INTRODUCTION. ANCRÉS DANS L’ESPÉRANCE, PÈLERINS AVEC LES JEUNES
1. À LA RENCONTRE DU CHRIST, NOTRE ESPÉRANCE, POUR RENOUVELER LE RÊVE DE DON BOSCO
1.1 Le Jubilé
1.2 L’anniversaire de la première Expédition Missionnaire Salésienne
2. LE JUBILÉ : LE CHRIST NOTRE ESPÉRANCE
2.1 Pèlerins, ancrés dans l’espérance chrétienne
2.2 L’espérance comme chemin vers le Christ, chemin vers la vie éternelle
2.3 Caractéristiques de l’Espérance
2.3.1 L’espérance, une tension continue, prête, visionnaire et prophétique
2.3.2 L’espérance est un pari sur l’avenir
2.3.3 L’espérance n’est pas une affaire privée
3. L’ESPÉRANCE COMME FONDEMENT DE LA MISSION
3.1 L’espérance est une invitation à la responsabilité
3.2 L’espérance exige du courage de la part de la communauté chrétienne dans l’évangélisation
3.3 « Da mihi animas » : « l’esprit » de la mission »
3.3.1 Les comportements de l’envoyé
3.3.2 Reconnaître, Repenser et Relancer
4. UNE ESPÉRANCE JUBILAIRE ET MISSIONNAIRE QUI SE TRADUIT EN VIE CONCRÈTE ET QUOTIDIENNE
4.1 L’espérance est une force dans la vie quotidienne qui exige le témoignage
4.2 L’espérance est l’art de la patience et de l’attente
5. L’ORIGINE DE NOTRE ESPÉRANCE : EN DIEU AVEC DON BOSCO
5.1 Dieu fidèle à l’origine de notre espérance
5.1.1 Bref rappel du rêve
5.1.2 Don Bosco « géant » de l’espérance
5.1.3 Caractéristiques de l’espérance chez Don Bosco
5.1.4 Les « fruits » de l’espérance chez Don Bosco
5.2 La fidélité de Dieu : jusqu’à la fin
6. AVEC MARIE, ESPÉRANCE ET PRÉSENCE MATERNELLE
Bien chers frères et sœurs appartenant aux différents Groupes de la Famille Salésienne de Don Bosco, permettez-moi de vous adresser le salut le plus cordial au début de cette nouvelle année 2025 !
Ce n’est pas sans émotion que je m’adresse à chacun et à chacune d’entre vous en ce temps de grâce marqué par deux événements importants pour la vie de l’Église et pour celle de notre Famille : le Jubilé de l’Année 2025, qui a débuté solennellement le 24 décembre avec l’ouverture de la Porte Sainte de la Basilique Saint-Pierre au Vatican, et le 150ème anniversaire de la Première Expédition Missionnaire voulue par notre Père Don Bosco, partie le 11 novembre 1875 pour l’Argentine et d’autres pays du continent américain.
Ce sont deux événements importants qui trouvent leur point de rencontre dans l’espérance. En effet, le Pape François a indiqué exactement cette vertu comme perspective en proclamant le Jubilé. De la même manière, l’expérience missionnaire est un signe d’espérance pour tous : pour ceux qui sont partis (et qui partent) et pour ceux qui ont été rejoints par les missionnaires.
L’année qui nous est donnée est donc riche en idées pour notre croissance concrète et quotidienne, afin que notre humanité devienne féconde dans l’attention aux autres. Cela ne se produira que dans les cœurs qui mettent Dieu au centre et qui peuvent dire : « C’est Toi que j’ai mis avant moi ».
Dans ce commentaire, je vais essayer de mettre en évidence ces éléments afin d’approfondir, en clé charismatique, ce que l’Église est invitée à vivre tout au long de cette année, et de souligner ce qui pour nous, Famille de Don Bosco, doit nous guider vers de nouveaux horizons.
Le titre de l’Étrenne implique l’entrelacement de deux événements : le Jubilé Ordinaire de l’année 2025 et le 150ème anniversaire de la première Expédition Missionnaire envoyée par Don Bosco en Argentine.
La concomitance, que j’ose qualifier de « providentielle », des deux événements fait de 2025 une année décidément extraordinaire pour nous tous et pour les Salésiens de Don Bosco encore plus. En effet, au cours des mois de février, mars et avril 2025, il y aura la célébration du 29ème Chapitre Général qui aboutira, entre autres, à l’élection du nouveau Recteur Majeur et du nouveau Conseil Général.
Des événements mondiaux et particuliers qui nous impliquent donc de différentes manières et que nous voulons vivre avec profondeur et intensité. Parce que c’est précisément grâce à ces événements que nous pouvons faire l’expérience de la joie d’aller à la rencontre du Christ et de l’importance de rester ancrés dans l’espérance.
« Spes non confundit ! L’espérance ne déçoit pas ! » (Rm 5,5)[1]
C’est ainsi que le Pape François nous présente le Jubilé. Comme c’est merveilleux ! Quelle indication « prophétique » ! Le Jubilé est un pèlerinage pour remettre Jésus-Christ au centre de notre vie et de la vie du monde. Parce qu’Il est notre Espérance. Il est l’Espérance de l’Église et du monde entier !
Nous sommes tous conscients qu’aujourd’hui le monde a besoin de cette espérance qui nous met en relation avec Jésus-Christ et avec les autres frères et sœurs. Nous avons besoin de cette espérance qui fait de nous des pèlerins, qui nous met en mouvement et qui nous fait marcher.
Nous parlons de l’espérance comme de la redécouverte de la présence de Dieu. Le Pape François écrit : « Puisse l’espérance remplir le cœur ! »,[2] non seulement qu’elle réchauffe le cœur, mais qu’elle le remplisse, et à ras bord !
C’est de cette espérance débordante qu’étaient remplis les cœurs des participants à la première Expédition Missionnaire Salésienne en Argentine, il y a 150 ans.
Du Valdocco, Don Bosco lance son cœur au-delà de toutes frontières, envoyant ses fils à l’autre bout du monde ! Il les envoie au-delà de toute sécurité humaine, il les envoie pour poursuivre ce qu’il avait commencé lui-même. Il se met en chemin avec les autres, en espérant et en insufflant de l’espérance. Il les envoie, tout simplement ; et les premiers (jeunes) confrères partent et s’en vont. Où ? Ils ne le savent pas eux-mêmes ! Mais ils s’appuient sur l’espérance et ils obéissent. Parce que c’est la présence de Dieu qui nous guide.
Dans cette obéissance pleine d’enthousiasme, notre espérance actuelle trouve aussi de nouvelles énergies et nous pousse à nous mettre en route comme des pèlerins.
C’est pourquoi cet anniversaire doit être célébré : parce qu’il nous aide à reconnaître un don (non pas une conquête personnelle mais un don gratuit du Seigneur), il nous permet de nous souvenir et, à partir du souvenir, de trouver la force d’affronter et de construire l’avenir.
Vivons donc, aujourd’hui, pour rendre cet avenir possible et faisons-le de la seule manière que nous considérons comme grande : en partageant avec les jeunes et avec toutes les personnes de nos milieux (à commencer par les plus pauvres et les oubliés) le chemin pour aller à la rencontre du Christ, notre unique Espérance.
Le Jubilé, c’est marcher ensemble, ancrés dans le Christ, notre Espérance. Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Je reprends les éléments de la Bulle d’Indiction du Jubilé 2025 qui mettent en évidence certaines caractéristiques de l’espérance.
Nous sommes convaincus que rien ni personne ne peut nous séparer du Christ.[3] Parce que c’est à Lui que nous voulons et devons rester accrochés, ancrés. Nous ne pouvons pas marcher sans notre ancre.
L’ancre de l’espérance est donc le Christ lui-même qui porte sur la croix les souffrances et les blessures de l’humanité, en présence du Père. L’ancre, en effet, a la forme d’une croix et, pour cette raison, elle a également été représentée dans les catacombes pour symboliser l’appartenance des fidèles défunts au Christ Sauveur. Cette ancre est déjà solidement attachée au port du salut. Notre tâche est d’y attacher notre vie, la corde qui lie notre bateau à l’ancre du Christ.
Nous naviguons sur les vagues agitées de la mer et nous avons besoin de nous ancrer à quelque chose de solide. Mais il ne s’agit plus de jeter l’ancre et de la fixer au fond de la mer. Il s’agit d’attacher notre bateau à la corde qui, pour ainsi dire, pend du Ciel, là où l’ancre du Christ est solidement fixée. En nous accrochant à cette corde, nous nous accrochons à l’ancre du salut et rendons notre espérance certaine.
L’espérance est certaine lorsque la barque de notre vie s’accroche à cette corde qui nous lie à l’ancre fixée dans le Christ crucifié qui est à la droite du Père, c’est-à-dire dans la communion éternelle du Père et dans l’amour de l’Esprit Saint.[4]
Tout est bien exprimé dans l’oraison liturgique de la Solennité de l’Ascension du Seigneur :
« Dieu qui élève le Christ au-dessus de tout, ouvre-nous à la joie et à l’action de grâce, car l’Ascension de ton Fils est déjà notre victoire : nous sommes les membres de son corps, il nous a précédés dans la gloire auprès de toi, et c’est là que nous vivons en espérance. »[5]
L’écrivain et homme politique tchèque Václav Havel définit l’espérance comme un état d’esprit, une dimension de l’âme. Elle ne dépend pas de l’observation préventive du monde, ce n’est pas une prédiction.
Le philosophe Byung-Chul Han ajoute : « L’espérance est une orientation du cœur qui transcende le monde immédiat de l’expérience ; c’est un ancrage quelque part au-delà de l’horizon. Les racines de l’espérance se trouvent dans le transcendant : c’est pourquoi avoir de l’espoir et être satisfait parce que les choses vont bien, ce n’est pas la même chose. On pourrait penser qu’espérer, c’est simplement vouloir sourire à la vie pour qu’elle vous sourie à son tour ; mais non, il faut aller plus loin, il faut marcher sur la corde qui nous mène à l’ancre.
L’espérance est la capacité de chacun d’entre nous à travailler pour quelque chose parce qu’il est juste de le faire, et non parce que ce quelque chose aura le succès garanti. Cela pourrait être un échec, cela pourrait mal tourner : nous n’espérons pas que cela se passe bien, nous ne sommes pas optimistes. Nous travaillons pour que cela se produise. Voilà pourquoi l’espérance n’est pas la même chose que l’optimisme. L’espérance n’est pas la conviction que quelque chose ira bien, mais la certitude que quelque chose a un sens indépendamment de son résultat. Faire quelque chose parce que cela a du sens : voilà en quoi consiste l’espérance qui présuppose des valeurs et présuppose la foi.
C’est ce qui donne la force pour vivre, et cela nous donne la force de ressentir quelque chose encore et encore, même dans le désespoir. »[6]
Mais comment peut-on marcher tout en restant ancré ? L’ancre vous alourdit, vous ralentit, vous fixe. Où mène donc ce chemin ? Il mène à l’éternité.
La promesse de la vie éternelle, telle qu’elle est faite à chacun de nous, ne contourne pas le chemin de la vie, ce n’est pas un saut vers le haut, elle ne propose pas de monter dans une fusée qui se détache du sol et s’envole dans l’espace, laissant la route, la poussière du chemin sur le sol, ni ne laisse le bateau dériver au milieu de la mer sans nous.
Cette promesse, c’est précisément une ancre fixée dans l’éternité, mais à laquelle nous restons attachés par une corde qui vient rendre ferme le bateau qui traverse la mer. Et c’est précisément le fait qu’il soit fixé dans le Ciel qui permet au bateau de ne pas rester immobile au milieu de la mer, mais d’avancer à travers les flots.
Si l’ancre du Christ fixait l’homme au fond de la mer, nous resterions tous immobiles là où nous sommes, peut-être tranquilles, sans problèmes, mais immobiles, sans voyager, sans avancer. Au contraire, c’est précisément l’ancrage de la vie au Ciel qui fait que la promesse qui suscite notre espérance n’arrête pas la route, ne nous donne pas la sécurité d’un refuge dans lequel nous enfermer et nous arrêter, mais nous donne la certitude de marcher et de continuer le chemin. La promesse d’un but certain, déjà atteint pour nous par le Christ, rend ferme et décisif chacun de nos pas sur le chemin de la vie.
Il est important de comprendre le Jubilé comme un pèlerinage, comme une invitation à se mettre en mouvement, à sortir de soi-même pour aller vers le Christ. Le Jubilé a toujours été synonyme de chemin. Si l’on désire vraiment Dieu, on doit bouger, on doit marcher. Parce que le désir de Dieu, la nostalgie de Dieu, nous pousse à le trouver et, en même temps, conduit à nous trouver nous-mêmes et à trouver les autres.
« Nous sommes nés et nous ne mourrons plus jamais. »[7] Le titre de la biographie de la servante de Dieu Chiara Corbella Petrillo est beau et significatif. Oui, parce que notre venue dans le monde est orientée vers la vie éternelle. La vie éternelle est une promesse qui brise la porte de la mort, nous ouvrant au « face à face avec Dieu » pour toujours. La mort est une porte qui se ferme et en même temps une porte qui s’ouvre toute grande à la rencontre définitive avec Dieu !
Nous savons combien le désir du Ciel était vivant chez Don Bosco, désir proposé et partagé avec joie avec les jeunes de l’Oratoire.
Gabriel Marcel,[8] dit philosophe de l’espérance, nous enseigne que l’espérance se trouve dans le tissu d’une expérience continue, qu’espérer signifie donner du crédit à une réalité comme porteuse d’avenir. Éric Fromm[9] écrit que l’espérance n’est pas une attente passive mais une tension continue et constante. C’est comme un tigre accroupi qui ne saute que lorsque c’est le moment précis.
Avoir de l’espoir, c’est être vigilant en tout temps, pour tout ce qui n’est pas encore arrivé. Les vierges qui attendaient l’époux avec des lampes allumées espéraient ; Don Bosco espérait face aux difficultés et s’agenouillait pour prier. L’espérance est prête au moment où tout est sur le point de naître. Elle est alerte, attentive, à l’écoute, capable de guider dans la création de quelque chose de nouveau, de donner vie à l’avenir sur terre. C’est pourquoi elle est « visionnaire et prophétique ». Elle concentre notre attention sur ce qui n’est pas encore, c’est elle qui aide à donner naissance à quelque chose de nouveau.
Sans espérance, il n’y a pas de révolution, pas d’avenir, il n’y a qu’un présent fait d’optimisme stérile. On pense souvent que ceux qui espèrent sont des optimistes tandis que les pessimistes sont essentiellement leur contraire. Il n’en est pas ainsi. Il est important de ne pas confondre espérance et optimisme. L’espérance est beaucoup plus profonde parce qu’elle ne dépend pas des humeurs, des sensations ou de la sentimentalité.
L’essence de l’optimisme est la positivité innée. L’optimiste vit convaincu que les choses vont s’améliorer d’une manière ou d’une autre. Pour un optimiste, le temps est clos, il ne contemple pas l’avenir : tout ira bien et c’est tout.
Paradoxalement, même pour le pessimiste, le temps est clos : il se retrouve piégé dans le présent comme dans une prison, il nie tout sans s’aventurer dans d’autres mondes possibles. Le pessimiste est aussi têtu que l’optimiste, tous deux sont aveugles aux possibilités parce que le possible leur est étranger, ils manquent de passion pour le possible.
Contrairement à tous les deux, l’espérance parie sur ce qui peut aller au-delà de ce qui pourrait être. Et, encore une fois, l’optimiste (comme le pessimiste) n’agit pas, parce que chaque action comporte un risque ; et puisqu’il ne veut pas prendre ce risque, il ne bouge pas, il ne veut pas connaître l’échec. L’espérance, quant à elle, se met à chercher, essaie de trouver une direction, se dirige vers ce qu’elle ne connaît pas, met le cap sur de nouvelles choses. C’est le pèlerinage d’un chrétien.
Nous portons tous des espérances dans nos cœurs. Il n’est pas possible de ne pas espérer, mais il est vrai aussi que nous pouvons nous leurrer, en considérant des perspectives et des idéaux qui ne se réaliseront jamais, qui ne sont que des chimères et des leurres. Une grande partie de notre culture, en particulier la culture occidentale, est pleine de faux espoirs qui trompent et détruisent ou peuvent ruiner irrémédiablement l’existence d’individus et de sociétés entières.
Selon la pensée positive, il suffit de remplacer les pensées négatives par des pensées positives pour vivre plus heureux. Grâce à ce mécanisme simple, les aspects négatifs de la vie sont complètement omis, et le monde apparaît comme un marché Amazon qui nous fournira tout ce que nous voulons grâce à notre attitude positive.
En conclusion, si notre volonté de penser positivement était suffisante pour être heureux, alors chacun serait seul responsable de son propre bonheur. Paradoxalement, le culte de la positivité isole les gens, les rend égoïstes et détruit l’empathie, parce que les gens les gens sont de plus en plus préoccupés uniquement d’eux-mêmes et ne s’intéressent pas à la souffrance des autres.
L’Espérance, contrairement à la pensée positive, n’évite pas la négativité de la vie, elle n’isole pas mais unit et réconcilie, car le protagoniste de l’Espérance, ce n’est pas moi, centré sur mon ego, retranché exclusivement sur moi-même ; le secret de l’Espérance, c’est nous. C’est pour cela que les sœurs de l’Espérance sont l’Amour, la Foi et la Transcendance.
L’espérance est un don et, en tant que tel, elle doit être transmise à tous ceux que nous rencontrons sur notre chemin.
Saint Pierre le dit clairement : « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. »[10] L’Apôtre nous invite à ne pas avoir peur, à agir dans la vie de tous les jours, à rendre raison – quel esprit salésien dans ce mot « raison » ! – de l’espérance. C’est une responsabilité pour le chrétien. Si nous sommes des femmes et des hommes d’espérance, ça se voit ! « Rendre raison de l’espérance qui est en nous » devient une annonce de la « Bonne Nouvelle » de Jésus et de son Évangile.
Mais pourquoi est-il nécessaire de répondre à quelqu’un qui nous interroge sur l’espérance qui est en nous ? Et pourquoi ressentons-nous le besoin de retrouver l’espérance ?
Dans la Bulle d’Indiction du Jubilé Spes non confundit, le Pape François rappelle que « chacun, en réalité, a besoin de retrouver la joie de vivre car l’être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, ne peut se contenter de survivre ou de vivoter, de se conformer au présent en se laissant satisfaire de réalités uniquement matérielles. Celles-ci enferment dans l’individualisme et érodent l’espérance, en générant une tristesse qui se niche dans le cœur et le rend aigre et intolérant. »[11]
Un constat qui est frappant parce qu’il décrit toute la tristesse que l’on respire dans nos sociétés et nos communautés. C’est une tristesse déguisée en fausse joie, celle qui nous est constamment annoncée, promise et assurée par les médias, par la publicité, par la propagande des politiciens, par tant de faux prophètes du bien-être. Se contenter du bien-être nous empêche de nous ouvrir à un bien beaucoup plus grand, beaucoup plus vrai, beaucoup plus éternel : ce que Jésus et les apôtres appellent « le salut de l’âme, le salut de la vie » ; un bien pour lequel Jésus nous invite à ne pas craindre de perdre la vie, les biens matériels, les fausses sécurités qui s’effondrent souvent en un instant.
Sur ces « questions », plus ou moins exprimées (même par les jeunes), nous avons le devoir de « rendre raison ». Qu’est-ce que je souhaite pour les jeunes et pour toutes les personnes que je rencontre sur mon chemin ? Qu’est-ce que je voudrais demander à Dieu pour eux ? Comment aimerais-je que cela change leur vie ?
Il n’y a qu’une seule réponse : la vie éternelle. Non seulement la vie éternelle comme état sublime que nous pouvons atteindre après la mort, mais la vie éternelle possible ici et maintenant, la vie éternelle telle que Jésus la définit : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ »,[12] c’est-à-dire une vie définie, illuminée par la communion avec le Christ et, par Lui, avec le Père.
Et c’est à nous d’accompagner les jeunes générations sur ce chemin vers la vie éternelle, dans l’action éducative qui nous distingue. Une action qui, pour nous, Famille Salésienne, est une mission. Et qu’est-ce qui motive cette mission qui est la nôtre ? Toujours le Christ, notre Espérance. La mission éducative, en effet, est centrée sur l’espérance.
En fin de compte, l’espérance de Dieu n’est jamais l’espérance pour soi-même . Elle est toujours espérance pour les autres : elle ne nous isole pas, elle nous soutient et nous stimule à nous éduquer les uns les autres à la vérité et à l’amour.
Le courage et l’espérance forment une combinaison intéressante. En effet, s’il est vrai qu’il est impossible de ne pas espérer, il est tout aussi vrai que le courage est nécessaire pour espérer. Le courage vient du fait d’avoir le même regard que le Christ, capable d’espérer contre toute espérance,[13] de voir une solution même là où apparemment il semble qu’il n’y ait pas d’issue. Et combien « salésienne » est cette attitude !
Tout cela exige le courage d’être soi-même, de se reconnaître dans un don de Dieu et d’investir ses énergies dans une responsabilité précise, conscients du fait que ce qui nous a été confié n’est pas nôtre, et que nous avons la tâche de le transmettre aux générations futures. C’est le cœur de Dieu, c’est la vie de l’Église. Une attitude que l’on retrouve dans la première Expédition Missionnaire…
Je considère très utile la référence à l’art. 34 des Constitutions des Salésiens de Don Bosco : il met en évidence ce qui est au cœur de notre Mouvement charismatique et apostolique. Je suggère à chacun des Groupes de notre belle Famille, dans sa variété, de reprendre les mêmes éléments que je propose ici, en relisant ses Constitutions et Statuts respectifs.
L’article 34 des Constitutions SDB s’intitule « Évangélisation et catéchèse » et se lit comme suit :
« « Cette société, à ses débuts, était un simple catéchisme. » Pour nous aussi, l’évangélisation et la catéchèse sont la dimension fondamentale de notre mission. Comme Don Bosco, nous sommes appelés, tous et en toute occasion, à être des éducateurs de la foi. Notre science la plus éminente est donc de connaître Jésus-Christ, et notre joie la plus profonde est de révéler à tous les insondables richesses de son mystère. Nous cheminons avec les jeunes, pour les conduire à la personne du Seigneur ressuscité, afin que, découvrant en Lui et dans son Évangile le sens suprême de leur existence, ils grandissent en hommes nouveaux. La Vierge Marie est maternellement présente sur ce chemin. Nous la faisons connaître et aimer comme Celle qui a cru, qui vient en aide et qui infuse l’espérance. »
Cet article représente le cœur battant qui décrit bien, également pour cette Étrenne, quelles sont les énergies et les opportunités comme accomplissement et actualisation du « rêve mondial » que Dieu a inspiré à Don Bosco.
Si vivre le Jubilé signifie avant tout faire en sorte que Jésus soit et revienne à la première place, l’esprit missionnaire est la conséquence de cette primauté reconnue, qui renforce notre espérance et se traduit dans la charité éducative et pastorale qui fait que tous annoncent la personne de Jésus-Christ. C’est le cœur de l’évangélisation et cela caractérise la mission authentique.
Il est significatif de rappeler le début de la première Encyclique de Benoît XVI, Deus caritas est [Dieu est Amour] :
« À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. »[14]
C’est pourquoi la rencontre avec le Christ est prioritaire et fondamentale ; non pas la « simple » diffusion d’une doctrine, mais une profonde expérience personnelle de Dieu qui nous pousse à Le communiquer, à Le faire connaître et à L’expérimenter, en devenant de véritables « mystagogues » de la vie des jeunes.
Don Bosco gardait toujours devant les yeux une phrase que les jeunes pouvaient lire en passant devant sa chambre, une expression qui a particulièrement frappé Dominique Savio : « Da mihi animas cætera tolle » [Donne-moi des âmes et garde le reste] …
Il y a un équilibre fondamental qui unit, dans cette devise, les deux priorités qui ont guidé la vie de Don Bosco – et que nous appelons de manière significative « grâce d’unité » – qui nous permettent de sauvegarder toujours l’intériorité et l’action apostolique.
Si l’amour de Dieu manquait dans notre cœur, comment pourrait-il y avoir une véritable charité pastorale ? Et en même temps, si l’apôtre n’a pas découvert le visage de Dieu dans son prochain, comment pourrait-on dire qu’il aime Dieu ? Le secret de Don Bosco est d’avoir vécu personnellement « un unique mouvement de charité envers Dieu et envers nos frères »[15] qui caractérise l’esprit salésien.
Il y a deux rêves-clés dans la vie de Don Bosco où sont évidents les comportements de l’apôtre, de celui qui est envoyé :
- Le « rêve des neuf ans » où Jésus et Marie demandent à Jean de se rendre humble, fort et robuste par l’obéissance et l’acquisition de la science, en lui recommandant toujours la bonté pour gagner le cœur des jeunes et en gardant toujours Marie comme maîtresse de vie et guide.
- Le « rêve de la tonnelle de roses » qui indique la « passion » dans la vie salésienne qui exige d’avoir les « bonnes chaussures » de la mortification et de la charité.
Célébrer le 150ème anniversaire de la première Expédition Missionnaire de Don Bosco représente un grand cadeau pour
- Reconnaître et remercier Dieu.
La reconnaissance rend claire la paternité de chaque belle réalisation. Sans reconnaissance, il n’y a pas de capacité d’accueil. Chaque fois que nous ne reconnaissons pas un don dans notre vie personnelle et institutionnelle, nous risquons sérieusement de l’annuler et de « nous en emparer ».
- Repenser, car « rien n’est éternel ».
La fidélité implique la capacité de changer dans l’obéissance vers une vision qui vient de Dieu et de la lecture des « signes des temps ». Rien n’est éternel : d’un point de vue personnel et institutionnel, la vraie fidélité est la capacité de changer, en reconnaissant ce à quoi le Seigneur appelle chacun de nous.
Repenser devient alors un acte génératif dans lequel s’unissent la foi et la vie ; un moment où nous nous demandons : que veux-tu nous dire, Seigneur, avec cette personne, avec cette situation à la lumière des signes des temps qui, pour être lus, nous demandent d’avoir le cœur même de Dieu ?
- Relancer, recommencer chaque jour.
La reconnaissance nous conduit à regarder loin devant nous et à accueillir de nouveaux défis, en relançant la mission avec espérance. La Mission est d’apporter l’espérance du Christ avec une conscience lucide et claire, liée à la foi, qui nous fait reconnaître que ce que je vois et je vis « n’est pas mon affaire à moi ».
Saint Thomas d’Aquin écrit : « Spes introducit ad caritatem »,[16] l’espérance prépare et prédispose à la charité notre vie, notre humanité. Une charité qui est aussi justice, action sociale.
L’espérance a besoin du témoignage. Nous sommes au cœur de la mission parce que la mission, ce n’est pas d’abord et avant tout faire des choses, mais c’est le témoignage de celui qui a vécu une expérience et qui la raconte. Le témoin est porteur d’une mémoire, sollicite des questions chez ceux qui le rencontrent et suscite l’étonnement.
Le témoignage de l’espérance a besoin d’une communauté ; il est l’œuvre d’un sujet collectif et il est contagieux, comme notre humanité est contagieuse, parce que le témoignage est un lien avec le Seigneur.
L’espérance dans le témoignage de la mission doit se construire de génération en génération, entre les adultes et les jeunes : c’est la voie de l’avenir. Dans notre culture, le consumérisme mange l’avenir, l’idéologie de la consommation éteint tout dans l’« ici et maintenant », dans le « tout et tout de suite ». Cependant, on ne peut pas consommer l’avenir, on ne peut pas s’approprier ce qui est autre que soi, on ne peut pas s’approprier ce qui est de l’autre.[17]
Dans la construction de l’avenir, l’espérance, c’est la capacité de promettre et de tenir ses promesses… Une chose splendide et rare dans notre monde ! Promettre, c’est espérer, mettre en mouvement, c’est pourquoi, comme nous l’avons dit, l’espérance est cheminement, c’est l’énergie même du cheminement.
Chaque vie, chaque don, chaque chose a besoin de temps pour grandir. De même, les dons de Dieu mettent du temps à mûrir. C’est pourquoi, à notre époque du « tout et tout de suite », dans notre « consommation » du temps et de la vie, il nous est demandé de donner souffle et force à la vertu de patience : parce que l’espérance se réalise dans la patience.[18]
L’espérance et la patience, en effet, sont intimement liées. L’espérance implique la capacité de savoir attendre, d’attendre la croissance, comme pour dire que « une vertu en entraîne une autre » ! Pour que l’espérance devienne réalité, qu’elle se manifeste dans son intégralité, il faut de la patience. Rien ne se manifeste de manière miraculeuse, parce que tout est soumis à la loi du temps. La patience, c’est l’art de l’agriculteur qui sème et sait attendre que la graine semée pousse et porte ses fruits.
L’espérance commence en nous comme attente et s’exerce comme attente vécue consciemment dans notre humanité. L’attente est une dimension très importante de l’expérience humaine. L’homme sait attendre, l’homme est toujours dans une dimension d’attente, parce qu’il est une créature qui vit dans le temps de manière consciente.
L’attente humaine est la vraie mesure du temps, une mesure qui n’est pas numérique, elle n’est pas chronologique. Nous avons pris l’habitude de calculer l’attente, de dire que nous avons attendu une heure, que le train a cinq minutes de retard, qu’Internet nous a fait attendre quatorze secondes interminables avant de répondre à notre clic, mais quand nous la mesurons de cette façon, nous déformons l’attente, nous en faisons une chose, un phénomène détaché de nous-mêmes et de ce que nous attendons. C’est comme si l’attente était quelque chose en soi, sans relation. Au contraire, l’attente – nous sommes au point crucial – est relation, c’est une dimension du mystère de la relation.
Seuls ceux qui ont de l’espoir ont de la patience. Seuls ceux qui éprouvent de l’espérance deviennent capables d’« endurer », de « soutenir par le bas » les différentes situations que présente l’existence. Ceux qui endurent attendent, espèrent et réussissent à tout supporter, parce que leur fatigue a le sens de l’attente, elle a la tension de l’attente, l’énergie qui aime attendre.
Nous savons que l’appel à la patience et à l’attente implique parfois l’expérience de la fatigue, du travail, de la douleur et de la mort.[19] Eh bien, la fatigue, la douleur et la mort démasquent l’illusion de posséder le temps, le sens du temps, la valeur du temps, le sens et la valeur de notre vie. Ce sont des expériences négatives, mais aussi positives, car la fatigue, la douleur et la mort peuvent être des occasions de redécouvrir le vrai sens du temps de la vie.
Et, répétons-le, il nous est demandé de « rendre raison de l’espérance qui est en nous », en devenant une annonce de la « Bonne Nouvelle » de Jésus et de son Évangile.
Le P. Egidio Viganò a offert à la Congrégation et à la Famille Salésienne une réflexion intéressante sur le thème de l’espérance, en s’appuyant sur notre très riche tradition et en mettant en évidence certaines caractéristiques spécifiques de l’esprit salésien lues à la lumière de cette vertu théologale. C’est d’une manière particulière qu’il l’a fait, en commentant, pour les participants au Chapitre Général des Filles de Marie Auxiliatrice, le « Rêve des dix diamants » de Don Bosco.[20]
Compte tenu de la profondeur des contenus proposés, il me semble utile de rappeler la contribution du VIIème Successeur de Don Bosco pour rappeler à notre mémoire ce que, toujours dans la perspective de l’espérance, nous sommes tous appelés à vivre.
Le récit de ce rêve extraordinaire, que Don Bosco a fait à San Benigno Canavese dans la nuit du 10 au 11 septembre 1881, est connu de tous. J’en rappellerai brièvement la structure.[21]
Le Rêve se déroule en trois scènes. Dans la première, le Personnage incarne le profil du Salésien : sur la face avant de son manteau, il y a cinq diamants, trois sur la poitrine, qui sont « Foi », « Espérance » et « Charité », et deux sur les épaules, qui sont « Travail » et « Tempérance » ; sur la face arrière, il y a cinq autres diamants, qui indiquent « Obéissance », « Vœu de Pauvreté », « Récompense », « Vœu de Chasteté », « Jeûne ». Le P. Rinaldi définit ce Personnage aux dix diamants : « Le modèle du vrai Salésien ».
Dans la deuxième scène, le Personnage montre l’altération du modèle : son manteau « était devenu décoloré, vermoulu et effiloché. À l’endroit où les diamants étaient fixés, il y avait, en revanche, des dommages profonds causés par les mites et d’autres petits insectes. Cette scène si triste et déprimante montre « l’inverse du vrai Salésien », l’anti-Salésien.
Dans la troisième scène, apparaît « un beau jeune homme vêtu d’un habit blanc brodé de fils d’or et d’argent [… d’aspect] majestueux, mais doux et aimable ». Il est porteur d’un message. Il exhorte les Salésiens à « écouter », à « comprendre », à rester « forts et courageux », à « témoigner » avec leurs paroles et leur vie, à « être prudents » dans l’accueil et la formation des nouvelles générations, à faire grandir sainement leur Congrégation.
Les trois scènes du rêve sont vivantes et provocatrices ; elles nous présentent une synthèse agile, personnalisée et théâtralisée de la spiritualité salésienne. Le contenu du rêve comporte certainement, dans l’esprit de Don Bosco, un cadre de référence important pour notre identité vocationnelle.
Le Personnage du rêve – comme on le sait – porte le diamant de l’espérance sur le devant, ce qui indique la certitude de l’aide d’En-Haut dans une vie entièrement créative, c’est-à-dire engagée dans la planification d’activités pratiques quotidiennes pour le salut, en particulier des jeunes. Avec les autres symboles associés aux vertus théologales, se dessine la physionomie d’un personnage sage et optimiste en raison de la foi qui l’anime, dynamique et créative grâce à l’espérance qui le motive, toujours homme de prière et humainement bon en raison de la charité qui l’imprègne.
En correspondance avec le diamant de l’espérance, au dos de la figure, on trouve le diamant de la « récompense ». Si l’espérance met visiblement en évidence le dynamisme et l’activité du Salésien dans l’édification du Royaume, si la constance de ses efforts et l’enthousiasme de son engagement se fondent sur la certitude de l’aide de Dieu, rendue présente par la médiation et l’intercession du Christ et de Marie, le diamant de la « récompense » souligne plutôt une attitude constante de la conscience qui imprègne et anime tout l’effort ascétique, selon la maxime familière de Don Bosco : « Un morceau de paradis arrange tout ! ».[22]
Le Salésien, a dit Don Bosco, « est prêt à supporter la chaleur et le froid, la soif et la faim, les fatigues et le mépris, chaque fois que sont en jeu la gloire de Dieu et le salut des âmes. »[23] Le soutien intérieur de cette capacité ascétique exigeante est la pensée du paradis comme reflet de la bonne conscience avec laquelle il travaille et vit. « Dans toute notre tâche, dans tous nos travaux, peines ou chagrins, n’oublions jamais qu’ […] Il tient le plus petit compte de chaque plus petite chose faite pour son saint Nom ; et il est de foi qu’en temps voulu, Il nous dédommagera abondamment. À la fin de notre vie, lorsque nous nous présenterons à son tribunal divin, en nous regardant avec un visage aimant, Il nous dira : » Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. » (Mt 25, 2l) ».[24] « Dans la fatigue et la souffrance, n’oubliez jamais que nous avons une grande récompense qui nous attend au Ciel. »[25] Et quand notre Père dit que le Salésien épuisé par trop de travail représente une victoire pour toute la Congrégation, il semble même suggérer une dimension de communion fraternelle dans la récompense, presque un sens communautaire du Paradis !
La pensée et la conscience continuelles du Paradis sont l’une des idées souveraines et l’une des valeurs motrices de la spiritualité typique de Don Bosco, et aussi de sa pédagogie. C’est comme faire la lumière et approfondir l’instinct fondamental de l’âme qui tend vitalement vers son but ultime.
Dans un monde soumis à la sécularisation et à la perte progressive du sens de Dieu, notamment en raison du bien-être et de certains progrès, il est important de résister à la tentation – pour nous et pour les jeunes avec qui nous marchons – qui nous empêche d’élever notre regard vers le Paradis et ne nous fait pas ressentir le besoin de soutenir et de nourrir un engagement ascétique vécu dans le travail quotidien. À sa place, un regard temporel s’élève peu à peu, selon un horizontalisme plus ou moins élégant, qui croit savoir découvrir l’idéal de tout dans le devenir humain et dans la vie présente. Tout le contraire de l’espérance ! Don Bosco a été l’un des grands hommes de l’espérance. Beaucoup d’éléments le prouvent. Son esprit salésien est tout entier imprégné des certitudes et de l’assiduité caractéristiques du dynamisme audacieux de l’Esprit Saint.
Je m’arrête brièvement pour rappeler comment Don Bosco a su traduire dans sa vie l’énergie de l’espérance sur deux fronts : l’engagement pour sa sanctification personnelle et la mission de salut pour les autres. Ou plutôt – et c’est là une caractéristique centrale de son esprit – sa sanctification personnelle à travers le salut des autres. Retenons la fameuse formule des trois « S » : « Salve Salvando Sàlvati » (Salut, en Sauvant [les autres], tu te Sauves toi-même).[26] On dirait un jeu mnémotechnique, comme un slogan pédagogique, mais c’est profond et cela indique comment les deux versants de la sanctification personnelle et du salut du prochain sont étroitement liés l’un à l’autre.
Dans le binôme « travail » et « tempérance », on perçoit que l’espérance a été vécue par Don Bosco comme une planification pratique et quotidienne d’une inlassable ardeur de sanctification et de salut. Sa foi l’a conduit à préférer, dans la contemplation du mystère de Dieu, son ineffable dessein de salut. Il voit dans le Christ le Sauveur de l’homme et le Seigneur de l’Histoire ; en sa Mère, Marie, l’Auxiliatrice des chrétiens ; dans l’Église, le grand Sacrement du Salut ; dans sa propre maturité chrétienne et dans la jeunesse nécessiteuse, le vaste champ du « pas-encore ». C’est pourquoi son cœur éclate dans le cri « Da mihi animas », Seigneur, accorde-moi de sauver la jeunesse et garde donc tout le reste ! Marcher à la suite du Christ [sequela Christi] et la mission en faveur des jeunes se fondent, dans son esprit, dans un seul dynamisme théologique qui constitue l’épine dorsale de l’ensemble.
Nous savons bien que la dimension de l’espérance chrétienne combine la perspective du « déjà » et du « pas encore » : quelque chose de présent et quelque chose en devenir qui, cependant, à partir d’aujourd’hui, commence à se manifester en plénitude même si « pas encore ».
La certitude du « déjà »
Lorsque nous demandons à la théologie quel est l’objet formel de l’espérance, elle répond que c’est la conviction intime de la présence de Dieu qui aide, qui secourt et assiste, la certitude intérieure de la puissance de l’Esprit Saint, l’amitié avec le Christ victorieux qui nous fait dire avec saint Paul : « Je peux tout en celui qui me donne la force. » (Ph 4,13)
Le premier élément constitutif de l’espérance est donc la certitude du « déjà ». L’espérance stimule la foi à s’exercer dans la considération de la présence salvifique de Dieu dans les vicissitudes humaines, de la puissance de l’Esprit dans l’Église et dans le monde, de la royauté du Christ sur l’histoire, des valeurs baptismales qui ont commencé en nous la vie de la résurrection.
Le premier élément constitutif de l’espérance est donc l’exercice de la foi en l’essence de Dieu comme Père miséricordieux et Sauveur, en ce que Jésus-Christ a déjà fait pour nous, en la Pentecôte comme début de l’ère de l’Esprit Saint, en ce qui est déjà en nous par le Baptême, par les sacrements, par la vie dans l’Église, par l’appel personnel de notre vocation. Il est nécessaire de réfléchir que la foi et l’espérance s’échangent en nous, que leurs dynamismes se stimulent et se complètent mutuellement et nous font vivre dans le climat créatif et transcendant de la puissance de l’Esprit Saint.
La conscience claire du « pas-encore »
Le deuxième élément constitutif de l’espérance est la conscience du « pas-encore ». Il ne semble pas très difficile de l’avoir, mais l’espérance exige une conscience claire non pas tant de ce qui est mauvais et injuste, que de ce qui manque à la stature du Christ dans le temps et, par conséquent, de ce qui est injuste et péché, et aussi de ce qui est immature, partiel ou retardé dans l’édification du Royaume.
Cela présuppose, comme cadre de référence, une connaissance claire du dessein divin de salut, sur lequel se greffent la capacité critique et le discernement de celui qui espère. Ainsi, la critique de l’homme d’espérance n’est pas simplement psychologique ou sociologique, mais transcendante, selon l’orbite théologale de la « nouvelle créature » ; elle fait également appel aux apports des sciences humaines et les dépasse de loin.
Avec la conscience du « pas-encore », celui qui espère perçoit ce qui est mal, ce qui n’est pas encore mûr, ce qui est semence pour le Royaume de Dieu, et s’engage à faire grandir le bien et à combattre le péché dans la perspective historique du Christ. La capacité de discernement du « pas-encore » se mesure toujours à la certitude du « déjà ». C’est pourquoi, et je dirais surtout dans les moments difficiles, ceux qui espèrent poussent et stimulent leur foi à découvrir les signes de la présence de Dieu et les médiations qui nous guident dans l’orbite tracée par Lui. C’est une qualité très importante aujourd’hui : savoir identifier les graines pour les aider à éclore et à pousser.
Comment peut-on espérer s’il n’y a pas cette capacité de discernement ? Il ne suffit pas de pouvoir percevoir tout le poids du mal, il faut aussi être sensible à la source « qui brille autour de nous ». Ainsi, en ces temps que nous qualifions de difficiles (et ils le sont vraiment, en comparaison de ceux que nous vivions avant une certaine tranquillité), l’espérance nous aide à percevoir qu’il y a aussi tant de bien dans le monde et que quelque chose est en train de grandir.
L’assiduité salvifique
Un troisième élément constitutif de l’espérance est son exigence opérationnelle accompagnée de l’engagement concret de sanctification, d’inventivité et de sacrifice apostoliques. Il faut collaborer avec le « déjà » en croissance ; il est urgent d’avancer pour lutter contre le mal en nous-mêmes et chez les autres, en particulier chez les jeunes dans le besoin.
Le discernement du « déjà » et du « pas-encore » a besoin de se traduire dans la pratique de la vie, en s’ouvrant aux résolutions, aux projets, à la révision, à l’inventivité, à la patience et à la constance. Tout ne se passera pas « comme nous l’espérions » : il y aura des échecs, des déboires, des chutes, des malentendus. L’espérance chrétienne participe aussi naturellement aux ténèbres de la foi.
Des trois éléments constitutifs de l’espérance, que je viens d’indiquer, découlent des fruits particulièrement significatifs pour l’esprit salésien de Don Bosco.
La joie
Du premier élément constitutif – la certitude du « déjà » – découle la joie comme fruit le plus caractéristique. Toute véritable espérance explose en joie.
L’esprit salésien assume la joie de l’espérance à travers une affinité qui lui est propre. Même la biologie nous en suggère quelques exemples. La jeunesse, qui est l’espérance humaine (et qui suggère ainsi une certaine analogie avec le mystère de l’espérance chrétienne), est avide de joie. Et nous, nous voyons Don Bosco traduire l’espérance en un climat de joie pour les jeunes à sauver. Dominique Savio, qui a grandi à son école, disait : « Ici, nous faisons consister la sainteté à vivre toujours très joyeux. » Il ne s’agit pas d’une hilarité superficielle propre au monde, mais d’une joie intérieure, d’un substrat de victoire chrétienne, d’une harmonie vitale avec l’espérance, qui explose de joie. Une joie qui procède, en définitive, des profondeurs de la foi et de l’espérance.
Il n’y a rien à faire : si nous sommes tristes, c’est parce que nous sommes superficiels. Je comprends qu’il y ait une tristesse chrétienne : Jésus-Christ l’a vécue. À Gethsémani, son âme était triste à en mourir, il transpirait des gouttes de sang. C’est certainement une autre forme de tristesse.
Cependant, l’affliction ou la mélancolie par laquelle une religieuse a l’impression de n’être comprise de personne, que les autres ne la prennent pas en considération, qu’ils éprouvent de la jalousie ou ne comprennent pas ses qualités, etc., c’est une tristesse qui ne doit pas être alimentée. À cela il faut opposer la profondeur de l’espérance : Dieu est avec moi et m’aime ; qu’importe que les autres n’aient pas beaucoup de considération pour moi ?
La joie, dans l’esprit salésien, est une atmosphère quotidienne ; elle découle d’une foi qui espère et d’une espérance qui croit, c’est-à-dire de ce dynamisme de l’Esprit Saint qui annonce en nous la victoire sur le monde ! La joie est indispensable pour témoigner authentiquement de ce que nous croyons et espérons. L’esprit salésien est d’abord cela et non pas une réduction à de simples observances et mortifications. L’espérance nous conduira aussi à faire de nombreuses mortifications, mais comme des entraînements à l’envol et non comme des punitions de prison ! Donc l’espérance est source d’une grande joie !
Le monde essaie de surmonter ses limites et sa désorientation avec une vie remplie de sensations excitantes. Il cultive la promotion et la satisfaction des sens, le film inconvenant, l’érotisme, la drogue, etc. C’est une façon d’échapper à une situation passagère qui semble n’avoir aucun sens, de chercher quelque chose qui frise la « caricature de la transcendance ».
La patience
Un autre « fruit » de l’espérance – qui procède de la conscience du « pas-encore » – est la patience. Toute espérance implique une indispensable dose de patience. La patience est une attitude chrétienne intrinsèquement liée à l’espérance dans son long « pas-encore », avec ses troubles, ses difficultés et ses obscurités. Croire en la résurrection et travailler pour la victoire de la foi, alors que l’on est mortel et plongé dans le transitoire, exige une structure intérieure d’espérance qui conduit à la patience.
L’expression la plus sublime de patience chrétienne a été vécue par Jésus, surtout pendant sa Passion et sa mort. C’est une patience fructueuse, précisément à cause de l’espérance qui l’anime. Ici, dans la patience, plutôt que d’initiative et d’action, il s’agit d’acceptation consciente et de passivité vertueuse qu’Il supporte en vue de la réalisation du projet de Dieu.
L’esprit salésien de Don Bosco nous rappelle souvent la patience. Dans l’introduction des Constitutions, Don Bosco rappelle, en faisant allusion à saint Paul, que les peines que nous avons à endurer dans cette vie n’ont rien à voir avec la récompense qui nous attend : « Il avait l’habitude de dire : » Courage ! Que l’espérance nous soutienne, quand la patience viendrait à manquer. » »[27] « Ce qui soutient la patience, ce doit être l’espérance de la récompense. »[28]
Mère Mazzarello insistait également sur ce point. L’un de ses premiers biographes, le P. Ferdinando Maccono, affirme que l’espérance l’a toujours réconfortée en la soutenant dans ses souffrances, dans ses infirmités, dans ses doutes, et l’a réjouie à l’heure de sa mort : « Son espérance était très vive et très active. Il me semble, a témoigné une religieuse, que l’espérance l’animait en tout et qu’elle cherchait à l’instiller chez les autres. Elle nous exhortait à bien porter les petites croix quotidiennes et à tout faire avec une grande pureté d’intention. »[29] L’espérance est la mère de la patience et la patience est la défense et le bouclier de l’espérance.
La sensibilité éducative
Du troisième élément constitutif de l’espérance – « l’assiduité salvifique » – procède un autre fruit : la sensibilité éducative. Il s’agit d’une initiative d’engagement approprié, à la fois dans le contexte de sa propre sanctification (à la suite du Christ – sequela Christi) et dans le contexte du salut des autres (mission). Elle comporte un engagement pratique, mesuré et constant, traduit par Don Bosco en une méthodologie concrète qui implique les attentions suivantes :
- la perspicacité (ou « sainte » ruse) : lorsqu’il s’agit d’avoir des initiatives, de résoudre des problèmes, Don Bosco fait de son mieux sans prétention au perfectionnisme, mais avec un humble sens pratique ; il répétait souvent cette phrase: « Le mieux est l’ennemi du bien ».[30]
- L’audace. Le mal est organisé, les enfants des ténèbres agissent avec intelligence. L’Évangile nous dit que les enfants de la lumière doivent être plus astucieux et plus courageux. C’est pourquoi, pour travailler dans le monde, il faut s’armer d’une prudence authentique – l’« auriga virtutum » – c’est-à-dire « la mère des vertus » qui nous rend agiles, opportuns et pénétrants dans l’application de la véritable intrépidité dans le bien.
- La magnanimité. Nous ne devons pas limiter notre regard aux murs de la maison. Nous avons été appelés par le Seigneur à sauver le monde, nous avons une mission historique plus importante que celle des astronautes ou des hommes de science… Nous nous engageons pour la libération intégrale de l’homme. Notre esprit doit s’ouvrir à des visions très amples. Don Bosco voulait que nous soyons « à l’avant-garde du progrès » (et il s’agissait, quand il prononça cette phrase, des moyens de communication sociale).
Nous connaissons la magnanimité de Don Bosco dans l’initiation des jeunes aux responsabilités apostoliques ; pensons, par exemple, aux premiers missionnaires qui sont partis pour l’Amérique. Les Salésiens et les Filles de Marie Auxiliatrice n’étaient guère plus que de très jeunes garçons et filles !
Don Bosco se mouvait dans de vastes horizons. Ni le Valdocco ni Mornèse ne lui suffisaient ; il ne pouvait rester seulement dans les limites de Turin, du Piémont, de l’Italie ou de l’Europe. Son cœur battait au rythme de celui de l’Église universelle, parce qu’il se sentait comme investi de la responsabilité du salut de toute la jeunesse nécessiteuse du monde. Il voulait que les Salésiens sentent comme leurs tous les problèmes les plus importants et les plus urgents de l’Église concernant les jeunes, pour être disponibles partout. Et, tout en cultivant la magnanimité des projets et des initiatives, il était concret et pratique dans leur mise en œuvre, avec le sens de la gradualité et avec la modestie des débuts.
Sur le visage du Salésien, la magnanimité doit toujours briller comme une note de sympathie : il ne doit pas être une petite tête sans visions, mais avoir une grandeur d’âme parce qu’il a un cœur habité par l’espérance.
Charles Péguy, avec son acuité un peu violente, écrit : « Une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d’agir. Les lâches sont des gens qui regorgent d’explications. » Sur le visage salésien, doivent toujours briller comme une note de sympathie la mystique de la décision et l’humble audace du pragmatisme. Don Bosco était déterminé dans ses engagements à faire le bien, même s’il ne pouvait pas commencer par le meilleur ; il disait que ses œuvres commençaient sans doute dans le désordre pour tendre ensuite vers l’ordre !
À côté de la profondeur de la contemplation, de la joie de la filiation divine, de l’enthousiasme de la gratitude et de l’optimisme (qui viennent de la « foi »), l’espérance dessine aussi sur le visage du Salésien le courage de l’initiative, l’esprit de sacrifice de la patience, la sagesse de la gradualité pédagogique, l’utopie de la magnanimité, la modestie de la praticité, la prudence de la ruse et le sourire de la joie.
Jusqu’à présent, nous avons jeté un coup d’œil sur ce que Don Bosco et nos saints et bienheureux ont clairement exprimé dans leur vie. Ce sont des éléments qui poussent chacun de nous, personnellement et en tant que Famille Salésienne, à faire ressortir ou – pour reprendre les paroles du P. Egidio Viganò – à faire resplendir cette espérance dont nous sommes appelés à « rendre raison », en particulier aux jeunes et, parmi eux, les plus pauvres.
Le temps est venu de « jeter un coup d’œil » un peu au-delà de ce qui est « immédiatement visible » et de chercher à savoir ce qui attend notre vie et nous donne le courage d’attendre avec ardeur alors que nous coopérons à la venue du « jour du Seigneur ». C’est pourquoi, en reprenant toujours l’analyse franche et intense du VIIème Successeur de Don Bosco, concentrons notre attention sur la perspective de la « récompense ».
Le diamant de la « récompense » est placé avec quatre autres à l’arrière du manteau du Personnage du rêve. C’est presque un secret, une force qui opère de l’intérieur, qui nous donne l’impulsion et nous aide à soutenir et à défendre les grandes valeurs vues sur la partie antérieure. Il est intéressant d’observer que le diamant de la « récompense » est placé sous celui de la « pauvreté », car il a certainement une relation avec les « privations » qui lui sont liées.
Sur ses rayons, on lit les paroles suivantes : « Si la grandeur des récompenses vous attire, ne vous effrayez pas de la quantité des peines à subir. » « Ceux qui souffrent avec Moi, avec Moi se réjouiront. » « Ce que nous souffrons sur la terre est momentané, ce qui fera la joie de mes amis du Ciel est éternel. »
Le vrai Salésien a dans son imagination, dans son cœur, dans ses désirs, dans ses horizons de vie la vision de la récompense, comme plénitude des valeurs proclamées par l’Évangile. Pour cette raison, « il est toujours joyeux. Il répand cette joie et sait éduquer au bonheur de la vie chrétienne et au sens de la fête ».[31]
Dans la maison de Don Bosco et dans nos maisons salésiennes, on parlait beaucoup du Paradis. C’était une idée permanente et omniprésente résumée dans quelques dictons célèbres : « Pain, travail et paradis » ;[32] « Un morceau de paradis arrange tout ».[33] Ce sont des phrases récurrentes au Valdocco et à Mornèse.
Certes, beaucoup de Filles de Marie Auxiliatrice se souviendront de la description donnée par Mère Enrichetta Sorbone de l’esprit de Mornèse : « Ici nous sommes au Paradis ; dans la maison il y a un air de Paradis ! ».[34] Et ce n’était certainement pas à cause des privations ou de l’absence de problèmes. C’était comme la traduction spontanée, jaillissant du cœur, de la pancarte que Don Bosco avait fait placer : « Servite Domino in lætitia » [Servez le Seigneur dans la joie].[35] Dominique Savio avait aussi perçu la même atmosphère chaleureuse et transcendante de la vie : « Ici, nous faisons consister la sainteté à vivre toujours très joyeux. »[36]
Dans les biographies de Dominique Savio, de François Besucco et de Michel Magon, Don Bosco, décrivant également leur agonie, tient à souligner cette joie ineffable, alliée à une véritable aspiration au Paradis. Bien plus que l’horreur de la mort, ses garçons ressentent l’attrait de Pâques.
La pensée de la récompense est l’un des fruits de la présence de l’Esprit Saint, c’est-à-dire de l’intensité de la foi, de l’espérance et de la charité, toutes les trois ensemble, même si cette pensée est plus étroitement liée à l’espérance. Elle instille dans le cœur une joie et une gaieté qui viennent d’en haut et trouvent une belle harmonie avec les mêmes tendances innées du cœur humain. Nous le voyons en vivant parmi les garçons et les filles : les jeunes ressentent avec une plus grande fraîcheur que l’homme est né pour le bonheur. Mais nous n’avons même pas besoin d’aller chercher cela parmi les jeunes. Prenons un miroir et regardons-nous : nous avons juste besoin d’écouter les battements de notre cœur. Nous sommes nés pour le bonheur, nous l’attendons même sans l’avouer.
L’idée du Paradis, toujours présente dans la maison de Don Bosco, n’est pas une utopie de tromperies naïves, ce n’est pas la carotte qui trompe le cheval pour qu’il avance plus vite, c’est l’angoisse substantielle de notre être. Et c’est surtout la réalité de l’amour de Dieu, de la résurrection de Jésus-Christ à l’œuvre dans l’histoire, et c’est la présence vivante de l’Esprit Saint qui poussent, en fait, vers la récompense.
Don Bosco ne méprise aucune joie des jeunes. Au contraire, il la suscite, l’augmente, la développe. La fameuse « joie » en laquelle il fait consister la sainteté n’est pas seulement une joie intime, cachée dans le cœur comme fruit de la Grâce. Celle-ci en est la racine. Elle s’exprime aussi à l’extérieur, dans la vie, dans la cour de récréation et dans le sens de la fête.
Quelle ardeur dans la célébration des solennités religieuses, des jours de fête à l’Oratoire ! Don Bosco prenait même soin à organiser la célébration de sa propre fête, non pas pour lui-même, mais pour créer une atmosphère de reconnaissance joyeuse dans la maison.
Pensons aux courageuses promenades d’automne : deux ou trois mois pour les préparer, 15 ou 20 jours pour les vivre. Puis les souvenirs prolongés et les commentaires : une joie très étendue dans le temps. Quelle imagination et quel courage ! De Turin aux Becchi, à Gênes, à Mornèse, à de nombreuses villes du Piémont, avec des dizaines et des dizaines de jeunes… La promenade, le jeu, la musique, le chant, le théâtre sont des éléments substantiels du Système Préventif qui, même en tant que méthode pédagogique, suppose une spiritualité appropriée et explosive, fruit d’une foi, d’une espérance et d’une charité convaincues, valeurs du ciel vécues ici même sur terre.
Le Paradis apparaissait toujours au ciel du Valdocco, de jour comme de nuit, avec ou sans nuages. Témoigner aujourd’hui des valeurs de la récompense est une prophétie urgente pour le monde et en particulier pour les jeunes. Qu’est-ce que la civilisation technico-industrielle a apporté à la société de consommation ? Une énorme possibilité de confort et de plaisir avec, pour conséquence, une grande tristesse.
Entre autres choses, nous lisons dans les Constitutions des Salésiens de Don Bosco – mais cela s’applique à chaque chrétien – que « le Salésien [est] un signe de la force de la résurrection » et que « dans la simplicité et le travail de la vie quotidienne », il est « un éducateur qui annonce aux jeunes « des cieux nouveaux et une terre nouvelle « , [en stimulant] en eux les engagements et la joie de l’espérance. »[37]
À Mornèse et au Valdocco, il n’y avait ni confort ni dictature et tout respirait la spontanéité et la joie. Le progrès technique a facilité beaucoup de choses aujourd’hui, mais la vraie joie de l’homme n’a pas augmenté. Au contraire, l’angoisse et les nausées ont augmenté, le manque de sens de l’existence s’est aggravé, ce que nous continuons malheureusement de constater – surtout dans les sociétés riches – avec les statistiques tragiques des suicides d’adolescents et de jeunes.
Aujourd’hui, en plus de la pauvreté matérielle qui afflige encore une très grande partie de l’humanité, il devient urgent de trouver un moyen de faire percevoir aux jeunes le sens de la vie, les idéaux supérieurs, l’originalité de Jésus-Christ. On recherche le bonheur, tendance humaine fondamentale, mais le bon chemin pour y parvenir n’est plus connu, et donc grandit une immense désillusion.
Les jeunes, également à cause du manque d’adultes significatifs, se sentent incapables d’affronter la souffrance, le devoir et l’engagement définitif. Le problème de la fidélité aux idéaux et à sa propre vocation est devenu crucial. Les jeunes se sentent incapables d’assumer souffrances et sacrifices. Ils vivent dans une atmosphère où triomphe le divorce entre amour et sacrifice, de telle sorte que la recherche et l’atteinte du bien-être finissent par asphyxier la capacité d’aimer et, par conséquent, de rêver l’avenir.
À juste titre, comme nous l’avons dit, le diamant de la récompense est placé sous celui de la pauvreté, comme pour indiquer que les deux se complètent et se soutiennent mutuellement. En effet, la pauvreté évangélique implique une vision concrète et transcendante de l’ensemble de la réalité, avec une perspective réaliste également en ce qui concerne le renoncement, la souffrance, les revers, les privations et les douleurs.
Quelle est l’énergie intérieure qui fait tout affronter avec confiance et un visage souriant, sans se décourager ? C’est, en fin de compte, le sens de la présence du Ciel sur la terre. Ce sens vient de la foi, de l’espérance et de la charité qui nous font relire toute notre existence dans la perspective de l’Esprit Saint.
Le monde a un besoin urgent de prophètes qui annonceraient par leur vie la grande vérité du Paradis. Non pas une évasion aliénante, mais une réalité intense et stimulante ! C’est pourquoi, dans l’esprit de Don Bosco, il y a un souci constant de cultiver la familiarité avec le Paradis, presque comme s’il constituait le firmament de l’esprit, l’horizon du cœur salésien : nous travaillons et luttons avec la certitude d’une récompense, en regardant vers la Patrie céleste, vers la maison de Dieu, vers la Terre Promise.
Il est important de souligner que la perspective de la récompense ne consiste pas de manière réductrice dans l’obtention d’une « gratification », d’une sorte de consolation pour une vie vécue au milieu de nombreux sacrifices, de souffrances… Rien de tout cela ! S’il ne s’agissait que d’une « récompense », cela ressemblerait à du chantage. Mais Dieu n’agit pas de cette façon. Dans son amour, il ne peut offrir que Lui-même à l’homme. C’est, comme le dit Jésus, la vie éternelle : la connaissance du Père. Où « connaître » signifie « aimer », devenir pleinement participants de Dieu, en continuité avec l’existence terrestre vécue « en grâce », c’est-à-dire dans l’amour pour Dieu et pour ses frères et sœurs.
Sur ce chemin, nous sommes invités à tourner notre regard vers Marie qui se rend présente comme une aide quotidienne, comme une Mère prévenante et Auxiliatrice des chrétiens. Don Bosco est sûr de la présence de Celle-ci parmi nous et veut des signes qui nous le rappellent. Pour Elle, il a construit une Basilique, Centre d’animation et de diffusion de la vocation salésienne. Il voulait Son image dans nos milieux de vie ; il liait toute initiative apostolique à Son intercession et en commentait avec émotion l’efficacité réelle et maternelle. Rappelons-nous, par exemple, ce qu’il a dit aux Filles de Marie Auxiliatrice dans la maison de Nice-Montferrat : « La Madone est vraiment ici, ici au milieu de vous ! La Madone déambule dans cette maison et la couvre de son manteau. »[38]
En plus d’Elle, nous cherchons aussi d’autres amis dans la maison de Dieu : nos Saints et Bienheureux, à commencer par les visages qui nous sont le plus familiers et qui font partie de ce que l’on appelle le « jardin salésien ».
Nous ne faisons pas ces choix pour diviser la grande maison de Dieu en petits appartements privés, mais plutôt pour nous y sentir plus facilement chez nous et pouvoir parler de Dieu, du Père, du Fils, de l’Esprit Saint, du Christ et de Marie, de la création et de l’histoire, non pas avec la trépidation de quelqu’un qui a écouté la prestigieuse leçon d’un grand penseur, difficile et même hermétique, mais avec le sentiment de familiarité et de simplicité joyeuse avec lequel nous conversons avec ceux qui ont été nos parents, nos frères et sœurs, nos collègues et nos compagnons de travail. Certains d’entre eux, nous ne les avons pas connus de leur vivant, mais nous les sentons proches de nous et il nous inspirent une confiance particulière. Parler avec saint Joseph, avec Don Bosco, avec Mère Mazzarello, avec Don Rua, avec Dominique Savio, avec Laura Vicuña, avec le P. Rinaldi, avec Mgr Versiglia et le P. Caravario, avec Sœur Thérèse Valsè, avec Sœur Eusebia Palomino, etc., c’est vraiment un dialogue « de maison », un dialogue familial.
C’est ce que nous suggère le diamant de la récompense : se sentir chez soi avec Dieu, avec le Christ, avec Marie, avec les Saints ; sentir leur présence dans sa propre maison, dans une atmosphère familiale qui donne un sentiment de Paradis à l’environnement quotidien de la vie.
Au terme de ce commentaire, nous ne pouvons que tourner notre cœur et notre regard vers la Vierge Marie, comme Don Bosco nous l’a enseigné. L’espérance requiert la confiance, la capacité de se donner et de se confier. Dans tout cela, nous avons une guide et une maîtresse de vie en la Très Sainte Vierge Marie. Elle nous témoigne qu’espérer, c’est se confier et se donner, et c’est vrai autant pour l’existence que pour la vie éternelle.
Sur ce chemin, la Vierge Marie nous prend par la main, nous apprend à faire confiance à Dieu et à nous donner librement à l’amour transmis par son Fils Jésus. L’indication et la « carte de navigation » qu’Elle nous présente sont toujours les mêmes : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »[39] Une invitation que nous assumons dans notre vie de tous les jours.
En Marie, nous voyons la réalisation de la Récompense. Marie incarne en elle-même l’attractivité et le caractère concret de la Récompense :
« Ayant accompli le cours de sa vie terrestre, Elle fut élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l’univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs, victorieux du péché et de la mort. »[40]
On peut lire sur ses lèvres de belles expressions de saint Paul. Comme ces expressions sont inspirées par l’Esprit Saint, Époux de Marie, Elle les partage certainement.
Voici ces belles expressions :
« Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous : alors, qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? (…)
Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. »[41]
Bien chers frères et sœurs, bien chers jeunes,
Marie Auxiliatrice, Don Bosco et tous nos Saints et Bienheureux sont proches de nous en cette année extraordinaire. Qu’ils nous accompagnent pour vivre en profondeur les exigences du Jubilé, en nous aidant à mettre au centre de notre vie la personne de Jésus-Christ, « le Sauveur annoncé dans l’Évangile, qui vit aujourd’hui dans l’Église et dans le monde ».[42]
Qu’ils nous exhortent, à l’exemple des premiers et des premières missionnaires envoyés par Don Bosco, à faire de notre vie toujours et partout un don gratuit pour les autres, en particulier pour les jeunes et parmi eux les plus pauvres.
Pour finir, un souhait : que cette année fasse grandir en nous la prière pour la paix, pour une humanité pacifiée. Invoquons le don de la paix – le shalom biblique – qui contient tous les autres dons et ne trouve son accomplissement que dans l’espérance.
Avec mon affection fraternelle
Père Stefano Martoglio, S.D.B.
Vicaire du Recteur Majeur Rome, le 31 décembre 2024
[1] Pape François, Spes non confundit. Bulle d’indiction du Jubilé Ordinaire de l’An 2025, Cité du Vatican, 9 mai 2024.
[2] Ibidem
[3] Cf. Rm 8,39.
[4] Cf. Rm 5,3-5
[5] Missel romain
[6] Byung-Chul Han, El espíritu de la esperanza [L’esprit de l’espérance], Herder, Barcelona 2024, p.18
[7] C. Paccini – S. Troisi, Siamo nati e non moriremo mai più. Storia di Chiara Corbella Petrillo,[Nous sommes nés et nous ne mourrons plus jamais. Histoire de Chiara Corbella Petrillo], Porziuncola, Assise (PG) 2001.
[8] Gabriel Marcel, Philosophie der Hoffnung [Philosophie de l’Espérance], Munich, List 1964.
[9] Erich Fromm, La revolución de la esperanza [La révolution de l’Espérance], Mexico 1970.
[10] 1P 3,15.
[11] Pape François, Spes non confundit, 9.
[12] Jn 17,3.
[13] Cf. Rm 4,18
[14] BenoÎt XVI, Encyclique Deus Caritas est, Cité du Vatican, 25 décembre 2005, n. 1.
[15] Constitutions SDB, 3.
[16] Thomas d’Aquin, Summa theologiae, IIª-IIae q. 17 a. 8 co.
[17] Cf. Emmanuel LÉvinas, La totalité et l’infini. Essai sur l’extériorité, Jaca Book, Milan 2023.
[18] Pour ces réflexions, je me suis inspiré de la riche réflexion de l’Abbé Général de l’Ordre des Cisterciens M. G. Lepori, Chapitres de l’Abbé Général OCist au CFM 2024. Espérer en Christ. Disponible en plusieurs langues à l’adresse suivante : www.ocist.org
[19] Cf. Rm 5,3-5
[20] Egidio ViganÒ, Un progetto evangelico di vita attiva [Un projet évangélique de vie active], Elle Di Ci, Leumann (TO) 1982, 68-84.
[21] Cf. Egidio ViganÒ, Profilo del Salesiano nel sogno del personaggio dai dieci diamanti [Profil du Salésien dans le rêve du personnage aux dix diamants], in ACS 300 (1981), 3-37. L’intégralité du récit du rêve se trouve dans ACS 300 (1981), 40-44 ; ou dans MB XV, 182-187.
[22] MB VIII, 444.
[23] Const. SDB, 18.
[24] Pietro Braido (sous la direction de), Don Bosco Fondatore “Ai Soci Salesiani”(1875-1885). Introduzione e testi critici [Don Bosco Fondateur « Aux Confrères Salésiens » (1875-1885). Introduction et textes critiques], LAS, Rome 1995, 159.
[25] MB VI, 442.
[26] MB VI, 409.
[27] MB XII, 458.
[28] Ibidem
[29] Ferdinando Maccono, Santa Maria Domenica Mazzarello. Co-fondatrice e prima Superiora Generale delle FMA [Sainte Marie-Dominique Mazzarello. Cofondatrice des FMA], Vol. I, FMA, Turin 1960, 398.
[30] MB X, 716.
[31] Const. SDB, 17.
[32] MB XII, 600.
[33] MB VIII, 444.
[34] Cité dans E. Viganò, Redécouvrir l’esprit de Mornèse, dans ACS (1981), 62.
[35] Salle 99.
[36] MB V, 356.
[37] Const. SDB, 63. Voir aussi E. ViganÒ, « Rendre raison de la joie et des engagements de l’espérance, en témoignant des richesses insondables du Christ ». Étrenne 1994. Commentaire du Recteur Majeur, Istituto Figlie di Maria Ausiliatrice, Rome 1993.
[38] G. Capetti, Il cammino dell’Istituto nel corso di un secolo [Le chemin de l’Institut au cours d’un siècle], Vol. I, FMA, Rome 1972-1976, 122.
[39] Jn 2,5.
[40] Lumen Gentium, 59.
[41] Rm 8,34-39.
[42] Const. SDB, 196.