Mgr Giuseppe Malandrino et le Serviteur de Dieu Nino Baglieri

Mgr Giuseppe Malandrino, IXe évêque du diocèse de Noto, est retourné à la Maison du Père le 3 août 2025, jour de la fête de la patronne du diocèse de Noto, Maria Scala del Paradiso. 94 ans, 70 ans de sacerdoce et 45 ans de consécration épiscopale sont des chiffres très respectables pour un homme qui a servi l’Église en tant que Pasteur en ayant « l’odeur des brebis », comme le soulignait souvent le pape François.

Paratonnerre de l’humanité
Dans son expérience de pasteur du diocèse de Noto (19.06.1998 – 15.07.2007), il a eu l’occasion de cultiver son amitié avec le Serviteur de Dieu Nino Baglieri. Il ne manquait presque jamais de faire une « halte » chez Nino lorsque des raisons pastorales le menaient à Modica. Dans un de ses témoignages, Mgr Malandrino dit : « … me trouvant au chevet de Nino, j’avais la vive perception que ce cher frère infirme était vraiment le “paratonnerre de l’humanité”, selon une conception des souffrants qui m’est si chère et que j’ai voulu proposer également dans la Lettre Pastorale sur la mission permanente “Vous serez mes témoins” » (2003). Mgr Malandrino écrit : « Il est nécessaire de reconnaître dans les malades et les souffrants le visage du Christ souffrant et de les assister avec la même sollicitude et le même amour que Jésus dans sa passion, vécue dans un esprit d’obéissance au Père et de solidarité envers les frères ». Cela a été pleinement incarné par la maman de Nino, Madame Peppina. Cette femme sicilienne typique, avec un caractère fort et beaucoup de détermination, répond au médecin qui lui propose l’euthanasie pour son fils (compte tenu de ses graves problèmes de santé et de la perspective d’une vie de paralysé) : « Si le Seigneur le veut, il le prendra, mais s’il me le laisse ainsi, je serai heureuse de m’en occuper toute ma vie ». La mère de Nino, à ce moment-là, était-elle consciente de ce à quoi elle allait faire face ? Marie, la mère de Jésus, était-elle consciente de la douleur qu’elle aurait à souffrir pour le Fils de Dieu ? La réponse, à la lire avec des yeux humains, ne semble pas facile, surtout dans notre société du XXIe siècle où tout est liquide, fluctuant, se consume en un « instant ». Le Fiat de Maman Peppina est devenu, comme celui de Marie, un Oui de Foi et d’adhésion à cette volonté de Dieu qui trouve son accomplissement dans le fait de savoir porter la Croix, de savoir donner « âme et corps » à la réalisation du Plan de Dieu.

De la souffrance à la joie
La relation d’amitié entre Nino et Mgr Malandrino était déjà établie lorsque ce dernier était encore évêque d’Acireale. En effet, dès 1993, par l’intermédiaire du Père Attilio Balbinot, un camillien très proche de Nino, celui-ci lui offrit son premier livre : « De la souffrance à la joie ». Dans l’expérience de Nino, la relation avec l’évêque de son diocèse était une relation de filiation totale. Dès le moment de son acceptation du Plan de Dieu sur lui, il faisait sentir sa présence « active » en offrant ses souffrances pour l’Église, le Pape et les Évêques (ainsi que pour les prêtres et les missionnaires). Cette relation de filiation était renouvelée chaque année à l’occasion du 6 mai, jour de la chute, considéré ensuite comme le début mystérieux d’une renaissance. Le 8 mai 2004, quelques jours après que Nino ait fêté son 36e anniversaire de Croix, Mgr Malandrino se rend chez lui. En souvenir de cette rencontre, il écrit dans ses mémoires : « C’est toujours une grande joie chaque fois que je le vois et je reçois tant d’énergie et de force pour porter ma Croix et l’offrir avec tant d’Amour pour les besoins de la Sainte Église et en particulier pour mon Évêque et pour notre Diocèse. Que le Seigneur lui donne toujours plus de sainteté pour nous guider pendant de nombreuses années avec toujours plus d’ardeur et d’amour… ». Et encore : « … la Croix est lourde mais le Seigneur me donne tant de Grâces qui rendent la souffrance moins amère et elle devient légère et douce, la Croix se fait Don, offerte au Seigneur avec tant d’Amour pour le salut des âmes et la Conversion des Pécheurs… ». Enfin, il faut souligner que, lors de ces occasions de grâce, la demande pressante et constante de son « aide pour se faire Saint avec la Croix de chaque jour » ne manquait jamais. Nino, en effet, voulait absolument se faire saint.

Une béatification anticipée
Les funérailles du Serviteur de Dieu, le 3 mars 2007, ont représenté un moment d’une grande importance à cet égard. Mgr Malandrino lui-même, au début de la célébration eucharistique, s’est penché avec dévotion, bien qu’avec difficulté, pour embrasser le cercueil contenant la dépouille mortelle de Nino. C’était un hommage à un homme qui avait vécu 39 ans de son existence dans un corps qu’il « ne sentait pas » mais qui dégageait une joie de vivre à 360 degrés. Mgr Malandrino a souligné que la célébration de la messe, dans la cour des Salésiens devenue pour l’occasion une « cathédrale » à ciel ouvert, avait été une véritable apothéose (des milliers de personnes en larmes y ont participé) et l’on percevait clairement et communautairement que l’on se trouvait non pas devant des funérailles, mais devant une véritable « béatification ». Nino, par son témoignage de vie, était en effet devenu un point de référence pour beaucoup, jeunes ou moins jeunes, laïcs ou consacrés, mères ou pères de famille, qui, grâce à son précieux témoignage, parvenaient à lire leur propre existence et à trouver des réponses qu’ils ne trouvaient pas ailleurs. Mgr Malandrino a également souligné à plusieurs reprises cet aspect : « Vraiment, chaque rencontre avec mon cher Nino a été pour moi, comme pour tous, une expérience forte et vivante d’édification et un puissant stimulant – dans la douceur – au don de soi patient et généreux. La présence de l’évêque lui procurait à chaque fois une immense joie car, outre l’affection de l’ami qui venait le visiter, il y percevait la communion ecclésiale. Il est évident que ce que je recevais de lui était toujours beaucoup plus que le peu que je pouvais lui donner ». L’idée fixe de Nino était de « se faire saint ». Le fait d’avoir vécu et incarné pleinement l’Évangile de la Joie dans la Souffrance, avec ses douleurs physiques et son don total pour l’Église bien-aimée, a fait que tout ne s’est pas terminé avec son départ vers la Jérusalem du Ciel, mais a continué, comme l’a souligné Mgr Malandrino lors des funérailles : « … la mission de Nino continue maintenant aussi à travers ses écrits, il l’avait lui-même annoncé dans son Testament spirituel » : « … mes écrits continueront mon témoignage, je continuerai à donner de la Joie à tous et à parler du Grand Amour de Dieu et des Merveilles qu’il a faites dans ma vie ». Cela continue de se réaliser car « une ville située sur une montagne ne peut être cachée, et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison » (Matthieu 5,14-16). Métaphoriquement, on veut souligner que la « lumière » (entendue au sens large) doit être visible, tôt ou tard : ce qui est important viendra à la lumière et sera reconnu.
En rappelant ces jours marqués par la mort de Mgr Malandrino et par ses funérailles à Acireale (5 août, Notre-Dame des Neiges) et à Noto (7 août) avec l’inhumation qui a suivi dans la cathédrale qu’il avait lui-même fortement voulu restaurer après l’effondrement du 13 mars 1996 et qui a été rouverte en mars 2007 (mois où Nino Baglieri est décédé), nous pouvons retracer ce lien entre deux grandes figures de l’Église de Noto, fortement entrelacées et toutes deux capables de laisser une marque indélébile.

Roberto Chiaramonte




La bergère, les brebis et les agneaux (1867)

Dans le passage qui suit, Don Bosco, fondateur de l’Oratoire de Valdocco, raconte à ses jeunes un rêve qu’il a fait dans la nuit du 29 au 30 mai 1867 et qu’il a narré le soir du dimanche de la Sainte Trinité. Dans une plaine immense, les troupeaux et les agneaux deviennent l’allégorie du monde et des jeunes : les prairies luxuriantes ou les déserts arides figurent la grâce et le péché ; les cornes et les blessures dénoncent le scandale et le déshonneur ; le chiffre « 3 » annonce trois famines – spirituelle, morale, matérielle – qui menacent ceux qui s’éloignent de Dieu. De ce récit jaillit l’appel pressant du saint : préserver l’innocence, revenir à la grâce par la pénitence, afin que chaque jeune puisse se revêtir des fleurs de la pureté et participer à la joie promise par le bon Pasteur.

Le dimanche de la Sainte Trinité, 16 juin, jour où vingt-six ans auparavant Don Bosco avait célébré sa première messe, les jeunes attendaient le rêve, dont le récit avait été annoncé par lui le 13. Son ardent désir était le bien de son troupeau spirituel, et sa norme étaient toujours les avertissements et les promesses du chapitre XXVII, v. 23-25 du livre des Proverbes : Diligenter agnosce vultum pecoris tui, tuosque greges considera : non enim habebis iugiter potestatem : sed corona tribuetur in generationem et generationem. Aperta sunt prata, et apparuerunt herbae virentes, et collecta sunt foena de montibus… (Préoccupe-toi de l’état de ton troupeau, prends soin de tes troupeaux, car les richesses ne sont pas éternelles et une couronne ne dure pas pour toujours. Quand le foin a été emporté, l’herbe nouvelle repousse et on recueille les fourrages dans les montagnes, Prov 27,23-25). Dans ses prières, il demandait d’acquérir une connaissance exacte de ses brebis, d’avoir la grâce de veiller sur elles attentivement, d’assurer leur protection même après sa mort et de les voir pourvues d’une bonne nourriture spirituelle et matérielle. Voici comment Don Bosco parla après les prières du soir.

Dans l’une des dernières nuits du mois de Marie, le 29 ou 30 mai, étant au lit et ne pouvant dormir, je pensais à mes chers jeunes et je me disais en moi-même :
– Oh si je pouvais rêver quelque chose qui leur soit profitable !
Je restai un moment à réfléchir et je me résolus :
– Oui ! maintenant je veux faire un rêve pour les jeunes !
Et voilà que je m’endormis. À peine pris par le sommeil, je me trouvai dans une immense plaine couverte d’un nombre infini de grosses brebis, réparties en troupeaux, qui broutaient dans des prairies à perte de vue. Je voulus m’approcher d’elles et je me mis à chercher le berger, m’étonnant qu’il puisse y avoir dans le monde quelqu’un qui possédait un si grand nombre de brebis. Je cherchai un bref moment, quand je vis devant moi un berger appuyé sur son bâton. Je m’approchai immédiatement pour l’interroger et lui demandai :
– À qui appartient ce grand troupeau ?
Le berger ne me répondit pas. Je répétai la question et alors il me dit :
– Que veux-tu savoir ?
– Et pourquoi, lui dis-je, me réponds-tu de cette manière ?
– Eh bien, ce troupeau appartient à son maître !
À son maître ? Je le savais déjà, me dis-je en moi-même. Puis je continuai à haute voix :
– Qui est ce maître ?
– Ne t’inquiète pas, me répondit le berger, tu le sauras.
Alors, parcourant avec lui cette vallée, je me mis à examiner le troupeau et toute cette région où il errait. La vallée était en certains endroits couverte d’une riche verdure avec des arbres étendant de larges frondaisons avec des ombres gracieuses et de l’herbe fraîche dont se nourrissaient de belles et florissantes brebis. Dans d’autres endroits, la plaine était stérile, sablonneuse, pleine de pierres avec des épineux sans feuilles, et des herbes jaunies, et il n’y avait pas un brin d’herbe fraîche ; et pourtant ici aussi il y avait beaucoup d’autres brebis qui paissaient, mais d’apparence misérable.
Je demandais diverses explications à mon guide concernant ce troupeau, et lui, sans donner aucune réponse à mes questions, me dit :
– Tu n’es pas destiné à eux. Tu ne dois pas penser à celles-là. Je te ferai voir le troupeau dont tu dois prendre soin.
– Mais qui es-tu ?
– Je suis le maître ; viens voir avec moi là-bas, de ce côté.
Et il me conduisit à un autre point de la plaine où se trouvaient des milliers et des milliers de petits agneaux. Ceux-ci étaient si nombreux qu’on ne pouvait les compter, mais si maigres qu’ils peinaient à marcher. La prairie était sèche et aride et sablonneuse et on n’y voyait pas un brin d’herbe fraîche, pas un ruisseau, mais seulement quelques buissons desséchés et des broussailles arides. Chaque pâturage avait été complètement détruit par les agneaux eux-mêmes.
On voyait à première vue que ces pauvres agneaux couverts de plaies avaient beaucoup souffert et souffraient encore beaucoup. Chose étrange ! Chacun avait deux cornes longues et grosses qui lui poussaient sur le front, comme s’ils étaient de vieux béliers, et à la pointe des cornes ils avaient un appendice en forme de « S ». Étonné, je restai perplexe en voyant cet étrange appendice d’un genre si nouveau, et je ne pouvais me résoudre à comprendre pourquoi ces agneaux avaient déjà des cornes si longues et si grosses, et avaient déjà détruit si tôt toute leur pâture.
– Comment cela se fait-il ? dis-je au berger. Ces agneaux sont encore si petits et ont déjà de telles cornes ?
– Regarde, me répondit-il ; observe.
En observant plus attentivement, je vis que ces agneaux portaient beaucoup de chiffres « 3 » imprimés sur toutes les parties du corps, sur le dos, sur la tête, sur le museau, sur les oreilles, sur le nez, sur les pattes, sur les ongles.
– Mais que signifie cela ? m’écriai-je. Je ne comprends rien.
– Comment, tu ne comprends pas ? dit le berger. Écoute donc et tu sauras tout. Cette vaste plaine est le grand monde. Les lieux pleins d’herbe, la parole de Dieu et la grâce. Les lieux stériles et arides sont les lieux où l’on n’écoute pas la parole de Dieu et où l’on cherche seulement à plaire au monde. Les brebis sont les hommes faits, les agneaux sont les jeunes et pour ceux-ci, Dieu a envoyé Don Bosco. Ce coin de la plaine que tu vois est l’Oratoire et les agneaux rassemblés ici sont tes enfants. Cet endroit si aride représente l’état de péché. Les cornes signifient le déshonneur. La lettre « S » signifie scandale. Ils vont à la ruine par le mauvais exemple. Parmi ces agneaux, il y en a quelques-uns qui ont les cornes cassées ; ils ont été scandaleux, mais maintenant ils ont cessé de donner du scandale. Le chiffre « 3 » signifie qu’ils portent les peines de leurs fautes, c’est-à-dire qu’ils souffriront trois grandes famines : une famine spirituelle, une famine morale et une famine matérielle : 1° Famine d’aides spirituelles : ils demanderont cette aide et ne l’auront pas. 2° Famine de la parole de Dieu. 3° Famine de pain matériel. Le fait que les agneaux ont tout mangé signifie qu’il ne leur reste plus rien d’autre que le déshonneur et le nombre « 3 », c’est-à-dire les famines. Ce spectacle montre aussi les souffrances actuelles de tant de jeunes au milieu du monde. À l’Oratoire, même ceux qui en seraient indignes ne manquent pas de pain matériel.
Pendant que j’écoutais et observais tout comme quelqu’un qui a perdu la mémoire, voilà une nouvelle merveille. Tous ces agneaux changèrent d’apparence !
Se levant sur leurs pattes arrière, ils devinrent grands et prirent tous la forme de jeunes garçons. Je m’approchai pour voir si j’en connaissais quelques-uns. C’étaient tous des jeunes de l’Oratoire. Il y en avait beaucoup que je n’avais jamais vus, mais tous se disaient fils de notre Oratoire. Et parmi ceux que je ne connaissais pas, il y en avait aussi quelques-uns qui se trouvent actuellement à l’Oratoire. Ce sont ceux qui ne se présentent jamais à Don Bosco, qui ne vont jamais chercher conseil auprès de lui, ceux qui l’évitent, en un mot, ceux que Don Bosco ne connaît pas encore ! L’immense majorité cependant des inconnus était composée de ceux qui n’ont pas été ou qui ne sont pas encore à l’Oratoire.
Pendant que j’observais avec peine cette multitude, celui qui m’accompagnait me prit par la main et me dit :
– Viens avec moi et tu verras autre chose ! – Et il me conduisit dans un endroit reculé de la vallée, entouré de petites collines, ceint d’une haie de plantes luxuriantes, où se trouvait une grande prairie verdoyante, la plus fertile qu’on puisse imaginer, remplie de toutes sortes d’herbes odorantes, parsemée de fleurs des champs, avec de frais bosquets et des ruisseaux d’eaux limpides. Ici, je trouvai un autre grand nombre de fils, tous joyeux, qui avec les fleurs de la prairie s’étaient confectionné ou allaient se confectionner un bel habit.
– Au moins, tu as là ceux qui te donnent de grandes consolations.
– Et qui sont-ils ? demandai-je.
– Ce sont ceux qui se trouvent en grâce de Dieu.
Ah ! je peux dire que je n’ai jamais vu de choses et de personnes aussi belles et éclatantes, ni jamais je n’aurais pu imaginer de telles splendeurs. Il est inutile que je me mette à les décrire, car ce serait gâcher ce qui est impossible à dire si on ne les voit pas. Il m’était cependant réservé un spectacle bien plus surprenant. Pendant que je regardais avec un immense plaisir ces jeunes garçons et que je contemplais beaucoup d’entre eux que je ne connaissais pas encore, mon guide me dit :
– Viens, viens avec moi et je te ferai voir une chose qui te donnera une joie et une consolation plus grandes. – Et il me conduisit dans une autre prairie toute parsemée de fleurs plus belles et plus odorantes que celles déjà vues. Elle avait l’aspect d’un jardin princier. Ici, on apercevait un nombre plus limité de jeunes, mais qui étaient d’une beauté et d’un éclat si extraordinaires qu’ils faisaient oublier ceux que je venais d’admirer. Certains d’entre eux sont déjà à l’Oratoire, d’autres y viendront plus tard.
Le berger me dit :
– Voici ceux qui conservent le beau lys de la pureté. Ils sont encore vêtus de l’étole de l’innocence.
Je regardais, extasié. Presque tous portaient sur la tête une couronne de fleurs d’une beauté indescriptible. Ces fleurs étaient composées d’autres petites fleurs d’une délicatesse surprenante, et leurs couleurs étaient d’une vivacité et d’une variété enchanteresses. Plus de mille couleurs dans une seule fleur, et dans une seule fleur on voyait plus de mille fleurs. Une robe d’une blancheur éclatante descendait à leurs pieds, elle aussi toute entrelacée de guirlandes de fleurs, semblables à celles de la couronne. La lumière charmante qui émanait de ces fleurs revêtait toute la personne et reflétait en elle sa propre gaieté. Les fleurs se reflétaient les unes dans les autres et celles des couronnes dans celles des guirlandes, réverbérant chacune les rayons émis par les autres. Un rayon d’une couleur contrastant avec un rayon d’une autre couleur formait de nouveaux rayons, différents, scintillants et donc à chaque rayon se reproduisaient toujours de nouveaux rayons, si bien que je n’aurais jamais pu croire qu’il y ait au paradis un enchantement si varié. Ce n’est pas tout. Les rayons et les fleurs de la couronne des uns se reflétaient dans les fleurs et dans les rayons de la couronne de tous les autres, comme aussi les guirlandes, et la richesse de la robe des uns se reflétait dans les guirlandes, dans les robes des autres. Les splendeurs ensuite du visage d’un jeune, en rebondissant, se fondaient avec celles du visage des compagnons et se réverbéraient multipliées sur toutes ces petites faces innocentes et rondes, produisant tant de lumière qu’elles éblouissaient la vue et empêchaient de fixer le regard.
Ainsi, en un seul s’accumulaient les beautés de tous les autres compagnons dans une harmonie de lumière ineffable ! C’était la gloire accidentelle des saints. Il n’y a aucune image humaine pour décrire même de loin combien chacun de ces jeunes devenait beau au milieu de cet océan de splendeurs. Parmi eux, j’en observai quelques-uns en particulier, qui sont maintenant ici à l’Oratoire et je suis certain que, s’ils pouvaient voir au moins le dixième de leur actuelle beauté, ils seraient prêts à souffrir le feu, à se laisser couper en morceaux, à subir en somme le plus atroce des martyrs plutôt que de la perdre.
Dès que je pus me remettre un peu de ce spectacle céleste, je me tournai vers le guide et lui dis :
– Mais parmi tant de mes jeunes, il y a donc si peu d’innocents ? Ils sont si peu nombreux ceux qui n’ont jamais perdu la grâce de Dieu ?
Le berger me répondit :
– Comment ? Tu penses que le nombre n’est pas assez grand ? Sache que ceux qui ont eu le malheur de perdre le beau lys de la pureté, et avec cela l’innocence, peuvent encore suivre leurs compagnons dans la pénitence. Regarde : dans cette prairie il y a encore beaucoup de fleurs ; eh bien, ils peuvent s’en servir pour tisser une couronne et une belle robe et même suivre les innocents dans la gloire.
– Suggère-moi encore quelque chose à dire à mes jeunes ! dis-je alors.
– Répète à tes jeunes que s’ils connaissaient combien l’innocence et la pureté sont précieuses et belles aux yeux de Dieu, ils seraient disposés à faire n’importe quel sacrifice pour la conserver. Dis-leur qu’ils se donnent du courage pour pratiquer cette vertu candide, qui surpasse les autres en beauté et en éclat. Car les chastes sont ceux qui crescunt tanquam lilia in conspectu Domini (ils croissent comme des lys devant le Seigneur).
Je voulus alors aller au milieu de mes chers fils, si bellement couronnés, mais je trébuchai sur le sol et, me réveillant, je me suis retrouvé dans mon lit.
Mes chers fils, êtes-vous tous innocents ? Peut-être y en a-t-il quelques-uns parmi vous et je veux m’adresser à eux. Par pitié, ne perdez pas un bien d’une valeur inestimable ! C’est une richesse qui vaut autant que vaut le Paradis, autant que vaut Dieu ! Si vous aviez pu voir comme ces jeunes étaient beaux avec leurs fleurs. L’ensemble de ce spectacle était tel que j’aurais donné n’importe quoi au monde pour jouir encore de cette vision. En fait, si j’étais peintre, je considérerais comme une grande grâce de pouvoir peindre d’une manière ou d’une autre ce que j’ai vu. Si vous connaissiez la beauté d’un innocent, vous vous soumettriez à n’importe quel effort le plus pénible, même à la mort, pour conserver le trésor de l’innocence.
Quant à ceux qui étaient revenus en grâce, bien que cela m’ait apporté une grande consolation, j’espérais cependant que leur nombre serait bien plus grand. Et je restai très étonné en voyant quelqu’un qui semble ici apparemment un bon jeune, mais qui avait là des cornes longues et grosses…
Don Bosco termina par une chaude exhortation à ceux qui ont perdu l’innocence, pour qu’ils s’efforcent volontiers de retrouver la grâce au moyen de la pénitence.
Deux jours plus tard, le 18 juin, Don Bosco remontait le soir sur l’estrade et donna quelques explications de son rêve.
Aucune explication ne serait plus nécessaire concernant le rêve, mais je répéterai ce que j’ai déjà dit. La grande plaine est le monde, et aussi les lieux et l’état d’où ont été appelés ici tous nos jeunes. Le lieu où se trouvaient les agneaux est l’Oratoire. Les agneaux sont tous les jeunes, qui ont été, sont actuellement, et seront à l’Oratoire. Les trois prairies de cet endroit, celle qui est aride, la verte, et celle qui est fleurie, indiquent l’état de péché, l’état de grâce et l’état d’innocence. Les cornes des agneaux sont les scandales qui ont été donnés dans le passé. Ceux qui avaient les cornes cassées ce sont ceux qui ont été scandaleux, mais qui maintenant ont cessé de donner du scandale. Tous ces chiffres « 3 », qu’on voyait imprimés sur chaque agneau, ce sont, comme je l’ai su du berger, trois châtiments que Dieu enverra sur les jeunes : 1° Famine par manque d’aides spirituelles. 2° Famine morale, c’est-à-dire manque d’instruction religieuse et de la parole de Dieu. 3° Famine matérielle, c’est-à-dire manque même de nourriture. Les jeunes resplendissants sont ceux qui se trouvent en grâce de Dieu, et surtout ceux qui conservent encore l’innocence baptismale et la belle vertu de la pureté. Comme elle est grande la gloire qui les attend !
Mettons-nous donc, chers jeunes, à pratiquer courageusement la vertu. Celui qui n’est pas en grâce de Dieu, qu’il s’y mette de bon cœur et donc avec toutes ses forces et avec l’aide de Dieu, qu’il persévère jusqu’à la mort. Que si nous ne pouvons tous être en compagnie des innocents et faire couronne à Jésus, l’Agneau immaculé, nous pouvons au moins le suivre après eux.
Un de vous m’a demandé s’il était parmi les innocents et je lui dis que non et qu’il avait des cornes, mais cassées. Il me demanda encore s’il avait des plaies et je lui dis oui.
– Et que signifient ces plaies ? ajouta-t-il.
Je répondis :
– N’aie pas peur. Elles sont cicatrisées, elles disparaîtront ; ces plaies ne sont plus déshonorantes, comme ne sont pas déshonorantes les cicatrices d’un combattant, qui malgré les nombreuses blessures et l’assaut et les efforts de l’ennemi, sut vaincre et remporter la victoire. Ce sont donc des cicatrices honorables !… Mais il est plus honorable celui qui, combattant vaillamment au milieu des ennemis, ne reçoit aucune blessure. Son intégrité suscite l’émerveillement de tous.
En expliquant ce rêve, Don Bosco dit aussi qu’il ne passera plus beaucoup de temps avant que ces trois maux ne se fassent sentir : – Peste, famine et donc manque de moyens pour faire le bien.
Il ajouta qu’avant trois mois il se passera quelque chose de particulier.
Ce rêve produisit chez les jeunes l’impression et les fruits qu’avaient obtenus très souvent des récits semblables.
(MB VIII 839-845)




Vers les hauteurs ! Saint Pier Giorgio Frassati

« Chers jeunes, notre espérance est Jésus. C’est Lui, comme le disait Saint Jean-Paul II, « qui suscite en vous le désir de faire de votre vie quelque chose de grand […], pour vous améliorer et améliorer la société, la rendant plus humaine et plus fraternelle » (XVe Journée Mondiale de la Jeunesse, Veillée de Prière, 19 août 2000). Restons unis à Lui, demeurons dans son amitié, toujours, en la cultivant par la prière, l’adoration, la Communion eucharistique, la Confession fréquente, la charité généreuse, comme nous l’ont enseigné les bienheureux Pier Giorgio Frassati et Carlo Acutis, qui seront bientôt proclamés Saints. Aspirez à de grandes choses, à la sainteté, où que vous soyez. Ne vous contentez pas de moins. Alors vous verrez grandir chaque jour, en vous et autour de vous, la lumière de l’Évangile » (Pape Léon XIV – homélie Jubilé des jeunes – 3 août 2025).

Pier Giorgio et Don Cojazzi
Le sénateur Alfredo Frassati, ambassadeur du Royaume d’Italie à Berlin, était le propriétaire et le directeur du quotidien La Stampa de Turin. Les Salésiens lui devaient une grande reconnaissance. À l’occasion du grand scandale connu sous le nom « L’affaire de Varazze », où l’on avait cherché à jeter le discrédit sur l’honorabilité des Salésiens, Frassati avait pris leur défense. Alors même que certains journaux catholiques semblaient perdus et désorientés face aux graves accusations, La Stampa, après une enquête rapide, avait anticipé les conclusions de la magistrature en proclamant l’innocence des Salésiens. Aussi, lorsque la famille Frassati demanda un Salésien pour suivre les études des deux enfants du sénateur, Pier Giorgio et Luciana, le Recteur Majeur Don Paolo Albera se sentit obligé d’accepter. Il envoya Don Antonio Cojazzi (1880-1953). C’était l’homme qu’il fallait : bonne culture, tempérament jeune et une capacité de communication exceptionnelle. Don Cojazzi avait obtenu une licence en lettres en 1905, en philosophie en 1906, et le diplôme d’aptitude à l’enseignement de la langue anglaise après un sérieux perfectionnement en Angleterre.
Chez les Frassati, Don Cojazzi devint plus qu’un simple « précepteur » qui suivait les enfants. Il devint un ami, surtout de Pier Giorgio, dont il dira : « Je l’ai connu à dix ans et je l’ai suivi pendant presque tout le collège et le lycée avec des leçons qui, les premières années, étaient quotidiennes ; je l’ai suivi avec un intérêt et une affection qui n’ont cessé de grandir ». Pier Giorgio, devenu l’un des jeunes leaders de l’Action Catholique de Turin, écoutait les conférences et les leçons que Don Cojazzi donnait aux membres du Cercle C. Balbo, suivait avec intérêt la Rivista dei Giovani, montait parfois à Valsalice en quête de lumière et de conseil dans les moments décisifs.

Un moment de notoriété
Pier Giorgio l’eut lors du Congrès National de la Jeunesse Catholique italienne, en 1921, quand cinquante mille jeunes défilèrent dans Rome en chantant et en priant. Pier Giorgio, étudiant en polytechnique, portait le drapeau tricolore du cercle turinois C. Balbo. Les troupes royales, tout à coup, encerclèrent l’énorme cortège et l’assaillirent pour arracher les drapeaux. On voulait empêcher les désordres. Un témoin raconta : « Ils frappent avec les crosses des mousquets, saisissent, brisent, arrachent nos drapeaux. Je vois Pier Giorgio aux prises avec deux gardes. Nous accourons à son aide, et le drapeau, avec la hampe brisée, reste dans ses mains. Emprisonnés de force dans une cour, les jeunes catholiques sont interrogés par la police. Le témoin se souvient du dialogue mené avec les manières et les courtoisies utilisées dans de telles circonstances :
– Et toi, comment t’appelles-tu ?
– Pier Giorgio Frassati, fils d’Alfredo.
– Que fait ton père ?
– Ambassadeur d’Italie à Berlin.
Stupeur, changement de ton, excuses, offre de liberté immédiate.
– Je sortirai quand les autres sortiront.
Pendant ce temps, le spectacle bestial continue. Un prêtre est jeté, littéralement jeté dans la cour avec sa soutane déchirée et une joue ensanglantée… Ensemble, nous nous sommes agenouillés par terre, dans la cour, quand ce prêtre blessé a levé son chapelet et a dit : « Oh ! les jeunes, pour nous et pour ceux qui nous ont frappés, prions ! »

Il aimait les pauvres
Pier Giorgio aimait les pauvres, il allait les chercher dans les quartiers les plus éloignés de la ville, montait les escaliers étroits et sombres, entrait dans les greniers où n’habitent que la misère et la douleur. Tout ce qu’il avait en poche était pour les autres, comme tout ce qu’il avait dans son cœur. Il arrivait à passer les nuits au chevet de malades inconnus. Une nuit où il ne rentrait pas, son père, de plus en plus anxieux, téléphona à la préfecture, aux hôpitaux. À deux heures du matin, il entendit la clé tourner dans la serrure et Pier Giorgio entra. Papa explosa :
– Écoute, tu peux rester dehors le jour, la nuit, personne ne te dit rien. Mais quand tu rentres si tard, préviens, téléphone !
Pier Giorgio le regarda, et avec sa simplicité habituelle répondit :
– Papa, là où j’étais, il n’y avait pas de téléphone.
Les Conférences Saint-Vincent de Paul le virent comme un collaborateur assidu ; les pauvres le connurent comme un consolateur et un secouriste ; les misérables greniers l’accueillirent souvent entre leurs murs sordides comme un rayon de soleil pour leurs habitants délaissés. D’une profonde humilité, il ne voulait pas que ce qu’il faisait soit connu de quiconque.

Mon beau et saint Giorgetto
Début juillet 1925, Pier Giorgio fut frappé et terrassé par une violente attaque de poliomyélite. Il avait 24 ans. Sur son lit de mort, alors qu’une terrible maladie dévastait son dos, il pensa encore à ses pauvres. Sur un billet, d’une écriture presque illisible, il écrivit pour l’ingénieur Grimaldi, son ami : Voici les injections de Converso, la police d’assurance est de Sappa. Je l’ai oubliée, pense à la renouveler.
De retour des funérailles de Pier Giorgio, Don Cojazzi écrit d’un trait un article pour la Rivista dei Giovani : « Je répéterai la vieille phrase, mais très sincère : je ne croyais pas l’aimer autant. Mon beau et saint Giorgetto ! Pourquoi ces mots me chantent-ils avec insistance dans le cœur ? Parce que je les ai entendus répéter, je les ai entendus prononcer pendant presque deux jours, par son père, sa mère, sa sœur, d’une voix qui disait toujours et ne répétait jamais. Et pourquoi me viennent en mémoire certains vers d’une ballade de Deroulède : « On parlera de lui longtemps, dans les palais dorés et dans les chaumières perdues ! Car les taudis et les greniers, où il passa tant de fois comme un ange consolateur, parleront aussi de lui. » Je l’ai connu à dix ans et je l’ai suivi pendant presque tout le collège et une partie du lycée… Je l’ai suivi avec une affection et un intérêt croissants jusqu’à sa transfiguration actuelle… J’écrirai sa vie. Il s’agit de la collecte de témoignages qui présentent la figure de ce jeune dans la plénitude de sa lumière, dans la vérité spirituelle et morale, dans le témoignage lumineux et contagieux de bonté et de générosité. »

Le best-seller de l’édition catholique
Encouragé et poussé également par l’archevêque de Turin, Mgr Giuseppe Gamba, Don Cojazzi se mit au travail avec ardeur. Les témoignages arrivèrent nombreux et qualifiés, ils furent ordonnés et examinés avec soin. La mère de Pier Giorgio suivait le travail, donnait des suggestions, fournissait du matériel. En mars 1928, la vie de Pier Giorgio est publiée. Luigi Gedda écrit : « Ce fut un succès retentissant. En seulement neuf mois, 30 000 exemplaires du livre furent épuisés. En 1932, 70 000 exemplaires avaient déjà été diffusés. En 15 ans, le livre sur Pier Giorgio atteignit 11 éditions, et fut peut-être le best-seller de l’édition catholique à cette époque. » La figure mise en lumière par Don Cojazzi fut un étendard pour l’Action Catholique pendant la période difficile du fascisme. En 1942, 771 associations de jeunes de l’Action Catholique, 178 sections aspirantes, 21 associations universitaires, 60 groupes d’étudiants du secondaire, 29 conférences de Saint-Vincent de Paul, 23 groupes d’Évangile… avaient pris le nom de Pier Giorgio Frassati. Le livre fut traduit dans au moins 19 langues. Le livre de Don Cojazzi marqua un tournant dans l’histoire de la jeunesse italienne. Pier Giorgio fut l’idéal désigné sans aucune réserve : quelqu’un qui a su démontrer qu’être chrétien jusqu’au bout n’est pas du tout utopique, ni fantastique.
Pier Giorgio Frassati marqua également un tournant dans l’histoire de Don Cojazzi. Ce billet écrit par Pier Giorgio sur son lit de mort lui révéla de manière concrète, presque brutale, le monde des pauvres. Don Cojazzi lui-même écrit : « Le Vendredi Saint de cette année (1928), avec deux universitaires, j’ai visité pendant quatre heures les pauvres en dehors de la Porta Metronia. Cette visite m’a procuré une leçon et une humiliation très salutaires. J’avais beaucoup écrit et parlé sur les Conférences Saint-Vincent de Paul… et pourtant je n’étais jamais allé une seule fois visiter les pauvres. Dans ces taudis sordides, les larmes me sont souvent venues aux yeux… La conclusion ? La voici claire et crue pour moi et pour vous : moins de belles paroles et plus de bonnes œuvres. »
Le contact vivant avec les pauvres n’est pas seulement une mise en œuvre immédiate de l’Évangile, mais une école de vie pour les jeunes. C’est la meilleure école pour les jeunes, pour les éduquer et les maintenir dans le sérieux de la vie. Qui va visiter les pauvres et touche du doigt leurs plaies matérielles et morales, comment peut-il gaspiller son argent, son temps, sa jeunesse ? Comment peut-il se plaindre de ses propres travaux et douleurs, quand il a connu, par expérience directe, que d’autres souffrent plus que lui ?

Ne pas vivoter, mais vivre !
Pier Giorgio Frassati est un exemple lumineux de sainteté juvénile, actuel, qui « cadre » avec notre époque. Il atteste une fois de plus que la foi en Jésus-Christ est la religion des forts et des vraiment jeunes, qui seule peut illuminer toutes les vérités avec la lumière du « mystère » et qui seule peut donner la joie parfaite. Son existence est le modèle parfait de la vie normale à la portée de tous. Lui, comme tous les disciples de Jésus et de l’Évangile, commença par les petites choses ; il atteignit les hauteurs les plus sublimes à force de se soustraire aux compromis d’une vie médiocre et sans signification et en employant son entêtement naturel dans de fermes résolutions. Tout, dans sa vie, lui fut un marchepied pour monter, même ce qui aurait dû être un obstacle. Parmi ses compagnons, il était l’animateur intrépide et exubérant de toute entreprise, attirant autour de lui tant de sympathie et tant d’admiration. La nature lui avait été généreuse : famille renommée, riche, esprit solide et pratique, physique imposant et robuste, éducation complète, rien ne lui manquait pour se faire une place dans la vie. Mais il n’entendait pas vivoter, mais plutôt conquérir sa place au soleil, en luttant. C’était une trempe d’homme et une âme de chrétien.
Sa vie avait en elle-même une cohérence qui reposait sur l’unité de l’esprit et de l’existence, de la foi et des œuvres. La source de cette personnalité si lumineuse était dans sa profonde vie intérieure. Frassati priait. Sa soif de la Grâce lui faisait aimer tout ce qui remplit et enrichit l’esprit. Il s’approchait chaque jour de la Sainte Communion, puis restait au pied de l’autel, longtemps, sans que rien ne puisse le distraire. Il priait sur les montagnes et en chemin. Ce n’était cependant pas une foi ostentatoire, même s’il faisait de grands signes de croix sur la voie publique en passant devant les églises, même s’il récitait le chapelet à haute voix, dans un wagon de chemin de fer ou dans une chambre d’hôtel. Mais c’était plutôt une foi vécue si intensément et sincèrement qu’elle jaillissait de son âme généreuse et franche avec une simplicité qui convainquait et émouvait. Sa formation spirituelle se renforçait dans les adorations nocturnes dont il fut un fervent promoteur et un participant assidu. Il fit plus d’une fois les exercices spirituels, qui lui procuraient sérénité et vigueur spirituelle.
Le livre de Don Cojazzi se termine par la phrase : « Il suffit de l’avoir connu ou d’avoir entendu parler de lui pour l’aimer, et l’aimer, c’est le suivre. » Le souhait est que le témoignage de Piergiorgio Frassati soit « sel et lumière » pour tous, surtout pour les jeunes d’aujourd’hui.




Visiter Rome avec Don Bosco. Chronique de son premier voyage à Rome

C’est en 1858, du 18 février au 16 avril, que Don Bosco se rendit pour la première fois à Rome, accompagné du séminariste de vingt et un ans, Michel Rua. Quatre ans auparavant, l’Église avait célébré un Jubilé extraordinaire de six mois à l’occasion de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception (8 décembre 1854). Don Bosco saisit l’opportunité de cette grande fête spirituelle pour publier le volume « Le Jubilé et Pratiques dévotes pour la visite des églises ».
Lors de cette visite à la Ville Éternelle, la première de vingt visites, Don Bosco se comporta comme un véritable pèlerin jubilaire, se consacrant avec ferveur aux visites et aux dévotions prévues, jusqu’à participer aux solennels rites pascals officiés par le Pape. Ce fut une expérience intense, qu’il ne garda pas pour lui, mais qu’il partagea avec ses jeunes avec l’enthousiasme et la passion éducative qui le caractérisaient.
En décrivant minutieusement le voyage, les étapes et les lieux saints, Don Bosco avait un clair objectif apostolique et éducatif : faire revivre à ceux qui l’écoutaient ou le lisaient la même profonde expérience de foi, leur transmettant l’amour pour l’Église et pour la tradition chrétienne.
Nous invitons maintenant les lecteurs à s’unir spirituellement à Don Bosco, en parcourant idéalement les routes de la Rome chrétienne, pour se laisser fasciner par son élan et son zèle et, ensemble, renouveler notre foi.

À Gênes en chemin de fer
Le départ pour Rome était fixé au 18 février 1858. Cette nuit-là, il tomba presque un pied de neige sur les deux qui couvraient déjà le sol. À huit heures et demie, alors qu’il neigeait encore, avec l’émotion d’un père qui quitte ses enfants, je saluais les jeunes pour commencer le voyage vers Rome. Bien que nous fussions un peu pressés d’arriver à temps au train, nous nous attardâmes encore un peu pour faire notre testament : je ne voulais en effet laisser aucune affaire en suspens à l’Oratoire au cas où la Providence voudrait nous donner en pâture aux poissons de la Méditerranée […] Puis, en courant, nous nous rendîmes à la gare et, en compagnie de Don Mentasti […], nous partîmes en train à dix heures du matin.
Un incident désagréable se produisit ici : les wagons étaient presque complets, si bien que je dus laisser Rua et Don Mentasti dans un compartiment et trouver une place dans un autre […]

L’enfant juif
Je tombai par hasard près d’un garçon de dix ans. Remarquant son apparence simple et son bon visage, je me mis à converser avec lui et […] je remarquai qu’il était juif. Le père, qui était assis à côté de lui, m’assura que son fils était en quatrième année de primaire, mais il m’a semblé que son instruction n’allait au-delà de la deuxième. Cependant, il était d’esprit vif. Le père était content que je l’interroge, et il m’invita même à le faire parler de la Bible. Ainsi, je commençai à l’interroger sur la création du monde et de l’homme, sur le Paradis terrestre, sur la chute des ancêtres. Il répondait assez bien, mais je fus étonné quand je compris qu’il n’avait aucune idée du péché originel et de la promesse d’un Rédempteur.
– N’y a-t-il pas dans ta Bible la promesse de Dieu à Adam quand il le chassa du Paradis ?
– Non, dites-le-moi, répondit-il.
– Tout de suite. Dieu dit au serpent : puisque tu as trompé la femme, tu seras maudit parmi tous les animaux, et Un qui naîtra d’une femme te brisera la tête.
– Qui est ce Un dont on parle ?
– C’est le Sauveur qui devait libérer l’humanité de l’esclavage du démon.
– Quand viendra-t-il ?
– Il est déjà venu et c’est celui que nous appelons… 
Ici le père nous interrompit en disant :
– Ces choses-là, nous ne les étudions pas car elles ne concernent pas notre loi.
– Vous feriez bien de les étudier, car elles se trouvent dans les livres de Moïse et des prophètes auxquels vous croyez.
– D’accord, dit l’autre, j’y penserai. Maintenant, demandez-lui quelque chose en arithmétique. 
Voyant qu’il ne souhaitait pas que je lui parle de religion, nous conversâmes de choses agréables, si bien que le père, le fils et même les autres voyageurs commencèrent à se divertir et à rire de bon cœur. À la gare d’Asti, le garçon devait descendre, mais il n’arrivait pas à se décider à me quitter. Il avait les larmes aux yeux, me tenait la main et, ému, réussit seulement à me dire :
– Je m’appelle Sacerdote Leone di Moncalvo ; souvenez-vous de moi. En venant à Turin, j’espère pouvoir vous rendre visite. Le père, pour alléger l’émotion, dit qu’il avait cherché à Turin l’ »Histoire d’Italie » [que j’avais écrite]. Ne l’ayant pas trouvée, il me priait de lui en envoyer une copie. Je promis d’envoyer celle imprimée spécialement pour la jeunesse, puis je descendis moi aussi pour chercher mes compagnons afin de voir s’il y avait de la place dans leur compartiment. Je trouvai Rua qui avait les mâchoires fatiguées à force de bâiller, car de Turin à Asti, il s’était beaucoup ennuyé, ne sachant avec qui engager la conversation : ses compagnons de voyage ne parlaient que de bals, de théâtre et d’autres choses peu intéressantes […]

Vers Gênes
Nous arrivâmes vers les Apennins. Ils se dressaient devant nous, très hauts et très raides. Comme le train voyageait à grande vitesse, nous avions l’impression d’aller heurter les rochers, jusqu’à ce qu’il fasse soudainement noir dans le train. Nous étions entrés dans les tunnels. Ce sont des « trous » qui, passant sous les montagnes, font économiser plusieurs dizaines de milles […] Sans tunnels, il serait impossible de les franchir, et comme il y a beaucoup de montagnes, il existe plusieurs tunnels. L’un d’eux est long comme la distance entre Turin et Moncalieri ; ici le convoi resta dans l’obscurité pendant huit minutes, le temps nécessaire pour parcourir le tronçon de tunnel.

Nous fûmes surpris de constater que la neige diminuait à mesure que nous nous rapprochions de la riviera de Gênes. Mais quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous aperçûmes les campagnes sans un fil de blanc, les rives verdoyantes, les jardins pleins de couleurs, les amandiers en fleurs et les pêchers avec des bourgeons prêts à s’ouvrir au soleil ! Alors, en faisant une comparaison entre Turin et Gênes, nous nous disions qu’en cette saison, Gênes est le printemps et Turin l’hiver le plus rude.

Les deux montagnards
J’oubliais de parler de deux montagnards qui montèrent dans notre compartiment à la gare de Busalla. L’un était pâle et maladif à faire pitié, l’autre avait un air sain et vif, et, bien qu’il approchât des soixante-dix ans, il montrait la vigueur d’un homme de vingt-cinq ans. Il portait des culottes courtes et des guêtres presque déboutonnées, si bien qu’il montrait ses jambes nues jusqu’au genou fouettées par le froid. Il était en manches de chemise avec seulement un pull et une veste de tissu grossier jetée sur les épaules. Après l’avoir fait parler de divers sujets, je lui dis :
– Pourquoi n’ajustez-vous pas vos vêtements pour vous protéger du froid ? Il répondit :
– Voyez-vous, cher Monsieur, nous sommes des montagnards, et nous sommes habitués au vent, à la pluie, à la neige et à la glace. Nous ne remarquons presque pas la saison hivernale. Nos garçons marchent pieds nus dans la neige, ils s’y amusent même sans se soucier du froid. Cela m’a fait comprendre que l’homme vit d’habitudes, et que le corps est capable de supporter selon les cas le froid ou la chaleur, et ceux qui voudraient se protéger de chaque petit inconfort risquent d’affaiblir leur condition physique au lieu de la renforcer.

L’arrêt à Gênes
Mais voici Gênes, voici la mer ! Rua s’agite pour la voir, allonge le cou : ici il remarque un navire, là quelques bateaux, plus loin la lanterne qui est un très haut phare. Nous arrivons entre-temps à la gare et descendons du train. Le beau-frère de l’abbé Montebruno nous attendait avec quelques jeunes, et à peine à terre, ils nous accueillirent avec joie, et portant nos bagages, ils nous conduisirent à l’œuvre des Artigianelli qui est une maison semblable à notre Oratoire. Les compliments furent brefs car nous avions tous une grande faim ; il était trois heures et demie de l’après-midi et je n’avais pris qu’une tasse de café. À table, il semblait que rien ne pouvait nous rassasier ; cependant, à force d’avaler, le sac se remplit.
Immédiatement après, nous avons visité la maison : écoles, dortoirs, ateliers. Il me semblait voir l’Oratoire d’il y a dix ans. Les pensionnaires étaient vingt ; vingt autres mangeaient et travaillaient sur place mais dormaient ailleurs. Quel est leur régime alimentaire ? À midi, un bon plat de soupe, puis… rien d’autre. Le soir, une petite miche de pain que l’on mange debout, puis au lit !
À la fin, nous sommes sortis pour une promenade en ville qui, à vrai dire, est peu attrayante, bien qu’elle ait de magnifiques palais et de grands magasins. Les rues sont étroites, tortueuses et raides. Mais la chose la plus agaçante était un vent désagréable ; soufflant presque sans interruption, il vous enlevait le plaisir d’admirer quoi que ce soit, même les plus belles […]

À Gênes, en somme, nos attentes furent déçues. Comme si cela ne suffisait pas, le vent contraire empêcha l’accostage du navire sur lequel nous devions embarquer, si bien que, malgré nous, nous dûmes attendre jusqu’au lendemain […] Le matin, j’ai dit la messe dans l’église des Dominicains à l’autel du Bienheureux Sébastien Maggi, un frère qui a vécu il y a environ trois cents ans. Son corps est un prodige continuel, car il se conserve tout entier, flexible et avec une couleur comme s’il était mort depuis quelques jours […] Puis nous allâmes faire valider, c’est-à-dire signer le passeport. Le consul pontifical nous accueillit avec beaucoup de courtoisie […] Il chercha aussi à nous obtenir une réduction sur le bateau, mais cela ne fut pas possible.

À Civitavecchia par mer. L’embarquement
À six heures et demie du soir, avant de nous diriger vers le bateau à vapeur Aventino, nous saluâmes plusieurs ecclésiastiques venus des Artigianelli pour nous souhaiter un bon voyage. Les garçons eux-mêmes, attirés par les bonnes paroles, mais surtout par quelques plats supplémentaires au repas du jour, étaient devenus nos amis et semblaient avoir du chagrin de nous voir partir. Plusieurs d’entre eux nous accompagnèrent jusqu’à la mer ; puis, sautant avec agilité dans une petite barque, voulurent nous escorter jusqu’au bateau. Le vent était très fort ; n’étant pas habitués à voyager par mer, nous craignions de chavirer et de sombrer à chaque mouvement de la barque, et nos accompagnateurs riaient de bon cœur. Après vingt minutes, nous arrivâmes enfin au navire.

À première vue, il nous semblait un palais entouré par les vagues. Nous montâmes à bord, et après avoir déposé nos bagages dans un logement assez spacieux, nous nous assîmes pour nous reposer et réfléchir. Chacun éprouvait des sensations particulières qu’il ne savait comment exprimer. Rua observait tout et tous en silence. Et voici le premier contretemps : à l’heure du déjeuner, nous ne sommes pas allés manger tout de suite, et quand nous l’avons demandé, tout était fini. Rua dut dîner avec une pomme, une petite miche de pain et un verre de Bordeaux ; quant à moi, je me contentai d’un morceau de pain et d’un peu de ce vin excellent. À noter que lorsque l’on voyage en bateau, les repas sont compris dans le billet, donc que l’on mange ou non, on paie de toute façon.

Après, nous sommes montés sur le pont pour nous rendre compte de ce qu’était cet « Aventino ». Nous avons ainsi appris que les navires prennent leur nom des lieux les plus célèbres des lieux vers lesquels ils se dirigent. L’un s’appelle Vatican, un autre Quirinal, un autre Aventin, comme le nôtre, pour rappeler les sept célèbres collines de Rome. Ce navire part de Marseille, touche Gênes, Livourne, Civitavecchia, puis continue vers Naples, Messine et Malte. Au retour, il répète le même parcours jusqu’à Marseille. On l’appelle aussi bateau postal car il transporte des lettres, des plis, etc. Qu’il fasse beau ou mauvais temps, il part de toute façon.

Le mal de mer
On nous avait assigné la couchette qui est une sorte d’armoire à étages où les passagers s’allongent sur un matelas dans chaque étage. À dix heures, on leva l’ancre et le bateau, poussé par la vapeur et un vent favorable, commença à filer à grande vitesse vers Livourne. Quand nous fûmes au large, je fus assailli par le mal de mer qui me tourmenta pendant deux jours. Ce désagrément consiste en des vomissements fréquents, et quand on n’a plus rien à rejeter, les efforts deviennent plus violents, si bien que la personne devient si épuisée qu’elle refuse tout aliment. La seule chose qui peut apporter un certain soulagement est de se mettre au lit et de rester le corps entièrement étendu, quand les vomissements le permettent.

Livourne
La nuit du 20 février fut une mauvaise nuit. Le danger ne venait pas de la mer agitée, mais le mal de mer m’avait tellement accablé que je ne pouvais rester ni couché, ni debout. Je sautai de ma couchette et allai voir si Rua était vivant ou mort. Cependant, il n’avait qu’un peu de fatigue, rien d’autre. Il se leva immédiatement, se mettant à ma disposition pour alléger les désagréments de la traversée. Quand Dieu le voulut, nous arrivâmes au port de Livourne. Par port, on entend une baie de la mer protégée de la fureur des vents par des barrières naturelles ou des bastions construits par l’homme. Ici, les navires sont à l’abri de tout danger, ici ils déchargent leurs marchandises et en chargent d’autres pour d’autres destinations, ici ils font leurs approvisionnements. Les passagers qui le désirent peuvent aussi descendre à terre pour faire un tour en ville à condition de revenir à l’heure […]

Je souhaitais descendre pour visiter la ville, dire la messe et saluer quelques amis, mais je ne pus le faire ; en fait je fus contraint de retourner dans ma couchette et d’y rester bien tranquille à jeun. Un serveur nommé Charles me regardait avec un œil de compassion et de temps en temps il s’approchait de moi en m’offrant ses services. Le voyant si bon et courtois, je commençai à converser avec lui, et parmi d’autres choses, je lui demandai s’il ne craignait pas d’être ridiculisé en assistant un prêtre sous le regard de tant de personnes.
– Non, me dit-il en français, comme vous voyez, personne ne s’étonne, au contraire, tout le monde vous regarde avec bonté et désire vous aider. D’autre part, ma mère m’a appris à avoir un grand respect pour les prêtres afin de gagner la bénédiction du Seigneur. Charles alla ensuite appeler un médecin : chaque navire a son médecin et les principaux remèdes pour tout besoin. Le médecin vint et ses manières affables me soulagèrent un peu.
– Comprenez-vous le français ? me dit-il. Je répondis :
– Je comprends toutes les langues du monde, même celles qui ne sont pas écrites, même le langage des sourds-muets. Je plaisantais pour me réveiller de la somnolence qui m’avait pris. L’autre comprit et se mit à rire.
– Peut-être, ce n’est pas impossible ! disait-il en m’examinant. À la fin, il m’annonça qu’au mal de mer s’était ajoutée la fièvre et qu’une boisson de thé me ferait du bien. Je le remerciai et lui demandai son nom.
– Mon nom, dit-il, est Jobert de Marseille, docteur en médecine et chirurgie. Charles, attentif aux ordres du médecin, me prépara rapidement une tasse de thé, puis une autre, puis encore une autre. Et cela me fit du bien, au point que je réussis à m’endormir.
À cinq heures [de l’après-midi], le bateau leva l’ancre. Quand nous fûmes en haute mer, j’eus de nouveau des nausées encore plus violentes, restant agité pendant environ quatre heures, puis, par épuisement – je n’avais plus rien dans l’estomac – et aidé par le roulis du navire, je m’endormis et reposai d’un sommeil tranquille jusqu’à notre arrivée à Civitavecchia.

Payer, payer, payer
Le repos de la nuit m’avait redonné des forces. Bien qu’épuisé par le long jeûne, je me levai et préparai mes bagages. Nous étions sur le point de descendre quand on nous informa d’une dette que nous ne savions pas avoir contractée. Le café n’était pas compris dans le prix des repas mais devait être payé séparément, et nous qui en avions pris quatre tasses, payâmes un supplément de deux francs, c’est-à-dire cinquante centimes par tasse. Le capitaine, après avoir fait viser les passeports, nous remit le permis de débarquement. C’est alors que commença la série des pourboires : un franc chacun aux bateliers, un demi-franc pour les bagages (que nous portions nous-mêmes), un demi-franc à la douane, un demi-franc à celui qui nous invitait dans la voiture, un demi-franc au porteur qui s’occupait des bagages, deux francs pour le visa sur le passeport, un franc et demi au consul pontifical. On n’avait pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il fallait déjà payer. En ajoutant que les pièces de monnaie changeaient de nom et de valeur et que nous devions nous fier à ceux qui nous faisaient le change […] À la douane, ils respectèrent un paquet adressé au cardinal Antonelli avec le sceau pontifical, dans lequel nous avions mis les choses les plus importantes […]

Après avoir terminé les opérations, je me rendis chez le barbier pour me raser une barbe de dix jours. Tout se passa bien, mais dans le salon, je ne pus détacher mon regard de deux cornes sur une table. Elles mesuraient environ un mètre et étaient ornées d’anneaux scintillants et de rubans. Je pensais qu’elles étaient destinées à un usage particulier, mais on me dit qu’elles étaient de génisse, que nous appelons bœuf, mises là seulement comme ornement […]

Vers Rome en diligence
Entre-temps, don Mentasti était en colère parce qu’il ne nous voyait pas arriver, tandis que la voiture nous attendait déjà. Nous nous étions mis à courir pour arriver à temps. Montés dans la voiture, nous partîmes pour Rome. La distance à parcourir était de 47 milles italiens, ce qui correspond à 36 milles piémontais. La route était très belle. Nous avions pris place dans le coupé d’où nous pouvions contempler les prairies verdoyantes et les haies fleuries. Une curiosité nous divertit beaucoup. Nous remarquâmes que tout allait par trois : les chevaux de notre voiture étaient attelés par trois ; nous rencontrâmes des patrouilles de soldats qui allaient par trois ; même certains paysans marchaient trois par trois, tout comme certaines vaches et certains ânes qui paissaient par trois. Nous riions de ces étranges coïncidences […]

Une pause pour les chevaux
À Palo, le cocher accorda aux voyageurs une heure de liberté pour avoir le temps de reposer les chevaux. Nous en profitâmes pour courir à la taverne voisine et apaiser notre faim. Les affaires nous avaient presque fait oublier de manger ; depuis vendredi midi, je n’avais pris qu’une tasse de café au lait. Nous nous sommes attaqués aux petits pains que nous avons mangés, ou plutôt dévorés complètement. En voyant ensuite le serveur tout épuisé et pâle, je lui demandai ce qu’il avait.
– J’ai des fièvres qui me tourmentent depuis des mois, répondit-il. Je fis alors le bon médecin :
– Laissez-moi faire, je vous prescris une recette qui chassera la fièvre pour toujours. Ayez seulement confiance en Dieu et en saint Louis. Prenant alors un morceau de papier avec un crayon, j’écrivis ma recette, lui recommandant de l’apporter à un pharmacien. Il était hors de lui, tout heureux, et, ne sachant comment exprimer sa gratitude, il n’arrêtait pas de me baiser la main, et voulait baiser aussi celle de Rua, qui, par modestie, ne le lui permit pas.

Parmi les rencontres sympathiques il y eut celle d’un gendarme pontifical. Il pensait me connaître, et je croyais le connaître, alors nous nous saluâmes tous les deux en grande fête. Et quand nous nous rendîmes compte de l’équivoque, l’amitié et les expressions de bienveillance et de respect continuèrent. Pour lui faire plaisir, je dus permettre qu’il me payât une tasse de café, et pour ma part, je lui offris un petit verre de rhum. Puis, m’ayant demandé de lui laisser un souvenir, je lui offris la médaille de saint Louis de Gonzague. Le nom de ce bon carabinier était Pedrocchi.

Dans la ville des papes
Remontés à nouveau dans la voiture et volant plus vite par le désir que par les pattes des chevaux, nous avions l’impression à chaque instant d’être arrivés à Rome. La nuit tombée, chaque fois que l’on apercevait au loin un buisson ou un arbre, Rua s’exclamait aussitôt :
– Voici la coupole de Saint-Pierre. Mais avant d’arriver, nous avons dû patienter jusqu’à dix heures et demie du soir, et comme il faisait déjà nuit noire, nous ne pouvions plus distinguer aucun détail. Un certain frisson cependant nous prit à la pensée que nous entrions dans la ville sainte. […] Arrivés enfin à destination, et n’ayant aucune connaissance des lieux, nous cherchâmes un guide qui, pour douze baiocchi, nous accompagna chez les De Maistre, via del Quirinale 49, aux Quatre Fontaines. Il était déjà onze heures. Nous fûmes accueillis avec bonté par le comte et la comtesse ; les autres étaient déjà au lit. Après nous être un peu restaurés, nous nous souhaitâmes bonne nuit et allâmes dormir.

San Carlino
La partie du Quirinal que nous habitons est appelée Quattro Fontane parce que quatre sources permanentes proviennent de quatre contrées et se rejoignent ici. En face de la maison où nous avions pris domicile se trouvait l’église des carmes. Ceux-ci étaient tous espagnols et appartenaient à l’ordre dit de la Rédemption des Esclaves. L’église fut construite en 1640 et dédiée à saint Charles ; mais pour la distinguer d’autres dédiées au même saint, on l’appela S. Carlino. Nous nous sommes rendus dans la sacristie, avons montré le Celebret (document pour pouvoir célébrer n.d.r.) et ainsi nous avons pu dire la messe. […] Nous passâmes presque toute la journée à mettre en ordre nos papiers, faire des commissions, porter des lettres […]

Le Panthéon
Profitant d’une heure qui nous restait avant la nuit, nous nous nous sommes rendus au Panthéon qui est l’un des monuments les plus anciens et les plus célèbres de Rome. Il fut construit par Marcus Agrippa, gendre de César Auguste, vingt-cinq ans avant l’ère vulgaire (av. J.-C. n.d.r.). On croit que cet édifice a été appelé Panthéon, qui signifie tous les dieux, parce qu’en fait il était dédié à toutes les divinités. La façade est vraiment superbe. Huit grosses colonnes soutiennent une élégante corniche. Juste après, voici un portique formé de seize colonnes faites d’un seul bloc de granit, puis le pronaos, ou avant-temple, constitué de quatre piliers cannelés, dans lesquels sont creusées des niches anciennement occupées par les statues d’Auguste et d’Agrippa.
À l’intérieur on découvre une haute coupole ouverte au milieu, par laquelle pénètre la lumière, mais aussi le vent, la pluie et la neige, quand elle tombe par ici. Les marbres les plus précieux servent ici de pavé ou d’ornement tout autour. Le diamètre est de cent trente-trois pieds, correspondant à dix-huit trabucchi (environ 55 m). Ce temple servit au culte des dieux jusqu’en 608 après Jésus-Christ, lorsque le pape Boniface IV, pour empêcher les désordres qui se commettaient pendant les sacrifices, le dédia au culte du vrai Dieu, c’est-à-dire à tous les saints.

Cette église a connu de nombreuses vicissitudes. Lorsque Boniface IV obtint ce monument de l’empereur Phocas, il le dédia au culte de Dieu et de la Vierge et fit transporter de divers cimetières vingt-huit chariots de reliques qu’il plaça sous l’autel majeur. Depuis lors, on commença à l’appeler Santa Maria ad Martyres. Parmi les choses que nous avons beaucoup appréciées, il y eut la visite de la tombe du grand Raphaël […] Maintenant, cette église porte aussi le nom de Rotonde, en raison de la forme de sa construction. Devant s’étend une place dont le centre est occupé par une grande fontaine en marbre, surmontée de quatre dauphins qui jettent continuellement de l’eau.

Saint-Pierre-aux-Liens
Le 23 février […] nous avons été très contents de la visite à Saint-Pierre-aux Liens, église située au sud de Rome à la limite de la ville. Ce fut une journée mémorable car elle coïncidait avec l’une des rares fois où l’on exposait les chaînes de saint Pierre, dont les clés sont gardées par le Saint-Père lui-même. Une tradition soutient que c’est saint Pierre lui-même qui a érigé ici la première église en la dédiant au Sauveur. Détruite par l’incendie de Néron, elle fut reconstruite par saint Léon le Grand en 442 et dédiée au premier Pape. On l’a appelée Saint-Pierre-aux-Liens, car le Pape y a placé la chaîne avec laquelle le Prince des Apôtres avait été enchaîné à Jérusalem sur l’ordre d’Hérode. Le patriarche Juvénal l’avait offerte à l’impératrice Eudoxie, qui à son tour l’envoya à Rome à sa fille Eudoxie junior, épouse de Valentinien III. À Rome, on conservait aussi la chaîne avec laquelle saint Pierre avait été enchaîné dans la prison Mamertine. Lorsque saint Léon voulut faire la comparaison entre celle-ci et celle de Jérusalem, les deux chaînes s’unirent l’une à l’autre de manière prodigieuse, de sorte qu’aujourd’hui elles forment une seule chaîne, qui est conservée dans un autel spécial à côté de la sacristie. Nous avons eu la consolation de toucher ces chaînes de nos propres mains, de les embrasser, de les mettre autour de notre cou et de les approcher de notre front. Nous avons également soigneusement vérifié pour essayer de discerner le point d’union des deux, mais cela ne nous a pas été possible. Nous avons seulement pu constater que la chaîne de Rome est plus petite que celle de Jérusalem.
À Saint-Pierre-aux-Liens se trouve le magnifique tombeau de Jules II […] C’est l’un des chefs-d’œuvre du célèbre Michel-Ange Buonarroti, qui est considéré comme l’un des plus grands artistes du marbre, l’auteur de la statue de Moïse placée près de l’urne. Le patriarche est représenté avec les tables de la loi sous son bras droit, en train de parler au peuple qu’il regarde fièrement, car il s’était rebellé. L’église est à trois nefs, séparées par vingt colonnes de marbre de Paros, et deux de granit bien conservé.

Saint-Louis des Français
Vers neuf heures, nous nous sommes rendus à Santa Maria sopra Minerva, où nous avons été reçus en audience privée par le cardinal Gaude pendant environ une heure et demie. Il parla avec nous en dialecte piémontais, s’intéressant à nos oratoires […] L’après-midi, nous sommes allés rendre visite au marquis Giovanni Patrizi […]. En face de son palais se trouve l’église Saint-Louis des Français qui donne son nom à la place et au quartier voisin. C’est une église bien entretenue et enrichie de nombreux marbres précieux. Sa singularité réside dans les sépultures des Français célèbres morts à Rome. En effet, le sol et les murs sont couverts d’épitaphes et de plaques. […]

Sainte-Marie-Majeure sur l’Esquilin
Du Quirinal part une route qui mène à l’Esquilin, ainsi nommé à cause des nombreux chênes qui couvraient autrefois la colline. Sur la partie haute s’élève Sainte-Marie-Majeure, dont tous les historiens sacrés ont raconté l’origine de la manière suivante. Un certain Giovanni, patricien romain, n’ayant pas d’enfants, désirait employer ses biens dans une œuvre de piété […] La nuit du 4 août 352, la Vierge lui apparut en rêve et lui ordonna de lui élever un sanctuaire à l’endroit où il trouverait le lendemain de la neige fraîche. La même vision se manifesta au pape de l’époque, Libère. Le jour suivant, comme la rumeur se répandit qu’une abondante neige était tombée sur la colline de l’Esquilin, Libère et Giovanni s’y rendirent, et, constatant le prodige, ils s’activèrent à mettre en pratique le commandement reçu dans la vision. Le Pape traça le plan du nouveau sanctuaire, qui fut rapidement achevé avec l’argent de Giovanni, et quelques années plus tard, Libère put procéder à la consécration […]

Devant l’église s’étend une vaste place au centre de laquelle se trouve l’ancienne colonne de marbre blanc, provenant du temple de la paix. Le pape Paul V, en 1614, la dota d’une base et d’un chapiteau, sur lequel il plaça la statue de la Vierge avec l’Enfant. L’architecture de la façade est majestueuse et est soutenue par de grosses colonnes de marbre qui forment un vaste vestibule. Au fond de celui-ci a été placée la statue de Philippe IV, roi d’Espagne, qui fit de nombreuses donations en faveur de cette église et voulut lui-même être inscrit parmi les chanoines. Le sol est en mosaïque précieuse travaillée avec des marbres de différents types, tous d’une valeur inestimable.
La chapelle à droite de l’autel majeur conserve la tombe de saint Jérôme, la crèche du Sauveur et l’autel du pape Libère. L’autel papal est recouvert de précieux marbres de porphyre, et soutenu par quatre angelots en bronze doré. En dessous s’ouvre la Confession, qui est une chapelle dédiée à saint Matthias. Nous sommes allés la visiter le jour de la station de carême, ainsi nous avons eu la chance de trouver exposé sur un riche autel la tête de saint Matthias. Nous l’avons observée attentivement, et nous avons remarqué que la peau restait attachée à la tête, qu’on apercevait même quelques cheveux attachés au crâne vénérable.

La Vierge et la peste
Dans la chapelle à gauche de l’autel, on peut observer un tableau de la Vierge attribué à saint Luc, très vénéré par le peuple. L’image a été tenue en grande considération par les papes. Saint Grégoire le Grand, lors de la terrible peste de 590, la porta en procession jusqu’au Vatican. C’était le 25 avril. Lorsque le cortège arriva près du mausolée d’Hadrien, on vit un ange qui remettait l’épée dans le fourreau, indiquant ainsi la cessation de la peste. En mémoire de ce prodige, le mausolée fut appelé Château Saint-Ange, et depuis lors, la procession se répète chaque année le jour de saint Marc Évangéliste. À Sainte-Marie-Majeure, tout est majestueux et grand ; mais la parole et l’écrit ne parviennent pas à la décrire en vérité. Qui la voit de ses propres yeux fixe son regard émerveillé dans chaque coin.

Aujourd’hui, mercredi de carême ici à Rome, on jeûne et cela signifie que sont interdits non seulement les aliments à base de viande, mais aussi toute soupe ou plat à base d’œufs, de beurre ou de lait. Les assaisonnements utilisés en ces mercredis sont l’huile, l’eau et le sel. La pratique est strictement observée par toutes les classes de personnes, tant et si bien que dans les marchés et les boutiques, ce jour-là, on ne trouve ni viande, ni œufs, ni beurre.

La légende de saint Galgan
Le soir, madame De Maistre nous raconta une histoire digne d’être retenue. Elle dit : L’année dernière, le vicaire général de Sienne est venu nous rendre visite. Parmi les nombreuses choses dont il avait l’habitude de nous parler, il nous raconta l’histoire de saint Galgan, soldat. Ce saint est mort depuis des siècles, et sa tête est conservée intacte ; mais la plus grande merveille est que chaque année, on lui coupe les cheveux, qui poussent insensiblement et retrouvent la même longueur l’année suivante. Un protestant, après avoir écouté ce prodige, se mit à rire en disant : laissez-moi sceller l’urne où est conservée la tête, et si les cheveux poussent malgré tout, je reconnaîtrai le miracle et deviendrai catholique. La chose fut rapportée à l’évêque qui répondit : je mettrai les sceaux épiscopaux pour garantir l’authenticité de la relique, qu’il mette les siens pour s’assurer du fait. Ainsi fut fait. Mais ce monsieur, impatient de voir si le prodige commençait à se produire, après quelques mois demanda à ouvrir l’urne. Imaginez sa surprise lorsqu’il vit que les cheveux de saint Galgan avaient déjà poussé comme ils l’auraient fait s’il avait été vivant ! Alors c’est vrai ! s’exclama-t-il. Je deviendrai catholique. En effet, l’année suivante, le jour de la fête du Saint, lui et sa famille renoncèrent au luthéranisme et embrassèrent la religion catholique, qu’il professe aujourd’hui d’une façon exemplaire.

Sainte-Pudentienne au Viminal
Partant des Quatre Fontaines, on monte au Viminal, ainsi nommé à cause des nombreux osiers ou joncs, qui le recouvraient autrefois. Au pied de cette colline, dans la maison de Pudens, sénateur romain, saint Pierre logea lorsqu’il vint à Rome. Le saint apôtre convertit son hôte à la foi et transforma sa maison en église. Saint Pie I, vers 160, à la demande des vierges Pudentienne et Praxède, filles du sénateur Pudens, consacra cette église, qui […] fut ensuite dédiée à Sainte Pudentienne parce qu’elle y avait habité et y était morte. De nombreux papes ont entrepris la restructuration de ce lieu qui contient de précieux témoignages chrétiens. Le puits de sainte Pudentienne mérite une attention particulière. On croit qu’elle y enterra les corps des martyrs. Au fond, on peut remarquer une grande quantité de reliques ; l’histoire dit qu’il contient les reliques de trois mille martyrs.

À côté de l’autel majeur, il y a une chapelle de forme oblongue avec un autel sur lequel on admire un groupe en marbre représentant Jésus qui remet les clés à saint Pierre. On croit que cet autel est celui sur lequel saint Pierre a célébré la messe, et sur lequel, à ma grande consolation, j’ai pu célébrer moi-même. On y conserve des morceaux d’éponge dont se servait Pudentienne pour recueillir le sang des plaies des martyrs, ou de la terre qui en était imprégnée.
En continuant vers la gauche, on arrive à une chapelle qui conserve le témoignage d’un grand miracle. Alors qu’il célébrait la messe, un prêtre douta de la possibilité de la présence réelle de Jésus dans l’hostie sainte. Après la consécration, l’hostie lui échappa des mains et, tombant sur le sol, rebondit d’abord sur une marche puis sur une autre. Là où elle frappa la première fois, le marbre resta presque perforé, et sur la deuxième marche se forma une cavité très profonde en forme d’hostie. Ces deux marches en marbre sont conservées en ce même lieu et soigneusement gardées.

Sainte-Praxède
Partant de Sainte-Pudentienne, en montant vers l’Esquilin, à peu de distance de Sainte-Marie-Majeure, on trouve l’église Sainte-Praxède. Vers l’an 162 après J.-C., au-dessus de l’endroit où se trouvaient les thermes, c’est-à-dire les bains de Novatus, saint Pie I éleva une église en l’honneur de cette vierge, sœur de Novatus, Pudentienne et Théotilus. L’endroit servit de refuge aux anciens chrétiens en temps de persécution. La Sainte, qui s’employait à fournir ce qui était nécessaire aux chrétiens persécutés, s’occupait également de recueillir les corps des martyrs qu’elle enterrait ensuite, versant leur sang dans le puits qui se trouve au milieu de l’église. Celle-ci est riche en ornements et en marbres précieux, comme presque toutes les églises de Rome.
Il y a aussi la chapelle des martyrs Zénon et Valentin, dont les corps, transportés par saint Pascal I en l’an 899, reposent sous l’autel. Ici se conserve également une colonne en jaspe, haute d’environ trois coudées, qu’un cardinal nommé Colonna fit transporter de Terre Sainte en l’an 1223. On pense que c’est celle à laquelle le Sauveur fut attaché pendant la flagellation.

Le Caelius
Depuis l’Esquilin, en regardant vers l’ouest, on voit la colline du Caelius. Autrefois, elle était appelée Querchetulano à cause des chênes qui la recouvraient. Plus tard, elle fut nommée Caelius d’après Caeles Vibenna, capitaine des Étrusques venus en aide à Rome, et que Tarquinius Priscus fit loger sur cette colline. La première chose que l’on remarque est le plus grand obélisque que l’on connaisse. Ramsès, pharaon d’Égypte, le fit ériger à Thèbes en le dédiant au soleil. Constantin le Grand le fit transporter à travers le Nil jusqu’à Alexandrie, mais, après sa mort, ce fut son fils Constance qui le transporta à Rome. Pour le voyage, on utilisa un vaisseau de trois cents rames, et à travers le Tibre, il fut conduit dans la ville et placé dans un endroit appelé Circus Maximus. Là, il tomba à terre et se brisa en trois parties. Le pape Sixte V le fit restaurer et ériger sur la place du Latran en 1588. L’obélisque atteint une hauteur de 153 pieds romains. Il est entièrement orné de hiéroglyphes et surmonté d’une haute croix.

À droite de la place se trouve le baptistère de Constantin avec l’église Saint-Jean in Fonte. On dit qu’elle a été construite par Constantin à l’occasion du baptême qu’il reçut du pape saint Sylvestre en l’an 324. Elle possède deux chapelles, l’une dédiée à saint Jean-Baptiste, l’autre à saint Jean l’Évangéliste, d’où son nom d’église S. Giovanni in Fonte. Le baptistère, qui est une cuve de grande largeur revêtue de marbres précieux, se trouve au milieu. La petite chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste est considérée comme une chambre de Constantin, transformée en oratoire et dédiée au saint Précurseur par le pape saint Hilaire.

Saint-Jean-de-Latran
En sortant du baptistère et en traversant la vaste place, on trouve la basilique Saint-Jean-de-Latran. Cette célèbre construction est la première et principale église du monde catholique. Sur la façade on peut lire : Ecclesiarum Urbis et Orbis Mater et Caput (mère et tête de toutes les églises de Rome et du monde). C’est le siège du Souverain Pontife en tant qu’évêque de Rome ; après son couronnement, il va en prendre solennellement possession. Elle fut également appelée Basilique constantinienne, car fondée par Constantin le Grand. Elle fut ensuite appelée Basilique du Latran parce qu’érigée là où se trouvait le palais d’un certain Plautius Lateranus, que Néron a fait tuer ; et aussi Basilique du Sauveur à la suite d’une apparition du Sauveur survenue pendant la construction. On l’appelle encore Basilique d’Or à cause des précieux dons dont elle a été enrichie, et Basilique San Giovanni parce qu’elle est dédiée à saint Jean-Baptiste et à saint Jean Évangéliste.
C’est Constantin le Grand qui la fit construire près de son palais, vers l’an 324. Agrandie ensuite avec de nouveaux corps de bâtiment, elle fut cédée au saint Pontife. C’est ici que les papes résidèrent jusqu’au temps de Grégoire XI. Lorsque celui-ci ramena le Saint-Siège d’Avignon à Rome, il transféra sa résidence au Vatican.
En 1308, un terrible incendie la détruisit, mais Clément V, qui était alors à Avignon, envoya immédiatement ses agents avec de grandes sommes d’argent, et en peu de temps, elle fut reconstruite. Le portique est soutenu par vingt-quatre gros piliers ; au fond se trouve la statue de Constantin trouvée dans ses thermes au Quirinal. La grande porte en bronze est d’une hauteur extraordinaire. Elle provient de l’église Saint-Adrien in Campo Vaccino et a été transportée ici. Elle constitue un rare exemple de portes anciennes dites Quadrifores, c’est-à-dire construites de manière à pouvoir s’ouvrir en quatre parties, une à la fois sans que l’une mette en danger la stabilité de l’autre. À droite, il y a une porte murée qui ne s’ouvre que pendant l’année du jubilé et qui est appelée Porte Sainte.

L’intérieur est à cinq nefs. La longueur, la hauteur, la richesse des pavements, des sculptures et des peintures sont un enchantement pour les yeux. Il faudrait en écrire de gros volumes pour en parler dignement. Parmi les reliques insignes de cette église il y a les têtes des deux princes des Apôtres Pierre et Paul. Elles sont conservées sous l’autel majeur et encastrées dans une autre tête d’or. Il y a aussi une relique insigne de saint Pancrace martyr, et on y conserve une table que l’on pense être celle même sur laquelle Jésus célébra la sainte cène avec ses Apôtres.

En sortant de l’église par la porte principale et en traversant la place, on trouve la Scala Santa, un bâtiment que le pape Sixte V fit ériger pour y conserver l’escalier, qui se trouvait auparavant en morceaux dans l’ancien palais papal du Latran. Il est formé de vingt-huit marches en marbre blanc provenant du prétoire de Pilate à Jérusalem et que Jésus monta et descendit plusieurs fois pendant sa passion. Sainte Hélène, mère de Constantin, les envoya à Rome avec beaucoup d’autres choses sanctifiées par le sang de Jésus-Christ. Ce célèbre escalier est tenu en grande vénération et c’est pourquoi on le monte à genoux, et on redescend par l’un des quatre escaliers latéraux. Ces marches se sont creusées à cause du grand afflux de chrétiens qui les ont montées, si bien qu’elles ont été recouvertes de planches de bois. Le même Sixte V fit placer en haut de l’escalier la célèbre chapelle privée des papes, qui est pleine des plus insignes reliques, et que l’on appelle Sancta Sanctorum.

Cité du Vatican. La construction
La colline du Vatican contient tout ce qui existe de plus excellent dans les arts, et de mémorable dans la religion ; c’est pourquoi nous en donnerons une description un peu plus précise. Elle a été appelée Vatican d’après Vagitanus, une divinité qui était censée surveiller le vagissement des enfants. En effet, la première syllabe Va (va n.d.r.) dont est composé le mot est aussi le premier cri des enfants. La colline acquit de la renommée lorsque Caligula y construisit le cirque auquel on donna ensuite le nom de Néron. Pour passer de la rive gauche à la rive droite du Tibre, Caligula construisit le pont du Vatican, dit aussi Triomphal, qui n’existe plus maintenant. Le cirque de Néron commençait là où se trouve aujourd’hui l’église Sainte-Marthe et s’étendait jusqu’aux marches de l’ancienne basilique vaticane. Dans ce cirque fut enterré le corps du Prince des Apôtres […]

Là furent également enterrées les ossements d’autres papes, dont Lin, Clément, Anaclet, Évariste et d’autres encore. Le Mémorial de S. Pierre, c’est-à-dire le petit temple construit sur sa tombe, dura jusqu’aux temps de Constantin qui, à la demande de saint Sylvestre, vers 319, entreprit la construction d’une église en l’honneur de l’Apôtre. Elle fut érigée précisément autour de ce petit temple, en utilisant des matériaux prélevés sur des édifices publics. La construction fut appelée Basilique constantinienne, et à cette époque, elle était considérée comme l’une des plus célèbres de la chrétienté. Au milieu de cette église, faite en forme de croix latine, se trouvait l’autel dédié à saint Pierre sous lequel son corps était enterré, protégé par des grilles ; cet espace était déjà appelé la Confession de saint Pierre. Une fois le temple achevé et doté de riches ornements, le pape Sylvestre le consacra le 18 novembre 324 […] Les pontifes qui vinrent par la suite l’ont embelli et l’agrandi. Pendant onze siècles, il fut l’objet de la dévotion et de l’admiration des chrétiens qui se rendaient à Rome.

Au XVe siècle, il commençait à se détériorer, c’est pourquoi Nicolas V pensa à le rénover, mais il n’eut que le mérite de commencer les travaux, car la mort lui fit suspendre tout. Jules II reprit la construction en changeant son nom, qui passa de Basilique constantinienne à Saint-Pierre du Vatican, et posa la première pierre le 18 avril 1506. Les architectes furent Bramante, puis Fra Giocondo Domenico et Raffaello Sanzio. Après eux travaillèrent les architectes les plus célèbres et les esprits les plus sublimes de l’époque.

La grande place
 […] Devant la basilique s’ouvre une vaste place dont la longueur dépasse la moitié d’un kilomètre. Elle est formée de 284 colonnes et de 64 piliers qui, disposés en demi-cercle de chaque côté en quatre rangées, forment trois voies dont la plus large, celle du centre, permet le passage de deux voitures. Au-dessus de la colonnade sont placées 96 statues de saints, en marbre, d’une hauteur d’environ 10 pieds. Au centre, s’élève l’obélisque égyptien. Il est d’une seule pièce, et c’est le seul qui soit resté entier. Il mesure 126 pieds de hauteur, y compris la croix et le piédestal. Il n’a pas de hiéroglyphes. Nucoreus, roi d’Égypte, l’avait érigé à Héliopolis, d’où il fut prélevé et transporté à Rome par Caligula l’an 3 de son règne. Il fut placé dans le cirque construit au pied de la colline du Vatican, comme le montrent les inscriptions qui y sont lues. Ce cirque fut appelé de Néron parce qu’il s’y rendait fréquemment ; c’est ici que ce cruel empereur fit un massacre de chrétiens, les accusant d’être les auteurs de l’incendie de Rome qu’il avait lui-même allumé.

En 1818, on construisit une horloge solaire sur la place. Sur le sol on dessina les douze signes du zodiaque. L’obélisque faisait office de gnomon, et son ombre indiquait les stations du soleil. Tout autour, on écrivit les noms des vents avec la direction dans laquelle chacun d’eux souffle. De chaque côté, deux fontaines semblables jettent perpétuellement de l’eau dont les jets peuvent monter jusqu’à soixante pieds. La reine d’Écosse, accueillie avec pompe en ce lieu, regarda avec émerveillement les deux fontaines, pensant qu’elles avaient été faites spécialement pour l’accueillir. Non, dit un monsieur qui était à ses côtés, ces jets sont perpétuels.

Visite à Saint-Pierre
En marchant vers la façade de la basilique, on arrive à un magnifique escalier flanqué de deux statues, l’une de saint Pierre et l’autre de saint Paul, installées là par le pape Pie IX. En montant les marches, on se trouve devant la façade qui porte cette inscription : En l’honneur du Prince des Apôtres Paul V, Souverain Pontife, en l’an 1612, 7e de son pontificat. Au-dessus du portique s’étend la grande Loggia des bénédictions. La façade est majestueuse et imposante. Le portique est entièrement orné de marbres, de peintures en mosaïque et d’autres travaux élégants. Au fond du vestibule à droite, on peut observer la magnifique statue équestre de Constantin en train de contempler la prodigieuse croix qui lui apparut dans le ciel avant la bataille finale contre Maxence.

Du portique, on entre dans la basilique par quatre portes, dont la dernière à droite ne s’ouvre que pour l’année sainte. La porte principale est en bronze, d’une grande hauteur, et il faut de nombreux bras forts pour l’ouvrir. L’intérieur se présente à cinq nefs en plus de la croisée qui se termine par la tribune. La curiosité et la surprise nous ont conduits au milieu de la nef principale. Ici, nous nous sommes arrêtés pour admirer et réfléchir sans dire un mot. Il nous sembla voir la Jérusalem céleste. La longueur de la basilique est de 837 coudées, sa largeur de 607. C’est la plus grande église de toute la chrétienté. Après Saint-Pierre, la plus vaste est celle de Saint-Paul à Londres. Si l’on ajoute à l’église Saint-Paul celle de notre Oratoire, on obtient la longueur précise de Saint-Pierre.

Après être restés immobiles pendant un certain temps, nous avons cherché le bénitier. Nous avons aperçu deux angelots, à première vue très petits, tenant une sorte de coquille dans le premier pilier de la basilique. Cela nous étonna qu’une église aussi vaste ait un bénitier si petit. Mais l’étonnement se transforma en surprise lorsque nous vîmes les angelots devenir de plus en plus grands à mesure que nous nous approchions. La coquille devint un vase d’environ six pieds de circonférence, et les angelots de chaque côté nous montraient leurs mains avec des doigts aussi gros que notre bras. C’est la preuve que les proportions de ce merveilleux édifice sont si bien réglées qu’elles rendent moins sensible son ampleur, que l’on découvre de mieux en mieux en examinant chaque détail. Autour des piliers de la nef principale, on voit les statues en marbre des fondateurs des ordres religieux.

Dans le dernier pilier à droite se trouve la statue en bronze de saint Pierre, tenue en grande vénération. C’est saint Léon le Grand qui la fit fondre avec le bronze de celle de Jupiter Capitolin. Elle rappelle la paix que ce Pontife obtint d’Attila qui faisait rage contre l’Italie. Le pied droit qui dépasse du piédestal est usé par les lèvres des fidèles qui ne passent jamais devant lui sans la baiser avec respect. Pendant que nous admirions la statue, l’ambassadeur autrichien à Rome passa en s’inclinant devant le prince des Apôtres et lui baisa le pied.

Nefs et chapelles
Disons maintenant quelques mots sur les nefs latérales et les chapelles qui s’y trouvent. À droite, on rencontre d’abord la chapelle de la Pietà. En plus des magnifiques mosaïques et des statues qui l’ornent, on admire au-dessus de l’autel le célèbre groupe sculpté par Michel-Ange en marbre blanc, alors qu’il n’avait que vingt-quatre ans. C’est peut-être la plus belle sculpture du monde. Le même Michel-Ange en était si satisfait qu’il la signa sur la ceinture de Marie.

À gauche de la chapelle de la Pietà se trouve celle dédiée au Crucifix et à Saint Nicolas. De là, on entre dans la petite Chapelle de la Sainte Colonne, où est conservée, protégée par une grille en fer, l’une des colonnes à vis qui se trouvaient autrefois devant l’autel de la Confession de Saint Pierre. C’est cette colonne sur laquelle Jésus-Christ s’appuya lorsqu’il prêcha dans le temple de Salomon. On s’émerveille devant la partie touchée par les épaules sacrées du Sauveur et jamais couverte de poussière, ce qui fait qu’on n’a pas besoin de la dépoussiérer comme le reste.

Après la chapelle de la Pietà, on rencontre le monument funéraire de Léon XII, érigé par Grégoire XVI. Le Pape est représenté en train de bénir le peuple depuis la loggia au-dessus du portique ; tout autour, on voit les têtes des cardinaux assistant à la cérémonie. En face de ce tombeau se trouve le cénotaphe de Christine Alexandra, reine de Suède, morte à Rome le 19 avril 1689. Celle-ci, protestante, convaincue de la faible consistance de sa religion, se fit instruire dans le catholicisme et fit la solennelle abjuration à Innsbruck le 3 novembre 1655. Divers bas-reliefs qui ornent le tombeau représentent cet événement.

Suit la chapelle de Saint Sébastien, elle aussi riche en peintures et en marbres. En sortant à droite, on trouve le dépôt funéraire d’Innocent XII des Pignatelli de Naples. En face se trouve le tombeau de la célèbre comtesse Mathilde, illustre bienfaitrice de l’Église et soutien de l’autorité pontificale. Urbain VIII fit transférer ici ses cendres, les retirant du monastère de Saint Benoît à Mantoue. Elle fut la première des femmes illustres qui ont mérité un tombeau dans la basilique vaticane. La comtesse est représentée debout ; le tombeau est orné d’un bas-relief représentant l’absolution donnée par Grégoire VII à Henri IV, empereur d’Allemagne, à la demande de Mathilde et d’autres personnages, le 25 janvier 1077 dans la forteresse de Canossa.

On arrive ensuite à la chapelle du Saint-Sacrement, riche en marbres et mosaïques. À côté de l’autel, un escalier mène au palais pontifical. Cet autel est dédié à Saint Maurice et à ses compagnons martyrs, patrons principaux du Piémont. Les deux colonnes torsadées d’un seul tenant qui ornent l’autel sont deux des douze qui sont censées avoir été amenées à Rome de l’ancien temple de Salomon. Sur le sol devant l’autel, on admire le tombeau en bronze de Sixte IV Della Rovere. Il fut exécuté sur ordre de Jules II, son neveu, et représente les vertus et la science propres au défunt. Il contient les cendres des deux papes.

En sortant de la chapelle, voici à droite le tombeau de Grégoire XIII Buoncompagni. Il est orné de deux statues, la Religion et la Force ; au centre un grand bas-relief représente la réforme du calendrier, dite grégorienne. Ici sont représentés une quantité de personnages illustres qui ont participé à cette œuvre, tous en train de vénérer le Pape. En face, dans une urne en stuc, reposent les ossements de Grégoire XIV de la famille Sfrondato. Ici se termine la nef latérale et on entre dans la croix grecque d’après le dessin de Michel-Ange.

En sortant de la nef, à droite se trouve la Chapelle Grégorienne. Au-dessus de l’autel est vénérée une ancienne image de la Vierge du temps de Pascal II. En dessous repose le corps de Saint Grégoire de Nazianze, transféré sur ordre de Grégoire XIII de l’église des moniales du Champ de Mars. En poursuivant le chemin, on arrive au monument funéraire de Benoît XIV Lambertini, érigé par les cardinaux qu’il avait créés. De chaque côté du tombeau s’élèvent deux magnifiques statues représentant le Désintéressement et la Sagesse, les deux vertus les plus lumineuses de ce pape. La statue du Pape, debout, bénit le peuple d’un geste majestueux. Ce travail est si bien exécuté que le simple regard sur le Pape nous fait reconnaître en lui la grandeur et l’élévation de son âme. En face, on reconnaît l’autel de Saint Basile le Grand avec au-dessus un précieux tableau en mosaïque de l’empereur Valens s’évanouissant en présence du Saint, tandis qu’il le regardait célébrer la messe.

On arrive ensuite à la tribune. Le premier autel à droite est dédié à Saint Venceslas martyr, roi de Bohême ; celui du milieu est consacré aux saints Processus et Martinien, gardes de la prison Mamertine, convertis à la foi par saint Pierre, lorsque l’Apôtre y était enfermé. Ces deux saints ont donné leur nom à l’emplacement ; leurs corps reposent sous l’autel. Trois précieux bas-reliefs représentent saint Pierre en prison libéré par l’Ange (celui du milieu), saint Paul prêchant à l’Aréopage (celui à droite), le troisième les saints Paul et Barnabé, pris pour des divinités par les habitants de Lystres. On rencontre ensuite le tombeau de Clément XIII Rezzonico, sculpture d’Antonio Canova. C’est un chef-d’œuvre. Le tableau de l’autel qui se trouve en face du monument représente saint Pierre en danger de se noyer, soutenu par le Rédempteur. Plus loin, voici l’autel de saint Michel, puis celui de sainte Pétronille, fille de saint Pierre. Cette sainte est représentée dans une mosaïque qui raconte le déterrage de son cadavre pour le montrer à Flaccus, noble Romain, qui l’avait demandée en mariage. Dans la partie supérieure est figurée son âme qui, par ses prières, obtint de mourir vierge et est accueillie par Jésus-Christ. Plus loin, on voit le sarcophage de Clément X Altieri ; le bas-relief représente l’ouverture de la porte sainte pour le Jubilé de 1675. L’autel est surmonté du tableau de saint Pierre qui, aux prières d’une foule de mendiants, ressuscite la veuve Tabitha.

En gravissant deux marches de porphyre qui faisaient partie de l’autel majeur de l’ancienne basilique, on monte à l’Autel de la Chaire. Un groupe surprenant de quatre statues en métal soutient le siège pontifical. Les deux de devant représentent deux Pères latins, Ambroise et Augustin ; les deux de derrière les Pères grecs, Athanase et Jean Chrysostome. Le poids de ces groupes s’élève à 219.161 livres de métal. La chaire en bronze recouvre, comme précieuse relique, celle en bois marqueté de divers bas-reliefs en ivoire. Cette chaise est celle du sénateur Pudens qui servit l’Apôtre Pierre et plusieurs papes après lui.

Au-dessus de l’autel de la Chaire, comme fond, est figuré sur toile le Saint-Esprit entre des vitraux colorés et rayonnants de sorte que celui qui le regarde semble voir une étoile d’or resplendissante. En dessous, à gauche de celui qui regarde, se trouve le magnifique tombeau de Paul III Farnèse, monument très précieux pour ses sculptures. La statue du Pape assis sur l’urne est en bronze, les deux autres statues, en marbre, représentent la Prudence et la Justice. En face est placé le tombeau du pape Urbain VIII dont la statue est en bronze. La Justice et la Charité sont de chaque côté, sculptées en marbre blanc. Sur l’urne on distingue l’image de la mort en train d’écrire dans un livre le nom du Pape. Ici nous avons interrompu la visite : nous étions fatigués, la visite avait duré de onze heures du matin à cinq heures de l’après-midi.

Rome. Sainte-Marie de la Victoire
Du Quirinal, en regardant vers le sud, on voit la rue de Porta Pia, ainsi nommée d’après le pape Pie IV qui, pour l’embellir, a réalisé de nombreux travaux. Le long de cette route, près de la fontaine de l’Acqua Felice, s’élève à gauche l’église de Sainte-Marie de la Victoire, édifiée par Paul V en 1605, et ainsi nommée à cause d’une image miraculeuse de la Vierge qui y fut transportée par le père Dominique des Carmes Déchaussés. C’est à cette image, ou plutôt à la protection de Marie que le duc Maximilien de Bavière dut la grande victoire remportée en quelques jours contre les protestants, qui avaient mis à mal le royaume d’Autriche avec une armée très nombreuse. L’image prodigieuse est conservée sur l’autel majeur. Aux corniches sont accrochées les bannières prises aux ennemis : glorieux monument à la protection de Marie.

En mémoire de la libération de Vienne, la fête du Nom de Marie a été instituée, célébrée par toute la chrétienté le dimanche dans l’octave de la naissance de Marie. Cela se produisit le 12 septembre 1683 sous le pontificat d’Innocent XI. Dans cette même église, une solennité spéciale est célébrée le deuxième dimanche de novembre en souvenir de la célèbre victoire remportée par les chrétiens contre les Turcs à Lépante le 7 octobre 1571, sous Pie V. Quelques bannières prises aux Turcs sont également accrochées comme trophées à la corniche de cette église.
Devant Sainte-Marie de la Victoire se trouve la fontaine de Termini, appelée fontaine de Moïse, car dans une niche est sculptée la statue de Moïse qui, avec le bâton à la main, fait jaillir l’eau de la pierre. Elle est également appelée Acqua Felice d’après le frère Félix, qui est le nom de Sixte V lorsqu’il était au couvent.

L’île Tibérine
Dans l’après-midi, nous avons décidé d’aller avec le comte De Maistre visiter la grande œuvre Saint-Michel de l’autre côté du Tibre. Nous devions donc traverser le fleuve à la hauteur d’une petite île appelée Tibérine ou aussi Lycaonienne, d’après un temple dédié à Jupiter Lycaonien. Voici l’origine de cette île. Lorsque Tarquin fut expulsé de Rome, le Tibre était presque à sec, laissant à découvert quelques bancs de sable. Les Romains, poussés par la haine contre ce roi, allèrent dans ses champs, coupèrent les blés et l’épeautre qui étaient proches de la maturité et jetèrent tout dans le Tibre. La paille alla s’arrêter sur le sable, et en se déposant, la boue de sable que l’eau faisait couler parvint à se consolider au point qu’on put y cultiver et y habiter. Sur cette île, les païens élevèrent un temple en l’honneur d’Esculape ; mais en 973, on y déposa le corps de saint Barthélemy qui repose dans l’urne sous l’autel majeur.

Après avoir traversé le Tibre et continuant vers l’hospice Saint-Michel, on rencontre à droite l’église Sainte-Cécile, édifiée à l’endroit où se trouvait sa maison. Urbain I, vers le milieu du troisième siècle, la consacra, et saint Grégoire le Grand l’enrichit de nombreux objets précieux. En entrant à droite on trouve la chapelle où était le bain de sainte Cécile, où on dit qu’elle a reçu le coup mortel. L’autel majeur, protégé par une grille en fer, garde le corps de la sainte. Au-dessus de l’urne une sculpture émouvante en marbre la représente allongée et vêtue comme on l’a retrouvée dans le tombeau.

Arrivés à l’hospice Saint-Michel, nous avons eu une audience du Cardinal Tosti qui nous raconta divers épisodes qui lui étaient arrivés à l’époque de la république. Lui aussi fut contraint de vivre un certain temps loin de l’hospice pour ne pas devenir la victime d’un attentat. Parmi les divers objets volés dans cette triste circonstance à ce pieux cardinal, il y avait trois tabatières très précieuses, surtout pour leur antiquité et leur provenance. Quand on les apporta aux membres du triumvirat, Mazzini pensa en garder une pour lui et offrir les deux autres à ses compagnons. Mais ceux-ci n’osèrent pas les prendre. Mazzini arrangea tout, et gracieusement se les mit toutes les trois dans la poche !

Le Capitole
Sur le chemin du retour, à mi-chemin, se dresse la colline la plus haute de Rome, le Capitole, ainsi nommée d’après caput Toli, tête de Tolus, qui fut découverte alors que Tarquin le Superbe faisait aplanir le sommet pour l’ériger en forteresse. Nous avons monté un long escalier au bout duquel se dressent deux statues colossales représentant Castor et Pollux. Le plan qui forme la place s’appelait autrefois inter duos lucos, car il se trouvait entre les bosquets qui recouvraient les deux sommets. C’est ici que Romulus avait créé un abri pour les peuples voisins qui souhaitaient s’y réfugier. Le Capitole d’aujourd’hui n’a plus l’imposante allure guerrière, mais c’est une place majestueuse entourée de palais qui abritent des musées, et où se traitent les affaires municipales. Dans une partie de cette place se trouvait le temple de Jupiter Feretrius, ainsi nommé d’après les armes des vaincus que les vainqueurs allaient accrocher à l’autel de ce temple.

Au milieu de la place s’élève la célèbre statue équestre de Marc-Aurèle en pacificateur. C’est la plus belle parmi les plus anciennes statues en bronze qui aient été conservées intactes. Une partie des grands bâtiments qui entourent la place constitue le palais sénatorial, fondé par Boniface IX en 1390 sur le terrain où se trouvait l’ancien sénat des Romains. Sur le côté se trouve la source de l’Acqua Felice, ornée de deux statues couchées du Nil et du Tibre. De là, par un petit escalier, on accède à la tour du Capitole, érigée sous forme de campanile à l’endroit même où autrefois montaient les observateurs pour admirer Rome et surveiller les ennemis qui tenteraient de s’approcher de la ville. […]
Dans la partie la plus élevée vers l’orient se trouvait le temple de Jupiter Capitolin, qui était appelé de Jupiter Optimus Maximus, et avait été érigé par Tarquin le Superbe sur les fondations préparées par Tarquin l’Ancien qui en avait fait vœu pendant la guerre contre les Sabins. C’était juste au moment où on effectuait les fouilles qu’on a découvert le caput Toli.

Sainte-Marie in Aracoeli
Là où se trouvait le temple de Jupiter Capitolin se dresse maintenant la majestueuse église de Santa Maria in Aracoeli, édifiée au VIe siècle de l’ère vulgaire. Pendant un certain temps, elle fut appelée Santa Maria in Campidoglio, à cause du lieu où elle se trouvait. Elle fut ensuite appelée Aracoeli en raison du fait suivant. La foudre ayant frappé le Capitole, Auguste, par crainte d’un malheur, envoya interroger l’oracle de Delphes […] Pour cette raison, et pour certains oracles des Sibylles concernant la naissance du Sauveur, Auguste fit élever un autel intitulé Ara primogeniti Dei, autel du premier-né de Dieu. C’est de là que dérive le nom de Santa Maria in Aracoeli, après qu’une église fut élevée en l’honneur de la Mère de Dieu. L’intérieur est à trois nefs divisées par 22 colonnes de marbre ayant appartenant au temple de Jupiter Feretrius. L’autel majeur mérite une attention particulière, car au-dessus de celui-ci on vénère une image de Marie, que l’on pense être de saint Luc. Celle-ci, aux temps de saint Grégoire le Grand, fut portée en procession à travers Rome pour obtenir la libération de la peste. Le fait est représenté dans une peinture sur le pilier à côté de l’autel. Au milieu de la croisée se trouve la chapelle de sainte Hélène, où fut érigée l’Ara Primogeniti. La table de l’autel est une grande urne de porphyre, dans laquelle ont été déposés les corps de sainte Hélène, mère de Constantin, et des saints Abbondio et Abbondanzio.

Dans une pièce près de la sacristie on conserve une effigie miraculeuse de l’Enfant Jésus. Les langes qui l’entourent sont ornés de pierres précieuses. Elle est exposée à la vénération pendant les fêtes de Noël, dans une belle crèche représentée dans l’église à l’intérieur d’une chapelle. Avec l’Enfant, on a placé également les figures d’Auguste et de la Sibylle en souvenir d’une tradition qui affirme que la Sibylle de Cumes avait prédit la naissance du Sauveur et c’est pourquoi Auguste y éleva un autel.

En sortant de l’Aracoeli et en se dirigeant vers la partie occidentale du Capitole, on rencontre la roche Tarpéienne qui occupait la partie vers le Tibre, et qui s’appelait ainsi d’après la Vierge Tarpeia, qui y fut tuée par trahison lors de la guerre des Sabins. Du haut de ce rocher, on précipitait les traîtres de la patrie. Ici, de nombreux chrétiens furent martyrisés et jetés en bas en haine de la foi. Non loin se trouvait la Curie, et la cabane de Romulus, où il aurait attendu la réponse des vautours […]

En descendant vers le bas, voici le temple de la Concorde, construit par Camille en l’an 387 de Rome. […] Près de ce temple, sur le côté gauche en descendant, se trouvait celui de Jupiter Tonnant, dont il reste trois colonnes de marbre. Il fut érigé par Auguste sur le flanc du Capitole et dédié à Jupiter en remerciement pour avoir échappé à la foudre qui tua le serviteur qui le précédait.

La prison Mamertine
Le matin du 2 mars, avec la famille De Maistre, nous sommes allés visiter la prison Mamertine, qui se trouve au pied du Capitole dans la partie occidentale. Cette prison est ainsi nommée d’après Mamertus, ou Ancus Martius, 4e roi de Rome, qui la fit construire pour répandre la terreur parmi le peuple, et ainsi empêcher les vols et les meurtres. Servius Tullius, 6e roi de Rome, ajouta en-dessous un autre cachot qui fut appelé Tullianus. Il a deux sous-sols, qui présentent dans la voûte une ouverture capable de laisser passer un homme. À travers celle-ci, on descendait les condamnés avec une corde […]

Ici jaillit une source d’eau que saint Pierre aurait miraculeusement fait jaillir lorsqu’il était emprisonné avec saint Paul. Le prince des Apôtres se servit de cette eau pour baptiser les saints Processus et Martinien, gardiens de la prison, ainsi que 47 autres compagnons tous morts martyrs. Cette eau présente des aspects miraculeux. Son goût est naturel. Elle n’augmente jamais, ni ne diminue jamais de volume, quelle que soit la quantité qu’on y puise. Deux gentlemen anglais, comme pour se moquer des catholiques, voulurent essayer de vider la petite fosse d’eau qui ressemble à un petit vase. Ils se fatiguèrent, eux et leurs amis, mais l’eau resta toujours au même niveau. On raconte de nombreuses guérisons miraculeuses obtenues par son usage. À côté de la source se trouve une colonne de pierre à laquelle furent liés les deux princes des Apôtres. À côté de la colonne se trouve un petit autel où, à ma grande consolation, j’ai célébré la messe, à laquelle ont assisté la famille De Maistre et d’autres personnes pieuses. Au-dessus de l’autel, un bas-relief représente Paul prêchant et Pierre baptisant les gardes […]

Dans un coin du 1er étage de la prison, on remarque sur le mur l’empreinte d’un visage humain. On dit que saint Pierre reçut une forte gifle d’un sbire, si bien qu’en frappant son visage contre le mur, il y laissa l’empreinte de son visage qui, de manière miraculeuse, s’est conservée. Au-dessus de cette figure est sculptée cette ancienne inscription : « Dans ce rocher, Pierre frappa la tête, poussé par un sbire et le prodige demeure« . Au-dessus de cette prison fut édifiée une église, et au-dessus de celle-ci une autre encore dédiée à saint Joseph. C’est ici que siège la confrérie des charpentiers. Les membres se réunissent les jours de fête, assistent aux fonctions sacrées et veillent à tout ce qui est nécessaire pour l’entretien de l’église et nécessaire pour le nettoyage de la prison. Autrefois, pour arriver à l’entrée de la prison, on descendait par un escalier au bout duquel se trouvait l’ouverture par laquelle on précipitait les condamnés. Ces escaliers furent appelés Gémonies, à cause des gémissements des condamnés […]

Cité du Vatican. Dévotions jubilaires
Le 3 mars était destiné à la visite à Saint-Pierre. Partis à six heures et demie de chez nous avec une fraîcheur qui réjouissait la vie et rendait nos pas rapides, nous prîmes la direction de la colline du Vatican. Arrivés au Pont Aelius, ou Pont Saint-Ange, par lequel on traverse le Tibre, nous avons récité le Credo. Les Papes accordent cinquante jours d’indulgence à ceux qui récitent le symbole des Apôtres en passant sur ce pont. Il est appelé Aelius d’après Hadrien Aelius qui l’a construit. Mais il est aussi appelé pont Saint-Ange à cause du Château Saint-Ange, qui est le premier édifice que l’on rencontre sur la rive opposée.

Nous dirons quelques mots de ce château. L’empereur Hadrien voulut ériger un grand sépulcre sur la rive droite du Tibre. En raison de sa largeur, de sa longueur et de sa hauteur, on l’appela Mole Adriana. Lorsque l’empereur Théodose fit prélever les colonnes du mausolée d’Hadrien pour en doter la basilique Saint-Paul, cette construction resta dépourvue de la moitié supérieure et sans colonnes. En l’an 537, les troupes de Bélisaire assaillirent les Goths pour les éloigner de Rome, et alors presque tous les vestiges de ce mausolée furent réduits en morceaux. Au Xe siècle, on l’appelait Castro et Torre di Crescenzio d’après un certain Cescenzio Nomentano qui s’en empara et le fortifia. Peu après, l’histoire lui donna le nom de Château Saint-Ange, peut-être à cause d’une église dédiée à l’ange Michel. […] Mais l’opinion la plus probable reste celle qui raconte une procession voulue par saint Grégoire le Grand pour obtenir de la Vierge la libération de la peste, au cours de laquelle un ange apparut au sommet du Mausolée remettant l’épée dans son fourreau, signe que le fléau était sur le point de cesser. Maintenant, le Château Saint-Ange est réduit à une forteresse et c’est la seule de Rome.

En poursuivant notre chemin, nous sommes arrivés sur la grande place Saint-Pierre. Passant devant l’obélisque, nous avons enlevé notre chapeau, car les papes ont accordé cinquante jours d’indulgence à ceux qui font une révérence ou se découvrent la tête en passant près de cet obélisque, au-dessus duquel a été appliquée une croix contenant un morceau du Saint Bois de la croix de Jésus.
Nous voici donc de nouveau dans la Basilique Vaticane. Nous avions déjà visité la moitié plus la tribune, qui forme comme le chœur de l’autel papal, situé au milieu de la croisée, en face de la chaire de Pierre. Ce chœur fut ordonné par Clément VIII et consacré par lui en 1594 ; il renferme l’autel qui avait déjà été édifié par saint Sylvestre. Étant l’autel papal, seul le Pape y célèbre, et lorsque quelqu’un d’autre veut l’utiliser, il faut pour cela un « Bref » apostolique. Aux quatre côtés s’élèvent quatre grandes colonnes torsadées qui soutiennent un baldaquin orné de frises entièrement en bronze. La hauteur de ce baldaquin depuis le sol égale celle des plus hauts palais de Turin.

La tombe de Pierre : curiosités d’un saint
Devant l’autel papal, par un double escalier en marbre, on descend au niveau de la Confession. À l’extrémité des escaliers se trouvent deux colonnes d’albâtre d’Orte, un matériau très rare, transparent comme un diamant. Cent douze lampes brûlent continuellement autour de ce lieu vénérable. Au fond, s’ouvre une niche, formée sur l’ancien oratoire érigé par saint Sylvestre, où saint Anaclet « érigea une mémoire à saint Pierre« . Ici repose le corps du Prince des Apôtres. Dans les parois latérales, deux portes munies d’un portail en fer mènent aux grottes sacrées. Juste en face de la niche, le 28 novembre 1822, fut placée la statue en marbre de Pie VI, qui, à genoux, est en fervente prière. C’est l’une des plus belles œuvres d’Antonio Canova. Pie VI avait l’habitude, de jour et parfois même de nuit, de se rendre près de la tombe de saint Pierre pour prier. De son vivant, il manifesta le vif désir d’y être enterré et, à sa mort, on voulut exaucer son souhait. Mais après un creusement peu profond, on découvrit une tombe sur laquelle était inscrit : Linus episcopus. Tout fut immédiatement remis en place, et le Pape fut enterré dans un autre coin de l’église. Dans celui qui fut choisi, on plaça, au lieu du corps, la statue dont nous avons parlé. Nous avons vu et touché de nos mains tout ce qu’il y a ici de précieux, mais nous n’avons pas pu voir le corps du premier pape, car depuis des siècles le sépulcre n’a plus été ouvert de peur que quelqu’un ne tente d’en briser quelque relique.

Au-dessus de cette tombe, on a construit un bel autel, sur lequel j’ai eu la consolation de célébrer la sainte messe. Cet autel, avec la chapelle attenante, reçoit la lumière de quelques hublots recouverts de grilles en métal. Pendant la construction de la basilique se produisit un fait prodigieux, rapporté par un témoin oculaire. Avant que le toit ne soit terminé, des pluies tombèrent si fort que les eaux inondèrent le sol de la basilique jusqu’à un pied de hauteur. Malgré cette abondance, l’eau n’osa s’approcher de l’autel de la Confession, et ne descendit pas non plus dans l’oratoire inférieur à travers les trois hublots susmentionnés ; arrivée à proximité, elle s’arrêta, restant suspendue de sorte qu’aucune goutte ne parvint à mouiller ce sanctuaire. Après avoir observé chaque objet, regardé chaque coin, les murs, les voûtes, le sol, nous demandâmes s’il n’y avait rien d’autre à voir.
– Rien d’autre, nous fut-il répondu.
– Mais la tombe du saint apôtre, où est-elle ?
– Ici en dessous. Elle est située au même endroit qu’elle occupait lorsque l’ancienne basilique était debout […]
– Mais nous aimerions voir jusque-là.
– Ce n’est pas possible […]
– Mais le pape a dit que nous pourrions tout voir. Si en revenant vers lui, il nous demandait si nous avons tout vu, je serais désolé de ne pas pouvoir répondre affirmativement.
Le monsignore [qui nous accompagnait] envoya chercher quelques clés et ouvrit une sorte d’armoire. Ici s’ouvrait une cavité qui descendait sous terre. Il faisait tout noir.
– Êtes-vous satisfait ? me dit monseigneur.
– Pas encore, je voudrais voir.
– Et comment voulez-vous faire ?
– Envoyez chercher une canne et une allumette
. Ils apportèrent une canne et une allumette, mais quand on la fit descendre, elle s’éteignit immédiatement dans l’air sans oxygène. La canne n’atteignait pas le fond. Alors, on amena une autre canne, qui avait à son extrémité un crochet en fer. Ainsi, on parvint à toucher le couvercle de la tombe de saint Pierre. Il était à sept/huit mètres de profondeur. En le frappant légèrement, le son qui remontait indiquait que le crochet heurtait tantôt le fer, tantôt le marbre. Cela confirmait ce que les historiens anciens avaient écrit.

Il faudrait tout un volume pour décrire les choses vues. Ce qui existait dans la basilique constantinienne se conserve en plaques latérales, ou sur les pavés ou dans les voûtes des sous-sols. Je retiens une seule chose : l’image de Sainte Marie de la Bocciata, très ancienne, placée sur un autel souterrain. Le nom vient du fait suivant. Un jeune homme, par mépris ou, peut-être, par inadvertance, frappa avec une boule un œil de la figure de Marie. Un grand prodige se produisit. Du sang coula du front et de l’œil qui, encore rouge, se voit au-dessus des joues de l’image. Deux gouttes jaillirent latéralement sur la pierre qui est conservée et jalousement protégée derrière deux grilles de fer.

Autels, chapelles, sépulcres
Au-dessus de l’autel papal et de la tombe de saint Pierre s’élève la vaste coupole qui émerveille quiconque l’observe. Quatre grands piliers la soutiennent : chacun d’eux a cent cinquante pas de circonférence (environ vingt-cinq trabucchi). Tout autour de cette haute coupole, il y a des ouvrages élégants en mosaïque réalisés par les auteurs les plus célèbres. Sur les pilastres sont creusées quatre niches dites Loges des Reliques, à savoir la Sainte Face de Véronique, la Sainte Croix, la Sainte Lance, et Saint André. Parmi elles, celle de la Sainte Face est célèbre, car on croit que c’est ce linge dont le Sauveur se servit pour s’essuyer le visage ruisselant de sang. Il y laissa imprimée son effigie qu’il offrit à Véronique qui, en pleurant, l’accompagnait au Calvaire. Des personnes dignes de foi racontent que cette Sainte Face a suinté du sang plusieurs fois en 1849, en changeant même de couleur au point de modifier ses traits. Ces choses ont été écrites, et les chanoines de Saint-Pierre en témoignent.

En partant de l’autel papal et en continuant vers la partie méridionale, on rencontre le sépulcre d’Alexandre VIII Ottobuoni. Il fut érigé par son neveu, le cardinal Pietro Ottobuoni. La statue du Pape assis sur un trône est en métal. Deux statues en marbre sont de chaque côté, représentant la Religion et la Prudence. L’urne, couverte du bas-relief de la canonisation de Laurent Giustiniani, Jean de Capistran, Jean de San Facondo, Jean de Dieu et Pascal Baylon, a été faite par Alexandre VIII en 1690. À côté se dresse l’autel de saint Léon le Grand sur lequel on admire le surprenant bas-relief du Pontife allant à la rencontre du féroce Attila. En haut sont représentés Pierre et Paul, le Pape à côté et Attila, effrayé par l’apparition des deux et en train de rendre hommage au Pontife. Dans une urne sous l’autel repose le corps du saint pape et docteur de l’Église. Devant se trouve la tombe de Léon XII, mort en 1829, qui avait tant de vénération pour ce glorieux prédécesseur qu’il voulut être enterré à ses côtés. […]

L’autel qui suit est dédié à la Vierge de la Colonne, ainsi nommée parce qu’on y vénère l’image de Marie peinte sur une colonne de l’ancienne basilique constantinienne. Elle y fut placée en 1607. L’autel abrite les corps de Léon II, III et IV. En continuant le tour sur la ligne méridionale, on rencontre à droite le sépulcre d’Alexandre VII Chigi avec quatre statues : JusticePrudenceCharité et Vérité. Comme ce pontife avait toujours dans son esprit la pensée de la mort, le sculpteur a étendu un drap en relief, sous lequel la Mort montre une clepsydre, qui est sur le point de se vider. Le Pape est en train de prier, les mains jointes, à genoux. L’autel à gauche est dédié aux apôtres Pierre et Paul. On y représente la chute de Simon le Magicien. En face se trouve l’autel des saints Simon et Jude qui reposent ici. L’autel à droite, quant à lui, est dédié à saint Thomas et abrite le corps de Boniface IV, tandis que celui de gauche conserve les dépouilles de Léon IX. Devant la porte de la sacristie, l’autel des saints Pierre et André représente en précieuse mosaïque la mort d’Ananie et Saphire.

On arrive ainsi à la chapelle Clémentine, dont l’autel, dédié à saint Grégoire le Grand, est surmonté d’une belle mosaïque du saint en train de convaincre les incrédules. Sous l’autel repose son corps. Au-dessus de la porte qui mène à l’orgue se trouve le monument sépulcral de Pie VII. Le Pontife, assis sur un noble siège et vêtu des habits pontificaux, est en train de bénir. Les statues placées de chaque côté représentent la Sagesse et la Force. Avant d’arriver à la nef latérale, on rencontre l’autel de la Transfiguration dont la mosaïque représente la transfiguration du Sauveur sur le mont Thabor.

La nef latérale de gauche
Quand on entre dans la nef latérale, on rencontre de chaque côté deux sépulcres, à droite celui de Léon XI des Médicis. Un bas-relief décrit le Pontife qui absout Henri IV roi de France. […] Plus bas, il y a des roses sculptées avec la devise : Sic floruit, pour indiquer la caducité de la vie et symboliser la brièveté du pontificat de Léon XI, qui ne dura que 21 jours.
Le sarcophage de gauche est celui d’Innocent XI Odescalchi. Le bas-relief superposé représente la libération de Vienne des Turcs, survenue sous son pontificat. En s’enfonçant le long de la nef, on arrive à la chapelle du chœur, enrichie de mosaïques et de peintures. Sous l’autel repose le corps de saint Jean Chrysostome. Cette chapelle a un sous-sol où sont conservées les cendres de Clément XI. Elle est appelée Chapelle Sixtine en l’honneur de Sixte IV qui en avait érigé une autre au même endroit que l’ancienne basilique. À droite, on accède à la tribune du chœur, et à la Chapelle Julia, parce que Jules II en fut l’instigateur. Au-dessus de cette porte se trouve une urne en stuc qui renferme les cendres de Grégoire XVI, mort en 1846. Cette urne est réservée pour accueillir le cadavre du dernier pontife jusqu’à ce qu’une sépulture lui soit érigée.

Le sépulcre d’Innocent VIII de la famille Cibo est en face. Ce Pape est représenté en deux figures : dans l’une il est assis avec le fer de la lance à la main, pour faire allusion à celle avec laquelle Jésus fut transpercé, offerte par Bajazet II, empereur des Turcs ; l’autre le montre étendu, sous la première. […] En face de la petite porte qui mène à l’escalier de la coupole se trouve le cénotaphe de Jacques III, roi d’Angleterre, de la famille Stuart, mort à Rome le 1er janvier 1766, et de ses deux fils, Charles III et Henri IX, cardinal, duc d’York. Les trois bustes en bas-relief sont de Antonio Canova. La dernière chapelle est celle du Baptême. La cuve baptismale est en porphyre et formait le couvercle de l’urne de l’empereur Otton II qui fut ici transportée lorsque ses cendres furent placées dans les grottes vaticanes […]

Rome. Saint-André du Quirinal
Le permis de visite se terminait à midi et demi, si bien que Monsieur Carlo, qui nous guidait, et nous aussi guidés par un bon appétit, avons remis à une autre fois la montée sur la coupole et la visite du palais du Vatican. Après le déjeuner, et quelques heures de repos, nous avons jeté un coup d’œil au Quirinal et aux choses les plus importantes près de notre demeure. Le Quirinal est l’une des sept collines de la Rome antique, ainsi nommée à cause des Quirites venus habiter ici, et d’un temple dédié à Romulus, vénéré sous le nom de Quirinus. À notre gauche, en nous dirigeant vers la place Monte Cavallo, se trouve l’église Saint-André, où se trouve aujourd’hui le noviciat des Jésuites. Elle abrite le corps du saint dans une chapelle dédiée à saint Stanislas Kostka, à l’intérieur d’une urne en lapis-lazuli ornée de marbres précieux. À côté de cette église se trouve le monastère des sœurs Dominicaines. On dit que ces deux constructions ont été élevées sur les ruines du temple de Quirinus. À droite de la rue s’élève le majestueux palais du Quirinal, commencé par Paul III il y a environ 300 ans, et terminé par ses successeurs. Il est orné d’architectures, de sculptures, de peintures et de mosaïques de grand prix. Le Pape y habite une partie de l’année. Le palais a un vaste jardin d’environ un mille de périmètre. Parmi les autres merveilles, on admire un orgue qui joue alimenté par la force de l’eau qui coule.

Devant le Quirinal s’ouvre la place Monte Cavallo, ainsi nommée à cause de deux chevaux colossaux en bronze représentant Castor et Pollux. Pie VI fit ériger un obélisque au milieu de cette place. C’est un travail exécuté sur ordre de Smarre et Efre, princes d’Égypte, et transporté à Rome par l’empereur Claude. Il ne porte pas de hiéroglyphes. Au sud domine le magnifique palais Rospigliosi, érigé là où se trouvaient autrefois les thermes de Constantin. Les amateurs des beaux-arts peuvent y visiter de nombreux chefs-d’œuvre de peinture et de sculpture.

Sainte Croix en Jérusalem
Le 4 mars était dédié à la basilique Sainte-Croix-de-Jérusalem. Le temps était nuageux, et après avoir fait un peu de chemin, nous fûmes surpris par la pluie. Ne disposant pas de parapluie, nous arrivâmes trempés comme deux souris ; mais la consolation éprouvée lors de la visite nous compensa tant de l’eau que du désagrément subi. C’est l’une des sept basiliques que l’on visite pour gagner des indulgences. Fondée par Constantin le Grand, là où se trouvait le palais dit Sassorio, elle fut appelée Basilique Sassoriana et érigée en mémoire de la découverte de la sainte Croix faite par sainte Hélène, mère de l’empereur, à Jérusalem. Cette princesse fit transporter beaucoup de terre du Calvaire, prélevée à l’endroit où fut retrouvée la Croix du Christ. L’édifice prit le nom de Sainte-Croix en raison d’une partie considérable du saint Bois qui y est conservée, et on ajouta de Jérusalem parce que cette sainte relique, avec beaucoup d’autres, provenait de cette ville. L’église fut consacrée par le pape saint Sylvestre. Sous l’autel majeur reposent les corps de saint Césaire et de saint Anastase, martyrs […].

Devant l’autel se trouve la chapelle Grégorienne, dite privilégiée car on peut y gagner l’indulgence plénière applicable aux âmes du purgatoire, tant pour ceux qui célèbrent la messe que pour ceux qui l’écoutent. À cet autel, à ma grande consolation, j’ai également célébré. À côté de l’église se dresse le couvent des Cisterciens. Le père Abbé est un certain Marchini, piémontais, qui nous a témoigné beaucoup de courtoisie. Entre autres choses, il nous a fait visiter la bibliothèque, riche de vieux parchemins et d’autres œuvres […].

Un jour de pluie
Le 5 mars fut un jour pluvieux, c’est pourquoi nous l’avons presque entièrement consacré à écrire. Il y a quelque chose de singulier à Rome : il pleut et il y a du soleil en même temps, si bien qu’à certaines époques de l’année, il faut être continuellement muni d’un parapluie pour se protéger soit du soleil, soit de la pluie. À dix heures ce jour-là, le père Lolli, recteur du noviciat des Jésuites, passait à meilleure vie, à l’église Saint-André à Monte Cavallo ; étant piémontais, il demeura longtemps à Turin où il se rendit célèbre par sa prédication et son zèle dans l’apostolat du confessionnal. La reine de Sardaigne, Marie-Thérèse, l’avait choisi comme son confesseur […].

Ce jour-là, nous avons appris que les maladies à Rome s’étaient multipliées, et que la mortalité actuelle était quatre fois supérieure à la moyenne. Rien qu’au cours des mois de janvier et février, environ 6600 personnes sont mortes ; c’est un nombre très élevé, compte tenu de la population qui s’élève à environ 130 000 habitants. Vers le soir, je suis sorti pour me faire raser la barbe. Je suis allé dans une boutique et j’ai été servi assez bien ; mais j’ai pris la résolution de ne jamais y retourner, car les coups et les secousses que me donna ce barbier avec ses grandes mains étaient tels qu’il m’aurait déplacé dents et mâchoires, s’ils n’avaient pas eu des racines bien solides.

L’Hospice Saint-Michel
Répondant à l’invitation du cardinal Tosti, le 6 mars, nous sommes allés avec la famille De Maistre visiter l’Hospice Saint-Michel. En plus de ce que j’ai dit la fois précédente, je peux ajouter ce qui suit. Le premier acte de courtoisie dont nous avons été l’objet fut un somptueux petit déjeuner, auquel nous n’avons cependant pas pu participer, car nous l’avions pris avant de partir, et étant jour de jeûne, nous ne pouvions plus manger jusqu’au déjeuner. Aussi nous sommes-nous contentés d’une petite tasse de chocolat, que Son Éminence nous a dit être compatible avec le jeûne. On nous a également servi une boisson au goût excellent à la mandarine, une sorte de vin fait avec des fruits séchés et infusés avec de l’eau et du sucre. Seul Rua, qui n’était pas obligé au jeûne, mangea quelque chose de plus solide.

Puis nous avons commencé la visite de cet hospice spacieux où sont accueillies plus de huit cents personnes. Le cardinal Tosti nous accompagna partout. Nous nous sommes arrêtés particulièrement pour considérer le travail des jeunes. Ici, ils apprennent les mêmes métiers que ceux qu’ils apprennent chez nous : la plupart s’occupent de dessin, de peinture, de sculpture ; et beaucoup travaillent dans une imprimerie interne. Le Saint-Père, pour aider l’Hospice, lui a accordé le privilège d’imprimer en exclusivité les livres scolaires utilisés dans les États Pontificaux. Au-dessus de l’édifice, il y a une terrasse avec une vue magnifique. En regardant à l’ouest, on aperçoit le campement des Français venus libérer Rome […]. À midi et demi, lorsque les garçons étaient déjà à table, le cardinal étant lui aussi très fatigué, nous avons pris congé […].

Santa Maria in Cosmedin et la Bouche de la Vérité
Comme d’habitude, il pleuvait à merveille, et Rua et moi avions un seul parapluie très petit, nous avons trouvé le moyen de nous mouiller tous les deux. Nous avons traversé le Tibre sur un pont appelé Ponte Rotto parce qu’il s’était effondré, et a été remplacé par un pont en fer très semblable à celui que nous avons sur le Pô à Turin. Autrefois, il s’appelait pont Coclite, car c’est celui-là même où Horatius Coclès opposa une résistance héroïque à l’armée de Porsenna ; quand le pont fut coupé, il se jeta dans le Tibre, passant à la nage sur l’autre rive parmi les flèches des ennemis émerveillés.

On trouve ici une rue appelée Bouche de la Vérité, car au bout de celle-ci se trouvait l’endroit où l’on conduisait ceux qui devaient prêter serment. Maintenant, il y a une église appelée Santa Maria in Cosmedin, mot qui signifie ornement, car elle fut magnifiquement ornée par le pape Adrien I. À l’intérieur, on conserve la chaire que Saint-Augustin utilisa lorsqu’il enseignait la Rhétorique. Sous le vestibule, nous nous sommes retirés en attendant que cesse l’averse qui inondait toutes les rues. Pendant que nous étions là, nous avons jeté un coup d’œil sur la place appelée également Bouche de la Vérité.

Les bouviers
Il y avait de nombreux bœufs attelés qui paissaient, exposés à la pluie, à la boue et au vent. Les bouviers s’étaient abrités sous le même vestibule, se mettant à déjeuner avec un appétit enviable. Au lieu de la soupe et du plat, ils avaient un morceau de morue crue, dont chacun arrachait un morceau. Quelques petits pains de maïs et de seigle étaient leur pain. L’eau était leur boisson. Voyant en eux un air de simplicité et de bonté, je m’approchai et engageai cette conversation.
– Avez-vous bon appétit ?
– Beaucoup, répondit l’un d’eux.
– Est-ce que ce repas vous suffit pour apaiser votre faim et vous sustenter ?
– Cela nous suffit, grâce à Dieu, quand nous pouvons en avoir, car étant pauvres, nous ne pouvons prétendre à plus.
– Pourquoi ne conduisez-vous pas ces bœufs dans les étables ?
– Parce que nous n’en avons pas.
– Les laissez-vous toujours exposés au vent, à la pluie, à la grêle jour et nuit ?
– Toujours, toujours.
– Faites-vous de même dans votre village ?
– Oui, nous faisons de même, car là-bas non plus nous n’avons pas d’étable, et donc qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, jour et nuit, ils restent toujours dehors.
– Et les vaches et les veaux sont-ils également exposés à ces intempéries ?
– Certainement. Chez nous, il est d’usage que les animaux de l’étable restent toujours dans l’étable et ceux qui commencent à être dehors restent toujours dehors.
– Habitez-vous très loin d’ici ?
– Quarante milles.
– Les jours de fête, pouvez-vous assister aux fonctions sacrées ?
– Oh ! qui en doute ? Nous avons notre chapelle, le prêtre qui nous dit la messe, fait le sermon et le catéchisme, et tous, même ceux qui sont loin, s’efforcent d’y assister.
– Allez-vous aussi parfois vous confesser ?
– Oh ! Sans aucun doute. Y a-t-il des chrétiens qui n’accomplissent pas ces saints devoirs ?
 Maintenant, nous avons le jubilé et tous, nous nous efforcerons de bien le faire.
De cette conversation apparaît la bonne nature de ces paysans, qui dans leur simplicité vivent contents de leur pauvreté et heureux de leur état, tant qu’ils peuvent accomplir les devoirs de bon chrétien et s’acquitter de ce qui concerne leur commerce.

Santa Maria del Popolo
Le dimanche 7 mars était destiné à la visite de Santa Maria del Popolo. Des personnes pieuses de la noblesse désiraient que nous allions là célébrer la messe, afin de pouvoir faire la communion. C’était une pieuse dévotion. À neuf heures, M. Foccardi, personne serviable et pleine de foi, vint nous chercher avec sa propre voiture pour nous porter au lieu indiqué. Cette église fut construite sur le lieu où avaient été enterrés Néron et la famille Domitia. La tradition dit qu’y apparaissaient continuellement des spectres qui terrifiaient les habitants au point que personne ne voulait habiter dans les environs. Le pape Pascal II, en l’an 1099, y fit élever une église, et pour éloigner l’infestation diabolique, la dédia à la Très Sainte Vierge Marie. En 1227, l’ancienne église menaçait de s’effondrer et le peuple romain contribua généreusement aux frais de reconstruction. C’est pour cela qu’elle fut appelée Santa Maria del Popolo. Une église grandiose, riche en marbres et en peintures. Au maître-autel on vénère une image miraculeuse de la Vierge, que Grégoire IX fit venir de la chapelle du Sauveur au Latran. À côté se trouve le couvent des pères Augustins.

La Porte du Peuple s’appelait autrefois Porte Flaminia, parce qu’elle était au départ de la Via Flaminia […]. De cette porte, en tournant à droite, se trouve la Villa Borghèse, un majestueux édifice digne d’être visité par les touristes en raison des nombreux objets d’art qui y sont conservés. La Porte du Peuple délimite une grande place appelée Piazza del Popolo, embellie par de nombreuses fontaines et des obélisques, qui, comme chacun le sait, sont des monuments d’une haute antiquité érigés par les rois d’Égypte pour rendre immortelle la mémoire de leurs actions. Le superbe obélisque qui s’élève au milieu de la place fut construit à Héliopolis par ordre de Ramsès, roi d’Égypte, qui régna en 522 av. J.-C. L’empereur Auguste le fit transporter à Rome ; mais par malheur, il se renversa, se brisa et fut recouvert de terre. Le pape Sixte V, en 1589, le fit déterrer et l’éleva sur la place, après l’avoir doté au sommet d’une haute croix en métal. Ses quatre faces sont couvertes de hiéroglyphes, c’est-à-dire de symboles mystérieux que les Égyptiens utilisaient pour exprimer les choses sacrées et les mystères de leur théologie.

Au fond de la place s’élève l’église Santa Maria dei Miracoli, construite par Alexandre VII, et appelée ainsi à cause d’une image miraculeuse de la Vierge qui était auparavant peinte sous un arc près du Tibre. À gauche se trouve une autre église, Santa Maria di Monte Santo, parce qu’elle a été édifiée sur une autre église qui appartenait aux carmes de la province de Monte Santo. Elle fut inaugurée en 1662. Ayant ainsi satisfait notre dévotion et notre curiosité, nous sommes de nouveau montés en voiture qui nous a conduits chez la princesse Potoska, des comtes et princes Sobieski, anciens souverains de Pologne. Le petit déjeuner préparé pour nous était somptueux, mais trop raffiné, donc peu adapté à notre appétit. Nous nous sommes arrangés du mieux que nous avons pu. Nous sommes cependant restés très satisfaits de la conversation véritablement chrétienne que ces dames ont tenue pendant le temps que nous avons passé chez elles.
Une chose suscita notre étonnement. Une fois le repas terminé, la maîtresse de maison se fit apporter un bouquet de cigares et se mit à fumer. Malgré une conversation très animée, elle continua insatiablement à fumer un cigare après l’autre, et cela me mit mal à l’aise, étant contraint de supporter l’odeur de fumée qui imprégnait toute la maison. Cela me provoquait des nausées insupportables […].

Cité du Vatican. L’ascension de la grande coupole
Nous avons réservé le 8 mars pour visiter la célèbre coupole de Saint-Pierre. Le chanoine Lantieri nous avait procuré le billet nécessaire pour satisfaire cette curiosité. L’heure à laquelle l’ascension est permise va de 7 heures à 11 heures et demie du matin. Le temps était serein et donc propice. Après avoir célébré l’eucharistie dans l’église du Gesù, où se trouvent les Jésuites, à l’autel de saint François-Xavier, nous sommes arrivés au Vatican à 9 heures en compagnie de M. Charles De Maistre. Après la remise du billet, une petite porte s’est ouverte et nous avons commencé à monter par un escalier très confortable en forme de terrasse en pente. En montant, on rencontre diverses inscriptions qui rappellent le nom et l’année de tous les papes qui ont ouvert et fermé les années jubilaires. Près du palier de la terrasse sont inscrits les personnages les plus célèbres, rois ou princes, qui sont montés jusqu’à la coupole. Nous avons également eu le plaisir de lire le nom de plusieurs de nos souverains et de la famille royale.

Nous avons jeté un coup d’œil sur la terrasse de la basilique. Elle se présente comme une vaste place pavée où l’on peut jouer à la balle, aux boules et autres. Ici habitent quelques personnes chargées de l’entretien de la partie supérieure de la basilique : menuisiers, ferronniers, travailleurs de l’asphalte. Vers le centre de la terrasse se trouve une fontaine toujours ouverte, où Rua est allé boire.
Depuis la place en contrebas, nous avons observé les statues des douze apôtres qui ornent la haute corniche de la basilique. De là-haut, elles apparaissaient petites, mais en regardant de près, nous avons remarqué qu’un gros orteil avait la taille du corps d’un homme. Cela fait comprendre à quelle hauteur nous étions. Nous avons également visité la grande cloche qui a un diamètre de plus de trois mètres, ce qui équivaut à trois trabucchi de circonférence (environ 9 mètres n.d.r.).

Une vue qui nous a beaucoup intrigués fut le jardin du Vatican où le pape a l’habitude d’aller se promener à pied. On estime qu’il a la longueur qui va de la Porta Susa au début de la Via Po. Au sud, on apercevait de vastes campagnes. Notre guide nous a dit : – Tout ce terrain était couvert de soldats français quand ils sont venus libérer notre ville des rebelles. Et il nous montrait la basilique Saint-SébastienSaint-Pierre in Montorio, Villa Panfili, Villa Corsini, tous des bâtiments qui ont subi des dommages très graves en tant que champs de bataille.
Un escalier en colimaçon sur le flanc de la coupole nous a conduits jusqu’à la première balustrade. De ce palier, il nous semblait que nous volions haut et nous éloignions de la terre. Le guide nous a ouvert une petite porte qui menait à une balustrade intérieure qui faisait le tour de la coupole. J’ai voulu la mesurer, et marchant comme un bon voyageur, j’ai compté 230 pas avant de compléter le tour. Une curiosité : à n’importe quel point de la balustrade où vous vous trouvez, en parlant même à voix basse le visage tourné vers le mur, le moindre son se communique clairement d’un mur à l’autre. Nous avons également remarqué que les mosaïques de l’église qui apparaissaient très petites vues d’en bas prenaient là-haut des formes gigantesques.
– Courage, nous exhorta le guide, si nous voulons voir d’autres choses. C’est ainsi que nous avons emprunté un autre escalier en colimaçon et sommes arrivés à la deuxième balustrade. Ici, il nous semblait que nous nous étions élevés vers le Paradis, et lorsque nous sommes entrés dans la balustrade intérieure et que nous avons abaissé notre regard sur le sol de la basilique, nous avons réalisé l’extraordinaire hauteur à laquelle nous étions parvenus. Les personnes qui travaillaient ou marchaient là en bas semblaient des petits enfants. L’autel papal, surmonté d’un baldaquin en bronze qui dépasse en hauteur les plus hautes maisons de Turin, semblait un simple fauteuil.

Le dernier étage auquel nous sommes montés est celui qui repose sur la pointe de la coupole, d’où l’on jouit peut-être de la vue la plus majestueuse qui soit au monde. Tout autour, le regard se perd dans un horizon formé par les limites de la vue humaine. On dit qu’en regardant vers l’est, on peut voir la mer Adriatique, à l’ouest la Méditerranée. Quant à nous, nous n’avons pu apercevoir que le brouillard que le temps pluvieux des jours passés avait répandu un peu partout.

Il restait la sphère, un globe qui vu d’en bas semble une des balles que nous utilisons pour passer un peu de temps ; vue de près, elle apparaissait immense. Les plus courageux, passant par un petit escalier perpendiculaire et marchant comme dans un sac, se sont hissés comme des chats à une hauteur de deux trabucchi, soit six mètres. Certains n’ont pas eu assez de courage. Nous, qui étions un peu plus téméraires, y sommes parvenus. Dans cette boule tout apparaît merveilleux. On m’avait dit qu’elle pouvait contenir seize personnes ; mais il m’a semblé que trente pouvaient y tenir confortablement. Quelques trous, comme de petites fenêtres, permettent d’observer la ville et la campagne. Mais la grande hauteur donne une certaine sensation et ne rend pas la vision tout à fait agréable. Nous pensions qu’il faisait froid là-haut. Tout le contraire : le soleil frappant sur le bronze de la boule la réchauffait à tel point qu’il nous semblait être en plein été. Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles après le déjeuner, il n’est pas permis de monter là-haut à cause de la chaleur insupportable. Là, après avoir parlé de diverses choses concernant les jeunes de l’oratoire, satisfaits de notre entreprise, presque comme si nous avions remporté une grande victoire, nous avons commencé la descente d’un pas lent et grave, pour ne pas nous casser le cou, et sans plus nous arrêter, nous sommes arrivés au sol.

Pour nous reposer un peu, nous sommes allés écouter le sermon qui venait de commencer dans la basilique. Le prédicateur nous a plu. Bonne langue, beaux gestes, mais le thème ne nous intéressait pas beaucoup car il traitait de l’observance des lois civiles. Mais ce qui n’a pas servi à nourrir l’esprit a très bien servi à donner du repos au corps. Comme il nous restait encore un peu de temps, nous l’avons utilisé pour visiter la sacristie qui est une véritable magnificence digne de Saint-Pierre.
Alors il était déjà onze heures et demie, et à cause du jeûne et de toutes nos marches, nous avions un grand appétit et c’est pourquoi nous sommes allés faire une petite collation. Comme Rua, insatisfait, jugea bon d’aller déjeuner, je suis resté seul avec M. Charles De Maistre, compagnon inséparable de cette journée. Après nous être un peu restaurés, nous sommes allés rendre visite à Mgr Borromeo, majordome de Sa Sainteté, qui nous a très bien accueillis, et, après avoir parlé du Piémont et de Milan, sa patrie, il a noté nos noms pour nous inscrire sur le catalogue des personnes qui souhaitent recevoir la palme du Saint-Père lors de la cérémonie du Dimanche des Rameaux.

Dans les célèbres musées
À côté de la loggia de ce prélat, autour de la cour du palais pontifical se trouvent les Musées du Vatican. Nous y sommes entrés et avons vu des choses vraiment exceptionnelles. J’en décris seulement quelques-unes. Il y a une salle d’une longueur extraordinaire enrichie de marbres et de peintures très précieuses. Au milieu de la deuxième arcade se dresse une fontaine d’environ un mètre et demi, faite de malachite, un des marbres les plus précieux du monde. C’est un don fait par l’empereur de Russie au Souverain Pontife. Il y a divers autres objets de ce genre. Au fond de cette grande salle à gauche s’ouvre une sorte de long couloir qui abrite le musée chrétien […] Dans ce musée se trouve la Bibliothèque Vaticane, où sont conservés les manuscrits les plus célèbres de l’antiquité […].

En parcourant Rome
Du Vatican en allant vers le centre de Rome, nous sommes arrivés à la place Scossacavalli où travaillent les rédacteurs du célèbre périodique La Civiltà Cattolica. Nous nous sommes arrêtés pour leur rendre visite et avons éprouvé un véritable plaisir à observer que les principaux soutiens de cette publication sont piémontais. Je ressentais désormais un vif désir de rentrer chez moi, surmontant toute hésitation, et nous étions presque arrivés au Quirinal, lorsque M. Foccardi nous a vus passer devant sa boutique et nous a appelés à l’intérieur. À force d’invitations et de courtoisie, il nous a retenus un moment, et au moment où nous avons demandé à partir, il nous a dit :
– Voici la voiture, je vous accompagne jusqu’à chez vous. Tout en montant dans la voiture à contrecœur, je consentis pour lui faire plaisir. Mais Foccardi, désireux de rester plus longtemps avec nous, nous fit faire un long tour, si bien que nous sommes arrivés chez nous tard dans la nuit.

À mon arrivée, on m’a remis une lettre. Je l’ouvre et la lis. Il est notifié à M. l’Abbé Bosco que Sa Sainteté a bien voulu l’admettre à l’audience demain, neuf mars, de onze heures et quart à midi. Cette nouvelle, attendue et très désirée, me procura une révolution intérieure et pendant toute la soirée, je ne parvins à parler d’autre chose que du Pape et de l’audience.

L’audience papale. Santa Maria sopra Minerva
Le 9 mars était arrivé, le grand jour de l’audience papale. Mais d’abord, j’avais besoin de parler avec le cardinal Gaude ; c’est pourquoi j’allai dire la messe dans l’église Santa Maria sopra Minerva, où le cardinal avait sa demeure. Autrefois, c’était un temple que Pompée le Grand avait fait édifier à la déesse Minerve ; elle a été appelée Santa Maria sopra Minerva parce qu’elle a été construite précisément sur les ruines de ce temple. En l’année 750, le pape Zacharie l’a donnée à un couvent de moniales grecques. En 1370, elle est passée aux pères Dominicains qui l’officient encore aujourd’hui. Devant cette église s’ouvre une place où nous avons admiré un obélisque égyptien avec des hiéroglyphes, dont la base repose sur le dos d’un éléphant en marbre. En entrant, nous avons pu admirer l’un des édifices sacrés les plus beaux de Rome. Sous l’autel majeur repose le corps de sainte Catherine de Sienne. Après avoir célébré la messe et m’étant rendu en toute hâte auprès du cardinal Gaude, je lui ai parlé, puis nous sommes partis en direction du Quirinal.

Le petit menteur
En chemin, nous avons rencontré un garçon qui, avec bonne grâce, nous a demandé l’aumône et pour nous faire connaître sa condition, il nous a dit que son père était mort, sa mère avait cinq filles et qu’il savait parler italien, français et latin. Étonné, je lui ai adressé un discours en français auquel il a répondu par un seul oui sans comprendre ce que je disais, ni articuler d’autres expressions ; je l’ai alors invité à parler latin, et il, sans prêter attention à mes paroles, il s’est mis à réciter de mémoire les mots suivants : ego stabam bene, pater meus mortuus est l’annus passatus et ego sum rimastus poverus. Mater mea etc. À ce moment-là, nous n’avons pas pu nous empêcher de rire. Cependant, nous l’avons ensuite averti de ne pas dire de mensonges et nous lui avons offert un baiocco.

L’antichambre
Cependant, l’heure de l’audience approchait […] Arrivés au Vatican, nous montâmes les escaliers machinalement. Partout, il y avait des gardes nobles, habillés de manière à ressembler à des princes. Au premier étage, on nous ouvrit la porte qui menait aux salles pontificales. Gardes et valets, vêtus avec grand luxe, nous saluaient avec de profondes révérences. Après avoir remis le billet pour l’audience, nous fûmes conduits de salle en salle jusqu’à l’antichambre papale. Comme il y avait plusieurs autres personnes qui attendaient, nous avons attendu environ une heure et demie avant d’être reçus.

Nous avons utilisé ce temps à observer les personnes et le lieu où nous nous trouvions. Les domestiques du Pape étaient habillés presque comme les évêques de nos pays. Un monsignore, à qui l’on donne le titre de prélat domestique, introduisait à tour de rôle les personnes pour l’audience au fur et à mesure que se terminait la précédente. Nous avons admiré de grandes salles bien tapissées, majestueuses, mais sans luxe. Un simple tapis de drap vert couvrait le sol. Les tapisseries étaient en soie rouge mais sans ornements. Les chaises étaient en bois dur. Un fauteuil placé sur une estrade quelque peu élégante indiquait que c’était la salle pontificale. Tout cela nous a fait plaisir, car avec nos propres yeux, nous avons pu nous rendre compte de la fausse réputation que certains répandent contre l’espace et le luxe de la cour pontificale. Alors que nous étions plongés dans diverses pensées, la clochette sonna, et le prélat nous fit signe d’avancer pour nous présenter à Pie IX. À ce moment-là, je restai vraiment confus et je dus me faire violence pour rester calme.

Pie IX
Rua me suivit en apportant une copie des Lectures Catholiques. Une fois entrés, nous fîmes la génuflexion au début, puis au milieu de la salle, enfin, la troisième, aux pieds du Pape. Toute appréhension cessa lorsque nous aperçûmes dans le Pontife l’aspect d’un homme affable, vénérable, et en même temps le plus beau que puisse peindre un peintre. Nous ne pûmes pas baiser le pied, car il était assis à la petite table ; nous lui baisâmes cependant la main, et Rua, se souvenant de la promesse faite aux clercs, la baisa une fois pour lui et une fois pour ses compagnons. Alors le Saint-Père fit signe de nous lever et de nous mettre devant lui. Moi, selon l’étiquette, j’aurais voulu parler en restant à genoux.
– Non, dit-il, levez-vous. Il convient de noter qu’en nous annonçant au Pape, notre nom fut mal lu. En effet, au lieu d’écrire Bosco, on avait écrit Bosser, c’est pourquoi le Pape commença à m’interroger :
– Vous êtes piémontais ?
– Oui, Sainteté, je suis piémontais, et en ce moment je ressens la plus grande consolation de ma vie, me trouvant aux pieds du Vicaire du Christ.
– De quoi vous occupez-vous ?
– Sainteté, je m’occupe de l’instruction de la jeunesse et des Lectures Catholiques.
– L’instruction de la jeunesse a été un apostolat utile en tous temps, mais aujourd’hui elle l’est beaucoup plus. Il y en a aussi un autre à Turin qui s’occupe de jeunes. Alors je me rendis compte que le Pape avait sous la main un nom erroné, mais, sans savoir comment, lui aussi se rendit compte que je n’étais pas Bosser, mais Bosco ; ainsi il prit un aspect beaucoup plus festif et demanda beaucoup de choses concernant les jeunes, les clercs, les oratoires […]. Ensuite, avec un visage souriant, il me dit :
– Je me souviens de l’offrande qui m’a été envoyée à Gaète et des sentiments affectueux avec lesquels ces jeunes l’accompagnèrent. J’en profitai pour lui exprimer l’attachement de nos jeunes à sa personne et je le priai d’accepter une copie des Lectures Catholiques :
– Sainteté, lui dis-je, je vous offre une copie des petits volumes parus jusqu’ici au nom de la direction ; la reliure est l’œuvre des jeunes de notre école.
– Combien sont ces jeunes ?
– Sainteté, les jeunes de la maison sont environ deux cents, les relieurs sont quinze.
– Bien, répondit-il, je veux envoyer une médaille à chacun. Puis, étant allé dans une autre pièce, après quelques instants, il revint portant quinze petites médailles de la Conception :
– Celles-ci seront pour les jeunes relieurs, dit-il en me les tendant. Se tournant ensuite vers Rua, il lui en donna une plus grande en disant :
– Celle-ci est pour votre compagnon. Puis, se tournant à nouveau vers moi, il me tendit une petite boîte qui en renfermait une plus grande :
– Et celle-ci est pour vous. Nous nous étions agenouillés pour recevoir les cadeaux mais le Saint-Père nous invita à nous lever, et croyant ensuite que nous voulions partir, il était sur le point de nous congédier, quand je commençai à lui parler ainsi :
– Sainteté, j’aurais quelque chose de particulier à vous communiquer.
– Très bien, répondit-il […].
Le Saint-Père est très rapide à comprendre les questions et très prompt à donner les réponses, c’est pourquoi avec lui on traite en cinq minutes ce qui avec d’autres demanderait plus d’une heure. Cependant, la bonté du Pape et mon vif désir de rester avec lui prolongèrent l’audience de plus d’une demi-heure, un temps très considérable tant en ce qui concerne sa personne que l’heure du déjeuner qui, à cause de nous, avait été retardée […].

Le Janicule
À 13h30 du 10 mars, le père Giacinto des Carmes Déchaux venait nous chercher avec une calèche pour nous transporter à la basilique Saint-Pancrace et à San Pietro in Montorio. Ce sont deux églises situées sur le Janicule, appelé ainsi à cause de Janus qui, dit-on, y habitait. Au sommet de cette colline, de l’autre côté du Tibre, se trouve la basilique Saint-Pancrace, construite par le pape Félix II en 485, environ 100 ans après le martyre de Pancrace. Le général Narsès, ayant vaincu les Goths, fit une solennelle procession avec le pape Pélage depuis Saint-Pancrace jusqu’à Saint-Pierre. Saint Grégoire le Grand, qui avait une grande vénération pour cette église, y célébra plusieurs fois la messe et y tint quelques homélies, enfin il la donna aux moines bénédictins. En 1673, elle fut confiée aux Carmes Déchaux avec le couvent attenant et un séminaire pour les missions des Indes […]

Sous l’autel majeur, il y a un autre autel souterrain où était anciennement conservé le corps du Saint, protégé par une grille en fer. Il y avait l’usage de conduire ceux qui étaient soupçonnés de parjure devant cette grille, car s’ils étaient coupables, ils étaient pris d’un tremblement visible ou d’un autre accident.

Les Catacombes
– Venez avec moi, nous dit le père Giacinto, nous allons dans les catacombes. Il avait préparé une lampe pour chacun. Nous nous sommes mis à le suivre. Au milieu de l’église, il nous indiqua une trappe. Quand on souleva le couvercle, apparut une cavité sombre et profonde : c’étaient les catacombes qui commençaient. À l’entrée, il était écrit en latin : « En ce lieu a été décapité le martyr du Christ Pancrace« . Nous voilà dans les catacombes. Imaginez de longs couloirs, tantôt étroits et bas, tantôt hauts et spacieux, tantôt coupés par d’autres couloirs, tantôt en descente, tantôt en montée, et vous aurez la première idée de ces souterrains. À droite et à gauche, il y a de petites tombes creusées parallèlement dans le tuf. Ici, anciennement, on enterrait les chrétiens, surtout les martyrs. Ceux qui avaient donné leur vie pour la foi étaient désignés par des emblèmes particuliers. La palme était le signe de la victoire remportée contre les tyrans ; l’ampoule indiquait qu’il avait versé son sang pour la foi ; le « χ » signifiait qu’il était mort dans la paix du Seigneur ou qu’il avait souffert pour le Christ. Dans d’autres apparaissaient les instruments avec lesquels ils avaient été martyrisés. Parfois, ces emblèmes étaient enfermés dans la petite tombe du saint. Quand les persécutions n’étaient pas trop sévères, on écrivait le nom et le prénom du martyr et quelques lignes soulignant une circonstance importante de sa vie. […]
– Voici, nous dit le guide, voici le lieu où était enterré saint Pancrace, à côté de lui saint Denis son oncle et près d’ici un autre de ses parents. Puis nous avons visité quelques tombes réunies dans une petite chambre dont les murs portaient des inscriptions anciennes que nous n’avons pas su lire. Au milieu de la voûte était peint un jeune homme qui nous parut représenter saint Pancrace […].
Cette fois, le guide nous indiqua une crypte. Crypte, mot grec, signifie profondeur. C’est un espace plus grand que d’ordinaire où les chrétiens avaient l’habitude de se rassembler, en temps de persécution, pour écouter la Parole, assister à la messe et aux fonctions sacrées. D’un côté, il y a encore un ancien autel où il est possible de célébrer. D’ordinaire, c’était la tombe d’un martyr qui servait d’autel. Après un bout de chemin, on nous montra la chapelle où saint Félix, pape, avait l’habitude de se reposer et de célébrer l’Eucharistie. Son sépulcre est à peu de distance. Partout, on voyait des squelettes humains réduits en morceaux par le temps. Notre guide nous assura que dans peu de temps nous arriverions à un endroit où se conservaient des pierres tombales avec les inscriptions intactes.

Mais nous étions très fatigués, aussi parce que l’air souterrain et les difficultés du chemin nous avaient beaucoup fatigués. Chacun devait faire attention à ne pas se cogner la tête, à ne pas heurter avec les épaules et à ne pas glisser avec les pieds. Le guide nous avertissait que les souterrains sont très nombreux et que certains s’étendent jusqu’à quinze/vingt milles. Si nous étions allés seuls, nous aurions pu chanter le requiescant in pace, car il aurait été très difficile de retrouver le chemin pour revenir à la lumière. Cependant, notre guide était très pratique et en peu de temps nous ramena au point d’où nous étions partis […].

San Pietro in Montorio
Remontés dans la voiture avec le père Giacinto, nous nous dirigeâmes vers San Pietro in Montorio. Le mot est une corruption de « mont d’or », car ici le sol et le gravier prennent une couleur jaune semblable à l’or. Il a également été appelé Castro Aureo, forteresse d’or, en raison des vestiges de la forteresse d’Ancus Martius encore existants au sommet. C’est l’une des églises fondées par Constantin le Grand, riche en statues, peintures et marbres. Entre l’église et le couvent attenant se dresse un bâtiment appelé Tempietto de Bramante de forme ronde. Il s’agit de l’un des travaux les plus remarquables de Bramante. Il a été édifié à l’endroit où saint Pierre a été martyrisé. À l’arrière, un escalier mène à une chapelle souterraine circulaire, au milieu de laquelle se trouve un trou où brûle continuellement une lumière. C’est l’endroit où fut enfoncée la pointe de la croix sur laquelle saint Pierre fut cloué la tête en bas. L’église est située là où se termine le Janicule et commence le Vatican.

Près de San Pietro in Montorio se trouve la magnifique Fontana Paolina, construite par Paul V en 1612. L’eau jaillit de trois colonnes qui semblent un fleuve. Elle arrive de Bramario, un lieu distant à 35 milles de Rome. Ces eaux, en tombant, servent à faire tourner des meules de moulin et d’autres machines et se ramifient avantageusement en divers points de la ville […].

Une mésaventure
Le 11 mars, nous avons été occupés à écrire et à faire des commissions. L’épisode de ma mésaventure à Rome mérite d’être mentionné. Je suis allé rendre visite à monsignor Pacca, prélat domestique de Sa Sainteté. Au retour, j’étais accompagné du père Bresciani, ayant envoyé Rua chercher le père Botandi à Ponte Sisto. Le bon Bresciani me conduisit jusqu’à l’académie de la Sapienza puis m’indiqua où passer pour arriver au Quirinal :
– Traversez ce quartier, puis restez toujours à droite. Au lieu de prendre à droite, je pris à gauche, si bien qu’après une heure de marche, je me retrouvai à la Piazza del Popolo, distante de presque un mille de chez moi. Pauvre de moi ! Au moins si j’avais eu Rua avec moi, nous aurions pu nous consoler mutuellement, mais j’étais seul. Le temps était nuageux, un vent fort soufflait et il commençait à pleuvoir. Que faire ? Je n’avais guère envie de dormir au milieu de cette place. Alors en toute patience je montai sur le Pincio, appelé ainsi d’après le palais d’un seigneur nommé Pincio […]. Cette colline n’est pas très habitée et n’est pas l’une des sept collines de Rome […]

Sant’Andrea della Valle
Vendredi 12, je suis allé célébrer la messe à Sant’Andrea della Valle pour la distinguer d’autres églises consacrées au même Apôtre. Valle lui fut ajouté à la fois parce que la basilique se trouve au point le plus bas de Rome et aussi à cause d’un palais appartenant à la famille Valle. Autrefois, l’église était dédiée à saint Sébastien qui avait souffert le martyre ici. Près de là, on en construisit une autre, dédiée à saint Louis roi de France. Mais en 1591, un riche seigneur nommé Gesualdo la restructura en renouvelant entièrement son plan. C’est l’une des premières églises de Rome. Sa coupole mesure 64 palmes de diamètre, et donc après Saint-Pierre au Vatican, c’est la coupole la plus grande de toutes les coupoles de la ville.
La première chapelle en entrant à gauche a une grille en fer qui indique l’endroit du cloaque où l’on croit que le corps du martyr saint Sébastien a été jeté. Presque en face de cette église se trouve le palais Stoppani qui servit de résidence à l’empereur Charles V lorsqu’il vint à Rome, comme l’indique une inscription sur le mur au pied de l’escalier.

Saint-Grégoire-le-Grand
Une heure et demie après midi, avec M. François De Maistre, notre guide, nous sommes partis pour visiter l’église Saint-Grégoire-le-Grand. Elle est construite sur une partie du mont Caelius, anciennement appelée clivus Scauri, c’est-à-dire descente de Scaurus, et était la maison habitée par saint Grégoire et les siens. C’est lui qui l’a convertie en monastère, où il a ensuite résidé jusqu’à l’année 590, d’abord comme simple moine, puis comme abbé du monastère. Lorsqu’il fut élu pape (en 590), il dédia ce bâtiment à l’apôtre saint André, transformant une partie des locaux en église. Après sa mort, elle fut dédiée à lui-même.

C’est certainement l’une des plus belles églises de Rome. La première chapelle en entrant à gauche est dédiée à sainte Sylvie, mère de saint Grégoire. La dernière à droite est celle du S. Sacrement ; sur cet autel, saint Grégoire célébrait la messe. […]. C’est cet autel, vénérable par son titre et le patronage du saint Pape, qui a été rendu célèbre dans le monde entier par les privilèges accordés par de nombreux papes. Il arriva le fait suivant : sur l’ordre du saint un moine du monastère avait offert la messe pendant trente jours consécutifs en suffrage de l’âme de son frère défunt, à la suite de quoi un autre moine vit cette âme libérée des peines du purgatoire.

À côté de cette chapelle, il y en a une autre plus petite, où saint Grégoire se retirait pour se reposer. On montre encore avec précision l’endroit où se trouvait son lit. À côté se trouve la chaise en marbre sur laquelle il s’asseyait aussi bien pour écrire que pour annoncer la parole de Dieu au peuple.
Après l’autel majeur, on rencontre la chapelle qui abrite une image très ancienne et miraculeuse de la Vierge. On croit que c’est celle que le Saint gardait chez lui et chaque fois qu’il passait devant, il la saluait en disant « Ave, Maria ». Un jour cependant, le bon Pape, pressé par des affaires urgentes, sortit sans adresser la salutation habituelle à la Vierge. Et elle lui fit ce doux reproche : « Ave, Gregori ». Par ces mots, elle l’invitait à ne pas oublier la salutation qui lui était si agréable.

Dans une autre chapelle trône la statue de saint Grégoire, un travail conçu et dirigé par Michel-Ange. Le Saint est assis sur le trône avec une colombe près de l’oreille, ce qui rappelle ce que dit Pierre Diacre, familier du Saint, à savoir qu’à chaque fois que Grégoire prêchait ou écrivait, il avait toujours une colombe qui lui parlait à l’oreille. Au centre de la chapelle se trouve une grande table en marbre sur laquelle le Pape offrait chaque jour à manger à douze pauvres, les servant de ses propres mains. Un jour, un ange sous la forme d’un jeune homme s’assit à table avec les autres, puis disparut soudainement. Depuis lors, le Saint augmenta à treize le nombre des pauvres qu’il nourrissait. Ainsi naquit l’usage de placer treize pèlerins à la table que le Pape sert chaque année de sa main le jeudi saint. Au-dessus de la table est gravé le distique suivant : « Ici Grégoire nourrissait douze pauvres ; un ange s’assit à table et compléta le nombre de treize ».

Les Saints-Jean-et-Paul
En sortant de cette église et en tournant à droite, on rencontre celle des Saints-Jean-et-Paul. L’empereur Jovien permit au moine saint Pammachius de la construire en 400 en l’honneur de ces deux frères martyrs. Elle fut édifiée sur leur habitation, précisément là où ils subirent le martyre. Elle fut ensuite restaurée par saint Symmaque Pape vers 444 […] En entrant, un majestueux bâtiment se présente à la vue. Au milieu, une grille en fer délimite l’endroit où les saints furent tués. Leurs corps, enfermés dans une urne précieuse, reposent sous l’autel majeur. Dans la chapelle à côté, sous l’autel, est conservé le corps du bienheureux Paul de la Croix, fondateur des passionnistes, à qui l’église est confiée. Ce serviteur de Dieu est un Piémontais, né à Castellazzo dans le diocèse d’Alexandrie. Il mourut en 1775 à l’âge de 82 ans. Les nombreux miracles qui se produisent à Rome et ailleurs par son intercession ont fait croître la congrégation des passionnistes, ainsi nommés en raison du quatrième vœu qu’ils font, c’est-à-dire promouvoir la vénération envers la passion du Seigneur.

Un de ces religieux, un Génois, frère André, après nous avoir accompagnés pour voir les choses les plus importantes de l’église, nous conduisit au couvent, un bel édifice qui abrite environ quatre-vingts de ces Pères, en grande partie piémontais.
– Voici, nous dit frère André, la chambre où mourut notre saint Fondateur. Nous y sommes entrés et avons admiré dans un recueillement dévot le lieu d’où partit son âme pour s’envoler au ciel.
– Là se trouve la chaise, les vêtements, les livres et d’autres objets qui ont servi au Bienheureux. Chaque objet est placé sous scellé et est distribué comme relique aux fidèles chrétiens. Cette chambre est aujourd’hui une chapelle où on célèbre la messe.

Arcs de Constantin et de Titus
Après avoir salué l’aimable frère André, nous nous sommes dirigés vers Saint-Laurent in Lucina. Mais après avoir fait un peu de chemin, nous nous sommes retrouvés sous l’Arc de Constantin. Cet arc est conservé presque intact. Une inscription du sénat et du peuple romain indique qu’il fut dédié à l’empereur Constantin à l’occasion de la victoire remportée sur le tyran Maxence. Cet empereur, devenu chrétien, fit placer au-dessus de l’arc une statue tenant une croix en main en mémoire de la croix qui lui apparut devant l’armée, pour rappeler à tout le monde qu’il professait la religion de Jésus crucifié.
Après avoir fait un autre bout de chemin, voici un autre arc, l’Arc de Titus. Il existe trois arcs à Rome et celui de Titus est le plus ancien et le plus élégant. Il est orné de bas-reliefs qui commémorent les victoires remportées par ce valeureux guerrier, et parmi eux est sculpté le chandelier du temple de Jérusalem en mémoire de la chute de cette ville et de son temple. Sous cet arc passait la célèbre Voie Sacrée, l’une des plus anciennes de Rome, ainsi appelée parce que c’est par elle qu’on portait chaque mois les choses sacrées sur la Forteresse, et parce qu’elle était parcourue par les augures pour aller prendre leurs réponses.

Arrivés à Saint-Laurent in Lucina, nous n’avons pas pu entrer à cause des travaux qu’on y effectuait. […] Cette église est l’une des plus vastes paroisses de Rome ; elle fut érigée par Sixte III avec le consentement de l’empereur Valentinien en l’honneur de saint Laurent martyr. Pour la distinguer des autres églises élevées en l’honneur de ce lévite, elle fut nommée in Lucina, soit à cause de la sainte martyre de ce nom, soit peut-être d’après le lieu qui s’appelait ainsi. Annexé à cette église, vers le cours, se trouve le palais Ottobuoni, construit vers l’an 1300 sur les ruines d’un grand édifice ancien appelé Palais de Domitien. Comme nous étions fatigués et que l’heure du déjeuner approchait, nous sommes rentrés chez nous […].

Sainte-Marie-des-Anges
[…] Le 13 mars, la station de carême était à Saint-Marie-des-Anges, et nous y sommes allés pour gagner l’indulgence plénière et pour prier Dieu en faveur de notre maison. Pour distinguer cette église d’une autre du même nom, on la situe près des Thermes de Dioclétien, car elle est construite sur le lieu où s’élevaient autrefois les célèbres thermes, c’est-à-dire les bains de l’empereur Dioclétien. Le souverain pontife Pie IV confia au vaste génie de Michel-Ange Buonarroti la mission de transformer en église une partie de ces superbes édifices. Dans un salon des thermes, il y avait déjà une petite église dédiée à saint Cyrille martyr. Celle-ci fut incluse dans la nouvelle église, que le Pape dédia à sainte Marie des Anges, pour faire plaisir au duc et roi de Sicile, dévot des Anges, qui coopéra beaucoup à sa construction.

Le jour de la station de carême, l’église est ornée avec une élégance particulière, et les reliques les plus insignifiantes sont exposées à la vénération publique. Dans une chapelle à côté de l’autel majeur se trouvait le reliquaire avec de nombreuses reliques parmi lesquelles nous avons remarqué les corps de saint Prosper, saint Fortunat, saint Cyrille, de plus la tête de saint Justin et de saint Maxime martyrs et de nombreux autres. Ainsi, notre dévotion satisfaite, nous sommes rentrés chez nous vers six heures, très fatigués et avec un bon appétit.

Sainte-Marie-du-Chêne
Dimanche 14 mars, nous avons célébré à la maison, puis nous sommes allés visiter un oratoire, selon les indications reçues du marquis Patrizi. L’église où se rassemblent les jeunes s’appelle Saint-Marie-du-Chêne. Voici son origine, qui remonte aux temps de Jules II. Une image de Marie avait été peinte sur une tuile par un certain Battista Calvaro, qui la plaça sur un chêne dans sa vigne à Viterbe. Cette image resta cachée pendant soixante ans, jusqu’à ce qu’en 1467 elle commence à se manifester en accordant tant de grâces et de miracles que les fidèles qui venaient la visiter élevèrent avec leurs offrandes une église et un monastère. Le Pape Jules II souhaita qu’il y ait aussi à Rome un sanctuaire dédié à Marie du Chêne, qui est celui dont nous parlons.
Entrés dans l’église, et arrivés dans la spacieuse sacristie, nous fûmes réjouis par la vue d’une quarantaine de garçons. Par leur vivacité, ils ressemblent beaucoup aux espiègles de notre oratoire. Leurs fonctions sacrées se déroulent toutes le matin. Messe, confession, catéchisme et une brève instruction, c’est ce qu’on fait pour eux […].

Après-midi, les jeunes vont à Saint-Jean-des-Florentins, un autre oratoire où il n’y a que la récréation sans fonctions à l’église. Nous y sommes allés et avons vu environ une centaine de jeunes qui s’amusaient à perdre haleine. Leurs jeux étaient la tombola et la cloche, connues aussi chez nous. Ils pratiquent également le jeu du trou qui consiste en cinq trous assez larges dans lesquels on met deux châtaignes ou autre chose. D’une distance de six pas, on fait rouler une boule. Celui qui réussit à la faire entrer dans l’un des trous gagne ce qu’il y a à l’intérieur. Nous fûmes très déçus par le fait qu’ils n’avaient que la récréation. S’il y avait un prêtre parmi eux, celui-ci pourrait faire du bien à leurs âmes, car il y a un grand besoin. D’autant plus que nous avons trouvé chez eux de bonnes dispositions. Plusieurs prenaient plaisir à dialoguer avec nous. Ils nous baisaient plusieurs fois la main, à moi et aussi à Rua qui, malgré lui, était contraint d’acquiescer […]

De retour à la maison, nous reçûmes la visite de Mgr Mérode, maître de chambre de Sa Sainteté. Après quelques politesses, il m’annonça que le Saint-Père m’invitait à prêcher les exercices spirituels aux détenues dans les prisons près de Sainte-Marie-des-Anges aux thermes de Dioclétien. Chaque désir du Pape est pour moi un commandement et donc j’acceptai avec un véritable plaisir […]

À la prison des femmes
À deux heures de l’après-midi, je me rendis chez la supérieure de la prison pour convenir du jour et de l’heure pour commencer la prédication. Elle me dit :
– Si cela vous convient, vous pouvez commencer tout de suite, car les femmes sont à l’église et il n’y a personne pour prêcher. Ainsi, j’ai commencé tout de suite et la semaine fut presque entièrement consacrée à ce ministère. La maison de correction s’appelle Aux Thermes de Dioclétien car elle est située au même endroit où se trouvaient les thermes de cet empereur célèbre. Y étaient hébergées 260 détenues coupables de graves délits et condamnées à la prison […]. Les exercices se déroulèrent avec satisfaction. La prédication simple et populaire que nous utilisons chez nous s’est révélée fructueuse dans cette prison. Le samedi, après la dernière prédication, la mère supérieure m’annonça avec grand plaisir qu’aucune des condamnées n’avait omis de s’approcher des Sacrements.

Deux épisodes
Un épisode agréable est arrivé au Saint-Père cette semaine. Le comte Spada lui rendit visite et engagea cette conversation :
– Sainteté, j’aimerais vous demander un souvenir de cette visite.
– Demandez ce que vous voulez et j’essaierai de vous satisfaire.
– Je voudrais quelque chose d’extraordinaire.
– Très bien, demandez donc.
– Sainteté, je souhaiterais avoir comme souvenir votre tabatière.
– Mais elle est pleine d’un tabac de qualité inférieure.
– Peu importe ; elle me sera très chère.
– Prenez-la, je vous en fais cadeau avec plaisir
. Le comte Spada partit plus heureux avec cette tabatière qu’avec un grand trésor. Elle est simple, en corne de buffle, reliée par deux anneaux en laiton et ne vaut pas quatre sous, mais elle est très précieuse en raison de sa provenance. Le bon comte la montre à ses amis comme un objet digne de vénération […]

Une autre anecdote m’a été racontée sur ce vénérable Pontife. L’année dernière, alors que le Saint-Père voyageait à travers ses États, il se trouva à proximité de Viterbe. Une petite fille portant un fagot de bois, voyant que la voiture pontificale s’était arrêtée, pensa que ces messieurs voulaient acheter son fagot. Elle courut vers eux :
– Monsieur, dit-elle au Saint-Père, achetez-le, le bois est très sec.
– Nous n’en avons pas besoin, 
répondit le Pape.
– Achetez-le, je vous le donne pour trois 
baiocchi.
– Prends les trois 
baiocchi et garde ton fagot. Le Saint-Père lui donna trois écus, puis se prépara à remonter dans la voiture. Mais la petite fille voulait que le Saint-Père prenne son fagot.
– Prenez-le, vous serez contents ; dans votre voiture, il y a beaucoup de place. Pendant que le Pape et sa cour riaient de cette affaire, la mère de la fillette, qui travaillait dans un champ voisin, accourut en criant :
– Saint-Père, Saint-Père, pardonnez ; cette pauvre fille est ma fille. Elle ne vous connaît pas. Ayez pitié de nous qui sommes dans une grande misère. Le Pape ajouta encore six écus et continua son chemin […]

Saint-Paul hors les murs
Le 22 mars, dimanche, Don Bosco se rendit chez le cardinal vicaire, l’éminentissime Costantino Patrizi […] Sorti du Vicariat, il se rendit à Saint-Paul-hors-les-Murs pour vénérer le tombeau du grand Apôtre des Gentils et admirer les merveilles de cette immense basilique. Après avoir marché un mille, il arriva au célèbre endroit appelé Ad Aquas Salvias, où saint Paul versa son sang pour Jésus-Christ. C’est précisément à cet endroit, où se trouvent trois sources d’eau miraculeuses, jaillies des mottes sur lesquelles la tête tranchée du saint Apôtre fit trois bonds, qu’une église a été construite. Don Bosco pria également dans l’église voisine de Sancta Maria Scala Coeli, de forme octogonale, édifiée sur le cimetière de saint Zénon, un tribun qui subit le martyre sous Dioclétien, avec 10203 de ses compagnons d’armes […]

Le Colisée
Le 23 mars, son regard ébahi contempla les gigantesques ruines de l’amphithéâtre Flavien ou Colisée, de forme ovale, avec une circonférence extérieure de 527 mètres, et encore haut de cinquante mètres par endroits. À l’époque de sa splendeur, il était couvert de marbres, orné de colonnades, de centaines de statues, d’obélisques, de quadriges en bronze ; et à l’intérieur, il soutenait tout autour d’immenses gradins, qui pouvaient contenir environ 200000 personnes, pour assister aux combats de bêtes féroces et de gladiateurs, et aux massacres de milliers de martyrs. Don Bosco entra dans l’arène des spectacles qui mesure 241 mètres de circonférence […]

Saint-Clément
Le 24, Don Bosco se rendit à la basilique Saint-Clément pour vénérer les reliques du quatrième pape après saint Pierre, et celles de saint Ignace martyr, évêque d’Antioche ; ainsi que pour admirer l’architecture de l’antique église à trois nefs. Dans celle du milieu, devant l’autel de la Confession, un enclos en marbre blanc délimite le chœur pour le clergé. Il est doté de deux pupitres, l’un pour le chant de l’évangile, près duquel se dresse la petite colonne du cierge pascal, et l’autre pour la lecture de l’épître. À côté de ce dernier se trouvait le lutrin pour les chanteurs et lecteurs des prophéties et des autres livres des Écritures ; autour de l’abside, les sièges des prêtres, et, au fond, au centre sur trois marches, la chaire épiscopale […].

De là, Don Bosco se dirigea vers l’église des Quatre-Couronnés, pour visiter les tombeaux des martyrs Sévère, Séverin, Carpophore et Victorin, tués sous Dioclétien. Il passa ensuite à Saint-Jean devant la Porte Latine, près de laquelle se dresse une chapelle sur le lieu où saint Jean Évangéliste fut plongé dans la chaudière d’huile bouillante ; de là, il continua jusqu’à la petite église Quo Vadis, ainsi nommée parce qu’à cet endroit le Seigneur apparut à saint Pierre qui sortait de Rome pour échapper à la persécution :
– Seigneur, où vas-tu ? s’écria l’Apôtre étonné. Et Jésus lui répondit :
– Je vais pour être crucifié une nouvelle fois. Saint Pierre comprit et retourna à Rome où l’attendait le martyre. Après avoir vu cette petite église, Don Bosco refit le chemin, après avoir jeté un coup d’œil sur la Via Appia, le long de laquelle on compte de nombreux mausolées de l’époque du paganisme, qui rappellent la fin de toute grandeur humaine.

Don Bosco… salésien !
Une scène charmante se produisit le matin du 25 mars. Après avoir traversé le Tibre, Don Bosco vit sur une petite place une trentaine de garçons qui s’amusaient. Il se dirigea vers eux sans hésiter et eux, suspendant leurs jeux, le regardaient émerveillés. Il leva alors la main en tenant entre ses doigts une médaille, puis s’exclama :
– Vous êtes trop nombreux et je suis désolé de ne pas avoir assez de médailles pour en offrir une à chacun d’entre vous. Ceux-ci, prenant courage, tendaient leurs mains en criant à pleine voix :
– Ça ne fait rien, ça ne fait rien… à moi, à moi ! Don Bosco ajouta :
– Eh bien, comme je n’en ai pas pour tous, je veux offrir cette médaille au plus gentil. Qui parmi vous est le plus gentil ?
– C’est moi, c’est moi !
 crièrent-ils tous ensemble. Il continua :
– Comment puis-je faire, si vous êtes tous également gentils ? Alors je la donnerai au plus espiègle ! Qui parmi vous est le plus espiègle ?
– C’est moi, c’est moi !
 répondirent-ils avec des cris assourdissants.
Le marquis Patrizi et ses amis, à une certaine distance, souriaient tout émus et stupéfaits de voir Don Bosco traiter si familièrement ces garçons, qu’il rencontrait pour la première fois ; et ils s’exclamaient :
– Voici un autre saint Philippe Néri, ami de la jeunesse. Don Bosco en effet, comme s’il avait été un ami déjà connu de ces enfants, continua à les interroger, s’ils avaient déjà assisté à la messe, dans quelle église ils avaient l’habitude d’aller, s’ils fréquentaient les oratoires qui étaient dans ces parages. […] Le dialogue était animé. Après les avoir exhortés à être toujours de bons chrétiens, Don Bosco promit qu’il passerait une autre fois par cette place et offrirait une médaille à chacun ; puis, les saluant affectueusement, il retourna vers ses accompagnateurs en montrant la médaille. Il n’avait rien donné aux garçons, et pourtant il les avait laissés contents.

Santo Stefano Rotondo
Le 26 mars, Don Bosco retourna au Caelius dans la spacieuse église Santo Stefano Rotondo, ainsi nommée à cause de sa forme ronde. Le corniche circulaire est soutenue par 56 colonnes. Tout autour des murs sont peintes les scènes des atrocités que subirent les martyrs. Elle est ornée de mosaïques du VIIe siècle, représentant Jésus crucifié, avec quelques saints, et conserve les corps de deux confesseurs de la foi : saint Primus et saint Félicien. De là, Don Bosco passa à Sainte-Marie in Dominica, ou de la Navicella, la barque en marbre qui se trouve sur la place. Elle a trois nefs séparées par 18 colonnes et contient des mosaïques du IXe siècle. Parmi celles-ci, la Vierge est à la place d’honneur parmi de nombreux anges et à ses pieds est agenouillé le pape Pascal […].

Cependant, le Saint-Père avait exprimé le désir que Don Bosco assiste au Vatican au dévot et magnifique spectacle des cérémonies de la Semaine Sainte. Il avait donc chargé monsignor Borromeo de l’inviter en son nom, et de lui procurer une place d’où il puisse assister confortablement aux rites sacrés. Ce monsignor le fit rechercher toute la journée sans succès. Enfin, à une heure très tardive, le messager le trouva chez De Maistre où il était retourné après une journée de visites. En disant qu’il venait par ordre du Pape, il fut introduit et présenta à Don Bosco la lettre d’invitation, par laquelle il était admis à recevoir la palme bénie des mains mêmes du Pape. Don Bosco la lut immédiatement et s’exclama qu’il irait avec grand plaisir.

Pâques romaines de Don Bosco. Le Dimanche des Rameaux
Dimanche 28 mars, avec le clerc Rua, il entra dans la basilique Saint-Pierre bien avant le début des fonctions. Le comte Carlo De Maistre l’accompagna à sa place, dans la tribune des diplomates. Il était très attentif car il connaissait l’importance des cérémonies de l’Église. À ses côtés se tenait un milord anglais protestant, émerveillé par tant de solennité. À un certain moment, un chanteur de la chapelle Sixtine exécuta un solo tellement bien que Don Bosco en fut ému aux larmes et le milord se tourna vers lui en s’exclamant en latin, car dans une autre langue il ne savait pas comment se faire comprendre :
– Post hoc paradisus ! Ce monsieur, après un certain temps, non seulement se convertit au catholicisme, mais devint prêtre et évêque. Après avoir béni les rameaux, le corps diplomatique défila à tour de rôle devant le Pontife, et chaque ambassadeur et ministre reçut la palme de ses mains. Don Bosco et le séminariste Rua s’agenouillèrent également aux pieds du Pape et reçurent la palme. Ainsi le voulut Pie IX : Don Bosco n’était-il pas l’ambassadeur de Dieu ? Le séminariste Rua retourna chez les Rosminiens et offrit la sienne au père Pagani, qui l’apprécia beaucoup […].

Don Bosco caudataire
Le cardinal Marini, l’un des deux assistants au trône, prit Don Bosco comme caudataire afin qu’il puisse assister à toutes les fonctions de la semaine sainte, Ainsi, en robe violette, il se tenait tout le temps presque à côté du Pape, et put apprécier les chants grégoriens et les musiques d’Allegri et de Palestrina.
Le jeudi saint, le cardinal Mario Mattei, étant le plus ancien des évêques suburbicaires, pontifia à la place du cardinal doyen empêché. Don Bosco suivit le Pontife qui portait processionnellement le Saint-Sacrement dans la chapelle Pauline pour le placer dans l’urne spécialement préparée ; il l’accompagna jusqu’à la Loggia vaticane d’où le Pape bénit Rome et le monde ; il assista au lavement des pieds fait par le Pontife à treize prêtres, et participa à la cène commémorative, servie par le Vicaire de Jésus-Christ lui-même.

La bénédiction Urbi et Orbi
[…] Le 4 avril, les salves d’artillerie du Château Saint-Ange annonçaient le jour de Pâques. Pie IX descendit dans la basilique vers dix heures pour la messe pontificale. Immédiatement après, précédé par le cortège des évêques et des cardinaux, il se rendit à la Loggia pour la bénédiction Urbi et Orbi. Avec le cardinal Marini et un évêque, Don Bosco resta un instant près du rebord recouvert d’un magnifique drap, sur lequel avaient été déposés trois Trirègnes d’or. Le cardinal dit à Don Bosco :
– Observez le spectacle ! Don Bosco parcourait la place de ses yeux ébahis. Une foule de 200.000 personnes s’y entassait, le visage tourné vers la Loggia. Les toits, les fenêtres, les terrasses des maisons, tout était occupé. L’armée française remplissait une partie de l’espace compris entre l’obélisque et l’escalier de Saint-Pierre. Les bataillons de l’infanterie pontificale étaient alignés à droite et à gauche. Derrière, la cavalerie et l’artillerie. Des milliers de voitures étaient arrêtées sur les deux côtés de la place, près des portiques de Bernini, et au fond près des maisons. Surtout sur les voitures à louer se tenaient des groupes de personnes qui semblaient dominer la place. C’était un vacarme assourdissant, un piétinement de chevaux, une confusion incroyable. Personne ne peut se faire une idée d’un tel spectacle.

Pris au piège
Don Bosco avait laissé le Pape dans la basilique pendant qu’il vénérait les reliques précieuses, croyant qu’il mettrait du temps à apparaître. Absorbé dans contemplation de tous ces gens de toutes nationalités, il ne remarqua pas l’arrivée de la sedia gestatoria sur laquelle était assis le Pape. Il se trouva dans une position difficile ; coincé entre la sedia papale et la balustrade, il pouvait à peine bouger ; tout autour, des cardinaux, des évêques, des cérémoniaires et des porteurs étaient entassés, si bien qu’il ne voyait aucune issue pour se tirer d’affaire. Tourner le visage vers le Pape était inconvenant ; lui tourner le dos était incivil ; rester au centre du balcon était ridicule. Ne pouvant faire mieux, il se tourna sur le côté ; alors la pointe d’un pied du Pape se posa sur son épaule.

À ce moment-là, un silence solennel régnait sur la grande place au point qu’on aurait pu entendre le bourdonnement d’une mouche. Les chevaux eux-mêmes restaient immobiles. Don Bosco, pas du tout troublé et attentif à chaque détail, remarqua qu’on n’entendit qu’un seul hennissement et le son d’une horloge qui sonnait les heures pendant que le Pape récitait les prières rituelles. Voyant que le sol de la Loggia était couvert de feuillages et de fleurs, il se pencha et ramassa quelques fleurs qu’il mit entre les pages du livre qu’il tenait à la main. Enfin, Pie IX se leva pour bénir : il ouvrit les bras, leva les mains vers le ciel, les étendit sur la multitude qui baissa le front, et sa voix sonore, puissante et solennelle en chantant la formule de la bénédiction s’entendait au-delà de la place Rusticucci et depuis le grenier des Pères de la Civiltà Cattolica.

La foule répondit par une immense ovation. Alors le cardinal Ugolini lut en latin le Bref de l’indulgence plénière et tout de suite après le cardinal Marini le répéta en italien. Don Bosco s’était agenouillé, et quand il se releva, le cortège papal avait déjà disparu. Toutes les cloches sonnaient à fête, le canon tonnait depuis le Château Saint-Ange, les musiques militaires faisaient résonner leurs trompettes. Le cardinal Marini, accompagné du caudataire, descendit et se dirigea vers sa voiture. À peine celle-ci se mit-elle en mouvement, que Don Bosco se sentit pris d’un malaise provoqué par ce mouvement qui lui retournait l’estomac ; ne pouvant plus résister, il manifesta au cardinal son incommodité. Sur son conseil, il monta à côté du cocher, mais le malaise ne diminua pas. Alors il descendit pour marcher à pied. Étant en habit violet, il aurait été l’objet de curiosité ou de moquerie s’il avait traversé Rome ainsi ; c’est pourquoi le secrétaire descendit gentiment de la voiture et l’accompagna au palais […].

Le souvenir du Pape
Le 6 avril, Don Bosco retourna à une audience particulière de Pie IX avec le clerc Rua et le théologien Murialdo, admis au Vatican par l’intercession de Don Bosco lui-même. Ils entrèrent dans l’antichambre à neuf heures du soir, et immédiatement Don Bosco fut introduit. Dès que le Pape le vit devant lui, lui il dit d’un air sérieux :
– Abbé Bosco, où vous êtes-vous caché le jour de Pâques pendant la bénédiction papale ? Là, devant le Pape, l’épaule sous son pied comme si le Pontife avait besoin d’être soutenu par Don Bosco.
– Saint-Père, répondit-il calmement et humblement, j’ai été pris par surprise et je demande pardon si je vous ai offensé d’une manière ou d’une autre !
– Et vous ajoutez encore l’affront de me demander si vous m’avez offensé ? Don Bosco regarda le Pape et il eut l’impression qu’il faisait semblant : un sourire commençait à apparaître sur ses lèvres. Mais qu’est-ce qui vous a pris de ramasser des fleurs à ce moment-là ? Il a fallu toute la gravité de Pie IX pour ne pas éclater de rire. […]
– Maintenant, Très Saint-Père, supplia Don Bosco, ayez la bonté de me suggérer une consigne que je puisse répéter à mes jeunes, comme souvenir du Vicaire du Christ.
– La présence de Dieu ! répondit le Pape. Dites à vos jeunes qu’ils se comportent toujours avec cette pensée !… Et vous n’avez rien à me demander ? Vous désirez certainement quelque chose aussi.
– Saint-Père, Votre Sainteté a bien voulu m’accorder ce que j’ai demandé, maintenant il ne me reste plus qu’à vous remercier du fond du cœur.
– Et pourtant, et pourtant, vous désirez encore quelque chose. À ces mots Don Bosco se tenait là comme suspendu sans prononcer un mot. Le Pontife ajouta :
– Mais comment ? Vous ne désirez pas faire en sorte que vos jeunes soient joyeux, quand vous serez de retour parmi eux ?
– Sainteté, cela oui.
– Alors attendez. Quelques instants auparavant étaient entrés dans cette pièce le théologien Murialdo, le clerc Rua et don Cerutti de Varazze, chancelier à la Curie Archiépiscopale de Gênes. Ils restèrent stupéfaits de la familiarité avec laquelle le Pape traitait Don Bosco et de ce qu’ils voyaient dans cette circonstance. Le Pape avait ouvert le coffre, en avait tiré une poignée de pièces d’or et sans les compter les avait portées à Don Bosco en disant :
– Prenez et donnez ensuite un bon goûter à vos garçons. Chacun peut imaginer l’impression que fit sur Don Bosco cet acte de bonté de Pie IX. Avec une grande bienveillance le Pape s’adressait aussi aux ecclésiastiques arrivés, bénissait les chapelets, les crucifix et d’autres objets de dévotion qui lui étaient présentés, et donnait à tous une médaille souvenir.

Le défi éducatif de Don Bosco
Parmi les cardinaux à qui il voulut rendre hommage, il y avait l’Éminentissime Tosti, qui lui avait permis de parler aux jeunes de l’Hospice Saint-Michel. Celui-ci, satisfait de la courtoisie de Don Bosco, voulut l’avoir comme compagnon à l’heure de sa promenade. Ainsi tous deux montèrent en voiture. On commença à parler du système le plus adapté à l’éducation des jeunes. Don Bosco restait persuadé que les élèves de cet hospice n’avaient pas de familiarité avec les supérieurs ; au contraire, ils les craignaient ; cela ne convenait pas, car les éducateurs étaient des prêtres. C’est pourquoi il disait :
– Voyez-vous, Éminence, il est impossible d’éduquer correctement les jeunes s’ils n’ont pas confiance en leurs supérieurs.
– Mais comment, répliquait le cardinal, peut-on gagner cette confiance ?
– En faisant en sorte qu’ils s’approchent de nous, en éliminant toute cause qui les éloigne.
– Et comment peut-on faire pour les rapprocher de nous ?
– En nous approchant d’eux, en cherchant à nous adapter à leurs goûts, en nous rendant semblables à eux. Voulez-vous que nous fassions un essai ? Dites-moi : à quel endroit de Rome peut-on trouver un bon nombre de garçons ?
– À la Piazza Termini et à la Piazza del Popolo, répondit le cardinal.
– Eh bien, allons à la Piazza del Popolo.

Le cardinal donna l’ordre au cocher. À peine arrivés, Don Bosco descendit de voiture, et le prélat resta à l’observer. Ayant vu un groupe de jeunes qui jouaient, il s’approcha, mais les espiègles s’enfuirent. Alors il les appela avec de bonnes manières et ceux-ci, après quelques hésitations, s’approchèrent. Don Bosco leur offrit quelques petites choses, demanda des nouvelles de leurs familles, demanda quel jeu ils faisaient et les invita à continuer. Il s’arrêta d’abord pour les regarder, puis il commença à y participer. Alors d’autres qui observaient de loin accoururent en grand nombre des quatre coins de la place autour du prêtre, qui accueillait tous avec affection et qui avait pour chacun une bonne parole et un petit cadeau. Il demandait s’ils étaient bons, s’ils disaient les prières, s’ils allaient se confesser. Quand il voulut s’éloigner, ils le suivirent sur une bonne distance, le laissant seulement lorsqu’il remonta en voiture. Le cardinal était émerveillé.
– Avez-vous vu ?
– Vous aviez raison !
 s’exclama le cardinal […].

Les dernières visites
Les dernières visites de Don Bosco furent réservées à la Confession de Saint Pierre et aux Catacombes. Après avoir prié dans la basilique Saint-Sébastien, ayant vu deux des flèches qui blessèrent le saint tribun et la colonne à laquelle il fut attaché, il descendit dans les galeries souterraines qui abritèrent les os de milliers de martyrs, et où saint Philippe Néri passa tant de nuits en prière. Il passa ensuite aux Catacombes Saint-Calliste. Là l’attendait le chevalier Jean-Baptiste De Rossi, qui les avait découvertes, et auquel monsignor di San Marzano l’avait présenté.
Quiconque entre dans ces lieux éprouve une telle émotion, qu’elle lui reste toute sa vie. Don Bosco était absorbé dans des pensées saintes en parcourant ces souterrains, où les premiers chrétiens avaient trouvé la force nécessaire pour affronter le martyre dans la messe, les prières en commun, le chant des psaumes et des prophéties, la communion eucharistique, l’écoute des évêques et des papes. Il est impossible de contempler sans émotion ces loculi qui avaient renfermé les corps ensanglantés ou brûlés de tant de héros de la foi, les tombes de quatorze papes qui avaient donné leur vie pour témoigner de ce qu’ils enseignaient, et la crypte de sainte Cécile.

Don Bosco observait les très anciennes fresques qui représentaient Jésus-Christ et l’Eucharistie, les images du mariage de la Sainte Vierge avec saint Joseph, l’Assomption de Marie au ciel, la Mère de Dieu avec l’enfant dans les bras ou sur les genoux. Il était ravi par le sentiment de modestie qui brillait dans ces images, dans lesquelles l’art chrétien primitif avait su reproduire la beauté incomparable de l’âme et de l’idéal très élevé de la perfection morale qui doit être attribuée à la Vierge. D’autres figures de saints et de martyrs ne manquaient pas non plus. Don Bosco sortit des catacombes à 18 heures. Il y était entré à 8 heures du matin […]

Retour à la maison
Le 14 avril, Don Bosco partit de Rome avec le clerc Rua, heureux d’avoir pu jeter les bases de la Société de Saint François de Sales. […] Il prit une voiture à louer, fit une brève halte à Palo où il trouva l’aubergiste parfaitement délivré de ses fièvres : sa guérison avait été instantanée. Celui-ci n’oubliera jamais ce qui s’est passé, et vers 1875 ou 1876, arrivé à Gênes pour des raisons commerciales, il voulut continuer son voyage jusqu’à Turin. Ayant demandé et su par télégraphe que Don Bosco était à l’Oratoire, il y alla ; mais ce jour-là, il était à déjeuner chez M. Occelletti Carlo. Alors il se rendit là pour le trouver et lui faire fête sans fin. M. Occelletti se souvint toujours avec grand plaisir du récit qu’il avait entendu de cette guérison. Arrivé à Civitavecchia et ayant rendu visite au délégué pontifical, Don Bosco se rendit au port pour embarquer.

Les vagues cette fois-ci étaient calmes et le temps était beau, si bien qu’il put descendre à Livourne, s’entretenir avec quelques amis et visiter quelques églises. Ils reprirent la mer au crépuscule, et don Rua se souvient que le navire arriva au port de Gênes à l’aube d’une splendide aurore qui illuminait le magnifique panorama de cette superbe ville. Ayant à peine mis le pied sur terre, Don Bosco se rendit au collège des Artigianelli, où l’attendaient Don Montebruno et M. Giuseppe Canale. Après-midi, il monta dans le train. En traversant la ville, il éprouva une agréable surprise : lorsque les cloches sonnèrent l’Angelus, de nombreuses personnes dans les rues et sur les places se découvraient la tête, et mêmes les porteurs s’étaient levés de leurs bancs pour réciter la prière. Plus d’une fois, il raconta le fait pour l’édification de ses élèves. Il arriva à Turin le 16 avril, accueilli par les jeunes avec tant de fête et d’affection, qu’aucun père ne pourrait en souhaiter davantage de ses propres fils.




Don Bosco et les titres de la Vierge

La dévotion mariale de Don Bosco naît d’une relation filiale et vivante avec la présence maternelle de Marie, expérimentée à chaque étape de sa vie. Des piliers votifs érigés pendant son enfance aux Becchi, aux images vénérées à Chieri et Turin, jusqu’aux pèlerinages accomplis avec ses garçons dans les sanctuaires du Piémont et de la Ligurie, chaque étape révèle un titre différent de la Vierge — Consolatrice, Douloureuse, Immaculée, Notre-Dame des Grâces et bien d’autres — qui parle aux fidèles de protection, de réconfort et d’espérance. Cependant, le titre qui définirait à jamais sa vénération fut « Marie Auxiliatrice » : ce fut la Vierge elle-même, selon la tradition salésienne, qui le lui indiqua. Le 8 décembre 1862, Don Bosco confia au clerc Giovanni Cagliero : « Jusqu’à présent, ajoutait-il, nous avons célébré avec solennité et pompe la fête de l’Immaculée, et c’est en ce jour que nos premières œuvres des oratoires festifs ont commencé. Mais la Vierge veut que nous l’honorions sous le titre de Marie Auxiliatrice : les temps sont si tristes que nous avons vraiment besoin que la Très Sainte Vierge nous aide à conserver et à défendre la foi chrétienne. » (MB VII, 334)

Les titres marials
            Écrire aujourd’hui un article sur les titres marials utilisés par Don Bosco pour vénérer la Sainte Vierge au cours de sa vie, peut apparaître comme une entreprise hors du temps. Quelqu’un, en effet, pourrait dire : Notre Dame n’est-elle pas une ? Quel est l’intérêt de tant de titres si ce n’est de créer la confusion ? Et puis, après tout, Marie Auxiliatrice n’est-elle pas la Madone de Don Bosco ?
Laissant aux experts les réflexions plus profondes qui justifient ces titres d’un point de vue historique, théologique et dévotionnel, nous nous contenterons de rappeler un passage de Lumen gentium. Ce document sur l’Église du Concile Vatican II nous rassure en nous rappelant que Marie est notre mère et que « par son intercession multiple, elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut éternel. Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n’est pas achevé, et qui se trouvent engagés dans les périls et les épreuves, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la patrie bienheureuse. C’est pourquoi la bienheureuse Vierge est invoquée dans l’Église sous les titres d’Avocate, Auxiliatrice, Secourable, Médiatrice«  (Lumen Gentium 62).
Ces quatre titres admis par le Concile synthétisent à leur manière toute une série de titres et d’invocations par lesquels le peuple chrétien a appelé Marie. Les titres attribués à Marie ont fait s’exclamer le grand poète Alessandro Manzoni.
« Ô Vierge, ô Dame, ô Toute-Sainte, quels beaux noms te donnent toutes les langues ; combien de peuples superbes se vantent de ton aimable protection! » (extrait de Il nome di Maria).
La liturgie de l’Église elle-même semble comprendre et justifier les louanges adressées à Marie par le peuple chrétien, lorsqu’elle se demande : « Comment chanterons-nous tes louanges, Sainte Vierge Marie ? »
Laissons donc les doutes de côté et allons voir les titres marials chers à Don Bosco, avant même qu’il ne diffuse dans le monde entier celui de Marie Auxiliatrice.

Durant sa jeunesse
            Les édicules sacrés ou tabernacles disséminés le long des rues des villes dans de nombreuses régions d’Italie, les chapelles de campagne et les piloni (piliers votifs avec une image sainte) que l’on trouve aux carrefours des routes ou à l’entrée des chemins privés dans nos contrées, constituent un patrimoine de foi populaire qu’aujourd’hui encore le temps n’a pas effacé.
Ce serait une tâche ardue de calculer exactement combien on en trouve sur les routes du Piémont. Rien que dans la région des Becchi et de Morialdo, on en compte une vingtaine, et pas moins de quinze dans la région de Capriglio.
Il s’agit pour la plupart de piliers votifs hérités du passé et restaurés à plusieurs reprises. Il y en a aussi de plus récents qui témoignent d’une piété qui n’a pas disparu.
Le pilone le plus ancien de la région des Becchi semble remonter à 1700. Il a été érigé au fond de la « plaine » vers le Mainito, là où se réunissaient les familles qui vivaient dans l’ancienne « Scaiota », transformée plus tard en ferme salésienne, aujourd’hui en cours de rénovation.
C’est le pilone de la Consolata, avec une petite statue de la Vierge Consolatrice des affligés, toujours ornée de fleurs des champs apportées par les fidèles.
Le petit Jean Bosco a dû passer de nombreuses fois devant cet édicule sacré, enlevant son chapeau, fléchissant peut-être le genou et murmurant un Ave Maria comme sa mère le lui avait appris.
En 1958, les salésiens ont rénové le vieux pilone et, au cours d’une cérémonie solennelle, l’ont inauguré pour renouveler la dévotion au service de la communauté et de la population.
Cette petite statue de la Consolata est peut-être la première image de Marie en plein air que Don Bosco a vénérée au cours de sa vie.

Dans la vieille maison des Becchi
            Sans parler des églises de Morialdo et de Capriglio, nous ne savons pas exactement quelles images religieuses étaient accrochées aux murs de la ferme Biglione ou dans la maison des Becchi. Nous savons cependant que plus tard, dans la maison de Joseph, lorsque Don Bosco y séjournait, il a pu voir deux vieilles images sur les murs de sa chambre, l’une de la Sainte Famille et l’autre de Notre-Dame des Anges. C’est ce qu’a affirmé sœur Eulalia Bosco. Où Joseph les avait-il prises ? Est-ce que Jean les a vues quand il était petit ? Celle de la Sainte Famille est encore exposée aujourd’hui dans la pièce centrale du premier étage de la maison de Joseph. Elle représente saint Joseph assis à sa table de travail, avec l’Enfant dans ses bras, tandis que la Vierge, debout de l’autre côté, les regarde.
Nous savons également qu’à la ferme Moglia, près de Moncucco, Giovannino avait l’habitude de réciter des prières et le chapelet avec la famille des propriétaires devant un petit tableau de Notre-Dame des Douleurs, qui est toujours conservé aux Becchi au premier étage de la maison de Joseph, dans la chambre de Don Bosco, au-dessus de la tête de son lit. Il est très noirci, dans un cadre noir souligné d’or à l’intérieur.
À Castelnuovo, Giovannino avait souvent l’occasion de monter à l’église Notre-Dame du Château pour prier la Sainte Vierge. Le jour de la fête de l’Assomption, les villageois portaient en procession la statue de la Madone. Tout le monde ne sait pas que cette statue, ainsi que la peinture sur l’icône du maître-autel, représente Notre-Dame du Saint-Cordon, la Madone des Augustins.
À Chieri, comme étudiant puis comme séminariste, Jean Bosco a prié de nombreuses fois à l’autel de Notre-Dame des Grâces dans la cathédrale Santa Maria della Scala, à celui du Saint Rosaire dans l’église Saint-Dominique, et devant l’Immaculée Conception dans la chapelle du séminaire.
C’est ainsi que, dans sa jeunesse, Don Bosco a eu l’occasion de vénérer Marie sous les titres de Consolata, Notre-Dame des Douleurs, Notre-Dame des Grâces, Notre-Dame du Rosaire et Immaculée Conception.

À Turin
            Dès 1834, Jean Bosco s’était rendu à Turin à l’église Notre-Dame des Anges pour l’examen d’admission dans l’Ordre franciscain. Il y est retourné plusieurs fois pour faire les exercices spirituels, en préparation aux ordres sacrés, dans l’église de la Visitation, et a reçu les ordres sacrés dans l’église de l’Immaculée Conception, tout près du palais de l’archevêque.
Arrivé au Collège ecclésiastique de Turin, il priait certainement souvent devant l’image de l’Annonciation dans la première chapelle à droite de l’église Saint-François d’Assise. En se rendant au Duomo et en entrant, comme c’est encore la coutume aujourd’hui par le portail de droite, combien de fois se sera-t-il arrêté devant l’ancienne statue de la Madone des Grâces, connue des anciens Turinois sous le nom de « Madona Granda ».
Si l’on pense ensuite aux promenades-pèlerinages que Don Bosco faisait avec ses gamins du Valdocco dans les sanctuaires marials de Turin à l’époque de l’Oratoire itinérant, on rappellera tout d’abord le Sanctuaire de la Consolata, cœur religieux de Turin, rempli de souvenirs du premier Oratoire. C’est à la « Consola » que Don Bosco a emmené si souvent ses jeunes. C’est à la « Consola » qu’il fit recours en larmes à l’occasion de la mort de sa mère.
Mais nous ne pouvons pas oublier les sorties en ville à Notre-Dame du Pilone, à Notre-Dame de Campagna, au Mont des Capucins, à l’église de la Nativité à Pozzo Strada, à l’église des Grâces à la Crocetta.
Le voyage-pèlerinage le plus spectaculaire de ces premières années de l’Oratoire a été celui de Notre-Dame de Superga. Cette église monumentale, dédiée à la Nativité de Marie, rappelait aux gamins de Don Bosco que la Mère de Dieu est « comme une aurore qui se lève », prélude à la venue du Christ.
On voit par là que Don Bosco a fait vivre à ses garçons les mystères de la vie de Marie à travers ses plus beaux titres.

Les promenades d’automne
            En 1850, Don Bosco inaugura les promenades « hors les murs », d’abord aux Becchi et dans les environs, puis sur les collines du Monferrat jusqu’à Casale, de la région d’Alesssandria jusqu’à Tortona, et en Ligurie jusqu’à Gênes.
Pendant les premières années, sa destination principale, voire exclusive, était les Becchi et leurs environs, où il célébrait solennellement la fête du Rosaire dans la petite chapelle érigée en 1848 au rez-de-chaussée de la maison de son frère Joseph.
Les années 1857-1864 furent les années d’or des promenades d’automne, et les garçons y participaient en groupes de plus en plus importants, entrant dans les villages la fanfare en tête, accueillis dans un climat de fête par les gens et les curés locaux. Ils se reposaient dans les granges, mangeaient des repas paysans frugaux, célébraient des offices dans les églises et, le soir, donnaient des représentations sur une scène improvisée.
En 1857, la destination du pèlerinage fut Santa Maria di Vezzolano, un sanctuaire et une abbaye chers à Don Bosco, situés en contrebas du village d’Albugnano, à 5 km de Castelnuovo.
En 1861, ce fut au tour du sanctuaire de Crea, célèbre dans tout le Monferrat. Au cours de ce même voyage, Don Bosco emmena aussi ses garçons à Notre-Dame du Puits à San Salvatore.
Le 14 août 1862, depuis Vignale, où les jeunes séjournaient, Don Bosco conduisit le joyeux groupe en pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame des Grâces à Casorzo. Quelques jours plus tard, le 18 octobre, avant de quitter Alexandrie, ils se rendent de nouveau à la cathédrale pour prier Notre-Dame della Salve, vénérée avec grande piété par les habitants, et lui demander une heureuse conclusion de leur marche.
Toujours lors de la dernière promenade de 1864 à Gênes, sur le chemin du retour, entre Serravalle et Mornèse, un groupe conduit par Don Cagliero se rendit en pieux pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame de la Garde, à Gavi.
Ces excursions-pèlerinages retrouvaient les vestiges d’une religiosité populaire caractéristique de notre peuple, expression d’une dévotion mariale que Jean Bosco avait apprise de sa mère.

Et puis encore…
            Dans les années 1860, le titre de Marie Auxiliatrice commença à dominer l’esprit et le cœur de Don Bosco, avec la construction de l’église dont il rêvait depuis 1844 et qui devint alors le centre spirituel du Valdocco, l’église-mère de la Famille salésienne, le point focal de la dévotion à la Vierge, invoquée sous ce titre.
Mais les pèlerinages marials de Don Bosco ne cessèrent pas pour autant. Il suffit de le suivre dans ses longs voyages à travers l’Italie et la France pour voir combien de fois il saisissait l’occasion pour une visite fugace au sanctuaire marial du lieu.
Il suffit de le suivre de Notre-Dame d’Oropa en Piémont à Notre-Dame du Miracle à Rome, de Notre-Dame du Boschetto à Camogli à la Madone de Gennazzano, de Notre-Dame du Feu à Forli à Notre-Dame de l’Orme à Cuneo, de Notre-Dame de Bonne Espérance à Bigione à Notre-Dame des Victoires à Paris.
            Notre-Dame des Victoires, placée dans une niche dorée, est une Reine qui se tient debout en tenant son Divin Fils avec ses deux mains. Jésus a les pieds posés sur le globe étoilé représentant le monde.
C’est devant cette Reine des Victoires à Paris que Don Bosco donna un « sermon de charité » en 1883, c’est-à-dire une de ces conférences destinées à obtenir une aide pour ses œuvres de charité en faveur de la jeunesse pauvre et abandonnée. C’était sa première conférence dans la capitale française, dans le sanctuaire qui est pour les Parisiens ce qu’est le sanctuaire de la Consolata pour les Turinois.
Tel fut l’aboutissement des pérégrinations mariales de Don Bosco, commencées au pied du pilone de la Consolata, sous la « Scaiota » des Becchi.




Éduquer les facultés de l’esprit avec saint François de Sales

Saint François de Sales présente l’esprit comme la partie la plus élevée de l’âme, dirigée par l’intellect, la mémoire et la volonté. Le cœur de sa pédagogie est l’autorité de la raison, une « torche divine » qui rend l’homme véritablement humain et doit guider, éclairer et discipliner les passions, l’imagination et les sens. Éduquer l’esprit signifie donc cultiver l’intellect par l’étude, la méditation et la contemplation, exercer la mémoire comme réservoir des grâces reçues, et renforcer la volonté afin qu’elle choisisse constamment le bien. De cette harmonie jaillissent les vertus cardinales – prudence, justice, force et tempérance – qui forment des personnes libres, équilibrées et capables d’une véritable charité.

            L’esprit est considéré par François de Sales comme la partie supérieure de l’âme. Ses facultés sont l’entendement, la mémoire et la volonté. L’imagination pourrait en faire partie, dans la mesure où la raison et la volonté interviennent dans son fonctionnement. La volonté, quant à elle, est la faculté maîtresse, à laquelle il convient de réserver un traitement particulier. C’est par l’esprit que l’homme devient, selon la définition classique, un « animal raisonnable ». « Nous ne sommes hommes que par la raison », écrit François de Sales. Après « les grâces corporelles », ce sont « les dons de l’esprit » qui devront faire l’objet de nos réflexions et de notre reconnaissance, et parmi ceux-ci l’auteur de l’Introduction distingue les dons reçus de la nature et ceux acquis par l’éducation :

Considérez les dons de l’esprit : combien y a-t-il au monde de gens hébétés, enragés, insensés ; et pourquoi n’êtes-vous pas du nombre ? Dieu vous a favorisée. Combien y en a-t-il qui ont été nourris rustiquement et en extrême ignorance ; et la Providence divine vous a fait élever civilement et honorablement.

            Parmi les hommes qui ont été comblés sous ce rapport, il faut nommer le « glorieux saint Augustin », riche de « tous les dons de nature et de grâce que le Seigneur lui avait libéralement départis », et doué entre autres « d’un grand esprit, d’un bon jugement accompagné d’une heureuse mémoire ».

La raison, « divin flambeau »
            Dans son Exercice du sommeil ou repos spirituel, composé à Padoue quand il avait vingt-trois ans, François se proposait un sujet de méditation surprenant :

Je m’arrêterai en l’admiration de la beauté de la raison que Dieu a donnée à l’homme, afin qu’éclairé et enseigné par sa merveilleuse splendeur, il haïsse le vice et aime la vertu. Hé ! que ne suivons-nous la lumière brillante de ce divin flambeau, puisque l’usage nous en est donné pour voir où nous devons mettre le pied !

            « La raison naturelle est un bon arbre que Dieu a planté en nous, les fruits qui en proviennent ne peuvent être que bons », affirme l’auteur du Traité ; il est vrai qu’elle est « grandement blessée et comme à moitié morte par le péché », mais son exercice n’est pas fondamentalement entravé.
            Dans le royaume intérieur de l’homme, « la raison doit être la reine, à laquelle toutes les facultés de notre esprit, tous nos sens et notre corps même doivent demeurer absolument assujettis ». C’est la raison qui distingue l’homme de l’animal et il faut se garder d’imiter « guenons et marmots, lesquels sont toujours mornes, tristes et fâcheux au défaut de la lune, comme au contraire, au renouvellement d’icelle, ils sautent, dansent et font leurs singeries ». Il faut faire régner, dit saint François de Sales, « l’autorité de la raison ».
            Entre la partie supérieure de l’esprit, qui doit régner, et la partie inférieure de notre être, que François de Sales désigne parfois sous le nom biblique de « chair », la bataille parfois devient âpre. Chaque camp a ses alliés. L’esprit, qui est le « donjon de l’âme », est accompagné « de ses trois soldats : l’entendement, la mémoire et la volonté ». Attention donc à la chair qui complote et se cherche des alliés dans la place :

Cette chair pratique ores l’entendement, ores la volonté, ores l’imagination, lesquels se bandant contre la raison, livrent bien souvent la place, et font division et mauvais offices à la raison. […] Cette chair allèche la volonté, ores par des plaisirs, ores par des richesses ; ores elle nous met des imaginations de prétentions, ores en l’entendement une grande curiosité, tout sous espèces et prétexte de bien.

            Dans cette bataille, rien n’est perdu tant que l’esprit résiste, alors même que toutes les passions de l’âme semblent en révolte : « Si ces soldats étaient fidèles, l’esprit n’aurait aucune crainte, ains (mais) il se moquerait de ses ennemis, comme font ceux qui, ayant des munitions suffisantes, se trouvent au donjon d’une forteresse imprenable ; et ce, bien que les ennemis soient aux faubourgs, voire que la ville fût prise. » La cause de tous ces déchirements intérieurs est l’amour-propre. En effet, « nos entendements sont ordinairement si pleins de raisons, d’opinions et de considérations suggérées par l’amour-propre que cela cause de grandes guerres en l’âme ».
            En éducation, il est important de faire sentir la supériorité de l’esprit. « Le principe d’une éducation humaine est là, dit le père Lajeunie : montrer à l’enfant, dès que sa petite raison s’éveille, ce qui est beau et bien, et par l’amour du beau, le détourner du laid ; créer ainsi dans son cœur l’habitude du contrôle de ses réflexes instinctifs au lieu de les suivre servilement ; car c’est ainsi que se forme ce processus de sensualisation qui le rend esclave de ses désirs spontanés. À l’heure des choix décisifs cette habitude de céder toujours sans contrôle aux pulsions instinctives peut s’avérer catastrophique. »

L’entendement, « œil de l’âme »
            L’entendement, qui est cette faculté typiquement humaine et rationnelle de connaître et de comprendre, a souvent été comparé à la vue. On dit par exemple : « Je vois », pour dire : « J’ai compris ». Pour François de Sales, l’entendement est « l’œil de notre âme ». L’activité incroyable dont il est capable le rend semblable à « un ouvrier, lequel avec cent milliers d’yeux et de mains, comme un autre Argus, fait plus d’ouvrage que tous les ouvriers du monde, puisqu’il n’y a rien au monde qu’il ne représente ».
            Comment fonctionne l’entendement humain ? François de Sales a analysé avec précision les quatre actions dont il est capable : la simple pensée, l’étude, la méditation et la contemplation. La simple pensée s’exerce sur une grande diversité de choses, sans aucune fin, « comme font les mouches qui se vont posant sur les fleurs sans en prétendre tirer aucun suc ». L’étude au contraire se fait lorsque nous considérons les choses « pour les savoir, pour les bien entendre et pour en pouvoir bien parler », afin d’en « remplir notre mémoire », comme font les hannetons qui « se vont posant sur les roses, non pour autre fin que pour se saouler et se remplir le ventre ».
            François de Sales pourrait s’arrêter là, mais il connaît et recommande deux autres formes plus élevées. Alors que l’étude a pour but d’accroître les connaissances, la méditation se fait « pour émouvoir les affections », et particulièrement celle de l’amour. Mais l’activité suprême de l’entendement est la contemplation, qui consiste à nous réjouir du bien que nous avons connu au moyen de la méditation et que nous avons aimé par le moyen de cette connaissance ; nous ressemblons cette fois aux petits oiseaux de la volière qui prennent plaisir à « donner du plaisir à leur maître ». Avec la contemplation l’esprit humain parvient à son sommet ; l’auteur du Traité de l’amour de Dieu dira que la raison « vivifie enfin l’entendement même par la contemplation ».
            Revenons à l’étude, cette activité de l’entendement qui nous intéresse plus particulièrement. « C’est un vieil axiome entre les philosophes, dit François de Sales, que tout homme désire de savoir ». Reprenant à son compte cette affirmation d’Aristote ainsi que l’exemple de Platon, il veut montrer que c’est là un grand privilège. Ce qu’il veut savoir, c’est la vérité. La vérité est plus belle que « cette fameuse Hélène, pour la beauté de laquelle moururent tant de Grecs et de Troyens ». L’esprit est fait pour la recherche de la vérité : « La vérité est l’objet de notre entendement, qui a, par conséquent, tout son contentement à découvrir et connaître la vérité des choses ». Quand l’esprit trouve quelque chose de nouveau, il en ressent une joie intense, et quand on a commencé à trouver quelque chose de beau, on est porté à poursuivre la recherche, « comme ceux qui ont trouvé une minière d’or fouillent toujours plus avant pour trouver davantage de ce tant désiré métal ». La vérité suprême étant Dieu, c’est la connaissance de Dieu qui est la science suprême qui remplit notre esprit. C’est lui qui nous « a donné l’entendement pour le connaître » ; hors de lui, que de « pensées vaines et cogitations inutiles » !

Cultiver son intelligence
            L’homme se caractérise par un grand désir de savoir. C’est ce désir « qui fit sortir d’Athènes et tant courir ce grand Platon », et qui « fit renoncer ces anciens philosophes à leurs commodités corporelles ». Certains vont même jusqu’à jeûner « pour mieux étudier ». C’est que l’étude nous procure un plaisir intellectuel, supérieur aux plaisirs sensuels et difficile à arrêter : « L’amour intellectuel trouvant en l’union qu’il fait à son objet plus de contentement qu’il n’avait espéré, y perfectionnant sa connaissance, il la continue en s’unissant et s’unit toujours plus en la continuant ».
            Il s’agit de « bien éclairer l’entendement » en s’efforçant de le « purger » des ténèbres de l’ignorance. François de Sales insiste sur la valeur de l’étude et de l’apprentissage : « Étudiez toujours de plus en plus, en esprit de diligence et d’humilité », écrivait-il à un étudiant. Mais il ne suffit pas de purger l’entendement de ses ignorances, il faut aussi le « parer et orner », le « tapisser de considérations ». Pour savoir parfaitement une chose, il faut bien apprendre, prendre du temps, en « assujettissant » l’entendement, c’est-à-dire en l’obligeant à se fixer sur une chose, avant de passer à une autre.
            Le jeune François appliquait son esprit non seulement aux études et aux connaissances intellectuelles, mais aussi à certains sujets essentiels à la vie de l’homme sur la terre, notamment à la « considération de la vanité des grandeurs, des richesses, des honneurs, des commodités et des voluptés de ce monde » ; à la « considération de la laideur, de l’abjection et de la déplorable misère qui se retrouve au vice et au péché » et à la « connaissance de l’excellence de la vertu ».
            L’esprit humain est souvent distrait, il oublie, il est superficiel, se contentant d’une connaissance vague ou vaine. Par la méditation, non seulement des vérités éternelles, mais aussi des phénomènes et des actions de ce monde, il devient capable d’une vision plus réaliste et plus profonde de la réalité. C’est pourquoi les méditations que l’auteur propose à Philothée comportent une première partie intitulée « considérations ». Considérer veut dire appliquer son esprit à un objet bien précis, l’examiner avec attention sous ses divers aspects. François de Sales invite Philothée à « penser », à « voir », à examiner les différents « points », dont certains méritent d’être considérées « à part ». Il exhorte à voir les choses en général et à descendre dans les cas particuliers. Il veut que l’on examine les principes, les causes et les conséquences de telle vérité ou de telle situation, ainsi que les circonstances qui les accompagnent. Il faut aussi savoir « peser » certaines paroles ou sentences dont l’importance risque de nous échapper, les considérer une à une, les comparer l’une à l’autre.
            Comme en toute chose, il peut y avoir des excès ou des déformations dans le désir de savoir. Attention à la vanité du faux savant : il en est en effet qui, « pour un peu de science, veulent être honorés et respectés du monde, comme si chacun devait aller à l’école chez eux et les tenir pour maîtres : c’est pourquoi on les appelle pédants ». Or, « la science nous déshonore quand elle nous enfle et qu’elle dégénère en pédanterie ». Quel ridicule de vouloir instruire Minerve, la déesse de la sagesse ! « La peste de la science est la présomption, laquelle rend les esprits enflés et hydropiques, ainsi que sont d’ordinaire les savants du monde ».
            Quand notre esprit se pose sur des questions qui nous dépassent et qui sont du domaine des mystères de la foi, il faut le « purger de toute curiosité », il faut le « tenir clos et couvert à telles vaines et sottes questions et curiosités ». C’est la « pureté d’entendement », « seconde modestie » ou « intérieure modestie ». Enfin il faut savoir que l’entendement peut se tromper et qu’il existe des « péchés de l’entendement », comme celui que François de Sales reproche à madame de Chantal qui s’était trompée dans la trop grande estime qu’elle avait de son directeur.

La mémoire et ses « magasins »
            Comme l’entendement, la mémoire est une faculté de l’esprit qui suscite l’admiration. François de Sales la compare à un magasin « qui vaut plus que tous ceux d’Anvers ou de Venise ». Ne dit-on pas « emmagasiner » dans sa mémoire ? La mémoire est un soldat dont la fidélité nous est bien utile. Elle est un don de Dieu, déclare l’auteur de l’Introduction : Dieu vous l’a donnée, dit-il à Philothée, « pour vous souvenir de lui », l’invitant à fuir les « souvenirs détestables et frivoles ».
            Cette faculté de l’esprit humain a besoin d’entraînement. Quand il était étudiant à Padoue, le jeune François exerçait sa mémoire non seulement dans les études, mais aussi dans sa vie spirituelle, où le souvenir des bienfaits reçus est un élément primordial. C’est par elle qu’il faut commencer :

Avant toute autre chose, je tâcherai à rafraîchir ma mémoire de tous les bons mouvements, désirs, affections, résolutions, projets, sentiments et douceurs qu’autrefois la divine Majesté m’a inspirés et fait expérimenter en la considération de ses saints mystères, de la beauté de la vertu, de la noblesse de son service et d’une infinité de bénéfices qu’elle m’a très libéralement départis ; je mettrai ordre aussi à me ramentevoir (souvenir) de l’obligation que je lui ai de ce que, par sa sainte grâce, elle a quelquefois débilité mes sens en m’envoyant certaines maladies et infirmités lesquelles m’ont grandement profité.

            Dans les difficultés et les craintes, il est indispensable de se servir de la mémoire pour « nous ressouvenir des promesses » et « demeurer fermes en cette confiance que tout périra plutôt que ces promesses viennent à manquer ». Cependant, la mémoire du passé n’est pas toujours bonne. En certaines circonstances exceptionnelles de la vie spirituelle, il « la faut purger de la souvenance des choses caduques et affaires mondaines », oublier pour un temps les choses matérielles et temporelles, quoique bonnes et utiles. Dans le domaine moral, et pour exercer les vertus, la personne qui s’est sentie offensée prendra une mesure radicale : « J’ai trop de mémoire des piques et injures, je la perdrai dorénavant ».

« Il faut avoir l’esprit juste et raisonnable »
            Les capacités de l’esprit humain, notamment de l’entendement et de la mémoire, ne sont pas destinées seulement aux prouesses intellectuelles, mais aussi et avant toute chose à la conduite de la vie. Chercher à comprendre l’homme, à comprendre la vie et à définir les normes de comportement selon la raison, telle devrait être une des tâches fondamentales de l’esprit humain et de son éducation. La partie centrale de l’Introduction, qui traite de « l’exercice des vertus », contient vers la fin un chapitre qui résume en quelque sorte l’enseignement de François de Sales sur les vertus : « Il faut avoir l’esprit juste et raisonnable ».
            Avec finesse et un brin d’humour, l’auteur dénonce nombre de conduites bizarres, folles ou simplement injustes : « Nous accusons pour peu le prochain, et nous nous excusons en beaucoup » ; « nous voulons vendre fort cher, et acheter à bon marché » ; « ce que nous faisons pour autrui nous semble toujours beaucoup, ce qu’il fait pour nous n’est rien » ; « nous avons un cœur doux, gracieux et courtois en notre endroit, et une cœur dur, sévère, rigoureux envers le prochain » ; « nous avons bien deux poids : l’un pour peser nos commodités avec le plus d’avantage que nous pouvons, l’autre pour peser celles du prochain avec le plus de désavantage qu’il se peut ». Pour bien juger, conseille-t-il à Philothée, il faut se mettre toujours à la place du prochain : « Rendez-vous vendeuse en achetant et acheteuse en vendant ». On ne perd rien à vivre « généreusement, noblement, courtoisement, et avec un cœur royal, égal et raisonnable ».
            C’est la raison qui est à la base de l’édifice de l’éducation. Certains parents n’ont pas l’esprit juste car « il y a des enfants vertueux que leurs pères et mères ne peuvent presque pas voir, pour quelque imperfection corporelle ; il y a des vicieux qui sont les favoris, pour quelque grâce corporelle ». Il y a des éducateurs et des responsables qui se laissent aller à des préférences. « Tenez bien la balance droite entre les filles », recommandait-il à une supérieure de la Visitation, afin que « les dons naturels ne vous fassent point distribuer iniquement vos affections et bons offices ». Il ajoutait même : « La beauté, la bonne grâce, le bien parler donnent souvent de grands attraits aux personnes qui vivent encore selon leurs inclinations; la charité regarde la vraie vertu et la beauté cordiale, et se répand sans particularité ».
            Mais c’est la jeunesse surtout qui court les risques les plus grands, car si « l’amour-propre nous détraque ordinairement de la raison », cela se vérifie peut-être davantage encore chez les jeunes tentés par la vanité et l’ambition. François de Sales explique au jeune homme qui va « prendre la haute mer du monde », la nature exacte de ces deux écueils qu’il va rencontrer :

Comme la vanité est un manquement de courage, qui, n’ayant pas la force d’entreprendre l’acquisition de la vraie et solide louange, en veut et se contente d’en avoir de la fausse et vide, aussi l’ambition est un excès de courage qui nous porte à pourchasser des gloires et honneurs sans et contre la règle de la raison. Ainsi, la vanité fait qu’on s’amuse à ces folâtres galanteries qui sont à louange devant les femmes et autres esprits minces, et qui sont à mépris devant les grands courages et esprits relevés ; et l’ambition fait que l’on veut avoir des honneurs avant que les avoir mérités. C’est elle qui nous fait mettre en compte pour nous, et à trop haut prix, le bien de nos prédécesseurs, et voudrions volontiers tirer notre estime de la leur.

            La raison d’un jeune homme risque de se perdre surtout quand celui-ci se laisse « embarrasser parmi les amourettes ». Attention donc, écrit l’évêque au jeune homme, à ne « point permettre à vos affections de prévenir votre jugement et raison au choix des sujets aimables: car quand une fois l’affection a pris course, elle traîne le jugement comme un esclave, à des choix fort impertinents et dignes du repentir qui les suit par après bientôt ». Il expliquait de même aux religieuses de la Visitation que « nos entendements sont ordinairement si pleins de raisons, d’opinions et de considérations suggérées par l’amour-propre que cela cause de grandes guerres en l’âme ».

La raison, source des quatre vertus cardinales
            La raison ressemble au fleuve du paradis, « que Dieu fait sourdre pour arroser tout l’homme en toutes ses facultés et exercices » ; il se divise en quatre bras, qui correspondent aux quatre vertus que la tradition philosophique appelle les quatre vertus cardinales : la prudence, la justice, la force et la tempérance. « Toutes les vertus sont vertus par la convenance ou conformité qu’elles ont à la raison ; et une action ne peut être dite vertueuse si elle ne procède de l’affection que le cœur porte à l’honnêteté et beauté de la raison ». Et le chemin du bonheur passe par une vie vertueuse guidée par la raison et caractérisée par ces quatre vertus.
            La prudence « incline notre entendement à véritablement discerner le mal qui doit être évité, d’avec le bien qui doit être fait ». Attention aux passions qui risquent de déformer notre jugement en ruinant la prudence ! La prudence ne s’oppose pas à la simplicité : nous serons à la fois « prudents comme le serpent, pour n’être pas déçus (trompés) ; simples comme la colombe, pour ne point tromper personne ».
            La justice consiste à « rendre à Dieu, au prochain et à soi-même ce qu’il est obligé ». À Dieu nous rendons « la révérence, hommage et soumission que nous lui devons comme à notre souverain Seigneur et principe ». La justice envers les parents comporte le devoir de la piété, laquelle « s’étend à tous les offices qui se peuvent légitimement rendre, soit en honneur, soit en service ».
            La vertu de force sert à « vaincre les difficultés qu’on sent à faire le bien et repousser le mal ». C’est elle qui gouverne « l’appétit irascible ». Elle est bien nécessaire, parce que l’appétit sensuel est « un sujet rebelle, séditieux, remuant ». Quand la raison domine sur les passions, la colère fait place à la douceur, sa grande alliée. Souvent, la force s’accompagne de la magnanimité, « une vertu qui nous porte et incline aux actions grandes et relevées ».
            Enfin la tempérance est indispensable « pour réprimer les inclinations insolentes de la sensualité », elle gouverne « l’appétit de convoitise » et modère les passions. Si l’âme se passionne trop pour la jouissance des cinq sens corporels, elle s’abaisse et se rend incapable de jouissances plus hautes. La vigilance sur nos sens est donc de rigueur, principalement sur les deux sens du toucher et du goût, qui sont « plus grossiers, brutaux et impétueux ».
            En conclusion, ces quatre vertus sont comme des manifestations de cette lumière naturelle que nous fournit la raison. En pratiquant ces vertus, la raison fera « l’exercice de sa supériorité et de l’autorité qu’elle a de ranger les appétits sensuels ».




Avec Nino Baglieri, pèlerin de l’Espérance, sur le chemin du Jubilé

Le parcours du Jubilé 2025, dédié à l’Espérance, trouve un témoin lumineux dans l’histoire du Serviteur de Dieu Nino Baglieri. De la chute dramatique qui le rendit tétraplégique à dix-sept ans jusqu’à sa renaissance intérieure en 1978, Baglieri est passé de l’ombre du désespoir à la lumière d’une foi active, transformant son lit de douleur en chaire de joie. Son histoire tisse les cinq signes jubilaires – pèlerinage, porte, profession de foi, charité et réconciliation – montrant que l’espérance chrétienne n’est pas une fuite, mais une force qui ouvre l’avenir et soutient chaque chemin.

1. L’espérance comme attente
            L’espérance, selon le dictionnaire en ligne Treccani, est un sentiment d’« attente confiante dans la réalisation, présente ou future, de ce que l’on désire ». L’étymologie du substantif « espérance » vient du latin spes, lui-même dérivé de la racine sanskrite spa– qui signifie tendre vers un but. En espagnol, « espérer » et « attendre » se traduisent par le verbe esperar, qui rassemble en un seul terme les deux significations, comme si on ne pouvait attendre que ce que l’on espère. Cet état d’esprit nous permet d’affronter la vie et ses défis avec courage et une lumière toujours ardente dans le cœur. L’espérance s’exprime – en positif ou en négatif – aussi dans certains proverbes populaires : « L’espérance est la dernière à mourir », « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », « Qui vit d’espérance meurt désespéré ».
            Comme s’il avait voulu recueillir ce sentiment universel concernant l’espérance, mais conscient de devoir aider à redécouvrir l’espérance dans sa dimension la plus pleine et vraie, le pape François a voulu consacrer le Jubilé ordinaire de 2025 à l’Espérance. Spes non confundit (L’espérance ne déçoit pas) est la bulle d’indiction de ce Jubilé. Mais déjà en 2014 il disait : « La résurrection de Jésus n’est pas la fin heureuse d’un beau conte, ce n’est pas le happy end d’un film ; mais c’est l’intervention de Dieu le Père là où l’espérance humaine s’effondre. Quand tout semble perdu, dans la douleur, où tant de personnes ressentent le besoin de descendre de la croix, c’est le moment le plus proche de la résurrection. La nuit devient plus sombre juste avant que le matin commence, avant que la lumière commence. Au moment le plus sombre, Dieu intervient et ressuscite » (cf. Audience du 16 avril 2014).
            C’est dans ce contexte que s’insère parfaitement l’histoire du Serviteur de Dieu Nino Baglieri (Modica, 1er mai 1951 – 2 mars 2007). Jeune maçon de dix-sept ans, tombé d’un échafaudage haut de dix-sept mètres à cause de la rupture soudaine d’une planche, il s’écrasa au sol et devint tétraplégique. Depuis cette chute, le 6 mai 1968, il ne pouvait bouger que la tête et le cou, dépendant à vie des autres pour tout, même pour les choses les plus simples et humbles. Nino ne pouvait même pas serrer la main d’un ami ou caresser sa mère… et voyait s’évanouir la possibilité de réaliser ses rêves. Quelle espérance de vie a maintenant ce jeune ? Dans quels sentiments peut-il affronter la situation ? Quel avenir l’attend ? La première réponse de Nino fut le désespoir, l’obscurité totale face à une quête de sens sans réponse. D’abord un long pèlerinage dans des hôpitaux de différentes régions italiennes, puis la compassion des amis et connaissances qui le conduisent à se rebeller et à s’enfermer dans dix longues années de solitude et de colère, tandis que le tunnel de la vie devient de plus en plus profond.
            Dans la mythologie grecque, Zeus confie à Pandore un vase contenant tous les maux du monde. Une fois ouvert, les hommes perdent l’immortalité et commencent une vie de souffrance. Pour les sauver, Pandore ouvre de nouveau le vase et libère elpis, l’espérance, restée au fond : c’était le seul antidote aux afflictions de la vie. En regardant plutôt vers le Donateur de tout bien, nous savons que « l’espérance ne déçoit pas » (Rm 5,5). Le pape François écrit dans Spes non confundit : « Sous le signe de cette espérance, l’apôtre Paul insuffle courage à la communauté chrétienne de Rome […]. Tous espèrent. Dans le cœur de chaque personne est enfermée l’espérance comme désir et attente du bien, sans savoir ce que demain apportera. L’imprévisibilité du futur suscite cependant des sentiments parfois opposés qui vont de la confiance à la crainte, de la sérénité au découragement, de la certitude au doute. Nous rencontrons souvent des personnes découragées, qui regardent l’avenir avec scepticisme et pessimisme, comme si rien ne pouvait leur offrir le bonheur. Que le Jubilé soit pour tous une occasion de raviver l’espérance » (ibid., 1).

2. Le Témoin du « désespoir » devient « ambassadeur » de l’espérance
            Revenons à l’histoire de notre Serviteur de Dieu, Nino Baglieri.
            Il faut dix longues années avant que Nino ne sorte du tunnel du désespoir, que les ténèbres épaisses se dissipent et que la Lumière entre. C’était l’après-midi du 24 mars, Vendredi saint 1978, lorsque le père Aldo Modica, avec un groupe de jeunes, se rendit chez Nino, sollicité par sa mère Peppina et par quelques personnes fréquentant le chemin du Renouveau dans l’Esprit, alors à ses débuts dans la paroisse salésienne voisine. Nino écrit : « Pendant qu’ils invoquaient l’Esprit Saint, j’ai ressenti une sensation étrange, une grande chaleur envahissait mon corps, un fort picotement dans toutes mes membres, comme si une nouvelle force entrait en moi et que quelque chose de vieux en sortait. À ce moment-là, j’ai dit mon “oui” au Seigneur, j’ai accepté ma croix et je suis né à une vie nouvelle, je suis devenu un homme nouveau. Dix ans de désespoir effacés en quelques instants, car une joie inconnue est entrée dans mon cœur. Je désirais la guérison de mon corps, mais le Seigneur me gratifiait d’une joie encore plus grande : la guérison spirituelle ».
            Commence alors pour Nino un nouveau chemin : de « témoin du désespoir » il devient « pèlerin de l’espérance ». Non plus isolé dans sa petite chambre, mais « ambassadeur » de cette espérance, il raconte son vécu à travers une émission diffusée par une radio locale et – grâce encore plus grande – le bon Dieu lui donne la joie de pouvoir écrire avec la bouche. Nino raconte : « En mars 1979, le Seigneur m’a fait un grand miracle : j’ai appris à écrire avec la bouche. Voici comment j’ai commencé. J’étais avec mes amis qui faisaient leurs devoirs, j’ai demandé qu’on me donne un crayon et un cahier, j’ai commencé à faire des signes et à dessiner quelque chose, puis j’ai découvert que je pouvais écrire et j’ai commencé à écrire ». Il commence alors à rédiger ses mémoires et à avoir des contacts par lettre avec des personnes de toutes catégories et de différentes parties du monde, des milliers de lettres encore conservées aujourd’hui. L’espérance retrouvée le rend créatif. Nino redécouvre le goût des relations et veut devenir – autant que possible – indépendant : avec l’aide d’une baguette qu’il utilise avec la bouche, et d’un élastique fixé au téléphone, il compose les numéros pour communiquer avec beaucoup de personnes malades, pour leur adresser un mot de réconfort. Il découvre une nouvelle manière d’affronter sa condition de souffrance, qui le fait sortir de l’isolement et le conduit à devenir témoin de l’Évangile de la joie et de l’espérance : « Maintenant, il y a beaucoup de joie dans mon cœur, en moi il n’y a plus de douleur, dans mon cœur il y a Ton amour. Merci Jésus mon Seigneur. De mon lit de douleur je veux te louer et de tout mon cœur te remercier parce que tu m’as appelé à connaître la vie, à connaître la vraie vie ».
            Nino a changé de perspective, il a opéré un virage à 360° – le Seigneur lui a offert la conversion – il a placé sa confiance en ce Dieu miséricordieux qui, à travers la « malchance », l’a appelé à travailler dans sa vigne, pour être signe et instrument de salut et d’espérance. Ainsi, beaucoup de personnes qui venaient le voir pour le consoler en ressortaient consolées, les larmes aux yeux. Elles ne trouvaient pas sur ce petit lit un homme triste et abattu, mais un visage souriant qui dégageait – malgré tant de souffrances, dont les plaies et les problèmes respiratoires – la joie de vivre : le sourire était une constante sur son visage et Nino se sentait « utile dans un lit de croix ». Nino Baglieri est l’opposé de beaucoup de personnes d’aujourd’hui, toujours à la recherche du sens de la vie, qui visent le succès facile et le bonheur des choses éphémères et sans valeur, vivent en ligne, consomment la vie en un clic, veulent tout et tout de suite mais ont les yeux tristes, éteints. Nino, en apparence, n’avait rien, pourtant il avait la paix et la joie dans le cœur. Il n’a pas vécu isolé, mais soutenu par l’amour de Dieu exprimé par l’étreinte et la présence de toute sa famille et de plus en plus de personnes qui le connaissent et entrent en relation avec lui.

3. Raviver l’espérance
            Construire l’espérance, c’est chaque fois que je ne me contente pas de ma vie et que je m’engage à la changer. Chaque fois que je ne me laisse pas endurcir par les expériences négatives et que j’empêche qu’elles me rendent méfiant. Chaque fois que je tombe et que j’essaie de me relever, que je ne permets pas aux peurs d’avoir le dernier mot. Chaque fois que, dans un monde marqué par les conflits, je choisis la confiance avec le désir de la relancer toujours, avec tous. Chaque fois que je ne fuis pas le rêve de Dieu qui me dit : « je veux que tu sois heureux », « je veux que tu aies une vie pleine… pleine aussi de sainteté ». Le sommet de la vertu de l’espérance est en effet un regard vers le Ciel pour bien habiter la terre ou, comme dirait Don Bosco, marcher avec les pieds sur la terre et le cœur au Ciel.
            Dans ce sillon d’espérance s’accomplit le jubilé qui, avec ses signes, nous demande de nous mettre en route, de franchir certaines frontières.
            Premier signe : le pèlerinage. Quand on se déplace d’un lieu à un autre, on est ouvert à la nouveauté, au changement. Toute la vie de Jésus a été « une mise en route », un chemin d’évangélisation qui s’accomplit dans le don de la vie puis au-delà, dans la Résurrection et l’Ascension.
            Deuxième signe : la porte. En Jn 10,9 Jésus affirme : « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira et trouvera un pâturage ». Passer la porte, c’est se laisser accueillir, être communauté. Dans l’évangile, on parle aussi de la « porte étroite » : le Jubilé devient un chemin de conversion.
            Troisième signe : la profession de foi. Il s’agit d’exprimer l’appartenance au Christ et à l’Église en le déclarant publiquement.
            Quatrième signe : la charité. La charité est le mot de passe pour le ciel. En 1 P 4,8 nous lisons cette exhortation de l’apôtre Pierre : « Gardez entre vous une grande charité, car la charité couvre une multitude de péchés ».
            Cinquième signe :la réconciliation et l’indulgence jubilaire. Le jubilé est un « temps favorable » (cf. 2Co 6,2) qui nous permet d’expérimenter la grande miséricorde de Dieu et de parcourir des chemins de rapprochement et de pardon envers nos frères ; de vivre la prière du Notre Père où l’on demande : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». C’est devenir des créatures nouvelles.
            Dans la vie de Nino, il y a aussi des épisodes qui le rattachent – grâce au « fil » de l’espérance – à ces dimensions jubilaires. Par exemple, le repentir pour quelques bêtises de son enfance. Il raconte qu’à trois, « nous volions dans la sacristie les offrandes des messes, qui nous servaient à jouer au baby-foot. Quand on rencontre de mauvaises compagnies, elles te mènent sur de mauvais chemins. De plus, l’un de nous a pris le trousseau de clés de l’Oratoire et l’a caché dans mon sac d’école qui était dans le bureau ; ils ont trouvé les clés, ont appelé les parents, nous ont donné deux gifles et nous ont exclus de l’école. Quelle honte ! ». Mais surtout dans la vie de Nino, il y a la charité : aider le frère pauvre, celui qui est dans l’épreuve physique et morale, se rendre proche de ceux qui ont aussi des difficultés psychologiques et atteindre par écrit nos frères en prison pour leur témoigner la bonté et l’amour de Dieu. Nino, qui avant la chute avait été maçon, a dit : « J’aimais construire de mes mains quelque chose qui reste dans le temps. Même maintenant, écrit-il, je me sens un maçon qui travaille dans le Royaume de Dieu, pour laisser quelque chose qui dure dans le temps, pour voir les Œuvres Merveilleuses que Dieu accomplit dans notre Vie ». Il ajoute cette confidence : « Mon corps semble mort, mais dans ma poitrine mon cœur continue de battre. Mes jambes ne bougent pas, et pourtant, à travers le monde, je marche ».

4. Pèlerin en marche vers le ciel
            Nino, devenu coopérateur salésien de la grande Famille Salésienne, conclut son « pèlerinage » terrestre le vendredi 2 mars 2007 à 8h00 du matin, à seulement 55 ans, dont 39 passés comme tétraplégique entre le lit et le fauteuil roulant, après avoir demandé pardon à sa famille pour les difficultés qu’elle a dû affronter à cause de sa condition. Il quitte la scène du monde en survêtement et baskets, comme il l’avait expressément demandé, pour courir dans les prairies vertes fleuries et sautiller comme une biche le long des cours d’eau. Nous lisons dans son Testament spirituel : « Je ne finirai jamais de te remercier, ô Seigneur, de m’avoir appelé à Toi à travers la Croix le 6 mai 1968. Une croix lourde pour mes jeunes forces… ». Le 2 mars, la vie – don continu qui part des parents et est peu à peu nourri avec émerveillement et beauté – offre à Nino Baglieri son plus beau cadeau : l’étreinte de son Seigneur et Dieu, accompagné de la Vierge Marie.
            À l’annonce de son départ, un chœur unanime s’élève de tous côtés : « un saint est mort », un homme qui a fait de son lit de croix l’étendard de la vie pleine, un don pour tous. Donc un grand témoin de l’espérance.
            Cinq ans après sa mort, comme prévu par les Normae Servandae in Inquisitionibus ab Episcopis faciendis in Causis Sanctorum de 1983, l’évêque du diocèse de Noto, à la demande du Postulateur général de la Congrégation Salésienne, après avoir consulté la Conférence épiscopale sicilienne et obtenu le Nihil obstat du Saint-Siège, ouvre l’enquête diocésaine pour la cause de béatification et canonisation du Serviteur de Dieu Nino Baglieri.
            Le procès diocésain, qui a duré 12 ans, s’est déroulé selon deux axes principaux : le travail de la Commission historique qui a recherché, collecté, étudié et présenté de nombreuses sources, surtout des écrits « du » et « sur » le Serviteur de Dieu ; le Tribunal ecclésiastique, responsable de l’enquête, qui a également entendu sous serment les divers témoins.
            Ce parcours s’est achevé le 5 mai 2024 en présence de Mgr Salvatore Rumeo, évêque actuel du diocèse de Noto. Quelques jours plus tard, les actes du procès ont été remis au Dicastère pour les Causes des Saints qui les a ouverts le 21 juin 2024. Début 2025, ce même Dicastère a décrété leur « validité juridique », permettant à la phase romaine de la Cause d’entrer dans le vif du sujet.
            Actuellement, la contribution à la Cause continue en faisant connaître la figure de Nino. Celui-ci a laissé à la fin de son chemin terrestre la recommandation suivante : « Ne me laissez pas sans rien faire. Je continuerai ma mission depuis le ciel. Je vous écrirai du Paradis ».
            Le chemin de l’espérance en sa compagnie devient ainsi désir du Ciel, quand « nous nous rencontrerons face à face avec la beauté infinie de Dieu (cf. 1Co 13,12) et pourrons lire avec une joyeuse admiration le mystère de l’univers, qui participera avec nous à la plénitude sans fin […]. En attendant, nous nous unissons pour prendre soin de cette maison qui nous a été confiée, sachant que ce qu’il y a de bon en elle sera accueilli dans la fête du ciel. Avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu […]. Marchons en chantant ! » (cf. Laudato Si’, 243-244).

Roberto Chiaramonte




Neuvaine à Marie Auxiliatrice 2025

Cette neuvaine à Marie Auxiliatrice 2025 nous invite à nous redécouvrir enfants sous le regard maternel de Marie. Chaque jour, à travers les grandes apparitions – de Lourdes à Fatima, de Guadalupe à Banneaux – nous contemplons un aspect de son amour : humilité, espérance, obéissance, émerveillement, confiance, consolation, justice, douceur, rêve. Les méditations du Recteur Majeur et les prières des « enfants » nous accompagnent dans un chemin de neuf jours qui ouvre le cœur à la foi simple des petits, nourrit la prière et encourage à construire, avec Marie, un monde guéri et plein de lumière, pour nous et pour tous ceux qui cherchent l’espérance et la paix.

Jour 1
Être fils et filles – Humilité et foi

Les enfants font confiance, les enfants se confient. Et une mère est toujours proche. On la voit même si elle n’est pas là.
Et nous, sommes-nous capables de la voir ?
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Notre-Dame de Lourdes
La petite Bernadette Soubirous
11 février 1858. Je venais d’avoir 14 ans. C’était un matin comme les autres, un jour d’hiver. Nous avions faim, comme toujours. Il y avait cette grotte, avec une bouche noire. Dans le silence j’ai senti comme un grand souffle. Le buisson s’est mis à bouger ; une force le secouait. Et puis j’ai vu une jeune femme, blanche, pas plus grande que moi, qui m’a saluée en inclinant légèrement la tête ; en même temps, elle écartait un peu ses bras tendus et en ouvrant ses mains, comme les statues de la Sainte Vierge. J’avais peur. Puis il m’est venu à l’esprit de prier : j’ai pris le chapelet que j’ai toujours sur moi et j’ai commencé à le réciter.

Marie se montre à sa fille Bernadette Soubirous. À elle qui ne savait ni lire ni écrire, à elle qui parlait en dialecte et n’allait pas au catéchisme. Une pauvre fille, intimidée par tout le monde dans le pays, mais prête à faire confiance et à se confier, comme ceux qui n’ont rien. Et rien à perdre. Marie lui confie ses secrets, et elle le fait parce qu’elle lui fait confiance. Elle la traite avec amour, elle s’adresse à elle avec gentillesse, elle lui dit : « S’il vous plaît ». Et Bernadette s’abandonne et la croit, comme un petit enfant envers sa mère. Elle croit en la promesse que la Vierge lui fait, de ne pas la rendre heureuse en ce monde, mais dans l’autre. Et elle se souviendra de cette promesse pour le reste de sa vie. Une promesse qui lui permettra d’affronter toutes les difficultés de front, avec force et détermination, en faisant ce que la Vierge lui a demandé : prier, prier toujours pour nous tous, pécheurs. Elle promet, elle aussi : elle garde les secrets de Marie et répond à sa demande d’un sanctuaire sur le lieu de l’apparition. Et à l’article de la mort, Bernadette sourit, en repensant au visage de Marie, à son regard plein d’amour, à ses silences, à ses quelques paroles, intenses, et surtout à la fameuse promesse. Et elle se sent toujours fille, fille d’une Mère qui tient ses promesses.

Marie, une Mère qui promet
Toi qui as promis de devenir la mère de l’humanité, tu es restée proche de tes enfants, en commençant par les plus petits et les plus pauvres. Tu t’es faite proche d’eux, tu t’es manifestée à eux.
Ayez la foi : Marie se montre aussi à nous si nous savons nous dépouiller de tout.

Intervention du Recteur Majeur
La Très Sainte Vierge Marie, Humilité et Foi

Nous pouvons dire que la Très Sainte Vierge Marie est pour nous un phare d’humilité et de foi qui accompagne les siècles, qui accompagne nos vies, qui accompagne l’expérience de chacun d’entre nous. N’oublions pas, cependant, que l’humilité de Marie n’est pas d’abord une simple modestie extérieure, ce n’est pas une façade, mais plutôt une conscience profonde de sa petitesse face à la grandeur de Dieu.

Son « Oui, voici la servante du Seigneur », qu’elle prononce devant l’ange, est un acte d’humilité, pas de présomption ; c’est l’abandon confiant de ceux qui se reconnaissent comme des instruments entre les mains de Dieu. Marie ne recherche pas de remerciements ; elle cherche simplement à être servante, en se plaçant à la dernière place en silence, avec une humilité, une simplicité qui nous désarme. Et c’est cette humilité radicale qui est la clé qui a ouvert le cœur de Marie à la Grâce divine, en laissant le Verbe de Dieu, avec sa grandeur, avec son immensité, s’incarner en son sein maternel.

Marie nous apprend à nous présenter tels que nous sommes, humblement, sans orgueil. Il ne faut nous appuyer sur notre autorité personnelle, notre autoréférentialité, mais nous tenir librement devant Dieu pour pouvoir être pleinement disponibles, comme Marie, et vivre avec amour selon sa volonté. Là est donc la foi de Marie. L’humilité de la servante la place sur un chemin constant d’adhésion inconditionnelle au dessein de Dieu, même dans les moments les plus sombres et les plus incompréhensibles. Cela signifie affronter courageusement la pauvreté de son expérience de la grotte de Bethléem, de la fuite en Égypte, de la vie cachée à Nazareth, mais surtout au pied de la croix, où la foi de Marie atteint son apogée.

Là, sous la croix, le cœur transpercé par la douleur, Marie ne vacille pas, Marie ne tombe pas, Marie croit à la promesse. Sa foi n’est donc pas un sentiment passager, mais un roc solide sur lequel se fonde l’espérance de l’humanité, notre espérance. En Marie, l’humilité et la foi sont inextricablement liées.

Laissons cette humilité de Marie éclairer notre terre humaine, pour que la foi puisse germer aussi en nous. En reconnaissant notre petitesse devant Dieu, nous ne nous laissons pas aller par le fait que nous sommes petits. Nous ne nous laissons pas abattre par des présomptions, mais nous nous tenons, comme Marie, dans une attitude de grande liberté, de grande disponibilité, en reconnaissant que nous dépendons de Dieu. Nous vivons avec Dieu dans la simplicité, mais en même temps dans la grandeur.

Marie nous exhorte donc à cultiver une foi sereine et ferme, capable de surmonter les épreuves et de faire confiance aux promesses de Dieu. Contemplons la figure de Marie, humble et croyante, afin de pouvoir, nous aussi, dire généreusement notre « oui », comme elle.

Et nous, sommes-nous capables de saisir ses promesses d’amour avec les yeux d’un petit enfant ?

La prière d’un fils infidèle
Marie, toi qui te montres à ceux qui savent voir,
clarifie mon cœur.
Rends-moi humble, petit, capable de me perdre dans ton étreinte de mère.
Aide-moi à redécouvrir l’importance du rôle d’un fils, et marque mes pas.
Tu promets, je promets dans un pacte que seuls mère et fils peuvent faire.
Je tomberai, mère, tu le sais.
Je ne tiendrai pas toujours mes promesses.
Je ne ferai pas toujours confiance.
Je ne réussirai pas toujours à te voir.
Mais toi, reste là, en silence, avec le sourire,
les bras tendus et les mains ouvertes.
Et moi, je prendrai le chapelet
et je prierai avec toi pour tous tes fils comme moi.

Ave Maria… Je vous salue, Marie…
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Jour 2
Être fils et filles – Simplicité et espérance

Les enfants font confiance, les enfants se confient. Et une mère est toujours proche. On la voit même si elle n’est pas là.
Et nous, sommes-nous capables de la voir ?
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Notre-Dame de Fatima
Les petits bergers de Cova da Iria
À Cova da Iria, vers 13 heures, le ciel s’ouvre et le soleil apparaît. Soudain, vers 13h30, l’improbable se produit : devant une foule stupéfaite, le miracle le plus spectaculaire, le plus grandiose et le plus incroyable jamais survenu depuis les temps bibliques. Le soleil commence une danse effrénée et effrayante qui durera plus de dix minutes. Un temps interminable.

Trois petits bergers, simples et heureux, assistent et répandent le récit du miracle qui bouleverse des millions de personnes. Personne ne peut l’expliquer, des scientifiques aux hommes de foi. Pourtant, trois enfants ont vu Marie, ils ont écouté son message. Et ils le croient ; ils croient aux paroles de cette femme qui s’est montrée à eux et leur a demandé de retourner à Cova da Iria tous les 13 du mois. Ils n’ont pas besoin d’explications parce qu’ils placent toute leur espérance dans les paroles répétées de Marie. Une espérance difficile à garder, qui aurait effrayé n’importe quel enfant : Notre-Dame révèle à Lucie, Jacinthe et François les souffrances et les conflits mondiaux. Mais ils n’éprouvent aucun doute : ceux qui font confiance à la protection de Marie, la Mère qui protège, peuvent tout affronter. Et ils le savent bien, eux qui l’ont vécu en personne, risquant d’être tués pour ne pas trahir la parole donnée à leur Maman du Ciel. Les trois petits bergers étaient prêts au martyre, emprisonnés et menacés devant une marmite d’huile bouillante.
Ils avaient peur :
« Pourquoi devons-nous mourir sans embrasser nos parents ? Moi, je voudrais voir maman. »
Pourtant, ils décidèrent d’espérer encore, croyant en un amour plus grand qu’eux-mêmes :
« N’aie pas peur. Offrons ce sacrifice pour la conversion des pécheurs. Ce serait pire si la Vierge ne revenait jamais. »
« Pourquoi ne récitons-nous pas le chapelet ? »

Une mère n’est jamais sourde au cri de ses enfants. C’est en elle que ses enfants mettent leur espérance.
Marie, la Mère qui protège, s’est tenue aux côtés de ses trois enfants de Fatima et les a sauvés en les gardant en vie.
Et aujourd’hui encore, Elle protège tous ses enfants dans le monde qui se rendent en pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame de Fatima.

Marie, une Mère qui protège
Toi qui prends soin de l’humanité dès l’instant de l’Annonciation, tu es restée proche de tes enfants les plus simples et les plus assoiffés d’espérance. Tu t’es faite proche d’eux, tu t’es manifestée à eux.
Mettez votre espérance en Marie : elle saura vous protéger.

Intervention du Recteur Majeur
La Très Sainte Vierge Marie, Espérance et Renouveau.

Contempler la figure de Marie, c’est comme tourner le regard vers un horizon lumineux, une invitation constante à croire en un avenir plein de grâce. Et cette grâce nous transforme. Marie est la personnification de l’espérance chrétienne en action. Sa foi inébranlable face aux épreuves, sa persévérance à suivre Jésus jusqu’à la croix, son attente confiante de la résurrection sont pour moi les choses les plus importantes. Elles sont pour nous un phare d’espérance pour toute l’humanité

En Marie, nous voyons combien la certitude est, pour ainsi dire, la confirmation de la promesse d’un Dieu qui ne manque jamais à sa parole, que la douleur, la souffrance, l’obscurité n’ont pas le dernier mot, que la mort est vaincue par la vie.

Marie est alors l’espérance. C’est l’étoile du matin qui annonce l’arrivée du soleil de justice. S’adresser à elle, c’est confier nos attentes, nos aspirations à un cœur maternel qui les présente avec amour à son Fils ressuscité. D’une certaine manière, notre espérance est soutenue par l’espérance de Marie. Et s’il y a l’espérance, alors les choses ne restent pas comme avant ; il y a du renouveau, le renouveau de la vie. En accueillant le Verbe incarné, Marie a rendu possible la foi en l’espérance et en la promesse de Dieu. Cela a rendu possible une nouvelle création, un nouveau départ.

La maternité spirituelle de Marie continue de nous engendrer dans la foi, en nous accompagnant sur notre chemin de croissance et de transformation intérieures.

Demandons à la Vierge Marie la grâce nécessaire pour que cette espérance, que nous voyons se réaliser en Elle, puisse renouveler nos cœurs, guérir nos blessures, nous faire passer au-delà du voile de la négativité pour nous engager sur un chemin de sainteté, un chemin de proximité avec Dieu. Demandons à Marie, à Elle, la Femme qui se tient en prière avec les apôtres, de nous aider aujourd’hui, croyants et communautés chrétiennes, afin que nous soyons soutenus dans la foi et ouverts aux dons de l’Esprit, et qu’ainsi, la face de la terre soit renouvelée.

Marie nous exhorte à ne jamais nous résigner au péché et à la médiocrité mais que, pleins de l’espérance qui l’a comblée Elle-même, nous désirions ardemment une vie nouvelle dans le Christ.

Que Marie continue d’être un modèle et un soutien pour nous permettre de continuer à croire en la possibilité d’un nouveau commencement, d’une renaissance intérieure qui nous conformera toujours plus à l’image de son Fils Jésus.

Et nous, sommes-nous capables, avec les yeux d’un enfant, d’espérer en Elle et de la laisser nous protéger ?

La prière d’un fils décourage
Marie, toi qui te montres à ceux qui savent voir,
fais que mon cœur soit simple et plein d’espoir.
J’ai confiance en toi : protège-moi dans toutes les situations.
Je me confie à toi : protège-moi dans toutes les situations.
J’écoute ta parole : protège-moi dans toutes les situations.
Donne-moi la capacité de croire en l’impossible
et de faire tout ce qui est en mon pouvoir
pour apporter ton amour, ton message d’espérance
et ta protection au monde entier.
Et je t’en supplie, ma Mère, protège toute l’humanité,
même celle qui ne te reconnaît pas encore.

Ave Maria… Je vous salue, Marie …
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Jour 3
Être fils et filles – Obéissance et don de soi

Les enfants font confiance, les enfants se confient. Et une mère est toujours proche. On la voit même si elle n’est pas là.
Et nous, sommes-nous capables de la voir ?
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Notre-Dame de Guadalupe
Le jeune Juan Diego
Juan Diego, petit et favori de mes enfants, lui dit la Dame… » Juan se leva d’un bond.
« Où vas-tu, Juanito ? » demanda la Dame.
Juan Diego répondit aussi poliment qu’il le put. Il dit à la Dame qu’il se rendait à l’église de Santiago pour entendre la messe en l’honneur de la Mère de Dieu.
« Mon fils bien-aimé, je suis la Mère de Dieu, et je veux que tu m’écoutes attentivement. J’ai un message très important à te transmettre : je désire qu’une église soit construite ici en mon honneur, une église d’où je puisse montrer mon amour à ton peuple.

Un dialogue doux, simple et tendre comme celui d’une mère avec son enfant. Et Juan Diego obéit : il alla voir l’Évêque pour lui raconter ce qu’il avait vu ; mais l’Évêque ne le crut pas. Alors le jeune homme retourna vers Marie et lui expliqua ce qui s’était passé. La Madone lui donna un autre message en l’exhortant à essayer encore et encore. Juan Diego obéissait sans s’avouer vaincu : il accomplirait la tâche que la Mère du Ciel lui confiait. Mais un jour, pris par les problèmes de la vie, il était sur le point de manquer le rendez-vous avec la Madone : son oncle était mourant.
« Penses-tu vraiment que j’oublierais celui que j’aime tant ? » Marie guérit l’oncle, et Juan Diego obéissait une fois de plus.
« Mon cher enfant, répondit la Dame, monte au sommet de la colline où nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Coupe et cueille les roses que tu y trouveras. Mets-les dans ta « tilma » [ta cape] et apporte-les-moi ici. Je te dirai ce que tu devras faire et dire. »
Tout en sachant qu’aucune rose ne poussait sur cette colline, et certainement pas en hiver, Juan Diego courut jusqu’au sommet : il y avait là le plus beau jardin qu’il ait jamais vu. Des roses de Castille, encore brillantes de rosée, s’étendaient à perte de vue. Il coupa délicatement les plus beaux bourgeons avec son couteau de pierre, en remplit sa cape et retourna rapidement à l’endroit où la Dame l’attendait. La Dame prit les roses, les arrangea dans la « tilma » de Juan Diego qu’elle lui attacha autour du cou en disant : « C’est le signe que veut l’Évêque. Vite, va chez lui et ne t’arrête pas en chemin. »

L’image de la Vierge était apparue sur la cape ; et à la vue de ce miracle, l’Évêque fut convaincu. Et aujourd’hui, le sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe conserve encore l’effigie miraculeuse.

Marie, une Mère qui n’oublie pas
Toi qui n’oublies aucun de tes enfants, tu ne laisses personne de côté ; tu as jeté ton regard sur les jeunes qui ont placé en toi tous leurs espoirs. Tu t’es approchée d’eux, tu t’es manifestée à eux.
Obéissez même quand vous ne comprenez pas : une mère n’oublie pas, une mère ne laisse pas seul.

Intervention du Recteur Majeur
La Très Sainte Vierge Marie, Maternité et Compassion

La maternité de Marie ne s’épuise pas dans son « oui » qui a rendu possible l’Incarnation du Fils de Dieu. Certes, ce moment est le fondement de tout, mais sa maternité est une attitude constante, une façon d’être pour nous, d’être en relation avec l’humanité entière.

Jésus, sur la croix, lui confie Jean par ces mots : « Femme, voici ton fils », étendant symboliquement sa maternité aux croyants de tous les temps.  Marie devient ainsi la mère de l’Église, la mère spirituelle de chacun de nous.

Nous voyons alors comment cette maternité se manifeste dans des soins tendres et attentionnés, dans une attention constante aux besoins de ses enfants et dans un profond désir de leur bien-être. Marie nous accueille, nous nourrit avec son expression de fidélité, nous protège sous son manteau. La maternité de Marie est un don immense qui nous permet de nous rapprocher d’Elle, de ressentir une présence aimante qui nous accompagne à chaque instant.

La compassion de Marie est alors le corollaire naturel de sa maternité. Une compassion qui n’est pas simplement un sentiment superficiel de pitié, mais une participation profonde à la douleur des autres, une « souffrance avec ».  On la voit se manifester de manière touchante lors de la passion de son fils. Et de la même manière que Marie ne reste pas indifférente à notre douleur, elle intercède pour nous, elle nous console, elle nous offre son aide maternelle.

Le cœur de Marie devient alors un refuge sûr où nous pouvons déposer nos fatigues et trouver réconfort et espérance. La maternité et la compassion deviennent en Marie, pour ainsi dire, deux visages d’une même expérience humaine à notre profit, deux expressions de son amour infini pour Dieu et pour l’humanité.

Sa compassion est alors la manifestation concrète de son être de mère, compassion qui est une conséquence de la maternité. La contemplation de Marie comme mère ouvre alors notre cœur à l’espérance et trouve en elle une expérience vraiment complète : Maman du Ciel qui nous aime.

Demandons à Marie de la voir comme un modèle d’humanité authentique, d’une maternité capable de « sentir », d’aimer, de souffrir avec les autres, à l’exemple de son Fils Jésus, qui a souffert par amour pour nous et est mort sur la croix.

Et nous, sommes-nous sûrs qu’une mère n’oublie pas, sûrs comme le sont les petits enfants ?

La prière d’un fils perdu
Marie, toi qui te montres à ceux qui savent voir,
rends mon cœur obéissant.
Quand je ne t’écoute pas, insiste, je t’en prie.
Quand je ne reviens pas, viens me chercher, s’il te plaît.
Quand je ne me pardonne pas, enseigne-moi l’indulgence, je t’en prie.
Parce que nous, les humains, nous nous perdons
et nous nous perdrons toujours.
Mais toi, ne nous oublie pas, nous, tes enfants errants.
Viens nous chercher,
viens nous prendre par la main.
Nous ne voulons pas et nous ne pouvons pas rester seuls ici.

Ave Maria … Je vous salue, Marie …
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Jour 4
Être fils et filles – émerveillement et réflexion

Les enfants font confiance, les enfants se confient. Et une mère est toujours proche. On la voit même si elle n’est pas là.
Et nous, sommes-nous capables de la voir ?
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Notre-Dame de la Salette
Les petits Mélanie et Maximin de La Salette
Le samedi 19 septembre 1846, les deux enfants gravirent les pentes du mont Planeau tôt le matin, au-dessus du village de La Salette, conduisant chacun quatre vaches au pâturage. À mi-chemin, près d’une petite source, Mélanie fut la première à voir un globe de feu sur un tas de pierres « comme si le soleil y était tombé », et le montra à Maximin. Une femme commença à émerger de cette sphère lumineuse, la tête dans les mains, les coudes sur les genoux, profondément triste. Devant leur étonnement, la Dame se leva et, d’une voix douce, et en français, leur dit : « Approchez, mes enfants, n’ayez pas peur, je suis ici pour vous annoncer une grande nouvelle. » Encouragés, les enfants s’approchèrent et virent que « la belle Dame » pleurait.

Une mère annonce une grande nouvelle à ses enfants et le fait en pleurant. Pourtant, les enfants ne sont pas troublés par ses pleurs. Ils écoutent dans le plus tendre des moments entre une mère et ses enfants. Parce que même les mères sont parfois inquiètes, parce que les mères confient aussi leurs sentiments, leurs pensées et leurs réflexions à leurs enfants. Et Marie confie aux deux jeunes bergers, pauvres et privés d’affection, un grand message : « Je m’inquiète pour l’humanité, je m’inquiète pour vous, mes enfants, qui vous éloignez de Dieu. Et la vie loin de Dieu est une vie compliquée, difficile, faite de souffrances. » C’est pourquoi elle pleure. Elle pleure comme n’importe quelle mère et transmet à ses plus jeunes et plus purs enfants un message aussi étonnant que grand. Un message à annoncer à tous, à porter au monde.
Et ils le feront, parce qu’ils ne peuvent pas garder pour eux un si beau moment : l’expression de l’amour d’une mère pour ses enfants doit être annoncée à tous. Le Sanctuaire de Notre-Dame de La Salette, qui se dresse sur le lieu des apparitions, pose ses fondements sur la révélation de la douleur de Marie face au pèlerinage de ses enfants pécheurs.

Marie, une Mère qui annonce, qui raconte
Toi qui te donnes entièrement à tes enfants au point de ne pas avoir peur de leur parler de toi, tu as touché le cœur des plus petits de tes enfants, capables de réfléchir sur tes paroles et de les accueillir avec émerveillement. Tu t’es approchée d’eux, tu t’es manifestée à eux.
Laissez-vous surprendre par les paroles d’une mère : elles seront toujours les plus authentiques.

Intervention du Recteur Majeur
La Très Sainte Vierge Marie, Amour et Miséricorde

Sentons-nous cette dimension de Marie, ou plutôt ces deux dimensions ? Marie est la femme au cœur débordant d’amour, d’attention et même de miséricorde. Nous la ressentons comme un port d’attache, comme un havre de paix, lorsque nous traversons des moments de difficulté ou d’épreuve.

Contempler Marie, c’est comme s’immerger dans un océan de tendresse, de compassion. Nous nous sentons entourés de toute une atmosphère inépuisable de confort et d’espérance. L’amour de Marie est un amour maternel qui embrasse toute l’humanité, parce que c’est un amour qui plonge ses racines dans son « oui » inconditionnel au dessein de Dieu.

Marie, en accueillant son fils en son sein, a accueilli l’amour de Dieu. De ce fait, son amour ne connaît ni frontières ni distinctions ; il se penche sur les fragilités, les misères humaines, avec une infinie délicatesse. Nous le voyons se manifester dans son attention à Élisabeth, dans son intercession aux noces de Cana, dans sa présence silencieuse et extraordinaire au pied de la croix.

Ici, l’amour de Marie, cet amour maternel, est le reflet de l’amour de Dieu, un amour qui se fait proche, qui console, qui pardonne, qui ne se lasse jamais, qui ne finit jamais. Ici, Marie nous enseigne qu’aimer signifie se donner complètement, être proche de ceux qui souffrent, partager les joies et les peines de nos frères avec la même générosité et le même dévouement qui animaient son cœur : amour et miséricorde.

La miséricorde devient alors la conséquence naturelle de l’amour de Marie, une compassion, viscérale peut-on dire, face aux souffrances de l’humanité, du monde. Nous regardons Marie, nous la contemplons, nous la rencontrons avec son regard maternel que nous sentons se poser sur nos faiblesses, nos péchés, notre vulnérabilité, sans agressivité mais avec une douceur infinie. C’est un cœur immaculé, sensible à nos cris de douleur.

Marie est une mère qui ne juge pas, qui ne condamne pas, mais qui accueille, console et pardonne. Nous ressentons la miséricorde de Marie comme un baume pour les blessures de l’âme, une caresse qui réchauffe le cœur. Marie nous rappelle que Dieu est riche en miséricorde et qu’il ne se lasse pas de pardonner à ceux qui se tournent vers lui avec un cœur repenti, serein, ouvert et disponible.

L’amour et la miséricorde en la Vierge Marie se fondent dans une étreinte qui embrasse toute l’humanité.

Demandons à Marie de nous aider à ouvrir grand nos cœurs à l’amour de Dieu, comme elle l’a fait elle-même, à laisser cet amour envahir nos cœurs, surtout lorsque nous ployons sous le poids des épreuves et des difficultés. En Marie, nous trouvons une mère tendre et puissante, prête à nous accueillir dans son amour et à intercéder pour notre salut.

Et nous, sommes-nous encore capables de nous émerveiller comme un petit enfant devant l’amour de sa mère ?

La prière d’un fils éloigne
Marie, toi qui te montres à ceux qui savent voir,
rends mon cœur capable de compassion et de conversion.
Dans le silence, je te retrouve.
Dans la prière, je t’écoute.
Dans la réflexion, je te découvre.
Et devant tes paroles d’amour, ô Mère, je suis émerveillé
et je découvre tes liens très forts avec l’humanité.
Loin de toi, qui me tient la main dans les moments difficiles ?
Loin de toi, qui me console dans mes pleurs ?
Loin de toi, qui me conseille quand je prends le mauvais chemin ?
Je reviens vers toi, dans l’unité de ma personne.

Ave Maria … Je vous salue, Marie …
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Jour 5
Être fils et filles – confiance et prière

Les enfants font confiance, les enfants se confient. Et une mère est toujours proche. On la voit même si elle n’est pas là.
Et nous, sommes-nous capables de la voir ?
Heureux celui qui voit avec son cœur.

La médaille de Catherine
La petite Catherine Labouré
Dans la nuit du 18 juillet 1830, vers 23 h 30, elle s’entendit appeler par son nom. C’était un enfant qui lui disait : « Lève-toi et suis-moi ». Catherine le suivit. Toutes les lumières étaient allumées. La porte de la chapelle s’ouvrit dès que l’enfant l’eut touchée du bout des doigts. Catherine s’agenouilla.
À minuit, la Vierge Marie vint, s’assit sur le fauteuil qui était à côté de l’autel. « J’ai alors bondi à côté d’elle, à ses pieds, sur les marches de l’autel, et j’ai posé mes mains sur ses genoux », raconta Catherine. « Je suis restée comme ça, je ne sais pas combien de temps. Il m’a semblé que c’était le moment le plus doux de ma vie… »
« Dieu veut te confier une mission », dit la Vierge à Catherine.

Catherine, orpheline à l’âge de 9 ans, ne se résigne pas à vivre sans sa maman. Et elle se rapproche de la Maman du Ciel. La Vierge, qui portait déjà de loin son regard sur elle, ne l’abandonnerait jamais. Au contraire, elle avait de grands projets pour elle. Elle, une de ses filles attentive et aimante, aurait une grande mission à remplir : vivre une vie chrétienne authentique, une relation personnelle forte et solide avec Dieu. Marie croit au potentiel de son enfant et lui confie la Médaille Miraculeuse, capable d’intercéder et d’accomplir des grâces et des miracles. Une mission importante, un message difficile. Pourtant, Catherine ne se décourage pas ; elle se confie à sa Maman au Ciel dont elle sait qu’elle ne l’abandonnera jamais.

Marie, une Mère qui donne confiance
Toi qui fais confiance et confies des missions et des messages à chacun de tes enfants, tu les accompagnes sur leur chemin, dans une présence discrète, en restant proches de tous, mais surtout de ceux qui ont fait l’expérience de grandes souffrances. Tu t’es approchée d’eux, tu t’es manifestée à eux.
Croyez-moi : une mère ne vous confiera jamais que des tâches que vous pouvez accomplir et vous accompagnera tout au long du chemin.

Intervention du Recteur Majeur
La Très Sainte Vierge Marie, Confiance et Prière

La Vierge Marie se présente à nous comme la femme d’une confiance inébranlable, puissante en intercession. Ici, en contemplant ces deux aspects, la confiance et la prière, nous voyons deux dimensions fondamentales de la relation de Marie avec Dieu.

Nous pouvons dire que la confiance de Marie en Dieu est un fil d’or qui traverse toute son existence, du début à la fin. Ce « oui », prononcé en toute conscience des conséquences, est un acte d’abandon total à la volonté divine. Marie se confie, Marie vit sa confiance en Dieu avec un cœur ferme en la divine Providence, sachant que Dieu ne l’abandonnera jamais.

Et donc, pour nous, dans notre vie quotidienne, regarder Marie – un acte d’abandon qui n’est pas passif, mais actif et confiant – est une invitation, non pas à oublier nos angoisses, nos peurs mais, d’une certaine manière, à tout regarder à la lumière de l’amour de Dieu qui, dans le cas de Marie, n’a jamais failli, et pas même dans notre vie. Cette confiance conduit à la prière, dont on peut dire qu’elle est presque le souffle de l’âme de Marie, le canal privilégié de sa communion intime avec Dieu. La confiance mène à la communion, sa vie abandonnée en Dieu a été un dialogue d’amour continu avec le Père, une offrande constante d’elle-même, de ses préoccupations, mais aussi de ses décisions.

La visitation à Élisabeth est un exemple de prière qui devient ensuite service. Nous voyons Marie accompagner Jésus jusqu’à la croix. Après l’Ascension, nous la voyons au Cénacle, unie aux Apôtres dans une attente fervente. Marie nous enseigne la valeur de la prière constante comme conséquence d’une confiance totale et complète, en s’abandonnant entre les mains de Dieu, précisément pour rencontrer Dieu et vivre avec Dieu.

Confiance et prière à la Vierge Marie sont étroitement liées : une profonde confiance en Dieu qui fait naître et fait jaillir une prière persévérante. Demandons à Marie d’être notre exemple et de nous encourager à faire de la prière une habitude quotidienne car nous voulons nous sentir continuellement abandonnés entre les mains miséricordieuses de Dieu.

Tournons-nous vers Elle avec une confiance filiale, afin qu’en l’imitant, en imitant sa confiance et sa persévérance dans la prière, nous puissions faire l’expérience, en toute quiétude, que ce n’est que lorsque nous nous abandonnons à Dieu que nous pouvons recevoir les « matières premières » nécessaires à notre chemin de foi.

Et nous, sommes-nous capables de faire confiance inconditionnellement comme de petits enfants ?

La prière d’un fils décourage
Marie, toi qui te montres à ceux qui savent voir,
rends mon cœur capable de prier.
Je ne suis pas capable de t’écouter, ouvre mes oreilles.
Je ne suis pas capable de te suivre, fais avancer mes pas.
Je ne suis pas capable d’être fidèle à ce que tu voudras me confier, donne-m ‘en la force.
Les tentations sont nombreuses, accorde-moi de ne pas céder.
Les difficultés semblent insurmontables, ne me laisse pas tomber.
Les contradictions du monde crient à pleine voix, fais que je ne les suive pas.
Moi, ton fils défaillant, je veux être à ton service.
Fais de moi un fils obéissant.

Ave Maria … Je vous salue, Marie …
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Jour 6
Être fils et filles – souffrance et guérison

Les enfants font confiance, les enfants se confient. Et une mère est toujours proche. On la voit même si elle n’est pas là.
Et nous, sommes-nous capables de la voir ?
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Notre-Dame des Douleurs a Kibeho
La petite Alphonsine Mumiremana et ses compagnes
L’histoire a commencé à 12h35, un samedi 28 novembre 1981, dans un pensionnat tenu par des religieuses locales, fréquenté par un peu plus d’une centaine de filles de la région. Un collège rural et pauvre, où l’on apprenait à devenir enseignantes ou secrétaires. Le complexe n’avait pas de chapelle et, par conséquent, il n’y avait pas d’atmosphère religieuse particulièrement ressentie. Ce jour-là, toutes les filles du collège étaient dans le réfectoire. La première du groupe à « voir » fut Alphonsine Mumureke, 16 ans. D’après ce qu’elle écrit elle-même dans son journal, elle servait ses compagnes à table, lorsqu’elle entendit une voix féminine l’appeler : « Ma fille, viens ici ». Elle se rendit dans le couloir, à côté du réfectoire, et une femme d’une beauté incomparable lui apparut. Elle était vêtue de blanc, avec un voile blanc sur la tête cachant ses cheveux et qui semblait joint au reste du vêtement, un vêtement sans coutures. Elle était pieds nus et ses mains étaient jointes sur sa poitrine, les doigts pointés vers le ciel.

Plus tard, la Vierge apparut à d’autres compagnes d’Alphonsine, qui étaient sceptiques au début ; mais ensuite, face à l’apparition de Marie, elles durent changer d’avis. Marie, s’adressant à Alphonsine, se présente comme la Dame des Douleurs de Kibeho, et raconte aux jeunes tous les événements impitoyables et sanglants qui allaient se dérouler peu de temps après avec le déclenchement de la guerre au Rwanda. La douleur sera grande, mais aussi la consolation et la guérison de cette douleur, parce qu’elle, la Dame des Douleurs, n’aurait jamais laissé ses enfants d’Afrique seuls. Les jeunes filles restent là, stupéfaites, devant la vision, mais elles croient en cette mère qui leur tend les bras en les appelant « mes enfants ». Elles savent que ce n’est qu’en Elle qu’elles trouveront consolation. Et afin de pouvoir prier pour que cette Mère Consolatrice soulage les souffrances de ses enfants, le sanctuaire dédié à Notre-Dame des Douleurs de Kibeho a été érigé ; c’est aujourd’hui un lieu marqué par l’extermination et le génocide. Et la Vierge Marie continue d’être là et de serrer tous ses enfants dans ses bras.

Marie, une Mère qui console
Toi qui as consolé tes enfants comme Jean sous la Croix, tu as posé ton regard sur ceux qui vivent dans la souffrance. Tu t’es approchée d’eux, tu t’es manifestée à eux.
N’ayez pas peur de passer par la souffrance : la Mère qui console sèchera vos larmes.

Intervention du Recteur Majeur
La Très Sainte Vierge Marie, Souffrance et invitation à la Conversion

Marie est une figure de la souffrance emblématique, transfigurée et une puissante invitation à la conversion. Lorsque nous contemplons son douloureux cheminement, c’est un avertissement, silencieux et pourtant éloquent, un appel profond à revoir quelque peu nos vies, nos choix, et l’appel à revenir au cœur de l’Évangile. La souffrance qui traverse la vie de Marie, comme une épée tranchante, prophétisée par le vieillard Siméon, marquée par la disparition de l’Enfant Jésus, jusqu’à la douleur indicible au pied de la croix, Marie vit tout cela : le poids de la fragilité humaine, et le mystère de la douleur innocente d’une manière unique.

La souffrance de Marie n’était pas une souffrance stérile, une résignation passive mais, d’une certaine manière, nous remarquons qu’il y a une activité, une offrande silencieuse et courageuse, unie au sacrifice rédempteur de son Fils Jésus.

Quand nous regardons avec les yeux de la foi Marie, la femme qui souffre, cette souffrance, plutôt que de nous déprimer, nous révèle la profondeur de l’amour de Dieu pour nous, qui est visible dans la vie de Marie. Marie, d’une certaine manière, nous enseigne que, même dans la douleur la plus aiguë, une possibilité de croissance spirituelle, fruit de l’union avec le mystère pascal, peut trouver un sens.

C’est donc de l’expérience de la douleur transfigurée que jaillit une puissante invitation à la conversion. En regardant, en contemplant Marie qui a tant souffert par amour pour nous et pour notre salut, nous sommes, nous aussi, appelés à ne pas rester indifférents au mystère de la rédemption.

Marie, femme douce et maternelle, nous exhorte à abandonner les voies du mal, pour embrasser le chemin de la foi. La célèbre phrase de Marie aux noces de Cana, « Tout ce qu’il vous dira, faites-le », résonne encore pour nous aujourd’hui comme une invitation pressante à écouter la voix de Jésus dans les moments de difficulté, dans les moments d’épreuve, dans les moments de situations inattendues et inconnues.

L’exemple de foi de Marie est inébranlable dans la douleur, à la fois lumière et guide pour nous permettre de transformer nos souffrances en opportunités de croissance spirituelle ; et, en même temps, nous permettre de répondre avec générosité à l’appel pressant à la conversion, afin que la profondeur qui résonne encore dans le cœur de chaque être humain, l’invitation de Dieu, d’un Dieu qui nous aime, puisse, par l’intercession de Marie, trouver un sens, une issue, une croissance, même dans les moments les plus difficiles et les plus douloureux.

Et nous, nous laissons-nous consoler comme de petits enfants ?

La prière d’un fils qui souffre
Marie, toi qui te montres à ceux qui savent voir,
rends mon cœur capable de guérir.
Quand je suis à terre, tends-moi la main, ô Mère.
Quand je me sens exténué, rassemble mes forces, ô Mère.
Quand la souffrance prend le dessus, ouvre-moi à l’Espérance, ô Mère.
Pour que je ne cherche pas seulement la guérison du corps,
mais que je réalise combien mon cœur a besoin de paix.
Et de la poussière, relève-moi, ô Mère.
Relève-moi, ainsi que tous tes enfants qui sont dans l’épreuve :
ceux qui vivent sous les bombes,
ceux qui sont persécutés,
ceux qui sont injustement emprisonnés,
ceux dont les droits et la dignité ont été violés,
ceux dont la vie est trop tôt interrompue.
Relève-les et réconforte-les
parce qu’ils sont tes enfants,
parce que nous sommes tes enfants.

Ave Maria … Je vous salue, Marie …
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Jour 7
Être fils et filles – justice et dignité

Les enfants font confiance, les enfants se confient. Et une mère est toujours proche. On la voit même si elle n’est pas là.
Et nous, sommes-nous capables de la voir ?
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Notre-Dame d’Aparecida
Les petits pêcheurs Domingos, Felice et João
À l’aube du 12 octobre 1717, Domingos Garcia, Felipe Pedroso et João Alves poussèrent leur barque dans les eaux de la rivière Paraiba qui coulait près de leur village. Ils ne semblaient pas avoir de chance ce matin-là : pendant des heures, ils ont jeté leurs filets, sans rien prendre. Ils étaient sur le point d’abandonner, lorsque João Alves, le plus jeune, a voulu faire une dernière tentative. Il jeta donc son filet dans les eaux de la rivière et le remonta lentement. Il y avait quelque chose, mais ce n’était pas un poisson… Cela ressemblait plutôt à un morceau de bois. Lorsqu’il l’a libéré des mailles du filet, le morceau de bois s’est avéré être une statue de la Vierge Marie, malheureusement sans sa tête. João jeta à nouveau le filet dans l’eau et cette fois, en le remontant, il trouva un autre morceau de bois arrondi qui ressemblait à la tête de la statue : il essaya d’assembler les deux morceaux et se rendit compte qu’ils correspondaient parfaitement. Comme s’il obéissait à une impulsion, João Alves jeta de nouveau le filet dans l’eau et, lorsqu’il essaya de le remonter, il se rendit compte qu’il ne pouvait pas le faire car il était plein de poissons. Ses compagnons jetèrent à leur tour leurs filets dans l’eau et les prises de ce jour-là furent vraiment abondantes.

Une mère voit les besoins de ses enfants : Marie a vu les besoins des trois pêcheurs et est allée à leur secours. Ses enfants lui ont donné tout l’amour et la dignité que l’on peut donner à une mère : ils ont assemblé les deux morceaux de la statue, l’ont placée sur une cabane et en ont fait un sanctuaire. Du haut de la cabane, Notre-Dame d’Aparecida – ce qui signifie Apparue – sauva l’un de ses fils esclaves qui fuyait ses maîtres : elle vit sa souffrance et lui rendit sa dignité. Et aujourd’hui, cette cabane est devenue le plus grand sanctuaire marial au monde et porte le nom de Basilique de Notre-Dame d’Aparecida.

Marie, une Mère qui voit
Toi qui as vu la souffrance de tes enfants maltraités, à commencer par les disciples, tu te places auprès de tes enfants les plus pauvres et persécutés. Tu t’es approchée d’eux, tu t’es manifestée à eux.
Ne vous cachez pas du regard d’une mère : elle voit même vos désirs et vos besoins cachés.

Intervention du Recteur Majeur
La Très Sainte Vierge Marie, Dignité et Justice Sociale

La Très Sainte Vierge Marie est un miroir de la dignité humaine pleinement réalisée, silencieuse mais puissante et inspiratrice pour un sens juste du vécu social. Réfléchir sur la figure de Marie en relation avec ces thèmes révèle une perspective profonde et étonnamment actuelle.

Regardons Marie, la femme pleine de dignité, comme un don qui nous aide aujourd’hui à regarder sa pureté originelle, qui ne la place pas sur un piédestal inaccessible, mais qui révèle Marie dans la plénitude de cette dignité vers laquelle nous nous sentons tous un peu attirés, appelés.

En contemplant Marie, nous voyons resplendir la beauté et la noblesse, précisément la dignité de l’être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, libre du jeu du péché, pleinement ouvert à l’amour divin, une humanité qui ne se perd pas dans les détails, dans les choses superficielles.

Nous pouvons dire que le « oui » libre et conscient de Marie est ce geste d’autodétermination qui élève Marie à ce qu’elle est au niveau de la volonté de Dieu, et entre en quelque sorte dans la logique de Dieu. Son humilité la rend alors encore plus libre, loin d’être amoindrie par l’humilité. L’humilité de Marie devient la conscience de la vraie grandeur qui vient de Dieu.

Ainsi, cette dignité de Marie nous aide à regarder comment nous la vivons dans la routine quotidienne de la vie. Le thème de la justice sociale peut paraître moins explicite, mais à travers une lecture contemplative et attentive de l’Évangile, en particulier du Magnificat, nous pouvons saisir, sentir et rencontrer cet esprit révolutionnaire qui proclame le renversement des puissants de leurs trônes et l’élévation des humbles, c’est-à-dire le renversement de la logique mondaine et l’attention privilégiée de Dieu envers les pauvres et les affamés.

Des paroles qui jaillissent d’un cœur humble, rempli d’Esprit Saint. On peut dire qu’il s’agit d’un manifeste de justice sociale « avant la lettre », une anticipation du Royaume de Dieu, où les derniers seront les premiers.

Contemplons Marie pour nous sentir attirés par cette dignité qui ne se limite pas à se refermer sur soi-même. C’est une dignité qui, dans le Magnificat, nous met au défi de ne pas nous enfermer dans notre propre logique. Elle nous permet, au contraire, de nous ouvrir, en louant Dieu, en cherchant à vivre avec dignité le don reçu pour le bien de l’humanité, pour le bien des pauvres, pour le bien de ceux que la société rejette.

Et nous, est-ce que nous nous cachons ou disons-nous tout comme le font les petits enfants ?

La prière d’un fils qui a peur
Marie, toi qui te montres à ceux qui savent voir,
rends mon cœur capable de restituer la dignité.
À l’heure de l’épreuve, regarde mes manques et comble-les.
À l’heure de la fatigue, regarde mes faiblesses et guéris-les.
À l’heure de l’attente, regarde mon impatience et portes-y remède.
Ainsi, en regardant mes frères, je pourrai voir leurs manques et les combler,
voir leurs faiblesses et les guérir, ressentir leur impatience et y porter remède.
Parce que rien ne guérit mieux que l’amour
et personne n’est aussi fort qu’une mère qui cherche à obtenir justice pour ses enfants.
Et alors, moi aussi, Mère, je m’arrête au pied de la cabane,
je regarde avec des yeux confiants ton image
et je te prie pour la dignité de tous tes enfants.

Ave Maria … Je vous salue, Marie
Heureux celui qui voit avec son cœur.


Jour 8
Être fils et filles – Douceur et vie quotidienne

Les enfants font confiance, les enfants se confient. Et une mère est toujours proche. On la voit même si elle n’est pas là.
Et nous, sommes-nous capables de la voir ?
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Notre-Dame de Banneaux
La petite Mariette de Banneaux
Le 18 janvier 1933, Mariette est dans le jardin, récitant son chapelet. Marie vient et l’emmène à une petite source à l’orée du bois, où elle dit : « Cette source est pour moi. »  Et elle invite la petite fille à y tremper sa main et son chapelet. Avec un étonnement indicible, son père et deux autres personnes ont suivi Mariette dans tous ses gestes et dans toutes ses paroles. Et ce soir-là, le premier à être conquis par la grâce de Banneaux fut précisément le père de Mariette, qui courut se confesser et recevoir l’Eucharistie : il ne s’était pas confessé depuis sa première communion.
Le 19 janvier, Mariette demande : « Madame, qui êtes-vous ? – Je suis la Vierge des pauvres. »
À la source, elle ajoute : « Cette source est pour moi, pour toutes les nations, pour les malades. Je viens les consoler ! »

Mariette est une jeune fille normale qui vit ses journées comme nous tous, comme nos enfants, nos petits-enfants. Elle vit dans un petit village inconnu, le sien. Elle prie pour rester proche de Dieu. Elle prie sa Maman du Ciel pour garder vivant le lien avec Elle. Et Marie lui parle avec douceur, dans un endroit qui lui est familier. Elle lui apparaîtra à plusieurs reprises, lui confiera des secrets et lui dira de prier pour la conversion du monde : c’était pour Mariette un message fort d’espérance. La Mère serre contre son cœur tous ses fils et filles et les console. Toute la douceur que Mariette trouve en la « Gentille Dame », elle la transmet au monde. Et de cette rencontre est née une grande chaîne d’amour et de spiritualité qui trouve son accomplissement dans le sanctuaire de Notre-Dame de Banneaux.

Marie, une Mère qui reste à nos côtés
Toi qui es restée proche de tes enfants, sans jamais en perdre un seul, tu as illuminé le chemin quotidien des plus simples. Tu t’es approchée d’eux, tu t’es manifestée à eux.
Abandonnez-vous dans l’étreinte de Marie : n’ayez pas peur, elle vous consolera.

Intervention du Recteur Majeur
La Très Sainte Vierge Marie, Éducation et Amour

La Vierge Marie est une incomparable maîtresse en éducation, parce qu’elle est une source inépuisable d’amour ; et ceux qui aiment éduquent, ceux qui aiment éduquent vraiment.

Réfléchir sur la figure de Marie en relation avec ces deux piliers de la croissance humaine et spirituelle : nous avons ici un exemple à contempler, à prendre au sérieux, à assumer dans nos choix quotidiens.

L’éducation qui émane de Marie n’est pas faite de préceptes, d’enseignements formels, mais se manifeste à travers son exemple de vie : un silence contemplatif qui parle, son obéissance à la volonté de Dieu, humble et grande à la fois, sa profonde humanité.

Le premier aspect éducatif que Marie nous communique est celui de l’écoute.
Écouter la Parole de Dieu, écouter ce Dieu qui est continuellement là pour nous aider, pour nous accompagner. Marie garde dans son cœur, médite avec soin, encourage l’écoute attentive de la Parole de Dieu ainsi que l’écoute des besoins des autres.

Marie nous éduque à une humilité qui ne nous fait pas choisir de rester détachés et passifs ; elle nous éduque plutôt à une humilité qui, tout en nous faisant reconnaître notre petitesse face à la grandeur de Dieu, nous incite à nous mettre à son service comme protagonistes. Nos cœurs sont ouverts pour être vraiment proches de ceux que nous accompagnons, et avec qui nous vivons le projet de Dieu pour nous.

Marie est un exemple qui nous aide à nous laisser éduquer par la foi ; elle nous éduque à la persévérance, fermes dans l’amour de Jésus, jusqu’au pied de la croix.

Éducation et amour.  L’amour de Marie est le cœur battant de son existence ; il continue de battre pour nous ; chaque fois que nous nous approchons de Marie, nous ressentons cet amour maternel qui s’étend à nous tous. C’est un amour pour Jésus qui devient un amour pour l’humanité. Le cœur de Marie s’ouvre avec la tendresse infinie qu’elle reçoit de Dieu, qu’elle communique à Jésus, à ses enfants spirituels.

Demandons au Seigneur qu’en contemplant l’amour de Marie, qui est un amour qui éduque, nous nous laissions inciter à dépasser notre égoïsme, nos fermetures, et à nous ouvrir aux autres. En Marie, nous voyons une femme qui éduque avec amour et qui aime avec un amour éducateur.

Demandons au Seigneur de nous faire le don d’un amour, de son amour, qui est à la fois un amour qui nous purifie, nous soutient, nous fait grandir, afin que notre exemple soit vraiment un exemple qui communique l’amour ; et qu’en communiquant l’amour, nous puissions nous laisser éduquer par Marie et nous laisser aider afin que notre exemple éduque aussi les autres.

Et nous, sommes-nous capables de nous abandonner comme le font les petits enfants ?

La prière d’un enfant de notre temps
Marie, toi qui te montres à ceux qui savent voir,
rends mon cœur doux et docile.
Qui me remettra sur pied,
après que je serai brisé sous le poids des croix que je porte ?
Qui ramènera la lumière à mes yeux,
après avoir vu les décombres de la cruauté humaine ?
Qui soulagera les souffrances de mon âme,
après les erreurs que j’ai commises sur mon chemin ?
Ma Mère, toi seule peux me consoler.
Serre-moi contre ton cœur et garde-moi avec toi
pour éviter que je ne m’effondre.
Mon âme repose en toi et trouve la paix
comme un petit enfant dans les bras de sa mère.

Ave Maria … Je vous salue, Marie …
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Jour 9
Être fils et filles – Construction et rêve

Les enfants font confiance, les enfants se confient. Et une mère est toujours proche. On la voit même si elle n’est pas là.
Et nous, sommes-nous capables de la voir ?
Heureux celui qui voit avec son cœur.

Marie Auxiliatrice
Le petit Jean Bosco
À l’âge de 9 ans, je fis un rêve qui me laissa pour toute la vie une profonde impression. Pendant mon sommeil, il me sembla que je me trouvais près de chez moi, dans une cour très spacieuse. Une multitude d’enfants, rassemblés là, s’y amusaient. Les uns riaient, d’autres jouaient, beaucoup blasphémaient. Lorsque j’entendis ces blasphèmes, je m’élançai au milieu d’eux et, des poings et de la voix, je tentai de les faire taire. À ce moment apparut un homme d’aspect vénérable, dans la force de l’âge et magnifiquement vêtu.
« Ce n’est pas avec des coups mais par la douceur et la charité que tu devras gagner leur amitié.
 – Qui êtes-vous donc pour m’ordonner une chose impossible ?
– C’est précisément parce que ces choses te paraissent impossibles que tu dois les rendre possibles par l’obéissance et l’acquisition de la science.
– Où, par quels moyens pourrai-je acquérir la science ?
– Je te donnerai la maîtresse sous la conduite de qui tu pourras devenir un sage et sans qui toute sagesse devient sottise. »
À ce moment-là, je vis près de lui une dame d’aspect majestueux, vêtue d’un manteau qui resplendissait de toutes parts comme si chaque point eût été une étoile éclatante.
« Voilà ton champ d’action, (me dit-elle), voilà où tu dois travailler. Rends-toi humble, fort et robuste et tout ce que tu vois arriver en ce moment à ces animaux, tu devras le faire pour mes fils. »
Je tournai alors les yeux et voici qu’à la place de bêtes féroces, apparurent tout autant de doux agneaux. Tous, gambadant de tous côtés et bêlant, semblaient vouloir faire fête à cet homme et à cette femme.
À ce moment-là, toujours sommeillant, je me mis à pleurer et demandai qu’on voulût bien me parler de façon compréhensible car je ne voyais pas ce que cela pouvait bien signifier. Alors elle me mit la main sur la tête et me dit : « Tu comprendras tout en son temps. »

Marie guide et accompagne le jeune Jean Bosco tout au long de sa vie et de sa mission. Lui, enfant, découvre ainsi, à partir d’un rêve, sa vocation. Il ne comprendra pas mais il se laissera guider. Il ne comprendra pas pendant de longues années mais, à la fin, il prendra conscience que « c’est Elle qui a tout fait ». Et la mère, celle terrestre et Celle du Ciel, sera la figure centrale dans la vie de ce fils qui se fera pain pour ses enfants. Et après avoir rencontré Marie dans ses rêves, Jean Bosco, devenu prêtre, érigera un sanctuaire à la Madone afin que tous ses enfants puissent se confier à Elle. Et il dédiera ce sanctuaire à Notre Dame Auxiliatrice, parce qu’elle aura été son port d’attache, son aide permanente. Ainsi, tous ceux qui entrent dans la Basilique de Marie Auxiliatrice de Turin sont pris sous le manteau protecteur de Marie qui devient leur Guide.

Marie, une Mère qui accompagne et guide
Toi qui as accompagné ton Fils Jésus tout au long de son chemin, tu t’es proposée comme guide à ceux qui ont su t’écouter avec l’enthousiasme que seuls les petits enfants peuvent avoir. Tu t’es approchée d’eux, tu t’es manifestée à eux.
Laissez-vous accompagner : la Mère sera toujours à vos côtés pour vous montrer le chemin.

Intervention du Recteur Majeur
La Très Sainte Vierge Marie Aide à la Conversion

La Très Sainte Vierge Marie est une aide puissante et silencieuse sur notre chemin de croissance.
C’est un chemin qui a continuellement besoin de se libérer de ce qui le bloque vers la croissance. C’est un chemin qui doit être continuellement renouvelé, pour ne pas faire demi-tour ou s’arrêter dans les coins sombres de l’existence. Voilà, la conversion.

La présence de Marie est un phare d’espérance, une invitation constante pour nous à continuer à marcher vers Dieu, à aider nos cœurs à être toujours centrés sur Dieu, sur son amour. Réfléchir sur Marie, sur son rôle, signifie que nous découvrons Marie qui n’impose pas, qui ne juge pas, mais qui soutient, encourage, avec son humilité, avec son amour maternel, qui aide nos cœurs à rester proches d’Elle pour nous rapprocher toujours plus de son Fils Jésus qui est le chemin, la vérité et la vie.

Le « Oui » de Marie à l’Annonciation continue d’être valable pour nous aussi, en ouvrant à l’humanité l’histoire du salut qui est accessible et à notre portée. Son intercession aux noces de Cana soutient ceux qui se trouvent dans des situations inattendues et inédites. Marie est un modèle de conversion continue. Sa vie, une vie d’Immaculée Conception, a cependant été une adhésion progressive à la volonté de Dieu, un chemin de foi qui l’a conduite à travers joies et peines, culminant dans le sacrifice du Calvaire.

La persévérance de Marie à la suite de Jésus devient une invitation pour nous aussi à vivre cette proximité continue, cette transformation intérieure, dont nous savons bien qu’elle est un processus progressif, et qui exige constance, humilité et confiance en la grâce de Dieu.

Marie aide à la conversion par une écoute très attentive et concentrée sur la Parole de Dieu. Une écoute qui nous aide à trouver la force d’abandonner les voies du péché, pour reconnaître la force et la beauté de la marche vers Dieu.

Tournons-nous vers Marie avec une confiance filiale, car cela signifie que, tout en reconnaissant nos faiblesses, nos péchés, nos défauts, nous voulons nourrir ces désirs de changement, le changement d’un cœur qui veut se laisser accompagner par le cœur maternel de Marie. En Marie, nous trouvons une aide précieuse pour discerner les fausses promesses du monde et pour redécouvrir la beauté et la vérité de l’Évangile.

Que Marie, Secours des Chrétiens, soit une aide continuelle pour nous tous, qui nous fera découvrir la beauté de l’Évangile, et accepter de marcher vers le bien, la grandeur de la Parole de Dieu, vivante dans notre cœur, et pouvoir la communiquer aux autres.

Et nous, sommes-nous capables de nous laisser prendre par la main comme de petits enfants ?

La prière d’un fils sans énergie
Marie, toi qui te montres à ceux qui savent voir,
rends mon cœur capable de rêver et de construire.
Moi qui ne laisse personne m’aider,
moi qui me décourage, qui perds patience
et qui ne pense jamais avoir construit quoi que ce soit,
moi qui pense toujours être un raté,
aujourd’hui, je veux être un fils,
un fils capable de te donner ma main, ma Mère,
pour se faire accompagner sur les chemins de la vie.
Montre-moi mon champ d’action,
Montre-moi mon rêve
et fais qu’à la fin, moi aussi je comprenne tout
et reconnaisse ton passage dans ma vie.

Ave Maria … Je vous salue, Marie …
Heureux celui qui voit avec son cœur.




Les cadeaux des jeunes à Marie (1865)

Dans le rêve que Don Bosco relate dans la Chronique de l’Oratoire, daté du 30 mai, la dévotion mariale se mue en un jugement symbolique saisissant sur les jeunes de l’Oratoire : un cortège de jeunes garçons s’avance, chacun porteur d’un don, devant un autel splendidement orné pour la Vierge. Un ange, gardien de la communauté, accueille ou rejette les offrandes, en dévoilant leur portée morale – fleurs parfumées ou fanées, épines de la désobéissance, animaux incarnant des vices graves tels que l’impureté, le vol et le scandale. Au cœur de cette vision résonne le message éducatif de Don Bosco : humilité, obéissance et chasteté sont les trois piliers qui permettent de mériter la couronne de roses de Marie.

Le Serviteur de Dieu trouvait sa consolation dans la dévotion à la Sainte Vierge, honorée d’une manière particulière pendant le mois de mai par toute la communauté. Parmi ses mots du soir, la Chronique ne nous a conservé que celui du 30 du mois, qui se révèle extrêmement précieux.

30 mai

            J’ai vu un grand autel dédié à Marie et magnifiquement décoré. J’ai vu tous les jeunes de l’Oratoire s’y rendre en procession. Ils chantaient les louanges de la Vierge céleste, mais pas tous de la même façon, tout en chantant le même chant. Beaucoup chantaient vraiment bien et avec une grande précision de rythme, les uns avec plus de force et les autres avec une voix plus douce. D’autres chantaient d’une voix mauvaise et rauque, d’autres étaient désaccordés, d’autres avançaient en silence et se détachaient de la file, d’autres bâillaient et semblaient s’ennuyer, d’autres se bousculaient les uns les autres et riaient. Puis chacun apportait un cadeau à Marie. Ils portaient tous des bouquets de fleurs, plus ou moins grands et différents les uns des autres. Certains avaient un bouquet de roses, d’autres portaient des œillets, d’autres des violettes, etc. D’autres apportaient à la Vierge des cadeaux vraiment étranges. D’autres encore apportaient à la Vierge des cadeaux vraiment étranges : une tête de pourceau, un chat, un plat de crapauds, un lapin, un agneau ou d’autres offrandes.
            Un beau jeune homme se tenait devant l’autel et, en regardant de près, on pouvait voir qu’il avait des ailes derrière les épaules. C’était peut-être l’Ange gardien de l’Oratoire ; au fur et à mesure que les jeunes offraient leurs cadeaux, il les recevait et les déposait sur l’autel.
            Les premiers offrirent de magnifiques bouquets de fleurs et l’Ange, sans rien dire, les déposait sur l’autel. Beaucoup d’autres offrirent leurs bouquets. Il les examinait, défaisait le bouquet, enlevait les fleurs gâtées qu’il jetait, refaisait le bouquet et le plaçait sur l’autel. Aux autres qui avaient dans leurs bouquets des fleurs belles mais inodores, comme des dahlias, des camélias, etc., l’Ange les fit enlever, parce que Marie veut la réalité et non l’apparence. Après avoir refait le bouquet, l’Ange l’offrit à la Vierge. Parmi les fleurs, beaucoup avaient des épines, peu ou beaucoup, et d’autres des clous ; l’Ange enleva les unes et les autres.
            Enfin arriva celui qui portait le pourceau, et l’Ange lui dit : – Comment as-tu le courage de venir offrir ce cadeau à Marie ? Sais-tu ce que signifie le porc ? Il signifie le vilain vice de l’impureté ; Marie, qui est toute pure, ne peut supporter ce péché. Retire-toi, tu n’es pas digne de te tenir devant elle.
            Vinrent ensuite ceux qui avaient un chat, et l’Ange leur dit :
            – Vous aussi, vous osez apporter ces cadeaux à Marie ? Savez-vous ce que signifie le chat ? C’est l’image du vol et vous osez l’offrir à la Vierge ? Les voleurs sont ceux qui prennent l’argent, les objets, les livres de leurs camarades, ceux qui volent les aliments de l’Oratoire, qui déchirent leurs vêtements par méchanceté, qui gaspillent l’argent de leurs parents en n’étudiant pas. – Et il les mit de côté eux aussi.
            Vinrent alors ceux qui avaient des plats de crapauds. L’Ange les regarda avec colère :
            – Les crapauds symbolisent les péchés honteux des scandales, et vous venez les offrir à la Vierge ? Arrière ! retirez-vous avec les autres coupables. – Et ils se retirèrent tout confus.
            Certains s’avançaient avec un couteau planté dans le cœur. Ce couteau signifiait le sacrilège. L’Ange leur dit :
            – Ne voyez-vous pas que vous avez la mort dans l’âme, que si vous êtes encore en vie, c’est une miséricorde spéciale de Dieu, sans quoi vous seriez perdus ? Par pitié, faites-vous enlever ce couteau ! – Et eux aussi furent refusés.
            L’un après l’autre, tous les autres jeunes s’approchèrent. Certains offrirent des agneaux, d’autres des lapins, d’autres des poissons, d’autres des noix, d’autres des raisins, etc. L’Ange accepta tout et déposa le tout sur l’autel. Après avoir ainsi séparé les bons des mauvais, il fit mettre en rang devant l’autel tous ceux dont les cadeaux avaient été acceptés par Marie ; et ceux qui avaient été mis à part étaient, à mon grand regret, beaucoup plus nombreux que je n’avais pensé.
            Puis, de chaque côté de l’autel, apparurent deux autres anges, tenant deux riches corbeilles remplies de magnifiques couronnes, composées de roses somptueuses. Ces roses n’étaient pas tout à fait des roses de la terre, bien qu’apparemment artificielles, symbole d’immortalité.
            L’Ange gardien prit ces couronnes une à une et couronna tous les jeunes qui étaient alignés devant l’autel. Parmi ces couronnes, il y en avait des plus grandes et des plus petites, mais toutes étaient d’une admirable beauté. Notez aussi qu’il n’y avait pas seulement les jeunes de notre maison, mais beaucoup d’autres que je n’avais jamais vus. Il se passa alors une chose merveilleuse ! Certains jeunes étaient apparemment si laids qu’ils en étaient presque repoussants ; ils reçurent les couronnes les plus belles, signe que leur laideur extérieure était compensée par le don et la vertu de chasteté pratiquée à un degré éminent. Beaucoup d’autres avaient la même vertu, mais à un degré moins éminent. Beaucoup se distinguaient par d’autres vertus, telles que l’obéissance, l’humilité, l’amour de Dieu, et tous avaient des couronnes correspondant à l’excellence de ces vertus. L’Ange leur dit :
            – Marie a voulu aujourd’hui que vous soyez couronnés de ces belles roses. Mais n’oubliez pas de continuer à faire en sorte qu’elles ne vous soient pas enlevées. Il y a trois moyens de les conserver. Pratiquez : 1° l’humilité ; 2° l’obéissance ; 3° la chasteté. Ces trois vertus vous rendront toujours agréables à Marie et vous rendront un jour dignes de recevoir une couronne infiniment plus belle que celle-ci.
            Alors les jeunes se mirent à entonner devant l’autel l’AveMaris stella (Je vous salue, Étoile de la mer).
            Et, après avoir chanté le premier verset, ils se mirent en route en procession comme ils étaient venus et commencèrent à chanter Louange à Marie d’une voix si forte que j’en fus étonné et émerveillé. Je les suivis à quelque distance, puis je retournai voir les jeunes que l’Ange avait écartés, mais je ne les vis plus.
            Mes amis ! Je sais quels sont ceux qui ont été couronnés et ceux qui ont été chassés par l’Ange. Je le dirai aux uns et aux autres, afin qu’ils s’efforcent d’apporter à la Vierge des présents qu’elle daignera accepter.
            En attendant, quelques observations. – La première : Tous apportaient des fleurs à la Vierge, et il y avait toutes sortes de fleurs, mais j’ai remarqué que toutes, plus ou moins, avaient des épines parmi les fleurs. J’ai pensé et repensé à ce que signifiaient ces épines et j’ai trouvé qu’elles signifiaient en fait la désobéissance. Garder de l’argent sans permission et sans vouloir le remettre au préfet, demander la permission d’aller dans un endroit et puis aller dans un autre, aller en classe en retard alors que les autres sont déjà là depuis un certain temps, se préparer des petits plats et des petits goûters en cachette, aller dans les dortoirs des autres alors que c’est absolument interdit, quelle que soit la raison ou le prétexte que l’on peut avoir, se lever tard le matin, abandonner les pratiques de piété prescrites, bavarder quand il est temps de se taire, acheter des livres sans les montrer, envoyer des lettres sans permission par l’intermédiaire d’une tierce personne pour ne pas être vu et les recevoir par la même voie, faire des contrats, des achats et des ventes les uns avec les autres : voilà ce que signifient les épines. Beaucoup d’entre vous demanderont : est-ce donc un péché de transgresser les règles de la maison ? J’ai déjà réfléchi sérieusement à cette question et je vous réponds absolument oui. Je ne vous dis pas que c’est grave ou léger, il faut tenir compte des circonstances, mais c’est un péché. Certains me diront : mais ce n’est pas dans la loi de Dieu que nous devons obéir aux règles de la maison ! Ecoutez, c’est dans les commandements : – Honore ton père et ta mère ! – Sais-tu ce que signifient ces mots père et mère ? Ils englobent aussi ceux qui les représentent. N’est-il pas écrit dans l’Écriture Sainte : Oboedite praepositis vestris (Obéissez à vos supérieurs, Hébreux 13,17) ? Si vous devez obéir, il est naturel qu’ils doivent commander. Voilà l’origine des règles d’un Oratoire, et voilà si elles sont obligatoires, oui ou non.
            Deuxième observation. – Certains avaient des clous au milieu de leurs fleurs, ces clous qui avaient servi à clouer le bon Jésus. Mais quoi ? On commence toujours par les petites choses pour arriver aux grandes. Un tel voulait avoir de l’argent pour satisfaire ses caprices ; alors, pour le dépenser à sa guise, il ne voulait pas le remettre ; il se mit à vendre ses livres d’école et finit par voler de l’argent et les affaires de ses camarades. Un autre voulait satisfaire sa gourmandise, d’où les bouteilles, etc., puis il s’est permis certaines licences, bref il est tombé dans le péché mortel. C’est ainsi qu’on a trouvé des clous dans ces bouquets, et c’est ainsi que le bon Jésus a été crucifié. L’Apôtre dit qu’en péchant on crucifie de nouveau le Sauveur : Rursus crucifigentes filium Dei (ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu, He 6,6).
            Troisième observation. – Beaucoup de jeunes avaient dans leurs bouquets, parmi les fleurs fraîches et odorantes, des fleurs pourries et décomposées, ou de belles fleurs sans odeur. Elles signifiaient les bonnes œuvres mais accomplies en état de péché mortel, œuvres qui ne font rien pour augmenter leurs mérites. Les fleurs sans odeur sont les bonnes œuvres mais accomplies à des fins humaines, par ambition, uniquement pour plaire aux maîtres et aux supérieurs. C’est pourquoi l’Ange leur reprocha d’avoir osé apporter de telles offrandes à Marie et les renvoya arranger leur bouquet. Ils se retirèrent, le défirent, enlevèrent les fleurs fanées, puis, ayant remis les fleurs en ordre, les remirent comme auparavant et les rendirent à l’Ange qui les accepta et les plaça sur la table. Lorsqu’ils revenaient, ils n’attendaient plus un ordre, mais chacun rapportait son bouquet dès qu’il était prêt, certains plus tôt, d’autres plus tard, puis allait se placer auprès de ceux qui allaient recevoir la couronne.
            J’ai vu dans ce rêve tout ce qui a été et tout ce qui adviendra de mes jeunes. Je l’ai déjà dit à beaucoup, je le dirai à d’autres. En attendant, veillez à ce que cette Vierge céleste reçoive toujours de vous des cadeaux qui ne puissent jamais être refusés.
(MB VIII, 129-132)

Photo d’ouverture : Carlo Acutis lors d’une visite au sanctuaire marial de Fátima.




Saint Dominique Savio. Les lieux de son enfance

Saint Dominique Savio, le « petit grand saint », vécut sa brève mais intense enfance dans les collines du Piémont, en des lieux aujourd’hui empreints de mémoire et de spiritualité. Lors de sa béatification en 1950, la figure de ce jeune disciple de Don Bosco fut célébrée comme un symbole de pureté, de foi et de dévouement évangélique. Retraçons les lieux principaux de son enfance — Riva près de Chieri, Morialdo et Mondonio — à travers des témoignages historiques et des récits vivants, révélant l’environnement familial, scolaire et spirituel qui forgea son chemin vers la sainteté.

            L’année sainte 1950 fut aussi celle de la béatification de Dominique Savio, qui eut lieu le 5 mars. Le disciple de Don Bosco, âgé de 15 ans, était le premier saint laïc « confesseur » à monter sur les autels à cet âge.
            Ce jour-là, Saint-Pierre de Rome était remplie de jeunes qui témoignaient, par leur présence, d’une admirable ouverture aux idéaux les plus sublimes de l’Évangile. La basilique se transforma, selon Radio Vatican, en un immense et bruyant oratoire salésien. Lorsque le voile recouvrant la figure du nouveau Bienheureux tomba des rayons du Bernin, des applaudissements frénétiques s’élevèrent de toute la basilique et l’écho parvint jusqu’à la place, où l’on découvrit la tapisserie représentant le Bienheureux depuis la loggia des bénédictions.
            Le système éducatif de Don Bosco reçut ce jour-là sa plus haute reconnaissance. Nous avons voulu revisiter les lieux de l’enfance de Dominique, après avoir relu les informations détaillées que nous fournit Don Molineris dans sa Nouvelle vie de Dominique Savio. À l’aide de documents sérieux, il décrit ce que les biographies de saint Dominique Savio ne disent pas.

À Riva, près de Chieri
            Nous voici tout d’abord à San Giovanni di Riva, près de Chieri, le hameau où notre « petit grand saint » est né le 2 avril 1842 de Carlo Savio et Brigida Gaiato, deuxième de dix enfants. De l’aîné, qui n’a survécu que 15 jours après sa naissance, il hérita le nom et le droit d’aînesse.
            Son père, comme nous le savons, était originaire de Ranello, un hameau de Castelnuovo d’Asti, et était allé vivre dans sa jeunesse chez son oncle Carlo, forgeron à Mondonio, dans une maison située sur l’actuelle Via Giunipero, au numéro 1, encore appelée « ca dèlfré » ou maison du forgeron. C’est là, auprès de « Barba Carlòto » (oncle Charles), qu’il avait appris le métier. Quelque temps après son mariage, contracté le 2 mars 1840, il était devenu indépendant et déménagea dans la maison Gastaldi à San Giovanni di Riva. Il loua un logement comprenant des pièces au rez-de-chaussée pour la cuisine, une réserve et un atelier, et des chambres au premier étage, auxquelles on accédait par un escalier extérieur aujourd’hui disparu.
            En 1978, les héritiers Gastaldi ont vendu aux salésiens la maison et la ferme attenante. Et aujourd’hui, un centre de jeunes moderne, géré par des anciens élèves et des coopérateurs salésiens, garde le souvenir de la famille et donne une nouvelle vie à la petite maison où Dominique est né.

À Morialdo
            En novembre 1843, c’est-à-dire alors que Dominique n’avait pas encore atteint l’âge de deux ans, la famille Savio déménagea, pour des raisons professionnelles, à Morialdo, le hameau de Castelnuovo lié au nom de saint Jean Bosco, né à la ferme Biglione, au lieu-dit des Becchi.
            À Morialdo, les Savio louèrent quelques chambres près de l’entrée de la propriété de Viale Giovanna, qui avait épousé Stefano Persoglio. L’ensemble de la ferme a ensuite été vendu par leur fils, Persoglio Alberto, à Pianta Giuseppe et à sa famille.
            Cette ferme est devenue également en grande partie la propriété des salésiens qui, après l’avoir aménagée, l’ont destinée à servir pour des réunions de jeunes et pour des visites de pèlerins. À moins de 2 km du Colle Don Bosco, elle est située dans un cadre champêtre, au milieu des festons de vignes, des champs fertiles et des prairies vallonnées, dans une atmosphère de joie au printemps et de nostalgie en automne lorsque les feuilles jaunissantes sont dorées par les rayons du soleil, avec un panorama enchanteur les jours de beau temps, quand la chaîne des Alpes se découvre à l’horizon depuis le sommet du Mont Rose près d’Albugnano, du Grand Paradis, du Rocciamelone, jusqu’à Monviso. C’est vraiment un lieu à visiter et à utiliser pour des journées de vie spirituelle intense, une école de sainteté dans le style de Don Bosco.
            La famille Savio resta à Morialdo jusqu’en février 1853, soit neuf ans et trois mois. Dominique, qui n’a vécu que 14 ans et mois, y a passé près des deux tiers de sa courte existence. Il peut donc être considéré non seulement comme l’élève et le fils spirituel de Don Bosco, mais aussi comme son compatriote.

À Mondonio
            Pourquoi la famille Savio a-t-elle quitté Morialdo ? Don Molineris nous le suggère dans son livre. Son oncle forgeron étant mort, le père de Domenico pouvait hériter non seulement des outils du métier mais aussi de la clientèle de Mondonio. C’est probablement la raison du déménagement, qui n’a cependant pas eu lieu dans la maison de Via Giunipero, mais dans la partie basse du village, où ils ont loué aux frères Bertello la première maison à gauche de la rue principale du village. La petite maison se composait, et se compose encore aujourd’hui, d’un rez-de-chaussée avec deux pièces pour la cuisine et une chambre, et d’un étage supérieur, au-dessus de la cuisine, avec deux chambres et assez d’espace pour un atelier, avec une porte et la rampe qui donne sur la rue.
            Nous savons que les époux Savio ont eu dix enfants, dont trois sont morts en bas âge et trois autres, dont le nôtre, n’ont pas atteint l’âge de 15 ans. La mère est décédée en 1871 à l’âge de 51 ans. Le père, resté seul à la maison avec son fils Giovanni après avoir placé ses trois filles survivantes, demanda l’hospitalité à Don Bosco en 1879 et mourut au Valdocco le 16 décembre 1891.
            Au Valdocco, Dominique était entré le 29 octobre 1854 ; il y resta, à l’exception de courtes périodes de vacances, jusqu’au 1er mars 1857. Il est décédé huit jours plus tard à Mondonio, dans la petite chambre à côté de la cuisine, le 9 mars de cette année-là. Son séjour à Mondonio a donc été d’environ 20 mois en tout, et celui à Valdocco de 2 ans et 4 mois.

Souvenirs de Morialdo
            De ce bref passage en revue des trois maisons Savio, il ressort que celle de Morialdo doit être la plus riche en souvenirs. San Giovanni di Riva rappelle la naissance de Dominique, à Mondonio il alla un an l’école et mourut saintement, mais Morialdo nous rappelle sa vie en famille, à l’église et à l’école. C’est à Morialdo que Minòt, comme on l’appelait, a dû entendre, voir et apprendre tant de choses de son père et de sa mère, c’est là qu’il a montré sa foi et son amour dans la petite église Saint-Pierre, révélé son intelligence et sa bonté à l’école de Don Giovanni Zucca, sa joie et sa vivacité dans les jeux avec ses camarades du village.
            C’est à Morialdo que Dominique Savio s’est préparé à sa première communion, qu’il fera ensuite dans l’église paroissiale de Castelnuovo le 8 avril 1849. C’est là, alors qu’il n’avait que 7 ans, qu’il a écrit ses « souvenirs », c’est-à-dire ses résolutions de première communion :
            1. Je me confesserai très souvent et je communierai aussi souvent que le confesseur me le permettra ;
            2. Je veux sanctifier les jours de fête ;
            3. Mes amis seront Jésus et Marie ;
            4. La mort mais pas les péchés.
            Tels furent les résolutions qui ont guidé ses actions jusqu’à la fin de sa vie.
            Le comportement d’un garçon, sa façon de penser et d’agir reflètent l’environnement dans lequel il a vécu, et en particulier la famille dans laquelle il a passé son enfance. C’est pourquoi, si l’on veut comprendre quelque chose à Dominique, il est toujours bon de réfléchir à sa vie dans cette maison de Morialdo.

La famille
            Sa famille n’était pas une famille d’agriculteurs. Son père était forgeron et sa mère couturière. Ses parents n’étaient pas de constitution robuste. Des signes de fatigue se lisaient sur le visage de son père, tandis que la finesse des traits distinguait le visage de sa mère. Le père de Domenico était un homme d’initiative et de courage. Sa mère venait de Cerreto d’Asti, un village pas très éloigné, où elle tenait une boutique de couturière « et grâce à son habileté, elle épargnait aux habitants la fatigue de descendre dans la vallée pour chercher du tissu ». Elle fut aussi couturière à Morialdo. Don Bosco le savait-il ? Curieux, en effet, fut son dialogue avec le petit Dominique qui était allé le trouver aux Becchi :
– Eh bien, qu’en pensez-vous ?
            – Eh, il me semble qu’il y a là de la bonne étoffe (
en piémontais : Eh, m’a smia ch’a-j’sia bon-a stòfa !).
            – À quoi peut servir cette étoffe ?
            – À faire un bel habit pour le Seigneur.
            – Alors, je suis l’étoffe et vous, soyez le tailleur ; prenez-moi avec vous (
en piémontais : ch’èmpija ansema a chiel) et vous ferez un bel habit pour le Seigneur » (OE XI, 185).
            Dialogue extraordinaire entre deux compatriotes qui se sont compris au premier coup d’œil. Et leur langage convenait parfaitement au fils de la couturière.
            À la mort de leur mère, le 14 juillet 1871, le curé de Mondonio, Don Giovanni Pastrone, dit à ses filles en pleurs pour les consoler : « Ne pleurez pas, parce que votre mère était une sainte femme ; et maintenant elle est déjà au Paradis ».
            Son fils Dominique, qui l’avait précédée au ciel de plusieurs années, lui avait dit, ainsi qu’à son père, avant de mourir : « Ne pleurez pas, je vois déjà le Seigneur et la Madone qui m’attendent les bras ouverts ». Ces dernières paroles de Dominique, rapportées par sa voisine Anastasia Molino, présente au moment de sa mort, étaient le sceau d’une vie joyeuse, le signe manifeste de cette sainteté que l’Église a reconnue solennellement le 5 mars 1950, puis confirmée définitivement le 12 juin 1954 par sa canonisation.

Photo en frontispice. La maison où Dominique mourut en 1857. C’est une bâtisse rurale datant probablement de la fin du XVIIe siècle. Reconstruite sur une autre maison encore plus ancienne, elle est l’un des monuments les plus chers au cœur des habitants de Mondonio.