Mgr Giuseppe Malandrino et le Serviteur de Dieu Nino Baglieri
Mgr Giuseppe Malandrino, IXe évêque du diocèse de Noto, est retourné à la Maison du Père le 3 août 2025, jour de la fête de la patronne du diocèse de Noto, Maria Scala del Paradiso. 94 ans, 70 ans de sacerdoce et 45 ans de consécration épiscopale sont des chiffres très respectables pour un homme qui a servi l’Église en tant que Pasteur en ayant « l’odeur des brebis », comme le soulignait souvent le pape François.
Paratonnerre de l’humanité Dans son expérience de pasteur du diocèse de Noto (19.06.1998 – 15.07.2007), il a eu l’occasion de cultiver son amitié avec le Serviteur de Dieu Nino Baglieri. Il ne manquait presque jamais de faire une « halte » chez Nino lorsque des raisons pastorales le menaient à Modica. Dans un de ses témoignages, Mgr Malandrino dit : « … me trouvant au chevet de Nino, j’avais la vive perception que ce cher frère infirme était vraiment le “paratonnerre de l’humanité”, selon une conception des souffrants qui m’est si chère et que j’ai voulu proposer également dans la Lettre Pastorale sur la mission permanente “Vous serez mes témoins” » (2003). Mgr Malandrino écrit : « Il est nécessaire de reconnaître dans les malades et les souffrants le visage du Christ souffrant et de les assister avec la même sollicitude et le même amour que Jésus dans sa passion, vécue dans un esprit d’obéissance au Père et de solidarité envers les frères ». Cela a été pleinement incarné par la maman de Nino, Madame Peppina. Cette femme sicilienne typique, avec un caractère fort et beaucoup de détermination, répond au médecin qui lui propose l’euthanasie pour son fils (compte tenu de ses graves problèmes de santé et de la perspective d’une vie de paralysé) : « Si le Seigneur le veut, il le prendra, mais s’il me le laisse ainsi, je serai heureuse de m’en occuper toute ma vie ». La mère de Nino, à ce moment-là, était-elle consciente de ce à quoi elle allait faire face ? Marie, la mère de Jésus, était-elle consciente de la douleur qu’elle aurait à souffrir pour le Fils de Dieu ? La réponse, à la lire avec des yeux humains, ne semble pas facile, surtout dans notre société du XXIe siècle où tout est liquide, fluctuant, se consume en un « instant ». Le Fiat de Maman Peppina est devenu, comme celui de Marie, un Oui de Foi et d’adhésion à cette volonté de Dieu qui trouve son accomplissement dans le fait de savoir porter la Croix, de savoir donner « âme et corps » à la réalisation du Plan de Dieu.
De la souffrance à la joie La relation d’amitié entre Nino et Mgr Malandrino était déjà établie lorsque ce dernier était encore évêque d’Acireale. En effet, dès 1993, par l’intermédiaire du Père Attilio Balbinot, un camillien très proche de Nino, celui-ci lui offrit son premier livre : « De la souffrance à la joie ». Dans l’expérience de Nino, la relation avec l’évêque de son diocèse était une relation de filiation totale. Dès le moment de son acceptation du Plan de Dieu sur lui, il faisait sentir sa présence « active » en offrant ses souffrances pour l’Église, le Pape et les Évêques (ainsi que pour les prêtres et les missionnaires). Cette relation de filiation était renouvelée chaque année à l’occasion du 6 mai, jour de la chute, considéré ensuite comme le début mystérieux d’une renaissance. Le 8 mai 2004, quelques jours après que Nino ait fêté son 36e anniversaire de Croix, Mgr Malandrino se rend chez lui. En souvenir de cette rencontre, il écrit dans ses mémoires : « C’est toujours une grande joie chaque fois que je le vois et je reçois tant d’énergie et de force pour porter ma Croix et l’offrir avec tant d’Amour pour les besoins de la Sainte Église et en particulier pour mon Évêque et pour notre Diocèse. Que le Seigneur lui donne toujours plus de sainteté pour nous guider pendant de nombreuses années avec toujours plus d’ardeur et d’amour… ». Et encore : « … la Croix est lourde mais le Seigneur me donne tant de Grâces qui rendent la souffrance moins amère et elle devient légère et douce, la Croix se fait Don, offerte au Seigneur avec tant d’Amour pour le salut des âmes et la Conversion des Pécheurs… ». Enfin, il faut souligner que, lors de ces occasions de grâce, la demande pressante et constante de son « aide pour se faire Saint avec la Croix de chaque jour » ne manquait jamais. Nino, en effet, voulait absolument se faire saint.
Une béatification anticipée Les funérailles du Serviteur de Dieu, le 3 mars 2007, ont représenté un moment d’une grande importance à cet égard. Mgr Malandrino lui-même, au début de la célébration eucharistique, s’est penché avec dévotion, bien qu’avec difficulté, pour embrasser le cercueil contenant la dépouille mortelle de Nino. C’était un hommage à un homme qui avait vécu 39 ans de son existence dans un corps qu’il « ne sentait pas » mais qui dégageait une joie de vivre à 360 degrés. Mgr Malandrino a souligné que la célébration de la messe, dans la cour des Salésiens devenue pour l’occasion une « cathédrale » à ciel ouvert, avait été une véritable apothéose (des milliers de personnes en larmes y ont participé) et l’on percevait clairement et communautairement que l’on se trouvait non pas devant des funérailles, mais devant une véritable « béatification ». Nino, par son témoignage de vie, était en effet devenu un point de référence pour beaucoup, jeunes ou moins jeunes, laïcs ou consacrés, mères ou pères de famille, qui, grâce à son précieux témoignage, parvenaient à lire leur propre existence et à trouver des réponses qu’ils ne trouvaient pas ailleurs. Mgr Malandrino a également souligné à plusieurs reprises cet aspect : « Vraiment, chaque rencontre avec mon cher Nino a été pour moi, comme pour tous, une expérience forte et vivante d’édification et un puissant stimulant – dans la douceur – au don de soi patient et généreux. La présence de l’évêque lui procurait à chaque fois une immense joie car, outre l’affection de l’ami qui venait le visiter, il y percevait la communion ecclésiale. Il est évident que ce que je recevais de lui était toujours beaucoup plus que le peu que je pouvais lui donner ». L’idée fixe de Nino était de « se faire saint ». Le fait d’avoir vécu et incarné pleinement l’Évangile de la Joie dans la Souffrance, avec ses douleurs physiques et son don total pour l’Église bien-aimée, a fait que tout ne s’est pas terminé avec son départ vers la Jérusalem du Ciel, mais a continué, comme l’a souligné Mgr Malandrino lors des funérailles : « … la mission de Nino continue maintenant aussi à travers ses écrits, il l’avait lui-même annoncé dans son Testament spirituel » : « … mes écrits continueront mon témoignage, je continuerai à donner de la Joie à tous et à parler du Grand Amour de Dieu et des Merveilles qu’il a faites dans ma vie ». Cela continue de se réaliser car « une ville située sur une montagne ne peut être cachée, et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison » (Matthieu 5,14-16). Métaphoriquement, on veut souligner que la « lumière » (entendue au sens large) doit être visible, tôt ou tard : ce qui est important viendra à la lumière et sera reconnu.
En rappelant ces jours marqués par la mort de Mgr Malandrino et par ses funérailles à Acireale (5 août, Notre-Dame des Neiges) et à Noto (7 août) avec l’inhumation qui a suivi dans la cathédrale qu’il avait lui-même fortement voulu restaurer après l’effondrement du 13 mars 1996 et qui a été rouverte en mars 2007 (mois où Nino Baglieri est décédé), nous pouvons retracer ce lien entre deux grandes figures de l’Église de Noto, fortement entrelacées et toutes deux capables de laisser une marque indélébile.
Roberto Chiaramonte
Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette
Don Bosco propose un récit détaillé de l’ « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette », survenue le 19 septembre 1846, basé sur des documents officiels et les témoignages des voyants. Il reconstitue le contexte historique et géographique – deux jeunes bergers, Maximin et Mélanie, sur les hauteurs des Alpes – la rencontre prodigieuse avec la Vierge, son message d’avertissement contre le péché et la promesse de grâces et d’aides providentielles, ainsi que les signes surnaturels qui accompagnèrent leur manifestation. Il présente les circonstances de la diffusion du culte, l’influence spirituelle sur les habitants et sur le monde entier, et le secret révélé seulement à Pie IX pour revigorer la foi des chrétiens et témoigner de la présence continuelle des prodiges dans l’Église.
Protestation de l’Auteur Pour obéir aux décrets d’Urbain VIII, je déclare que je n’entends attribuer qu’une autorité humaine à tout ce qui sera dit dans ce livre au sujet de miracles, de révélations ou d’autres faits ; et en donnant à quelqu’un le titre de Saint ou de Bienheureux, je n’entends le donner que selon l’opinion commune ; excepté les choses et les personnes qui ont déjà été approuvées par le Saint-Siège Apostolique.
Au lecteur Un fait certain et merveilleux, attesté par des milliers de personnes, et que tous peuvent encore vérifier aujourd’hui, est l’apparition de la bienheureuse Vierge, survenue le 19 septembre 1846. (Sur ce fait extraordinaire, on peut consulter de nombreux livres et plusieurs journaux contemporains du fait, notamment : Notizia sull’apparizione di Maria SS. (Turin, 1847) ; Sunto officiale dell’apparizione, etc., 1848 ; le livret imprimé par les soins du P. Giuseppe Gonfalonieri, Novara, chez Enrico Grotti).
Notre bonne Mère est apparue sous la forme et la figure d’une grande Dame à deux petits bergers, un enfant de 11 ans et une jeune paysanne de 15 ans, là-haut sur une montagne de la chaîne des Alpes située dans la paroisse de La Salette en France. Elle est apparue non seulement pour le bien de la France, comme le dit l’évêque de Grenoble, mais pour le bien du monde entier. Elle est venue pour nous avertir de la grande colère de son Divin Fils, provoquée spécialement par trois péchés : le blasphème, la profanation des fêtes et le fait de manger gras les jours défendus.
À cela s’ajoutent d’autres faits prodigieux recueillis également par des documents publics, ou attestés par des personnes absolument dignes de foi.
Ces faits servent à confirmer les bons dans la religion, à réfuter ceux qui, peut-être par ignorance, voudraient mettre une limite à la puissance et à la miséricorde du Seigneur en disant : Nous ne sommes plus au temps des miracles.
Jésus a dit qu’il y aura dans son Église des miracles plus grands que ceux qu’il a accomplis, sans fixer le temps et le nombre. C’est pourquoi, tant qu’il y aura l’Église, nous verrons toujours la main du Seigneur manifester sa puissance par des événements prodigieux. Car hier et aujourd’hui et toujours, Jésus-Christ sera celui qui gouverne et assiste son Église jusqu’à la consommation des siècles.
Mais ces signes sensibles de la Toute-Puissance Divine sont toujours le présage d’événements graves qui manifestent la miséricorde et la bonté du Seigneur, ou bien sa justice et son indignation, mais en vue de sa plus grande gloire et pour le plus grand bien des âmes.
Faisons en sorte qu’ils soient pour nous une source de grâces et de bénédictions. Qu’ils servent d’incitation à une foi vive, à une foi laborieuse, à une foi qui nous pousse à faire le bien et à fuir le mal pour nous rendre dignes de sa miséricorde infinie dans le temps et dans l’éternité.
Apparition de la Vierge Marie sur les montagnes de la Salette Maximin, fils de Pierre Giraud, menuisier du village de Corps, était un enfant de 11 ans. Françoise Mélanie, fille de parents pauvres, native de Corps, était une fille de 15 ans. Ils n’avaient rien de singulier : tous deux ignorants et frustes, tous deux occupés à garder le bétail sur les montagnes. Maximin ne savait que le Pater et l’Ave ; Mélanie en savait un peu plus, mais à cause de son ignorance, elle n’avait pas encore été admise à la sainte Communion.
Envoyés par leurs parents pour conduire le bétail dans les pâturages, ce fut par pur hasard que le 18 septembre, veille du grand événement, ils se rencontrèrent sur la montagne, tandis qu’ils abreuvaient leurs vaches à une fontaine.
Le soir de ce jour, en rentrant chez eux avec le bétail, Mélanie dit à Maximin : « Demain, qui sera le premier sur la Montagne ? » Et le lendemain, 19 septembre, qui était un samedi, ils y montèrent ensemble, chacun conduisant quatre vaches et une chèvre. La journée était belle et sereine, le soleil brillait. Vers midi, en entendant sonner la cloche de l’Angélus, ils firent une courte prière avec le signe de la sainte Croix. Puis ils prirent leurs provisions de bouche et allèrent manger près d’une petite source, qui était à gauche d’un ruisseau. Ayant fini de manger, ils traversèrent le ruisseau, déposèrent leurs sacs près d’une fontaine sèche, descendirent encore quelques pas, et, contrairement à leur habitude, s’endormirent à quelque distance l’un de l’autre.
Écoutons maintenant le récit des bergers eux-mêmes, tel qu’ils le firent le soir du 19 à leurs maîtres, puis mille fois à des milliers de personnes.
« Nous nous étions endormis, raconte Mélanie. Je me suis réveillée la première et, ne voyant pas mes vaches, j’ai réveillé Maximin en lui disant : Allons chercher nos vaches. Nous avons traversé le ruisseau, nous sommes montés un peu, et nous les avons vues couchées de l’autre côté. Elles n’étaient pas loin. Alors je suis redescendue quand tout à coup, à cinq ou six pas avant d’arriver au ruisseau, j’ai vu une clarté comme le Soleil, mais encore plus brillante et pas de la même couleur, et j’ai dit à Maximin : Viens, viens vite voir là-bas une clarté. (Il était entre deux et trois heures de l’après-midi).
Maximin descendit aussitôt en me disant : Où est cette clarté ? Et je la lui indiquai avec le doigt tourné vers la petite fontaine. Quand il la vit, il s’arrêta. C’est alors qu’au milieu de la lumière nous avons vu une Dame. Elle était assise sur un tas de pierres, le visage dans les mains. Prise de peur, j’ai laissé tomber mon bâton. Maximin me dit : tiens le bâton ; si elle nous fait quelque chose, je lui donnerai un bon coup de bâton.
Ensuite, la Dame se leva, croisa les bras et nous dit : « Avancez, mes enfants. N’ayez pas peur ; je suis ici pour vous donner une grande nouvelle. » Alors nous traversâmes le ruisseau, et elle s’avança jusqu’à l’endroit où nous nous étions endormis. Elle était au milieu de nous deux et elle pleurait tout le temps qu’elle nous parla (j’ai très bien vu ses larmes). Elle nous dit : « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis contrainte de laisser aller la main de mon Fils. Elle est si forte, si lourde, que je ne peux plus la retenir. »
« Il y a longtemps que je souffre pour vous ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je dois le prier constamment ; et vous autres n’en tenez pas compte. Vous aurez beau prier et agir, jamais vous ne pourrez compenser les préoccupations que j’ai pour vous. »
« Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me l’accorder. C’est ce qui rend la main de mon Fils si lourde. »
« Si les pommes de terre se gâtent, c’est entièrement de votre faute. Je vous l’ai fait voir l’année dernière (1845), et vous n’avez pas voulu en tenir compte, et en trouvant des pommes de terre gâtées, vous blasphémiez en y mêlant le nom de mon Fils. »
« Elles continueront à se gâter, et cette année pour Noël vous n’en aurez plus (1846). »
« Si vous avez du blé, vous ne devez pas le semer. Tout ce que vous sèmerez sera mangé par les vers, et ce qui naîtra ira en poussière, quand vous le battrez. »
« Il arrivera une grande famine. » (Il y eut en effet une grande famine en France, et sur les routes on trouvait des troupes de mendiants affamés, qui se rendaient par milliers dans les villes pour mendier. Pendant que chez nous en Italie le prix du blé augmentait au début du printemps 1847, en France, pendant tout l’hiver 1846-1847, on souffrit beaucoup de la faim. Mais la véritable pénurie d’aliments, la véritable famine eut lieu lors des désastres de la guerre de 1870-1871. À Paris, un grand personnage offrit à ses amis un somptueux repas gras le Vendredi Saint. Quelques mois plus tard, dans cette même ville, les citoyens les plus aisés furent contraints de se nourrir d’aliments grossiers et de viandes d’animaux parmi les plus répugnants. Nombreux furent ceux qui moururent de faim).
« Avant que la pénurie d’aliments n’arrive, les enfants de moins de sept ans seront pris d’un tremblement et mourront entre les mains des personnes qui les tiendront. Les autres feront pénitence pour la pénurie. »
« Les noix se gâteront, et les raisins pourriront… » (En 1849, les noix se gâtèrent partout ; quant au raisin, tous se plaignent encore des dommages et des pertes subies. Chacun se souvient de l’immense dommage que la cryptogame causa au raisin dans toute l’Europe pendant plus de vingt ans, de 1849 à 1869).
« S’ils se convertissent, les pierres et les rochers se changeront en tas de blé, et les pommes de terre seront produites par la terre elle-même. »
Puis elle nous dit :
« Dites-vous bien vos prières, mes enfants ? »
Nous répondîmes tous deux : « Pas très bien, Madame. »
« Ah ! mes enfants, vous devez bien les dire le soir et le matin. Quand vous n’avez pas le temps, dites au moins un Pater et un Ave Maria : et quand vous aurez le temps, dites-en plus. »
« À la Messe, il n’y a que quelques vieilles femmes, et les autres travaillent le dimanche tout l’été. En hiver les jeunes, quand ils ne savent que faire, vont à la Messe pour ridiculiser la religion. Pendant le carême, on va à la boucherie comme des chiens. »
Puis elle dit : « N’as-tu jamais vu, mon garçon, du blé gâté ? »
Maximin répondit : « Oh ! non, Madame. » Ne sachant à qui elle posait cette question, je répondis à voix basse :
« Non, Madame, je n’en ai pas encore vu. »
« Vous devez en avoir vu, mon garçon (s’adressant à Maximin), une fois vers la commune de Coin avec votre père. Le propriétaire du champ a dit à votre père d’aller voir son blé gâté ; vous y êtes allés tous les deux. Vous avez pris quelques épis dans vos mains ; en les frottant, ils sont tous tombés en poussière, et vous êtes revenus chez vous. Quand vous étiez encore à une demi-heure de Corps, votre père vous a donné un morceau de pain en vous disant : Prends, mon fils, mange encore du pain cette année ; je ne sais pas qui en mangera l’année prochaine, si le blé continue à se gâter ainsi. »
Maximin répondit : « Oh ! oui, Madame, maintenant je me souviens ; il y a quelque temps, je ne m’en souvenais plus. »
Après cela, la Dame nous dit : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Puis elle traversa le ruisseau, et à deux pas de distance, sans se tourner vers nous, elle nous dit de nouveau : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Elle monta ensuite une quinzaine de pas, jusqu’à l’endroit où nous étions allés chercher nos vaches. Mais en marchant sur l’herbe, ses pieds ne touchaient que le sommet. Nous l’avons suivie. Je suis passée devant la Dame et Maximin un peu de côté, à deux ou trois pas de distance. Et la belle Dame s’est élevée ainsi (Mélanie fait un geste en levant la main d’un mètre et plus). Elle resta suspendue dans l’air un moment. Ensuite Elle tourna son regard vers le Ciel, puis vers la terre. Après quoi nous ne vîmes plus la tête… plus les bras… plus les pieds… Elle semblait se fondre. On ne vit plus qu’une clarté dans l’air, et après cela la clarté disparut.
Je dis à Maximin : « C’est peut-être une grande sainte ? » Maximin me répondit : « Oh ! si nous avions su que c’était une grande sainte, nous lui aurions dit de nous emmener avec elle. » Et je lui dis : « Et si elle était encore là ? » Alors Maximin tendit vivement la main pour avoir un peu de cette clarté, mais tout avait disparu. Nous avons bien observé, pour savoir si nous ne la voyions plus.
Et je dis : « Elle ne veut pas se montrer pour ne pas nous faire savoir où elle va. Après cela, nous sommes allés derrière nos vaches. »
Tel est le récit de Mélanie, Quand on l’interrogea sur la façon dont cette Dame était vêtue, elle répondit :
« Elle avait des chaussures blanches avec des roses autour… Il y en avait de toutes les couleurs. Elle avait des bas jaunes, un tablier jaune, une robe blanche toute parsemée de perles, un fichu blanc au cou entouré de roses, un grand bonnet qui pendait un peu en avant avec une couronne de roses autour. Elle avait une chaînette, à laquelle était suspendue une croix avec son Christ : à droite une tenaille, à gauche un marteau. À l’extrémité de la Croix pendait une autre grande chaîne, comme les roses autour de son fichu au cou. Elle avait le visage blanc, allongé. Je ne pouvais pas la regarder longtemps, car elle nous éblouissait. »
Interrogé séparément, Maximin fait exactement le même récit, sans aucune variation, ni sur la substance ni même sur la forme, ce qui nous dispense de le répéter ici.
Infinies et extravagantes sont les questions insidieuses qui leur furent posées, surtout pendant deux ans, et au cours d’interrogatoires de 5, 6 ou 7 heures de suite, dans l’intention de les embarrasser, de les confondre, de les amener à se contredire. Il est certain que jamais peut-être aucun coupable n’a subi un interrogatoire aussi difficile devant les tribunaux de justice concernant le crime qui lui était imputé.
Secret des deux petits bergers Immédiatement après l’apparition, Maximin et Mélanie, en rentrant chez eux, se sont interrogés mutuellement : pourquoi la grande Dame, après avoir dit que « les raisins pourriront », a tardé un peu à parler et ne faisait que bouger les lèvres, sans faire entendre ce qu’elle disait ?
En s’interrogeant à ce sujet l’un l’autre, Maximin dit à Mélanie : « Elle m’a dit quelque chose, mais elle m’a interdit de te le dire. » Ils se rendirent compte tous les deux qu’ils avaient reçu de la Dame, chacun séparément, un secret avec l’interdiction de le révéler à d’autres. Mais crois-tu, mon cher lecteur, que les enfants peuvent se taire ?
Il est impossible de dire combien d’efforts et de tentatives ont été faits pour leur arracher ce secret d’une manière ou d’une autre. Il est étonnant de lire les mille et une tentatives employées à cette fin par des centaines et des centaines de personnes pendant vingt ans. Prières, surprises, menaces, injures, cadeaux et séductions de toutes sortes, tout fut vain ; ils restent impénétrables.
L’évêque de Grenoble, un vieillard de quatre-vingts ans, crut de son devoir d’ordonner aux deux enfants privilégiés de faire au moins parvenir leur secret au Saint-Père Pie IX. Au nom du Vicaire de Jésus-Christ, les deux petits bergers obéirent promptement et décidèrent de révéler un secret que rien n’avait pu leur arracher jusqu’alors. Ils l’ont donc écrit eux-mêmes (à partir du jour de l’apparition, on les avait mis à l’école, et chacun séparément). Puis ils ont plié et scellé leur lettre, et tout cela en présence de personnes respectables, choisies par l’évêque lui-même comme témoins. Ensuite, l’évêque envoya deux prêtres porter cette mystérieuse dépêche à Rome.
Le 18 juillet 1851, ils remirent à Sa Sainteté Pie IX trois lettres : une de Monseigneur l’évêque de Grenoble, qui accréditait ses deux envoyés, et les deux autres qui contenaient le secret des deux enfants de La Salette. Chacun d’eux avait écrit et scellé sa lettre contenant son secret en présence de témoins qui avaient déclaré l’authenticité de celles-ci sur la couverture.
Sa Sainteté ouvrit les lettres, en commençant à lire celle de Maximin. « Il y a vraiment ici, dit-il, la candeur et la simplicité d’un enfant. » Pendant cette lecture, une certaine émotion se manifesta sur le visage du Saint-Père ; ses lèvres se contractèrent, ses joues se gonflèrent. « Il s’agit, dit le Pape aux deux prêtres, il s’agit de fléaux dont la France est menacée. Elle n’est pas la seule coupable. L’Allemagne, l’Italie, l’Europe entière le sont aussi, et elles méritent des châtiments. Je crains beaucoup l’indifférence religieuse et le respect humain. »
Concours de fidèles à La Salette La fontaine, près de laquelle la Dame, c’est-à-dire la Vierge Marie, s’était reposée, était à sec, comme nous l’avons dit, et de l’avis de tous les bergers et habitants des environs, elle ne donnait de l’eau qu’après d’abondantes pluies et après la fonte des neiges. Or cette fontaine, qui était à sec le jour même de l’apparition, commença à jaillir le lendemain, et depuis cette époque, l’eau coule claire et limpide, sans interruption.
Cette montagne nue, escarpée, déserte, habitée par les bergers à peine quatre mois de l’année, est devenue le théâtre d’un immense rassemblement de foules. Des populations entières affluent de toutes parts vers cette montagne privilégiée. Pleurant de tendresse, et chantant des hymnes et des cantiques, on les voit s’incliner sur cette terre bénie où a résonné la voix de Marie. On les voit embrasser respectueusement le lieu sanctifié par les pieds de Marie, et ils en descendent remplis de joie, de confiance et de reconnaissance.
Chaque jour, un nombre immense de fidèles va visiter pieusement le lieu du prodige. Lors du premier anniversaire de l’apparition (19 septembre 1847), plus de soixante-dix mille pèlerins de tout âge, de tout sexe, de toute condition et même de toute nation occupaient la surface de ce terrain…
Mais ce qui fait sentir encore plus la puissance de cette voix venue du Ciel, c’est qu’il s’est produit un admirable changement de mœurs chez les habitants de Corps, de La Salette, de tout le canton et de tous les environs ; il se répand et se propage dans des régions lointaines… Les gens ont cessé de travailler le dimanche, ils ont abandonné le blasphème… Ils fréquentent l’Église, accourent à la voix de leurs Pasteurs, s’approchent des saints Sacrements, accomplissent avec édification le précepte de Pâques jusqu’alors généralement négligé. Je passe sous silence les nombreuses et éclatantes conversions, et les grâces extraordinaires d’ordre spirituel.
Au lieu de l’apparition s’élève maintenant une majestueuse Église avec un très vaste bâtiment, où les voyageurs peuvent se restaurer confortablement et même y passer la nuit à leur gré, après avoir satisfait leur dévotion.
Après l’événement de La Salette, Mélanie fut envoyée à l’école où elle fit des progrès merveilleux dans les connaissances et dans la vertu. Mais elle se sentit toujours si enflammée de dévotion envers la Bienheureuse Vierge Marie qu’elle décida de se consacrer entièrement à Elle. Elle entra de fait chez les Carmélites déchaussées parmi lesquelles, selon le journal Echo de Fourvière du 22 octobre 1870, elle sera appelée au ciel par la Sainte Vierge. Peu avant de mourir, elle écrivit la lettre suivante à sa mère.
11 septembre 1870.
Ma très chère mère bien-aimée,
Que Jésus soit aimé de tous les cœurs. – Cette lettre n’est pas seulement pour vous, mais pour tous les habitants de mon cher village de Corps. Un père de famille, plein d’amour pour ses enfants, voyant qu’ils oubliaient leurs devoirs, méprisaient la loi que Dieu leur avait imposée, et devenaient ingrats, résolut de les châtier sévèrement. L’épouse du Père de famille demandait grâce, et en même temps elle se rendait auprès des deux plus jeunes enfants du Père de famille, c’est-à-dire ceux qui étaient les plus faibles et les plus ignorants. L’épouse qui ne peut pleurer dans la maison de son époux (qui est le Ciel) trouve dans les champs de ces misérables enfants des larmes en abondance. Elle expose ses craintes et ses menaces si l’on ne revient pas en arrière, si l’on n’observe pas la loi du Maître de maison. Un très petit nombre de personnes embrasse la réforme du cœur, et se met à observer la sainte loi du Père de famille. Mais, hélas, la majorité reste dans le mal et s’y enfonce toujours plus. Alors le Père de famille envoie des châtiments pour les punir et pour les tirer de cet état d’endurcissement. Ces malheureux enfants, qui pensent pouvoir se soustraire au châtiment, saisissent et brisent les verges qui les frappent au lieu de tomber à genoux, de demander grâce et miséricorde, et surtout de promettre de changer de vie. Enfin le père de famille, encore plus irrité, prend une verge encore plus forte. Il frappe et frappera jusqu’à ce qu’on le reconnaisse, qu’on s’humilie et qu’on demande miséricorde à Celui qui règne sur la terre et dans les cieux.
Vous m’avez comprise, chère mère et chers habitants de Corps : ce Père de famille, c’est Dieu. Nous sommes tous ses enfants. Ni moi ni vous ne l’avons aimé comme nous aurions dû. Nous n’avons pas accompli, comme il convenait, ses commandements ; maintenant Dieu nous châtie. Un grand nombre de nos frères soldats meurent, des familles et des villes entières sont réduites à la misère, et si nous ne nous tournons pas vers Dieu, ce n’est pas fini. La ville de Paris est très coupable parce qu’elle a récompensé un homme mauvais qui a écrit contre la divinité de Jésus-Christ. Les hommes n’ont qu’un temps pour commettre des péchés, mais Dieu est éternel, et il châtie les pécheurs. Dieu est irrité par la multiplicité des péchés, et parce qu’il est presque inconnu et oublié. Or, qui pourra arrêter la guerre qui fait tant de mal en France, et qui recommencera bientôt en Italie ? etc. etc. Qui pourra arrêter ce fléau ?
Il faut 1° que la France reconnaisse que dans cette guerre il y a uniquement la main de Dieu ; 2° qu’elle s’humilie et demande avec l’esprit et le cœur le pardon de ses péchés ; qu’elle promette sincèrement de servir Dieu avec l’esprit et le cœur, et d’obéir à ses commandements sans respect humain. Certains prient, demandent à Dieu le triomphe pour nous, les Français. Non, ce n’est pas ce que veut le bon Dieu : il veut la conversion des Français. La Bienheureuse Vierge est venue en France, et celle-ci ne s’est pas convertie : elle est donc plus coupable que les autres nations. Si elle ne s’humilie pas, elle sera grandement humiliée. Paris, ce foyer de vanité et d’orgueil, qui pourra la sauver si des prières ferventes ne s’élèvent pas au cœur du bon Maître ?
Je me souviens, chère mère et chers habitants de mon cher village, je me souviens de ces pieuses processions que vous faisiez sur la sainte montagne de La Salette, afin que la colère de Dieu ne frappe pas votre pays ! La Sainte Vierge a écouté vos ferventes prières, vos pénitences et tout ce que vous avez fait par amour de Dieu. Je pense et j’espère qu’actuellement vous devez d’autant plus faire de belles processions pour le salut de la France, c’est-à-dire pour que la France revienne à Dieu, car Dieu n’attend que cela pour retirer la verge dont il se sert pour flageller son peuple rebelle. Prions donc beaucoup, oui, prions. Faites vos processions, comme vous les avez faites en 1846 et 1847. Croyez que Dieu écoute toujours les prières sincères des cœurs humbles. Prions beaucoup, prions toujours. Je n’ai jamais aimé Napoléon, car je me rappelle toute sa vie. Puisse le divin Sauveur lui pardonner tout le mal qu’il a fait, et qu’il fait encore !
Rappelons-nous que nous sommes créés pour aimer et servir Dieu, et qu’en dehors de cela il n’y a pas de vrai bonheur. Que les mères élèvent chrétiennement leurs enfants, car le temps des tribulations n’est pas fini. Si je vous révélais leur nombre et leur nature, vous en seriez horrifiés. Mais je ne veux pas vous effrayer. Ayez confiance en Dieu, qui nous aime infiniment plus que nous ne pouvons l’aimer. Prions, prions, et la bonne, la divine, la tendre Vierge Marie sera toujours avec nous. La prière désarme la colère de Dieu, la prière est la clé du Paradis.
Prions pour nos pauvres soldats, prions pour tant de mères désolées par la perte de leurs enfants, consacrons-nous à notre bonne Mère céleste, prions pour ces aveugles qui ne voient pas que c’est la main de Dieu qui frappe maintenant la France. Prions beaucoup et faisons pénitence. Restez tous attachés à la sainte Église, et à notre Saint-Père qui en est le Chef visible et le Vicaire de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la terre. Dans vos processions, dans vos pénitences, priez beaucoup pour lui. Enfin, maintenez-vous en paix, aimez-vous comme des frères, promettez à Dieu d’observer ses commandements et de les observer vraiment. Et par la miséricorde de Dieu vous serez heureux, et vous ferez une bonne et sainte mort, que je souhaite à tous en vous plaçant tous sous la protection de l’auguste Vierge Marie. J’embrasse de tout cœur (les parents). Mon salut est dans la Croix. Le cœur de Jésus veille sur moi.
Marie de la Croix, victime de Jésus
Première partie de la publication « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette avec d’autres faits prodigieux, recueillis de documents publics par le prêtre Giovanni Bosco », Turin, Typographie de l’Oratoire Saint François de Sales, 1871.
Chapelet des sept douleurs de Marie
La publication du « Chapelet des sept douleurs de Marie » représente une dévotion chère à saint Jean Bosco qui voulait l’inculquer à ses jeunes. Suivant la structure du « Chemin de Croix », on propose sept scènes douloureuses avec de brèves considérations et prières, pour aider à une participation plus vive aux souffrances de Marie et de son Fils. Riche en images affectives et en sentiments de contrition, le texte reflète le désir de s’unir à la Vierge des Douleurs dans la compassion rédemptrice. Les indulgences accordées par les Papes attestent la haute valeur pastorale du texte qui est un petit trésor de prière et de réflexion, pour alimenter l’amour envers la Mère des douleurs.
Préface Le but principal de ce fascicule est de faciliter le souvenir et la méditation des Douleurs indicibles du tendre Cœur de Marie. Cette pratique Lui est très agréable, comme Elle l’a révélé plusieurs fois à ses dévots, et c’est un moyen très efficace pour obtenir sa protection.
Afin de faciliter cet exercice de Méditation, on le pratiquera comme un chapelet où l’on évoque les sept principales douleurs de Marie. Elles pourront ensuite être méditées individuellement en sept brèves considérations, comme on le fait habituellement pour le Chemin de Croix.
Que le Seigneur nous accompagne de sa grâce et de sa bénédiction céleste afin de réaliser l’intention désirée. Que l’âme de chacun se laisse pénétrer par le souvenir fréquent des douleurs de Marie, pour son bien spirituel et pour la plus grande gloire de Dieu.
Chapelet des sept douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie avec sept brèves considérations sur celles-ci exposées à la manière du Chemin de Croix
Préparation Chers frères et sœurs en Jésus-Christ, nous faisons nos exercices habituels en méditant avec amour les grandes douleurs que la Bienheureuse Vierge Marie a endurées dans la vie et la mort de son Fils bien-aimé et notre Divin Sauveur. Imaginons que nous sommes devant Jésus suspendu à la croix, et que sa mère dit à chacun de nous : Venez, et voyez s’il y a une douleur pareille à la mienne.
Persuadés que cette Mère compatissante veut nous accorder une protection spéciale en méditant ses douleurs, invoquons l’aide Divine par les prières suivantes :
Antienne. Veni, Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende.
Emitte Spiritum tuum et creabuntur
Et renovabis faciem terrae. Memento Congregationis tuae,
Quam possedisti ab initio. Domine exaudi orationem meam.
Et clamor meus ad te veniat.
Prions.
Nous vous en supplions, Seigneur, illuminez nos esprits de la lumière de votre clarté, afin que nous puissions voir ce qui doit être fait, et que nous puissions faire ce qui est juste. Par le Christ notre Seigneur. Amen.
Première douleur. Prophétie de Syméon La première douleur fut lorsque la Bienheureuse Vierge Mère de Dieu présenta son Fils unique au Temple dans les bras du saint vieillard Siméon qui lui dit : « Voici qu’une épée transpercera ton âme », ce qui signifiait la passion et la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Vierge des douleurs, par cette épée cruelle prophétisée par le saint vieillard Siméon qui allait transpercer votre âme dans la passion et la mort de votre cher Jésus, je vous supplie de m’obtenir la grâce de garder toujours la mémoire de votre cœur transpercé et des peines très amères endurées par votre Fils pour mon salut. Ainsi soit-il.
Deuxième douleur. Fuite en Égypte La deuxième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’il lui fallut fuir en Égypte à cause de la persécution du cruel Hérode, qui cherchait impieusement à tuer son Fils bien-aimé.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Marie, océan d’amertume et de larmes, par cette douleur que vous avez éprouvée en fuyant en Égypte pour protéger votre Fils de la cruauté barbare d’Hérode, je vous supplie de bien vouloir être mon guide, afin que par vous je sois libéré des persécutions des ennemis visibles et invisibles de mon âme. Ainsi soit-il.
Troisième douleur. Perte de Jésus au temple La troisième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’au temps de Pâques, après son séjour à Jérusalem avec son époux Joseph et son cher fils Jésus Sauveur, elle le perdit au moment de retourner dans sa pauvre maison, et soupira la perte de son unique Bien-aimé pendant trois jours continus.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière
Ô Mère inconsolable, vous qui, ayant perdu la présence corporelle de votre Fils et l’avez cherché anxieusement pendant trois jours continus, obtenez la grâce à tous les pécheurs afin qu’eux aussi le cherchent par des actes de contrition et le retrouvent. Ainsi soit-il.
Quatrième douleur. Rencontre de Jésus portant la Croix La quatrième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’elle rencontra son Fils bien-aimé portant une lourde croix sur ses épaules délicates en direction du Mont Calvaire afin d’être crucifié pour notre salut.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Vierge marquée par la passion plus que toute autre, par ce spasme que vous avez éprouvé dans votre cœur en rencontrant votre Fils alors qu’il portait le bois de la Très Sainte Croix vers le Mont Calvaire, faites, je vous en prie, que je l’accompagne sans cesse moi aussi par la pensée, que je pleure mes fautes, cause manifeste de ses tourments et des vôtres. Ainsi soit-il.
Cinquième douleur. Crucifixion de Jésus La cinquième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’elle vit son Fils élevé sur le bois dur de la Croix, et que son Corps Sacré versait du sang de toutes parts.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Rose parmi les épines, par ces douleurs amères qui transpercèrent votre sein en regardant de vos propres yeux votre Fils transpercé et élevé sur la Croix, obtenez-moi, je vous en prie, que par des méditations assidues je ne cherche que Jésus crucifié à cause de mes péchés. Ainsi soit-il.
Sixième douleur. Déposition de Jésus de la croix La sixième Douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsque son Fils bien-aimé, blessé au côté après sa mort et déposé de la Croix, tué ainsi de manière impitoyable, fut déposé entre ses bras très saints.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Vierge tourmentée, qui avez accueilli sur votre sein votre Fils mort, vaincu sur la Croix, qui avez baisé ces Plaies sacrées et répandu sur lui une pluie de larmes, faites que moi aussi, par des larmes de vraie componction, je lave continuellement les blessures mortelles que mes péchés vous ont faites. Ainsi soit-il.
Septième douleur. Sépulture de Jésus. La septième Douleur de la Vierge Marie, Dame et Avocate des serviteurs et misérables pécheurs que nous sommes, fut lorsqu’elle accompagna le Très Saint Corps de son Fils à la sépulture.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Martyre des Martyrs, par ce tourment amer que vous avez souffert lorsqu’après la sépulture de votre Fils, il vous fallut vous éloigner de cette tombe aimée, obtenez, je vous en prie, la grâce à tous les pécheurs, afin qu’ils comprennent combien il est gravement dommageable pour l’âme d’être loin de son Dieu. Ainsi soit-il.
On récitera trois Ave Maria en signe de profond respect pour les larmes que la Bienheureuse Vierge a versées dans toutes ses Douleurs pour implorer par son intermédiaire des pleurs semblables pour nos péchés. Ave Maria etc.
Le Chapelet terminé, on récite la complainte de la Bienheureuse Vierge, c’est-à-dire l’hymne Stabat Mater etc.
Hymne – Complainte de la Bienheureuse Vierge Marie
Stabat Mater dolorosa
Iuxta crucem lacrymosa,
Dum pendebat Filius.
Cuius animam gementem
Contristatam et dolentem
Pertransivit gladius.
O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater unigeniti!
Quae moerebat, et dolebat,
Pia Mater dum videbat.
Nati poenas inclyti.
Quis est homo, qui non fleret,
Matrem Christi si videret
In tanto supplicio?
Quis non posset contristari,
Christi Matrem contemplari
Dolentem cum filio?
Pro peccatis suae gentis
Vidit Iesum in tormentis
Et flagellis subditum.
Vidit suum dulcem natura
Moriendo desolatum,
Dum emisit spiritum.
Eia mater fons amoris,
Me sentire vim doloris
Fac, ut tecum lugeam.
Fac ut ardeat cor meum
In amando Christum Deum,
Ut sibi complaceam.
Sancta Mater istud agas,
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide.
Tui nati vulnerati
Tam dignati pro me pati
Poenas mecum divide.
Fac me tecum pie flere,
Crucifixo condolere,
Donec ego vixero.
Iuxta Crucem tecum stare,
Et me tibi sociare
In planctu desidero.
Virgo virginum praeclara,
Mihi iam non sia amara,
Fac me tecum plangere.
Fac ut portem Christi mortem,
Passionis fac consortem,
Et plagas recolere.
Fac me plagis vulnerari,
Fac me cruce inebriari,
Et cruore Filii.
Flammis ne urar succensus,
Per te, Virgo, sim defensus
In die Iudicii.
Christe, cum sit hine exire,
Da per matrem me venire
Ad palmam victoriae.
Quando corpus morietur,
Fac ut animae donetur
Paradisi gloria. Amen.
Debout, la mère des douleurs
Près de la croix était en pleurs
Quand son Fils pendait au bois.
Alors, son âme gémissante
Toute triste et toute dolente
Un glaive la transperça.
Qu’elle était triste, anéantie,
La femme entre toutes bénie,
La Mère du Fils de Dieu !
Dans le chagrin qui la poignait,
Cette tendre Mère pleurait
Son Fils mourant sous ses yeux.
Quel homme sans verser de pleurs
Verrait la Mère du Seigneur
Endurer si grand supplice ?
Qui pourrait dans l’indifférence
Contempler en cette souffrance
La Mère auprès de son Fils ?
Pour toutes les fautes humaines,
Elle vit Jésus dans la peine
Et sous les fouets meurtri.
Elle vit l’Enfant bien-aimé
Mourir tout seul, abandonné,
Et soudain rendre l’esprit.
O Mère, source de tendresse,
Fais-moi sentir grande tristesse
Pour que je pleure avec toi.
Fais que mon âme soit de feu
Dans l’amour du Seigneur mon Dieu :
Que je lui plaise avec toi.
Mère sainte, daigne imprimer
Les plaies de Jésus crucifié
En mon cœur très fortement.
Pour moi, ton Fils voulut mourir,
Aussi donne-moi de souffrir
Une part de ses tourments.
Pleurer en toute vérité
Comme toi près du crucifié
Au long de mon existence.
Je désire auprès de la croix
Me tenir, debout avec toi,
Dans ta plainte et ta souffrance.
Vierge des vierges, toute pure,
Ne sois pas envers moi trop dure,
Fais que je pleure avec toi.
Du Christ fais-moi porter la mort,
Revivre le douloureux sort
Et les plaies, au fond de moi.
Fais que ses plaies me blessent,
Que la croix me donne l’ivresse
Du sang versé par ton Fils.
Je crains les flammes éternelles ;
O Vierge, assure ma tutelle
À l’heure de la justice.
Ô Christ, à l’heure de partir,
Puisse ta Mère me conduire
À la palme de la victoire.
À l’heure où mon corps va mourir,
À mon âme fais obtenir
La gloire du paradis.
Le Souverain Pontife Innocent XI accorde une indulgence de 100 jours chaque fois que l’on récite le Stabat Mater. Benoît XIII a accordé une indulgence de sept ans à ceux qui réciteront le Chapelet des Sept Douleurs de Marie. De nombreuses autres indulgences ont été accordées par d’autres Souverains Pontifes, spécialement aux Confrères et Consœurs de la compagnie de Notre-Dame des Douleurs.
Les sept douleurs de Marie méditées à la manière du Chemin de Croix Invoquer l’aide divine en disant : Actiones nostras, quaesumus Domine, aspirando praeveni, et adiuvando prosequere, ut cuncta nostra oratio et operatio a te semper incipiat, et per te coepta finiatur. Per Christum Dominum Nostrum. Amen.
Acte de Contrition Ô Vierge affligée entre toutes, combien j’ai été ingrat dans le temps passé envers mon Dieu, avec quelle ingratitude j’ai répondu à ses innombrables bienfaits ! Maintenant je m’en repens, et dans l’amertume de mon cœur et dans les larmes de mon âme, je Lui demande humblement pardon d’avoir outragé son infinie bonté, résolu à l’avenir, avec la grâce céleste, de ne plus jamais l’offenser. Ah ! par toutes les douleurs que vous avez supportées dans la terrible passion de votre bien-aimé Jésus, je vous prie en soupirant au plus profond de moi-même de m’obtenir de Lui, pitié et miséricorde pour mes péchés. Agréez ce saint exercice que je vais faire et recevez-le en union avec les peines et les douleurs que Vous avez souffertes pour votre Fils Jésus. Accordez-moi, oui, accordez-moi que les épées qui ont transpercé votre esprit, transpercent aussi le mien, et que je vive et meure dans l’amitié de mon Seigneur, pour participer éternellement à la gloire qu’il m’a acquise par son précieux Sang. Ainsi soit-il.
Première douleur Dans cette première douleur, imaginons-nous au temple de Jérusalem, où la Très Sainte Vierge entendit la prophétie du vieillard Siméon.
Méditation Ah ! quelles angoisses le cœur de Marie a-t-il dû éprouver en entendant les paroles douloureuses par lesquelles le Saint vieillard Siméon lui prédisait l’amère passion et l’atroce mort de son très doux Jésus ! Au même instant se présentaient à son esprit les affronts, les outrages et le massacre que les impies feraient du Rédempteur du monde. Mais sais-tu quelle fut l’épée la plus pénétrante qui la transperça en cette circonstance ? Ce fut de considérer l’ingratitude avec laquelle son cher Fils serait payé de retour par les hommes. En réfléchissant maintenant que tu es malheureusement au nombre de ceux-là cause de tes péchés, jette-toi aux pieds de cette Mère Douloureuse et dis-lui en pleurant (chacun s’agenouille) : Ô Vierge de pitié, qui avez éprouvé une grande douleur dans votre esprit en voyant l’abus que moi, créature indigne, je ferais du sang de votre aimable Fils, faites, oui faites par votre Cœur tellement affligé, qu’à l’avenir je réponde aux Divines Miséricordes, que je profite des grâces célestes, que je ne reçoive pas en vain les lumières et les inspirations que vous daignerez m’obtenir afin que j’aie le bonheur d’être au nombre de ceux à qui l’amère passion de Jésus procure un salut éternel. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Deuxième douleur Dans cette deuxième douleur, considérons le voyage très pénible que la Vierge fit en Égypte pour délivrer Jésus de la cruelle persécution d’Hérode.
Méditation Considère l’amère douleur que Marie a dû éprouver lorsqu’elle dut se mettre en chemin de nuit sur l’ordre de l’Ange afin de préserver son Fils du massacre ordonné par ce prince féroce. À chaque cri d’animal, à chaque souffle de vent, à chaque mouvement de feuille qu’elle entendait sur ces routes désertes, elle était remplie d’effroi, craignant quelque malheur pour l’enfant Jésus qu’elle portait avec elle. Tantôt elle se tournait d’un côté, tantôt de l’autre, tantôt elle pressait le pas, tantôt elle se cachait, croyant être rejointe par les soldats, qui, arrachant de ses bras son Fils bien-aimé, l’auraient traité barbarement sous ses yeux. Fixant son œil larmoyant sur son Jésus et le serrant fortement contre sa poitrine, elle lui donnait mille baisers en poussant des soupirs angoissés de son cœur. Et maintenant, réfléchis combien de fois tu as renouvelé cette amère douleur à Marie, forçant son Fils par tes graves péchés à fuir de ton âme. Maintenant que tu connais le grand mal commis, tourne-toi plein de repentir vers cette Mère compatissante en lui disant :
Ah, très douce Mère ! Une fois Hérode vous a contrainte, vous et votre Jésus, à prendre la fuite à cause de la persécution inhumaine qu’il avait ordonnée. Mais moi, oh ! combien de fois j’ai obligé mon Rédempteur, et par conséquent vous aussi, à partir rapidement de mon cœur, en y introduisant le péché maudit, votre ennemi impitoyable et celui de mon Dieu. Hélas ! tout affligé et contrit, je vous en demande humblement pardon.
Oui, miséricorde, ô ma chère Mère, miséricorde, et je vous promets à l’avenir, avec l’aide Divine, de toujours maintenir mon Sauveur et Vous en possession totale de mon âme. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Troisième douleur Dans cette troisième douleur, considérons la Vierge angoissée qui, en larmes, cherche son Jésus égaré.
Méditation Combien grande fut la peine de Marie, lorsqu’elle s’aperçut d’avoir perdu son aimable Fils ! Et comme sa douleur s’accrut lorsqu’après l’avoir diligemment cherché auprès de ses amis, parents et voisins, elle ne put avoir aucune nouvelle de Lui ! Elle erra trois jours entiers dans les contrées de la Judée, sans se soucier des inconvénients, de la fatigue, des dangers, répétant ces paroles de désolation : quelqu’un a-t-il vu celui que mon âme aime ? L’anxiété avec laquelle elle le cherchait lui faisait imaginer à chaque instant de le voir, ou d’entendre sa voix. Mais ensuite, se voyant déçue, comme elle frissonnait et éprouvait plus sensiblement le regret d’une si déplorable perte ! Quelle confusion pour toi, pécheur, qui as tant de fois égaré ton Jésus par les graves fautes que tu as commises ! Tu ne t’es donné aucune peine de le chercher, signe évident que tu fais peu ou pas de cas du précieux trésor de l’amitié Divine. Pleure donc ta cécité, tourne-toi vers cette Mère Douloureuse, et dis-lui en soupirant :
Notre-Dame des douleurs, faites que j’apprenne de vous la vraie manière de chercher Jésus que j’ai perdu pour suivre mes passions et les iniques suggestions du démon, afin que je réussisse à le retrouver, et quand je l’aurai retrouvé, je répéterai continuellement vos paroles : J’ai retrouvé celui que mon cœur aime ; je le garderai toujours avec moi, et je ne le laisserai plus jamais partir. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Quatrième douleur Dans la quatrième douleur, considérons la rencontre que fit la Vierge affligée avec son Fils sur le chemin de la croix.
Méditation Venez donc, cœurs endurcis, et voyez si vous pouvez supporter ce spectacle de désolation. C’est une mère, la plus tendre, la plus aimante des mères, qui rencontre son Fils, le plus doux, le plus aimable des fils. Et comment le rencontre-t-elle ? Ô Dieu ! au milieu de la plus impie populace qui le traîne cruellement à la mort, couvert de plaies, ruisselant de sang, déchiré par les blessures, avec une couronne d’épines sur la tête et un lourd tronc sur les épaules, haletant, essoufflé, languissant. À chaque pas, il semble vouloir rendre le dernier soupir.
Considère, ô mon âme, l’arrêt mortel que fait la Très Sainte Vierge au premier regard qu’elle fixe sur son Jésus tourmenté. Elle voudrait lui faire un dernier adieu, mais comment faire, si la douleur l’empêche de prononcer un seul mot ? Elle voudrait se jeter à son cou, mais elle reste immobile et pétrifiée par la force de l’affliction intérieure. Elle voudrait se soulager par les larmes, mais son cœur est tellement serré et opprimé qu’elle ne peut verser une larme. Oh ! qui peut retenir ses larmes en voyant une pauvre Mère plongée dans une si grande affliction ? Mais qui donc est la cause d’une si amère peine ? Ah, c’est moi, oui c’est moi avec mes péchés qui ai fait une si barbare blessure à votre tendre cœur, ô Vierge Douloureuse. Pourtant, qui le croirait ? Je reste insensible sans être le moins du monde ému. Mais si j’ai été ingrat par le passé, je ne le serai plus à l’avenir.
En attendant, prosterné à vos pieds, ô Très Sainte Vierge, je vous demande humblement pardon de tant de chagrin que je vous ai causé. Je le sais et je le confesse : je ne mérite pas de pitié, étant moi la vraie raison pour laquelle vous êtes tombée de douleur en rencontrant votre Jésus tout couvert de plaies. Mais souvenez-vous, oui souvenez-vous que vous êtes mère de miséricorde. Montrez-vous donc comme telle envers moi, car je vous promets à l’avenir d’être plus fidèle à mon Rédempteur, et de compenser ainsi tant de dégoûts que j’ai donnés à votre esprit tellement affligé. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Cinquième douleur Dans cette cinquième douleur, imaginons que nous sommes au Mont Calvaire où la Vierge très affligée vit expirer son Fils bien-aimé sur la Croix.
Méditation Nous voici au Calvaire où deux autels sont déjà dressés pour le sacrifice, l’un dans le corps de Jésus, l’autre dans le cœur de Marie. Ô funeste spectacle ! Nous voyons la Mère noyée dans un océan d’afflictions en voyant son cher et aimable fruit de ses entrailles arraché par une mort impitoyable. Chaque coup de marteau, chaque plaie, chaque lacération que le Sauveur reçoit sur sa chair, résonne profondément dans le cœur de la Vierge. Elle se tient au pied de la Croix, tellement pénétrée de peine et transpercée par le chagrin que l’on ne saurait décider qui sera le premier à expirer, Jésus ou Marie. Elle fixe son regard sur le visage de son Fils agonisant, considère ses pupilles languissantes, son visage pâle, ses lèvres livides, sa respiration difficile. Elle constate enfin qu’il ne vit plus et qu’il a déjà remis son esprit au sein de son Père éternel. Ah ! que son âme fait alors tout son possible pour se séparer de son corps et s’unir à celle de Jésus ! Et qui peut supporter une telle vue ?
Ô Mère, au lieu de vous retirer du Calvaire, afin de ne pas ressentir si vivement les angoisses, vous y restez immobile pour absorber jusqu’à la dernière goutte l’amer calice de vos afflictions. Quelle confusion ce doit être pour moi qui cherche tous les moyens d’éviter les croix et ces petites souffrances que le Seigneur daigne m’envoyer pour mon bien ! Vierge très douloureuse, je m’humilie devant vous, faites que je connaisse une fois clairement le prix et la grande valeur de la souffrance, afin que j’y prenne un tel attachement, que je ne me lasse jamais de m’écrier avec Saint François Xavier : Plus Domine, Plus Domine, plus de souffrance, mon Dieu. Ah oui, plus souffrir, ô mon Dieu. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Sixième douleur Dans cette sixième douleur, imaginons-nous voir la Vierge inconsolable quand elle reçoit dans ses bras son Fils défunt descendu de la Croix.
Méditation Considère l’amère douleur qui pénétra l’âme de Marie, lorsqu’elle vit sur son sein le corps défunt de son bien-aimé Jésus. En fixant son regard sur ses blessures et sur ses plaies, en le voyant rougi de son propre sang, son chagrin intérieur fut si grand que son cœur fut mortellement transpercé. Si elle ne mourut pas, ce fut la Toute-Puissance Divine qui la conserva en vie. Ô pauvre Mère, oui, pauvre mère, qui conduisez à la tombe le cher objet de vos plus tendres complaisances, qui d’un bouquet de roses est devenu un faisceau d’épines par les mauvais traitements et les lacérations que lui ont infligés les impies bourreaux. Qui n’aura pas compassion de vous ? Qui ne se sentira pas déchiré par la douleur en vous voyant dans un état d’affliction à émouvoir même le plus dur des rochers ? J’observe Jean inconsolable, Madeleine avec les autres Marie qui pleurent amèrement, Nicodème qui ne peut plus se tenir debout à cause de l’affliction. Et moi, moi seul qui ne verse pas une larme au milieu de tant de douleur ! Ingrat et oublieux que je suis !
Ô Mère très douce, me voici à vos pieds, recevez-moi sous votre puissante protection et faites que mon cœur reste transpercé par cette épée qui a traversé de part en part votre esprit affligé, afin qu’il s’attendrisse enfin et pleure vraiment mes graves péchés qui vous ont causé un si cruel martyre. Et qu’il en soit ainsi. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Septième douleur Dans cette septième douleur, considérons la Vierge très affligée qui voit son Fils défunt enfermé dans le tombeau.
Méditation Considère le soupir mortel que poussa le cœur affligé de Marie lorsqu’elle vit son aimable Jésus déposé dans la tombe ! Oh ! quelle peine, quel chagrin éprouva son esprit lorsque fut levée la pierre avec laquelle on devait fermer ce très sacré monument ! Il n’était pas possible de la détacher du bord du sépulcre, tant la douleur la rendait insensible et immobile, ne cessant jamais de contempler ces plaies et ces cruelles blessures. Quand ensuite la tombe fut fermée, c’est alors que la désolation intérieure fut si grande qu’elle se serait sans doute éteinte si Dieu ne l’avait conservée en vie. Ô mère très éprouvée ! Vous quitterez maintenant ce lieu avec votre corps, mais votre cœur restera sûrement ici, car c’est ici qu’est votre vrai trésor. Faites que toute notre affection reste en sa compagnie, tout notre amour. Comment se pourrait-il que nous ne soyons pas remplis de bienveillance envers le Sauveur, qui a donné tout son sang pour notre salut ? Comment se pourrait-il que nous ne vous aimions pas, vous qui avez tant souffert à cause de nous.
Maintenant, affligés et repentants pour avoir causé tant de douleurs à votre Fils et tant d’amertume à vous, nous nous prosternons à vos pieds et pour toutes ces peines que vous nous avez fait la grâce de méditer, accordez-nous cette faveur : que le souvenir de celles-ci reste toujours vivement imprimé dans notre esprit, que nos cœurs se consument d’amour pour notre bon Dieu, et pour Vous, notre très douce Mère, et que le dernier soupir de notre vie soit uni à ceux que vous avez exhalés du fond de votre âme dans la douloureuse passion de Jésus, à qui soient honneur, gloire et actions de grâces pour tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Ensuite, on dit le Stabat Mater, comme ci-dessus.
Antienne. Tuam ipsius animam (ait ad Mariam Simeon) pertransiet gladius.
Ora pro nobis Virgo Dolorosissima.
Ut digni efficiamur promissionibus Christi.
Oremus
Deus in cuius passionem secundum Simeonis prophetiam, dulcissimam animam Gloriosae Virginis et Matris Mariae doloris gladius pertransivit, concede propitius, ut qui dolorum eius memoriam recolimus, passionis tuae effectum felicem consequamur. Qui vivis etc.
Louange à Dieu et à la Vierge Douloureuse.
Avec la permission de la Révision Ecclésiastique
La Fête des Sept Douleurs de Marie Vierge Douloureuse, célébrée par la Pieuse Union et Société, tombe le troisième dimanche de septembre dans l’église Saint-François-d’Assise.
Texte de la 3e édition, Turin, Typographie de Giulio Speirani et fils, 1871
Sainte Monique, mère de Saint Augustin, témoin d’espérance
Une femme à la foi inébranlable, aux larmes fécondes, exaucée par Dieu après dix-sept longues années. Un modèle de chrétienne, d’épouse et de mère pour toute l’Église. Une femme témoin d’espérance qui s’est transformée en puissance d’intercession au Ciel. Don Bosco lui-même recommandait aux mères, affligées par la vie peu chrétienne de leurs enfants, de se confier à elle dans leurs prières.
Dans la grande galerie des saints et des saintes qui ont marqué l’histoire de l’Église, Sainte Monique (331-387) occupe une place singulière. Non pas pour des miracles spectaculaires, ni pour la fondation de communautés religieuses, ni pour des entreprises sociales ou politiques de grande envergure. Monique est avant tout citée et vénérée comme mère, la mère d’Augustin, ce jeune inquiet qui, grâce à ses prières, à ses larmes et à son témoignage de foi, devint l’un des plus grands Pères de l’Église et Docteurs de la foi catholique.
Mais limiter sa figure à son rôle maternel serait injuste et réducteur. Monique est une femme qui a su vivre sa vie ordinaire — comme épouse, mère, croyante — de manière extraordinaire, en transfigurant le quotidien avec la force de la foi. Elle est un exemple de persévérance dans la prière, de patience dans le mariage, d’espérance inébranlable face aux égarements de son fils.
Les informations sur sa vie nous proviennent presque exclusivement des Confessions d’Augustin, un texte qui n’est pas une chronique, mais une lecture théologique et spirituelle de l’existence. Pourtant, dans ces pages, Augustin dresse un portrait inoubliable de sa mère : non seulement une femme bonne et pieuse, mais un authentique modèle de foi chrétienne, une « mère des larmes » qui deviennent source de grâce.
Les origines à Thagaste Monique naquit en 331 à Thagaste, ville de Numidie, Souk Ahras dans l’actuelle Algérie. C’était un centre animé, marqué par la présence romaine et une communauté chrétienne déjà bien enracinée. Elle venait d’une famille chrétienne aisée, où la foi faisait déjà partie de l’horizon culturel et spirituel.
Sa formation fut marquée par l’influence d’une nourrice austère, qui l’éduqua à la sobriété et à la tempérance. Saint Augustin écrira d’elle : « Je ne parlerai pas de ses dons, mais de tes dons à elle, qui ne s’était pas faite seule, ni éduquée seule. Tu l’as créée sans même que son père et sa mère ne sachent quelle fille ils auraient ; et la verge de ton Christ, c’est-à-dire la discipline de ton Fils unique, l’instruisit dans ta crainte, dans une maison de croyants, membre sain de ton Église » (Confessions IX, 8, 17).
Dans les Confessions, Augustin raconte aussi un épisode significatif. La jeune Monique avait pris l’habitude de boire de petites gorgées de vin de la cave, jusqu’à ce qu’une servante la réprimande en l’appelant « ivrogne ». Ce reproche lui suffit pour qu’elle se corrige définitivement. Cette anecdote, apparemment mineure, montre son honnêteté à reconnaître ses propres péchés, à se laisser corriger et à grandir en vertu.
À l’âge de 23 ans, Monique fut donnée en mariage à Patrice, un fonctionnaire municipal païen, connu pour son caractère colérique et son infidélité conjugale. La vie matrimoniale ne fut pas facile. La cohabitation avec un homme impulsif et éloigné de la foi chrétienne mit sa patience à rude épreuve.
Pourtant, Monique ne tomba jamais dans le découragement. Par son attitude faite de douceur et de respect, elle sut conquérir progressivement le cœur de son mari. Elle ne répondait pas avec dureté à ses accès de colère, n’alimentait pas de conflits inutiles. Avec le temps, sa constance porta ses fruits : Patrice se convertit et reçut le baptême peu avant de mourir.
Le témoignage de Monique montre que la sainteté ne s’exprime pas nécessairement par des gestes éclatants, mais par la fidélité quotidienne, par l’amour qui sait transformer lentement les situations difficiles. En ce sens, elle est un modèle pour tant d’épouses et de mères qui vivent des mariages marqués par des tensions ou des différences de foi.
Monique mère De son mariage naquirent trois enfants : Augustin, Navigius et une fille dont nous ne connaissons pas le nom. Monique leur prodigua tout son amour, mais surtout sa foi. Navigius et sa sœur suivirent un chemin chrétien exemplaire : Navigius devint prêtre ; sa sœur embrassa la voie de la virginité consacrée. Augustin, en revanche, devint rapidement le centre de ses préoccupations et de ses larmes.
Dès son enfance, Augustin montrait une intelligence extraordinaire. Monique l’envoya étudier la rhétorique à Carthage, désireuse de lui assurer un avenir brillant. Mais avec les progrès intellectuels vinrent aussi les tentations : la sensualité, la mondanité, les mauvaises compagnies. Augustin embrassa la doctrine manichéenne, convaincu d’y trouver des réponses rationnelles au problème du mal. De plus, il commença à vivre en concubinage avec une femme dont il eut un fils, Adéodat. Les égarements de son fils incitèrent Monique à lui refuser l’accueil dans sa propre maison. Mais elle ne cessa pas pour autant de prier pour lui et d’offrir des sacrifices : « Le cœur saignant de ma mère t’offrait pour moi nuit et jour le sacrifice de ses larmes » (Confessions V, 7,13) et « elle versait plus de larmes que n’en versent jamais les mères à la mort physique de leurs enfants » (Confessions III, 11,19).
Pour Monique, ce fut une blessure profonde : son fils, qu’elle avait consacré au Christ dans son sein, était en train de se perdre. La douleur était indicible, mais elle ne cessa jamais d’espérer. Augustin lui-même écrira : « Le cœur de ma mère, frappé d’une telle blessure, n’aurait plus jamais guéri : car je ne saurais exprimer adéquatement ses sentiments envers moi et combien son travail pour m’enfanter dans l’esprit était plus grand que celui avec lequel elle m’avait enfanté dans la chair » (Confessions V, 9,16).
La question qui se pose spontanément est la suivante : pourquoi Monique n’a-t-elle pas fait baptiser Augustin immédiatement après sa naissance ?
En réalité, bien que le baptême des enfants fût déjà connu et pratiqué, ce n’était pas encore une pratique universelle. Beaucoup de parents préféraient le reporter à l’âge adulte, le considérant comme un « lavacrum définitif » : ils craignaient que, si le baptisé péchait gravement, son salut serait compromis. De plus, Patrice, encore païen, n’avait aucun intérêt à éduquer son fils dans la foi chrétienne.
Aujourd’hui, nous voyons clairement que ce fut un choix malheureux, car le baptême non seulement nous rend enfants de Dieu, mais nous donne la grâce de vaincre les tentations et le péché.
Une chose est cependant certaine : s’il avait été baptisé enfant, Monique se serait épargné, à elle et à son fils, beaucoup de souffrances.
L’image la plus forte de Monique est celle d’une mère qui prie et pleure. Les Confessions la décrivent comme une femme infatigable dans son intercession auprès de Dieu pour son fils.
Un jour, un évêque de Thagaste — ou, selon certains, Ambroise lui-même — la rassura avec des paroles restées célèbres : « Va, il ne peut pas se perdre, le fils de tant de larmes ». Cette phrase devint l’étoile polaire de Monique, la confirmation que sa douleur maternelle n’était pas vaine, mais faisait partie d’un mystérieux dessein de grâce.
Ténacité d’une mère La vie de Monique fut aussi un pèlerinage dans les pas d’Augustin. Lorsque son fils décida de partir en secret pour Rome, Monique n’épargna aucun effort ; elle ne considéra pas la cause comme perdue, mais le suivit et le chercha jusqu’à ce qu’elle le trouve. Elle le rejoignit à Milan, où Augustin avait obtenu une chaire de rhétorique. Là, elle trouva un guide spirituel en saint Ambroise, évêque de la ville. Une profonde harmonie naquit entre Monique et Ambroise : elle reconnaissait en lui le pasteur capable de guider son fils, tandis qu’Ambroise admirait sa foi inébranlable.
À Milan, la prédication d’Ambroise ouvrit de nouvelles perspectives à Augustin. Il abandonna progressivement le manichéisme et commença à regarder le christianisme avec des yeux neufs. Monique accompagna silencieusement ce processus : elle ne forçait pas les choses, n’exigeait pas de conversions immédiates, mais priait, apportait son soutien et restait à ses côtés jusqu’à sa conversion.
La conversion d’Augustin Dieu semblait ne pas l’écouter, mais Monique ne cessa jamais de prier et d’offrir des sacrifices pour son fils. Après dix-sept ans, enfin, ses supplications furent exaucées — et comment ! Augustin non seulement devint chrétien, mais il devint prêtre, évêque, docteur et père de l’Église.
Lui-même le reconnaît : « Toi, cependant, dans la profondeur de tes desseins, tu exauças le point vital de son désir, sans te soucier de l’objet momentané de sa demande, mais en veillant à faire de moi ce qu’elle te demandait toujours de faire » (Confessions V, 8,15).
Le moment décisif arriva en 386. Tourmenté intérieurement, Augustin luttait contre les passions et les résistances de sa volonté. Dans le célèbre épisode du jardin de Milan, en entendant la voix d’un enfant qui disait « Tolle, lege » (Prends, lis), il ouvrit l’Épître aux Romains et lut les paroles qui changèrent sa vie : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne suivez pas la chair dans ses désirs » (Rm 13,14).
Ce fut le début de sa conversion. Avec son fils Adéodat et quelques amis, il se retira à Cassiciacum pour se préparer au baptême. Monique était avec eux, participant à la joie de voir enfin exaucées les prières de tant d’années.
La nuit de Pâques 387, dans la cathédrale de Milan, Ambroise baptisa Augustin, Adéodat et les autres catéchumènes. Les larmes de douleur de Monique se transformèrent en larmes de joie. Elle continua à rester à son service, tant et si bien qu’à Cassiciacum, Augustin dira : « Elle prit soin de nous comme si elle avait été la mère de tous et nous servit comme si elle avait été la fille de tous. »
Ostie : l’extase et la mort Après le baptême, Monique et Augustin se préparèrent à retourner en Afrique. S’étant arrêtés à Ostie, où ils attendaient le bateau, ils vécurent un moment d’intense spiritualité. Les Confessions racontent l’extase d’Ostie : la mère et son fils, penchés à une fenêtre, contemplèrent ensemble la beauté de la création et s’élevèrent vers Dieu, goûtant par avance la béatitude du ciel.
Monique dira : « Mon fils, quant à moi, je ne trouve plus aucun attrait pour cette vie. Je ne sais ce que je fais encore ici-bas et pourquoi je me trouve ici. Ce monde n’est plus l’objet de mes désirs. Il n’y avait qu’une seule raison pour laquelle je désirais rester encore un peu dans cette vie : te voir chrétien catholique, avant de mourir. Dieu m’a exaucée au-delà de toutes mes attentes, il m’a accordé de te voir à son service et affranchi des aspirations de bonheur terrestres. Que fais-je ici ?» (Confessions IX, 10,11). Elle avait atteint son but terrestre.
Quelques jours plus tard, Monique tomba gravement malade. Sentant la fin proche, elle dit à ses enfants : « Mes enfants, vous enterrerez votre mère ici ; ne vous souciez pas de l’endroit. Je vous demande seulement ceci : souvenez-vous de moi à l’autel du Seigneur, où que vous soyez. » C’était la synthèse de sa vie : le lieu de la sépulture ne lui importait pas, mais le lien dans la prière et l’Eucharistie.
Elle mourut à 56 ans, le 12 novembre 387, et fut enterrée à Ostie. Au VIe siècle, ses reliques furent transférées dans une crypte cachée dans l’église Sant’Aurea. En 1425, les reliques furent transférées à Rome, dans la basilique Sant’Agostino in Campo Marzio, où elles sont encore vénérées aujourd’hui.
Le profil spirituel de Monique Augustin décrit sa mère en pesant bien ses mots : « […] femme quant à son aspect, virile dans sa foi, âgée par sa sérénité, maternelle par son amour, chrétienne par sa piété […] ». (Confessions IX, 4, 8).
Et encore : « […] veuve chaste et sobre, assidue à l’aumône, dévote et soumise à tes saints, ne laissant passer aucun jour sans apporter l’offrande à ton autel, visitant ton église deux fois par jour, matin et soir, sans faute, et non pour jaser vainement et bavarder comme les autres vieilles femmes, mais pour entendre tes paroles et te faire entendre ses oraisons. Les larmes d’une telle femme, qui par elles te demandait non de l’or ni de l’argent, ni des biens périssables ou volages, mais le salut de l’âme de son fils, aurais-tu pu les dédaigner, toi qui l’avais ainsi faite par ta grâce, en lui refusant ton secours ? Certainement non, Seigneur. Toi, au contraire, tu étais près d’elle et tu l’exauçais, agissant selon l’ordre par lequel tu avais prévu de devoir agir » (Confessions V, 9,17).
De ce témoignage d’Augustin émerge une figure d’une actualité surprenante.
Elle fut une femme de prière : elle ne cessa jamais d’invoquer Dieu pour le salut de ses proches. Ses larmes deviennent un modèle d’intercession persévérante.
Elle fut une épouse fidèle : dans un mariage difficile, elle ne répondit jamais avec ressentiment à la dureté de son mari. Sa patience et sa douceur furent des instruments d’évangélisation.
Elle fut une mère courageuse : elle n’abandonna pas son fils dans ses égarements, mais l’accompagna avec un amour tenace, capable de faire confiance au temps de Dieu.
Elle fut un témoin d’espérance : sa vie montre qu’aucune situation n’est désespérée, si elle est vécue dans la foi.
Le message de Monique n’appartient pas seulement au IVe siècle. Il parle encore aujourd’hui, dans un contexte où de nombreuses familles vivent des tensions, où des enfants s’éloignent de la foi, où des parents expérimentent la fatigue de l’attente.
Aux parents elle enseigne à ne pas renoncer, à croire que la grâce opère de manière mystérieuse.
Aux femmes chrétiennes, elle montre comment la douceur et la fidélité peuvent transformer des relations difficiles.
À quiconque se sent découragé dans la prière, elle témoigne que Dieu écoute, même si son temps ne coïncide pas avec le nôtre.
Ce n’est pas un hasard si de nombreuses associations et mouvements ont choisi Monique comme patronne des mères chrétiennes et des femmes qui prient pour leurs enfants éloignés de la foi.
Une femme simple et extraordinaire La vie de sainte Monique est l’histoire d’une femme à la fois simple et extraordinaire. Simple, parce qu’elle a vécu le quotidien d’une famille ; extraordinaire, parce qu’elle était transfigurée par la foi. Ses larmes et ses prières ont façonné un saint et, à travers lui, ont profondément marqué l’histoire de l’Église.
Sa mémoire, célébrée le 27 août, à la veille de la fête de saint Augustin, nous rappelle que la sainteté passe souvent par la persévérance cachée, le sacrifice silencieux, l’espérance qui ne déçoit pas.
Dans les paroles d’Augustin, adressées à Dieu pour sa mère, nous trouvons la synthèse de son héritage spirituel : « Je ne puis dire assez combien mon âme lui est redevable, mon Dieu ; mais tu sais tout. Rends-lui par ta miséricorde ce qu’elle te demanda pour moi avec tant de larmes » (Conf., IX, 13).
À travers les événements de sa vie, sainte Monique a atteint le bonheur éternel qu’elle a elle-même défini : « Le bonheur consiste sans aucun doute à atteindre le but et à croire que nous pouvons le rejoindre par une foi ferme, une espérance vive, une charité ardente » (La Félicité 4,35).
La bergère, les brebis et les agneaux (1867)
Dans le passage qui suit, Don Bosco, fondateur de l’Oratoire de Valdocco, raconte à ses jeunes un rêve qu’il a fait dans la nuit du 29 au 30 mai 1867 et qu’il a narré le soir du dimanche de la Sainte Trinité. Dans une plaine immense, les troupeaux et les agneaux deviennent l’allégorie du monde et des jeunes : les prairies luxuriantes ou les déserts arides figurent la grâce et le péché ; les cornes et les blessures dénoncent le scandale et le déshonneur ; le chiffre « 3 » annonce trois famines – spirituelle, morale, matérielle – qui menacent ceux qui s’éloignent de Dieu. De ce récit jaillit l’appel pressant du saint : préserver l’innocence, revenir à la grâce par la pénitence, afin que chaque jeune puisse se revêtir des fleurs de la pureté et participer à la joie promise par le bon Pasteur.
Le dimanche de la Sainte Trinité, 16 juin, jour où vingt-six ans auparavant Don Bosco avait célébré sa première messe, les jeunes attendaient le rêve, dont le récit avait été annoncé par lui le 13. Son ardent désir était le bien de son troupeau spirituel, et sa norme étaient toujours les avertissements et les promesses du chapitre XXVII, v. 23-25 du livre des Proverbes : Diligenter agnosce vultum pecoris tui, tuosque greges considera : non enim habebis iugiter potestatem : sed corona tribuetur in generationem et generationem. Aperta sunt prata, et apparuerunt herbae virentes, et collecta sunt foena de montibus… (Préoccupe-toi de l’état de ton troupeau, prends soin de tes troupeaux, car les richesses ne sont pas éternelles et une couronne ne dure pas pour toujours. Quand le foin a été emporté, l’herbe nouvelle repousse et on recueille les fourrages dans les montagnes, Prov 27,23-25). Dans ses prières, il demandait d’acquérir une connaissance exacte de ses brebis, d’avoir la grâce de veiller sur elles attentivement, d’assurer leur protection même après sa mort et de les voir pourvues d’une bonne nourriture spirituelle et matérielle. Voici comment Don Bosco parla après les prières du soir.
Dans l’une des dernières nuits du mois de Marie, le 29 ou 30 mai, étant au lit et ne pouvant dormir, je pensais à mes chers jeunes et je me disais en moi-même :
– Oh si je pouvais rêver quelque chose qui leur soit profitable !
Je restai un moment à réfléchir et je me résolus :
– Oui ! maintenant je veux faire un rêve pour les jeunes !
Et voilà que je m’endormis. À peine pris par le sommeil, je me trouvai dans une immense plaine couverte d’un nombre infini de grosses brebis, réparties en troupeaux, qui broutaient dans des prairies à perte de vue. Je voulus m’approcher d’elles et je me mis à chercher le berger, m’étonnant qu’il puisse y avoir dans le monde quelqu’un qui possédait un si grand nombre de brebis. Je cherchai un bref moment, quand je vis devant moi un berger appuyé sur son bâton. Je m’approchai immédiatement pour l’interroger et lui demandai :
– À qui appartient ce grand troupeau ?
Le berger ne me répondit pas. Je répétai la question et alors il me dit :
– Que veux-tu savoir ?
– Et pourquoi, lui dis-je, me réponds-tu de cette manière ?
– Eh bien, ce troupeau appartient à son maître !
À son maître ? Je le savais déjà, me dis-je en moi-même. Puis je continuai à haute voix :
– Qui est ce maître ?
– Ne t’inquiète pas, me répondit le berger, tu le sauras.
Alors, parcourant avec lui cette vallée, je me mis à examiner le troupeau et toute cette région où il errait. La vallée était en certains endroits couverte d’une riche verdure avec des arbres étendant de larges frondaisons avec des ombres gracieuses et de l’herbe fraîche dont se nourrissaient de belles et florissantes brebis. Dans d’autres endroits, la plaine était stérile, sablonneuse, pleine de pierres avec des épineux sans feuilles, et des herbes jaunies, et il n’y avait pas un brin d’herbe fraîche ; et pourtant ici aussi il y avait beaucoup d’autres brebis qui paissaient, mais d’apparence misérable.
Je demandais diverses explications à mon guide concernant ce troupeau, et lui, sans donner aucune réponse à mes questions, me dit :
– Tu n’es pas destiné à eux. Tu ne dois pas penser à celles-là. Je te ferai voir le troupeau dont tu dois prendre soin.
– Mais qui es-tu ?
– Je suis le maître ; viens voir avec moi là-bas, de ce côté.
Et il me conduisit à un autre point de la plaine où se trouvaient des milliers et des milliers de petits agneaux. Ceux-ci étaient si nombreux qu’on ne pouvait les compter, mais si maigres qu’ils peinaient à marcher. La prairie était sèche et aride et sablonneuse et on n’y voyait pas un brin d’herbe fraîche, pas un ruisseau, mais seulement quelques buissons desséchés et des broussailles arides. Chaque pâturage avait été complètement détruit par les agneaux eux-mêmes.
On voyait à première vue que ces pauvres agneaux couverts de plaies avaient beaucoup souffert et souffraient encore beaucoup. Chose étrange ! Chacun avait deux cornes longues et grosses qui lui poussaient sur le front, comme s’ils étaient de vieux béliers, et à la pointe des cornes ils avaient un appendice en forme de « S ». Étonné, je restai perplexe en voyant cet étrange appendice d’un genre si nouveau, et je ne pouvais me résoudre à comprendre pourquoi ces agneaux avaient déjà des cornes si longues et si grosses, et avaient déjà détruit si tôt toute leur pâture.
– Comment cela se fait-il ? dis-je au berger. Ces agneaux sont encore si petits et ont déjà de telles cornes ?
– Regarde, me répondit-il ; observe.
En observant plus attentivement, je vis que ces agneaux portaient beaucoup de chiffres « 3 » imprimés sur toutes les parties du corps, sur le dos, sur la tête, sur le museau, sur les oreilles, sur le nez, sur les pattes, sur les ongles.
– Mais que signifie cela ? m’écriai-je. Je ne comprends rien.
– Comment, tu ne comprends pas ? dit le berger. Écoute donc et tu sauras tout. Cette vaste plaine est le grand monde. Les lieux pleins d’herbe, la parole de Dieu et la grâce. Les lieux stériles et arides sont les lieux où l’on n’écoute pas la parole de Dieu et où l’on cherche seulement à plaire au monde. Les brebis sont les hommes faits, les agneaux sont les jeunes et pour ceux-ci, Dieu a envoyé Don Bosco. Ce coin de la plaine que tu vois est l’Oratoire et les agneaux rassemblés ici sont tes enfants. Cet endroit si aride représente l’état de péché. Les cornes signifient le déshonneur. La lettre « S » signifie scandale. Ils vont à la ruine par le mauvais exemple. Parmi ces agneaux, il y en a quelques-uns qui ont les cornes cassées ; ils ont été scandaleux, mais maintenant ils ont cessé de donner du scandale. Le chiffre « 3 » signifie qu’ils portent les peines de leurs fautes, c’est-à-dire qu’ils souffriront trois grandes famines : une famine spirituelle, une famine morale et une famine matérielle : 1° Famine d’aides spirituelles : ils demanderont cette aide et ne l’auront pas. 2° Famine de la parole de Dieu. 3° Famine de pain matériel. Le fait que les agneaux ont tout mangé signifie qu’il ne leur reste plus rien d’autre que le déshonneur et le nombre « 3 », c’est-à-dire les famines. Ce spectacle montre aussi les souffrances actuelles de tant de jeunes au milieu du monde. À l’Oratoire, même ceux qui en seraient indignes ne manquent pas de pain matériel.
Pendant que j’écoutais et observais tout comme quelqu’un qui a perdu la mémoire, voilà une nouvelle merveille. Tous ces agneaux changèrent d’apparence !
Se levant sur leurs pattes arrière, ils devinrent grands et prirent tous la forme de jeunes garçons. Je m’approchai pour voir si j’en connaissais quelques-uns. C’étaient tous des jeunes de l’Oratoire. Il y en avait beaucoup que je n’avais jamais vus, mais tous se disaient fils de notre Oratoire. Et parmi ceux que je ne connaissais pas, il y en avait aussi quelques-uns qui se trouvent actuellement à l’Oratoire. Ce sont ceux qui ne se présentent jamais à Don Bosco, qui ne vont jamais chercher conseil auprès de lui, ceux qui l’évitent, en un mot, ceux que Don Bosco ne connaît pas encore ! L’immense majorité cependant des inconnus était composée de ceux qui n’ont pas été ou qui ne sont pas encore à l’Oratoire.
Pendant que j’observais avec peine cette multitude, celui qui m’accompagnait me prit par la main et me dit :
– Viens avec moi et tu verras autre chose ! – Et il me conduisit dans un endroit reculé de la vallée, entouré de petites collines, ceint d’une haie de plantes luxuriantes, où se trouvait une grande prairie verdoyante, la plus fertile qu’on puisse imaginer, remplie de toutes sortes d’herbes odorantes, parsemée de fleurs des champs, avec de frais bosquets et des ruisseaux d’eaux limpides. Ici, je trouvai un autre grand nombre de fils, tous joyeux, qui avec les fleurs de la prairie s’étaient confectionné ou allaient se confectionner un bel habit.
– Au moins, tu as là ceux qui te donnent de grandes consolations.
– Et qui sont-ils ? demandai-je.
– Ce sont ceux qui se trouvent en grâce de Dieu.
Ah ! je peux dire que je n’ai jamais vu de choses et de personnes aussi belles et éclatantes, ni jamais je n’aurais pu imaginer de telles splendeurs. Il est inutile que je me mette à les décrire, car ce serait gâcher ce qui est impossible à dire si on ne les voit pas. Il m’était cependant réservé un spectacle bien plus surprenant. Pendant que je regardais avec un immense plaisir ces jeunes garçons et que je contemplais beaucoup d’entre eux que je ne connaissais pas encore, mon guide me dit :
– Viens, viens avec moi et je te ferai voir une chose qui te donnera une joie et une consolation plus grandes. – Et il me conduisit dans une autre prairie toute parsemée de fleurs plus belles et plus odorantes que celles déjà vues. Elle avait l’aspect d’un jardin princier. Ici, on apercevait un nombre plus limité de jeunes, mais qui étaient d’une beauté et d’un éclat si extraordinaires qu’ils faisaient oublier ceux que je venais d’admirer. Certains d’entre eux sont déjà à l’Oratoire, d’autres y viendront plus tard.
Le berger me dit :
– Voici ceux qui conservent le beau lys de la pureté. Ils sont encore vêtus de l’étole de l’innocence.
Je regardais, extasié. Presque tous portaient sur la tête une couronne de fleurs d’une beauté indescriptible. Ces fleurs étaient composées d’autres petites fleurs d’une délicatesse surprenante, et leurs couleurs étaient d’une vivacité et d’une variété enchanteresses. Plus de mille couleurs dans une seule fleur, et dans une seule fleur on voyait plus de mille fleurs. Une robe d’une blancheur éclatante descendait à leurs pieds, elle aussi toute entrelacée de guirlandes de fleurs, semblables à celles de la couronne. La lumière charmante qui émanait de ces fleurs revêtait toute la personne et reflétait en elle sa propre gaieté. Les fleurs se reflétaient les unes dans les autres et celles des couronnes dans celles des guirlandes, réverbérant chacune les rayons émis par les autres. Un rayon d’une couleur contrastant avec un rayon d’une autre couleur formait de nouveaux rayons, différents, scintillants et donc à chaque rayon se reproduisaient toujours de nouveaux rayons, si bien que je n’aurais jamais pu croire qu’il y ait au paradis un enchantement si varié. Ce n’est pas tout. Les rayons et les fleurs de la couronne des uns se reflétaient dans les fleurs et dans les rayons de la couronne de tous les autres, comme aussi les guirlandes, et la richesse de la robe des uns se reflétait dans les guirlandes, dans les robes des autres. Les splendeurs ensuite du visage d’un jeune, en rebondissant, se fondaient avec celles du visage des compagnons et se réverbéraient multipliées sur toutes ces petites faces innocentes et rondes, produisant tant de lumière qu’elles éblouissaient la vue et empêchaient de fixer le regard.
Ainsi, en un seul s’accumulaient les beautés de tous les autres compagnons dans une harmonie de lumière ineffable ! C’était la gloire accidentelle des saints. Il n’y a aucune image humaine pour décrire même de loin combien chacun de ces jeunes devenait beau au milieu de cet océan de splendeurs. Parmi eux, j’en observai quelques-uns en particulier, qui sont maintenant ici à l’Oratoire et je suis certain que, s’ils pouvaient voir au moins le dixième de leur actuelle beauté, ils seraient prêts à souffrir le feu, à se laisser couper en morceaux, à subir en somme le plus atroce des martyrs plutôt que de la perdre.
Dès que je pus me remettre un peu de ce spectacle céleste, je me tournai vers le guide et lui dis :
– Mais parmi tant de mes jeunes, il y a donc si peu d’innocents ? Ils sont si peu nombreux ceux qui n’ont jamais perdu la grâce de Dieu ?
Le berger me répondit :
– Comment ? Tu penses que le nombre n’est pas assez grand ? Sache que ceux qui ont eu le malheur de perdre le beau lys de la pureté, et avec cela l’innocence, peuvent encore suivre leurs compagnons dans la pénitence. Regarde : dans cette prairie il y a encore beaucoup de fleurs ; eh bien, ils peuvent s’en servir pour tisser une couronne et une belle robe et même suivre les innocents dans la gloire.
– Suggère-moi encore quelque chose à dire à mes jeunes ! dis-je alors.
– Répète à tes jeunes que s’ils connaissaient combien l’innocence et la pureté sont précieuses et belles aux yeux de Dieu, ils seraient disposés à faire n’importe quel sacrifice pour la conserver. Dis-leur qu’ils se donnent du courage pour pratiquer cette vertu candide, qui surpasse les autres en beauté et en éclat. Car les chastes sont ceux qui crescunt tanquam lilia in conspectu Domini (ils croissent comme des lys devant le Seigneur).
Je voulus alors aller au milieu de mes chers fils, si bellement couronnés, mais je trébuchai sur le sol et, me réveillant, je me suis retrouvé dans mon lit.
Mes chers fils, êtes-vous tous innocents ? Peut-être y en a-t-il quelques-uns parmi vous et je veux m’adresser à eux. Par pitié, ne perdez pas un bien d’une valeur inestimable ! C’est une richesse qui vaut autant que vaut le Paradis, autant que vaut Dieu ! Si vous aviez pu voir comme ces jeunes étaient beaux avec leurs fleurs. L’ensemble de ce spectacle était tel que j’aurais donné n’importe quoi au monde pour jouir encore de cette vision. En fait, si j’étais peintre, je considérerais comme une grande grâce de pouvoir peindre d’une manière ou d’une autre ce que j’ai vu. Si vous connaissiez la beauté d’un innocent, vous vous soumettriez à n’importe quel effort le plus pénible, même à la mort, pour conserver le trésor de l’innocence.
Quant à ceux qui étaient revenus en grâce, bien que cela m’ait apporté une grande consolation, j’espérais cependant que leur nombre serait bien plus grand. Et je restai très étonné en voyant quelqu’un qui semble ici apparemment un bon jeune, mais qui avait là des cornes longues et grosses…
Don Bosco termina par une chaude exhortation à ceux qui ont perdu l’innocence, pour qu’ils s’efforcent volontiers de retrouver la grâce au moyen de la pénitence.
Deux jours plus tard, le 18 juin, Don Bosco remontait le soir sur l’estrade et donna quelques explications de son rêve.
Aucune explication ne serait plus nécessaire concernant le rêve, mais je répéterai ce que j’ai déjà dit. La grande plaine est le monde, et aussi les lieux et l’état d’où ont été appelés ici tous nos jeunes. Le lieu où se trouvaient les agneaux est l’Oratoire. Les agneaux sont tous les jeunes, qui ont été, sont actuellement, et seront à l’Oratoire. Les trois prairies de cet endroit, celle qui est aride, la verte, et celle qui est fleurie, indiquent l’état de péché, l’état de grâce et l’état d’innocence. Les cornes des agneaux sont les scandales qui ont été donnés dans le passé. Ceux qui avaient les cornes cassées ce sont ceux qui ont été scandaleux, mais qui maintenant ont cessé de donner du scandale. Tous ces chiffres « 3 », qu’on voyait imprimés sur chaque agneau, ce sont, comme je l’ai su du berger, trois châtiments que Dieu enverra sur les jeunes : 1° Famine par manque d’aides spirituelles. 2° Famine morale, c’est-à-dire manque d’instruction religieuse et de la parole de Dieu. 3° Famine matérielle, c’est-à-dire manque même de nourriture. Les jeunes resplendissants sont ceux qui se trouvent en grâce de Dieu, et surtout ceux qui conservent encore l’innocence baptismale et la belle vertu de la pureté. Comme elle est grande la gloire qui les attend !
Mettons-nous donc, chers jeunes, à pratiquer courageusement la vertu. Celui qui n’est pas en grâce de Dieu, qu’il s’y mette de bon cœur et donc avec toutes ses forces et avec l’aide de Dieu, qu’il persévère jusqu’à la mort. Que si nous ne pouvons tous être en compagnie des innocents et faire couronne à Jésus, l’Agneau immaculé, nous pouvons au moins le suivre après eux.
Un de vous m’a demandé s’il était parmi les innocents et je lui dis que non et qu’il avait des cornes, mais cassées. Il me demanda encore s’il avait des plaies et je lui dis oui.
– Et que signifient ces plaies ? ajouta-t-il.
Je répondis :
– N’aie pas peur. Elles sont cicatrisées, elles disparaîtront ; ces plaies ne sont plus déshonorantes, comme ne sont pas déshonorantes les cicatrices d’un combattant, qui malgré les nombreuses blessures et l’assaut et les efforts de l’ennemi, sut vaincre et remporter la victoire. Ce sont donc des cicatrices honorables !… Mais il est plus honorable celui qui, combattant vaillamment au milieu des ennemis, ne reçoit aucune blessure. Son intégrité suscite l’émerveillement de tous.
En expliquant ce rêve, Don Bosco dit aussi qu’il ne passera plus beaucoup de temps avant que ces trois maux ne se fassent sentir : – Peste, famine et donc manque de moyens pour faire le bien.
Il ajouta qu’avant trois mois il se passera quelque chose de particulier.
Ce rêve produisit chez les jeunes l’impression et les fruits qu’avaient obtenus très souvent des récits semblables.
(MB VIII 839-845)
Vers les hauteurs ! Saint Pier Giorgio Frassati
« Chers jeunes, notre espérance est Jésus. C’est Lui, comme le disait Saint Jean-Paul II, « qui suscite en vous le désir de faire de votre vie quelque chose de grand […], pour vous améliorer et améliorer la société, la rendant plus humaine et plus fraternelle » (XVe Journée Mondiale de la Jeunesse, Veillée de Prière, 19 août 2000). Restons unis à Lui, demeurons dans son amitié, toujours, en la cultivant par la prière, l’adoration, la Communion eucharistique, la Confession fréquente, la charité généreuse, comme nous l’ont enseigné les bienheureux Pier Giorgio Frassati et Carlo Acutis, qui seront bientôt proclamés Saints. Aspirez à de grandes choses, à la sainteté, où que vous soyez. Ne vous contentez pas de moins. Alors vous verrez grandir chaque jour, en vous et autour de vous, la lumière de l’Évangile » (Pape Léon XIV – homélie Jubilé des jeunes – 3 août 2025).
Pier Giorgio et Don Cojazzi
Le sénateur Alfredo Frassati, ambassadeur du Royaume d’Italie à Berlin, était le propriétaire et le directeur du quotidien La Stampa de Turin. Les Salésiens lui devaient une grande reconnaissance. À l’occasion du grand scandale connu sous le nom « L’affaire de Varazze », où l’on avait cherché à jeter le discrédit sur l’honorabilité des Salésiens, Frassati avait pris leur défense. Alors même que certains journaux catholiques semblaient perdus et désorientés face aux graves accusations, La Stampa, après une enquête rapide, avait anticipé les conclusions de la magistrature en proclamant l’innocence des Salésiens. Aussi, lorsque la famille Frassati demanda un Salésien pour suivre les études des deux enfants du sénateur, Pier Giorgio et Luciana, le Recteur Majeur Don Paolo Albera se sentit obligé d’accepter. Il envoya Don Antonio Cojazzi (1880-1953). C’était l’homme qu’il fallait : bonne culture, tempérament jeune et une capacité de communication exceptionnelle. Don Cojazzi avait obtenu une licence en lettres en 1905, en philosophie en 1906, et le diplôme d’aptitude à l’enseignement de la langue anglaise après un sérieux perfectionnement en Angleterre.
Chez les Frassati, Don Cojazzi devint plus qu’un simple « précepteur » qui suivait les enfants. Il devint un ami, surtout de Pier Giorgio, dont il dira : « Je l’ai connu à dix ans et je l’ai suivi pendant presque tout le collège et le lycée avec des leçons qui, les premières années, étaient quotidiennes ; je l’ai suivi avec un intérêt et une affection qui n’ont cessé de grandir ». Pier Giorgio, devenu l’un des jeunes leaders de l’Action Catholique de Turin, écoutait les conférences et les leçons que Don Cojazzi donnait aux membres du Cercle C. Balbo, suivait avec intérêt la Rivista dei Giovani, montait parfois à Valsalice en quête de lumière et de conseil dans les moments décisifs.
Un moment de notoriété
Pier Giorgio l’eut lors du Congrès National de la Jeunesse Catholique italienne, en 1921, quand cinquante mille jeunes défilèrent dans Rome en chantant et en priant. Pier Giorgio, étudiant en polytechnique, portait le drapeau tricolore du cercle turinois C. Balbo. Les troupes royales, tout à coup, encerclèrent l’énorme cortège et l’assaillirent pour arracher les drapeaux. On voulait empêcher les désordres. Un témoin raconta : « Ils frappent avec les crosses des mousquets, saisissent, brisent, arrachent nos drapeaux. Je vois Pier Giorgio aux prises avec deux gardes. Nous accourons à son aide, et le drapeau, avec la hampe brisée, reste dans ses mains. Emprisonnés de force dans une cour, les jeunes catholiques sont interrogés par la police. Le témoin se souvient du dialogue mené avec les manières et les courtoisies utilisées dans de telles circonstances :
– Et toi, comment t’appelles-tu ?
– Pier Giorgio Frassati, fils d’Alfredo.
– Que fait ton père ?
– Ambassadeur d’Italie à Berlin.
Stupeur, changement de ton, excuses, offre de liberté immédiate.
– Je sortirai quand les autres sortiront.
Pendant ce temps, le spectacle bestial continue. Un prêtre est jeté, littéralement jeté dans la cour avec sa soutane déchirée et une joue ensanglantée… Ensemble, nous nous sommes agenouillés par terre, dans la cour, quand ce prêtre blessé a levé son chapelet et a dit : « Oh ! les jeunes, pour nous et pour ceux qui nous ont frappés, prions ! »
Il aimait les pauvres
Pier Giorgio aimait les pauvres, il allait les chercher dans les quartiers les plus éloignés de la ville, montait les escaliers étroits et sombres, entrait dans les greniers où n’habitent que la misère et la douleur. Tout ce qu’il avait en poche était pour les autres, comme tout ce qu’il avait dans son cœur. Il arrivait à passer les nuits au chevet de malades inconnus. Une nuit où il ne rentrait pas, son père, de plus en plus anxieux, téléphona à la préfecture, aux hôpitaux. À deux heures du matin, il entendit la clé tourner dans la serrure et Pier Giorgio entra. Papa explosa :
– Écoute, tu peux rester dehors le jour, la nuit, personne ne te dit rien. Mais quand tu rentres si tard, préviens, téléphone !
Pier Giorgio le regarda, et avec sa simplicité habituelle répondit :
– Papa, là où j’étais, il n’y avait pas de téléphone.
Les Conférences Saint-Vincent de Paul le virent comme un collaborateur assidu ; les pauvres le connurent comme un consolateur et un secouriste ; les misérables greniers l’accueillirent souvent entre leurs murs sordides comme un rayon de soleil pour leurs habitants délaissés. D’une profonde humilité, il ne voulait pas que ce qu’il faisait soit connu de quiconque.
Mon beau et saint Giorgetto
Début juillet 1925, Pier Giorgio fut frappé et terrassé par une violente attaque de poliomyélite. Il avait 24 ans. Sur son lit de mort, alors qu’une terrible maladie dévastait son dos, il pensa encore à ses pauvres. Sur un billet, d’une écriture presque illisible, il écrivit pour l’ingénieur Grimaldi, son ami : Voici les injections de Converso, la police d’assurance est de Sappa. Je l’ai oubliée, pense à la renouveler.
De retour des funérailles de Pier Giorgio, Don Cojazzi écrit d’un trait un article pour la Rivista dei Giovani : « Je répéterai la vieille phrase, mais très sincère : je ne croyais pas l’aimer autant. Mon beau et saint Giorgetto ! Pourquoi ces mots me chantent-ils avec insistance dans le cœur ? Parce que je les ai entendus répéter, je les ai entendus prononcer pendant presque deux jours, par son père, sa mère, sa sœur, d’une voix qui disait toujours et ne répétait jamais. Et pourquoi me viennent en mémoire certains vers d’une ballade de Deroulède : « On parlera de lui longtemps, dans les palais dorés et dans les chaumières perdues ! Car les taudis et les greniers, où il passa tant de fois comme un ange consolateur, parleront aussi de lui. » Je l’ai connu à dix ans et je l’ai suivi pendant presque tout le collège et une partie du lycée… Je l’ai suivi avec une affection et un intérêt croissants jusqu’à sa transfiguration actuelle… J’écrirai sa vie. Il s’agit de la collecte de témoignages qui présentent la figure de ce jeune dans la plénitude de sa lumière, dans la vérité spirituelle et morale, dans le témoignage lumineux et contagieux de bonté et de générosité. »
Le best-seller de l’édition catholique
Encouragé et poussé également par l’archevêque de Turin, Mgr Giuseppe Gamba, Don Cojazzi se mit au travail avec ardeur. Les témoignages arrivèrent nombreux et qualifiés, ils furent ordonnés et examinés avec soin. La mère de Pier Giorgio suivait le travail, donnait des suggestions, fournissait du matériel. En mars 1928, la vie de Pier Giorgio est publiée. Luigi Gedda écrit : « Ce fut un succès retentissant. En seulement neuf mois, 30 000 exemplaires du livre furent épuisés. En 1932, 70 000 exemplaires avaient déjà été diffusés. En 15 ans, le livre sur Pier Giorgio atteignit 11 éditions, et fut peut-être le best-seller de l’édition catholique à cette époque. » La figure mise en lumière par Don Cojazzi fut un étendard pour l’Action Catholique pendant la période difficile du fascisme. En 1942, 771 associations de jeunes de l’Action Catholique, 178 sections aspirantes, 21 associations universitaires, 60 groupes d’étudiants du secondaire, 29 conférences de Saint-Vincent de Paul, 23 groupes d’Évangile… avaient pris le nom de Pier Giorgio Frassati. Le livre fut traduit dans au moins 19 langues. Le livre de Don Cojazzi marqua un tournant dans l’histoire de la jeunesse italienne. Pier Giorgio fut l’idéal désigné sans aucune réserve : quelqu’un qui a su démontrer qu’être chrétien jusqu’au bout n’est pas du tout utopique, ni fantastique.
Pier Giorgio Frassati marqua également un tournant dans l’histoire de Don Cojazzi. Ce billet écrit par Pier Giorgio sur son lit de mort lui révéla de manière concrète, presque brutale, le monde des pauvres. Don Cojazzi lui-même écrit : « Le Vendredi Saint de cette année (1928), avec deux universitaires, j’ai visité pendant quatre heures les pauvres en dehors de la Porta Metronia. Cette visite m’a procuré une leçon et une humiliation très salutaires. J’avais beaucoup écrit et parlé sur les Conférences Saint-Vincent de Paul… et pourtant je n’étais jamais allé une seule fois visiter les pauvres. Dans ces taudis sordides, les larmes me sont souvent venues aux yeux… La conclusion ? La voici claire et crue pour moi et pour vous : moins de belles paroles et plus de bonnes œuvres. »
Le contact vivant avec les pauvres n’est pas seulement une mise en œuvre immédiate de l’Évangile, mais une école de vie pour les jeunes. C’est la meilleure école pour les jeunes, pour les éduquer et les maintenir dans le sérieux de la vie. Qui va visiter les pauvres et touche du doigt leurs plaies matérielles et morales, comment peut-il gaspiller son argent, son temps, sa jeunesse ? Comment peut-il se plaindre de ses propres travaux et douleurs, quand il a connu, par expérience directe, que d’autres souffrent plus que lui ?
Ne pas vivoter, mais vivre !
Pier Giorgio Frassati est un exemple lumineux de sainteté juvénile, actuel, qui « cadre » avec notre époque. Il atteste une fois de plus que la foi en Jésus-Christ est la religion des forts et des vraiment jeunes, qui seule peut illuminer toutes les vérités avec la lumière du « mystère » et qui seule peut donner la joie parfaite. Son existence est le modèle parfait de la vie normale à la portée de tous. Lui, comme tous les disciples de Jésus et de l’Évangile, commença par les petites choses ; il atteignit les hauteurs les plus sublimes à force de se soustraire aux compromis d’une vie médiocre et sans signification et en employant son entêtement naturel dans de fermes résolutions. Tout, dans sa vie, lui fut un marchepied pour monter, même ce qui aurait dû être un obstacle. Parmi ses compagnons, il était l’animateur intrépide et exubérant de toute entreprise, attirant autour de lui tant de sympathie et tant d’admiration. La nature lui avait été généreuse : famille renommée, riche, esprit solide et pratique, physique imposant et robuste, éducation complète, rien ne lui manquait pour se faire une place dans la vie. Mais il n’entendait pas vivoter, mais plutôt conquérir sa place au soleil, en luttant. C’était une trempe d’homme et une âme de chrétien.
Sa vie avait en elle-même une cohérence qui reposait sur l’unité de l’esprit et de l’existence, de la foi et des œuvres. La source de cette personnalité si lumineuse était dans sa profonde vie intérieure. Frassati priait. Sa soif de la Grâce lui faisait aimer tout ce qui remplit et enrichit l’esprit. Il s’approchait chaque jour de la Sainte Communion, puis restait au pied de l’autel, longtemps, sans que rien ne puisse le distraire. Il priait sur les montagnes et en chemin. Ce n’était cependant pas une foi ostentatoire, même s’il faisait de grands signes de croix sur la voie publique en passant devant les églises, même s’il récitait le chapelet à haute voix, dans un wagon de chemin de fer ou dans une chambre d’hôtel. Mais c’était plutôt une foi vécue si intensément et sincèrement qu’elle jaillissait de son âme généreuse et franche avec une simplicité qui convainquait et émouvait. Sa formation spirituelle se renforçait dans les adorations nocturnes dont il fut un fervent promoteur et un participant assidu. Il fit plus d’une fois les exercices spirituels, qui lui procuraient sérénité et vigueur spirituelle.
Le livre de Don Cojazzi se termine par la phrase : « Il suffit de l’avoir connu ou d’avoir entendu parler de lui pour l’aimer, et l’aimer, c’est le suivre. » Le souhait est que le témoignage de Piergiorgio Frassati soit « sel et lumière » pour tous, surtout pour les jeunes d’aujourd’hui.
La conversion
Dialogue entre un homme récemment converti au Christ et un ami incroyant :
– Alors tu t’es converti au Christ ?
– Oui.
– Alors tu dois savoir beaucoup de choses sur lui. Dis-moi, dans quel pays est-il né ?
– Je ne sais pas.
– Quel âge avait-il quand il est mort ?
– Je ne sais pas.
– Combien de livres a-t-il écrits ?
– Je ne sais pas.
– Tu en sais décidément bien peu pour un homme qui prétend s’être converti au Christ !
– Tu as raison. J’ai honte du peu que je sais sur lui. Mais ce que je sais, c’est qu’il y a trois ans, j’étais un ivrogne. J’étais très endetté. Ma famille s’effondrait. Ma femme et mes enfants redoutaient mon retour à la maison tous les soirs. Mais aujourd’hui, j’ai arrêté de boire, nous n’avons plus de dettes, notre foyer est heureux, mes enfants attendent avec impatience que je rentre le soir. Tout cela, le Christ l’a fait pour moi. Voilà ce que je sais du Christ.
Ce qui importe le plus, c’est précisément la manière dont Jésus change notre vie. Il faut le souligner avec force : suivre Jésus, c’est changer notre regard sur Dieu, sur les autres, sur le monde et sur nous-mêmes. C’est une autre façon de vivre et une autre façon de mourir que celle préconisée par l’opinion courante. C’est le mystère de la « conversion ».
Si avec ses garçons Don Bosco plaisantait volontiers pour les voir gais et sereins, avec ses Salésiens il révélait aussi en plaisantant l’estime qu’il avait pour eux, le désir de les voir former avec lui une grande famille, pauvre certes, mais pleine de confiance en la Divine Providence, unie dans la foi et la charité.
Les fiefs de Don Bosco
En 1830, Marguerite Occhiena, veuve de François Bosco, fit le partage des biens hérités de son mari entre son beau-fils Antoine et ses deux fils Joseph et Jean. Il s’agissait, entre autres, de huit parcelles de terre en pré, champ et vigne. Nous ne savons rien de précis sur les critères suivis par Mamma Margherita pour répartir l’héritage paternel entre eux trois. Toutefois, parmi les terrains, il y avait un vignoble près des Becchi (à Bric dei Pin), un champ à Valcapone (ou Valcappone) et un autre à Bacajan (ou Bacaiau). Quoi qu’il en soit, ces trois terres constituaient les « fiefs » que Don Bosco appelait parfois, en plaisantant, sa propriété.
Les Becchi, comme nous le savons tous, est l’humble hameau où naquit Don Bosco ; Valcappone (ou Valcapone) était un lieu situé plus à l’est, sous la Serra di Capriglio, mais en bas de la vallée, dans la zone connue sous le nom de Sbaruau (= croquemitaine), parce qu’elle était très boisée avec quelques cabanes cachées parmi les branches qui servaient de lieu de stockage pour les blanchisseurs et de refuge pour les brigands. Bacajan (ou Bacaiau) était un champ situé entre les parcelles de Valcapone et de Morialdo. Voilà les « fiefs » de Don Bosco !
Les Mémoires biographiques racontent que Don Bosco avait l’habitude de conférer des titres de noblesse à ses collaborateurs laïcs. Il y avait donc le comte des Becchi, le marquis de Valcappone, le baron de Bacaiau, les trois terres qui faisaient partie de l’héritage de Don Bosco. « C’est avec ces titres qu’il appelait Rossi, Gastini, Enria, Pelazza, Buzzetti, non seulement à la maison mais aussi à l’extérieur, surtout lorsqu’il voyageait avec l’un d’entre eux » (MB VIII, 198-199).
Parmi ces « nobles » salésiens, nous savons avec certitude que le comte des Becchi (ou du Bricco del Pino) était Giuseppe Rossi, le premier salésien laïc, ou « coadjuteur », qui aima Don Bosco comme un fils très affectueux et lui resta fidèle pour toujours.
Un jour, Don Bosco se rendit à la gare de Porta Nuova et Giuseppe Rossi l’accompagnait en portant sa valise. Ils arrivèrent juste au moment où le train était sur le point de partir et où les wagons étaient bondés. Don Bosco, ne trouvant pas de place, se tourna vers Rossi et lui dit d’une voix forte : « Oh ! Monsieur le Comte, je regrette que vous ne puissiez pas vous asseoir !
– Oh ! Monsieur le Comte, je regrette que vous vous donniez tant de mal pour moi !
– N’y pensez pas, Don Bosco, c’est un honneur pour moi !
Des voyageurs aux fenêtres, entendant ces mots « Monsieur le Comte » et « Don Bosco », se regardèrent avec étonnement et l’un d’eux cria de la voiture :
– Don Bosco ! Monsieur le Comte ! Montez ici, il y a encore deux places !
– Mais je ne veux pas vous déranger, répondit Don Bosco.
– Montez donc ! C’est un honneur pour nous. Je vais enlever mes valises, vous aurez bien de la place !
Et c’est ainsi que le « Comte des Becchi » a pu monter dans le train avec Don Bosco et la valise.
Les pompes et une soupente
Don Bosco a vécu et est mort pauvre. Pour la nourriture, il se contentait de très peu. Même un verre de vin était déjà trop pour lui, et il l’édulcorait systématiquement avec de l’eau.
« Souvent, il oubliait de boire, absorbé par d’autres pensées, et c’était à ses voisins de table de verser le vin dans son verre. Et puis, si le vin était bon, il cherchait immédiatement de l’eau ‘pour le rendre meilleur’, disait-il. Et il ajoutait en souriant : « J’ai renoncé au monde et au diable, mais pas aux pompes », faisant allusion aux pompes qui tirent l’eau du puits (MB IV, 191-192).
Même pour l’hébergement, nous savons comment il a vécu. Le 12 septembre 1873, la Conférence générale des Salésiens se réunit pour réélire un économe et trois conseillers. À cette occasion, Don Bosco prononça des paroles mémorables et prophétiques sur le développement de la Congrégation. Puis, lorsqu’il en vint à parler du Chapitre Supérieur, qui semblait désormais avoir besoin d’une résidence convenable, il dit, au milieu de l’hilarité générale : « Si c’était possible, je voudrais faire une « soupente » au milieu de la cour, où le Chapitre pourrait être séparé de tous les autres mortels. Mais comme ses membres ont encore le droit d’être sur cette terre, ils peuvent rester ou ici, ou là, dans différentes maisons, selon ce qui leur semblera le mieux ! » (MB X, 1061-1062).
Otis, botis, pija tutis
Un jeune homme lui demanda un jour comment il connaissait l’avenir et devinait tant de choses secrètes. Il lui répondit :
– Écoute-moi. Le moyen est simple, et il s’explique par ces mots : Otis, botis, pija tutis. Sais-tu ce que ces mots signifient ?… Fais attention, ce sont des mots grecs et, en les épelant, il répétait : O-tis, bo-tis, pi-ja tu-tis. Tu comprends ?
– C’est une affaire sérieuse !
– Je le sais, moi aussi. Je n’ai jamais voulu manifester à qui que ce soit la signification de cette devise. Et personne ne le sait, et ne le saura jamais, parce qu’il ne me convient pas de le dire. C’est mon secret avec lequel je fais des choses extraordinaires, je lis dans les consciences, je connais les mystères. Mais si tu es malin, tu peux comprendre.
Et il répéta ces quatre mots, en pointant son index sur le front, la bouche, le menton, la poitrine du jeune homme. Il finit en lui donnant à l’improviste une petite gifle. Le jeune homme rit, mais insista :
– Traduisez-moi au moins ces quatre mots !
– Je peux les traduire, mais tu ne comprendras pas la traduction.
Et il lui dit en plaisantant, en dialecte piémontais :
– Quand ch’at dan ed bòte, pije tute (Quand on te donne des coups, prends-les tous) (MB VI, 424). Et il voulait dire par là que pour devenir saint, il faut accepter toutes les souffrances que la vie nous réserve.
Don Bosco, patron des rétameurs
Chaque année, les jeunes de l’Oratoire Saint-Léon de Marseille se rendaient à la villa de Monsieur Olive, généreux bienfaiteur des Salésiens. A cette occasion, le père et la mère servaient les supérieurs à table, et leurs enfants servaient les élèves.
En 1884, la sortie eut lieu pendant le séjour de Don Bosco à Marseille.
Alors que les élèves s’amusaient dans les jardins, la cuisinière toute préoccupée courut prévenir Madame Olive :
– Madame, la marmite de soupe des garçons fuit et il n’y a pas moyen d’y remédier. Ils devront se passer de soupe !
La patronne, qui avait une grande confiance en Don Bosco, eut une idée. Elle fit venir tous les jeunes :
– Ecoutez, leur dit-elle, si vous voulez manger la soupe, mettez-vous à genoux ici et récitez une prière à Don Bosco pour qu’il fasse rétamer la marmite.
Ils obéirent. La marmite cessa instantanément de fuir. Mais Don Bosco, entendant ce fait, rit de bon cœur en disant :
– Désormais, ils appelleront Don Bosco le patron des rétameurs (MB XVII, 55-56).
L’éducation de la conscience avec saint François de Sales
Il semble bien que ce soit l’avènement de la réforme protestante qui ait mis à l’ordre du jour le problème de la conscience, et plus précisément de la « liberté de conscience ». Dans une lettre de 1597 à Clément VIII, le prévôt de Sales se plaignait au pape de la « tyrannie » que la « république de Genève » faisait peser « sur les consciences catholiques ». Il demandait au Saint-Siège d’intervenir auprès du roi de France pour qu’il obtienne que les Genevois accordent « ce qu’ils appellent liberté de conscience ». Hostile aux solutions militaires de la crise protestante, il laissait entrevoir dans la libertas conscientiae une issue possible à la confrontation violente, à condition que la réciprocité soit respectée. Revendiquée par Genève en faveur de la Réforme et revendiquée par François de Sales en faveur du catholicisme, la liberté de conscience allait devenir un des piliers de la mentalité moderne.
Dignité de la personne humaine
La dignité de l’individu réside dans sa conscience et la conscience signifie en premier lieu sincérité, honnêteté, franchise, conviction. Le prévôt de Sales avouait par exemple « pour la décharge de [sa] conscience » que le projet des Controverses lui avait été en quelque sorte imposé par autrui. Quand il apportait ses raisons en faveur de la doctrine et de la pratique catholiques, il prenait soin de dire qu’il le faisait « en conscience ». « Dites-moi en conscience », demandait-il avec insistance à ses contradicteurs. Quant à la « bonne conscience », c’est elle qui fait que l’on évite certains actes qui nous mettent en contradiction avec nous-mêmes.
Cependant la conscience subjective individuelle ne peut pas toujours être tenue comme garante de la vérité objective. On n’est pas toujours obligé de croire ce que quelqu’un vous dit en conscience. « Montrez-moi clairement, dit le prévôt aux messieurs de Thonon, que lorsque vous me dites que telle et telle inspiration se passe en votre conscience, vous ne mentez point, vous ne me trompez point ». La conscience peut être victime de l’illusion, de façon volontaire ou même involontaire. « Les plus avares, non seulement ne confessent pas de l’être, mais ils ne pensent pas en leur conscience de l’être ».
La formation de la conscience est une tâche essentielle, parce que la liberté comporte le risque de « faire le bien et le mal », mais « choisir le mal, ce n’est pas user mais abuser de notre liberté ». Tâche rude, parce que la conscience nous apparaît parfois comme un adversaire, mais c’est un bon adversaire qui « combat toujours contre nous et pour nous » : « il résiste toujours à nos mauvaises inclinations », mais il le fait pour notre bien. Quand l’homme pèche, « le reproche intérieur vient contre sa conscience avec l’épée au poing », mais c’est « pour l’outrepercer d’une sainte crainte ».
Un des moyens pour exercer une liberté responsable est de pratiquer « l’examen de conscience ». C’est faire comme les colombes qui « se mirent » « auprès des eaux très pures », et qui « se nettoient, purifient et ornent au mieux qu’elles peuvent ». Philothée est invitée à faire cet examen tous les soirs, en se demandant « comme on s’est comporté en toutes les heures du jour ; et pour faire cela aisément, on considérera où, avec qui, et en quelle occupation on a été ».
Une fois l’an, nous devrions faire un examen approfondi de « l’état de notre âme » envers Dieu, envers le prochain et envers nous-mêmes, sans oublier un « examen sur les affections de notre âme ». L’examen, dit-il aux visitandines, vous conduira à chercher « bien au fond de votre conscience ».
Comment décharger sa conscience quand on sent peser sur elle une erreur ou une faute ? Certains le font d’une mauvaise manière en jugeant et en accusant les autres « du vice auquel ils se sont voués », pensant ainsi « adoucir les remords de leurs consciences ». C’est ainsi qu’on multiplie le risque des jugements téméraires. Au contraire, « ceux qui ont bien soin de leurs consciences ne sont guère sujets au jugement téméraire ». Il faut mettre à part le cas des parents, des éducateurs et des responsables du bien public car « une bonne partie de leur conscience consiste à regarder et veiller sur celle des autres ».
Le respect de soi
La conscience exige le respect de soi et des autres. De l’affirmation de la dignité et de la responsabilité de chacun devra naître le respect de soi. Déjà Socrate et toute l’antiquité païenne et chrétienne avaient montré le chemin :
C’est une parole des philosophes, mais qui a été approuvée pour bonne par les docteurs chrétiens : « Connais-toi toi-même », c’est-à-dire, connais l’excellence de ton âme afin de ne la point avilir ni mépriser.
Certains de nos actes constituent non seulement une offense à Dieu, mais aussi une offense à la dignité de l’homme, à sa raison. Leurs conséquences sont déplorables : « La ressemblance et image de Dieu que nous avons est barbouillée et défigurée, la dignité de notre esprit déshonorée », nous sommes rendus « semblables aux bêtes insensées, nous rendant esclaves de nos passions et renversant l’ordre de la raison ».
Il y a des extases et des ravissements qui nous élèvent au-dessus de notre condition naturelle, et d’autres qui nous rabaissent : « Ô hommes, s’écrie l’auteur du Traité de l’amour de Dieu, jusques à quand serez-vous si insensés que de vouloir ravaler votre dignité naturelle, descendant volontairement et vous précipitant en la condition des bêtes brutes » ?
Le respect de soi permettra d’éviter ces deux périls opposés que sont l’orgueil et la dépréciation des dons qui sont en nous. En un siècle où le sens de l’honneur était exalté au maximum, François de Sales a dû intervenir pour dénoncer ses méfaits, notamment dans la question du duel, qui faisait « hérisser les cheveux en tête » à l’évêque de Genève, et plus encore l’orgueil insensé qui en était la cause. « Je suis scandalisé, écrit-il à l’épouse d’un mari duelliste ; en vérité, je ne puis penser comme l’on peut avoir un courage si déréglé, même pour des bagatelles et choses de rien ». En se battant en duel, c’est comme « s’ils s’étaient entreservis de bourreau l’un à l’autre ».
D’autres, à l’inverse, n’osent pas reconnaître les dons qu’ils ont reçus et manquent ainsi au devoir de reconnaissance. François de Sales dénonce « certaine fausse et niaise humilité qui leur empêche de regarder rien en eux qui soit bon ». Ils ont tort car « les biens que Dieu met en nous veulent être reconnus, estimés et grandement honorés ».
Le premier prochain que je dois respecter et aimer, semble vouloir dire François de Sales, c’est moi-même. Le véritable amour envers moi-même et le respect que je me dois veulent que je tende à la perfection et que je me corrige, s’il en est besoin, mais avec douceur, raisonnablement et plutôt « par voie de compassion » que par colère et avec emportement.
Il existe en effet un amour de soi qui est non seulement légitime, mais bienfaisant et commandé : « Charité bien ordonnée commence par soi-même », dit le proverbe, et c’est bien la pensée de François de Sales, à condition de ne pas confondre l’amour de soi et l’amour-propre. L’amour de soi est bon en lui-même. Philothée est invitée à s’interroger sur la façon dont elle s’aime elle-même :
Tenez-vous bon ordre en l’amour de vous-même ? car il n’y a que l’amour désordonné de nous-mêmes qui nous ruine. Or, l’amour ordonné veut que nous aimions plus l’âme que le corps, que nous ayons plus de soin d’acquérir les vertus que toute autre chose.
Au contraire, l’amour-propre est un amour égoïste, narcissique, replié sur lui-même, jaloux de sa propre beauté et uniquement préoccupé de son intérêt : « Narcisse, disent les profanes, était un enfant si dédaigneux qu’il ne voulut jamais donner son amour à personne ; mais enfin en se regardant dans une claire fontaine, il fut extrêmement épris de sa beauté. »
Le « respect que l’on doit aux personnes »
Si l’on se respecte soi-même on sera plus porté à respecter les autres. Le fait que nous sommes l’image de Dieu a pour corollaire l’affirmation que « tous les hommes ont cette même dignité ». Tout en vivant lui-même dans une société d’ancien régime, fortement inégalitaire, François de Sales a promu une pensée et une pratique du « respect que l’on doit aux personnes ».
Il faut commencer par l’enfant. La mère de saint Bernard, dit l’auteur de l’Introduction, aimait ses enfants à peine nés « avec respect comme chose sacrée et que Dieu lui avait confiée ». Un reproche très grave adressé par François de Sales aux païens était leur mépris de la vie des êtres sans défense. Le respect de l’enfant à naître s’exprime dans ce passage d’une lettre à une femme enceinte écrite selon la rhétorique baroque de l’époque. Il l’encourage en lui expliquant que l’« enfant qui se forme au milieu de [ses] entrailles est non seulement « une image vivante de la divine Majesté », mais aussi l’image de sa mère. Il recommandait à une autre :
Offrez souvent à la gloire éternelle de notre Créateur la petite créature à la formation de laquelle il vous a voulu prendre pour coopératrice.
Un autre aspect du respect d’autrui concerne le respect de sa liberté. La découverte de nouvelles terres avait eu pour conséquence néfaste la résurgence de l’esclavage, qui ne rappelait que trop les pratiques des anciens Romains au temps du paganisme. La vente d’êtres humains ravalait ceux-ci au rang des bêtes :
Marc Antoine acheta un jour deux jeunes jouvenceaux que lui présenta un certain maquignon ; car en ce temps-là, comme il se fait encore en quelques contrées, l’on vendait les enfants : il y avait des hommes qui en faisaient provision et usaient de ce trafic comme l’on fait des chevaux en nos pays.
De manière plus subtile, le respect d’autrui est continuellement menacé par la médisance et la calomnie. François de Sales insiste beaucoup sur les « péchés de langue ». Un chapitre de l’Introduction traite explicitement « de l’honnêteté des paroles et du respect que l’on doit aux personnes ». Ruiner la réputation de quelqu’un, c’est commettre un « homicide spirituel » ; c’est ôter « la vie civile » à celui duquel on médit. Aussi, « en blâmant le vice », on s’efforcera d’épargner le plus possible « la personne en laquelle il est ».
Certaines catégories de personnes sont facilement dénigrées ou méprisées. François de Sales défend la dignité des hommes du peuple en s’appuyant sur l’Évangile : « Saint Pierre, commente-t-il, était un homme rude, grossier, un viel pêcheur, métier mécanique, et d’une basse condition ; saint Jean, au contraire, était un jeune gentilhomme, doux, agréable, savant ; saint Pierre ignorant. » Or, c’est saint Pierre qui fut choisi pour conduire les autres et être le « supérieur universel ».
Il proclame la dignité des malades, disant que « les âmes qui sont en croix sont déclarées reines ». Dénonçant la « cruauté envers les pauvres » et exaltant la « dignité des pauvres », il justifie et précise l’attitude qu’il faut avoir envers eux en expliquant « combien nous devons les honorer, et partant les visiter comme représentant Notre-Seigneur ». Personne n’est inutile, personne n’est insignifiant : « Il n’y a nulle si mauvaise pièce au monde qui ne soit utile a quelque chose ; mais il faut lui trouver son usage et son lieu ».
L’« unidivers » salésien
Le problème qui a toujours tourmenté les sociétés humaines a été celui de concilier la dignité et la liberté de chaque individu avec celles des autres. Il reçoit chez François de Sales un éclairage original grâce à l’invention d’un mot nouveau. En effet, étant donné que l’univers est formé de « toutes choses créées tant visibles qu’invisibles » et que « toute leur diversité se réduit en unité », il propose de l’appeler « unidivers », c’est-à-dire « unique et divers, unique avec diversité et divers avec unité ».
Pour lui, chaque être est unique. Les personnes sont comme les perles dont parle Pline : « elles sont tellement uniques une chacune en ses qualités, qu’il ne s’en trouve jamais deux qui soient parfaitement pareilles ». Il est significatif que ses deux ouvrages principaux, l’Introduction et le Traité, s’adressent à une personne individuelle, Philothée et Théotime. Que de variété et de diversité entre les êtres ! « Certes, comme nous voyons qu’il ne se trouve jamais deux hommes semblables ès dons naturels, aussi ne s’en trouve-t-il jamais de parfaitement égaux ès surnaturels ». La variété l’enchantait même d’un point de vue purement esthétique, mais il craignait une curiosité indiscrète sur les causes :
Si quelqu’un s’enquérait pourquoi Dieu fait les melons plus gros que les fraises, ou les lis plus grands que les violettes, pourquoi le romarin n’est pas une rose, ou pourquoi l’œillet n’est pas un souci, pourquoi le paon est plus beau qu’une chauve-souris, ou pourquoi la figue est douce et le citron aigrelet, on se moquerait de ses demandes et on lui dirait : Pauvre homme, puisque la beauté du monde requiert la variété, il faut qu’il y ait des différentes et inégales perfections ès choses, et que l’une ne soit pas l’autre ; c’est pourquoi les unes sont petites, les autres grandes, les unes aigres, les autres douces, les unes plus, et les autres moins belles. […] Toutes ont leur prix, leur grâce et leur émail, et toutes, en l’assemblage de leurs variétés, font une très agréable perfection de beauté.
La diversité n’empêche pas l’unité, bien plus elle l’enrichit et l’embellit. Chaque fleur a ses caractéristiques propres qui la distinguent de toutes les autres : « Ce n’est pas le propre des roses d’être blanches, ce me semble, car les vermeilles sont plus belles et de meilleure odeur ; c’est néanmoins le propre du lys ». Certes, François de Sales ne supporte pas la confusion et le désordre, mais il est également ennemi de l’uniformité. La diversité des êtres peut conduire à la dispersion et à la rupture de la communion, mais s’il y l’amour, « lien de la perfection », rien n’est perdu, au contraire la diversité est magnifiée dans la communion.
S’il y bien chez François de Sales une réelle culture de l’individu, celle-ci ne vise pas toutefois une fermeture au groupe, à la communauté ou à la société. Il voit spontanément l’individu inséré dans un milieu ou « état » de vie, qui marque fortement l’identité et l’appartenance de chacun. On ne pourra pas fixer un programme ou un projet de vie égal pour tous, tout simplement parce qu’il sera appliqué et mis en œuvre différemment « par le gentilhomme, par l’artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée » ; il faut en outre l’adapter « aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier ». François de Sales voit la société répartie en milieux de vie fortement marqués par l’appartenance sociale et les solidarités de groupe, comme lorsqu’il traite « de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés ».
L’amour personnalise, et donc individualise. L’affection qui lie une personne à une autre est unique, comme l’éprouva François de Sales au contact de madame de Chantal :
Chaque affection a sa particulière différence d’avec les autres ; celle que je vous ai a une certaine particularité qui me console infiniment, et, pour dire tout, qui m’est extrêmement profitable.
Le soleil luit pour tous et pour chacun : « éclairant un endroit de la terre [il] ne l’éclaire pas moins que s’il n’éclairait point ailleurs et qu’il éclairât cela seul ».
L’être humain est en devenir
Humaniste chrétien, François de Sales croit enfin à la nécessité et à la possibilité du perfectionnement de la personne humaine. Érasme avait forgé la formule : Homines non nascuntur sed finguntur. Alors que l’animal est un être prédéterminé, guidé par l’instinct, l’homme au contraire est en perpétuelle évolution. Non seulement il change, mais il peut se changer lui-même, soit en mieux soit en pire.
Toute la préoccupation de François de Sales fut de se perfectionner lui-même, et d’aider les autres à se perfectionner, non seulement dans le domaine religieux, mais en toute chose. De la naissance à la tombe, l’homme est en apprentissage. Faisons comme le crocodile qui « ne cesse jamais de croître tandis qu’il est en vie ». En effet, « de demeurer en un état de consistance longuement, il est impossible : qui ne gagne, perd en ce trafic ; qui ne monte, descend en cette échelle ; qui n’est vainqueur, est vaincu en ce combat ». Il cite saint Bernard qui disait : « Il est écrit très spécialement de l’homme, que jamais il n’est en un même état : il faut ou qu’il avance, ou qu’il retourne en arrière ». Il faut avancer :
Ne connais-tu pas que tu es au chemin, et que le chemin n’est pas fait pour s’asseoir mais pour marcher ? Et il est tellement fait pour marcher, que marcher s’appelle cheminer.
Cela signifie aussi que la personne est éducable, capable d’apprendre, de se corriger et de s’améliorer. Cela est vrai à tous les niveaux. L’âge parfois n’y fait rien. Voyez ces petits chanteurs de la cathédrale, qui dépassent déjà de loin les capacités de l’évêque dans leur domaine :
J’admire ces petits enfants, qui à peine savent parler et qui chantent déjà leur partie, entendant toutes ces notes et ces règles de musique où je ne pense pas que je puisse rien comprendre, moi qui suis homme fait et qu’on voudrait bien faire passer pour quelque grand personnage.
Personne dans ce bas monde n’est parfait :
Il y en a qui de leurs naturels sont légers, les autres rébarbatifs, les autres durs à recevoir les opinions d’autrui, les autres sont inclinés à l’indignation, les autres à la colère, les autres à l’amour ; et en somme, il se trouve peu de personnes esquelles on ne puisse remarquer quelques sortes de telles imperfections.
Faut-il donc désespérer de pouvoir améliorer son tempérament en corrigeant quelques-unes de nos inclinations naturelles ? Nullement :
Quoiqu’elles soient comme propres et naturelles à un chacun, si est-ce que par le soin et affection contraire on les peut corriger et modérer, et même on peut s’en délivrer et purger : et je vous dis, Philothée, qu’il le faut faire. On a bien trouvé le moyen de changer les amandiers amers en amandiers doux, en les perçant seulement au pied pour en faire sortir le suc ; pourquoi est-ce que nous ne pourrons pas faire sortir nos inclinations perverses pour devenir meilleurs ?
D’où la conclusion optimiste mais exigeante : « Il n’y a point de si bon naturel qui ne puisse être rendu mauvais par les habitudes vicieuses ; il n’y a point aussi de naturel si revêche qui, par la grâce de Dieu premièrement, puis par l’industrie et diligence, ne puisse être dompté et surmonté ». Si l’homme est éducable, il ne faut désespérer de personne et se garder des jugements tout faits sur les personnes :
Ne dites pas : un tel est un ivrogne, encore que vous l’ayez vu ivre ; ni, il est adultère, pour l’avoir vu en ce péché ; ni, il est inceste, pour l’avoir trouvé en ce malheur ; car un seul acte ne donne pas le nom à la chose. […] Encore qu’un homme ait été vicieux longuement, on court fortune de mentir quand on le nomme vicieux.
L’homme n’a jamais fini de cultiver sa conscience, qui est son jardin secret. C’est la leçon que le fondateur des visitandines leur inculquait quand il les appelait « à cultiver la terre et le jardin » de leurs cœurs et de leurs esprits, car il n’existe pas d’« homme si parfait qui n’ait besoin de travailler, tant pour accroître la perfection que pour la conserver ».
Les sept allégresses de la Vierge Marie
Au cœur de l’œuvre éducative et spirituelle de Saint Jean Bosco, la figure de la Vierge Marie occupe une place privilégiée et lumineuse. Don Bosco ne fut pas seulement un grand éducateur et fondateur, mais aussi un fervent dévot de la Vierge Marie, qu’il vénérait avec une profonde affection et à laquelle il confiait chacun de ses projets pastoraux. L’une des expressions les plus caractéristiques de cette dévotion est la pratique des « Sept allégresses de la Vierge Marie », proposée de manière simple et accessible dans sa publication « Il giovane provveduto », l’un des textes les plus diffusés de sa pédagogie spirituelle.
Une œuvre pour l’âme des jeunes
En 1875, Don Bosco publiait une nouvelle édition de son livre « Il giovane provveduto per la pratica de’ suoi doveri negli esercizi di cristiana pietà », un manuel de prières, d’exercices spirituels et de règles de conduite chrétienne conçu pour les jeunes. Ce livre, rédigé dans un style sobre et paternel, visait à accompagner les jeunes dans leur formation morale et religieuse, en les introduisant à une vie chrétienne intégrale. Il y avait également une place pour la dévotion aux « Sept allégresses de la Très Sainte Vierge Marie », une prière simple mais intense, structurée en sept points. Contrairement aux « Sept douleurs de la Vierge Marie », beaucoup plus connues et répandues dans la piété populaire, les « Sept allégresses » de Don Bosco mettent l’accent sur les joies de la Très Sainte Vierge au Paradis, conséquence d’une vie terrestre vécue dans la plénitude de la grâce de Dieu.
Cette dévotion a des origines anciennes et fut particulièrement chère aux Franciscains, qui la diffusèrent à partir du XIIIe siècle, sous le nom de Rosaire des Sept Allégresses de la Bienheureuse Vierge Marie (ou Couronne Séraphique). Dans sa forme franciscaine traditionnelle, c’est une prière dévotionnelle composée de sept dizaines d’Ave Maria, chacune précédée d’un mystère joyeux (allégresse) et introduite par un Notre Père. À la fin de chaque dizaine, on récite un Gloire au Père. Les allégresses sont : 1. L’Annonciation de l’Ange ; 2. La Visitation à Sainte Élisabeth ; 3. La Naissance du Sauveur ; 4. L’Adoration des Mages ; 5. Le Recouvrement de Jésus au Temple ; 6. La Résurrection du Fils ; 7. L’Assomption et le Couronnement de Marie au ciel.
Don Bosco, s’inspirant de cette tradition, en offre une version simplifiée, adaptée à la sensibilité des jeunes.
Chacune de ces allégresses est méditée au cours de la récitation d’un Ave Maria et d’un Gloria.
La pédagogie de la joie
Le choix de cette dévotion proposée aux jeunes ne répond pas seulement à un goût personnel de Don Bosco, mais s’inscrit pleinement dans sa vision éducative. Il était convaincu que la foi devait être transmise par la joie, non par la peur ; par la beauté du bien, non par la crainte du mal. Les « Sept allégresses » deviennent ainsi une école de joie chrétienne, une invitation à reconnaître que, dans la vie de la Vierge, la grâce de Dieu se manifeste comme lumière, espérance et accomplissement.
Don Bosco connaissait bien les difficultés et les souffrances que beaucoup de ses jeunes affrontaient quotidiennement : la pauvreté, l’abandon familial, la précarité du travail. C’est pourquoi il leur offrait une dévotion mariale qui ne se limitait pas aux pleurs et à la douleur, mais qui était aussi une source de consolation et de joie. Méditer les allégresses de Marie signifiait s’ouvrir à une vision positive de la vie, apprendre à reconnaître la présence de Dieu même dans les moments difficiles, et se confier à la tendresse de la Mère céleste.
Dans la publication « Il giovane provveduto », Don Bosco écrit des mots touchants sur le rôle de Marie : il la présente comme une mère aimante, un guide sûr et un modèle de vie chrétienne. La dévotion à ses allégresses n’est pas une simple pratique dévotionnelle, mais un moyen d’entrer en relation personnelle avec la Vierge Marie, d’imiter ses vertus et de recevoir son aide maternelle dans les épreuves de la vie.
Pour le saint turinois, Marie n’est pas distante ou inaccessible, mais proche, présente et active dans la vie de ses enfants. Cette vision mariale, fortement relationnelle, traverse toute la spiritualité salésienne et se reflète également dans la vie quotidienne des oratoires : des lieux où la joie, la prière et la familiarité avec Marie vont de pair.
Un héritage vivant
Aujourd’hui encore, la dévotion aux « Sept allégresses de la Vierge Marie » conserve toute sa valeur spirituelle et éducative. Dans un monde marqué par les incertitudes, les peurs et les fragilités, elle offre un chemin simple mais profond pour découvrir que la foi chrétienne est, avant tout, une expérience de joie et de lumière. Don Bosco, prophète de la joie et de l’espérance, nous enseigne que l’authentique éducation chrétienne passe par la valorisation des affections, des émotions et de la beauté de l’Évangile.
Redécouvrir aujourd’hui les « Sept allégresses » signifie aussi retrouver un regard positif sur la vie, sur l’histoire et sur la présence de Dieu. La Vierge Marie, par son humilité et sa confiance, nous enseigne à garder et à méditer dans notre cœur les signes de la vraie joie, celle qui ne passe pas, car fondée sur l’amour de Dieu.
À une époque où les jeunes cherchent lumière et sens, les paroles de Don Bosco restent d’actualité : « Si vous voulez être heureux, pratiquez la dévotion à la Sainte Vierge ». Les « Sept allégresses » sont alors une petite échelle vers le ciel, un rosaire de lumière qui unit la terre au cœur de la Mère céleste.
Voici le texte original tiré de « Il giovane provveduto per la pratica de suoi doveri negli esercizi di cristiana pieta« , 1875 (pp. 141-142), avec nos titres.
Les sept allégresses de Marie au Ciel
1. Pureté cultivée
Réjouissez-vous, ô Épouse immaculée du Saint-Esprit, pour le contentement que vous goûtez maintenant au Paradis, car par votre pureté et votre virginité vous êtes exaltée au-dessus de tous les Anges et sublimée au-dessus de tous les saints.
Je vous salue et Gloire.
2. Sagesse recherchée
Réjouissez-vous, ô Mère de Dieu, pour le plaisir que vous éprouvez au Paradis, car de même que le soleil ici-bas illumine le monde entier, ainsi vous, par votre splendeur, ornez et faites resplendir tout le Paradis.
Je vous salue et Gloire.
3. Obéissance filiale
Réjouissez-vous, ô Fille de Dieu, pour la sublime dignité à laquelle vous avez été élevée au Paradis, car toutes les Hiérarchies des Anges, des Archanges, des Trônes, des Dominations et de tous les Esprits Bienheureux vous honorent, vous révèrent et vous reconnaissent comme Mère de leur Créateur, et vous obéissent au moindre signe.
Je vous salue et Gloire.
4. Prière continue
Réjouissez-vous, ô Servante de la Très Sainte Trinité, à cause du grand pouvoir que vous avez au Paradis, car toutes les grâces que vous demandez à votre Fils vous sont aussitôt accordées ; bien plus, comme le dit saint Bernard, aucune grâce n’est accordée ici-bas qui ne passe par vos très saintes mains.
Je vous salue et Gloire.
5. Humilité vécue
Réjouissez-vous, ô très auguste Reine, car vous seule avez mérité de siéger à la droite de votre très saint Fils, qui siège à la droite du Père Éternel.
Je vous salue et Gloire.
6. Miséricorde pratiquée
Réjouissez-vous, ô Espérance des pécheurs, Refuge des affligés, pour le grand plaisir que vous éprouvez au Paradis en voyant que tous ceux qui vous louent et vous révèrent en ce monde sont récompensés par le Père Éternel par sa sainte grâce sur terre, et par son immense gloire au ciel.
Je vous salue et Gloire.
7. Espérance récompensée
Réjouissez-vous, ô Mère, Fille et Épouse de Dieu, car toutes les grâces, toutes les joies, toutes les allégresses et toutes les faveurs que vous goûtez maintenant au Paradis ne diminueront jamais ; bien plus, elles augmenteront jusqu’au jour du jugement et dureront éternellement.
Je vous salue et Gloire.
Oraison à la très bienheureuse Vierge.
Ô glorieuse Vierge Marie, Mère de mon Seigneur, source de toute notre consolation, par ces allégresses dont j’ai fait mémoire avec la plus grande dévotion possible, je vous prie d’obtenir de Dieu le pardon de mes péchés, et l’aide continuelle de sa sainte grâce, afin que je ne me rende jamais indigne de votre protection, mais que j’aie la chance de recevoir toutes ces faveurs célestes que vous avez l’habitude d’obtenir et de partager avec vos serviteurs, qui font pieuse mémoire de ces allégresses dont déborde votre beau cœur, ô Reine immortelle du Ciel.