Le Vénérable Mgr Stefano Ferrando

Mgr Stefano Ferrando a été un exemple extraordinaire de dévouement missionnaire et de service épiscopal, alliant le charisme salésien à une profonde vocation au service des plus pauvres. Né en 1895 dans le Piémont, il entra jeune dans la Congrégation salésienne et, après avoir servi militairement pendant la Première Guerre mondiale, ce qui lui valut la médaille d’argent de la valeur, il se consacra à l’apostolat en Inde. Évêque de Krishnagar puis de Shillong pendant plus de trente ans, il marcha inlassablement parmi les populations, promouvant l’évangélisation avec humilité et un profond amour pastoral. Il fonda des institutions, soutint les catéchistes laïcs et incarna dans sa vie la devise « Apôtre du Christ ». Sa vie fut un exemple de foi, d’abandon à Dieu et de don total, laissant un héritage spirituel qui continue d’inspirer la mission salésienne dans le monde.

Le Vénérable Mgr Stefano Ferrando a su conjuguer sa vocation salésienne avec son charisme missionnaire et son ministère épiscopal. Né le 28 septembre 1895 à Rossiglione (Gênes, diocèse d’Acqui) d’Agostino et de Giuseppina Salvi, il se distingue par un ardent amour de Dieu et une tendre dévotion à la Vierge Marie. En 1904, il entre dans les écoles salésiennes, d’abord à Fossano puis à Turin-Valdocco, où il connaît les successeurs de Don Bosco et la première génération de salésiens, et entreprend ses études sacerdotales. Entre-temps, il nourrit le désir de partir comme missionnaire. Le 13 septembre 1912, il fait sa première profession religieuse dans la Congrégation salésienne à Foglizzo. Appelé sous les drapeaux en 1915, il participe à la Première Guerre mondiale et recevra la médaille d’argent pour son courage. De retour chez lui en 1918, il prononce ses vœux perpétuels le 26 décembre 1920.
Il est ordonné prêtre à Borgo San Martino (Alessandria) le 18 mars 1923. Le 2 décembre de la même année, avec neuf compagnons, il s’embarque à Venise comme missionnaire en Inde. Le 18 décembre, après 16 jours de voyage, le groupe arrive à Bombay et le 23 décembre à Shillong, lieu de son nouvel apostolat. Nommé maître des novices, il forme les jeunes salésiens à l’amour de Jésus et de Marie et fait preuve d’un grand esprit apostolique.
Le 9 août 1934, le pape Pie XI le nomme évêque de Krishnagar. Il prend comme devise : « Apôtre du Christ ». En 1935, le 26 novembre, il est transféré à Shillong, où il restera évêque pendant 34 ans. Tout en travaillant dans un contexte difficile sur le plan culturel, religieux et social, Mgr Ferrando s’efforce d’être proche des personnes qui lui étaient confiées, travaillant avec zèle dans le vaste diocèse qui englobait toute la région du nord-est de l’Inde. Il préférait se déplacer à pied plutôt qu’en voiture, ce qui lui permettait de rencontrer les gens, de s’arrêter pour leur parler, de s’impliquer dans leur vie. Ce contact direct avec la vie des gens a été l’une des principales raisons de la fécondité de son annonce évangélique. Son humilité, sa simplicité et son amour des pauvres ont conduit beaucoup de personnes à se convertir et à demander le baptême. Il créa un séminaire pour la formation des jeunes salésiens indiens, construisit un hôpital, érigea un sanctuaire dédié à Marie Auxiliatrice et fonda la première congrégation de sœurs autochtones : la Congrégation des Sœurs Missionnaires de Marie Auxiliatrice (1942).

Homme de caractère, il ne s’est pas découragé face aux innombrables difficultés qu’il a affrontées avec le sourire et avec douceur. La persévérance face aux obstacles était l’une de ses principales caractéristiques. Il cherchait à unir le message de l’Évangile à la culture locale dans laquelle il devait s’insérer. Intrépide dans ses visites pastorales, il se rendait dans les endroits les plus reculés du diocèse, afin de récupérer la dernière brebis perdue. Il travailla avec une grande sensibilité à la promotion des catéchistes laïcs, qu’il considérait comme complémentaires de la mission de l’évêque et dont dépendaient en grande partie la fécondité de l’annonce de l’Évangile et sa pénétration sur le territoire. Il accordait également une grande attention à la pastorale familiale. Malgré ses nombreux engagements, le Vénérable était un homme à la vie intérieure riche, nourrie par la prière et le recueillement. En tant que pasteur, il était apprécié par les sœurs de sa congrégation, les prêtres, les confrères salésiens et ses confrères dans l’épiscopat, ainsi que par les gens, qui le sentaient profondément proche d’eux. Il s’est donné à son troupeau avec créativité, s’occupant des pauvres, défendant les intouchables, soignant les malades du choléra.
Les pierres angulaires de sa spiritualité étaient son lien filial avec la Vierge Marie, son zèle missionnaire, sa référence permanente à Don Bosco, comme il ressort de ses écrits et de toute son activité missionnaire. Le moment le plus lumineux et le plus héroïque de sa vie vertueuse fut son départ du diocèse de Shillong. En effet, Mgr Ferrando dut présenter sa démission au Saint-Père, alors qu’il était encore dans la plénitude de ses facultés physiques et intellectuelles, pour permettre la nomination de son successeur, qui devait être choisi, selon les instructions supérieures, parmi les prêtres indigènes qu’il avait formés. Ce fut un moment particulièrement douloureux, vécu par le grand évêque avec humilité et en esprit d’obéissance. Il comprit qu’il était temps de se retirer dans la prière, selon la volonté du Seigneur.
De retour à Gênes en 1969, il poursuivit son activité pastorale, en présidant les cérémonies de confirmation et en se consacrant au sacrement de pénitence.
Il resta fidèle à la vie religieuse salésienne jusqu’au bout, décidant de vivre en communauté et renonçant aux privilèges que sa position d’évêque aurait pu lui réserver. Il continua en Italie à être « a missionary ». Non pas « a missionary who moves, but […] a missionary who is » : non pas un missionnaire qui se déplace, mais un missionnaire qui est. Sa vie, en cette dernière saison, est devenue « rayonnante ». Il devient un « missionnaire de la prière » qui dit : « Je suis heureux d’être parti pour que d’autres puissent prendre la relève et faire des œuvres merveilleuses ».
Depuis Gênes Quarto, il continua à animer la mission de l’Assam, en sensibilisant et en envoyant des aides financières. Il vécut cette heure de purification dans un esprit de foi, d’abandon à la volonté de Dieu et d’obéissance, selon l’expression évangélique : « nous sommes des serviteurs inutiles », et confirmant par sa vie le caetera tolle, l’aspect oblatif et sacrificiel de la vocation salésienne. Il mourut le 20 juin 1978 et fut enterré à Rossiglione, sa terre natale. En 1987, sa dépouille mortelle fut ramenée en Inde.

Dans la docilité à l’Esprit, il a mené une action pastorale féconde, qui s’est manifestée dans un grand amour pour les pauvres, dans l’humilité d’esprit et la charité fraternelle, dans la joie et l’optimisme de l’esprit salésien.
Avec les nombreux missionnaires qui ont partagé avec lui l’aventure de l’Esprit en terre indienne, parmi lesquels les Serviteurs de Dieu Francesco Convertini, Costantino Vendrame et Oreste Marengo, Mgr Ferrando a inauguré une nouvelle méthode missionnaire, celle d’être un missionnaire itinérant. Un tel exemple est un avertissement providentiel, surtout pour les congrégations religieuses tentées par un processus d’institutionnalisation et de fermeture. Il s’agit de ne pas perdre la passion d’aller à la rencontre des personnes et des situations de grande pauvreté et de dénuement matériel et spirituel, là où personne ne veut aller, et en faisant confiance. « Je regarde l’avenir avec confiance, en me confiant à Marie Auxiliatrice… Je me confierai à Marie Auxiliatrice qui m’a sauvé d’innombrables dangers ».




Loteries : de véritables exploits

Don Bosco ne fut pas seulement un éducateur et un pasteur d’âmes infatigable, mais aussi un homme d’une extraordinaire ingéniosité, capable d’inventer des solutions nouvelles et courageuses pour soutenir ses œuvres. Les nécessités économiques de l’Oratoire de Valdocco, en constante expansion, le poussèrent à chercher des moyens toujours plus efficaces pour garantir le gîte, le couvert, l’école et le travail à des milliers de garçons. Parmi ceux-ci, les loteries représentèrent l’une des intuitions les plus ingénieuses : de véritables entreprises collectives, qui impliquaient nobles, prêtres, bienfaiteurs et simples citoyens. Ce n’était pas simple, car la législation piémontaise réglementait rigoureusement les loteries, n’en permettant l’organisation aux particuliers que dans des cas bien définis. Et il ne s’agissait pas seulement de collecter des fonds, mais de créer un réseau de solidarité qui unissait la société turinoise autour du projet éducatif et spirituel de l’Oratoire. La première, en 1851, fut une aventure mémorable, riche en imprévus et en succès.

L’argent qui arrivait entre les mains de Don Bosco y restait peu de temps, car il était immédiatement utilisé pour nourrir, loger, scolariser et faire travailler des dizaines de milliers de garçons ou pour construire des collèges, des orphelinats et des églises ou pour soutenir les missions d’Amérique du Sud. Ses comptes, on le sait, ont toujours été déficitaires ; les dettes l’ont accompagné tout au long de sa vie.
Or, parmi les moyens intelligemment adoptés par Don Bosco pour financer ses œuvres, on peut certainement placer les loteries : une quinzaine ont été organisées par lui, petites et grandes. La première, modeste, fut celle de Turin en 1851 en faveur de l’église Saint François de Sales de Valdocco et la dernière, grandiose, au milieu des années 1880, fut celle pour faire face aux immenses dépenses de l’église et de l’Hospice du Sacré-Cœur de la gare Termini à Rome.
Une véritable histoire de ces loteries reste à écrire, bien que les sources ne manquent pas à cet égard. Ce n’est que pour la première, celle de 1851, que nous avons retrouvé une douzaine d’inédits. Grâce à elles, nous reconstituons son histoire tourmentée en deux épisodes.

La demande d’autorisation
Selon la loi du 24 février 1820 – modifiée par les brevets royaux de janvier 1835 et par les instructions de la Compagnie générale des finances royales du 24 août 1835, puis par les brevets royaux du 17 juillet 1845 – toute loterie nationale (Royaume de Sardaigne) devait faire l’objet d’une autorisation gouvernementale préalable.
Pour Don Bosco, il s’agissait avant tout d’avoir la certitude morale de réussir le projet. Il l’a eue grâce au soutien économique et moral des tout premiers bienfaiteurs : les nobles familles Callori et Fassati et le chanoine Anglesio de Cottolengo. Il se lance donc dans ce qui s’avérera être une authentique entreprise. En peu de temps, il réussit à mettre en place une commission d’organisation, composée au départ de seize personnalités, puis de vingt. Parmi elles, de nombreuses autorités civiles officiellement reconnues, comme un sénateur (nommé trésorier), deux adjoints au maire, trois conseillers municipaux ; puis des prêtres prestigieux comme les théologiens Pietro Baricco, adjoint au maire et secrétaire de la Commission, Giovanni Borel, aumônier de la cour, Giuseppe Ortalda, directeur de l’Opera Pia di Propaganda Fide, Roberto Murialdo, cofondateur du Collegio degli Artigianelli et de l’Association de charité ; enfin, des hommes d’expérience comme un ingénieur, un orfèvre réputé, un négociant en gros, etc. Tous des gens, pour la plupart propriétaires terriens, connus de Don Bosco et « proches » de l’œuvre du Valdocco.
La Commission terminée, Don Bosco transmet, début décembre 1851, la demande formelle à l’Intendant Général des Finances, le Chevalier Alessandro Pernati di Momo (futur Sénateur et Ministre de l’Intérieur du Royaume) ainsi qu’à un « ami » de l’œuvre du Valdocco.

L’appel aux dons
Il joint à la demande d’autorisation une circulaire très intéressante dans laquelle, après avoir retracé l’histoire émouvante de l’Oratoire – apprécié par la famille royale, les autorités gouvernementales et communales – il signale que la nécessité constante d’agrandir l’Œuvre du Valdocco pour accueillir de plus en plus de jeunes consomme les ressources économiques de la bienfaisance privée. C’est pourquoi, pour payer les frais d’achèvement de la nouvelle chapelle en construction, il a été décidé de faire appel à la charité publique par le biais d’une loterie de dons à offrir spontanément : « Ce moyen consiste en une loterie d’objets, que le soussigné a eu l’idée d’entreprendre pour couvrir les frais d’achèvement de la nouvelle chapelle, et à laquelle votre seigneurie voudra sans doute prêter son concours, réfléchissant à l’excellence de l’œuvre à laquelle elle s’adresse. Quel que soit l’objet que Votre Seigneurie voudra offrir, qu’il soit de soie, de laine, de métal ou de bois, qu’il soit l’oeuvre d’un artiste réputé, d’un modeste ouvrier, d’un artisan laborieux ou d’une dame charitable, tout sera accepté avec reconnaissance, parce qu’en matière de charité, chaque petit secours est une grande chose, et parce que les offrandes, même petites, d’un grand nombre peuvent suffire à achever l’oeuvre désirée ».
La circulaire indiquait également les noms des promoteurs à qui les dons pouvaient être remis et des personnes de confiance qui les recueillaient et les gardaient. Les 46 promoteurs comprenaient diverses catégories de personnes : professionnels, professeurs, imprésarios, étudiants, clercs, commerçants, marchands, prêtres ; par contre, parmi les quelque 90 promoteurs, les femmes de la noblesse (baronne, marquise, comtesse et leurs accompagnatrices) semblaient prédominer.
Elle ne manqua pas de joindre à la demande le « plan de la loterie » dans ses multiples aspects formels : collecte des objets, récépissé de livraison des objets, leur évaluation, billets authentifiés à vendre en nombre proportionnel au nombre et à la valeur des objets, leur exposition au public, tirage au sort des gagnants, publication des numéros tirés, heure de la collecte des lots, etc. Une série de tâches exigeantes auxquelles Don Bosco ne s’est pas soustrait. La chapelle de Pinardi ne suffisait plus à ses jeunes : il leur faut une église plus grande, celle prévue de Saint François de Sales (une douzaine d’années plus tard, il leur en faudra une autre encore plus grande, celle de Marie Auxiliatrice !)

Une réponse positive
Compte tenu du sérieux de l’initiative et de la grande « qualité » des membres de la Commission de proposition, la réponse de l’Intendance ne pouvait être que positive et immédiate. Le 17 décembre, le député-maire Pietro Baricco a transmis à Don Bosco le décret correspondant, en l’invitant à transmettre des copies des futurs actes formels de la loterie à l’administration municipale, responsable de la régularité de toutes les exigences légales. A ce moment-là, avant Noël, Don Bosco envoya la circulaire susmentionnée à l’imprimerie, la fit circuler et commença à recueillir des dons.
Il disposait de deux mois pour le faire, car d’autres loteries avaient lieu au cours de l’année. Mais les dons arrivaient lentement et, à la mi-janvier, Don Bosco se vit contraint de réimprimer la circulaire et de demander la collaboration de tous les jeunes du Valdocco et de leurs amis pour écrire des adresses, rendre visite aux bienfaiteurs connus, faire connaître l’initiative et collecter les dons.
Mais le meilleur reste à venir.

La salle d’exposition
Le Valdocco n’ayant pas d’espace pour exposer les dons, Don Bosco demanda à l’adjoint au maire Baricco, trésorier de la commission de la loterie, de demander au ministère de la Guerre trois salles dans la partie du couvent Saint-Dominique mise à la disposition de l’armée. Les pères dominicains acceptaient. Le ministre Alfonso Lamarmora les leur accorda le 16 janvier. Mais Don Bosco se rendit vite compte qu’elles ne seraient pas assez grandes et demanda au roi, par l’intermédiaire de l’aumônier, l’abbé Stanislao Gazzelli, une chambre plus grande. Le surintendant royal Pamparà lui répondit que le roi ne disposait pas de locaux adéquats et proposa de louer à ses frais un local pour le jeu du Trincotto (ou pallacorda : une sorte de tennis à main ante litteram). Ce local ne serait cependant disponible que pour le mois de mars et sous certaines conditions. Don Bosco refusa la proposition mais accepta les 200 lires offertes par le roi pour la location du local. Il se mit alors à la recherche d’une autre salle et en trouva une convenable sur la recommandation de la mairie, derrière l’église Saint-Dominique, à quelques centaines de mètres du Valdocco.

Arrivée des dons
Entre-temps, Don Bosco avait demandé au ministre des Finances, le célèbre comte Camillo Cavour, une réduction ou une exonération des frais de port pour les lettres circulaires, les billets et les cadeaux eux-mêmes. Par l’intermédiaire du frère du comte, le très religieux marquis Gustavo di Cavour, il obtient l’approbation de diverses réductions postales.
Il s’agissait maintenant de trouver un expert pour évaluer le montant des cadeaux et le nombre de billets à vendre. Don Bosco s’adressa à l’intendant et lui proposa aussi le nom : un orfèvre membre de la Commission. L’intendant, cependant, répondit par l’intermédiaire du maire en lui demandant une double copie des cadeaux reçus afin de nommer son propre expert. Don Bosco exécuta immédiatement la demande et le 19 février, l’expert évalua les 700 objets collectés à 4124,20 lires. Au bout de trois mois, on arriva à 1000 dons, au bout de quatre mois à 2000, jusqu’à la conclusion de 3251 dons, grâce à la « quête » continue de Don Bosco auprès des particuliers, des prêtres et des évêques et à ses demandes formelles répétées à la Commune de prolonger le délai pour le tirage. Don Bosco ne manqua pas non plus de critiquer l’estimation faite par l’assesseur municipal des dons qui arrivaient continuellement, qu’il disait inférieure à leur valeur réelle ; et de fait, d’autres assesseurs s’ajoutèrent, en particulier un peintre pour les œuvres d’art.
Le chiffre final est tel que Don Bosco est autorisé à émettre 99.999 billets au prix de 50 centimes l’unité. Au catalogue déjà imprimé des dons numérotés avec le nom du donateur et des promoteurs, on ajouta un supplément avec les derniers dons arrivés. Parmi eux, ceux du Pape, du Roi, de la Reine Mère, de la Reine Consort, des députés, des sénateurs, des autorités municipales, mais aussi de nombreuses personnes modestes, surtout des femmes, qui ont offert des objets ménagers et mobiliers, même de faible valeur (verre, encrier, bougie, carafe, tire-bouchon, bouchon, dé à coudre, ciseaux, lampe, mètre, pipe, porte-clés, savon, taille-crayon, sucrier). Les cadeaux les plus fréquents sont les livres (629) et les tableaux (265). Même les garçons du Valdocco ont rivalisé pour offrir leur propre petit cadeau, peut-être un livret offert par Don Bosco lui-même.

Un travail énorme jusqu’au tirage au sort
À ce moment-là, il fallait imprimer les billets en série progressive sous deux formes (petit talon et billet), les faire signer par deux membres de la commission, envoyer le billet avec une note, documenter l’argent collecté. De nombreux bienfaiteurs ont reçu des dizaines de billets, avec une invitation à les conserver ou à les transmettre à des amis et connaissances.
La date du tirage au sort, initialement fixée au 30 avril, fut reportée au 31 mai, puis au 30 juin, pour se tenir à la mi-juillet. Ce dernier report est dû à l’explosion de la poudrière de Borgo Dora qui a dévasté la région du Valdocco.
Pendant deux après-midi, les 12 et 13 juillet 1852, des billets sont tirés au sort sur le balcon de l’hôtel de ville. Quatre urnes à roue de couleurs différentes contenaient 10 balles (de 0 à 9) identiques et de la même couleur que la roue. Introduites une à une par l’adjoint au maire dans les urnes, puis tournées, huit jeunes gens de l’Oratoire effectuent l’opération et le numéro tiré est proclamé à haute voix puis publié dans la presse. De nombreux cadeaux ont été déposés à l’Oratoire, où ils ont été réutilisés par la suite.

Le jeu en valait-il la chandelle ?
Pour les quelque 74 000 billets vendus, après déduction des frais, il reste à Don Bosco environ 26 000 lires, qu’il partage à parts égales avec l’œuvre voisine de Cottolengo. Un petit capital certes (la moitié du prix d’achat de la maison Pinardi l’année précédente), mais le plus grand résultat du travail exténuant qu’il effectua pour réaliser la loterie – documenté par des dizaines de lettres souvent inédites – fut l’implication directe et sincère de milliers de personnes de toutes les classes sociales dans son « projet naissant du Valdocco » : en le faisant connaître, apprécier et ensuite soutenir économiquement, socialement et politiquement.
Don Bosco a eu recours à plusieurs reprises à des loteries, toujours dans un double but : collecter des fonds pour ses œuvres en faveur des garçons pauvres, pour les missions, et offrir aux croyants (et aux non-croyants) des moyens de pratiquer la charité, le moyen le plus efficace, comme il le répétait continuellement, pour « obtenir le pardon des péchés et s’assurer la vie éternelle ».

« J’ai toujours eu besoin de tous » Don Bosco

Au sénateur Giuseppe Cotta

Giuseppe Cotta, banquier, était un grand bienfaiteur de Don Bosco. La déclaration suivante sur papier timbré, datée du 5 février 1849, est conservée dans les archives : « Les prêtres soussignés T. Borrelli Gioanni de Turin et D. Bosco Gio’ di Castelnuovo d’Asti se déclarent débiteurs de trois mille francs envers le malheureux Cavaliere Cotta qui les leur a prêtés pour une œuvre pieuse. Cette somme doit être remboursée par les soussignés dans un an avec les intérêts légaux ». Signé Prêtre Giovanni Borel, D. Bosco Gio.

Au bas de la même page et à la même date, don Joseph Cafasso écrit : « Le soussigné remercie vivement très Illustre Mr le Chev. Cotta pour ce qui précède et se porte garant auprès de lui pour la somme mentionnée ». Au bas de la page, Cotta signe qu’il a reçu 2 000 lires le 10 avril 1849, 500 lires le 21 juillet 1849 et le solde le 4 janvier 1851.




Devenir un signe d’espérance en eSwatini – Lesotho – Afrique du Sud après 130 ans

Au cœur de l’Afrique australe, entre les beautés naturelles et les défis sociaux d’eSwatini, du Lesotho et de l’Afrique du Sud, les Salésiens célèbrent 130 ans de présence missionnaire. En ce temps de Jubilé, de Chapitre Général et d’anniversaires historiques, la Province d’Afrique du Sud partage ses signes d’espérance : la fidélité au charisme de Don Bosco, l’engagement éducatif et pastoral auprès des jeunes et la force d’une communauté internationale qui témoigne de la fraternité et de la résilience. Malgré les difficultés, l’enthousiasme des jeunes, la richesse des cultures locales et la spiritualité de l’Ubuntu continuent d’indiquer des chemins d’avenir et de communion.

Salutations fraternelles des Salésiens de la plus petite Visitatoria et de la plus ancienne présence dans la Région Afrique-Madagascar (les 5 premiers confrères ont été envoyés par Don Rua en 1896). Cette année, nous remercions les 130 SDB qui ont travaillé dans nos 3 pays et qui intercèdent maintenant pour nous au ciel. « Petit, c’est beau » !

Sur le territoire de l’AFM vivent 65 millions de personnes qui communiquent dans 12 langues officielles, parmi tant de merveilles de la nature et de grandes ressources du sous-sol. Nous sommes parmi les rares pays d’Afrique subsaharienne où les catholiques sont une petite minorité par rapport aux autres Églises chrétiennes, avec seulement 5 millions de fidèles.

Quels sont les signes d’espérance que nos jeunes et la société recherchent ?
En premier lieu, nous cherchons à dépasser les records mondiaux tristement célèbres du fossé croissant entre riches et pauvres (100 000 millionnaires contre 15 millions de jeunes chômeurs), du manque de sécurité et de la violence croissante dans la vie quotidienne, de l’effondrement du système éducatif, qui a produit une nouvelle génération de millions d’analphabètes, aux prises avec diverses dépendances (alcool, drogue…). De plus, 30 ans après la fin du régime d’apartheid en 1994, la société et l’Église sont encore divisées entre les différentes communautés en termes d’économie, d’opportunités et de nombreuses blessures non encore cicatrisées. En effet, la communauté du « Pays de l’Arc-en-ciel » est aux prises avec de nombreuses « lacunes » qui ne peuvent être « comblées » qu’avec les valeurs de l’Évangile.

Quels sont les signes d’espérance que cherche l’Église catholique en Afrique du Sud ?
En participant à la rencontre triennale « Joint Witness » des supérieurs religieux et des évêques en 2024, nous avons constaté de nombreux signes de déclin : moins de fidèles, manque de vocations sacerdotales et religieuses, vieillissement et diminution du nombre de religieux, certains diocèses en faillite, perte/diminution continue d’institutions catholiques (assistance médicale, éducation, œuvres sociales ou médias) en raison de la forte baisse des religieux et des laïcs engagés. La Conférence épiscopale catholique (SACBC – qui comprend le Botswana, l’eSwatini et l’Afrique du Sud) indique comme priorité l’assistance aux jeunes dépendants de l’alcool et d’autres substances diverses.

Quels sont les signes d’espérance que cherchent les Salésiens d’Afrique australe ?
Nous prions chaque jour pour de nouvelles vocations salésiennes, afin de pouvoir accueillir de nouveaux missionnaires. En effet, l’époque de la Province anglo-irlandaise (jusqu’en 1988) est révolue et le Projet Afrique ne comprenait pas la pointe sud du continent. Après 70 ans en eSwatini (Swaziland) et 45 ans au Lesotho, nous n’avons que 4 vocations locales de chaque Royaume. Aujourd’hui, nous n’avons que 5 jeunes confrères et 4 novices en formation initiale. Cependant, la plus petite Visitatoria d’Afrique-Madagascar, avec ses 7 communautés locales, est chargée de l’éducation et de la pastorale dans 6 grandes paroisses, 18 écoles primaires et secondaires, 3 centres de formation professionnelle (TVET) et divers programmes d’aide sociale. Notre communauté provinciale, avec ses 18 nationalités différentes parmi les 35 SDB qui vivent dans les 7 communautés, est un grand don et un défi à relever.

En tant que communauté catholique minoritaire et fragile d’Afrique australe
Nous croyons que la seule voie pour l’avenir est de construire plus de ponts et de communion entre les religieux et les diocèses. Plus nous sommes faibles, plus nous nous efforçons de travailler ensemble. Puisque toute l’Église catholique cherche à se concentrer sur les jeunes, Don Bosco a été choisi par les évêques comme Patron de la Pastorale des Jeunes et sa Neuvaine est célébrée avec ferveur dans la plupart des diocèses et des paroisses au début de l’année pastorale.

En tant que Salésiens et Famille Salésienne, nous nous encourageons constamment les uns les autres : « work in progress » (un travail constant)
Au cours des deux dernières années, après l’invitation du Recteur Majeur, nous avons cherché à relancer notre charisme salésien, avec la sagesse d’une vision et d’une direction commune (à partir de l’assemblée annuelle provinciale), avec une série de petits pas quotidiens dans la bonne direction et avec la sagesse de la conversion personnelle et communautaire.
Nous sommes reconnaissants pour l’encouragement de Don Pascual Chávez lors de notre récent Chapitre Provincial de 2024 : « Vous savez bien qu’il est plus difficile, mais non impossible, de « refonder » que de fonder [le charisme], car il y a des habitudes, des attitudes ou des comportements qui ne correspondent pas à l’esprit de notre Saint Fondateur, Don Bosco, et à son Projet de Vie, et qui ont « droit de cité » [dans la Province]. Il y a vraiment besoin d’une vraie conversion de chaque confrère à Dieu, en tenant l’Évangile comme règle suprême de vie, et de toute la Province à Don Bosco, en assumant les Constitutions comme véritable projet de vie. »

Le conseil de Don Pascual a été voté et l’engagement a été pris : « Devenir plus passionnés de Jésus et plus dédiés aux jeunes », en investissant dans la conversion personnelle (en créant un espace sacré dans notre vie, pour permettre à Jésus de la transformer), dans la conversion communautaire (en investissant dans la formation permanente systématique avec un thème mensuel) et dans la conversion provinciale (en promouvant la mentalité provinciale à travers « One Heart One Soul » – fruit de notre assemblée provinciale) et avec des rencontres mensuelles des directeurs en ligne.

Sur l’image-souvenir de notre Visitatoria « Bienheureux Michel Rua » on voit le visage de tous les 46 confrères et des 4 novices : 35 vivent dans nos 7 communautés, 7 sont en formation à l’étranger et 5 SDB sont en attente de visa : un aux Catacombes San Callisto et un missionnaire qui fait de la chimiothérapie en Pologne. Une bénédiction pour nous est le nombre croissant de confrères missionnaires qui sont envoyés par le Recteur Majeur ou pour une période spécifique par d’autres Provinces africaines pour nous aider (AFC, ACC, ANN, ATE, MDG et ZMB). Nous sommes très reconnaissants à chacun de ces jeunes confrères. Nous croyons qu’avec leur aide, notre espérance de relance charismatique devient tangible. Notre Visitatoria, la plus petite d’Afrique-Madagascar, après presque 40 ans de fondation, n’a pas encore de véritable maison provinciale. La construction a commencé, avec l’aide du Recteur Majeur, seulement l’année dernière. Ici aussi, nous disons : « travaux en cours » …

Nous voulons également partager nos humbles signes d’espérance avec toutes les 92 autres Provinces en cette période précieuse du Chapitre Général. L’AFM a une expérience unique de 31 ans de volontaires missionnaires locaux (impliqués dans la Pastorale des Jeunes du Centre des Jeunes Don Bosco de Johannesburg depuis 1994), et un programme Love Matters pour une croissance sexuelle saine des adolescents depuis 2001. Nos volontaires, engagés pendant une année entière dans la vie de notre communauté, sont des membres précieux de notre Mission et des nouveaux groupes de la Famille Salésienne qui se développent lentement (VDB, Salésiens Coopérateurs et Anciens Élèves de Don Bosco).

Notre maison-mère du Cap célébrera l’année prochaine son cent trentième (130e) anniversaire et, grâce au cent cinquantième (150e) anniversaire des Missions Salésiennes, nous avons réalisé, avec l’aide de la Province de Chine, une « Chambre à la Mémoire de Saint Louis Versiglia », où notre Protomartyr a passé une journée lors de son retour d’Italie en Chine-Macao en mai 1917.

Don Bosco « Ubuntu » – chemin synodal
« Nous sommes ici grâce à vous ! » – Ubuntu est l’une des contributions des cultures d’Afrique du Sud à la communauté mondiale. Le mot en langue Nguni signifie « Je suis parce que vous êtes » (« I’m because you are ! »). Autres traductions possibles : « J’existe parce que vous existez »). L’année dernière, nous avons entrepris le projet « Eco Ubuntu », unprojet de sensibilisation environnementale d’une durée de 3 ans qui implique environ 15 000 jeunes de nos 7 communautés en eSwatini, au Lesotho et en Afrique du Sud. Outre la splendide célébration et le partage du Synode des Jeunes 2024, nos 300 jeunes [qui ont participé] gardent surtout Ubuntu dans leurs souvenirs. Leur enthousiasme est une source d’inspiration. L’AFM a besoin de vous : Nous y sommes grâce à vous !

Marco Fulgaro




Don Bosco avec ses Salésiens

Si avec ses garçons Don Bosco plaisantait volontiers pour les voir gais et sereins, avec ses Salésiens il révélait aussi en plaisantant l’estime qu’il avait pour eux, le désir de les voir former avec lui une grande famille, pauvre certes, mais pleine de confiance en la Divine Providence, unie dans la foi et la charité.

Les fiefs de Don Bosco
En 1830, Marguerite Occhiena, veuve de François Bosco, fit le partage des biens hérités de son mari entre son beau-fils Antoine et ses deux fils Joseph et Jean. Il s’agissait, entre autres, de huit parcelles de terre en pré, champ et vigne. Nous ne savons rien de précis sur les critères suivis par Mamma Margherita pour répartir l’héritage paternel entre eux trois. Toutefois, parmi les terrains, il y avait un vignoble près des Becchi (à Bric dei Pin), un champ à Valcapone (ou Valcappone) et un autre à Bacajan (ou Bacaiau). Quoi qu’il en soit, ces trois terres constituaient les « fiefs » que Don Bosco appelait parfois, en plaisantant, sa propriété.
Les Becchi, comme nous le savons tous, est l’humble hameau où naquit Don Bosco ; Valcappone (ou Valcapone) était un lieu situé plus à l’est, sous la Serra di Capriglio, mais en bas de la vallée, dans la zone connue sous le nom de Sbaruau (= croquemitaine), parce qu’elle était très boisée avec quelques cabanes cachées parmi les branches qui servaient de lieu de stockage pour les blanchisseurs et de refuge pour les brigands. Bacajan (ou Bacaiau) était un champ situé entre les parcelles de Valcapone et de Morialdo. Voilà les « fiefs » de Don Bosco !
Les Mémoires biographiques racontent que Don Bosco avait l’habitude de conférer des titres de noblesse à ses collaborateurs laïcs. Il y avait donc le comte des Becchi, le marquis de Valcappone, le baron de Bacaiau, les trois terres qui faisaient partie de l’héritage de Don Bosco. « C’est avec ces titres qu’il appelait Rossi, Gastini, Enria, Pelazza, Buzzetti, non seulement à la maison mais aussi à l’extérieur, surtout lorsqu’il voyageait avec l’un d’entre eux » (MB VIII, 198-199).
Parmi ces « nobles » salésiens, nous savons avec certitude que le comte des Becchi (ou du Bricco del Pino) était Giuseppe Rossi, le premier salésien laïc, ou « coadjuteur », qui aima Don Bosco comme un fils très affectueux et lui resta fidèle pour toujours.
Un jour, Don Bosco se rendit à la gare de Porta Nuova et Giuseppe Rossi l’accompagnait en portant sa valise. Ils arrivèrent juste au moment où le train était sur le point de partir et où les wagons étaient bondés. Don Bosco, ne trouvant pas de place, se tourna vers Rossi et lui dit d’une voix forte : « Oh ! Monsieur le Comte, je regrette que vous ne puissiez pas vous asseoir !
– Oh ! Monsieur le Comte, je regrette que vous vous donniez tant de mal pour moi !
– N’y pensez pas, Don Bosco, c’est un honneur pour moi !
Des voyageurs aux fenêtres, entendant ces mots « Monsieur le Comte » et « Don Bosco », se regardèrent avec étonnement et l’un d’eux cria de la voiture :
– Don Bosco ! Monsieur le Comte ! Montez ici, il y a encore deux places !
– Mais je ne veux pas vous déranger, répondit Don Bosco.
– Montez donc ! C’est un honneur pour nous. Je vais enlever mes valises, vous aurez bien de la place !
Et c’est ainsi que le « Comte des Becchi » a pu monter dans le train avec Don Bosco et la valise.

Les pompes et une soupente
Don Bosco a vécu et est mort pauvre. Pour la nourriture, il se contentait de très peu. Même un verre de vin était déjà trop pour lui, et il l’édulcorait systématiquement avec de l’eau.
« Souvent, il oubliait de boire, absorbé par d’autres pensées, et c’était à ses voisins de table de verser le vin dans son verre. Et puis, si le vin était bon, il cherchait immédiatement de l’eau ‘pour le rendre meilleur’, disait-il. Et il ajoutait en souriant : « J’ai renoncé au monde et au diable, mais pas aux pompes », faisant allusion aux pompes qui tirent l’eau du puits (MB IV, 191-192).
Même pour l’hébergement, nous savons comment il a vécu. Le 12 septembre 1873, la Conférence générale des Salésiens se réunit pour réélire un économe et trois conseillers. À cette occasion, Don Bosco prononça des paroles mémorables et prophétiques sur le développement de la Congrégation. Puis, lorsqu’il en vint à parler du Chapitre Supérieur, qui semblait désormais avoir besoin d’une résidence convenable, il dit, au milieu de l’hilarité générale : « Si c’était possible, je voudrais faire une « soupente » au milieu de la cour, où le Chapitre pourrait être séparé de tous les autres mortels. Mais comme ses membres ont encore le droit d’être sur cette terre, ils peuvent rester ou ici, ou là, dans différentes maisons, selon ce qui leur semblera le mieux ! » (MB X, 1061-1062).

Otis, botis, pija tutis
Un jeune homme lui demanda un jour comment il connaissait l’avenir et devinait tant de choses secrètes. Il lui répondit :
– Écoute-moi. Le moyen est simple, et il s’explique par ces mots : Otis, botis, pija tutis. Sais-tu ce que ces mots signifient ?… Fais attention, ce sont des mots grecs et, en les épelant, il répétait : O-tis, bo-tis, pi-ja tu-tis. Tu comprends ?
– C’est une affaire sérieuse !
– Je le sais, moi aussi. Je n’ai jamais voulu manifester à qui que ce soit la signification de cette devise. Et personne ne le sait, et ne le saura jamais, parce qu’il ne me convient pas de le dire. C’est mon secret avec lequel je fais des choses extraordinaires, je lis dans les consciences, je connais les mystères. Mais si tu es malin, tu peux comprendre.
Et il répéta ces quatre mots, en pointant son index sur le front, la bouche, le menton, la poitrine du jeune homme. Il finit en lui donnant à l’improviste une petite gifle. Le jeune homme rit, mais insista :
– Traduisez-moi au moins ces quatre mots !
– Je peux les traduire, mais tu ne comprendras pas la traduction.
Et il lui dit en plaisantant, en dialecte piémontais :
– Quand ch’at dan ed bòte, pije tute (Quand on te donne des coups, prends-les tous) (MB VI, 424). Et il voulait dire par là que pour devenir saint, il faut accepter toutes les souffrances que la vie nous réserve.

Don Bosco, patron des rétameurs
Chaque année, les jeunes de l’Oratoire Saint-Léon de Marseille se rendaient à la villa de Monsieur Olive, généreux bienfaiteur des Salésiens. A cette occasion, le père et la mère servaient les supérieurs à table, et leurs enfants servaient les élèves.

En 1884, la sortie eut lieu pendant le séjour de Don Bosco à Marseille.
Alors que les élèves s’amusaient dans les jardins, la cuisinière toute préoccupée courut prévenir Madame Olive :
– Madame, la marmite de soupe des garçons fuit et il n’y a pas moyen d’y remédier. Ils devront se passer de soupe !
La patronne, qui avait une grande confiance en Don Bosco, eut une idée. Elle fit venir tous les jeunes :
– Ecoutez, leur dit-elle, si vous voulez manger la soupe, mettez-vous à genoux ici et récitez une prière à Don Bosco pour qu’il fasse rétamer la marmite.
Ils obéirent. La marmite cessa instantanément de fuir. Mais Don Bosco, entendant ce fait, rit de bon cœur en disant :
– Désormais, ils appelleront Don Bosco le patron des rétameurs (MB XVII, 55-56).




Le cardinal Auguste Hlond

Deuxième d’une famille de 11 enfants, il avait un père cheminot. Ayant reçu de ses parents une foi simple mais forte, attiré à l’âge de 12 ans par la renommée de Don Bosco, il suit son frère Ignace en Italie pour se consacrer au Seigneur dans la Société salésienne, et y attire bientôt deux autres frères : Antonio, qui deviendra salésien et musicien renommé, et Clément, qui sera missionnaire. Le lycée de Valsalice l’accueille pour ses études. Il fut ensuite admis au noviciat et reçut la soutane des mains du Bienheureux Michel Rua (1896). Ayant fait sa profession religieuse en 1897, il est envoyé par ses supérieurs à Rome à l’Université Grégorienne pour le cours de philosophie, qu’il couronna par un diplôme. De Rome, il retourne en Pologne pour faire son stage pratique au collège d’Oświęcim. Sa fidélité au système éducatif de Don Bosco, son engagement dans l’assistance et dans l’école, son dévouement pour les jeunes et son amabilité lui donnent un grand ascendant. Il se fait également rapidement remarquer pour ses talents musicaux.
Après avoir terminé ses études de théologie, il est ordonné prêtre le 23 septembre 1905 à Cracovie par Mgr Nowak. De 1905 à 2009, il suit les cours de la faculté des lettres des universités de Cracovie et de Lwow. En 1907, il est chargé de la nouvelle maison de Przemyśl (1907-1909), d’où il passe ensuite à la direction de la maison de Vienne (1909-1919). Là, son courage et ses capacités personnelles prirent encore plus d’ampleur en raison des difficultés particulières auxquelles l’institut était confronté dans la capitale impériale. Là, les vertus et le tact du père Auguste Hlond réussirent en peu de temps non seulement à redresser la situation économique, mais aussi à faire éclore des œuvres de jeunesse qui suscitèrent l’admiration de toutes les classes de la population. Son souci des pauvres, des ouvriers, des enfants du peuple lui attira l’affection des classes les plus humbles. Cher aux évêques et aux nonces apostoliques, il jouissait de l’estime des autorités et de la famille impériale elle-même. En reconnaissance de cette œuvre sociale et éducative, il reçut à trois reprises des distinctions honorifiques parmi les plus prestigieuses.
En 1919, lorsque le développement de la province austro-hongroise conseilla une division proportionnelle au nombre de maisons, les supérieurs nommèrent le père Hlond provincial de la province germano-hongroise, basée à Vienne (1919-1922), lui confiant le soin des confrères autrichiens, allemands et hongrois. En moins de trois ans, le jeune provincial ouvrit une douzaine de nouvelles présences salésiennes, qu’il forma dans l’esprit salésien le plus authentique, suscitant de nombreuses vocations.
Il était en pleine activité salésienne quand, en 1922, le Saint-Siège décida d’assurer le gouvernement de l’Église dans la Silésie polonaise, encore ensanglantée par les luttes politiques et nationales. Le pape Pie XI lui confia cette délicate mission en le nommant Administrateur Apostolique. Grâce à sa médiation entre Allemands et Polonais, naquit en 1925 le diocèse de Katowice, dont il devint l’évêque. En 1926, il devient archevêque de Gniezno et Poznań et primat de Pologne. L’année suivante, le pape le crée cardinal. En 1932, il fonde la Société du Christ pour les émigrés polonais, destinée à aider les nombreux compatriotes qui ont quitté le pays.
En mars 1939, il participe au conclave qui élit Pie XII. Le 1er septembre de la même année, les nazis envahissent la Pologne : c’est le début de la seconde Guerre mondiale. Le cardinal s’élève contre les violations des droits de l’homme et de la liberté religieuse commises par Hitler. Contraint à l’exil, il se réfugie en France, à l’abbaye d’Hautecombe, dénonçant la persécution des Juifs en Pologne. La Gestapo pénètre dans l’abbaye, l’arrête et le déporte à Paris. Le cardinal refuse catégoriquement de soutenir la formation d’un gouvernement polonais pro-nazi. Il est interné d’abord en Lorraine, puis en Westphalie. Libéré par les troupes alliées, il rentre dans son pays en 1945.
Dans la nouvelle Pologne libérée du nazisme, il découvre le communisme. Il défend courageusement les Polonais contre l’oppression marxiste athée, échappant même à plusieurs tentatives d’assassinat. Il meurt le 22 octobre 1948 d’une pneumonie, à l’âge de 67 ans. Des milliers de personnes ont assisté à ses funérailles.
Le cardinal Hlond était un homme vertueux, un exemple lumineux de religieux salésien et un pasteur généreux et austère, capable de visions prophétiques. Obéissant à l’Église et ferme dans l’exercice de son autorité, il a fait preuve d’une humilité héroïque et d’une constance sans équivoque dans les moments les plus difficiles. Il a cultivé la pauvreté et pratiqué la justice envers les pauvres et les nécessiteux. Les deux piliers de sa vie spirituelle, à l’école de saint Jean Bosco, étaient l’Eucharistie et Marie Auxiliatrice.
Dans l’histoire de l’Église de Pologne, le cardinal Auguste Hlond a été l’une des figures les plus éminentes pour le témoignage religieux de sa vie, pour la grandeur, la variété et l’originalité de son ministère pastoral, pour les souffrances qu’il a affrontées avec un esprit chrétien intrépide à cause du Royaume de Dieu. L’ardeur apostolique a caractérisé le travail pastoral et la physionomie spirituelle du Vénérable Auguste Hlond, qui a pris comme devise épiscopale Da mihi animas coetera tolle. Es vrai fils de saint Jean Bosco, il l’a confirmée par sa vie d’homme consacré et d’évêque, en témoignant d’une infatigable charité pastorale.
Il faut rappeler son grand amour pour la Vierge, appris dans sa famille, et la grande dévotion du peuple polonais pour la Mère de Dieu, vénérée dans le sanctuaire de Częstochowa. En outre, depuis Turin, où il a commencé son parcours de salésien, il a diffusé le culte de Marie Auxiliatrice en Pologne et a consacré la Pologne au Cœur Immaculé de Marie. Sa confiance en Marie l’a toujours soutenu dans l’adversité et à l’heure de sa dernière rencontre avec le Seigneur. Il est mort avec le chapelet dans les mains, en disant aux personnes présentes que la victoire, lorsqu’elle arrivera, sera la victoire de Marie Immaculée.
Le Vénérable cardinal Auguste Hlond est un témoin singulier de la nécessité d’accepter chaque jour le chemin de l’Évangile, même s’il nous apporte des problèmes, des difficultés, voire des persécutions : c’est cela la sainteté. « Jésus nous rappelle combien de personnes sont persécutées et ont été persécutées simplement parce qu’elles luttaient pour la justice, parce qu’elles vivaient leurs engagements envers Dieu et envers les autres. Si nous ne voulons pas sombrer dans une médiocrité obscure, ne prétendons pas à une vie confortable, car ‘celui qui veut sauver sa vie la perdra’ » (Mt 16,25). Nous ne pouvons pas attendre, pour vivre l’Évangile, que tout soit favorable autour de nous, car souvent les ambitions de pouvoir et les intérêts mondains jouent contre nous… La croix, en particulier les fatigues et les souffrances que nous endurons pour vivre le commandement de l’amour et le chemin de la justice, est une source de maturation et de sanctification » (François, Gaudete et Exsultate, nn. 90-92).




Don Jose-Luis Carreno, missionnaire salésien

Don José Luis Carreño (1905-1986) a été décrit par l’historien Joseph Thekkedath comme « le salésien le plus aimé du sud de l’Inde » dans la première partie du XXe siècle. Partout où il a vécu – que ce soit en Inde britannique, dans la colonie portugaise de Goa, aux Philippines ou en Espagne – nous trouvons des salésiens qui gardent avec affection sa mémoire. Mais, chose étrange, nous ne disposons pas encore d’une biographie adéquate de ce grand salésien, à l’exception de la volumineuse lettre mortuaire rédigée par Don José Antonio Rico : « José Luis Carreño Etxeandía, ouvrier de Dieu ». Nous espérons que cette lacune pourra bientôt être comblée. Don Carreño a été l’un des artisans de la région Asie du Sud, et nous ne pouvons pas nous permettre de l’oublier.

José-Luis Carreño Etxeandía est né à Bilbao, en Espagne, le 23 octobre 1905. Orphelin de mère à l’âge de huit ans, il fut accueilli dans la maison salésienne de Santander. En 1917, à l’âge de douze ans, il entra à l’aspirantat de Campello. Il se souvient qu’à cette époque « on ne parlait pas beaucoup de Don Bosco… Mais pour nous, Don Binelli était un Don Bosco, sans parler de Don Rinaldi, alors Préfet Général, dont les visites nous laissaient une sensation surnaturelle, comme lorsque les messagers de Yahweh visitèrent la tente d’Abraham ».
Après le noviciat et le post-noviciat, il effectua son stage comme assistant des novices. Il devait être un clerc brillant, car Don Pedro Escursell écrit de lui au Recteur Majeur : « Je parle en ce moment même avec l’un des clercs modèles de cette maison. Il est assistant dans la formation du personnel de cette Province ; il me dit qu’il demande depuis longtemps à être envoyé en mission et qu’il a renoncé à le demander parce qu’il ne reçoit pas de réponse. C’est un jeune homme d’une grande valeur intellectuelle et morale. »
À la veille de son ordination sacerdotale, en 1932, le jeune José-Luis écrivit directement au Recteur Majeur, s’offrant pour les missions. L’offre fut acceptée, et il fut envoyé en Inde, où il débarqua à Mumbai en 1933. À peine un an plus tard, lorsque la Province de l’Inde du Sud fut érigée, il fut nommé maître des novices à Tirupattur : il avait à peine 28 ans. Avec ses extraordinaires qualités d’esprit et de cœur, il devint rapidement l’âme de la maison et laissa une profonde impression sur ses novices. « Il nous a conquis avec son cœur paternel », écrit l’un d’eux, l’archevêque Hubert D’Rosario de Shillong.
Don Joseph Vaz, un autre novice, racontait souvent comment Carreño s’était rendu compte qu’il tremblait de froid pendant une conférence. « Attends un instant, hombre », dit le maître des novices, et il sortit. Peu après, il revint avec un pull bleu qu’il donna à Joe. Joe remarqua que le pull était étrangement chaud. Puis il se rappela que sous sa soutane, son maître portait quelque chose de bleu… qui n’était plus là. Carreño lui avait donné son propre pull.
En 1942, lorsque le gouvernement britannique en Inde interna tous les étrangers des pays en guerre avec la Grande-Bretagne, Carreño ne fut pas inquiété, étant citoyen d’un pays neutre. En 1943, il reçut un message via Radio Vatican : il devait prendre la place de Don Eligio Cinato, inspecteur de la province de l’Inde du Sud, lui aussi interné. À la même période, l’archevêque salésien Louis Mathias de Madras-Mylapore l’invita à être son vicaire général.
En 1945, il fut officiellement nommé inspecteur, fonction qu’il occupa de 1945 à 1951. L’un de ses tout premiers actes fut de consacrer la Province au Sacré-Cœur de Jésus. De nombreux salésiens étaient convaincus que la croissance extraordinaire de la Province du Sud était due précisément à ce geste. Sous la direction de Don Carreño, les œuvres salésiennes doublèrent. L’un de ses actes les plus clairvoyants fut le lancement d’un collège universitaire dans le village reculé et pauvre de Tirupattur. Le Sacred Heart College finirait par transformer tout le district.
Carreño fut également le principal artisan de l’« indianisation » du visage salésien en Inde, cherchant dès le début des vocations locales, au lieu de s’appuyer exclusivement sur les missionnaires étrangers. Un choix qui s’avéra providentiel : d’abord, parce que le flux de missionnaires étrangers cessa, il s’interrompit pendant la guerre ; ensuite, parce que l’Inde indépendante décida de ne plus accorder de visas aux nouveaux missionnaires étrangers. « Si aujourd’hui les salésiens en Inde sont plus de deux mille, le mérite de cette croissance doit être attribué aux politiques initiées par Don Carreño », écrit Don Thekkedath dans son histoire des salésiens en Inde.
Don Carreño, comme nous l’avons dit, n’était pas seulement inspecteur, mais aussi vicaire de Mgr Mathias. Ces deux grands hommes, qui s’estimaient profondément, étaient cependant très différents de tempérament. L’archevêque était partisan de mesures disciplinaires sévères envers les confrères en difficulté, tandis que Don Carreño préférait des procédures plus douces. Le visiteur extraordinaire, Don Albino Fedrigotti, semble avoir donné raison à l’archevêque, qualifiant Don Carreño d’« excellent religieux, un homme au grand cœur », mais aussi « un peu trop poète ».
On ne manqua pas non plus de l’accuser d’être un mauvais administrateur, mais il est significatif qu’une figure comme Don Aurelio Maschio, grand procureur et architecte des œuvres salésiennes de Mumbai, ait rejeté avec décision cette accusation. En réalité, Don Carreño était un innovateur et un visionnaire. Certaines de ses idées – comme celle d’impliquer des volontaires non salésiens pour un service de quelques années – étaient, à l’époque, regardées avec suspicion, mais aujourd’hui elles sont largement acceptées et activement promues.
En 1951, à la fin de son mandat officiel d’inspecteur, on demanda à Carreño de rentrer en Espagne pour s’occuper des Salésiens Coopérateurs. Ce n’était pas la vraie raison de son départ, après dix-huit ans en Inde, mais Carreño accepta avec sérénité, même si ce ne fut pas sans douleur.
En 1952, on lui demanda d’aller à Goa, où il resta jusqu’en 1960. « Goa fut un coup de foudre », écrivit-il dans Urdimbre en el telar. Goa, de son côté, l’accueillit dans son cœur. Il poursuivit la tradition des salésiens qui servaient comme directeurs spirituels et confesseurs du clergé diocésain, et fut même le patron de l’association des écrivains de langue konkani. Surtout, il gouverna la communauté de Don Bosco Panjim avec amour, prit soin avec une paternité extraordinaire des nombreux garçons pauvres et, encore une fois, se dédia activement à la recherche de vocations à la vie salésienne. Les premiers salésiens de Goa – des personnes comme Thomas Fernandes, Elias Diaz et Romulo Noronha – racontaient avec les larmes aux yeux comment Carreño et d’autres passaient par le Goa Medical College, juste à côté de la maison salésienne, pour donner leur sang et ainsi obtenir quelques roupies avec lesquelles acheter des vivres et d’autres biens pour les garçons.
En 1961 eut lieu l’action militaire indienne avec l’annexion de Goa. À ce moment-là, Don Carreño se trouvait en Espagne et ne put plus retourner dans sa terre bien-aimée. En 1962, il fut envoyé aux Philippines comme maître des novices. Il n’accompagna que trois groupes de novices, car en 1965, il demanda à rentrer en Espagne. À l’origine de sa décision, il y avait une sérieuse divergence de vision entre lui et les missionnaires salésiens venant de Chine, et spécialement avec Don Carlo Braga, supérieur de la Visitatoria. Carreño s’opposa avec force à la politique d’envoyer les jeunes salésiens philippins nouvellement profès à Hong Kong pour les études de philosophie. Il se trouva que, finalement, les supérieurs acceptèrent la proposition de retenir les jeunes salésiens aux Philippines, mais à ce moment-là, la demande de Carreño de rentrer dans son pays avait déjà été acceptée.
Don Carreño ne passa que quatre ans aux Philippines, mais là aussi, comme en Inde, il laissa une empreinte indélébile, « une contribution incommensurable et cruciale à la présence salésienne aux Philippines », selon les mots de l’historien salésien Nestor Impelido.
De retour en Espagne, il a collaboré avec les Procures Missionnaires de Madrid et de New Rochelle, et à l’animation des provinces ibériques. Beaucoup en Espagne se souviennent encore du vieux missionnaire qui visitait les maisons salésiennes, contaminant les jeunes avec son enthousiasme missionnaire, ses chansons et sa musique.
Mais dans son imagination créative, un nouveau projet prenait forme. Carreño se consacra de tout son cœur au rêve de fonder un Pueblo Misionero avec deux objectifs : préparer de jeunes missionnaires – principalement originaires d’Europe de l’Est – pour l’Amérique latine ; et offrir un refuge aux missionnaires « retraités » comme lui, qui pourraient également servir de formateurs. Après une longue et douloureuse correspondance avec les supérieurs, le projet prit finalement forme dans l’Hogar del Misionero à Alzuza, à quelques kilomètres de Pampelune. La composante vocationnelle missionnaire ne décolla jamais, et très peu de missionnaires âgés rejoignirent effectivement Carreño. Son principal apostolat durant ces dernières années resta celui de la plume. Il laissa plus de trente livres, dont cinq dédiés au Saint-Suaire, auquel il était particulièrement attaché.
Don José-Luis Carreño est décédé en 1986 à Pampelune, à l’âge de 81 ans. Malgré les hauts et les bas de sa vie, ce grand amoureux du Sacré-Cœur de Jésus put affirmer, lors du jubilé d’or de son ordination sacerdotale : « Si il y a cinquante ans ma devise de jeune prêtre était ‘Le Christ est tout’, aujourd’hui, vieux et submergé par son amour, je l’écrirais en lettres d’or, car en réalité LE CHRIST EST TOUT ».

Don Ivo COELHO, sdb




Maison Salésienne de Castel Gandolfo

Entre les vertes collines des Castelli Romani et les eaux tranquilles du lac Albano, se dresse un lieu où l’histoire, la nature et la spiritualité se rencontrent de manière singulière : Castel Gandolfo. Dans ce contexte riche en mémoire impériale, en foi chrétienne et en beauté paysagère, la présence salésienne représente un point d’ancrage d’accueil, de formation et de vie pastorale. La Maison Salésienne, avec son activité paroissiale, éducative et culturelle, poursuit la mission de saint Jean Bosco, offrant aux fidèles et aux visiteurs une expérience d’Église vivante et ouverte, immergée dans un environnement qui invite à la contemplation et à la fraternité. C’est une communauté qui, depuis près d’un siècle, marche au service de l’Évangile au cœur même de la tradition catholique.

Un lieu béni par l’histoire et la nature
Castel Gandolfo est un joyau des Castelli Romani, situé à environ 25 km de Rome, immergé dans la beauté naturelle des Collines d’Albano et surplombant le suggestif lac Albano. À environ 426 mètres d’altitude, ce lieu se distingue par son climat doux et accueillant, un microclimat qui semble préparé par la Providence pour accueillir ceux qui cherchent le repos, la beauté et le silence.

Déjà à l’époque romaine, ce territoire faisait partie de l’Albanum Caesaris, un ancien domaine impérial fréquenté par les empereurs depuis l’époque d’Auguste. Cependant, ce fut l’empereur Tibère qui, le premier, y résida de manière stable, tandis que plus tard Domitien y fit construire une splendide villa, dont les vestiges sont aujourd’hui visibles dans les jardins pontificaux. L’histoire chrétienne du lieu commence avec la donation de Constantin à l’Église d’Albano : un geste qui marque symboliquement le passage de la gloire impériale à la lumière de l’Évangile.

Le nom Castel Gandolfo dérive du latin Castrum Gandulphi, le château construit par la famille Gandolfi au XIIe siècle. Lorsque le château passa au Saint-Siège en 1596, il devint la résidence d’été des Pontifes, et le lien entre ce lieu et le ministère du Successeur de Pierre devint profond et durable.

La « Specola Vaticana » : contempler le ciel, louer le Créateur
L’observatoire astronomique du Vatican, fondé par le pape Léon XIII en 1891 et transféré dans les années 1930 à Castel Gandolfo en raison de la pollution lumineuse de Rome, revêt une importance spirituelle particulière. Elle témoigne de la manière dont la science, lorsqu’elle est orientée vers la vérité, conduit à louer le Créateur.
Au fil des ans, la Specola a contribué à des projets astronomiques majeurs tels que la Carte du Ciel et à la découverte de nombreux objets célestes.

Avec la détérioration continue des conditions d’observation, même dans les Castelli Romani, l’activité scientifique s’est principalement déplacée dans les années 1980 vers l’Observatoire du Mont Graham en Arizona (USA), où le Vatican Observatory Research Group poursuit ses recherches astrophysiques. Castel Gandolfo reste cependant un centre d’études important. Depuis 1986, il accueille tous les deux ans la Vatican Observatory Summer School, dédiée aux étudiants et diplômés en astronomie du monde entier. La Specola organise également des conférences spécialisées, des événements de vulgarisation, des expositions de météorites et des présentations de matériaux historiques et artistiques sur le thème astronomique, le tout dans un esprit de recherche, de dialogue et de contemplation du mystère de la création.

Une église au cœur de la ville et de la foi
Au XVIIe siècle, le pape Alexandre VII confia à Gian Lorenzo Bernini la construction d’une chapelle palatine pour les employés des Villas Pontificales. Le projet, initialement conçu en l’honneur de saint Nicolas de Bari, fut finalement dédié à saint Thomas de Villeneuve, religieux augustin canonisé en 1658. L’église fut consacrée en 1661 et confiée aux Augustins, qui la gérèrent jusqu’en 1929. Avec la signature des Accords du Latran, le pape Pie XI confia aux Augustins la charge pastorale de la nouvelle Paroisse Pontificale de Sant’Anna au Vatican, tandis que l’église de San Tommaso da Villanova fut ensuite confiée aux Salésiens.

La beauté architecturale de cette église, fruit du génie baroque, est au service de la foi et de la rencontre entre Dieu et l’homme. De nombreux mariages, baptêmes et liturgies y sont célébrés aujourd’hui, attirant des fidèles du monde entier.

La maison salésienne
Les Salésiens sont présents à Castel Gandolfo depuis 1929. À cette époque, le village connut un développement notable, tant démographique que touristique, également grâce au début des célébrations papales dans l’église Saint-Thomas-de-Villeneuve. Chaque année, lors de la solennité de l’Assomption, le pape célébrait la Sainte Messe dans la paroisse pontificale, une tradition initiée par saint Jean XXIII le 15 août 1959, lorsqu’il sortit à pied du Palais Pontifical pour célébrer l’Eucharistie parmi le peuple. Cette coutume s’est maintenue jusqu’au pontificat du pape François, qui a interrompu les séjours estivaux à Castel Gandolfo. En 2016, en effet, l’ensemble du complexe des Villas Pontificales a été transformé en musée et ouvert au public.

La maison salésienne a fait partie de l’Inspection Romaine et, de 2009 à 2021, de la Circonscription Salésienne Italie Centrale. Depuis 2021, elle est passée sous la responsabilité directe du Siège Central, avec un directeur et une communauté nommés par le Recteur Majeur. Actuellement, les salésiens présents proviennent de différentes nations (Brésil, Inde, Italie, Pologne) et sont actifs dans la paroisse, les aumôneries et l’oratoire.

Les espaces pastoraux, bien qu’appartenant à l’État de la Cité du Vatican et donc considérés comme des zones extraterritoriales, font partie du diocèse d’Albano- Les salésiens participent activement à la vie pastorale de ce diocèse. Ils sont impliqués dans la catéchèse diocésaine pour adultes, dans l’enseignement à l’école théologique diocésaine, et au Conseil Presbytéral en tant que représentants de la vie consacrée.

Outre la paroisse Saint-Thomas-de-Villeneuve, les Salésiens gèrent également deux autres églises : Marie-Auxiliatrice (également appelée « Saint-Paul », du nom du quartier) et Madone-du-Lac, voulue par saint Paul VI. Toutes deux furent construites entre les années 1960-1970 pour répondre aux besoins pastoraux d’une population en croissance.

L’église paroissiale conçue par Bernini est aujourd’hui la destination de nombreux mariages et baptêmes célébrés par des fidèles du monde entier. Chaque année, avec les autorisations nécessaires, des dizaines, parfois des centaines de célébrations y ont lieu.

Le curé est responsable de la communauté paroissiale, mais également aumônier des Villas Pontificales et il accompagne spirituellement les employés du Vatican qui y travaillent.

L’oratoire, actuellement géré par des laïcs, voit l’implication directe des Salésiens, notamment dans la catéchèse. Lors des week-ends, des fêtes et des activités estivales comme l’Estate Ragazzi, des étudiants salésiens résidant à Rome y collaborent également, offrant un précieux soutien. Près de l’église Marie-Auxiliatrice existe également un théâtre actif, avec des groupes paroissiaux qui organisent des spectacles, lieu de rencontre, de culture et d’évangélisation.

Vie pastorale et traditions
La vie pastorale est rythmée par les principales fêtes de l’année : saint Jean Bosco en janvier, Marie Auxiliatrice en mai avec une procession dans le quartier San Paolo, la fête de la Madonna del Lago – et donc la fête du Lac – le dernier samedi d’août, avec la statue portée en procession sur une barque sur le lac. Cette dernière célébration implique de plus en plus les communautés environnantes, attirant de nombreux participants, dont de nombreux motards, avec lesquels on a commené d’organiser des moments de rencontre.

Le premier samedi de septembre, la fête patronale de Castel Gandolfo est célébrée en l’honneur de saint Sébastien, avec une grande procession en ville. La dévotion à saint Sébastien remonte à 1867, lorsque la ville fut épargnée par une épidémie qui frappa durement les villages voisins. Bien que la mémoire liturgique tombe le 20 janvier, la fête locale est célébrée en septembre, à la fois en souvenir de la protection obtenue et pour des raisons climatiques et pratiques.

Le 8 septembre on célèbre le patron de l’église, saint Thomas de Villeneuve, coïncidant avec la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie. À cette occasion a également lieu la fête des familles, destinée aux couples qui se sont mariés dans l’église de Bernini : elles sont invitées à revenir pour une célébration communautaire, une procession et un moment convivial. L’initiative a eu d’excellents résultats et se consolide au fil du temps.

Une curiosité : la boîte aux lettres
À côté de l’entrée de la maison salésienne se trouve une boîte aux lettres, connue sous le nom de « Boîte des correspondances », considérée comme la plus ancienne encore en usage. Elle remonte en effet à 1820, vingt ans avant l’introduction du premier timbre au monde, le célèbre Penny Black (1840). C’est une boîte officielle des Postes Italiennes toujours active, mais aussi un symbole éloquent : une invitation à la communication, au dialogue, à l’ouverture du cœur. Le retour du pape Léon XIV à sa résidence d’été l’augmentera sûrement.

Castel Gandolfo reste un lieu où le Créateur parle à travers la beauté de la création, la Parole proclamée et le témoignage d’une communauté salésienne qui, dans la simplicité du style de Don Bosco, continue d’offrir accueil, formation, liturgie et fraternité, rappelant à ceux qui fréquentent ces lieux en quête de paix et de sérénité que la vraie paix et sérénité ne se trouvent qu’en Dieu et dans sa grâce.




Don Bosco et l’église du Saint-Suaire

La Santa Sindone (Saint Linceul) de Turin, improprement appelée Saint Suaire en français, appartenait à la Maison de Savoie depuis 1463, et fut transférée de Chambéry à Turin, la nouvelle capitale, en 1578.
            C’est cette même année qu’eut lieu la première Ostension, voulue par Emmanuel-Philibert en hommage au cardinal Carlo Borromeo, venu en pèlerinage à Turin pour la vénérer.

Les ostensions du XIXe siècle et le culte du Saint-Suaire
            Au XIXe siècle, les ostensions eurent lieu en 1815, 1842, 1868 et 1898. La première eut lieu lors du retour de la Maison de Savoie dans ses États, la deuxième pour le mariage de Victor-Emmanuel II avec Marie-Adélaïde de Habsbourg-Lorraine, la troisième pour le mariage d’Humbert Ier avec Marguerite de Savoie-Gênes, et la quatrième lors de l’Exposition universelle.
            Les saints turinois du XIXe siècle (Cottolengo, Cafasso et Don Bosco) avaient une grande dévotion envers le Saint-Suaire, à l’instar du bienheureux Sebastiano Valfré, apôtre de Turin pendant le siège de 1706.
            Les Mémoires biographiques nous assurent que Don Bosco l’a vénéré en particulier lors de l’Ostension de 1842. À l’occasion de celle de 1868, il emmena avec lui les garçons de l’oratoire pour le voir (MB II, 117 ; IX, 137).
            Aujourd’hui, l’inestimable toile, offerte par Humbert II de Savoie au Saint-Siège, est confiée à l’archevêque de Turin, « gardien pontifical », et conservée dans la somptueuse chapelle Guarini, derrière la cathédrale.
            À Turin, on trouve également, via Piave, à l’angle de via San Domenico, la Chiesa del Santo Sudario, construite par la confrérie du même nom et reconstruite en 1761. À côté de l’église se trouve le musée du Saint-Suaire et le siège de la Sodalité Cultores Sanctae Sindonis, un centre d’études auquel des savants salésiens ont apporté leur précieuse contribution, notamment le Père Noël Noguier de Malijay, Don Antonio Tonelli, Don Alberto Caviglia, Don Pietro Scotti et, plus récemment, Don Pietro Rinaldi et Don Luigi Fossati, pour n’en citer que les principaux.

L’église du Saint-Suaire à Rome
            Une église du « Santo Sudario » existe également à Rome, le long de la rue du même nom, qui va du Largo Argentina parallèlement au Corso Vittorio. Érigée en 1604 sur un projet de Carlo di Castellamonte, c’était l’église des Piémontais, des Savoyards et des Niçois, construite par la Confraternité du Saint-Suaire qui avait vu le jour à Rome à cette époque. Après 1870, elle devint l’église particulière de la Maison de Savoie.
            Pendant ses séjours à Rome, Don Bosco célébra plusieurs fois la messe dans cette église. Pour cette église et pour la maison adjacente il élabora un projet conforme au but de la confrérie alors disparue : se consacrer à des œuvres de charité en faveur de la jeunesse abandonnée, des malades et des prisonniers.
            La confrérie avait cessé ses activités au début du siècle et la propriété et l’administration de l’église avaient été transférées à la Légation sarde auprès du Saint-Siège. Dans les années 1860, l’église nécessitait d’importants travaux de rénovation, à tel point qu’en 1868 elle fut temporairement fermée.
            Mais dès 1867, Don Bosco avait eu l’idée de proposer au gouvernement de lui céder l’usage et l’administration de l’église, en offrant sa collaboration en argent pour achever les travaux de restauration. Prévoyant peut-être l’entrée prochaine des troupes piémontaises à Rome, il souhaitait y ouvrir une maison. Il pensa pouvoir le faire avant que la situation ne se précipite, rendant plus difficile l’obtention de l’approbation du Saint-Siège et le respect des accords par l’État (MB IX, 415-416).
            Il présenta alors la demande au gouvernement. En 1869, lors de son passage à Florence, il prépara un projet d’accord qu’il présenta à Pie IX en arrivant à Rome. Ayant obtenu l’assentiment de ce dernier, il passa à la demande officielle au ministère des Affaires étrangères. Malheureusement, l’occupation de Rome vint alors compromettre toute l’affaire. Don Bosco lui-même se rendit compte de l’inopportunité d’insister. En effet, qu’une congrégation religieuse ayant sa maison-mère à Turin prenne en charge, à cette époque, une église romaine appartenant à la Maison de Savoie, aurait pu apparaître comme un acte d’opportunisme et de servilité à l’égard du nouveau gouvernement.
            En 1874, Don Bosco tâta de nouveau le terrain auprès du gouvernement. Mais, malheureusement, des nouvelles intempestives diffusées par les journaux mirent définitivement fin au projet (MB X, 1233-1235).
            Quant à nous, il nous plaît de rappeler que Don Bosco a jeté les yeux sur cette église du Saint-Suaire, à la recherche d’une occasion favorable pour ouvrir une maison à Rome.




La dixième colline (1864)

Le rêve de la « Dixième Colline », raconté par Don Bosco en octobre 1864, est l’une des pages les plus évocatrices de la tradition salésienne. Dans ce rêve, le saint se retrouve dans une immense vallée remplie de jeunes : certains sont déjà à l’Oratoire, d’autres sont encore à rencontrer. Guidé par une voix mystérieuse, il doit les conduire au-delà d’un escarpement abrupt, puis à travers dix collines, symboles des dix commandements, vers une lumière qui préfigure le Paradis. Le char de l’Innocence, les cohortes pénitentielles et la musique céleste dessinent une fresque éducative : elles montrent la difficulté de préserver la pureté, la valeur du repentir et le rôle irremplaçable des éducateurs. Avec cette vision prophétique, Don Bosco anticipe l’expansion mondiale de son œuvre et son engagement à accompagner chaque jeune sur le chemin du salut.

            Don Bosco avait rêvé la nuit précédente. Au même moment, un jeune de Casal Monferrato, un certain C. E., fit lui aussi le même rêve au cours duquel il avait l’impression d’être avec Don Bosco et de lui parler. En se levant le matin, il était tellement impressionné qu’il alla raconter son rêve à son professeur, qui le pressa d’aller en parler à Don Bosco. Le jeune alla aussitôt et tomba sur lui au moment où il descendait l’escalier pour le chercher et lui raconter la même chose.
            Don Bosco avait eu l’impression de se trouver dans une immense vallée remplie de milliers et de milliers de jeunes, mais tellement nombreux qu’il ne pensait pas pouvoir en trouver un si grand nombre dans le monde entier. Parmi ces jeunes, il distinguait tous ceux qui avaient été et ceux qui étaient dans la maison. Tous les autres étaient ceux qui viendraient peut-être plus tard. Au milieu des jeunes il y avait les prêtres et les clercs de la maison.
            Une côte très élevée fermait la vallée d’un côté. Tandis que Don Bosco réfléchissait à ce qu’il devait faire de tous ces jeunes, une voix lui dit :
            – Tu vois cette côte ? Eh bien, toi et tes jeunes, vous devez grimper jusqu’au sommet.
            Alors Don Bosco donna l’ordre à tous ces jeunes de se diriger vers le point indiqué. Les jeunes se mirent en marche et, au pas de course, gravirent la pente. Les prêtres de la maison coururent également vers le haut, poussant les jeunes pour les faire avancer, relevant ceux qui tombaient et portant sur leurs épaules ceux qui étaient fatigués et ne pouvaient pas marcher. Don Rua avait retroussé les manches de sa soutane et travaillait plus fort que tous les autres. Il prenait même les jeunes deux par deux et les lançait en l’air sur la côte, sur laquelle ils tombaient sur leurs pieds, puis couraient allègrement de-ci de-là. Don Cagliero et Don Francesia parcouraient les rangs en criant :
            – Courage ! En avant, en avant, courage !
            En peu de temps, ces troupes de jeunes atteignirent le sommet de la côte. Don Bosco était monté à son tour et dit :
            – Et maintenant, qu’allons-nous faire ?
            Et la voix ajouta :
            – Tu dois franchir avec tes jeunes ces dix collines que tu vois devant toi l’une après l’autre.
            – Mais comment tous ces jeunes, si petits et si délicats, pourront-ils supporter un si long voyage ?
            – On portera ceux qui ne pourront pas aller avec leurs jambes, lui répondit-on.
            Et voici qu’à l’une des extrémités de la colline on vit apparaître et monter un chariot magnifique. Il est impossible de le décrire, tant il était beau, mais on peut tout de même en dire quelque chose. Il était triangulaire et avait trois roues qui se déplaçaient dans toutes les directions. Des trois angles partaient trois perches qui se rejoignaient en un point au-dessus du char, formant une sorte de tonnelle. Sur ce point de jonction s’élevait un magnifique étendard sur lequel était écrit en grosses lettres : Innocentia. Il y avait aussi une bande qui faisait le tour du chariot, marquant le bord et portant l’inscription : Adjutorio Dei Altissimi Patris et Filii et Spiritus Sancti (sous la protection du Dieu Très-Haut, Père et Fils et Saint-Esprit).
            Le chariot, resplendissant d’or et de pierres précieuses, s’avança et s’arrêta au milieu des jeunes. Au commandement, beaucoup d’enfants montèrent dessus. Ils étaient 500. Cinq cents sur plusieurs milliers étaient encore innocents.
            Après les avoir placés sur le chariot, Don Bosco réfléchissait à la direction à prendre, lorsqu’il vit s’ouvrir devant lui une route large et facile, mais toute semée d’épines. Soudain apparurent six jeunes qui étaient morts à l’Oratoire ; Ils étaient vêtus de blanc et portaient une autre belle bannière sur laquelle était écrit : Poenitentia. Ils allèrent se placer à la tête de toutes ces phalanges de jeunes qui allaient commencer la marche à pied. On donna alors le signal du départ. Beaucoup de prêtres se mirent au timon du chariot qui, tiré par eux, se met en marche. Les six vêtus de blanc le suivent. Derrière eux, tout le reste de la multitude. Sur une musique magnifique et inexprimable, les jeunes qui se trouvaient sur le char entonnent le psaume Laudate pueri Dominum (Louez Dieu, vous les petits, Ps 113, 1).
            Don Bosco marchait, enivré par cette musique céleste, lorsqu’il se souvint de se retourner pour voir si tous les jeunes l’avaient suivi. Mais quel spectacle douloureux ! Beaucoup étaient restés dans la vallée, beaucoup avaient rebroussé chemin. Brisé par la douleur, il décida de reprendre le chemin parcouru pour essayer de persuader les jeunes qui s’étaient découragés et les aider à le suivre. Mais on le lui interdit d’une façon absolue. Il s’écria :
            – Mais ces pauvres petits sont en train de se perdre !
            On lui répondit :
            – Tant pis pour eux. Ils ont été appelés comme les autres, et ils n’ont pas voulu te suivre. Ils ont vu le chemin qu’ils devaient prendre, et cela suffit.
            Don Bosco voulut répondre, il pria, il supplia. Tout fut inutile.
            – L’obéissance est pour toi aussi ! – lui dit-on. Et il dut continuer son chemin.
            La douleur n’était pas encore apaisée qu’un autre triste incident se produisit. Beaucoup de jeunes parmi ceux qui se trouvaient sur le chariot étaient tombés à terre l’un après l’autre. Sur 500, il en restait à peine 150 sous la bannière de l’innocence.
            Le cœur de Don Bosco fut pris d’une détresse insupportable. Espérant que ce n’était là qu’un rêve, il fit tout son possible pour se réveiller, mais se rendit compte que c’était une terrible réalité. Il battait des mains et entendait le bruit ; il gémissait et entendait son gémissement se répercuter dans la pièce ; il voulait chasser ce terrible fantasme, mais il ne pouvait pas.
            – Ah, mes chers jeunes ! s’exclamait-il à cet instant, en racontant son rêve. J’ai connu et j’ai vu ceux qui sont restés dans la vallée, ceux qui ont fait demi-tour ou qui sont tombés du chariot ! Je vous ai tous connus. Mais ne doutez pas, je ferai tout mon possible pour vous sauver. Beaucoup d’entre vous, que j’ai invités à se confesser, n’ont pas répondu à l’appel ! Par pitié, sauvez vos âmes.
            Beaucoup de jeunes parmi ceux qui étaient tombés du chariot étaient allés se placer au fur et à mesure dans les rangs de ceux qui marchaient derrière la deuxième bannière. Pendant ce temps, la musique du chariot devenait si douce qu’elle finit par vaincre la douleur de Don Bosco. On avait déjà franchi sept collines et après avoir atteint la huitième, la troupe entra dans un endroit merveilleux où ils s’arrêtèrent pour se reposer un peu. Les maisons y étaient d’une richesse et d’une beauté indescriptibles.
            Don Bosco s’adressa aux jeunes de cette région en ajoutant :
            – Je vous dirai avec sainte Thérèse ce qu’elle a dit des choses du paradis : ce sont des choses qu’on dévalue quand on en parle, parce qu’elles sont si belles qu’il est inutile de s’efforcer de les décrire. Je me contenterai donc de remarquer que les montants des portes de ces maisons semblaient être faits à la fois d’or, de cristal et de diamant, provoquant la surprise, le plaisir de l’œil et la joie. Les champs étaient remplis d’arbres sur lesquels on voyait à la fois des fleurs, des boutons, des fruits mûrs et des fruits verts. C’était un magnifique enchantement.
            Les jeunes allèrent partout de-ci de-là, les uns pour une chose, les autres pour une autre, car ils avaient une grande curiosité ainsi qu’une grande envie des fruits.
            C’est dans ce village que le jeune de Casale rencontra Don Bosco et eut ne long dialogue avec lui. Don Bosco et le jeune se souvenaient parfaitement des questions posées et des réponses reçues. Singulière combinaison de deux rêves.
            Une autre surprise étrange attendait ici Don Bosco. Ses jeunes lui apparurent soudain devenus vieux, sans dents, le visage plein de rides, les cheveux blancs, courbés, boitant, appuyés sur leur bâton. Don Bosco s’étonnait de cette métamorphose, mais la voix lui dit :
            – Tu t’étonnes ? Mais tu dois savoir que ce n’est pas depuis quelques heures que tu as quitté la vallée, mais depuis des années et des années. C’est cette musique qui a fait que ton voyage t’a paru court. Comme preuve, regarde ta physionomie et tu sauras que je dis la vérité. – Et on lui présenta un miroir. Il se regarda dans le miroir et vit qu’il avait l’air d’un vieil homme, avec un visage ridé et des dents mauvaises et peu nombreuses.
            Entre-temps, le groupe se remit en route et les jeunes demandaient de temps en temps à s’arrêter pour voir des choses nouvelles. Mais Don Bosco leur disait :
            – Allez, allez. Nous n’avons besoin de rien, nous n’avons pas faim, nous n’avons pas soif, allons.
            (Au loin, sur la dixième colline apparut une lumière qui augmentait comme si elle sortait d’une porte merveilleuse). Puis le chant reprit, mais d’une beauté telle qu’on ne peut l’entendre et la goûter qu’au Paradis. Ce n’était pas une musique instrumentale et elle ne ressemblait pas à des voix humaines. C’était une musique impossible à décrire. La jubilation qui inonda l’âme de Don Bosco fut tel qu’il se réveilla et se retrouva dans son lit.
            Don Bosco expliqua son rêve de la manière suivante :
            – La vallée est le monde. La grande côte représente les obstacles pour s’en détacher. – Le chariot, vous le comprenez. – Les troupes de jeunes à pied sont les jeunes qui ont perdu leur innocence et se sont repentis de leurs fautes.
            Don Bosco ajouta que les 10 collines représentaient les 10 commandements de la loi de Dieu, dont l’observance conduit à la vie éternelle.
            Puis il ajouta que, s’il le fallait, il était prêt à dire confidentiellement à certains jeunes ce qu’ils faisaient dans le rêve, s’ils étaient restés dans la vallée ou s’ils étaient tombés du chariot.
            Quand il descendit du pupitre, l’élève Ferraris Antonio s’approcha de lui et lui raconta – nous étions présents et nous avons entendu parfaitement ses paroles – qu’il avait rêvé la veille au soir qu’il était en compagnie de sa mère, qui lui avait demandé s’il rentrerait à la maison à Pâques pour les vacances. Il lui avait répondu qu’il irait au paradis avant Pâques. Puis, en confidence, il dit encore quelques mots à l’oreille de Don Bosco. Ferraris Antonio mourut le 16 mars 1865.
            Quant à nous, nous avons immédiatement mis le rêve par écrit, et le soir même du 22 octobre 1864, nous avons ajouté à la fin la note suivante. « Je tiens pour certain que Don Bosco a tenté de dissimuler avec ses explications ce qui est le plus surprenant dans le rêve, du moins dans certains de ses détails. L’explication des dix commandements ne me satisfait pas. La huitième colline sur laquelle Don Bosco fait une halte, et où il se voit comme dans un miroir tellement vieilli, je crois que cela indique que la fin de sa vie arrivera après ses soixante-dix ans. L’avenir nous le dira ».
            Ce futur est donc maintenant du passé, et nous sommes confirmés dans notre opinion. Le rêve indiquait à Don Bosco la durée de sa vie. Comparons ce rêve avec celui de la Roue, que nous n’avons pu connaître que quelques années plus tard. Chaque tour de la Roue représente dix ans ; il en va de même, semble-t-il, dans les déplacements de colline en colline. Chacune des dix collines représente dix ans, et ensemble elles signifient cent ans, le maximum de la vie d’un homme. Or nous voyons Don Bosco encore enfant commencer sa mission parmi ses camarades des Becchi pendant la première décennie et entreprendre ainsi son voyage. Il parcourt entièrement les sept collines, c’est-à-dire les sept collines dans leur totalité, c’est-à-dire sept décennies, ce qui signifie qu’il atteindra soixante-dix ans. Il gravit la huitième colline et s’arrête ; il voit des maisons et des champs merveilleusement beaux, c’est-à-dire sa Pieuse Société rendue grande et féconde par l’infinie bonté de Dieu. Il a encore un long chemin à parcourir sur la huitième colline et il repart, mais il n’atteint pas la neuvième, parce qu’il se réveille. De fait, il n’acheva pas la huitième décennie en mourant à l’âge de 72 ans et 5 mois.
            Qu’en pense le lecteur ? Nous ajouterons que le lendemain soir, Don Bosco nous interrogea sur ce que nous pensions du rêve. Nous lui avons répondu qu’il ne concernait pas seulement les jeunes, mais qu’il indiquait aussi l’expansion de la Pieuse Société dans le monde entier.
            – Mais quoi ? répliqua un de nos confrères ; nous avons déjà les collèges de Mirabello et de Lanzo et on en ouvrira sans doute quelques autres dans le Piémont. Que veux-tu de plus ?
            – Non, l’avenir que le rêve nous annonce sera bien autre chose.
            Et Don Bosco, en souriant, approuva notre conviction.
(1864, MB VII, 796-802)




Joseph-Auguste Arribat : un Juste parmi les Nations

1. Profil biographique
            Le vénérable Joseph Auguste Arribat est né le 17 décembre 1879 à Trédou (Rouergue – France). La pauvreté de sa famille oblige le jeune Auguste à ne commencer ses études secondaires à l’oratoire salésien de Marseille qu’à l’âge de 18 ans. En raison de la situation politique du début du siècle, il commence la vie salésienne en Italie et reçoit la soutane des mains du bienheureux Michel Rua. De retour en France, il commence, comme tous ses confrères, la vie salésienne dans une semi-clandestinité, d’abord à Marseille puis à La Navarre, les deux maisons salésiennes fondées par Don Bosco en 1878.
            Ordonné prêtre en 1912, il est appelé sous les drapeaux pendant la Première Guerre mondiale et travaille comme infirmier brancardier. Après la guerre, le père Arribat a continué à travailler intensivement à La Navarre jusqu’en 1926, après quoi il est parti comme catéchiste à Nice où il est resté jusqu’en 1931. Il retourne à La Navarre en tant que directeur et en même temps responsable de la paroisse Saint-Isidore dans la vallée de Sauvebonne. Ses paroissiens l’appellent « le saint de la vallée ».
            À la fin de sa troisième année, il est envoyé à Morges, dans le canton de Vaud, en Suisse. Il reçoit ensuite trois mandats successifs de six ans chacun, d’abord à Millau, puis à Villemur et enfin à Thonon dans le diocèse d’Annecy. Sa période la plus dangereuse et la plus riche en grâces est sans doute son affectation à Villemur pendant la Seconde Guerre mondiale. De retour à La Navarre en 1953, le père Arribat y reste jusqu’à sa mort, le 19 mars 1963.

2. Profondément homme de Dieu
            Homme du devoir quotidien, rien n’était secondaire pour lui, et tout le monde savait qu’il se levait très tôt pour nettoyer les toilettes des élèves et la cour. Devenu directeur de la maison salésienne, et voulant faire son devoir jusqu’au bout et à la perfection, par respect et amour des autres, il finissait souvent ses journées très tard, écourtant ses heures de repos. Par contre, il était toujours disponible, accueillant pour tous, sachant s’adapter à chacun, qu’il s’agisse des bienfaiteurs et des grands propriétaires, ou des employés de la maison, gardant un souci permanent pour les novices et les confrères, et surtout pour les jeunes qui lui étaient confiés.
            Ce don total de soi s’est manifesté jusqu’à l’héroïsme. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il n’a pas hésité à accueillir des familles et des jeunes juifs, s’exposant ainsi au grave risque d’indiscrétion ou de dénonciation. Trente-trois ans après sa mort, ceux qui ont été directement témoins de son héroïsme ont reconnu la valeur de son courage et le sacrifice de sa vie. Son nom est inscrit à Jérusalem, où il a été officiellement reconnu comme un « Juste parmi les nations ».
            Il a été reconnu par tous comme un véritable homme de Dieu, qui a fait « tout par amour, et rien par force », comme le disait saint François de Sales. Voilà le secret d’un rayonnement dont il n’a peut-être pas lui-même mesuré toute l’ampleur.
            Tous les témoins ont noté la foi vivante de ce serviteur de Dieu, homme de prière, sans ostentation. Sa foi était la foi rayonnante d’un homme toujours uni à Dieu, d’un véritable homme de Dieu, et en particulier d’un homme de l’Eucharistie.
            Lorsqu’il célébrait la messe ou lorsqu’il priait, il émanait de sa personne une sorte de ferveur qui ne pouvait pas passer inaperçue. Un confrère a déclaré : « En le voyant faire son grand signe de croix, tout le monde ressentait un rappel opportun de la présence de Dieu. Son recueillement à l’autel était impressionnant ». Un autre salésien se souvient qu’ »il faisait ses génuflexions à la perfection avec un courage, une expression d’adoration qui conduisait à la dévotion ». Le même ajoutait : « Il a renforcé ma foi ».
            Sa vision de la foi transparaissait dans le confessionnal et dans les conversations spirituelles. Il communiquait sa foi. Homme d’espérance, il s’en remettait toujours à Dieu et à sa Providence, gardant le calme dans la tempête et répandant partout un sentiment de paix.
            Cette foi profonde s’est encore affinée en lui au cours des dix dernières années de sa vie. Il n’avait plus de responsabilités et ne pouvait plus lire facilement. Il ne vivait que de l’essentiel et en témoignait avec simplicité en accueillant tous ceux qui savaient bien que sa demi-cécité ne l’empêchait pas de voir clair dans leur cœur. Au fond de la chapelle, son confessionnal était un lieu assiégé par les jeunes et les voisins de la vallée.

3. « Je ne suis pas venu pour être servi… »
            L’image que les témoins ont conservée du Père Auguste est celle du serviteur de l’Évangile, mais au sens le plus humble. Balayer la cour, nettoyer les toilettes des élèves, faire la vaisselle, soigner et veiller les malades, bêcher le jardin, ratisser le parc, décorer la chapelle, attacher les chaussures des enfants, les coiffer, rien ne lui répugnait et il était impossible de le détourner de ces humbles exercices de charité. Le « bon père » Arribat, était plus généreux en actes concrets qu’en paroles : il donnait volontiers sa chambre au visiteur occasionnel, qui risquait d’être moins bien logé que lui. Sa disponibilité était permanente, de tous les instants. Son souci de propreté et de pauvreté digne ne le laissait pas tranquille, car la maison devait être accueillante. Homme de contact facile, il profitait de ses longues marches pour saluer tout le monde et dialoguer, même avec les « mangeurs de curés ».
            Le père Arribat a vécu plus de trente ans à Navarre, dans la maison que Don Bosco lui-même a voulu placer sous la protection de saint Joseph, chef et serviteur de la Sainte Famille, modèle de foi dans le silence et la discrétion. Par sa sollicitude pour les besoins matériels de la maison et par sa proximité avec toutes les personnes vouées au travail manuel, paysans, jardiniers, ouvriers, bricoleurs, gens de cuisine ou de buanderie, ce prêtre faisait penser à saint Joseph, dont il portait aussi le nom. Et n’est-il pas mort le 19 mars, jour de la fête de saint Joseph ?

4. Un authentique éducateur salésien
            « La Providence m’a confié de façon particulière le soin des enfants », disait-il pour résumer sa vocation spécifique de salésien, disciple de Don Bosco, au service des jeunes, notamment les plus démunis.
            Extérieurement, le père Arribat n’avait aucune des qualités particulières qui en imposent facilement aux jeunes. Ce n’était pas un grand sportif, ni un intellectuel brillant, ni un beau parleur qui attirait les foules, ni un musicien, ni un homme de théâtre ou de cinéma, rien de tout cela ! Comment expliquer l’influence qu’il exerçait sur les jeunes ? Son secret n’était autre que ce qu’il avait appris de Don Bosco, qui avait conquis son petit monde avec trois choses considérées comme fondamentales dans l’éducation de la jeunesse : la raison, la religion et l’amour bienveillant. En tant que « père et maître de la jeunesse », il savait parler le langage de la raison avec les jeunes, motiver, expliquer, persuader, convaincre ses élèves, en évitant les impulsions de la passion et de la colère. Il plaçait la religion au centre de sa vie et de son action, non pas dans le sens d’une imposition forcée, mais dans le témoignage lumineux de sa relation avec Dieu, Jésus et Marie. Quant à l’amour bienveillant avec lequel il a conquis le cœur des jeunes, il convient de rappeler à propos du serviteur de Dieu ce que saint François de Sales a dit : « On attrape plus de mouches avec une cuillerée de miel qu’avec un tonneau de vinaigre ».
            Le témoignage de Don Pietro Ricaldone, futur successeur de Don Bosco, qui écrivait après sa visite canonique en 1923-1924, fait particulièrement autorité : « Le père Arribat Augusto est catéchiste, confesseur et lit les notes de conduite ! C’est un saint confrère. Seule sa bonté peut rendre ses différents devoirs moins incompatibles ». Puis il répète son éloge : « C’est un excellent confrère, un peu fragile de santé. Grâce à ses bonnes manières, il jouit de la confiance des jeunes gens plus âgés qui vont presque tous vers lui ».
            Une chose frappante était le respect presque cérémonieux qu’il témoignait à tout le monde, mais surtout aux enfants. À un petit bonhomme de huit ans, il donnait le nom de « Monsieur ». Une dame témoigne : « Il respectait tellement l’autre que celui-ci était presque obligé de s’élever à la dignité qui lui était accordée en tant qu’enfant de Dieu, et tout cela sans même parler de religion ».
            Visage ouvert et souriant, ce fils de saint François de Sales et de Don Bosco ne gênait personne. Si la minceur de sa personne et son ascétisme rappelaient le saint curé d’Ars et Don Rua, son sourire et sa douceur étaient typiquement salésiens. Comme l’a dit un témoin : « C’était l’homme le plus naturel du monde, plein d’humour, spontané dans ses réactions, jeune de cœur ».
            Ses paroles, qui n’étaient pas celles d’un grand orateur, étaient efficaces parce qu’elles émanaient de la simplicité et de la ferveur de son âme.
            Un de ses anciens élèves témoigne : « Dans nos têtes d’enfants, dans nos conversations d’enfants, après avoir entendu les récits de la vie de Jean-Marie Vianney, nous nous représentions le Père Arribat comme s’il était pour nous le Saint Curé d’Ars. Les heures de catéchisme, présenté dans un langage simple mais vrai, étaient suivies avec beaucoup d’attention. Pendant la messe, les bancs du fond de la chapelle étaient toujours pleins. Nous avions l’impression de rencontrer Dieu dans sa bonté et cela a marqué notre jeunesse ».

5. Le père Arribat, un écologiste ?
            Voici un trait original qui vient compléter le portrait de ce personnage apparemment ordinaire. Il était considéré presque comme un écologiste avant la lettre. Petit agriculteur, il avait appris à aimer et à respecter profondément la nature. Ses compositions de jeunesse sont pleines de fraîcheur et d’observations très fines, avec une touche de poésie. Il partageait spontanément les travaux de ce monde rural, où il vécut une grande partie de sa longue vie.
            Parlant de son amour pour les animaux, combien de fois a-t-on vu « le bon père, une boîte sous le bras, pleine de mie de pain, faire laborieusement le chemin du réfectoire à ses colombes à petits pas très pénibles ». Fait incroyable pour ceux qui n’ont pas vu, raconte la personne qui a assisté à la scène, les colombes, dès qu’elles l’apercevaient, s’avançaient vers la grille comme pour lui souhaiter la bienvenue. Il ouvrait la cage et immédiatement elles venaient à lui, certaines se tenant sur ses épaules. « Il leur parlait avec des expressions dont je ne me souviens pas, c’était comme s’il les connaissait toutes. Lorsqu’un jeune garçon lui apporta un bébé moineau qu’il avait pris dans le nid, il lui dit : « Tu dois lui donner la liberté ». On raconte aussi l’histoire d’un chien-loup assez féroce, qu’il était le seul à pouvoir apprivoiser, et qui est venu se coucher à côté de son cercueil après sa mort.
            Ce rapide profil spirituel du Père Arribat nous a rappelé quelques traits des visages de saints dont il se sentait proche : la bonté aimante de Don Bosco, l’ascétisme de Don Rua, la douceur de saint François de Sales, la piété sacerdotale du saint curé d’Ars, l’amour de la nature de saint François d’Assise et le travail constant et fidèle de saint Joseph.