire leur répondre en leur disant ce qu’ils ont tu pour qu’ils n’osent plus ouvrir la bouche. Même certains salésiens, si je pouvais arriver à leur dire un mot, verraient la nécessité de s’amender en refaisant leur confession. J’ai vu ceux qui observaient les Règles et ceux qui ne les observaient pas. J’ai vu beaucoup de jeunes qui allaient à San Benigno, deviendront salésiens puis feront défection. Il y aura aussi des transfuges parmi ceux qui sont déjà salésiens. Il y en aura qui voudront surtout la science qui gonfle, qui leur procure les louanges des hommes et qui leur fait mépriser les conseils de ceux qu’ils croient inférieurs à eux au niveau du savoir…
            À ces pensées angoissantes se mêlaient des consolations providentielles qui lui réjouissaient le cœur. Le soir du 3 décembre, l’évêque de Para, le pays central dans le rêve des Missions, arrivait à l’Oratoire. Le lendemain, il dit à Viglietti :
            – Comme elle est grande, la Providence ! Ecoute, et dis-moi si nous ne sommes pas protégés par Dieu. Don Albera m’écrivait qu’il ne pouvait plus tenir et qu’il avait besoin de mille francs immédiatement ; le même jour, une dame de Marseille, qui désirait ardemment revoir son frère religieux à Paris, heureuse d’avoir obtenu une grâce de la Vierge, apportait au P. Albera mille francs. L’abbé Ronchail est en grande difficulté et a absolument besoin de quatre mille francs ; une dame écrit aujourd’hui même à Don Bosco pour mettre quatre mille francs à sa disposition. Don Dalmazzo ne sait plus où donner de la tête pour avoir de l’argent ; aujourd’hui une dame donne une somme très importante pour l’église du Sacré-Cœur. – Et puis, le 7 décembre, ce fut la joie de la consécration épiscopale de Mgr Cagliero. Tous ces faits étaient d’autant plus encourageants qu’ils étaient des signes visibles de la main de Dieu dans l’œuvre de son Serviteur.
(MB XVII 383-389)




Les cadeaux des jeunes à Marie (1865)

Dans le rêve que Don Bosco relate dans la Chronique de l’Oratoire, daté du 30 mai, la dévotion mariale se mue en un jugement symbolique saisissant sur les jeunes de l’Oratoire : un cortège de jeunes garçons s’avance, chacun porteur d’un don, devant un autel splendidement orné pour la Vierge. Un ange, gardien de la communauté, accueille ou rejette les offrandes, en dévoilant leur portée morale – fleurs parfumées ou fanées, épines de la désobéissance, animaux incarnant des vices graves tels que l’impureté, le vol et le scandale. Au cœur de cette vision résonne le message éducatif de Don Bosco : humilité, obéissance et chasteté sont les trois piliers qui permettent de mériter la couronne de roses de Marie.

Le Serviteur de Dieu trouvait sa consolation dans la dévotion à la Sainte Vierge, honorée d’une manière particulière pendant le mois de mai par toute la communauté. Parmi ses mots du soir, la Chronique ne nous a conservé que celui du 30 du mois, qui se révèle extrêmement précieux.

30 mai

            J’ai vu un grand autel dédié à Marie et magnifiquement décoré. J’ai vu tous les jeunes de l’Oratoire s’y rendre en procession. Ils chantaient les louanges de la Vierge céleste, mais pas tous de la même façon, tout en chantant le même chant. Beaucoup chantaient vraiment bien et avec une grande précision de rythme, les uns avec plus de force et les autres avec une voix plus douce. D’autres chantaient d’une voix mauvaise et rauque, d’autres étaient désaccordés, d’autres avançaient en silence et se détachaient de la file, d’autres bâillaient et semblaient s’ennuyer, d’autres se bousculaient les uns les autres et riaient. Puis chacun apportait un cadeau à Marie. Ils portaient tous des bouquets de fleurs, plus ou moins grands et différents les uns des autres. Certains avaient un bouquet de roses, d’autres portaient des œillets, d’autres des violettes, etc. D’autres apportaient à la Vierge des cadeaux vraiment étranges. D’autres encore apportaient à la Vierge des cadeaux vraiment étranges : une tête de pourceau, un chat, un plat de crapauds, un lapin, un agneau ou d’autres offrandes.
            Un beau jeune homme se tenait devant l’autel et, en regardant de près, on pouvait voir qu’il avait des ailes derrière les épaules. C’était peut-être l’Ange gardien de l’Oratoire ; au fur et à mesure que les jeunes offraient leurs cadeaux, il les recevait et les déposait sur l’autel.
            Les premiers offrirent de magnifiques bouquets de fleurs et l’Ange, sans rien dire, les déposait sur l’autel. Beaucoup d’autres offrirent leurs bouquets. Il les examinait, défaisait le bouquet, enlevait les fleurs gâtées qu’il jetait, refaisait le bouquet et le plaçait sur l’autel. Aux autres qui avaient dans leurs bouquets des fleurs belles mais inodores, comme des dahlias, des camélias, etc., l’Ange les fit enlever, parce que Marie veut la réalité et non l’apparence. Après avoir refait le bouquet, l’Ange l’offrit à la Vierge. Parmi les fleurs, beaucoup avaient des épines, peu ou beaucoup, et d’autres des clous ; l’Ange enleva les unes et les autres.
            Enfin arriva celui qui portait le pourceau, et l’Ange lui dit : – Comment as-tu le courage de venir offrir ce cadeau à Marie ? Sais-tu ce que signifie le porc ? Il signifie le vilain vice de l’impureté ; Marie, qui est toute pure, ne peut supporter ce péché. Retire-toi, tu n’es pas digne de te tenir devant elle.
            Vinrent ensuite ceux qui avaient un chat, et l’Ange leur dit :
            – Vous aussi, vous osez apporter ces cadeaux à Marie ? Savez-vous ce que signifie le chat ? C’est l’image du vol et vous osez l’offrir à la Vierge ? Les voleurs sont ceux qui prennent l’argent, les objets, les livres de leurs camarades, ceux qui volent les aliments de l’Oratoire, qui déchirent leurs vêtements par méchanceté, qui gaspillent l’argent de leurs parents en n’étudiant pas. – Et il les mit de côté eux aussi.
            Vinrent alors ceux qui avaient des plats de crapauds. L’Ange les regarda avec colère :
            – Les crapauds symbolisent les péchés honteux des scandales, et vous venez les offrir à la Vierge ? Arrière ! retirez-vous avec les autres coupables. – Et ils se retirèrent tout confus.
            Certains s’avançaient avec un couteau planté dans le cœur. Ce couteau signifiait le sacrilège. L’Ange leur dit :
            – Ne voyez-vous pas que vous avez la mort dans l’âme, que si vous êtes encore en vie, c’est une miséricorde spéciale de Dieu, sans quoi vous seriez perdus ? Par pitié, faites-vous enlever ce couteau ! – Et eux aussi furent refusés.
            L’un après l’autre, tous les autres jeunes s’approchèrent. Certains offrirent des agneaux, d’autres des lapins, d’autres des poissons, d’autres des noix, d’autres des raisins, etc. L’Ange accepta tout et déposa le tout sur l’autel. Après avoir ainsi séparé les bons des mauvais, il fit mettre en rang devant l’autel tous ceux dont les cadeaux avaient été acceptés par Marie ; et ceux qui avaient été mis à part étaient, à mon grand regret, beaucoup plus nombreux que je n’avais pensé.
            Puis, de chaque côté de l’autel, apparurent deux autres anges, tenant deux riches corbeilles remplies de magnifiques couronnes, composées de roses somptueuses. Ces roses n’étaient pas tout à fait des roses de la terre, bien qu’apparemment artificielles, symbole d’immortalité.
            L’Ange gardien prit ces couronnes une à une et couronna tous les jeunes qui étaient alignés devant l’autel. Parmi ces couronnes, il y en avait des plus grandes et des plus petites, mais toutes étaient d’une admirable beauté. Notez aussi qu’il n’y avait pas seulement les jeunes de notre maison, mais beaucoup d’autres que je n’avais jamais vus. Il se passa alors une chose merveilleuse ! Certains jeunes étaient apparemment si laids qu’ils en étaient presque repoussants ; ils reçurent les couronnes les plus belles, signe que leur laideur extérieure était compensée par le don et la vertu de chasteté pratiquée à un degré éminent. Beaucoup d’autres avaient la même vertu, mais à un degré moins éminent. Beaucoup se distinguaient par d’autres vertus, telles que l’obéissance, l’humilité, l’amour de Dieu, et tous avaient des couronnes correspondant à l’excellence de ces vertus. L’Ange leur dit :
            – Marie a voulu aujourd’hui que vous soyez couronnés de ces belles roses. Mais n’oubliez pas de continuer à faire en sorte qu’elles ne vous soient pas enlevées. Il y a trois moyens de les conserver. Pratiquez : 1° l’humilité ; 2° l’obéissance ; 3° la chasteté. Ces trois vertus vous rendront toujours agréables à Marie et vous rendront un jour dignes de recevoir une couronne infiniment plus belle que celle-ci.
            Alors les jeunes se mirent à entonner devant l’autel l’AveMaris stella (Je vous salue, Étoile de la mer).
            Et, après avoir chanté le premier verset, ils se mirent en route en procession comme ils étaient venus et commencèrent à chanter Louange à Marie d’une voix si forte que j’en fus étonné et émerveillé. Je les suivis à quelque distance, puis je retournai voir les jeunes que l’Ange avait écartés, mais je ne les vis plus.
            Mes amis ! Je sais quels sont ceux qui ont été couronnés et ceux qui ont été chassés par l’Ange. Je le dirai aux uns et aux autres, afin qu’ils s’efforcent d’apporter à la Vierge des présents qu’elle daignera accepter.
            En attendant, quelques observations. – La première : Tous apportaient des fleurs à la Vierge, et il y avait toutes sortes de fleurs, mais j’ai remarqué que toutes, plus ou moins, avaient des épines parmi les fleurs. J’ai pensé et repensé à ce que signifiaient ces épines et j’ai trouvé qu’elles signifiaient en fait la désobéissance. Garder de l’argent sans permission et sans vouloir le remettre au préfet, demander la permission d’aller dans un endroit et puis aller dans un autre, aller en classe en retard alors que les autres sont déjà là depuis un certain temps, se préparer des petits plats et des petits goûters en cachette, aller dans les dortoirs des autres alors que c’est absolument interdit, quelle que soit la raison ou le prétexte que l’on peut avoir, se lever tard le matin, abandonner les pratiques de piété prescrites, bavarder quand il est temps de se taire, acheter des livres sans les montrer, envoyer des lettres sans permission par l’intermédiaire d’une tierce personne pour ne pas être vu et les recevoir par la même voie, faire des contrats, des achats et des ventes les uns avec les autres : voilà ce que signifient les épines. Beaucoup d’entre vous demanderont : est-ce donc un péché de transgresser les règles de la maison ? J’ai déjà réfléchi sérieusement à cette question et je vous réponds absolument oui. Je ne vous dis pas que c’est grave ou léger, il faut tenir compte des circonstances, mais c’est un péché. Certains me diront : mais ce n’est pas dans la loi de Dieu que nous devons obéir aux règles de la maison ! Ecoutez, c’est dans les commandements : – Honore ton père et ta mère ! – Sais-tu ce que signifient ces mots père et mère ? Ils englobent aussi ceux qui les représentent. N’est-il pas écrit dans l’Écriture Sainte : Oboedite praepositis vestris (Obéissez à vos supérieurs, Hébreux 13,17) ? Si vous devez obéir, il est naturel qu’ils doivent commander. Voilà l’origine des règles d’un Oratoire, et voilà si elles sont obligatoires, oui ou non.
            Deuxième observation. – Certains avaient des clous au milieu de leurs fleurs, ces clous qui avaient servi à clouer le bon Jésus. Mais quoi ? On commence toujours par les petites choses pour arriver aux grandes. Un tel voulait avoir de l’argent pour satisfaire ses caprices ; alors, pour le dépenser à sa guise, il ne voulait pas le remettre ; il se mit à vendre ses livres d’école et finit par voler de l’argent et les affaires de ses camarades. Un autre voulait satisfaire sa gourmandise, d’où les bouteilles, etc., puis il s’est permis certaines licences, bref il est tombé dans le péché mortel. C’est ainsi qu’on a trouvé des clous dans ces bouquets, et c’est ainsi que le bon Jésus a été crucifié. L’Apôtre dit qu’en péchant on crucifie de nouveau le Sauveur : Rursus crucifigentes filium Dei (ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu, He 6,6).
            Troisième observation. – Beaucoup de jeunes avaient dans leurs bouquets, parmi les fleurs fraîches et odorantes, des fleurs pourries et décomposées, ou de belles fleurs sans odeur. Elles signifiaient les bonnes œuvres mais accomplies en état de péché mortel, œuvres qui ne font rien pour augmenter leurs mérites. Les fleurs sans odeur sont les bonnes œuvres mais accomplies à des fins humaines, par ambition, uniquement pour plaire aux maîtres et aux supérieurs. C’est pourquoi l’Ange leur reprocha d’avoir osé apporter de telles offrandes à Marie et les renvoya arranger leur bouquet. Ils se retirèrent, le défirent, enlevèrent les fleurs fanées, puis, ayant remis les fleurs en ordre, les remirent comme auparavant et les rendirent à l’Ange qui les accepta et les plaça sur la table. Lorsqu’ils revenaient, ils n’attendaient plus un ordre, mais chacun rapportait son bouquet dès qu’il était prêt, certains plus tôt, d’autres plus tard, puis allait se placer auprès de ceux qui allaient recevoir la couronne.
            J’ai vu dans ce rêve tout ce qui a été et tout ce qui adviendra de mes jeunes. Je l’ai déjà dit à beaucoup, je le dirai à d’autres. En attendant, veillez à ce que cette Vierge céleste reçoive toujours de vous des cadeaux qui ne puissent jamais être refusés.
(MB VIII, 129-132)

Photo d’ouverture : Carlo Acutis lors d’une visite au sanctuaire marial de Fátima.




Le foulard de la pureté (1861)

            Le 16 juin, Don Bosco demanda aux jeunes de faire une prière spéciale pour que Dieu convertisse ceux du singe, qui, dit-il, n’étaient pas très nombreux. Et le 18 au soir, il raconta la petite histoire suivante, une sorte de rêve, comme il l’appela en une autre occasion. Mais sa manière de raconter correspondait, selon Ruffino, à celle de Baruch racontant les visions de Jérémie : « Il prononçait de sa bouche toutes ces paroles comme s’il les lisait, et je les écrivais dans le livre avec de l’encre (Baruch XXXVI).
            Don Bosco parlait ainsi.

            C’était la nuit du 14 au 15 du mois. Alors que je venais à peine de m’endormir, j’entendis un grand coup sur le sommier, comme si quelqu’un l’avait frappé avec une planche. D’un coup j’étais assis sur mon lit en pensant aussitôt à un coup de tonnerre. Je regardai de-ci de-là, mais je n’ai rien vu. Convaincu que je rêvais et que rien n’était réel, je me suis recouché.
            Mais à peine avais-je commencé à me rendormir qu’un deuxième coup a frappé mes oreilles et m’a secoué. Je me relève de nouveau sur le coussin, je sors du lit, je cherche, je regarde sous le lit, sous la table et dans tous les coins de ma chambre, mais je n’ai rien vu. Alors je me suis mis entre les mains du Seigneur, j’ai pris l’eau bénite et je me suis recouché. C’est alors que mon esprit a vagabondé et que j’ai vu ce que je vais raconter.
            Il me semblait que j’étais dans la chaire de notre église et que je commençais le sermon. Les jeunes étaient tous assis à leur place, les yeux fixés sur moi, et ils attendaient attentivement que je prenne la parole. Mais je ne savais pas sur quel sujet je devais parler, ni comment je devais commencer le sermon. J’avais beau faire appel à ma mémoire, mon esprit restait stérile et vide. Je suis resté confus et anxieux pendant un moment, car je n’avais jamais connu un tel embarras en tant d’années de prédication. C’est alors que je vis notre église se transformer d’un coup en une grande vallée. Je cherchais les murs de l’église et ne les voyais plus, et je ne voyais plus aucun jeune. J’étais très étonné et je n’arrivais pas à me persuader de ce changement de décor.
            – Mais qu’est-ce que c’est ? me dis-je en moi-même ; il y a un instant, j’étais dans l’église, dans la chaire, et maintenant je me retrouve dans cette vallée ! Est-ce que je rêve ? Que suis-je en train de faire ? – Alors j’ai décidé de traverser cette vallée. J’ai marché un moment et tandis que je cherchais quelqu’un pour dire mon étonnement et demander des explications, je vis un beau palais avec de nombreux grands balcons ou vastes terrasses, comme on veut les appeler ; ils formaient un ensemble admirable. Devant le palais, il y avait une grande place. Dans un coin de celle-ci, sur la droite, j’ai découvert un grand nombre de jeunes rassemblés autour d’une Dame qui distribuait à chacun un foulard. Ils prenaient le foulard et montaient se ranger les uns derrière les autres sur cette longue terrasse à balustrade.
            Je me suis approché moi aussi de cette Dame et j’ai entendu qu’en remettant les foulards, elle disait à chacun des jeunes les mots suivants :
            – Ne le déplie jamais quand le vent souffle ; mais si le vent te surprend quand tu l’as déplié, tourne-toi immédiatement vers la droite, jamais vers la gauche.
            J’observais tous ces jeunes, mais à ce moment-là, je ne reconnaissais aucun d’entre eux. Lorsque la distribution des foulards fut terminée, tous montèrent sur la terrasse. Ils formèrent une longue file l’un derrière l’autre et restaient là sans dire un mot. Je continuais à observer et je vis un jeune qui commençait à sortir son foulard et à le déplier, puis les autres jeunes, petit à petit, sortirent le leur et le déplièrent, jusqu’à ce que je les voie tous tenir leur foulard étendu. Il était grand, brodé d’or avec grand art, et on pouvait y lire ces mots, également en or, qui le couvraient tout entier : – Regina virtutum (Reine des vertus).
            Mais voici que, du nord, c’est-à-dire à gauche, commença à souffler un air léger, qui devint de plus en plus fort, et enfin le vent se leva. Dès que le vent commença à souffler, je vis certains jeunes qui pliaient immédiatement leur foulard et le cachaient ; d’autres se tournaient sur le côté droit. D’autres encore restèrent immobiles, le foulard déplié.
            Quand le vent se mit à souffler très fort, un nuage commença à apparaître et à grossir au point d’obscurcir bientôt tout le ciel. Puis se leva un tourbillon, un grand orage éclata et le tonnerre gronda de manière effrayante, la grêle tombait, puis la pluie, et enfin la neige.
            Pendant ce temps, beaucoup de jeunes étaient là avec le foulard déplié. La grêle s’abattait sur ce foulard, le transperçant de part en part ; les gouttes de pluie semblaient avoir une pointe, et les flocons de neige y faisaient des trous. En un instant, tous ces foulards furent abîmés et criblés, de sorte qu’ils n’avaient plus rien de beau.
            Ce fait suscita en moi une telle stupéfaction que je n’ai pas su comment l’expliquer. Le pire, c’est qu’en m’approchant de ces jeunes que je ne connaissais pas auparavant, je les reconnaissais maintenant tous distinctement, après les avoir regardés de plus près. C’étaient mes jeunes de l’Oratoire. M’étant approché encore plus près, je les interrogeai :
            – Qu’est-ce que tu fais ici ! C’est toi un tel ?
            – Oui, c’est moi ! Vous voyez, il y a aussi un tel et un tel et un tel.
            Je me suis rendu ensuite à l’endroit où cette Dame distribuait les foulards. Voyant là d’autres hommes, je leur ai demandé :
            – Qu’est-ce que tout cela signifie ?
            La Dame se tourna vers moi et me répondit :
            – N’as-tu pas vu ce qui était écrit sur ces foulards ?
            – Si : Regina virtutum.
            – Ne sais-tu pas pourquoi ?
            – Si, je le sais.
            – Eh bien, ces jeunes ont exposé la vertu de pureté au vent des tentations. Quelques-uns s’enfuirent dès qu’ils s’en sont aperçus et cachèrent le foulard. Ceux qui ont été surpris et n’ont pas eu le temps de le cacher, se sont tournés vers la droite : ce sont ceux qui, dans le danger, se tournent vers le Seigneur, en tournant le dos à l’ennemi. D’autres sont restés avec le foulard ouvert à la tentation qui les fit tomber dans les péchés.
            À cette vue, j’étais navré et quasi désespéré en voyant le petit nombre de ceux qui avaient conservé cette belle vertu. J’ai pleuré de tristesse et, lorsque j’ai pu me calmer, j’ai demandé :
            – Mais comment se fait-il que les foulards soient restés percés, non seulement par la tempête, mais aussi par la pluie et la neige ? Ces gouttes, ces flocons de neige indiquent peut-être les petits péchés, c’est-à-dire les péchés véniels ?
            – Ne sais-tu pas qu’en ce domaine non datur parvitas materiae ? (il n’y a pas de matière légère). Mais ne t’inquiète pas, viens voir !
            L’un des hommes s’avança devant le balcon, fit signe aux jeunes et cria :
            – À droite !
            Presque tous les jeunes se tournèrent vers la droite, mais certains ne bougèrent pas de leur place et leur foulard finit par être entièrement déchiré. Je vis alors le foulard de ceux qui s’étaient tournés vers la droite devenir très serré, tout rapiécé et recousu, de sorte qu’on n’y voyait plus aucun trou. Mais ils étaient en si mauvais état qu’ils faisaient pitié. Ils n’avaient plus aucune régularité. Certains mesuraient trois paumes, d’autres deux, d’autres une.
            Alors la Dame ajouta :
            – Ce sont ceux qui ont eu le malheur de perdre la belle vertu, mais ils se sont rattrapés par la confession. Les autres, qui n’ont pas bougé, ce sont ceux qui continuent à pécher et qui iront peut-être à la perdition.
            Enfin elle me dit :
            – Nemini dicito, sed tantum admone (Ne le dis à personne, mais avertis seulement).
(MB VI, 972-975)




Je l’ai tuée pour un morceau de pain

Un homme, qui n’était pas entré dans une église depuis vingt ans, s’approche avec hésitation d’un confessionnal. Il s’agenouille et, après un moment d’hésitation, dit en pleurant : « J’ai du sang sur les mains. C’était pendant la retraite en Russie. Chaque jour, un membre de mon peuple mourait. La faim était terrible. On nous disait de ne jamais entrer dans les isbas sans un fusil à la main, prêts à tirer au premier signe de… Là où j’étais entré, il y avait un vieil homme et une jeune fille blonde aux yeux tristes : « Du pain ! Donnez-moi du pain ! » La fille s’est baissée. J’ai pensé qu’elle voulait prendre une arme, une bombe. J’ai tiré d’un coup sec. Elle est tombée par terre.
En m’approchant, j’ai vu que la jeune fille tenait un morceau de pain dans sa main. J’avais tué une jeune fille de 14 ans, une jeune fille innocente qui voulait m’offrir du pain. J’ai commencé à boire pour oublier. Mais comment ? Dieu peut-il me pardonner ?

Celui qui se promène avec un fusil chargé finira par tirer. Si tu n’as qu’un marteau, tu finis par voir les autres comme des clous. Et tu passes la journée à donner des coups de marteau.




Halloween : une fête à célébrer ?

Les sages nous disent que pour comprendre un événement, il faut en connaître l’origine et la finalité.Il en va de même pour le phénomène désormais très répandu d’Halloween qui, plutôt qu’une fête à célébrer, est une manifestation qui mérite réflexion.Il s’agit d’éviter de célébrer une culture de mort qui n’a rien à voir avec le christianisme.


Telle qu’elle se présente aujourd’hui, Halloween est une fête dont les origines commerciales se situent aux États-Unis et qui s’est répandue dans le monde entier au cours des trois dernières décennies. Elle est célébrée dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre et possède quelques symboles qui lui sont propres :
Les costumes: s’habiller avec des vêtements effrayants pour représenter des personnages fantastiques ou des créatures monstrueuses.
Les citrouillessculptées: la tradition qui consiste à sculpter des citrouilles et à placer une lumière à l’intérieur pour créer des lanternes (Jack-o’lantern).
Farce ou friandises: une coutume qui consiste à frapper aux portes des maisons et à demander des bonbons en échange d’une promesse de ne pas faire de mauvaises farces (Trick ortreat?).

Il semble qu’il s’agisse d’une des fêtes commerciales encouragées à dessein par certains en vue d’augmenter leurs revenus. En 2023, en effet, pas moins de 12,2 milliards de dollars ont été dépensés rien qu’aux États-Unis (selon la National Retail Federation) et 700 millions de livres sterling au Royaume-Uni (selon les analystes du marché). Ces chiffres expliquent également la large couverture médiatique, avec de véritables stratégies pour célébrer l’événement, le transformer en un phénomène de masse et le présenter comme un simple amusement occasionnel, un jeu collectif.

L’origine
Si l’on cherche les origines d’Halloween – car toute chose contingente a un début et une fin – on constate que cette fête remonte aux croyances païennes et polythéistes du monde celtique.
L’ancien peuple des Celtes, un peuple nomade qui s’est répandu dans toute l’Europe, a su préserver sa culture, sa langue et ses croyances dans les îles britanniques, plus précisément en Irlande, dans la région où l’Empire romain n’était jamais arrivé. L’une de leurs festivités païennes, appelée Samhain, était célébrée entre les derniers jours d’octobre et le début du mois de novembre et représentait le Nouvel An qui ouvrait le cycle annuel. Étant donné qu’à cette période le jour diminue et la nuit augmente, on pensait que la frontière entre le monde des vivants et celui des morts s’amenuisait, ce qui permettait aux âmes des morts de revenir sur terre (même sous la forme d’animaux) et aux mauvais esprits d’y pénétrer. C’est pourquoi ils utilisaient des masques effrayants pour confondre ou chasser les esprits, afin de ne pas être touchés par leur mauvaise influence. La célébration, obligatoire pour tous, commençait le soir et comprenait des rites magiques, des feux rituels, des sacrifices d’animaux et probablement aussi des sacrifices humains. La nuit, leurs prêtres druides se rendaient dans chaque maison pour recevoir des gens quelque chose en échange de leurs sacrifices, sous peine de malédictions.

La coutume de sculpter un navet en forme de visage monstrueux, de mettre une lumière à l’intérieur et de le placer sur le seuil des maisons, a donné naissance à une légende qui en explique mieux la signification. Il s’agit de la légende du forgeron irlandais Stingy Jack (Jack le ladre), un homme qui trompe le diable à plusieurs reprises et qui, à sa mort, n’est reçu ni au paradis ni en enfer. Étant dans l’obscurité et contraint de chercher un lieu pour son repos éternel, il demande et reçoit du diable un tison enflammé, qu’il enfonce dans un navet, créant ainsi une lanterne, la Jack-o’lantern. Mais il ne trouva pas le repos et il continue d’errer jusqu’à aujourd’hui. La légende veut symboliser les âmes damnées qui errent sur la terre et ne trouvent pas le repos. Cela explique la coutume de placer un navet hideux devant la maison, pour inspirer la peur et chasser les âmes errantes qui pourraient s’approcher cette nuit-là.

Même le monde romain connaissait une fête similaire, appelée Lemuria ou Lemuralia, destinée à éloigner les esprits des morts des maisons ; elle était célébrée les 9, 11 et 13 mai. Les esprits étaient appelés « lémures » (du latin larva, qui signifie « fantôme » ou « masque »). On pensait que ces célébrations étaient associées à la figure de Romulus, fondateur de Rome, qui aurait institué ces rites pour apaiser l’esprit de son frère Rémus, qu’il avait tué ; cependant, il semble que cette fête ait été instituée au premier siècle de notre ère.

Ce type de célébration païenne, que l’on retrouve également dans d’autres cultures, reflète la conscience que la vie continue après la mort, même si cette conscience est mêlée à de nombreuses erreurs et superstitions. L’Église n’a pas voulu nier ce germe de vérité qui, sous une forme ou une autre, se trouvait dans l’âme des païens, mais elle a cherché à le corriger.

Dans l’Église, le culte des martyrs existe depuis le début. Vers le IVe siècle de notre ère, la commémoration des martyrs était célébrée le premier dimanche après la Pentecôte. En 609, le pape Boniface IV déplaça cette commémoration à la fête de tous les saints (Toussaint), le 13 mai. En 732, le pape Grégoire III a de nouveau déplacé la fête de tous les saints (en vieil anglais « All Hallows ») au 1er novembre, et le jour précédent est devenu All Hallows’ Eve (veille de tous les saints), d’où la forme abrégée Halloween.
La proximité immédiate des dates suggère que le changement de commémoration par l’Église était dû à un désir de corriger le culte des ancêtres. Le dernier changement indique que la fête païenne celtique de Samhain s’était également maintenue dans le monde chrétien.

Diffusion
Cette célébration païenne, en tant que fête essentiellement religieuse conservée dans les profondeurs de la culture irlandaise même après la christianisation de la société, est réapparue à la suite de l’immigration massive des Irlandais aux États-Unis à la suite de la grande famine qui a frappé le pays en 1845-1846.
Afin de préserver leur identité culturelle, les immigrés ont commencé à célébrer diverses fêtes qui leur étaient propres, comme autant de moments de rassemblement et de récréation, dont All Hallows. Peut-être plus qu’une fête religieuse, il s’agissait d’une fête sans références religieuses, liée à la célébration de l’abondance des récoltes.
Cela a favorisé la renaissance de l’ancien usage celtique de la lanterne, et les gens ont commencé à utiliser non plus le navet mais la citrouille, qui est plus grosse et plus facile à entailler.

Dans la première moitié du XXe siècle, les Américains à l’esprit pragmatique y ont vu une occasion de profit et ont étendu cette fête à l’ensemble du pays. Sur les marchés ont commencé à apparaître à une échelle industrielle les costumes et les tenues d’Halloween: fantômes, squelettes, sorcières, vampires, zombies, etc.

Après 1950, la fête a commencé à se répandre également dans les écoles et les foyers. La coutume veut que les enfants aillent frapper aux portes des maisons pour demander des friandises en disant Trick or treat (farce ou friandises).

Sous la poussée d’intérêts commerciaux, une véritable fête nationale à connotation laïque, dépourvue d’éléments religieux, a vu le jour. Elle sera exportée dans le monde entier, en particulier au cours des dernières décennies.

Réflexion
Si l’on y regarde de plus près, les éléments des rites celtiques de la fête païenne de Samhain sont restés. Il s’agit de vêtements, de lanternes, de menaces de malédictions.
Les vêtements sont monstrueux et effrayants : fantômes, clowns effrayants, sorcières, zombies, loups-garous, vampires, têtes transpercées par des poignards, cadavres défigurés, démons.
D’horribles citrouilles sculptées comme des têtes coupées avec une lumière macabre à l’intérieur.
Des gamins qui font le tour des maisons en demandant « Trickortreat ? ». La traduction littérale de ce terme est : « un mauvais tour ou des friandises », ce qui rappelle la formule « malédiction ou sacrifice » des druides.

Nous nous demandons en premier lieu si ces éléments peuvent être considérés comme dignes d’être cultivés. Et depuis quand l’effrayant, le macabre, l’obscurité, l’horrible, la mort sans espérance définissent-ils la dignité humaine ? Ils constituent en réalité un outrage sans mesure.

Et nous nous demandons si tout cela ne contribue pas à cultiver une dimension occulte, ésotérique, puisque ce sont les mêmes éléments que ceux utilisés par le monde obscur de la sorcellerie et du satanisme. Et si la mode dark et gothic, comme toutes les autres décorations de citrouilles macabrement sculptées, de toiles d’araignées, de chauves-souris et de squelettes, ne favorise pas une approche de l’occulte.

Est-ce un hasard si des événements tragiques surviennent régulièrement à l’occasion de cette fête ?
Est-ce un hasard si des profanations, des atteintes graves à la religion chrétienne, voire des sacrilèges, se produisent régulièrement ces jours-là ?
Est-ce un hasard si, pour les satanistes, la fête principale, qui marque le début de l’année satanique, est Halloween?
Ne produit-elle pas, surtout chez les jeunes, une familiarisation avec une mentalité magique et occulte, loin de la foi, voire contraire à la foi et à la culture chrétiennes, surtout en ce moment où la pratique chrétienne est affaiblie par la sécularisation et le relativisme ?

Voyons quelques témoignages.

Une Britannique, Doreen Irvine, ancienne prêtresse sataniste convertie au christianisme, avertit dans son livre From Witchcraft to Christ (De la sorcellerie au Christ) que la tactique d’approche de l’occultisme consiste précisément à proposer l’occulte sous des formes attrayantes, avec des mystères provocants, en faisant passer le tout pour une expérience naturelle, voire sympathique.

Le fondateur de l’Église de Satan, Anton LaVey, déclarait ouvertement sa joie de voir les baptisés participer à la fête d’Halloween : « Je suis heureux que des parents chrétiens permettent à leurs enfants d’adorer le diable au moins une nuit par an.Bienvenue à Halloween ».

Dans son article intitulé « Halloween.Le bon tour du diable, le père Aldo Buonaiuto, du Service anti-sectes de l’Association Communauté Jean XXIII, nous avertit que « les adorateurs de Satan considèrent les “énergies” de tous ceux qui, ne serait-ce que pour s’amuser, évoquent le monde des ténèbres dans les rites pervers pratiqués en son honneur, tout au long du mois d’octobre et en particulier dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre ».

Le père Francesco Bamonte, exorciste et vice-président de l’Association internationale des exorcistes (ancien président de cette association pendant deux mandats consécutifs), met en garde :

« Mon expérience, ainsi que celle d’autres prêtres exorcistes, montre que la fête d’Halloween, avec la période qui la prépare, représente en fait pour beaucoup d’enfants un moment privilégié de contact avec des réalités sectaires ou en tout cas liées au monde de l’occultisme. Les conséquences peuvent être même graves, non seulement sur le plan spirituel, mais aussi sur celui de l’intégrité psychophysique. Disons tout d’abord que cette fête diffuse pour le moins la laideur. Et en diffusant chez les enfants la laideur, le goût de l’horrible, du difforme, du monstrueux mis sur le même plan que le beau, elle les oriente en quelque sorte vers le mal et le désespoir. Au ciel, où ne règne que la bonté, tout est beau. En enfer, où on respire seulement la haine, tout est laid. » […]
« En me basant sur mon ministère d’exorciste, je peux affirmer qu’Halloween est, dans le calendrier des adeptes de la magie, des praticiens de l’occulte et des adorateurs de Satan, l’une des festivités les plus importantes. Par conséquent, pour eux, c’est une source de grande satisfaction quand l’esprit et le cœur de tant d’enfants, d’adolescents, de jeunes et même d’adultes se tournent vers le macabre, le démoniaque, la sorcellerie, à travers la représentation de cercueils, de crânes, de squelettes, de vampires, de fantômes. Ce faisant, ils adhérent à la vision moqueuse et sinistre du moment le plus important et le plus décisif de l’existence d’un être humain : la fin de sa vie sur la terre. » […]
« Nous, prêtres exorcistes, nous ne nous lassons pas de mettre en garde contre cette récurrence de conduites immorales ou dangereuses, contre la légèreté de divertissements considérés comme inoffensifs, et malheureusement accueillis de plus en plus souvent même dans les espaces paroissiaux. Tout cela peut préparer le terrain à une future action perturbatrice et même grave de la part du démon, et permettre au Malin d’affecter et de défigurer l’âme des jeunes. »

Ce sont surtout les jeunes qui subissent l’impact généralisé du phénomène Halloween. Sans critères de discernement sérieux, ils risquent d’être attirés par la laideur et non par la beauté, par l’obscurités et non par la lumière, par la méchanceté et non par la bonté.

Nous devons réfléchir à la question de savoir s’il faut continuer à célébrer la fête des ténèbres, Halloween, ou la fête de la lumière, la Toussaint




Un véritable aveugle

Une ancienne fable persane raconte l’histoire d’un homme qui n’avait qu’une idée en tête : posséder de l’or, tout l’or possible.
Cette pensée vorace lui dévorait le cerveau et le cœur. Il ne pouvait avoir d’autre pensée, d’autre désir que l’or.
Lorsqu’il passait devant les vitrines de sa ville, il ne voyait que celles des orfèvres. Il ne remarquait pas tant d’autres choses merveilleuses.
Il ne remarquait pas les gens, ne prêtait pas attention au ciel bleu ni au parfum des fleurs.
Un jour, il n’a pas pu résister : il est entré dans la boutique d’un bijoutier et a commencé à remplir ses poches de bracelets, de bagues et de broches en or.
Bien sûr, en sortant de la boutique, on l’a arrêté. Les gendarmes lui ont dit : « Mais comment avez-vous pu penser que vous pouviez le faire sans courir de risque ? Le magasin était plein de monde ».
« Vraiment ? », s’étonne l’homme. « Je n’ai rien remarqué. Je n’ai vu que l’or ».

« Ils ont des yeux et ne voient pas », dit la Bible à propos des fausses idoles. On peut dire la même chose de tant de gens aujourd’hui. Ils sont éblouis par les paillettes des choses qui brillent le plus, celles que la publicité quotidienne fait glisser devant nos yeux, comme s’il s’agissait du pendule d’un hypnotiseur.
Un jour, un professeur a fait une petite tache noire au centre d’une belle feuille blanche et l’a montrée à ses élèves.
– Que voyez-vous ? demanda-t-il.
– Une tache noire, répondirent-ils en chœur.
– Vous avez tous vu la tache noire qui est minuscule, rétorque le professeur, et personne n’a vu la grande feuille blanche.

Dans le Talmud, qui rassemble la sagesse des maîtres juifs des cinq premiers siècles, il est écrit : « Dans le monde à venir, chacun de nous sera appelé à rendre compte de toutes les belles choses que Dieu a mises sur terre et que nous avons refusé de voir ».
La vie est une succession de moments, la vraie réussite consiste à les vivre tous.
Ne risquez pas de perdre la grande feuille blanche pour courir après une petite tache noire.




La barque

Un soir, deux touristes qui se trouvaient dans un camping au bord d’un lac décidèrent de traverser le lac en barque pour aller prendre un « dernier verre » au bar de l’autre rive.
Ils y sont restés jusqu’à tard dans la nuit, vidant un bon nombre de bouteilles.
Lorsqu’ils sortirent du bar, ils titubaient quelque peu, mais ils réussirent à prendre place dans la barque pour entreprendre le voyage de retour.
Ils ont commencé à ramer d’un bon pas. Transpirant et soufflant, ils ont lutté durement pendant deux heures. Finalement, l’un dit à l’autre :
– Ne penses-tu pas que nous aurions déjà dû toucher l’autre rive depuis longtemps ?
– Bien sûr, répondit l’autre, mais peut-être n’avons-nous pas pagayé avec assez d’énergie.
Les deux hommes redoublèrent d’efforts et ramèrent résolument pendant une heure de plus. Ce n’est qu’à l’aube qu’ils se rendirent compte, étonnés, qu’ils étaient toujours au même endroit.
Ils avaient oublié de détacher la solide corde qui attachait leur bateau à la jetée.

Combien de personnes s’agitent et se tracassent toute la journée sans parvenir à quoi que ce soit, car elles ne se libèrent pas vraiment des liens et des habitudes gluantes.




Progression

Un explorateur voyageait dans les immenses forêts de l’Amazonie en Amérique du Sud.

Il cherchait d’éventuels gisements de pétrole et était très pressé. Les deux premiers jours, les indigènes qu’il avait engagés comme porteurs s’adaptèrent au rythme rapide et anxieux que l’homme blanc prétendait imposer à toutes choses.

Mais le matin du troisième jour, ils restèrent silencieux, immobiles, l’air totalement absent.

Il était clair qu’ils n’avaient aucune intention de repartir.

Impatient, l’explorateur, montrant sa montre, tenta par de larges gestes de faire comprendre au chef des porteurs qu’ils devaient bouger, car le temps pressait.

– Impossible, répondit l’homme, calmement. Ces hommes ont marché trop vite et attendent maintenant que leur âme les rattrape.

Les hommes de notre époque ont toujours plus rapides. Et ils sont agités, étourdis et malheureux. Parce que leurs âmes ont pris du retard et ne peuvent plus les rattraper.