Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette

Don Bosco propose un récit détaillé de l’ « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette », survenue le 19 septembre 1846, basé sur des documents officiels et les témoignages des voyants. Il reconstitue le contexte historique et géographique – deux jeunes bergers, Maximin et Mélanie, sur les hauteurs des Alpes – la rencontre prodigieuse avec la Vierge, son message d’avertissement contre le péché et la promesse de grâces et d’aides providentielles, ainsi que les signes surnaturels qui accompagnèrent leur manifestation. Il présente les circonstances de la diffusion du culte, l’influence spirituelle sur les habitants et sur le monde entier, et le secret révélé seulement à Pie IX pour revigorer la foi des chrétiens et témoigner de la présence continuelle des prodiges dans l’Église.

Protestation de l’Auteur
            Pour obéir aux décrets d’Urbain VIII, je déclare que je n’entends attribuer qu’une autorité humaine à tout ce qui sera dit dans ce livre au sujet de miracles, de révélations ou d’autres faits ; et en donnant à quelqu’un le titre de Saint ou de Bienheureux, je n’entends le donner que selon l’opinion commune ; excepté les choses et les personnes qui ont déjà été approuvées par le Saint-Siège Apostolique.

Au lecteur
            Un fait certain et merveilleux, attesté par des milliers de personnes, et que tous peuvent encore vérifier aujourd’hui, est l’apparition de la bienheureuse Vierge, survenue le 19 septembre 1846. (Sur ce fait extraordinaire, on peut consulter de nombreux livres et plusieurs journaux contemporains du fait, notamment : Notizia sull’apparizione di Maria SS. (Turin, 1847) ; Sunto officiale dell’apparizione, etc., 1848 ; le livret imprimé par les soins du P. Giuseppe Gonfalonieri, Novara, chez Enrico Grotti).
Notre bonne Mère est apparue sous la forme et la figure d’une grande Dame à deux petits bergers, un enfant de 11 ans et une jeune paysanne de 15 ans, là-haut sur une montagne de la chaîne des Alpes située dans la paroisse de La Salette en France. Elle est apparue non seulement pour le bien de la France, comme le dit l’évêque de Grenoble, mais pour le bien du monde entier. Elle est venue pour nous avertir de la grande colère de son Divin Fils, provoquée spécialement par trois péchés : le blasphème, la profanation des fêtes et le fait de manger gras les jours défendus.
À cela s’ajoutent d’autres faits prodigieux recueillis également par des documents publics, ou attestés par des personnes absolument dignes de foi.
Ces faits servent à confirmer les bons dans la religion, à réfuter ceux qui, peut-être par ignorance, voudraient mettre une limite à la puissance et à la miséricorde du Seigneur en disant : Nous ne sommes plus au temps des miracles.
Jésus a dit qu’il y aura dans son Église des miracles plus grands que ceux qu’il a accomplis, sans fixer le temps et le nombre. C’est pourquoi, tant qu’il y aura l’Église, nous verrons toujours la main du Seigneur manifester sa puissance par des événements prodigieux. Car hier et aujourd’hui et toujours, Jésus-Christ sera celui qui gouverne et assiste son Église jusqu’à la consommation des siècles.
Mais ces signes sensibles de la Toute-Puissance Divine sont toujours le présage d’événements graves qui manifestent la miséricorde et la bonté du Seigneur, ou bien sa justice et son indignation, mais en vue de sa plus grande gloire et pour le plus grand bien des âmes.
Faisons en sorte qu’ils soient pour nous une source de grâces et de bénédictions. Qu’ils servent d’incitation à une foi vive, à une foi laborieuse, à une foi qui nous pousse à faire le bien et à fuir le mal pour nous rendre dignes de sa miséricorde infinie dans le temps et dans l’éternité.

Apparition de la Vierge Marie sur les montagnes de la Salette
            Maximin, fils de Pierre Giraud, menuisier du village de Corps, était un enfant de 11 ans. Françoise Mélanie, fille de parents pauvres, native de Corps, était une fille de 15 ans. Ils n’avaient rien de singulier : tous deux ignorants et frustes, tous deux occupés à garder le bétail sur les montagnes. Maximin ne savait que le Pater et l’Ave ; Mélanie en savait un peu plus, mais à cause de son ignorance, elle n’avait pas encore été admise à la sainte Communion.
Envoyés par leurs parents pour conduire le bétail dans les pâturages, ce fut par pur hasard que le 18 septembre, veille du grand événement, ils se rencontrèrent sur la montagne, tandis qu’ils abreuvaient leurs vaches à une fontaine.
Le soir de ce jour, en rentrant chez eux avec le bétail, Mélanie dit à Maximin : « Demain, qui sera le premier sur la Montagne ? » Et le lendemain, 19 septembre, qui était un samedi, ils y montèrent ensemble, chacun conduisant quatre vaches et une chèvre. La journée était belle et sereine, le soleil brillait. Vers midi, en entendant sonner la cloche de l’Angélus, ils firent une courte prière avec le signe de la sainte Croix. Puis ils prirent leurs provisions de bouche et allèrent manger près d’une petite source, qui était à gauche d’un ruisseau. Ayant fini de manger, ils traversèrent le ruisseau, déposèrent leurs sacs près d’une fontaine sèche, descendirent encore quelques pas, et, contrairement à leur habitude, s’endormirent à quelque distance l’un de l’autre.
Écoutons maintenant le récit des bergers eux-mêmes, tel qu’ils le firent le soir du 19 à leurs maîtres, puis mille fois à des milliers de personnes.
« Nous nous étions endormis, raconte Mélanie. Je me suis réveillée la première et, ne voyant pas mes vaches, j’ai réveillé Maximin en lui disant : Allons chercher nos vaches. Nous avons traversé le ruisseau, nous sommes montés un peu, et nous les avons vues couchées de l’autre côté. Elles n’étaient pas loin. Alors je suis redescendue quand tout à coup, à cinq ou six pas avant d’arriver au ruisseau, j’ai vu une clarté comme le Soleil, mais encore plus brillante et pas de la même couleur, et j’ai dit à Maximin : Viens, viens vite voir là-bas une clarté. (Il était entre deux et trois heures de l’après-midi).
Maximin descendit aussitôt en me disant : Où est cette clarté ? Et je la lui indiquai avec le doigt tourné vers la petite fontaine. Quand il la vit, il s’arrêta. C’est alors qu’au milieu de la lumière nous avons vu une Dame. Elle était assise sur un tas de pierres, le visage dans les mains. Prise de peur, j’ai laissé tomber mon bâton. Maximin me dit : tiens le bâton ; si elle nous fait quelque chose, je lui donnerai un bon coup de bâton.
Ensuite, la Dame se leva, croisa les bras et nous dit : « Avancez, mes enfants. N’ayez pas peur ; je suis ici pour vous donner une grande nouvelle. » Alors nous traversâmes le ruisseau, et elle s’avança jusqu’à l’endroit où nous nous étions endormis. Elle était au milieu de nous deux et elle pleurait tout le temps qu’elle nous parla (j’ai très bien vu ses larmes). Elle nous dit : « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis contrainte de laisser aller la main de mon Fils. Elle est si forte, si lourde, que je ne peux plus la retenir. »
« Il y a longtemps que je souffre pour vous ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je dois le prier constamment ; et vous autres n’en tenez pas compte. Vous aurez beau prier et agir, jamais vous ne pourrez compenser les préoccupations que j’ai pour vous. »
« Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me l’accorder. C’est ce qui rend la main de mon Fils si lourde. »
« Si les pommes de terre se gâtent, c’est entièrement de votre faute. Je vous l’ai fait voir l’année dernière (1845), et vous n’avez pas voulu en tenir compte, et en trouvant des pommes de terre gâtées, vous blasphémiez en y mêlant le nom de mon Fils. »
« Elles continueront à se gâter, et cette année pour Noël vous n’en aurez plus (1846). »
« Si vous avez du blé, vous ne devez pas le semer. Tout ce que vous sèmerez sera mangé par les vers, et ce qui naîtra ira en poussière, quand vous le battrez. »
« Il arrivera une grande famine. » (Il y eut en effet une grande famine en France, et sur les routes on trouvait des troupes de mendiants affamés, qui se rendaient par milliers dans les villes pour mendier. Pendant que chez nous en Italie le prix du blé augmentait au début du printemps 1847, en France, pendant tout l’hiver 1846-1847, on souffrit beaucoup de la faim. Mais la véritable pénurie d’aliments, la véritable famine eut lieu lors des désastres de la guerre de 1870-1871. À Paris, un grand personnage offrit à ses amis un somptueux repas gras le Vendredi Saint. Quelques mois plus tard, dans cette même ville, les citoyens les plus aisés furent contraints de se nourrir d’aliments grossiers et de viandes d’animaux parmi les plus répugnants. Nombreux furent ceux qui moururent de faim).
« Avant que la pénurie d’aliments n’arrive, les enfants de moins de sept ans seront pris d’un tremblement et mourront entre les mains des personnes qui les tiendront. Les autres feront pénitence pour la pénurie. »
« Les noix se gâteront, et les raisins pourriront… » (En 1849, les noix se gâtèrent partout ; quant au raisin, tous se plaignent encore des dommages et des pertes subies. Chacun se souvient de l’immense dommage que la cryptogame causa au raisin dans toute l’Europe pendant plus de vingt ans, de 1849 à 1869).
« S’ils se convertissent, les pierres et les rochers se changeront en tas de blé, et les pommes de terre seront produites par la terre elle-même. »
Puis elle nous dit :
« Dites-vous bien vos prières, mes enfants ? »
Nous répondîmes tous deux : « Pas très bien, Madame. »
« Ah ! mes enfants, vous devez bien les dire le soir et le matin. Quand vous n’avez pas le temps, dites au moins un Pater et un Ave Maria : et quand vous aurez le temps, dites-en plus. »
« À la Messe, il n’y a que quelques vieilles femmes, et les autres travaillent le dimanche tout l’été. En hiver les jeunes, quand ils ne savent que faire, vont à la Messe pour ridiculiser la religion. Pendant le carême, on va à la boucherie comme des chiens. »
Puis elle dit : « N’as-tu jamais vu, mon garçon, du blé gâté ? »
Maximin répondit : « Oh ! non, Madame. » Ne sachant à qui elle posait cette question, je répondis à voix basse :
« Non, Madame, je n’en ai pas encore vu. »
« Vous devez en avoir vu, mon garçon (s’adressant à Maximin), une fois vers la commune de Coin avec votre père. Le propriétaire du champ a dit à votre père d’aller voir son blé gâté ; vous y êtes allés tous les deux. Vous avez pris quelques épis dans vos mains ; en les frottant, ils sont tous tombés en poussière, et vous êtes revenus chez vous. Quand vous étiez encore à une demi-heure de Corps, votre père vous a donné un morceau de pain en vous disant : Prends, mon fils, mange encore du pain cette année ; je ne sais pas qui en mangera l’année prochaine, si le blé continue à se gâter ainsi. »
Maximin répondit : « Oh ! oui, Madame, maintenant je me souviens ; il y a quelque temps, je ne m’en souvenais plus. »
Après cela, la Dame nous dit : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Puis elle traversa le ruisseau, et à deux pas de distance, sans se tourner vers nous, elle nous dit de nouveau : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Elle monta ensuite une quinzaine de pas, jusqu’à l’endroit où nous étions allés chercher nos vaches. Mais en marchant sur l’herbe, ses pieds ne touchaient que le sommet. Nous l’avons suivie. Je suis passée devant la Dame et Maximin un peu de côté, à deux ou trois pas de distance. Et la belle Dame s’est élevée ainsi (Mélanie fait un geste en levant la main d’un mètre et plus). Elle resta suspendue dans l’air un moment. Ensuite Elle tourna son regard vers le Ciel, puis vers la terre. Après quoi nous ne vîmes plus la tête… plus les bras… plus les pieds… Elle semblait se fondre. On ne vit plus qu’une clarté dans l’air, et après cela la clarté disparut.
Je dis à Maximin : « C’est peut-être une grande sainte ? » Maximin me répondit : « Oh ! si nous avions su que c’était une grande sainte, nous lui aurions dit de nous emmener avec elle. » Et je lui dis : « Et si elle était encore là ? » Alors Maximin tendit vivement la main pour avoir un peu de cette clarté, mais tout avait disparu. Nous avons bien observé, pour savoir si nous ne la voyions plus.
Et je dis : « Elle ne veut pas se montrer pour ne pas nous faire savoir où elle va. Après cela, nous sommes allés derrière nos vaches. »
Tel est le récit de Mélanie, Quand on l’interrogea sur la façon dont cette Dame était vêtue, elle répondit :
« Elle avait des chaussures blanches avec des roses autour… Il y en avait de toutes les couleurs. Elle avait des bas jaunes, un tablier jaune, une robe blanche toute parsemée de perles, un fichu blanc au cou entouré de roses, un grand bonnet qui pendait un peu en avant avec une couronne de roses autour. Elle avait une chaînette, à laquelle était suspendue une croix avec son Christ : à droite une tenaille, à gauche un marteau. À l’extrémité de la Croix pendait une autre grande chaîne, comme les roses autour de son fichu au cou. Elle avait le visage blanc, allongé. Je ne pouvais pas la regarder longtemps, car elle nous éblouissait. »
Interrogé séparément, Maximin fait exactement le même récit, sans aucune variation, ni sur la substance ni même sur la forme, ce qui nous dispense de le répéter ici.
Infinies et extravagantes sont les questions insidieuses qui leur furent posées, surtout pendant deux ans, et au cours d’interrogatoires de 5, 6 ou 7 heures de suite, dans l’intention de les embarrasser, de les confondre, de les amener à se contredire. Il est certain que jamais peut-être aucun coupable n’a subi un interrogatoire aussi difficile devant les tribunaux de justice concernant le crime qui lui était imputé.

Secret des deux petits bergers
            Immédiatement après l’apparition, Maximin et Mélanie, en rentrant chez eux, se sont interrogés mutuellement : pourquoi la grande Dame, après avoir dit que « les raisins pourriront », a tardé un peu à parler et ne faisait que bouger les lèvres, sans faire entendre ce qu’elle disait ?
En s’interrogeant à ce sujet l’un l’autre, Maximin dit à Mélanie : « Elle m’a dit quelque chose, mais elle m’a interdit de te le dire. » Ils se rendirent compte tous les deux qu’ils avaient reçu de la Dame, chacun séparément, un secret avec l’interdiction de le révéler à d’autres. Mais crois-tu, mon cher lecteur, que les enfants peuvent se taire ?
Il est impossible de dire combien d’efforts et de tentatives ont été faits pour leur arracher ce secret d’une manière ou d’une autre. Il est étonnant de lire les mille et une tentatives employées à cette fin par des centaines et des centaines de personnes pendant vingt ans. Prières, surprises, menaces, injures, cadeaux et séductions de toutes sortes, tout fut vain ; ils restent impénétrables.
L’évêque de Grenoble, un vieillard de quatre-vingts ans, crut de son devoir d’ordonner aux deux enfants privilégiés de faire au moins parvenir leur secret au Saint-Père Pie IX. Au nom du Vicaire de Jésus-Christ, les deux petits bergers obéirent promptement et décidèrent de révéler un secret que rien n’avait pu leur arracher jusqu’alors. Ils l’ont donc écrit eux-mêmes (à partir du jour de l’apparition, on les avait mis à l’école, et chacun séparément). Puis ils ont plié et scellé leur lettre, et tout cela en présence de personnes respectables, choisies par l’évêque lui-même comme témoins. Ensuite, l’évêque envoya deux prêtres porter cette mystérieuse dépêche à Rome.
Le 18 juillet 1851, ils remirent à Sa Sainteté Pie IX trois lettres : une de Monseigneur l’évêque de Grenoble, qui accréditait ses deux envoyés, et les deux autres qui contenaient le secret des deux enfants de La Salette. Chacun d’eux avait écrit et scellé sa lettre contenant son secret en présence de témoins qui avaient déclaré l’authenticité de celles-ci sur la couverture.
Sa Sainteté ouvrit les lettres, en commençant à lire celle de Maximin. « Il y a vraiment ici, dit-il, la candeur et la simplicité d’un enfant. » Pendant cette lecture, une certaine émotion se manifesta sur le visage du Saint-Père ; ses lèvres se contractèrent, ses joues se gonflèrent. « Il s’agit, dit le Pape aux deux prêtres, il s’agit de fléaux dont la France est menacée. Elle n’est pas la seule coupable. L’Allemagne, l’Italie, l’Europe entière le sont aussi, et elles méritent des châtiments. Je crains beaucoup l’indifférence religieuse et le respect humain. »

Concours de fidèles à La Salette
            La fontaine, près de laquelle la Dame, c’est-à-dire la Vierge Marie, s’était reposée, était à sec, comme nous l’avons dit, et de l’avis de tous les bergers et habitants des environs, elle ne donnait de l’eau qu’après d’abondantes pluies et après la fonte des neiges. Or cette fontaine, qui était à sec le jour même de l’apparition, commença à jaillir le lendemain, et depuis cette époque, l’eau coule claire et limpide, sans interruption.
Cette montagne nue, escarpée, déserte, habitée par les bergers à peine quatre mois de l’année, est devenue le théâtre d’un immense rassemblement de foules. Des populations entières affluent de toutes parts vers cette montagne privilégiée. Pleurant de tendresse, et chantant des hymnes et des cantiques, on les voit s’incliner sur cette terre bénie où a résonné la voix de Marie. On les voit embrasser respectueusement le lieu sanctifié par les pieds de Marie, et ils en descendent remplis de joie, de confiance et de reconnaissance.
Chaque jour, un nombre immense de fidèles va visiter pieusement le lieu du prodige. Lors du premier anniversaire de l’apparition (19 septembre 1847), plus de soixante-dix mille pèlerins de tout âge, de tout sexe, de toute condition et même de toute nation occupaient la surface de ce terrain…
Mais ce qui fait sentir encore plus la puissance de cette voix venue du Ciel, c’est qu’il s’est produit un admirable changement de mœurs chez les habitants de Corps, de La Salette, de tout le canton et de tous les environs ; il se répand et se propage dans des régions lointaines… Les gens ont cessé de travailler le dimanche, ils ont abandonné le blasphème… Ils fréquentent l’Église, accourent à la voix de leurs Pasteurs, s’approchent des saints Sacrements, accomplissent avec édification le précepte de Pâques jusqu’alors généralement négligé. Je passe sous silence les nombreuses et éclatantes conversions, et les grâces extraordinaires d’ordre spirituel.
Au lieu de l’apparition s’élève maintenant une majestueuse Église avec un très vaste bâtiment, où les voyageurs peuvent se restaurer confortablement et même y passer la nuit à leur gré, après avoir satisfait leur dévotion.

Après l’événement de La Salette, Mélanie fut envoyée à l’école où elle fit des progrès merveilleux dans les connaissances et dans la vertu. Mais elle se sentit toujours si enflammée de dévotion envers la Bienheureuse Vierge Marie qu’elle décida de se consacrer entièrement à Elle. Elle entra de fait chez les Carmélites déchaussées parmi lesquelles, selon le journal Echo de Fourvière du 22 octobre 1870, elle sera appelée au ciel par la Sainte Vierge. Peu avant de mourir, elle écrivit la lettre suivante à sa mère.

11 septembre 1870.

Ma très chère mère bien-aimée,

Que Jésus soit aimé de tous les cœurs. – Cette lettre n’est pas seulement pour vous, mais pour tous les habitants de mon cher village de Corps. Un père de famille, plein d’amour pour ses enfants, voyant qu’ils oubliaient leurs devoirs, méprisaient la loi que Dieu leur avait imposée, et devenaient ingrats, résolut de les châtier sévèrement. L’épouse du Père de famille demandait grâce, et en même temps elle se rendait auprès des deux plus jeunes enfants du Père de famille, c’est-à-dire ceux qui étaient les plus faibles et les plus ignorants. L’épouse qui ne peut pleurer dans la maison de son époux (qui est le Ciel) trouve dans les champs de ces misérables enfants des larmes en abondance. Elle expose ses craintes et ses menaces si l’on ne revient pas en arrière, si l’on n’observe pas la loi du Maître de maison. Un très petit nombre de personnes embrasse la réforme du cœur, et se met à observer la sainte loi du Père de famille. Mais, hélas, la majorité reste dans le mal et s’y enfonce toujours plus. Alors le Père de famille envoie des châtiments pour les punir et pour les tirer de cet état d’endurcissement. Ces malheureux enfants, qui pensent pouvoir se soustraire au châtiment, saisissent et brisent les verges qui les frappent au lieu de tomber à genoux, de demander grâce et miséricorde, et surtout de promettre de changer de vie. Enfin le père de famille, encore plus irrité, prend une verge encore plus forte. Il frappe et frappera jusqu’à ce qu’on le reconnaisse, qu’on s’humilie et qu’on demande miséricorde à Celui qui règne sur la terre et dans les cieux.
Vous m’avez comprise, chère mère et chers habitants de Corps : ce Père de famille, c’est Dieu. Nous sommes tous ses enfants. Ni moi ni vous ne l’avons aimé comme nous aurions dû. Nous n’avons pas accompli, comme il convenait, ses commandements ; maintenant Dieu nous châtie. Un grand nombre de nos frères soldats meurent, des familles et des villes entières sont réduites à la misère, et si nous ne nous tournons pas vers Dieu, ce n’est pas fini. La ville de Paris est très coupable parce qu’elle a récompensé un homme mauvais qui a écrit contre la divinité de Jésus-Christ. Les hommes n’ont qu’un temps pour commettre des péchés, mais Dieu est éternel, et il châtie les pécheurs. Dieu est irrité par la multiplicité des péchés, et parce qu’il est presque inconnu et oublié. Or, qui pourra arrêter la guerre qui fait tant de mal en France, et qui recommencera bientôt en Italie ? etc. etc. Qui pourra arrêter ce fléau ?
Il faut 1° que la France reconnaisse que dans cette guerre il y a uniquement la main de Dieu ; 2° qu’elle s’humilie et demande avec l’esprit et le cœur le pardon de ses péchés ; qu’elle promette sincèrement de servir Dieu avec l’esprit et le cœur, et d’obéir à ses commandements sans respect humain. Certains prient, demandent à Dieu le triomphe pour nous, les Français. Non, ce n’est pas ce que veut le bon Dieu : il veut la conversion des Français. La Bienheureuse Vierge est venue en France, et celle-ci ne s’est pas convertie : elle est donc plus coupable que les autres nations. Si elle ne s’humilie pas, elle sera grandement humiliée. Paris, ce foyer de vanité et d’orgueil, qui pourra la sauver si des prières ferventes ne s’élèvent pas au cœur du bon Maître ?
Je me souviens, chère mère et chers habitants de mon cher village, je me souviens de ces pieuses processions que vous faisiez sur la sainte montagne de La Salette, afin que la colère de Dieu ne frappe pas votre pays ! La Sainte Vierge a écouté vos ferventes prières, vos pénitences et tout ce que vous avez fait par amour de Dieu. Je pense et j’espère qu’actuellement vous devez d’autant plus faire de belles processions pour le salut de la France, c’est-à-dire pour que la France revienne à Dieu, car Dieu n’attend que cela pour retirer la verge dont il se sert pour flageller son peuple rebelle. Prions donc beaucoup, oui, prions. Faites vos processions, comme vous les avez faites en 1846 et 1847. Croyez que Dieu écoute toujours les prières sincères des cœurs humbles. Prions beaucoup, prions toujours. Je n’ai jamais aimé Napoléon, car je me rappelle toute sa vie. Puisse le divin Sauveur lui pardonner tout le mal qu’il a fait, et qu’il fait encore !
Rappelons-nous que nous sommes créés pour aimer et servir Dieu, et qu’en dehors de cela il n’y a pas de vrai bonheur. Que les mères élèvent chrétiennement leurs enfants, car le temps des tribulations n’est pas fini. Si je vous révélais leur nombre et leur nature, vous en seriez horrifiés. Mais je ne veux pas vous effrayer. Ayez confiance en Dieu, qui nous aime infiniment plus que nous ne pouvons l’aimer. Prions, prions, et la bonne, la divine, la tendre Vierge Marie sera toujours avec nous. La prière désarme la colère de Dieu, la prière est la clé du Paradis.
Prions pour nos pauvres soldats, prions pour tant de mères désolées par la perte de leurs enfants, consacrons-nous à notre bonne Mère céleste, prions pour ces aveugles qui ne voient pas que c’est la main de Dieu qui frappe maintenant la France. Prions beaucoup et faisons pénitence. Restez tous attachés à la sainte Église, et à notre Saint-Père qui en est le Chef visible et le Vicaire de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la terre. Dans vos processions, dans vos pénitences, priez beaucoup pour lui. Enfin, maintenez-vous en paix, aimez-vous comme des frères, promettez à Dieu d’observer ses commandements et de les observer vraiment. Et par la miséricorde de Dieu vous serez heureux, et vous ferez une bonne et sainte mort, que je souhaite à tous en vous plaçant tous sous la protection de l’auguste Vierge Marie. J’embrasse de tout cœur (les parents). Mon salut est dans la Croix. Le cœur de Jésus veille sur moi.

Marie de la Croix, victime de Jésus

Première partie de la publication « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette avec d’autres faits prodigieux, recueillis de documents publics par le prêtre Giovanni Bosco », Turin, Typographie de l’Oratoire Saint François de Sales, 1871.




Le rêve des 22 lunes (1854)

En mars 1854, un jour de fête, après les vêpres, Don Bosco réunit tous les élèves dans l’arrière de la sacristie en disant qu’il voulait leur raconter un rêve. Parmi les présents, il y avait entre autres les jeunes Cagliero, Turchi, Anfossi, l’abbé Reviglio et l’abbé Buzzetti, dont nous avons recueilli la narration. Tous étaient convaincus que, sous le nom de rêve, Don Bosco cachait les manifestations qu’il avait eues du ciel. Voici ce rêve.

            – J’étais avec vous dans la cour et mon cœur était rempli de joie en vous voyant, pleins de vie et de gaieté, sauter, crier, courir. Soudain, j’ai vu l’un d’entre vous sortir d’une porte de la maison et commencer à marcher parmi ses camarades en ayant sur la tête une sorte de haut-de-forme ou de turban. C’était une sorte de chapeau transparent, tout illuminé à l’intérieur. On y voyait l’image d’une grande lune, au milieu de laquelle était écrit le nombre 22. Stupéfait, je voulus aussitôt m’approcher de lui pour lui dire de quitter cette coiffure de carnaval. Mais voici que, le soir venu, la cour se vida comme au signal de la cloche, et j’aperçus tous les jeunes disposés en rang sous les arcades de la maison. Ils paraissaient très effrayés, et dix ou douze d’entre eux avaient le visage couvert d’une pâleur étrange. Je passai devant eux pour les observer, et je remarquai parmi eux celui qui avait la lune sur la tête, plus pâle que les autres ; de ses épaules pendait un drap mortuaire. Je m’approchais pour lui demander ce que signifiait cet étrange accoutrement, quand une main m’arrêta. Je vis alors un inconnu à l’aspect imposant, qui me dit :
            – Écoute-moi avant de l’interroger. Il lui reste 22 lunes à vivre, et avant qu’elles ne soient passées, il mourra. Veille sur lui et prépare-le !
            Je voulais lui demander des explications sur ses paroles et sur son apparition inattendue, mais il avait disparu.
            – Ce jeune, mes chers fils, je le connais et il est parmi vous !
            Une vive frayeur s’empara de tous les jeunes, d’autant plus que c’était la première fois que Don Bosco annonçait en public et avec une certaine solennité la mort de quelqu’un de la maison. Le bon père ne put s’empêcher de le remarquer et poursuivit :
            – Je le connais et il est parmi vous, ce jeune des 22 lunes. Mais je ne veux pas que vous soyez effrayés. C’est un rêve, comme je vous l’ai dit, et vous savez qu’il ne faut pas toujours se fier aux rêves. Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que nous devons toujours nous préparer, comme le recommande le divin Sauveur dans l’Évangile, et ne pas commettre de péchés, et alors la mort ne nous fera plus peur. Soyez tous de bons jeunes, n’offensez pas le Seigneur. Et moi, en attendant, je veillerai attentivement sur celui qui porte le chiffre 22, qui signifie 22 lunes, c’est-à-dire 22 mois, et j’espère qu’il fera une bonne mort.
            Si cette annonce effraya d’abord les jeunes, elle leur fit beaucoup de bien par la suite, car ils veillèrent tous à se maintenir dans la grâce de Dieu, en pensant à la mort. En attendant, ils comptaient les lunes qui passaient. De temps en temps, Don Bosco les interrogeait :
            – Combien de lunes y a-t-il encore ?
            Et ils répondaient :
            – Vingt, dix-huit, quinze, etc.
            Parfois, les jeunes particulièrement attentifs à toutes ses paroles s’approchaient de lui pour lui annoncer les lunes déjà passées, et essayaient de faire des pronostics et de deviner, mais Don Bosco restait silencieux. Le jeune Piano, entré comme étudiant à l’Oratoire en novembre 1854, entendit parler de la neuvième lune et apprit de ses compagnons et de ses supérieurs ce que Don Bosco avait prédit. Et lui aussi, comme tous les autres, restait en observation.
            L’année 1854 se termina, plusieurs mois de 1855 s’écoulèrent et le mois d’octobre, la vingtième lune, arriva. Le jeune abbé Cagliero était alors chargé de surveiller trois petites chambres de l’ancienne maison Pinardi, qui servaient chacune de dortoir à un groupe de jeunes. Parmi eux se trouvait un certain Gurgo Secondo, originaire de Pettinengo, près de Biella. C’était un garçon âgé d’environ 17 ans, de belle apparence, robuste, en excellente santé, au point qu’on pouvait prévoir pour lui une longue vie, une extrême vieillesse. Son père l’avait recommandé à Don Bosco pour qu’il le prenne en pension. Doué pour le piano et l’orgue, il étudiait la musique du matin au soir et gagnait bien sa vie en donnant des leçons à Turin. Durant l’année, Don Bosco interrogeait de temps en temps l’abbé Cagliero sur la conduite de ses jeunes, avec un grand souci. Au mois d’octobre, il l’appela auprès de lui et lui dit :
            – Où dors-tu ?
            – Dans la dernière chambre, répondit l’abbé Cagliero, et de là je surveille les deux autres.
            – Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux que tu transportes ton lit dans celle du milieu ?
            – Comme vous voulez, mais je vous fais remarquer que les deux autres chambres sont sèches, tandis que dans la deuxième, l’un des murs est formé par le mur du clocher de l’église, construit récemment. Il y a donc un peu d’humidité. L’hiver approche et je pourrais attraper une maladie. D’ailleurs, de là où je suis, je peux très bien assister tous les jeunes de mon dortoir.
            – Quant à les assister, je sais que tu le peux, mais il vaut mieux, reprit Don Bosco, que tu ailles dans celle du milieu.
            L’abbé Cagliero obéit, mais au bout d’un certain temps, il demanda à Don Bosco la permission de déplacer son lit dans la première chambre. Don Bosco n’était pas d’accord, mais il lui dit :
            – Reste où tu es et sois sûr que ta santé n’en souffrira pas.
            L’abbé Cagliero se calma et quelques jours plus tard, Don Bosco le rappela :
            – Combien êtes-vous dans votre nouvelle chambre ?
            Il répondit :
            – Nous sommes trois : moi, le jeune Gurgo Secondo, Garovaglia, et le piano, ce qui fait quatre.
            – Très bien, dit Don Bosco, vous êtes trois pianistes, et Gurgo pourra vous donner des leçons de piano. Occupe-toi bien de lui. Et il n’ajouta rien de plus. Alors l’abbé, piqué par la curiosité et devenu soupçonneux, commença à lui poser des questions, mais Don Bosco l’interrompit en disant :
            – Tu sauras le pourquoi en temps voulu.
            Le secret était que dans cette pièce se trouvait le jeune homme aux 22 lunes.
            Au début du mois de décembre, il n’y avait pas de malade à l’Oratoire. Un soir après les prières, Don Bosco monta sur la petite estrade pour annoncer que l’un des jeunes allait mourir avant la fête de Noël. À cause de cette nouvelle prédiction et parce que les 22 lunes se terminaient, une grande inquiétude gagna toute la maison. On se rappelait fréquemment les paroles de Don Bosco et l’on redoutait leur réalisation.
            Pendant ces jours, Don Bosco appela encore une fois l’abbé Cagliero pour lui demander si Gurgo allait bien et s’il rentrait à la maison à l’heure après les leçons de musique en ville. Cagliero lui répondit que tout allait bien et qu’il n’y avait rien à signaler parmi ses camarades. Très bien, je suis content, dit-il, veille à ce qu’ils aillent tous bien, et préviens-moi s’il arrive quelque chose. C’est ce que dit Don Bosco, sans rien ajouter.
            Mais voici que vers la mi-décembre, Gurgo fut assailli par une colique violente et si dangereuse qu’on envoya chercher le médecin en toute hâte. On lui administra, à sa demande, les saints sacrements. La maladie dura huit jours et fut très douloureuse, mais elle s’améliora, grâce aux soins du docteur Debernardi, de sorte que Gurgo put quitter son lit comme convalescent. La maladie était comme disparue et le médecin répéta que le jeune homme s’en était bien tiré. Entre-temps, le père du jeune avait été prévenu, car, comme personne n’était encore mort à l’Oratoire, Don Bosco voulait éviter aux élèves un spectacle funèbre. La neuvaine de Noël avait commencé et Gurgo, presque guéri, avait l’intention d’aller chez lui à Noël. Cependant, lorsque Don Bosco recevait des bonnes nouvelles de sa santé, il avait l’air de ne pas y croire. Quand le père du jeune vint trouver son fils, voyant qu’il était déjà en bonne forme, il demanda et obtint la permission de l’emmener ; il alla réserver une place dans la voiture pour le conduire le lendemain à Novare, puis à Pettinengo, afin qu’il se rétablisse complètement. C’était le dimanche 23 décembre. Ce soir-là, Gurgo manifesta le désir de manger de la viande, aliment interdit par le médecin. Son père courut en acheter pour lui donner des forces et la fit cuire dans une machine à café. Le jeune homme but le bouillon et mangea la viande, qui devait être à moitié crue et à moitié cuite, et peut-être trop, plus qu’il ne fallait. Son père le laissa, et il ne resta dans la chambre que l’infirmier et Cagliero. Mais voici qu’à une certaine heure de la nuit, le malade commença à se plaindre de douleurs d’estomac. La colique était revenue le tourmenter de la manière la plus atroce. Gurgo appela son assistant par son nom :
            – Cagliero, Cagliero, j’ai fini de t’apprendre le piano.
            – Un peu de patience, courage, répondit Cagliero.
            – Je ne rentre plus chez moi, je ne pars plus. Prie pour moi. Si tu savais comme j’ai mal ! Recommande-moi à la Madone.
            – Oui, je prierai. Invoque, toi aussi, la Vierge Marie.
            Alors Cagliero commença à prier, mais il s’endormit, vaincu par le sommeil. L’infirmier le secoua, et lui montrant Gurgo, courut immédiatement appeler Don Alasonatti, qui dormait dans la chambre voisine. Il arriva mais, au bout de quelques instants, Gurgo s’éteignit. Ce fut la désolation dans toute la maison. Le matin, Cagliero rencontra Don Bosco qui descendait l’escalier pour dire la messe et il le vit très triste, parce qu’on lui avait déjà annoncé la douloureuse nouvelle.
            Dans la maison, on n’arrêtait pas de parler de cette mort. On était à la vingt-deuxième lune et celle-ci n’était pas encore terminée. En mourant le 24 décembre avant l’aube, Gurgo réalisait également la deuxième prédiction, à savoir qu’il ne verrait pas la fête de Noël.
            Après le déjeuner, les jeunes et les abbés entouraient silencieusement Don Bosco. Tout à coup, l’abbé Turchi Giovanni lui demanda si Gurgo était celui des lunes.
            – Oui, répondit Don Bosco, c’est bien lui que j’ai vu en rêve.
            Puis il ajouta :
– Vous avez certainement remarqué que je l’ai fait dormir il y a quelque temps dans un dortoir spécial, en recommandant à l’un des meilleurs assistants d’y transporter son lit afin qu’il puisse veiller sur lui sans arrêt. Cet assistant, c’était l’abbé Giovanni Cagliero. Et soudain, se tournant vers cet abbé, il lui dit : « Une autre fois, tu ne feras plus tes commentaires sur ce que te dira Don Bosco. Tu comprends maintenant pourquoi je ne voulais pas que tu quittes la pièce où se trouvait ce pauvre garçon ? Tu me suppliais de changer, mais moi, je ne voulais pas te l’accorder, précisément pour que Gurgo ait quelqu’un qui veille sur lui. S’il vivait encore, il pourrait dire combien de fois je lui ai parlé en long et en large de la mort et combien j’ai eu soin de le disposer à un heureux passage.
            « C’est alors que j’ai compris, écrira Mgr Cagliero, la raison des recommandations spéciales que Don Bosco m’avait faites, et j’ai appris à mieux connaître et apprécier l’importance de ses paroles et de ses avertissements paternels ».
            « La veille de Noël, raconte Pietro Enria, je me souviens encore de Don Bosco montant sur la petite estrade et tournant son regard comme s’il cherchait quelqu’un. Et il dit : c’est le premier jeune qui meurt à l’Oratoire ; mais il a bien fait les choses et nous espérons qu’il est au paradis. Je vous recommande d’être toujours prêts… Et il ne put rien dire de plus, car il souffrait trop dans son cœur. La mort lui avait enlevé un fils ».
(MB V, 377-383)




Le Vicaire du Recteur Majeur. Don Stefano Martoglio

Nous avons la joie d’annoncer que Don Stefano Martoglio a été réélu Vicaire du Recteur Majeur.
Les capitulaires l’ont élu aujourd’hui à la majorité absolue et dès le premier tour de scrutin.

Nous souhaitons un apostolat fructueux à Don Stefano et nous lui assurons de nos prières.




Nouveau Recteur Majeur : Fabius Attard

Nous avons la joie d’annoncer que Don Fabius Attard est le nouveau Recteur Majeur, le onzième successeur de Don Bosco.

Très brèves informations sur le nouveau Recteur Majeur :
Né : 23.03.1959 à Gozo (Malte), diocèse de Gozo.
Noviciat : 1979-1980 à Dublin.
Profession perpétuelle : 11.08.1985 à Malte.
Ordination presbytérale : 04.07.1987 à Malte.
Il a exercé diverses fonctions pastorales et de formation au sein de sa province d’origine.
Il a été pendant 12 ans le Conseiller général pour la Pastorale des Jeunes, 2008-2020.
Depuis 2020, il est le Délégué du Recteur Majeur pour la Formation Permanente des salésiens et des laïcs en Europe.
Dernière communauté d’appartenance : Rome CNOS.
Langues connues : Maltais, Anglais, Italien, Français, Espagnol.

Nous souhaitons un apostolat fructueux à Don Fabio et nous lui assurons de nos prières.




Élection du premier Recteur Majeur

Lors du onzième Chapitre Général de la Congrégation Salésienne, on a élu le premier Recteur Majeur, Don Paolo Albera. Tout en étant officiellement le deuxième successeur de don Bosco, il fut en réalité le premier à être élu, car Don Rua avait déjà été nommé personnellement par Don Bosco, par inspiration divine et à la demande du Pape Pie IX (la nomination de Don Rua a été officialisée le 27 novembre 1884 et confirmée par le Saint-Siège le 11 février 1888). Suivons maintenant le récit de Don Eugenio Ceria, qui raconte l’élection du premier successeur de Don Bosco et les travaux du Chapitre Général.

            Il paraît presque impossible de parler des anciens Salésiens sans partir de Don Bosco. Cette fois, c’est pour admirer la divine Providence, qui a mis sur le difficile chemin de Don Bosco les hommes indispensables à sa Congrégation naissante, à divers niveaux et fonctions. Non pas des hommes faits, mais des hommes à façonner. Il revenait au fondateur de les chercher parmi les jeunes, de les faire grandir, de les éduquer, de les instruire, de les informer de son esprit, afin qu’ils le représentent dignement au milieu des confrères et devant les étrangers partout où il les enverrait. Ce fut aussi le cas de son deuxième successeur. Le petit et frêle Paolino Albera, lorsqu’il vint de son village natal à l’Oratoire, ne se distinguait dans la foule de ses camarades par aucune de ces caractéristiques qui attirent l’attention sur un nouvel arrivant. Mais Don Bosco ne tarda pas à discerner en lui l’innocence des mœurs, une capacité intellectuelle voilée par une timidité naturelle, et une nature d’enfant, qui lui donnait de bonnes raisons d’espérer. Après l’avoir conduit jusqu’au sacerdoce, il l’envoya comme Directeur à Sampierdarena, puis Directeur à Marseille et Provincial de France, où on l’appelait « le petit Don Bosco », jusqu’à ce qu’en 1886 la confiance de ses confrères l’élise Catéchiste général, c’est-à-dire Directeur spirituel de la Société. Mais son ascension ne s’arrêta pas là.
            Après la mort de Don Rua, le gouvernement de la Société passa, selon la Règle, entre les mains du Préfet Général, Don Filippo Rinaldi, qui présida le Chapitre Supérieur et dirigeait les préparatifs pour le Chapitre Général qui devait se tenir en l’année 1910. Il fut décidé que la grande assemblée s’ouvrirait le 15 août, précédée d’une retraite spirituelle, prêchée par Don Albera pour tous les Capitulaires.
            Un journal intime de Don Albera, rédigé en anglais, nous permet de connaître quels étaient ses sentiments pendant la période d’attente. À la date du 21 avril, nous trouvons : « Je parle longuement avec Don Rinaldi et avec grand plaisir. Je désire de tout cœur qu’il soit élu à la charge de Recteur Majeur de notre Congrégation. Je prierai le Saint-Esprit pour obtenir cette grâce. » Et le 26 : « On parle rarement du successeur de Don Rua. J’espère qu’on élira le Préfet. Il a les vertus nécessaires pour cette charge. Chaque jour, je prie pour cette grâce. » De nouveau le 11 mai : « J’accepte d’aller à Milan pour les funérailles de Don Rua. Je suis très heureux d’obéir à Don Rinaldi, en qui je reconnais mon véritable Supérieur. Je prie tous les jours pour qu’il soit élu Recteur Majeur. » Le 6 juin, il révèle pourquoi il a tant de penchant pour Don Rinaldi en écrivant : « J’ai une haute idée de sa vertu, de ses capacités et de son esprit d’initiative. » Peu après, en allant à Rome en sa compagnie, il écrivait le 8 à Florence : « Je vois que Don Rinaldi est bien accueilli partout et considéré comme le successeur de Don Rua. Il laisse une bonne impression à ceux avec qui il parle. »
            S’il avait été permis de faire de la propagande, il est certain qu’il aurait été son grand électeur. Et nombreux étaient les Salésiens qui pensaient comme lui. Ne parlons pas des Espagnols, parmi lesquels il avait laissé un grand héritage d’affection. Provinciaux et délégués, lorsqu’ils arrivaient d’Espagne pour le Chapitre Général, n’en faisaient pas mystère, même en parlant avec lui. Mais il répondait à ces discours avec l’indifférence d’un sourd qui n’entend pas un mot de ce qu’on lui dit. Son attitude était telle qu’elle impressionnait ses interlocuteurs enthousiastes. Cela tenait vraiment du mystère.
            Le soir de l’Assomption eut lieu la réunion d’ouverture, au cours de laquelle Don Rinaldi « a très bien parlé », note dans son journal Don Albera. L’élection du Recteur Majeur eut lieu lors de la séance du matin suivant. Dès le début du scrutin, les noms de Don Albera et de Don Rinaldi se succédaient à de brefs intervalles. Le premier apparaissait de plus en plus troublé et effrayé ; l’autre, en revanche, ne montrait pas le moindre signe d’émotion. Cela fut remarqué, et non sans une petite pointe de curiosité. Un grand applaudissement salua le vote, qui atteignait la majorité absolue requise par la Règle. Après avoir accompli le dernier acte en sa qualité de président de l’assemblée avec la proclamation de l’élu, Don Rinaldi demanda à pouvoir lire un de ses mémorandums. Ayant obtenu l’assentiment, il se fit restituer par Don Lemoyne, Secrétaire du Chapitre Supérieur, une enveloppe fermée qu’il lui avait remise le 27 février avec la mention : « À ouvrir après les élections qui auront lieu à la mort du cher Don Rua. » L’ayant pris dans ses mains, il l’ouvrit et lut : « Don Rua est gravement malade et je me crois dans l’obligation de mettre par écrit pour son successeur ce que je conserve dans mon cœur. Le 22 novembre 1877, on célébrait à Borgo S. Martino la fête traditionnelle de Saint Charles. À table où présidaient le Vénérable Giovanni Bosco et Mgr Ferrò, j’étais assis à côté de Don Belmonte. À un certain moment, la conversation tomba sur Don Albera et Don Bosco raconta les difficultés que lui avait créées le clergé de son pays. C’est alors que Mgr Ferrò voulut savoir si Don Albera avait surmonté ces difficultés : — Certainement, répondit Don Bosco. Il est mon second… – Et passant la main sur son front, il suspendit la phrase. Mais je compris tout de suite qu’il ne s’agissait pas du deuxième confrère entré dans la congrégation, ni du deuxième en dignité car il n’était pas du Chapitre Supérieur, ni du deuxième Directeur. J’en ai déduit qu’il s’agissait de son deuxième successeur ; mais je conservai ces choses dans mon cœur, en attendant les événements. Turin, 27 février 1910. » Les électeurs comprirent alors pourquoi il avait eu ce comportement et se sentirent soulagés : ils avaient élu celui qui avait été préconisé par Don Bosco trente-trois ans auparavant.
            Don Bertello fut immédiatement chargé de formuler deux télégrammes de communication au Saint-Père et au Cardinal Rampolla, Protecteur de la Société salésienne. Au Pape, il était dit : « Don Paolo Albera, nouveau Recteur Majeur de la Pieuse Société Salésienne et le Chapitre Général, qui l’a élu dans la plus grande concorde aujourd’hui, quatre-vingt-quinzième anniversaire de la naissance du Vénérable Don Bosco, et fête son élection dans la plus grande jubilation, remercie Votre Sainteté pour ses précieux conseils et prières et proteste de son profond respect et obéissance illimitée. » Sa Sainteté répondit rapidement en envoyant la bénédiction apostolique. Dans le télégramme, il est fait allusion à un autographe pontifical du 9 août. Il était de la teneur suivante : « Aux chers fils de la Congrégation Salésienne du Vénérable Don Bosco réunis pour l’élection du Recteur Général, dans la certitude que tous, quacumque humana affectione postposita, donneront leur vote au Confrère qu’ils jugeront dans le Seigneur le plus apte à maintenir le véritable esprit de la Règle, à encourager et à guider vers la perfection tous les Membres de l’Institut religieux, et à faire prospérer les multiples œuvres de charité et de religion auxquelles ils se sont consacrés, nous accordons avec une affection paternelle la Bénédiction Apostolique. Du Vatican, le 9 août 1910. Pius PP. X ».
            Le Cardinal Protecteur avait également adressé le 12 août « une parole paternelle de vœux et d’encouragement au Régulateur et aux Électeurs du Chapitre », disant entre autres : « Votre Don Bosco tant aimé vous regarde certainement du haut du Ciel avec toute son affection paternelle, en suppliant ardemment le Divin Paraclet qu’il répande sur vous les lumières célestes et vous inspire de sages conseils. La sainte Église attend de vos suffrages un digne successeur de Don Bosco et de Don Rua, qui sache conserver avec sagesse leur œuvre, et même l’accroître avec de nouveaux progrès. Quant à moi, avec le plus grand intérêt, je m’unis également à vous dans la prière, et je forme des vœux ardents, afin qu’avec la faveur divine, votre choix soit heureux sous tous rapports et tel qu’il me procure la douce consolation de voir la Congrégation Salésienne toujours plus florissante pour le bien des âmes et à l’honneur de l’apostolat catholique. Faites donc en sorte que, dans un acte aussi sacré et solennel, votre esprit se tienne éloigné des considérations humaines et des sentiments personnels ; afin qu’animés uniquement par de droites intentions et un ardent désir de la gloire de Dieu et du plus grand bien de l’Institut, unis au nom du Seigneur dans la plus parfaite concorde et charité, vous puissiez choisir un supérieur qui soit pour vous un exemple par la sainteté de sa vie, un père aimant par la bonté de son cœur, un guide sûr par sa prudence et sa sagesse, et par son zèle et sa fermeté un gardien vigilant de la discipline, de l’observance religieuse et de l’esprit du Vénérable Fondateur. » Son Éminence, recevant peu après Don Albera, lui donna des signes indubitables que le choix avait été fait conformément aux vœux qu’il avait exprimés.
            Quels étaient, en ces premiers instants, les sentiments de l’élu, c’est ce que nous révèle le journal, à la date du 16 août, où nous lisons : « C’est un jour de grand malheur pour moi. J’ai été élu Recteur Majeur de la Pieuse Société de Saint François de Sales. Quelle responsabilité sur mes épaules ! Maintenant plus que jamais je dois crier : Deus, in adiutorium meum intende. J’ai beaucoup prié, surtout devant la tombe de Don Bosco ». Dans son portefeuille, on a trouvé un petit papier jauni, sur lequel il avait tracé et signé son programme : « J’aurai toujours Dieu en vue, Jésus-Christ comme modèle, l’Auxiliatrice pour m’aider, moi-même en sacrifice ».
            À cette date, les mandats de tous les membres du Chapitre Supérieur avaient expiré et il fallait procéder à leur élection, ce qui fut fait lors de la troisième séance. Le Préfet Général fut élu en premier. Le vote sur le nom de Don Rinaldi fut plébiscitaire. Sur les 73 votants, 71 lui donnèrent leur voix. Il manqua donc une seule voix, qui alla à Don Paolo Virion, Provincial de France. L’autre, très probablement la sienne, fut pour Don Pietro Ricaldone, Provincial d’Espagne, qu’il estimait beaucoup. Celui-ci reprit donc son travail quotidien, qui devait durer encore douze ans, jusqu’à ce qu’il devienne lui-même Recteur Majeur.
            Après cela, le Chapitre passa à l’élection des autres membres, qui furent : Don Giulio Barberis, Catéchiste Général ; Don Giuseppe Bertello, Économe ; Don Luigi Piscetta, Don Francesco Cerruti, Don Giuseppe Vespignani, Conseillers. Ce dernier, Provincial d’Argentine, remercia l’assemblée pour l’acte de confiance, mais se dit obligé pour des raisons particulières et aussi pour sa santé de décliner la nomination, en priant l’assemblée de procéder à une autre élection. Mais le Supérieur ne crut pas devoir accepter sa renonciation si rapidement et lui demanda de suspendre toute décision jusqu’au lendemain. Le lendemain, invité par le Recteur Majeur à notifier la résolution prise, il répondit qu’en suivant le conseil du Supérieur, il se remettait entièrement à l’obéissance en acceptant la charge.
            Le premier acte du Préfet Général réélu fut d’informer officiellement les confrères de l’élection du nouveau Recteur Majeur. Dans une brève lettre, évoquant rapidement les différentes phases de sa vie, il rappelait opportunément le « Rêve de la Roue », dans lequel Don Bosco avait vu Don Albera avec une lampe à la main pour éclairer et guider les autres (MB VI,910). Il concluait très opportunément : « Mes chers confrères, que résonnent encore une fois à vos oreilles les paroles affectueuses de Don Bosco dans sa lettre-testament : “Votre Recteur est mort, mais un autre sera élu, qui prendra soin de vous et de votre salut éternel. Écoutez-le, aimez-le, obéissez-lui, priez pour lui, comme vous l’avez fait pour moi”.
            Aux Filles de Marie Auxiliatrice, Don Albera estima opportun de faire sans trop tarder une communication, d’autant plus qu’il recevait d’elles un bon nombre de lettres. Il les remercia pour leurs félicitations, mais surtout pour leurs prières. « J’espère, écrivait-il, que Dieu exaucera vos vœux et qu’il ne permettra pas que mon inaptitude nuise aux œuvres auxquelles le Vénérable Don Bosco et l’inoubliable Don Rua consacrèrent toute leur vie ». Il souhaitait enfin qu’entre les deux branches de la famille de Don Bosco règne toujours une sainte émulation pour conserver l’esprit de charité et de zèle laissé en héritage par le fondateur.
            Jetons maintenant un coup d’œil rapide sur les travaux du Chapitre Général. On peut dire qu’il n’avait qu’un seul thème fondamental. Le Chapitre précédent, après avoir effectué une révision plutôt sommaire des Règlements, avait décidé qu’ils seraient appliqués tels quels pendant six ans ad experimentum et que le onzième Chapitre Général les examinerait à nouveau en fixant le texte définitif. Ces Règlements étaient au nombre de six : pour les Provinciaux, pour toutes les maisons salésiennes, pour les maisons de noviciat, pour les paroisses, pour les oratoires festifs et pour la Pieuse Union des Coopérateurs. Dans une pétition signée par 36 membres, Le même Xe Chapitre avait demandé que le XIe traite de l’administration et surtout de la manière de rendre toujours plus profitables les ressources que la Providence accordait à chaque maison salésienne. Pour faciliter ce travail ardu, on nomma une Commission de techniciens, pour ainsi dire, extra-capitulaire, pour étudier les questions sur le sujet et présenter au Chapitre ses conclusions.
            Les discussions, commencées lors de la cinquième séance, se prolongèrent pendant les 21 sessions suivantes. Pour épuiser le sujet, il aurait fallu prolonger les travaux ; mais le Chapitre Général, par un vote unanime, confia la tâche de finaliser la révision au Chapitre Supérieur, qui promit de le mener à terme en nommant une Commission spéciale. Cependant, le Chapitre Général, pour montrer qu’il ne s’en désintéressait pas et pour faciliter la tâche, manifesta le désir de créer une Commission chargée de formuler les principaux critères qui devraient guider la nouvelle Commission des Règlements dans son long et délicat travail. C’est ce qui fut fait. Dix normes directrices, élaborées par ses délégués sous la présidence de Don Ricaldone, furent portées à la connaissance de l’assemblée et approuvées. L’objectif de celles-ci était de maintenir fermement l’esprit de Don Bosco, en conservant intacts les articles qui étaient reconnus comme les siens, et d’éliminer des Règlements ce qu’ils contenaient de purement exhortatif.
            Du XIe Chapitre Général, je ne rappellerai rien d’autre que deux épisodes, qui semblent avoir une importance particulière. Le premier concerne le Règlement des Oratoires festifs. La Commission extra-capitulaire avait cru bon de l’alléger, surtout dans la partie concernant les diverses charges. Mais à Don Rinaldi, il sembla qu’on altérait la conception de Don Bosco concernant les Oratoires festifs ; d’où cette intervention de sa part : « Le Règlement imprimé en 1877 a été véritablement compilé par Don Bosco, et Don Rua me l’assurait quatre mois avant sa mort. Je fais donc des vœux pour qu’il soit conservé intact, car, s’il est appliqué, on verra qu’il est toujours bon même aujourd’hui ».
            Ici s’engagea une discussion animée, dont je retiens les répliques les plus notables. Le rapporteur déclara que la Commission ignorait complètement cette particularité ; mais il observa aussi que ce Règlement n’avait jamais été appliqué intégralement dans aucun Oratoire festif, même à Turin. La Commission opina que le Règlement avait été fait compiler par Don Bosco sur le modèle des Règlements des Oratoires festifs lombards ; en tout cas, elle avait seulement voulu l’alléger et y introduire ce qui était la pratique dans les meilleurs Oratoires salésiens. Mais Don Rinaldi ne se calma pas et insista sur le désir de Don Rua que ce Règlement soit respecté, comme œuvre de Don Bosco, en y introduisant éventuellement ce qui serait jugé utile pour les jeunes adultes.
            Don Vespignani renforça cette thèse. Étant arrivé à l’Oratoire déjà prêtre en 1876, il avait reçu de Don Rua la mission de transcrire ce Règlement de l’original de Don Bosco et en conservait encore les premières ébauches. Don Barberis assura également avoir vu l’autographe. Les opposants avaient des objections concernant les charges. Mais Don Rinaldi ne désarma pas, au contraire, il prononça ces mots énergiques : « Rien ne doit être altéré du Règlement de Don Bosco, sinon il perdrait son autorité ». Don Vespignani confirma une nouvelle fois son avis avec des exemples d’Amérique et spécialement d’Uruguay : en voulant faire autrement à l’époque de Mgr Lasagna, on n’avait abouti à rien. Enfin, la controverse fut close en votant l’ordre du jour suivant : « Le XIe Chapitre Général décide de conserver intact le “Règlement des Oratoires festifs” de Don Bosco, tel qu’il a été imprimé en 1877, en y ajoutant seulement en annexe les ajouts jugés opportuns, notamment pour les sections des jeunes adultes ». On doit louer la sensibilité de l’assemblée face à une tentative de réforme par rapport à ce que Don Bosco avait établi.
            Le deuxième épisode appartient à l’avant-dernière séance pour une question non étrangère aux Règlements, comme cela pourrait sembler à première vue. Elle fut soulevée à nouveau par Don Rinaldi, devenu l’interprète du désir de beaucoup qui voulaient que soit définie la position des Directeurs dans les maisons après le décret sur les confessions. Jusqu’en 1901, étant les confesseurs ordinaires des confrères et des élèves, ils dirigeaient leur maison habituellement dans un esprit paternel (ce sujet est largement exposé dans les Annales III,170-194). Après cette date, on commençait à observer que le caractère paternel voulu par Don Bosco chez ses Directeurs et insinué dans le Règlement des maisons et ailleurs commençait à disparaître ; les Directeurs en effet s’occupaient des affaires matérielles, disciplinaires et scolaires, devenant ainsi des Recteurs et non plus des Directeurs. « Nous devons revenir, disait Don Rinaldi, à l’esprit et au concept de Don Bosco, manifestés surtout dans ses “Souvenirs confidentiels” (Annales III,49-53) et dans le Règlement. Le Directeur doit toujours être un Directeur salésien. Excepté le ministère de la confession, rien n’a changé ».
            Don Bertello déplora que les Directeurs aient cru devoir laisser, non seulement la confession, mais aussi le souci spirituel de la maison, se consacrant à des fonctions matérielles. « Espérons, dit-il, que ce n’était qu’une chose passagère. Il faut revenir à l’idéal de Don Bosco, décrit dans le Règlement. Qu’on lise ces articles, qu’on les médite et qu’on les pratique » (Il les cita selon l’édition de l’époque ; dans la présente édition, ce seraient les numéros 156, 157, 158, 159, 57, 160, 91, 195). Don Albera conclut en disant : « C’est une question essentielle pour la vie de notre Société, que l’esprit du Directeur soit conservé selon l’idéal de Don Bosco ; sinon, nous changeons notre manière d’éduquer et nous ne serons plus salésiens. Nous devons tout faire pour conserver l’esprit de paternité, en pratiquant les conseils que Don Bosco nous a laissés : ils nous diront comment il faut faire. Surtout dans les rendements de compte, nous pourrons connaître nos sujets et les diriger. Quant aux jeunes, la paternité ne consiste pas à distribuer des caresses ou des concessions illimitées, mais à s’intéresser à eux, à leur donner la possibilité de venir nous voir. N’oublions pas non plus l’importance du petit mot du soir. Que les prédications soient bien faites et avec cœur. Montrons que nous tenons au salut des âmes et laissons aux autres les rôles odieux. Ainsi, on conservera l’auréole que Don Bosco voulait pour le Directeur. »
            Cette fois encore, les Capitulaires purent visiter à l’Oratoire une Exposition générale des Écoles Professionnelles et Agricoles Salésiennes, la troisième, qui dura du 3 juillet au 16 octobre. Ayant déjà décrit les deux précédentes, je ne m’attarderai pas à répéter à peu près les mêmes choses (Annales III, 452-472). Naturellement, l’expérience passée a servi à une meilleure organisation de l’exposition. Le critère énoncé déjà deux fois par l’organisateur Don Bertello prévalut, à savoir que, selon un ordre voulu par Don Bosco, chaque Exposition de ce genre devait se répéter périodiquement pour la formation et l’encouragement des écoles. L’ouverture et la clôture furent rehaussées par l’intervention des autorités municipales et de représentants du Gouvernement. Les visiteurs ne manquèrent jamais, et parmi eux des personnalités de haut rang et même de véritables compétences. Le dernier jour, le professeur Piero Gribaudi fit au nouveau Recteur Majeur la première présentation d’anciens élèves turinois au nombre d’environ 300. Le Député Cornaggia, dans son discours final, prononça ce jugement digne de rester en mémoire (Bulletin Salésien, nov. 1910, p. 332) : « Celui qui a eu l’occasion d’approfondir l’étude de l’organisation de ces écoles et des concepts qui les inspirent, ne peut qu’admirer la sagesse de ce Grand, qui a compris les besoins des ouvriers dans les conditions des temps nouveaux, prévenant philanthropes et législateurs ».
             À cette exposition participèrent 55 maisons avec un nombre total de 203 sections. L’examen des travaux exposés fut confié à neuf jurys distincts, dont faisaient partie 50 professeurs, artistes et industriels parmi les plus éminents de Turin. L’Exposition devant avoir un caractère exclusivement scolaire, les travaux furent jugés et les prix attribués selon ce critère. Ces prix importants furent offerts par le Pape (une médaille d’or), par le Ministère de l’Agriculture et du Commerce (cinq médailles d’argent), par la Municipalité de Turin (une médaille d’or et deux d’argent), par le Consortium agricole de Turin (deux médailles d’argent), par la « Pro Torino » (une médaille vermeil, une d’argent et deux de bronze), par les anciens élèves du Cercle « Don Bosco » (une médaille d’or), par la Société « Augusta » de Turin (500 lires en matériel typographique à répartir en trois prix), par le Chapitre Supérieur salésien (couronne de laurier en argent doré pour le grand prix). On peut lire ces attributions dans le numéro cité du Bulletin Salésien.
            Il convient de rapporter les dernières lignes du rapport que Don Bertello lut avant la proclamation des lauréats. Il dit : « Il y a environ trois mois, lors de l’inauguration de notre petite Exposition, nous avons déploré la mort du Révérend Don Rua, celui à qui nous avions l’intention de rendre hommage par nos études et nos travaux à l’occasion de son jubilé sacerdotal. La Divine Providence nous a donné un nouveau Supérieur et Père en la personne du Révérend Don Albera. Ainsi, en clôturant l’Exposition, nous déposons entre ses mains nos projets et nos espoirs, sûrs que l’apprenti, qui fut déjà auparavant le premier souci du Vénérable Don Bosco et les délices de Don Rua, aura toujours une place convenable dans l’affection et les sollicitudes de leur Successeur ».
            Ce fut le dernier triomphe de Don Bertello. Un peu plus d’un mois plus tard, le 20 novembre, un malaise soudain mettait fin d’un coup à une existence si active. L’esprit robuste, la solide culture, la fermeté de caractère et la bonté de l’âme firent de lui d’abord un sage Directeur de collège, puis un Provincial assidu et enfin, pendant douze ans, un Directeur Général expérimenté des écoles professionnelles et agricoles salésiennes. Après Dieu, il devait tout à Don Bosco, qui l’avait élevé à l’Oratoire depuis son enfance et l’avait formé à son image et à sa ressemblance.
            Don Albera n’avait pas tardé un instant à accomplir le grand devoir de rendre hommage au Vicaire de Jésus-Christ, à Celui que la Règle appelle « arbitre et premier Supérieur » de la Société. Dès le 1er septembre, il partit pour Rome, où, arrivé le 2, il trouva déjà le billet d’audience pour le matin du 3. Pie X semblait presque impatient de le voir. Des lèvres du Pape, il recueillit quelques expressions aimables, qu’il garda dans son cœur. En remerciant pour l’autographe et la bénédiction, le Pape répondit qu’il avait cru agir ainsi pour faire connaître combien il appréciait l’activité mondiale des Salésiens et ajouta : « Vous êtes nés hier, c’est vrai, mais vous êtes répandus dans le monde entier et partout vous travaillez beaucoup. » Étant informé des victoires déjà obtenues dans les tribunaux contre les calomniateurs de Varazze (Annales III, 729-749), il avertit : « Vigilance, car vos ennemis vous préparent d’autres coups. » Enfin, prié humblement de donner quelques normes pratiques pour le gouvernement de la Société, il répondit : « Ne vous écartez pas des traditions et des usages introduits par Don Bosco et Don Rua. »
            L’année 1910 était déjà terminée et Don Albera n’avait pas encore fait de communication à l’ensemble de la Société. Toutes ces occupations nouvelles pour lui et incessantes, notamment les nombreuses conférences avec les 32 Provinciaux, l’empêchaient toujours de se concentrer à sa table de travail. Ce n’est que dans la première moitié de janvier, comme le montre son journal, qu’il écrivit les premières pages d’une circulaire qu’il fit assez longue. Il l’envoya avec la date du 25. S’excusant du retard à se manifester, après avoir fait mémoire de Don Rua et loué Don Rinaldi pour sa bonne gestion intérimaire de la Société, il s’étendait en détails sur le Chapitre Général, sur sa propre élection, sur la visite au Pape, sur la mort de Don Bertello. En tout, il apparaissait comme un père qui s’entretient familièrement avec ses fils. Il les mit également au courant de ses peines concernant les événements du Portugal. La monarchie ayant été renversée à Lisbonne en octobre 1910, les révolutionnaires avaient pris pour cible les religieux, les attaquant avec une fureur sauvage. Les Salésiens n’eurent pas à déplorer de victimes ; cependant, les confrères du Pinheiro près de Lisbonne passèrent une mauvaise journée. Une bande d’énergumènes envahit et pilla cette maison, non seulement se moquant des prêtres et des clercs, mais aussi profanant d’une manière sacrilège la chapelle et, de manière encore plus sacrilège, dispersant au sol et même piétinant les hosties consacrées. Presque tous les Salésiens durent quitter le Portugal et se réfugièrent en Espagne ou en Italie. Les révolutionnaires occupèrent les écoles et les ateliers, d’où les élèves furent chassés. La persécution s’étendit également aux colonies, si bien qu’il fallut abandonner Macao et le Mozambique, où l’on faisait beaucoup de bien (Annales III, 606 et 622-4). Mais déjà à cette époque, Don Albera pouvait écrire : « Ceux qui nous ont dispersés reconnaissent qu’ils ont privé leur pays des seules écoles professionnelles qu’il possédait. »
            Lui qui avait tant de fois entendu Don Bosco dans les premiers temps de la Société quand il prédisait que ses fils se multiplieraient dans des pays même lointains, et qui voyait alors ces prédictions s’accomplir de façon merveilleuse, ressentait certainement tout le poids de l’immense héritage reçu et considérait que, pour un certain temps, il ne fallait pas se lancer dans de nouvelles œuvres, mais qu’il convenait de s’appliquer à consolider celles qui existaient. Il estimait donc devoir inculquer la même chose à tous les Salésiens : pour y parvenir, comme les Supérieurs ne suffisaient pas, il recommandait vivement la coopération de tous. Comme, par ailleurs, à cette époque, le modernisme tendait des pièges même aux familles religieuses, il mettait en garde les Salésiens, les suppliant de fuir toutes les nouveautés que Don Bosco et Don Rua n’auraient pu approuver.
            En même temps que la circulaire, il envoyait également à chaque maison un exemplaire des circulaires de Don Rua, qui, sur son lit de mort, lui avait confié la tâche de les rassembler en un volume. Le travail typographique était déjà terminé depuis environ deux mois ; en effet, la publication portait en tête une lettre de Don Albera datée du 8 décembre 1910.
            Pour le prochain anniversaire de la mort de Don Bosco, il envoyait donc aux maisons un double cadeau : la circulaire et le livre. À ce livre, il tenait de manière spéciale, car il savait qu’il offrait par là un grand trésor d’ascétique et de pédagogie salésiennes. Il s’était proposé de suivre les traces de Don Rua, se fixant comme objectif particulier d’imiter sa charité et son zèle pour procurer le bien spirituel de tous les Salésiens.

Annales de la Société salésienne, vol. IV (1910-1921), pp. 1-13




Une roue mystérieuse et prophétique (1861)

Le cœur du sage connaît le moment (d’agir) et la manière de répondre (pour rendre compte de ses actions). Il y a un temps pour chaque chose ; mais il y a une grande affliction pour l’homme : ne pas connaître le passé et ne pas pouvoir avoir de nouvelles de l’avenir (Qo 8, 6-7).
Que Don Bosco avait cette connaissance et que les choses passées et futures qui l’intéressaient ne lui étaient pas cachées, nous en avons une nouvelle preuve dans la persuasion qui a inspiré les chroniques de Don Ruffino Domenico, de Don Bonetti Giovanni et les mémoires rédigés par Don Giovanni Cagliero, Don Cesare Chiala et d’autres, tous témoins auriculaires des paroles du serviteur de Dieu. En plein accord, ils nous exposent un autre rêve qu’il a raconté, au cours duquel il a vu son Oratoire de Valdocco et les fruits qu’il produisait, la condition des élèves devant Dieu, ceux qui étaient appelés à l’état ecclésiastique ou à l’état religieux dans la Pieuse Société, ou à vivre dans l’état laïc, et l’avenir de la nouvelle Congrégation.

            Don Bosco a donc rêvé la nuit précédant le 2 mai, et le rêve a duré environ six heures. À l’aube, il s’est levé du lit pour noter les points principaux et les noms de certains des personnages qu’il avait vus passer devant lui pendant qu’il dormait. Il lui a fallu trois soirées consécutives pour le raconter, debout sur l’estrade sous les portiques après les prières. Le 2 mai, il parla pendant environ trois quarts d’heure. L’exorde, comme d’habitude dans ces récits, est apparu quelque peu confus et étrange pour les raisons que nous avons déjà exposées à plusieurs reprises, et pour celles que nous présenterons au jugement de nos lecteurs. Voici comment il a commencé à parler aux jeunes après avoir annoncé le sujet.
            Ce rêve concerne uniquement les étudiants. Beaucoup de choses que j’ai vues ne peuvent être décrites, car ni mon esprit ni mes paroles ne suffisent. Il me semblait que j’étais sorti de ma maison des Becchi. J’étais engagé sur un sentier qui menait à un village près de Castelnuovo, appelé Capriglio. Je voulais me rendre à un champ tout sablonneux qui nous appartenait, dans une petite vallée derrière la maison, appelée Valcappone, dont la récolte suffit à peine à payer les impôts. Là, dans ma jeunesse, j’allais souvent travailler. J’avais déjà parcouru un bon bout de chemin, quand près de ce champ, je rencontrai un homme d’une quarantaine d’années, de taille ordinaire, avec une longue barbe, bien taillée, et brun de visage. Il était vêtu d’un habit qui lui descendait jusqu’aux genoux et était serré aux hanches ; sur la tête, il portait une sorte de bonnet blanc. Il semblait attendre quelqu’un. Cet homme me salua familièrement, comme si j’étais quelqu’un qu’il connaissait depuis longtemps, et me demanda :
            – Où vas-tu ?
            En arrêtant le pas, je lui répondis :
            – Eh ! Je vais voir un champ que nous avons par ici. Et toi, que fais-tu ici ?
            – Ne sois pas curieux, me répondit-il, tu n’as pas besoin de le savoir.
            – Très bien. Mais en attendant, fais-moi le plaisir de me dire ton nom et qui tu es, car je me rends compte que tu me connais. Moi, je ne te connais pas.
            – Il n’est pas nécessaire que je te dise mon nom et mes qualités. Viens. Faisons-nous compagnie.
            Je repris mon chemin avec lui et après quelques pas, je me trouvai devant un vaste champ couvert de figuiers. Mon compagnon me dit :
            – Vois les belles figues qu’il y a ici ? Si tu en veux, prends-en et mange.
            Je répondis, étonné :
            – Il n’y a jamais eu de figues dans ce champ.
            Et lui :
            – Et maintenant, il y en a : les voilà.
            – Mais elles ne sont pas mûres, ce n’est pas encore la saison des figues.
            – Pourtant regarde : il y en a déjà des belles et bien mûres ; si tu en veux, fais vite car il est tard.
            Mais je ne bougeais pas et l’ami insistait :
            – Mais fais vite, ne perds pas de temps, car le soir arrive.
            – Mais pour quelle raison me presser à ce point ? Eh non ! je n’en veux pas ; j’aime les voir, les offrir, mais elles ont peu de goût à mon palais.
            – Si c’est ainsi, allons-nous-en, mais souviens-toi de ce que dit l’Évangile de Saint Matthieu, où il parle des grands événements qui menaçaient Jérusalem. Jésus-Christ disait à ses Apôtres : Ab arbore fici discite parabolam. Cum iam ramus ejus tener fuerit et folia nata, scitis quia prope est aestas (De l’arbre à figues, apprenez la parabole : quand sa branche devient tendre et que les feuilles apparaissent, vous savez que l’été est proche, Mt. 24,32). Et il est d’autant plus proche maintenant que les figues commencent à mûrir.
            Nous reprîmes notre chemin et voilà qu’un autre champ tout planté de vignes apparut. L’inconnu me dit aussitôt :
            – Veux-tu du raisin ? Si les figues ne te plaisent pas, vois là ce raisin : prends-en et mange.
            – Oh ! du raisin, nous en prendrons en temps voulu dans la vigne.
            – Il y en a aussi ici.
            – En temps voulu ! lui répondis-je.
            – Mais ne vois-tu pas là tout ce raisin mûr ?
            – Possible ? à cette saison ?
            – Mais fais vite ! Il se fait tard ; tu n’as pas de temps à perdre.
            – Et pourquoi une telle hâte ? Pourvu qu’à la fin de la journée je sois chez moi le soir.
            – Fais vite, je dis fais vite, car bientôt il fera nuit.
            – Ah ! s’il fait nuit, le jour reviendra.
            – Ce n’est pas vrai, le jour ne reviendra plus.
            – Mais comment ? Que veux-tu dire ?
            – Que la nuit approche.
            – Mais de quel soir parles-tu ? Veux-tu dire que je dois vraiment préparer mon fagot et partir ? Que je dois bientôt m’en aller vers mon éternité ?
            – La nuit approche, tu as peu de temps.
            – Mais dis-moi au moins si ce sera bientôt ! Quand sera-ce ?
            – Ne sois pas si curieux. Non plus sapere quam oportet sapere (Rom. 12,3).
            C’est ce que disait ma mère aux fouineurs, pensai-je en moi-même, et je répondis à haute voix :
            – Pour l’instant, je n’ai pas envie de raisin !
            Entre-temps, nous marchâmes encore un peu ensemble et nous arrivâmes au bout de notre propriété, où nous trouvâmes mon frère Giuseppe qui chargeait une charrette. En s’approchant, il me salua, puis il salua mon compagnon. Mais voyant que celui-ci ne répondait pas au salut et ne lui prêtait pas attention, il me demanda s’il était mon condisciple à l’école.
            – Non, je ne l’ai jamais vu, répondis-je.
            Alors il lui adressa de nouveau la parole :
            – S’il vous plaît, dites-moi votre nom ; faites-moi l’honneur d’une réponse : que je sache avec qui je parle. – Mais l’autre ne l’écoutait pas. Mon frère, étonné, se tourna vers moi pour m’interroger.
            – Mais qui est cet homme ?
            – Je ne sais pas, il n’a pas voulu me le dire ! – Nous insistâmes tous deux encore un peu pour savoir d’où il venait, mais l’autre répétait toujours : Non plus sapere quam oportet sapere.
            Entre-temps, mon frère s’était éloigné et je ne le vis plus, et l’inconnu se tourna vers moi et me dit :
            – Veux-tu voir quelque chose de singulier ?
            – Je le verrai volontiers, répondis-je.
            – Veux-tu voir tes garçons tels qu’ils sont actuellement ? Ce qu’ils seront à l’avenir ? Et veux-tu les compter ?
            – Oh oui, oui.
            – Viens donc.

Première partie
            Alors il sortit, je ne sais d’où, une grosse machine, que je ne saurais décrire, qui avait dedans une grande roue et qu’il planta au sol.
            – Que signifie cette roue ? demandai-je.
            On me répondit :
            – L’Éternité dans les mains de Dieu ! – Et il prit la manivelle de cette roue et la fit tourner. Puis il me dit :
            – Prends le manche et fais faire un tour.
            Je le fis. Puis il me dit :
            – Maintenant regarde là-dedans.
            J’observai la machine et vis qu’il y avait une grande plaque de verre en forme de lentille, large d’environ un mètre et demi, qui se trouvait au milieu de la machine, fixé à la roue. Autour de cette lentille était écrit : Hic est oculus qui humilia respicit in coelo et in terra (Ps 112,6). Aussitôt, je mis mon visage sur cette lentille. Je regardai. Quel spectacle ! Je vis là-dedans tous les jeunes de l’Oratoire. – Mais comment est-ce possible ? disais-je en moi-même. Jusqu’à présent, je n’avais vu personne dans cette région et maintenant je vois tous mes fils ! Ne sont-ils pas tous à Turin ? – Je regardai au-dessus et sur les côtés de la machine, mais en dehors de cette lentille, je ne voyais rien. Je levai le visage pour dire mon étonnement à cet ami, mais après un instant, il m’ordonna de donner un second tour à la manivelle et je vis une séparation singulière et étrange parmi les jeunes. Les bons séparés des mauvais. Les premiers étaient rayonnants de joie. Les seconds, qui n’étaient pas nombreux, faisaient pitié. Je les reconnus tous, mais comme ils étaient différents de ce que leurs camarades pensaient d’eux ! Certains avaient la langue percée, d’autres les yeux douloureusement déformés, d’autres étaient oppressés par des maux de tête dus à des ulcères répugnants, d’autres avaient le cœur rongé par des vers. Plus je les regardais, plus je me sentais affligé en disant : – Mais est-il possible que ceux-ci soient mes fils ? Je ne comprends pas ce que veulent signifier ces étranges maladies.
            À mes paroles, celui qui m’avait conduit vers la roue me dit :
            – Écoute-moi. La langue percée signifie les mauvais discours ; les yeux déformés ceux qui interprètent et apprécient de manière tordue les grâces de Dieu, préférant la terre au ciel ; la tête malade est le mépris de tes conseils, la satisfaction des caprices ; les vers sont les passions malveillantes qui rongent les cœurs. Il y a aussi des sourds qui ne veulent pas entendre tes paroles pour ne pas les mettre en pratique.
            Puis il me fit un signe et je donnai un troisième tour à la roue, les yeux fixés sur la lentille de l’appareil. Il y avait quatre jeunes liés avec de grosses chaînes. Je les observai attentivement et je les reconnus tous. Je demandai une explication à l’inconnu qui me répondit :
            – Tu peux le savoir facilement : ce sont ceux qui n’écoutent pas tes conseils et, s’ils ne changent pas de comportement, ils sont en danger d’être mis en prison et d’y pourrir à cause de leurs crimes ou de graves désobéissances.
            – Je veux noter leur nom pour ne pas l’oublier, dis-je ; mais l’ami répondit :
            – Ce n’est pas nécessaire ; ils sont tous notés, les voici écrits dans ce carnet !
            Je remarquai alors un petit livre qu’il tenait à la main. Il me commanda de donner un autre tour. J’obéis et me remis à regarder. On voyait sept autres jeunes, qui se tenaient tous fiers, dans une attitude méfiante, avec un cadenas à la bouche qui fermait leurs lèvres. Trois d’entre eux se bouchaient aussi les oreilles avec les mains. Je me relevai à nouveau en cessant de regarder la plaque ; je voulais sortir le carnet pour noter avec un crayon leurs noms, mais cet homme dit :
            – Ce n’est pas nécessaire ; les voici notés sur ce carnet, qui ne me quitte jamais.
            Et il ne voulut absolument pas que j’écrive. Moi, stupéfait et affligé par cette étrangeté, je demandai pourquoi le cadenas serrait les lèvres de certains. Il me répondit :
            – Tu ne comprends pas ? Ce sont ceux qui se taisent.
            – Mais que taisent-ils ?
            – Ils se taisent !
            Alors je compris que cela voulait signifier ce qui concerne la confession. Ce sont ceux qui, même interrogés par le confesseur, ne répondent pas, ou répondent de manière évasive, ou contre la vérité. Ils répondent non, quand c’est oui.
            L’ami continua :
            – Vois ces trois-là : en plus du cadenas à la bouche, ils ont les mains sur les oreilles ? Quelle est déplorable leur condition ! Ce sont ceux qui non seulement se taisent en confession, mais ne veulent en aucune manière écouter les avertissements, les conseils, les commandements du confesseur. Ce sont ceux qui ont entendu tes paroles, mais ne les ont pas écoutées, n’y ont pas prêté attention. Ils pourraient baisser leurs mains, mais ils ne veulent pas. Les quatre autres ont écouté tes exhortations, recommandations, mais n’en ont pas profité.
            – Et comment doivent-ils faire pour se débarrasser de ce cadenas ?
            – Ejiciatur superbia e cordibus eorum (en chassant l’orgueil de leur cœur).
            – J’aviserai tous ceux-là, mais pour ceux qui ont les mains sur les oreilles, il y a peu d’espoir.
            Cet homme me donna ensuite un conseil : sur deux mots dits pendant le sermon, que l’un soit sur la manière de bien faire les confessions. Je promis que j’obéirais. Je ne veux pas dire que je suivrai ce conseil à la lettre, car je deviendrais ennuyeux, mais je ferai tout mon possible pour inculquer souvent cette recommandation nécessaire. En effet, ceux qui se damnent en se confessant sont plus nombreux que ceux qui se damnent pour ne pas se confesser, car même les plus mauvais se confessent parfois, mais beaucoup ne se confessent pas bien.
            Ce personnage mystérieux me fit donner un autre tour de roue.
            Aussitôt dit, aussitôt fait. Je regardai et vis trois autres jeunes dans une attitude effrayante. Chacun avait un gros singe sur les épaules. J’observai attentivement et vis que les singes avaient des cornes. Chacune de ces horribles bêtes, avec ses pattes de devant, serrait un malheureux au cou tellement fort qu’il devenait tout rouge, son visage était enflammé et ses yeux sortaient presque de leurs orbites, injectés de sang ; avec ses pattes arrière, il le serrait aux cuisses de sorte qu’il pouvait à peine bouger ; avec la queue, qui allait jusqu’au sol, il l’enroulait autour des jambes, ce qui lui rendait la marche plus difficile et presque impossible. Cela signifiait que ces jeunes, après les exercices spirituels, sont en cas de péché mortel, spécialement d’impureté et d’immodestie, coupables de matière grave contre le sixième commandement. Le démon les serrait au cou, ne les laissant pas parler quand ils devraient. Il les faisait rougir au point qu’ils perdaient la tête et ne savaient plus ce qu’ils faisaient, restant ensuite liés par une honte fatale, qui au lieu de les conduire au salut les mène à la perdition. En les errant, il leur faisait sortir les yeux de la tête, de sorte qu’ils ne sont pas capables de voir leur misère, et les moyens de sortir de cet horrible état, car retenus par une peur et une répugnance terrifiantes à l’égard des Sacrements. Il les tenait ensuite serrés aux cuisses et aux jambes, afin qu’ils ne puissent plus marcher, ni faire un pas pour se mettre sur le chemin du bien. La force de la passion était telle à cause de l’habitude qu’ils croyaient que leur amendement était impossible.
            Je vous assure, mes chers jeunes, que j’ai pleuré à ce spectacle. J’aurais voulu me lancer en avant pour aller libérer ces malheureux, mais à peine m’éloignais-je de la lentille que je ne voyais plus rien. Je voulus alors noter le nom de ces trois, mais l’ami répliqua :
            – Chose inutile car ils sont écrits dans ce livre que je tiens à la main.
            Alors, le cœur plein d’une émotion indicible, les larmes aux yeux, je me tournai vers le compagnon et dis :
            – Mais comment ? C’est donc dans cet état que sont ces pauvres jeunes, pour lesquels j’ai dépensé tant de paroles, j’ai utilisé tant de soins en confession et hors de la confession ? – Et je demandai comment ces jeunes devaient faire pour se débarrasser de cet horrible monstre. Il se mit à dire rapidement et en marmonnant : Labor, sudor, fervor (Travail, sueur, ferveur).
            – Je ne comprends pas, parle plus clairement.
            Il répéta à nouveau, mais toujours en marmonnant :
            – Labor, sudor, fervor.
            – C’est inutile ; si tu parles ainsi, je ne comprends pas.
            – Oh ! tu veux te moquer de moi.
            – Quoi qu’il en soit, je répète que je ne comprends pas.
            – Mais quoi, tu es habitué à la grammaire et aux constructions des phrases à l’école. Sois attentif ! Labor, point-virgule ; Sudor, point-virgule ; Fervor, point. As-tu compris ?
            – J’ai compris matériellement les mots, mais il faut que tu m’en donnes l’explication.
            – Labor in assiduis operibus ; Sudor in poenitentiis continuis ; Fervor in orationibus ferventibus et perseverantibus (Travail dans un agir assidu ; Sueurs dans des pénitences continuelles ; Ferveur dans des prières ferventes et persévérantes). Mais pour ce genre de jeunes, tu as beau te sacrifier, tu ne réussiras pas à les gagner, car ils ne veulent pas secouer le joug de Satan dont ils sont les esclaves.
            En attendant, je regardais et continuais à m’inquiéter en pensant : – Mais comment ! Tous ceux-là sont donc perdus ? Est-ce possible ! Même après les exercices spirituels… ceux-là… après que j’ai tant fait pour eux… après avoir tant travaillé… après tant de prédications… après tant de conseils que je leur ai donnés… et tant de promesses !… Après les avoir avertis tant de fois… Je ne m’attendais jamais à un tel désenchantement. Et tout cela ne pouvait me donner la de paix.
            Alors mon interprète commença à me réprimander.
            – Oh quel orgueilleux ! Voyez cet orgueilleux ! Et qui es-tu donc pour prétendre convertir parce que tu travailles ? Parce que tu aimes tes jeunes, tu prétends les voir tous répondre à tes intentions ? Te crois-tu supérieur à notre divin Sauveur dans l’amour des âmes, dans le travail et la souffrance pour elles ? Crois-tu que ta parole doit être plus efficace que celle de Jésus-Christ ? Prêches-tu mieux que lui ? Crois-tu avoir employé plus de charité, plus de soin envers tes jeunes, que celui qu’a eu le Sauveur envers ses apôtres ? Tu sais qu’ils vivaient avec lui continuellement, étaient comblés à chaque instant de toutes sortes de ses bienfaits, entendaient jour et nuit ses avertissements et les préceptes de sa doctrine, voyaient ses actions qui devaient être un vif stimulant pour la sanctification de leurs mœurs. Que n’a-t-il pas fait et dit à propos de Judas ! Et pourtant Judas le trahit et mourut impénitent. Es-tu donc plus que les apôtres ? Les apôtres élurent sept diacres ; ils n’étaient que sept, choisis avec soin, et pourtant l’un d’eux prévariqua ! Et toi, sur cinq cents, tu t’étonnes du petit nombre qui ne répond pas à tes soins ? Prétends-tu réussir à n’en avoir aucun de mauvais, aucun qui soit pervers ? Oh l’orgueilleux ! – À ces mots, je me tus, mais non sans sentir mon âme oppressée par la douleur.
            – Cependant, console-toi, reprit cet homme en me voyant tellement abattu, et il me fit donner un autre tour à la roue en reprenant : – Vois combien Dieu est généreux ! Regarde combien d’âmes il veut te donner ! Vois-tu là ce grand nombre de jeunes ?
            Je me remis à regarder dans la lentille et vis une très grande foule de jeunes que je n’avais jamais connus de ma vie.
            – Oui, je les vois, répondis-je, mais je ne les connais pas.
            – Eh bien, ce sont ceux que le Seigneur te donnera en compensation de ces quatorze qui ne répondent pas à tes soins. Sache que pour chacun d’eux, le Seigneur t’en donnera cent.
            – Ah ! pauvre de moi, m’écriai-je, j’ai déjà la maison pleine, où mettrai-je tous ces nouveaux jeunes ?
            – Ne t’inquiète pas ! Pour le moment, il y a de la place. Plus tard, Celui qui te les envoie sait où tu les mettras. Lui-même trouvera les places.
            – Mais ce n’est pas tant la place qui me dérange, c’est le réfectoire qui me donne sérieusement à réfléchir.
            – Laisse tomber les plaisanteries, le Seigneur pourvoira.
            – Si c’est ainsi, je suis très content, répondis-je tout consolé.
            Et en observant longuement et avec une vive satisfaction tous ces jeunes, je retins les physionomies de beaucoup d’entre eux, de manière à pouvoir les reconnaître, si je les croisais.
            Et c’est ainsi que Don Bosco finit de parler le soir du 2 mai.
           
Deuxième partie
            La soirée du 3, il reprenait son récit. Dans la plaque de cristal, il avait également contemplé le spectacle de la vocation de chacun de ses élèves. Il fut concis et vibrant dans ses paroles. Il ne mentionna aucun nom et remit à un autre moment le récit des questions qu’il avait posées à son guide et les explications entendues, concernant certains symboles ou allégories qui lui étaient passées devant les yeux. Cependant, le clerc Ruffino en recueillit plusieurs grâce aux confidences des jeunes eux-mêmes, à qui Don Bosco avait expliqué en privé ce qu’il avait vu à leur sujet ; c’est lui qui nous en a transmis la relation. Celle-ci fut écrite en 1861.
            Quant à nous, pour plus de clarté dans l’exposition et pour ne pas être contraints à trop de répétitions, nous en ferons un tout, introduisant dans le récit les noms omis et les explications données, le plus souvent sans forme de dialogue. Cependant, nous serons exacts en rapportant à la lettre ce que le chroniqueur a écrit.
            Don Bosco commença à parler ainsi.
            L’inconnu était près de sa machine avec la roue et la lentille. Je m’étais réjoui en voyant tant de jeunes qui viendraient avec nous, quand on me dit :
            – Veux-tu encore voir un des plus beaux spectacles ?
            – Très volontiers !
            – Fais tourner la roue ! – Je la tournai, je regardai dans la lentille et je vis tous mes jeunes divisés en deux grosses troupes, quelque peu distantes l’une de l’autre, sur une même vaste région. D’un côté, je vis un terrain cultivé en légumes, herbes et prairies, avec quelques rangées de vignes sauvages sur la rive. Là, les jeunes d’une de ces deux troupes travaillaient la terre avec des bêches, des houes, des pioches à deux pointes, des râteaux, des pelles. Ils étaient dispersés en équipes avec leurs supérieurs. À leur tête il y avait le chevalier Oreglia di S. Stefano qui distribuait des outils agricoles de toutes sortes à ceux qui bêchaient, et il faisait travailler ceux qui en avaient peu envie. Au loin, au fond de ce terrain, je vis aussi des jeunes qui semaient.
            La seconde troupe se trouvait de l’autre côté dans un vaste champ de blé couvert d’épis dorés. Un long fossé servait de frontière entre celui-ci et d’autres champs cultivés qui se perdaient de chaque côté à l’horizon lointain. Ces jeunes travaillaient à récolter la moisson, mais tous ne faisaient pas le même travail. Beaucoup moissonnaient et faisaient des gros tas ; certains formaient des gerbes, d’autres glanaient, d’autres conduisaient une charrette, d’autres battaient, d’autres affûtaient les faux, d’autres les affilaient, d’autres les distribuaient, d’autres jouaient de la guitare. Je vous assure que c’était une belle scène, d’une variété surprenante.
            Dans ce champ, à l’ombre de vieux arbres, on voyait des tables avec la nourriture nécessaire pour tout ce monde ; et plus loin, un vaste et magnifique jardin clos, ombragé et riant, rempli de toutes sortes de parterres de fleurs.
            La séparation des cultivateurs de la terre et des moissonneurs indiquait ceux qui embrassaient l’état ecclésiastique et ceux qui ne le faisaient pas. Cependant, je ne comprenais pas le mystère et me tournant vers mon guide, je lui demandai :
            – Que veut dire   cela ? Qui sont ceux qui bêchent ?
            – Tu ne sais pas encore ces choses ? me fut répondu ; ceux qui bêchent sont ceux qui travaillent seulement pour eux-mêmes, c’est-à-dire qui ne sont pas appelés à l’état ecclésiastique, mais à un état laïque. – Et je compris tout de suite que ceux qui bêchaient étaient les apprentis, à qui il suffit de penser à sauver leur âme, sans avoir l’obligation spéciale de s’employer au salut de celle des autres.
            – Et ceux qui moissonnent, qui sont de l’autre côté du champ ? Je compris sans aucun doute que c’étaient ceux qui étaient appelés à l’état ecclésiastique. Et maintenant je sais qui doit devenir prêtre, et qui doit embrasser une autre carrière.
            Je contemplais avec une vive curiosité ce champ de blé. Provera distribuait les faux aux moissonneurs et cela indiquait qu’il pourrait devenir Directeur de Séminaire ou de Communauté religieuse ou de maison d’étude, ou peut-être même quelque chose de plus. Il convient de noter que tous ceux qui travaillaient ne prenaient pas la faux de lui, car ceux qui la demandaient étaient ceux qui feraient partie de notre Congrégation. Les autres la recevaient de certains distributeurs, qui n’étaient pas des nôtres et cela voulait signifier qu’ils deviendraient prêtres, mais pour se consacrer au Saint Ministère en dehors de l’Oratoire. La faux est le symbole de la parole de Dieu.
            À tous ceux qui la voulaient, Provera ne donnait pas immédiatement la faux. Certains étaient envoyés par lui à manger d’abord, l’un un morceau, l’autre deux morceaux, c’est-à-dire celui de la piété et celui de l’étude. Rossi Giacomo fut envoyé en prendre un. Certains se rendaient dans le bosquet où se trouvait le clerc Durando qui faisait beaucoup de choses et, entre autres, préparait la table pour les moissonneurs et leur donnait à manger. Cette fonction indiquait ceux qui sont destinés de manière spéciale à promouvoir la dévotion envers le Saint-Sacrement. Pendant ce temps, Galliano Matteo s’affairait à apporter à boire aux moissonneurs.
            Costamagna alla aussi prendre une faux mais il fut envoyé par Provera dans le jardin pour cueillir deux fleurs. Il en fut de même pour Quattroccolo. À Rebuffo il fut dit de cueillir trois fleurs avec la promesse qu’ensuite la faux lui serait mise en main. Il y avait aussi Olivero.
            Pendant ce temps, on voyait tous les autres jeunes dispersés ici et là au milieu des épis. Beaucoup étaient disposés en ligne ; certains avaient devant eux une faux large, d’autres une moins large. Don Ciattino, curé de Maretto, moissonnait avec une faux reçue de Provera. Don Francesia et Vibert coupaient le blé. Moissonnaient aussi Perucatti Giacinto, Merlone, Momo, Garino, Iarach, qui sauveraient les âmes par la prédication, s’ils correspondaient à leur vocation. Certains coupaient plus et d’autres moins. Bondioni moissonnait comme un désespéré, mais est-ce qu’une action violente pourra durer ? D’autres donnaient de la faux dans le blé avec toute leur force, mais ne coupaient jamais rien. Vaschetti prit une faux et se mit à couper sans arrêt, jusqu’à ce qu’il sorte du champ et aille travailler ailleurs. À d’autres, il arriva la même chose. Parmi ceux qui moissonnaient, beaucoup n’avaient pas la faux affilée ; à d’autres faux manquait la pointe. Certains l’avaient si abîmée que, voulant néanmoins moissonner, ils déchiraient et abîmaient tout.
            Ruffino Domenico moissonnait ; on lui avait assigné une faux très large et sa faux coupait bien ; elle avait seulement le défaut qu’il lui manquait la pointe, symbole de l’humilité : c’était le désir de tendre à un grade plus élevé parmi les égaux. Il allait chez Cerruti Francesco pour la faire marteler. En effet, j’observai Cerruti qui martelait les faux, indice qu’il devait mettre dans les cœurs la science et la piété, ce qui sous-entendait qu’il deviendrait un enseignant. Le martelage était la fonction de celui qui se consacre à l’enseignement du clergé et Provera lui confiait les faux abîmées. À Don Rocchietti et à d’autres, il remettait celles qui avaient besoin d’être affûtées, telle étant leur occupation. La mission d’affûter était propre à celui qui forme le clergé à la piété. Viale se présenta et alla prendre une faux qui n’était pas affilée, mais Provera voulut lui en donner une autre tranchante, passée sur la meule. Je vis aussi un forgeron, qui devait préparer les fers agricoles et celui-ci était Costanzo.
            Pendant que tout ce travail compliqué battait son plein, Fusero faisait les gerbes, et cela voulait dire conserver les consciences dans la grâce de Dieu ; mais en venant encore plus au particulier et en prenant les gerbes non pas comme images des simples fidèles, mais de ceux qui sont destinés à l’état ecclésiastique, on comprenait qu’il occuperait un poste d’enseignant dans l’instruction des clercs.
            Il y avait ceux qui l’aidaient à lier les gerbes et je me souviens d’avoir vu parmi les autres Don Turchi et Ghivarello. Ce sont ceux qui sont destinés à ajuster les consciences, comme le ferait un confesseur, en particulier pour ceux qui sont affectés ou aspirants à l’état ecclésiastique.
            D’autres transportaient les gerbes sur une charrette, qui représentait la grâce de Dieu. Les pécheurs convertis doivent monter dessus, pour s’engager sur le droit chemin du salut, qui a pour terme le ciel. La charrette se mit en mouvement lorsqu’elle fut pleine de gerbes. Elle était tirée non par des jeunes, mais par des bœufs, symbole de force persévérante. Il y avait ceux qui les conduisaient. Don Rua précédait la charrette et la guidait et cela veut dire qu’il aurait comme tâche de guider les âmes vers le ciel. Don Savio venait derrière avec le balai pour ramasser les épis et les gerbes qui tombaient.
            Dispersés dans le champ, on voyait ceux qui glanaient, parmi lesquels Bonetti Giovanni et Bongiovanni Giuseppe, c’est-à-dire ceux qui ramassaient les pécheurs obstinés. Bonetti, en particulier, est appelé par le Seigneur de manière particulière à chercher ces malheureux échappés de la faux des moissonneurs.
            Avec Fusero, Anfossi dressait sur le champ des tas de gerbes de blé coupé, destiné à être battu au moment opportun, ce qui était peut-être l’indice d’une future chaire d’enseignement. D’autres comme Don Alasonatti formaient les meules et ce sont ceux qui administrent les deniers, veillent à l’exécution des règles, enseignent les prières et le chant des louanges sacrées, c’est-à-dire qui travaillent, matériellement et moralement, à mettre les âmes sur le chemin du paradis.
            Un lopin de terre apparaissait nivelé et aménagé pour y battre le grain. Don Cagliero Giovanni, qui était d’abord allé dans le jardin cueillir des fleurs et les avait distribuées à ses camarades, se rendit dans cette aire pour battre le blé avec son bouquet à la main. Battre le blé se réfère à ceux qui sont destinés par Dieu à s’occuper de l’instruction du bas peuple.
            À distance, on voyait plusieurs fumées noires s’élever vers le ciel. C’était l’œuvre de ceux qui ramassaient l’ivraie et, sortis du champ occupé par les épis, la mettaient en tas et la brûlaient. Ce sont ceux qui sont spécialement destinés à enlever les mauvais du milieu des bons, indiquant les directeurs de nos futures maisons. Parmi eux on reconnaissait Don Cerruti Francesco, Tamietti Giovanni, Belmonte Domenico, Albera Paolo et d’autres qui, encore jeunes, étudient dans les premières classes du collège.
            Toutes les scènes décrites ci-dessus se déroulaient en même temps et je vis parmi cette multitude de jeunes certains qui portaient une lampe à la main pour éclairer même en plein midi. Ce sont ceux qui donneront le bon exemple aux autres ouvriers de l’évangile et qui devront éclairer le clergé. Parmi eux se trouvait Albera Paolo qui, en plus d’avoir la lampe, jouait aussi de la guitare ; et cela signifie qu’il montrera le chemin aux prêtres, et leur donnera du courage pour avancer dans leur mission. C’était une allusion à quelque haute charge qui sera occupée par lui dans l’Église.
            Cependant, au milieu de tout ce mouvement, tous les jeunes que je voyais n’étaient pas occupés à un travail. L’un d’eux tenait un pistolet à la main, c’est-à-dire qu’il aspirait à la carrière militaire ; il ne s’était cependant pas encore décidé.
            Certains, les mains sur les hanches, observaient ceux qui moissonnaient, résolus à ne pas imiter leur exemple ; certains se montraient indécis, mais sentant la fatigue, ne savaient pas s’ils devaient se résoudre eux aussi à moissonner. D’autres, en revanche, couraient pour prendre la faux. Mais certains, une fois arrivés là, restaient oisifs. D’autres utilisaient la faux en la tenant à l’envers et parmi eux Molino. Ce sont ceux qui font le contraire de ce qu’ils doivent faire. Il y avait parmi eux, et j’en comptais beaucoup, qui s’éloignaient pour aller ramasser des lambrusques : ce sont ceux qui perdent leur temps en des choses étrangères à leur ministère.
            Pendant que je contemplais ce qui se passait dans le champ de blé, je voyais l’autre groupe de jeunes qui bêchaient, offrant lui aussi un spectacle singulier. La plupart de ces jeunes robustes travaillaient de toute leur force, mais il ne manquait pas les négligents. Certains manœuvraient la houe à l’envers ; d’autres frappaient les mottes, mais la houe était toujours hors de terre ; à certains, à chaque coup de houe, le fer échappait du manche. Le manche signifie la bonne intention.
            Ce que j’observai alors, c’est que certains, qui sont maintenant apprentis, étaient sur le champ de blé qu’ils moissonnaient, et d’autres qui étudient maintenant, étaient là à bêcher. J’essayai à nouveau de prendre note de chaque détail, mais mon interprète me montrait toujours son carnet et m’empêchait d’écrire.
            En même temps, je voyais un très grand nombre de jeunes qui étaient là sans rien faire, ne sachant se déterminer s’ils devaient se mettre à moissonner ou à bêcher. Les deux Dalmazzo, Gariglio Primo, Monasterolo avec beaucoup d’autres regardaient mais étaient prêts à prendre une décision.
            Continuant à observer, je distinguai parmi ceux qui sortaient du milieu de ceux qui bêchaient, ceux qui voulaient aller moissonner. L’un courut dans le champ de blé si imprudemment qu’il ne pensa pas à se procurer d’abord une faux. Rougissant de cette précipitation stupide, il retourna en arrière pour en demander une. Celui qui les distribuait ne voulait pas lui en donner et il la réclamait :
            – Ce n’est pas encore le moment, lui dit le distributeur.
            – Si, c’est le moment, je la veux.
            – Non, va d’abord prendre deux fleurs dans ce jardin.
            – Ah ! s’exclama le présomptueux en haussant les épaules, j’irai prendre des fleurs tant qu’on en voudra.
            – Non, seulement deux.
            Il courut aussitôt, mais quand il fut dans le jardin, il pensa qu’il n’avait pas demandé quelles fleurs il devait prendre, et il se hâta de refaire le chemin.
            – Tu prendras, lui fut répondu, la fleur de la charité et la fleur de l’humilité.
            – Je les ai déjà.
            – Tu les as par présomption, mais en réalité, tu ne les as pas.
            Et ce jeune se disputait, s’énervait, sautait de colère tout agité.
            – Ce n’est plus le temps maintenant de se mettre en colère, lui dit le distributeur, lui refusant résolument la faux. Et celui-ci se mordait les poings de rage.
            Au vu de ce dernier spectacle, je détournai les yeux un instant de la lentille, qui m’avait appris tant de choses, ému aussi par les applications morales qui m’avaient été suggérées par mon ami. Voulant encore le prier de me donner quelques explications, il me répéta :
            – Le champ de blé signifie l’Église ; la moisson, le fruit récolté ; la faux est le symbole des moyens pour faire du fruit et spécialement la parole de Dieu ; la faux sans fil est le manque de piété ; sans pointe, c’est le manque d’humilité ; sortir du champ en moissonnant signifie abandonner l’Oratoire et la Pieuse Société.

Troisième partie
            La soirée du 4 mai, Don Bosco arrivait à la conclusion de son rêve. Dans le premier tableau, il avait vu l’Oratoire avec ses élèves, en particulier les étudiants ; dans le second, ceux qui étaient appelés à l’état ecclésiastique. Nous sommes maintenant au troisième tableau dans lequel, à travers des visions successives, apparaissaient ceux qui, en cette année 1861, étaient inscrits à la Pieuse Société de Saint François de Sales, avec une vue sur le développement prodigieux de celle-ci, et avec la disparition progressive des premiers Salésiens, auxquels succédaient les continuateurs de leur Œuvre.
            Don Bosco parla ainsi.
            Après avoir considéré à mon aise la scène de la moisson riche de tant de variétés, cet aimable inconnu me commanda :
            – Maintenant fais tourner la roue dix fois ; compte et puis regarde.
            Je me mis à faire tourner la roue et, après avoir complété le dixième tour, je regardai. Et voilà que je vis tous ces jeunes, que je me rappelais avoir caressés quelques jours auparavant, apparaître en adultes, d’apparence virile, certains avec une longue barbe, d’autres avec des cheveux grisonnants.
            – Mais comment cela se fait-il ? demandai-je. L’autre jour celui-là était un enfant et on pouvait presque encore le porter dans les bras, et maintenant il est déjà si grand ?
            L’ami me répondit :
            – C’est naturel, combien de tours as-tu comptés ?
            – Dix.
            – Eh bien : 61 et 71. Ils comptent déjà tous dix ans de plus.
            – Ah, j’ai compris ! Et j’observai au fond de la lentille des panoramas inconnus, des maisons nouvelles qui nous appartenaient et de nombreux jeunes élèves sous la direction de mes chers fils de l’Oratoire, déjà prêtres, enseignants et directeurs qui les instruisaient et ensuite les faisaient s’amuser.
            – Fais encore dix tours, me dit le personnage, et nous serons en 1881. Je pris la manivelle et la roue fit dix autres tours. Je regardai et voilà que je vis à peine la moitié des jeunes que j’avais vus la première fois, presque tous avec des cheveux gris et certains un peu courbés.
            – Et les autres, où sont-ils ? demandai-je.
            – Ils sont déjà, me fut-il répondu, dans le nombre de ceux qui ne sont plus.
            Cette diminution si notable de mes jeunes me causa un vif chagrin, mais je restai consolé en voyant aussi, comme dans un immense tableau, des pays nouveaux et des régions inconnues et une multitude de jeunes sous la garde et la direction de nouveaux maîtres qui dépendaient encore de mes anciens jeunes, dont certains avaient atteint l’âge mûr.
            Puis je donnai encore dix tours à la roue, et voilà que je ne vis plus qu’un quart des jeunes que j’avais vus quelques instants auparavant, plus vieux avec la barbe et les cheveux blancs.
            – Et tous les autres ? demandai-je.
            – Ils sont déjà dans le nombre de ceux qui ne sont plus. Nous sommes en 1891.
            Et voilà qu’une autre scène émouvante se produisit sous mes yeux. Mes fils prêtres, usés par les fatigues, étaient entourés d’enfants que je n’avais jamais vus, et beaucoup étaient de peau et de couleur différentes de celle des habitants de nos pays.
            Je fis encore dix fois tourner la roue et je vis seulement un tiers de mes premiers jeunes, déjà vieux, courbés, défigurés, maigrichons, en fin de vie. Parmi eux, je me souviens d’avoir vu Don Rua si vieux et si chétif qu’on ne pouvait plus le reconnaître tant il avait changé.
            – Et tous les autres ? demandai-je.
            – Ils sont déjà du nombre de ceux qui ne sont plus. Nous sommes en 1901.
            Dans beaucoup de maisons, je ne reconnus plus personne de nos anciens, mais des directeurs et des maîtres que je n’avais jamais vus et une multitude toujours plus nombreuse de jeunes, de maisons, de personnels dirigeants merveilleusement accrus.
            – Maintenant, continua à me dire mon aimable interprète, tu feras encore dix tours et tu verras des choses qui te consoleront et des choses qui te tourmenteront.
            Je fis encore dix tours.
            – Voici 1911 ! s’exclama cet ami mystérieux. Ah ! mes chers jeunes ! je vis des maisons nouvelles, des jeunes nouveaux, des directeurs et des maîtres avec des vêtements et des costumes nouveaux.
            Et qu’en est-il de mes amis de l’Oratoire de Turin ? Je cherchai sans arrêt au milieu de cette multitude de jeunes, et je n’en reconnus plus qu’un seul de vous autres, grisonnant et tombant sous le poids des années, entouré d’une belle couronne d’enfants auxquels il racontait les débuts de notre Oratoire et leur rappelait et répétait les choses apprises de Don Bosco ; et il montrait son portrait accroché aux murs de leur parloir. Et les autres anciens élèves, les supérieurs des maisons, que j’avais déjà vus vieux ?…
            Après un nouveau signe, je pris la manivelle et tournai plusieurs fois. Je ne vis qu’une vaste solitude sans âme qui vive.
            – Oh ! m’exclamai-je, je ne vois plus personne de mes amis ! Et où donc sont maintenant tous les jeunes qui furent accueillis par moi, si joyeux, vifs et robustes, et qui se trouvent actuellement avec moi à l’Oratoire ?
            – Ils sont du nombre de ceux qui furent. Sache que dix ans se sont écoulés à chaque dixième tour de roue.
            Je comptai alors combien de fois j’avais fait faire dix tours à la roue et il en résulta qu’il s’était écoulé cinquante ans et qu’autour de 1911, tous les jeunes actuels de l’Oratoire seraient déjà morts.
            Et maintenant veux-tu encore voir quelque chose de surprenant ? me dit cet homme bienveillant.
            – Oui, répondis-je.
            – Alors fais attention si tu veux voir et en savoir plus. Fais tourner la roue dans le sens inverse, en comptant autant de tours que tu en as donnés auparavant.
            La roue tourna.
            – Maintenant regarde, me dit-on.
            Je regardai, et voilà que j’eus devant moi une quantité immense de jeunes, tous nouveaux, d’une infinie variété de costumes, de pays, de traits et de langages, si bien que, malgré tous mes efforts, je ne pus distinguer qu’une minime partie avec leurs supérieurs, directeurs, maîtres et assistants.
            – Ceux-ci me sont complètement inconnus, dis-je à mon guide.
            – Et pourtant, me dit-on, ce sont tous tes fils. Écoute-les parler de toi et de tes anciens fils et de leurs supérieurs qui ne sont plus depuis longtemps ; ils se rappellent les enseignements reçus de toi et d’eux.
            Je regardai encore avec attention. Mais lorsque je levai le visage de la lentille, la roue se mit à tourner d’elle-même avec tant de rapidité et de fracas, que je me réveillai en me retrouvant dans mon lit, épuisé, comme mort.
            Maintenant que je vous ai raconté toutes ces choses, vous penserez : qui sait, Don Bosco est un homme extraordinaire, quelqu’un de grand, un saint sûrement ! Mes chers jeunes ! Pour éviter des jugements sots sur moi, je vous laisse à tous pleine liberté de croire ou de ne pas croire ces choses, de leur donner plus ou moins d’importance. Je recommande seulement de ne rien tourner en dérision, que ce soit avec les camarades ou avec les étrangers. Je pense cependant qu’il est bon de vous dire que le Seigneur a de nombreux moyens pour manifester aux hommes sa volonté. Parfois, il se sert des instruments les plus inadaptés et indignes, comme il se servit de l’ânesse de Balaam en la faisant parler, et de Balaam, faux prophète, qui fit de nombreuses prédictions concernant le Messie. Par conséquent, il peut en être de même pour moi. Je vous dis donc de ne pas regarder mes actions pour guider les vôtres. La seule chose que vous devez faire, c’est de prêter attention à ce que je dis, car cela, du moins je l’espère, sera toujours la volonté de Dieu, et profitera aux âmes. En ce qui concerne ce que je fais, ne dites jamais : c’est Don Bosco qui l’a fait, donc c’est bien. Non. Observez d’abord ce que je fais ; si vous voyez que c’est bon, imitez-le ; si par hasard vous me voyez faire quelque chose de mal, prenez garde de l’imiter, laissez-le comme mal fait.
(MB VI, 898-916)




L’histoire des missions salésiennes (1/5)

Le 150e anniversaire des missions salésiennes se tiendra le 11 novembre 2025. Nous pensons qu’il est intéressant de raconter à nos lecteurs une brève histoire des précédents et des premières étapes de ce qui allait devenir une sorte d’épopée missionnaire salésienne en Patagonie. Nous le faisons en cinq épisodes, avec l’aide de sources inédites qui nous permettent de corriger les nombreuses inexactitudes qui sont passées dans l’histoire.

            Dégageons tout de suite le terrain : on dit et on écrit que Don Bosco voulait partir en mission aussi bien comme séminariste que comme jeune prêtre. Ceci n’est pas documenté. Si, en tant qu’étudiant de 17 ans (1834), il a demandé à rejoindre les frères réformés franciscains du couvent des Anges à Chieri qui avaient des missions, la demande a apparemment été faite principalement pour des raisons financières. Si dix ans plus tard (1844), en quittant le « Pensionnat ecclésiastique » de Turin, il est tenté d’entrer dans la Congrégation des Oblats de la Vierge Marie, qui venait d’être chargée de missions en Birmanie (Myanmar), il est cependant vrai que la mission, pour laquelle il a peut-être aussi entrepris l’étude des langues étrangères, n’était pour le jeune prêtre Bosco qu’une des possibilités d’apostolat qui s’ouvraient à lui. Dans les deux cas, Don Bosco suivit immédiatement le conseil du Père Comollo d’entrer au séminaire diocésain et, plus tard, celui du Père Cafasso de continuer à se consacrer aux jeunes de Turin. Même dans les vingt années qui vont de 1850 à 1870, occupé à planifier la continuité de son « œuvre des Oratoires », à donner une base juridique à la société salésienne qu’il était en train de constituer, à la formation spirituelle et pédagogique des premiers salésiens, tous jeunes de son Oratoire, il n’était certainement pas en mesure de donner suite à ses aspirations missionnaires personnelles ou à celles de ses « fils » eux-mêmes. Il n’y a même pas une ombre de lui ou des salésiens allant en Patagonie, même si c’est écrit sur le papier ou sur le web.

Une sensibilité missionnaire accrue
            Cela n’enlève rien au fait que la sensibilité missionnaire de Don Bosco, probablement réduite à de faibles indices et à de vagues aspirations dans les années de sa formation sacerdotale et de son premier sacerdoce, s’est considérablement aiguisée au fil des ans. La lecture des Annales de la Propagation de la Foi lui fournit de bonnes informations sur le monde missionnaire, à tel point qu’il en a tiré des épisodes pour certains de ses livres et qu’il a fait l’éloge du Pape Grégoire XVI qui encourageait la diffusion de l’Évangile aux quatre coins du monde et approuvait de nouveaux Ordres religieux à finalité missionnaire. Don Bosco a pu bénéficier de l’influence considérable du chanoine G. Ortalda, directeur du Conseil diocésain de l’Association Propaganda Fide pendant 30 ans (1851-1880) et promoteur des « Ecoles Apostoliques » (sorte de petit séminaire pour les vocations missionnaires). En décembre 1857, il avait également lancé le projet d’une exposition en faveur des missions catholiques confiées aux six cents missionnaires sardes. Don Bosco en était bien informé.
            L’intérêt missionnaire grandit en lui en 1862 lors de la canonisation solennelle à Rome des 26 protomartyrs japonais et en 1867 à l’occasion de la béatification de plus de deux cents martyrs japonais, célébrée elle aussi avec solennité au Valdocco. Dans la ville papale, pendant ses longs séjours en 1867, 1869 et 1870, il a pu voir d’autres initiatives missionnaires locales, comme la fondation du Séminaire pontifical des Saints Apôtres Pierre et Paul pour les missions à l’étranger.
            Le Piémont, avec près de 50% des missionnaires italiens (1500 avec 39 évêques), était à l’avant-garde dans ce domaine et le franciscain Monseigneur Luigi Celestino Spelta, vicaire apostolique de Hupei, se rendit à Turin en novembre 1859. Il ne visita pas l’Oratoire, ce que fit par contre Don Daniele Comboni en décembre 1864, qui publia à Turin son Plan de Régénération pour l’Afrique avec le projet intrigant d’évangéliser l’Afrique à travers les Africains.
            Don Bosco eut un échange d’idées avec lui, qui en 1869 essaya, sans succès, de l’associer à son projet et l’année suivante l’invita à envoyer quelques prêtres et laïcs pour diriger un institut au Caire et le préparer ainsi aux missions en Afrique, au centre desquelles il comptait confier aux salésiens un vicariat apostolique. Au Valdocco, la demande, qui n’est pas accordée, est remplacée par la volonté d’accueillir des garçons à éduquer pour les missions. Là, cependant, le groupe d’Algériens recommandé par Monseigneur Charles Martial Lavigerie rencontra des difficultés et fut envoyé à Nice Maritime, en France. En 1869, la demande du même archevêque d’avoir des auxiliaires salésiens dans un orphelinat d’Alger dans un moment d’urgence n’a pas été acceptée. De même, la demande du missionnaire brescien Giovanni Bettazzi d’envoyer des salésiens pour diriger un institut d’art et d’artisanat en plein essor, ainsi qu’un petit séminaire, dans le diocèse de Savannah (Géorgie, USA) était suspendue à partir de 1868. Les propositions des autres, qu’il s’agisse de diriger des œuvres éducatives dans les « territoires de mission » ou d’agir directement in partibus infidelium, pouvaient également être attrayantes, mais Don Bosco ne renoncerait jamais ni à sa pleine liberté d’action – qu’il voyait peut-être compromise par les propositions qu’il avait reçues des autres – ni surtout à son travail particulier auprès des jeunes, pour lesquels il était à l’époque très occupé à développer la société salésienne nouvellement approuvée (1869) au-delà des frontières de Turin et du Piémont. Bref, jusqu’en 1870, Don Bosco, bien que théoriquement sensible aux besoins missionnaires, cultive d’autres projets au niveau national.

Quatre années de demandes non satisfaites (1870-1874)
            Le thème missionnaire et les questions importantes qui s’y rapportent font l’objet d’une attention particulière lors du Concile Vatican I (1868-1870). Si le document Super Missionibus Catholicis ne fut jamais présenté à l’assemblée générale, la présence à Rome de 180 évêques provenant de  » terres de mission  » et l’information positive sur le modèle salésien de vie religieuse, diffusée parmi eux par quelques évêques piémontais, donnèrent à Don Bosco l’occasion de rencontrer beaucoup d’entre eux et d’être contacté par eux, aussi bien à Rome qu’à Turin.
            C’est là que fut reçue, le 17 novembre 1869, la délégation chilienne composée de l’archevêque de Santiago et de l’évêque de Concepción. En 1870, c’est au tour de Mgr D. Barbero, vicaire apostolique à Hyderabad (Inde), déjà connu de Don Bosco, de solliciter des soeurs disponibles pour l’Inde. En juillet 1870, le dominicain Mgr G. Sadoc Alemany, archevêque de San Francisco en Californie (USA), se rendit au Valdocco et demanda et obtint des salésiens un hospice avec une école professionnelle (qui ne fut jamais construite). Le franciscain Mgr L. Moccagatta, Vicaire Apostolique de Shantung (Chine) et son confrère Mgr Eligio Cosi, plus tard son successeur, visitèrent également le Valdocco. En 1873, c’est au tour de Mgr T. Raimondi de Milan d’offrir à Don Bosco la possibilité d’aller diriger les écoles catholiques dans la Préfecture Apostolique de Hong Kong. Les négociations, qui durèrent plus d’un an, s’arrêtèrent pour diverses raisons, tout comme, en 1874, un projet de nouveau séminaire du Père Bertazzi pour Savannah (USA) resta également sur le papier. Il en fut de même pour les fondations missionnaires en Australie et en Inde, pour lesquelles Don Bosco entama des négociations avec des évêques individuels, qu’il donna parfois comme conclues au Saint-Siège, alors qu’il ne s’agissait en réalité que de projets en cours de réalisation.
            Au début des années soixante-dix, avec un personnel composé d’un peu plus de deux douzaines de personnes (prêtres, clercs et coadjuteurs), dont un tiers de vœux temporaires, réparties dans six maisons, il aurait été difficile pour Don Bosco d’envoyer certains d’entre eux en terre de mission. D’autant plus que les missions étrangères qui lui étaient proposées jusqu’alors en dehors de l’Europe présentaient de sérieuses difficultés de langue, de culture et de traditions non autochtones, et que la tentative de longue date de disposer de jeunes anglophones, même avec l’aide du recteur du collège irlandais de Rome, Mgr Toby Kirby, s’était soldée par un échec.

(suite)

Photo d’époque : le port de Gênes, 14 novembre 1877.




Cinquième rêve missionnaire : Pékin (1886)

            Dans la nuit du 9 au 10 avril, Don Bosco fit un nouveau rêve missionnaire, qu’il raconta à Don Rua, à Don Branda et à Viglietti, d’une voix parfois entrecoupée de sanglots. Viglietti l’écrivit immédiatement après et, sur son ordre, en envoya une copie à Don Lemoyne, afin qu’il soit lu par tous les supérieurs de l’Oratoire et qu’il serve d’encouragement général. « Mais ceci, avertit le secrétaire, n’est que l’esquisse d’une magnifique et très longue vision ». Le texte que nous publions est celui de Viglietti, mais légèrement retouché par Don Lemoyne dans la forme pour en rendre la diction plus correcte.

            Don Bosco se trouvait dans les environs de Castelnuovo, sur la colline appelée Bricco del Pino, près de la vallée de Sbarnau. De là-haut, il dirigea son regard de tous côtés, mais il ne vit qu’un fourré dense, dispersé partout, et même couvert d’une quantité innombrable de petits champignons.
            – Mais ceci, disait Don Bosco, c’est bien le comté de Giuseppe Rossi (en plaisantant Don Bosco avait créé le coadjuteur Rossi comte de cette terre) : il devrait bien y être !
            Et en effet, au bout d’un certain temps, il aperçut Rossi qui, du haut d’une colline lointaine, regardait les vallées en contrebas. Don Bosco l’appela, mais il ne lui répondit que par un regard comme quelqu’un qui est pensif.
            En se tournant de l’autre côté, Don Bosco vit aussi Don Rua au loin qui, comme Rossi, se tenait sérieux comme pour se reposer en toute tranquillité.
            Don Bosco les appela tous les deux, mais ils restaient silencieux, ne répondant même pas par un signe.
            Il descendit alors de ce monticule et arriva sur un autre, d’où il apercevait une forêt, mais cultivée et sillonnée de routes et de sentiers. De là, il tourna son regard tout autour, il le dirigea jusqu’au fond de l’horizon, mais, avant son œil, son oreille fut frappée par le tapage d’une foule innombrable d’enfants.
            Il avait beau chercher d’où venait le bruit, il ne voyait rien. Puis le tapage fut suivi d’un cri comme à l’arrivée d’une catastrophe. Enfin, il vit un nombre immense de jeunes qui couraient autour de lui en disant : 
            – Nous t’avons attendu, nous avons attendu si longtemps, mais enfin tu es là, tu es parmi nous et tu ne nous échapperas pas !
            Don Bosco ne comprenait rien et se demandait ce que ces enfants lui voulaient. Mais tandis qu’il restait comme étonné au milieu d’eux à les contempler, il vit un énorme troupeau d’agneaux conduit par une bergère qui, après avoir séparé les jeunes et les brebis, et mis les uns d’un côté et les autres de l’autre, s’arrêta à côté de Don Bosco et lui dit
            – Vois-tu ce que tu as devant toi ?
            – Oui, je le vois bien, répondit Don Bosco.
            – Eh bien, te souviens-tu du rêve que tu as fait à l’âge de dix ans ?
            – Oh, j’ai beaucoup de mal à m’en souvenir ! Mon esprit est fatigué, je ne me souviens plus bien.
            – Eh bien, penses-y et tu t’en souviendras.
            Alors, elle fit venir les jeunes vers Don Bosco et lui dit :
            – Regarde maintenant de ce côté, dirige ton regard, toi et vous tous, et lisez ce qui est écrit…. Eh bien, que vois-tu ?
            – Je vois des montagnes, puis la mer, puis des collines, puis à nouveau des montagnes et des mers.
            – Je lis, dit un petit garçon, Valparaiso.
            – Et moi, dit un autre, je lis Santiago.
            – Moi, reprit un troisième, je lis les deux.
            – Eh bien, continua la bergère, pars de ce point et tu auras une idée de ce que les Salésiens devront faire à l’avenir. Tourne-toi maintenant de l’autre côté, trace une ligne visuelle et regarde.
            – Je vois des montagnes, des collines et des mers !…
            Les jeunes aiguisèrent leur regard et s’exclamèrent en chœur :
            – Nous lisons Pékin.
            Don Bosco vit alors une grande ville. Elle était traversée par un large fleuve sur lequel étaient jetés plusieurs grands ponts.
            – Eh bien, dit la jeune demoiselle qui semblait être leur maîtresse, trace maintenant une seule ligne d’une extrémité à l’autre, depuis Pékin jusqu’à Santiago, fais-en un centre au milieu de l’Afrique et tu auras une idée exacte de ce que les Salésiens doivent faire.
            – Mais comment faire tout cela ? s’exclama Don Bosco. Les distances sont immenses, les lieux difficiles et les Salésiens peu nombreux.
            – Ne t’inquiète pas. Ce sont tes fils, les fils de tes fils et leurs fils qui le feront ; mais tenez ferme dans l’observance des Règles et dans l’esprit de la Pieuse Société.
            – Mais où trouver tant de monde ?
            – Viens ici et regarde. Vois-tu là cinquante missionnaires prêts à intervenir ? Plus loin, tu en vois d’autres et encore d’autres ? Trace une ligne depuis Santiago jusqu’au centre de l’Afrique. Que vois-tu ?
            – Je vois dix centres de stations.
            – Eh bien, ces centres que tu vois formeront des centres d’études et des noviciats et donneront une multitude de Missionnaires pour subvenir aux besoins de ces contrées. Et maintenant, tourne-toi de l’autre côté. Ici tu vois dix autres centres, depuis le centre de l’Afrique jusqu’à Pékin. Ces centres fourniront également des Missionnaires à toutes ces autres contrées. Là il y a Hong-Kong, Calcutta, et plus loin Madagascar. Ceux-ci et d’autres encore auront des maisons, des études et des noviciats.
            Don Bosco écoutait en regardant et en observant, puis il dit :
            – Et où trouver tant de monde, et comment envoyer des missionnaires dans ces lieux ? Il y a là des sauvages qui se nourrissent de chair humaine, il y a là des hérétiques, il y a là des persécuteurs, comment faire ?
            – Écoute, répondit la bergère, mets-y de la bonne volonté. Il n’y a qu’une seule chose à faire : recommander à mes fils de cultiver constamment la vertu de Marie.
            – Eh bien, oui, je crois avoir compris. Je prêcherai tes paroles à tous.
            – Et prends garde à l’erreur qui prévaut actuellement, qui consiste à mêler ceux qui étudient les sciences humaines avec ceux qui étudient les sciences divines, car la science du ciel ne veut pas être mêlée avec les choses terrestres.
            Don Bosco voulait encore parler ; mais la vision disparut. Le rêve était terminé.
(MB XVIII, 71-74)




Quel cadeau, le temps !

Le début de la nouvelle année, dans notre liturgie, est illuminé par la très ancienne bénédiction par laquelle les prêtres israélites bénissaient le peuple : « Que le Seigneur te bénisse et te garde. Que le Seigneur fasse briller son visage sur toi et te fasse grâce, que le Seigneur tourne son visage vers toi et te donne la paix. »

Chers amis et lecteurs du Bulletin Salésien, au début d’une nouvelle année présentons les uns aux autres nos meilleurs vœux pour le temps à venir, pour le temps qui vient : un cadeau qui contient tous les autres cadeaux pour tous les moments de notre vie.
Mais remplissons ces vœux de contenus qui les illuminent. Donnons la parole à Don Bosco qui, lorsqu’il est arrivé au séminaire de Chieri, s’est attardé sur le cadran solaire qui, encore aujourd’hui, trône sur le mur de la cour. Voici son récit : « En levant les yeux vers un cadran solaire, je lus ce vers : Afflictis lentae, celeres gaudentibus horae. Voilà, dis-je à mon ami, voilà notre programme : restons toujours joyeux et le temps passera vite » (Memorie Biografiche I, 374). Le premier souhait que nous échangeons, pour le vivre, est celui que Don Bosco nous rappelle : vis bien, vis serein et transmets la sérénité à ceux qui t’entourent, le temps aura une autre valeur ! Chaque moment du temps est un trésor, mais c’est un trésor qui passe vite. Le commentaire de Don Bosco était toujours le suivant : « Les trois ennemis de l’homme sont : la mort (qui le surprend) ; le temps (qui lui échappe), le démon (qui lui tend ses pièges) » (MB V, 926).
« Souviens-toi qu’être heureux ce n’est pas avoir un ciel sans tempêtes, une route sans accidents, un travail sans effort, des relations sans déceptions », disait-on autrefois en guise de souhait. « Être heureux ce n’est pas seulement célébrer les succès, mais apprendre les leçons de nos échecs. Être heureux c’est reconnaître qu’il vaut la peine de vivre la vie, malgré tous les défis, les incompréhensions et les périodes de crise. C’est remercier Dieu chaque matin pour le miracle de la vie. »
Un sage avait dans son bureau une énorme horloge à pendule qui, à chaque heure, sonnait avec une lenteur solennelle, mais aussi avec un grand retentissement. « Mais cela ne vous dérange pas ? » demanda un étudiant.
« Non, répondit le sage, car ainsi, à chaque heure, je suis contraint de me demander : qu’ai-je fait de l’heure qui vient de s’écouler ? »
Le temps est la seule ressource non renouvelable. Il s’écoule à une vitesse incroyable. Nous savons que nous n’aurons pas une autre chance. C’est pourquoi tout le bien que nous pouvons faire, l’amour, la bonté et la gentillesse dont nous sommes capables, nous devons les donner maintenant. Parce que nous ne reviendrons pas sur cette terre une autre fois. Avec un perpétuel voile de remords au plus intime de nous-mêmes, nous sentons que Quelqu’un nous demandera : « Qu’as-tu fait de tout ce temps que je t’ai donné ? »

Notre espérance s’appelle Jésus
Dans le nouveau temps que nous venons de commencer, les dates et les chiffres d’un calendrier sont des signes conventionnels, signes et chiffres inventés pour mesurer le temps. Dans le passage de l’année écoulée à la nouvelle année, très peu de choses ont changé, et pourtant la perception d’une année qui se termine nous oblige toujours à faire un bilan. Combien avons-nous aimé ? Combien avons-nous perdu ? Combien sommes-nous devenus meilleurs, ou combien sommes-nous devenus pires ? Le temps qui passe ne nous laisse jamais pareils.
Au lever de la nouvelle année, la liturgie a une manière particulière de nous faire faire un bilan. Elle le fait à travers les mots initiaux de l’Évangile de saint Jean, des mots qui peuvent sembler difficiles mais qui reflètent en réalité la profondeur de la vie : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait de tout ce qui existe. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pas accueillie. » Au fond de chaque vie résonne une Parole plus grande que nous. C’est la raison pour laquelle nous existons, que le monde existe, que chaque chose existe. Cette Parole, ce Verbe, est Dieu lui-même, est le Fils, est Jésus. Le nom de la cause pour laquelle nous avons été créés s’appelle Jésus.
C’est Lui la véritable raison pour laquelle chaque chose existe, et c’est en Lui que nous pouvons comprendre ce qui existe. Notre vie ne doit pas être jugée en la confrontant à l’histoire, aux événements et aux mentalités. Notre vie ne peut pas être jugée en nous regardant nous-mêmes et notre seule expérience. Notre vie est compréhensible seulement si nous l’approchons de Jésus. En Lui, tout prend un sens et une signification, même ce qui nous est arrivé de contradictoire et d’injuste. C’est en regardant Jésus que nous comprenons quelque chose de nous-mêmes. Un psaume le dit bien quand il affirme : « À ta lumière, nous voyons la lumière. »
Telle est la façon de voir le Temps selon le Cœur de Dieu, et c’est ainsi que nous espérons vivre ce nouveau temps.
À nous tous, à la famille salésienne, à la Congrégation la nouvelle année apportera d’importants événements et nouveautés. Toutes dans la grâce du Jubilé que nous vivons dans l’Église.
Dans l’esprit du Jubilé, laissons-nous porter par l’Espérance qui est la présence de Dieu dans notre vie.
Le mois de janvier, premier mois de cette nouvelle année, est parsemé de fêtes salésiennes qui nous mènent à la Fête de Don Bosco. Remercions Dieu pour sa délicatesse qui nous permet de commencer ainsi la nouvelle année.
Laissons le mot de la fin à Don Bosco et fixons dans notre mémoire cette maxime, pour qu’elle façonne notre 2025 : Mes chers fils, gardez le temps et le temps vous gardera éternellement (MB XVIII 482, 864).




Merveilles de la Mère de Dieu invoquée sous le titre de Marie Auxiliatrice (13/13)

(suite de l’article précédent)

Grâces obtenues par l’intercession de Marie Auxiliatrice.

I. Grâce reçue de Marie Auxiliatrice.

            En l’an de grâce 1866, au mois d’octobre, ma femme fut atteinte d’une maladie très grave, une grande inflammation avec forte constipation et parasitose intestinale. En cette douloureuse circonstance, on eut d’abord recours aux experts en la matière, qui ne tardèrent pas à déclarer que la maladie était très dangereuse. Voyant que la maladie s’aggravait et que les remèdes humains étaient peu ou pas utiles, je proposai à ma compagne de se recommander à Marie Auxiliatrice, et qu’elle lui accorderait certainement la santé si c’était nécessaire pour l’âme. En même temps j’ajoutai la promesse, si elle obtenait la santé, d’aller tous les deux dès que l’église en construction à Turin serait terminée, lui rendre visite et de faire une offrande. À cette proposition, elle répondit qu’elle pouvait se rendre dans un sanctuaire plus proche pour ne pas être obligée d’aller si loin. À cette réponse, je lui dis qu’il ne fallait pas tant regarder la commodité que la grandeur du bienfait que l’on espère.
            Alors elle acquiesça et promit ce qu’on lui proposait. Ô puissance de Marie ! À peine trente minutes après sa promesse, lorsque je lui demandai comment elle allait, elle me dit : – Je vais beaucoup mieux, mon esprit est plus libre, mon estomac n’est plus oppressé, j’ai du dégoût pour la glace dont j’avais tant envie auparavant, et j’ai plus envie de bouillon, qui me déplaisait tant auparavant.
            À ces mots, je me sentis naître à une vie nouvelle, et si ce n’était pas la nuit, j’aurais immédiatement quitté ma chambre pour publier la grâce reçue de la Vierge Marie. Le fait est qu’elle passa la nuit paisiblement, et que le lendemain matin, le médecin se présenta et la déclara hors de tout danger. Qui l’a guérie si ce n’est Marie Auxiliatrice ? En effet, quelques jours plus tard, elle quitta son lit et s’occupa des tâches ménagères. Maintenant, nous attendons avec impatience l’achèvement de l’église qui lui sera dédiée pour accomplir la promesse faite.
            J’ai écrit ceci en tant qu’humble fils de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, et je désire qu’on lui donne toute la publicité qu’on jugera utile pour la plus grande gloire de Dieu et de l’auguste Mère du Sauveur.

Luigi COSTAMAGNA
de Caramagna.

II. Marie Auxiliatrice protectrice des campagnes.

            Mornèse est un petit village du diocèse d’Acqui, dans la province d’Alessandria, d’environ mille habitants. Notre village, comme tant d’autres, était malheureusement en proie à la maladie du champignon qui, depuis plus de vingt ans, dévorait presque toute la récolte de raisin, notre principale richesse. Nous avions déjà utilisé beaucoup de remèdes pour conjurer ce mal, mais en vain. Lorsque la nouvelle s’est répandue que des paysans des communes voisines avaient promis une partie des fruits de leurs vignes pour la poursuite des travaux de l’église dédiée à Marie Auxiliatrice à Turin, ils ont été merveilleusement favorisés et ont eu du raisin en abondance. Motivés par l’espoir d’une meilleure récolte et encore plus animés par la pensée de contribuer à une œuvre de religion, les habitants de Mornèse ont décidé d’offrir la dixième partie de notre récolte à cette fin. La protection de la Sainte Vierge a été ressentie parmi nous d’une manière vraiment miséricordieuse. Nous avons eu l’abondance des années heureuses et nous étions très heureux de pouvoir offrir scrupuleusement en nature ou en argent ce que nous avions promis. Lorsque le responsable de la construction de cette église est venu parmi nous à notre invitation pour recueillir les offrandes, ce fut une véritable fête de joie et d’exultation publique.
            Il parut profondément ému par la promptitude et le désintéressement avec lesquels les offrandes avaient été faites, et par les paroles chrétiennes qui les accompagnaient. Un de nos concitoyens, au nom de tous, a parlé haut et fort de ce qui se passait. Nous tous, disait-il, nous sommes redevables de grandes choses à la Vierge Auxiliatrice. L’année dernière, beaucoup de gens de ce pays, devant aller à la guerre, se sont mis sous la protection de Marie Auxiliatrice. La plupart d’entre eux portaient sa médaille autour du cou. Partis courageusement, ils ont dû affronter les plus grands dangers, mais aucun n’a été victime de ce fléau du Seigneur. De plus, quand il y eut dans les villages voisins une épidémie de choléra, de grêle et de sécheresse, elle nous a complètement épargnés. Alors que les vendanges de nos voisins ont été presque nulles, la bénédiction nous a obtenu une abondance telle qu’on n’en avait pas vu depuis vingt ans. C’est pourquoi nous sommes heureux de pouvoir ainsi manifester notre indélébile gratitude à la grande protectrice du genre humain.
            Je crois être l’interprète fidèle de mes concitoyens en affirmant que ce que nous avons fait maintenant, nous le ferons aussi à l’avenir, convaincus que nous nous rendrons ainsi toujours plus dignes des bénédictions célestes.
            25 mars 1868

Un habitant de Mornèse.

III. Une guérison rapide.

            Le jeune Bonetti Giovanni d’Asti, élève au collège de Lanzo, a eu la faveur suivante. Dans la soirée du 23 décembre dernier, il entra à l’improviste dans la chambre du directeur, d’un pas incertain et le visage bouleversé. Il s’approcha de lui, appuya sa personne contre celle du bon prêtre, et de sa main droite se frottait le front sans dire un mot. Étonné de le voir si convulsé, le directeur le soutient, le fait asseoir et lui demande ce qu’il veut. Aux questions répétées, le pauvre garçon ne répond que par des soupirs de plus en plus douloureux et profonds. Alors le directeur regarde de plus près son front, et voit que ses yeux sont immobiles, ses lèvres pâles, et que son corps sous le poids de la tête risque de s’écrouler. Voyant alors le danger de mort qui menaçait le garçon, il s’empressa d’envoyer chercher un médecin. Pendant ce temps, le mal s’aggravait à chaque instant, sa physionomie avait changé d’aspect, et il ne semblait plus être le même qu’auparavant. Ses bras, ses jambes et son front étaient gelés, le catarrhe l’étouffait, sa respiration devenait de plus en plus courte, et son pouls ne battait plus que très faiblement. Il resta pendant cinq heures dans cet état très pénible.
            Le médecin arriva, appliqua divers remèdes, mais toujours en vain. C’est fini, dit-il tristement, avant le matin ce jeune homme sera mort.
            Alors, au mépris des espoirs humains, le bon prêtre se tourna vers le ciel en lui demandant de donner au jeune un peu de temps pour se confesser et communier, s’il ne voulait pas qu’il vive. Il prit alors une petite médaille de Marie Auxiliatrice. Les grâces obtenues en invoquant la Vierge avec cette médaille étaient déjà nombreuses, ce qui augmentait son espoir d’obtenir le secours de la protectrice céleste. Plein de confiance en Elle, il se mit à genoux, posa la médaille sur son cœur et, avec d’autres personnes pieuses qui étaient accourues, il dit quelques prières à Marie et au Saint-Sacrement. Et Marie écouta les prières qui s’élevaient vers Elle avec tant de confiance. La respiration du garçon devint plus libre, et ses yeux, qui étaient comme pétrifiés, se tournaient affectueusement vers les personnes présentes pour les regarder et les remercier des soins compatissants qu’ils lui prodiguaient. L’amélioration ne fut pas de courte durée ; au contraire, tout le monde considéra que la guérison était certaine. Le médecin lui-même, étonné de ce qui s’était passé, s’exclama : « C’est la grâce de Dieu qui a fait recouvrer la santé. Au cours de ma longue carrière, j’ai vu un grand nombre de malades et de mourants, mais je n’ai vu aucun de ceux qui se trouvaient au point où se trouvait Bonetti se rétablir de cette façon. Sans l’intervention bénéfique du ciel, c’est pour moi un fait inexplicable. Et la science, habituée de nos jours à rompre le lien admirable qui l’unit à Dieu, lui rendait un humble hommage, se jugeant impuissante à réaliser ce que Dieu seul a accompli. Le jeune bénéficiaire de la gloire de la Vierge se porte encore aujourd’hui très bien. Il dit et proclame devant tous qu’il doit sa vie doublement à Dieu et à sa Mère qui lui a obtenu la grâce par sa puissante intercession. Il s’estimerait un cœur ingrat s’il ne témoignait pas publiquement de sa gratitude et n’invitait pas les autres malheureux à faire de même quand ils souffrent dans cette vallée de larmes et vont à la recherche de réconfort et d’aide.

(Extrait du journal La Vergine).

IV. Marie Auxiliatrice libère un de ses fidèles d’un grand mal de dents.

            Dans une maison d’éducation de Turin se trouvait un jeune homme de 19 ou 20 ans qui souffrait depuis plusieurs jours d’une douleur aiguë aux dents. Tout ce que l’art médical propose habituellement en pareil cas avait déjà été utilisé sans succès. Le pauvre jeune homme était donc à un tel point d’exacerbation qu’il suscitait la pitié de tous ceux qui l’entendaient. Si le jour lui paraissait horrible, éternelle et plus misérable était la nuit, pendant laquelle il ne pouvait fermer les yeux pour dormir que pendant de courts instants constamment interrompus. Quel état déplorable était le sien ! Il en fut ainsi pendant quelque temps ; mais dans la soirée du 29 avril, la maladie parut devenir furieuse. Le jeune homme gémissait sans cesse dans son lit, soupirait et criait bruyamment sans que personne ne puisse le soulager. Ses compagnons, inquiets de son malheureux état, allèrent trouver le directeur pour lui demander de venir le réconforter. Il vint et tenta par ses paroles de ramener le calme dont lui et ses compagnons avaient besoin pour se reposer. Mais la douleur était si grande que, bien que très obéissant, il ne pouvait cesser de se lamenter, disant qu’il ne savait pas si, même en enfer, on pouvait souffrir de plus cruelles douleurs. Le supérieur pensa alors à le mettre sous la protection de Marie Auxiliatrice, en l’honneur de laquelle on érigeait un sanctuaire majestueux dans notre ville. Nous nous sommes tous mis à genoux et avons fait une courte prière. Que s’est-il passé ? L’aide de Marie ne s’est pas fait attendre. Lorsque le prêtre a donné la bénédiction au jeune homme désolé, celui-ci s’est instantanément calmé et s’est endormi d’un sommeil profond et serein. À cet instant, un terrible soupçon s’est emparé de nos esprits : le pauvre jeune homme a succombé au mal, mais non, il s’était déjà profondément endormi, et Marie avait entendu la prière de son dévot, et Dieu avait exaucé la bénédiction de son ministre.
            Plusieurs mois passèrent, et le jeune homme sujet au mal de dents n’en fut plus incommodé.

(Du même).

V. Quelques merveilles de Marie Auxiliatrice.

            Je crois que votre noble revue examinera attentivement quelques-uns des événements qui se sont produits parmi nous et que j’ai exposés en l’honneur de Marie-Auxiliatrice. Je n’en retiendrai que quelques-uns dont j’ai été témoin dans cette ville, en omettant beaucoup d’autres dont on parle tous les jours.
            Le premier concerne une dame de Milan qui, depuis cinq mois, était rongée par une pneumonie accompagnée d’une prostration totale.
De passage dans ces parages, Don B… lui conseilla de recourir à Marie Auxiliatrice en faisant une neuvaine de prières en son honneur, avec la promesse d’une offrande pour poursuivre les travaux de l’église que l’on construit à Turin sous le vocable de Marie Auxiliatrice. Cette offrande ne devait être faite qu’une fois la grâce obtenue.
            Ô merveille ! Le jour même, la malade put reprendre ses occupations ordinaires et sérieuses, mangeant de tout, se promenant, entrant et sortant librement de la maison, comme si elle n’avait jamais été malade. À la fin de la neuvaine, elle était dans un état de santé florissante, tel qu’elle ne se souvenait pas de l’avoir connu auparavant.
            Une autre dame souffrait depuis trois ans de palpitations, avec les nombreux inconvénients qui vont de pair avec cette maladie. Mais l’arrivée d’une fièvre et d’une sorte d’hydropisie l’avait immobilisée dans son lit. Sa maladie était arrivée à un tel point que lorsque le prêtre lui donnait la bénédiction, son mari devait lui prendre la main pour qu’elle puisse faire le signe de la croix. On lui recommanda une neuvaine en l’honneur du Saint-Sacrement et de Marie Auxiliatrice, avec la promesse d’une offrande pour l’édifice sacré, mais après l’obtention de la grâce. Le jour même de la fin de la neuvaine, la malade fut libérée de toute maladie, et elle put elle-même rédiger le récit de sa maladie, dans lequel je lis ce qui suit :
            « Marie Auxiliatrice m’a guérie d’une maladie pour laquelle toutes les inventions de la médecine étaient considérées comme inutiles. Aujourd’hui, dernier jour de la neuvaine, je suis libérée de toute maladie et je vais à table avec ma famille, ce que je n’avais pas pu faire pendant trois ans. Tant que je vivrai, je ne cesserai de magnifier la puissance et la bonté de l’auguste Reine du Ciel, et je m’efforcerai de promouvoir son culte, en particulier dans l’église que l’on construit à Turin ».
            J’ajoute un autre fait, encore plus merveilleux que les précédents.
            Un jeune homme dans la force de l’âge était en train de faire une des plus brillantes carrières scientifiques, lorsqu’il fut atteint d’une cruelle maladie à l’une de ses mains. Malgré tous les traitements et toutes les sollicitudes des médecins les plus accrédités, on n’a pu obtenir aucune amélioration, ni arrêter la progression de la maladie. Toutes les conclusions des experts en la matière concordaient pour dire que l’amputation était nécessaire pour éviter la ruine totale du corps. Effrayé par cette décision, il décida de recourir à Marie Auxiliatrice, en appliquant les mêmes remèdes spirituels que d’autres avaient pratiqués avec tant de succès. L’acuité des douleurs cessa instantanément, les blessures s’atténuèrent et, en peu de temps, la guérison parut complète. Quiconque voudrait satisfaire sa curiosité pourrait admirer cette main avec les entailles et les trous des plaies guéries, qui rappelaient la gravité de sa maladie et la merveilleuse guérison de celle-ci. Il voulut se rendre personnellement à Turin pour faire son offrande, afin de manifester davantage sa gratitude à l’auguste Reine du Ciel.
            J’ai encore beaucoup d’autres histoires de ce genre, que je vous raconterai dans d’autres lettres, si vous estimez qu’il s’agit là de sujets adaptés à votre périodique. Je vous prie d’omettre les noms des personnes auxquelles les faits se rapportent, afin de ne pas les exposer à des questions et à des observations importunes. Mais que ces faits servent à raviver de plus en plus parmi les chrétiens la confiance dans la protection de Marie Auxiliatrice, à augmenter le nombre de ses dévots sur la terre, et à avoir un jour une couronne plus glorieuse au ciel.

(Extrait de la Vera Buona Novella de Florence).

Avec l’approbation ecclésiastique.

Fin