Sainte Monique, mère de Saint Augustin, témoin d’espérance

Une femme à la foi inébranlable, aux larmes fécondes, exaucée par Dieu après dix-sept longues années. Un modèle de chrétienne, d’épouse et de mère pour toute l’Église. Une femme témoin d’espérance qui s’est transformée en puissance d’intercession au Ciel. Don Bosco lui-même recommandait aux mères, affligées par la vie peu chrétienne de leurs enfants, de se confier à elle dans leurs prières.

Dans la grande galerie des saints et des saintes qui ont marqué l’histoire de l’Église, Sainte Monique (331-387) occupe une place singulière. Non pas pour des miracles spectaculaires, ni pour la fondation de communautés religieuses, ni pour des entreprises sociales ou politiques de grande envergure. Monique est avant tout citée et vénérée comme mère, la mère d’Augustin, ce jeune inquiet qui, grâce à ses prières, à ses larmes et à son témoignage de foi, devint l’un des plus grands Pères de l’Église et Docteurs de la foi catholique.
Mais limiter sa figure à son rôle maternel serait injuste et réducteur. Monique est une femme qui a su vivre sa vie ordinaire — comme épouse, mère, croyante — de manière extraordinaire, en transfigurant le quotidien avec la force de la foi. Elle est un exemple de persévérance dans la prière, de patience dans le mariage, d’espérance inébranlable face aux égarements de son fils.
Les informations sur sa vie nous proviennent presque exclusivement des Confessions d’Augustin, un texte qui n’est pas une chronique, mais une lecture théologique et spirituelle de l’existence. Pourtant, dans ces pages, Augustin dresse un portrait inoubliable de sa mère : non seulement une femme bonne et pieuse, mais un authentique modèle de foi chrétienne, une « mère des larmes » qui deviennent source de grâce.

Les origines à Thagaste
Monique naquit en 331 à Thagaste, ville de Numidie, Souk Ahras dans l’actuelle Algérie. C’était un centre animé, marqué par la présence romaine et une communauté chrétienne déjà bien enracinée. Elle venait d’une famille chrétienne aisée, où la foi faisait déjà partie de l’horizon culturel et spirituel.
Sa formation fut marquée par l’influence d’une nourrice austère, qui l’éduqua à la sobriété et à la tempérance. Saint Augustin écrira d’elle : « Je ne parlerai pas de ses dons, mais de tes dons à elle, qui ne s’était pas faite seule, ni éduquée seule. Tu l’as créée sans même que son père et sa mère ne sachent quelle fille ils auraient ; et la verge de ton Christ, c’est-à-dire la discipline de ton Fils unique, l’instruisit dans ta crainte, dans une maison de croyants, membre sain de ton Église » (Confessions IX, 8, 17).

Dans les Confessions, Augustin raconte aussi un épisode significatif. La jeune Monique avait pris l’habitude de boire de petites gorgées de vin de la cave, jusqu’à ce qu’une servante la réprimande en l’appelant « ivrogne ». Ce reproche lui suffit pour qu’elle se corrige définitivement. Cette anecdote, apparemment mineure, montre son honnêteté à reconnaître ses propres péchés, à se laisser corriger et à grandir en vertu.

À l’âge de 23 ans, Monique fut donnée en mariage à Patrice, un fonctionnaire municipal païen, connu pour son caractère colérique et son infidélité conjugale. La vie matrimoniale ne fut pas facile. La cohabitation avec un homme impulsif et éloigné de la foi chrétienne mit sa patience à rude épreuve.
Pourtant, Monique ne tomba jamais dans le découragement. Par son attitude faite de douceur et de respect, elle sut conquérir progressivement le cœur de son mari. Elle ne répondait pas avec dureté à ses accès de colère, n’alimentait pas de conflits inutiles. Avec le temps, sa constance porta ses fruits : Patrice se convertit et reçut le baptême peu avant de mourir.
Le témoignage de Monique montre que la sainteté ne s’exprime pas nécessairement par des gestes éclatants, mais par la fidélité quotidienne, par l’amour qui sait transformer lentement les situations difficiles. En ce sens, elle est un modèle pour tant d’épouses et de mères qui vivent des mariages marqués par des tensions ou des différences de foi.

Monique mère
De son mariage naquirent trois enfants : Augustin, Navigius et une fille dont nous ne connaissons pas le nom. Monique leur prodigua tout son amour, mais surtout sa foi. Navigius et sa sœur suivirent un chemin chrétien exemplaire : Navigius devint prêtre ; sa sœur embrassa la voie de la virginité consacrée. Augustin, en revanche, devint rapidement le centre de ses préoccupations et de ses larmes.
Dès son enfance, Augustin montrait une intelligence extraordinaire. Monique l’envoya étudier la rhétorique à Carthage, désireuse de lui assurer un avenir brillant. Mais avec les progrès intellectuels vinrent aussi les tentations : la sensualité, la mondanité, les mauvaises compagnies. Augustin embrassa la doctrine manichéenne, convaincu d’y trouver des réponses rationnelles au problème du mal. De plus, il commença à vivre en concubinage avec une femme dont il eut un fils, Adéodat. Les égarements de son fils incitèrent Monique à lui refuser l’accueil dans sa propre maison. Mais elle ne cessa pas pour autant de prier pour lui et d’offrir des sacrifices : « Le cœur saignant de ma mère t’offrait pour moi nuit et jour le sacrifice de ses larmes » (Confessions V, 7,13) et « elle versait plus de larmes que n’en versent jamais les mères à la mort physique de leurs enfants » (Confessions III, 11,19).
Pour Monique, ce fut une blessure profonde : son fils, qu’elle avait consacré au Christ dans son sein, était en train de se perdre. La douleur était indicible, mais elle ne cessa jamais d’espérer. Augustin lui-même écrira : « Le cœur de ma mère, frappé d’une telle blessure, n’aurait plus jamais guéri : car je ne saurais exprimer adéquatement ses sentiments envers moi et combien son travail pour m’enfanter dans l’esprit était plus grand que celui avec lequel elle m’avait enfanté dans la chair » (Confessions V, 9,16).

La question qui se pose spontanément est la suivante : pourquoi Monique n’a-t-elle pas fait baptiser Augustin immédiatement après sa naissance ?
En réalité, bien que le baptême des enfants fût déjà connu et pratiqué, ce n’était pas encore une pratique universelle. Beaucoup de parents préféraient le reporter à l’âge adulte, le considérant comme un « lavacrum définitif » : ils craignaient que, si le baptisé péchait gravement, son salut serait compromis. De plus, Patrice, encore païen, n’avait aucun intérêt à éduquer son fils dans la foi chrétienne.
Aujourd’hui, nous voyons clairement que ce fut un choix malheureux, car le baptême non seulement nous rend enfants de Dieu, mais nous donne la grâce de vaincre les tentations et le péché.
Une chose est cependant certaine : s’il avait été baptisé enfant, Monique se serait épargné, à elle et à son fils, beaucoup de souffrances.

L’image la plus forte de Monique est celle d’une mère qui prie et pleure. Les Confessions la décrivent comme une femme infatigable dans son intercession auprès de Dieu pour son fils.
Un jour, un évêque de Thagaste — ou, selon certains, Ambroise lui-même — la rassura avec des paroles restées célèbres : « Va, il ne peut pas se perdre, le fils de tant de larmes ». Cette phrase devint l’étoile polaire de Monique, la confirmation que sa douleur maternelle n’était pas vaine, mais faisait partie d’un mystérieux dessein de grâce.

Ténacité d’une mère
La vie de Monique fut aussi un pèlerinage dans les pas d’Augustin. Lorsque son fils décida de partir en secret pour Rome, Monique n’épargna aucun effort ; elle ne considéra pas la cause comme perdue, mais le suivit et le chercha jusqu’à ce qu’elle le trouve. Elle le rejoignit à Milan, où Augustin avait obtenu une chaire de rhétorique. Là, elle trouva un guide spirituel en saint Ambroise, évêque de la ville. Une profonde harmonie naquit entre Monique et Ambroise : elle reconnaissait en lui le pasteur capable de guider son fils, tandis qu’Ambroise admirait sa foi inébranlable.
À Milan, la prédication d’Ambroise ouvrit de nouvelles perspectives à Augustin. Il abandonna progressivement le manichéisme et commença à regarder le christianisme avec des yeux neufs. Monique accompagna silencieusement ce processus : elle ne forçait pas les choses, n’exigeait pas de conversions immédiates, mais priait, apportait son soutien et restait à ses côtés jusqu’à sa conversion.

La conversion d’Augustin
Dieu semblait ne pas l’écouter, mais Monique ne cessa jamais de prier et d’offrir des sacrifices pour son fils. Après dix-sept ans, enfin, ses supplications furent exaucées — et comment ! Augustin non seulement devint chrétien, mais il devint prêtre, évêque, docteur et père de l’Église.
Lui-même le reconnaît : « Toi, cependant, dans la profondeur de tes desseins, tu exauças le point vital de son désir, sans te soucier de l’objet momentané de sa demande, mais en veillant à faire de moi ce qu’elle te demandait toujours de faire » (Confessions V, 8,15).

Le moment décisif arriva en 386. Tourmenté intérieurement, Augustin luttait contre les passions et les résistances de sa volonté. Dans le célèbre épisode du jardin de Milan, en entendant la voix d’un enfant qui disait « Tolle, lege » (Prends, lis), il ouvrit l’Épître aux Romains et lut les paroles qui changèrent sa vie : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne suivez pas la chair dans ses désirs » (Rm 13,14).
Ce fut le début de sa conversion. Avec son fils Adéodat et quelques amis, il se retira à Cassiciacum pour se préparer au baptême. Monique était avec eux, participant à la joie de voir enfin exaucées les prières de tant d’années.
La nuit de Pâques 387, dans la cathédrale de Milan, Ambroise baptisa Augustin, Adéodat et les autres catéchumènes. Les larmes de douleur de Monique se transformèrent en larmes de joie. Elle continua à rester à son service, tant et si bien qu’à Cassiciacum, Augustin dira : « Elle prit soin de nous comme si elle avait été la mère de tous et nous servit comme si elle avait été la fille de tous. »

Ostie : l’extase et la mort
Après le baptême, Monique et Augustin se préparèrent à retourner en Afrique. S’étant arrêtés à Ostie, où ils attendaient le bateau, ils vécurent un moment d’intense spiritualité. Les Confessions racontent l’extase d’Ostie : la mère et son fils, penchés à une fenêtre, contemplèrent ensemble la beauté de la création et s’élevèrent vers Dieu, goûtant par avance la béatitude du ciel.
Monique dira : « Mon fils, quant à moi, je ne trouve plus aucun attrait pour cette vie. Je ne sais ce que je fais encore ici-bas et pourquoi je me trouve ici. Ce monde n’est plus l’objet de mes désirs. Il n’y avait qu’une seule raison pour laquelle je désirais rester encore un peu dans cette vie : te voir chrétien catholique, avant de mourir. Dieu m’a exaucée au-delà de toutes mes attentes, il m’a accordé de te voir à son service et affranchi des aspirations de bonheur terrestres. Que fais-je ici ?» (Confessions IX, 10,11). Elle avait atteint son but terrestre.
Quelques jours plus tard, Monique tomba gravement malade. Sentant la fin proche, elle dit à ses enfants : « Mes enfants, vous enterrerez votre mère ici ; ne vous souciez pas de l’endroit. Je vous demande seulement ceci : souvenez-vous de moi à l’autel du Seigneur, où que vous soyez. » C’était la synthèse de sa vie : le lieu de la sépulture ne lui importait pas, mais le lien dans la prière et l’Eucharistie.
Elle mourut à 56 ans, le 12 novembre 387, et fut enterrée à Ostie. Au VIe siècle, ses reliques furent transférées dans une crypte cachée dans l’église Sant’Aurea. En 1425, les reliques furent transférées à Rome, dans la basilique Sant’Agostino in Campo Marzio, où elles sont encore vénérées aujourd’hui.

Le profil spirituel de Monique
Augustin décrit sa mère en pesant bien ses mots :
« […] femme quant à son aspect, virile dans sa foi, âgée par sa sérénité, maternelle par son amour, chrétienne par sa piété […] ». (Confessions IX, 4, 8).
Et encore :
« […] veuve chaste et sobre, assidue à l’aumône, dévote et soumise à tes saints, ne laissant passer aucun jour sans apporter l’offrande à ton autel, visitant ton église deux fois par jour, matin et soir, sans faute, et non pour jaser vainement et bavarder comme les autres vieilles femmes, mais pour entendre tes paroles et te faire entendre ses oraisons. Les larmes d’une telle femme, qui par elles te demandait non de l’or ni de l’argent, ni des biens périssables ou volages, mais le salut de l’âme de son fils, aurais-tu pu les dédaigner, toi qui l’avais ainsi faite par ta grâce, en lui refusant ton secours ? Certainement non, Seigneur. Toi, au contraire, tu étais près d’elle et tu l’exauçais, agissant selon l’ordre par lequel tu avais prévu de devoir agir » (Confessions V, 9,17).

De ce témoignage d’Augustin émerge une figure d’une actualité surprenante.
Elle fut une femme de prière : elle ne cessa jamais d’invoquer Dieu pour le salut de ses proches. Ses larmes deviennent un modèle d’intercession persévérante.
Elle fut une épouse fidèle : dans un mariage difficile, elle ne répondit jamais avec ressentiment à la dureté de son mari. Sa patience et sa douceur furent des instruments d’évangélisation.
Elle fut une mère courageuse : elle n’abandonna pas son fils dans ses égarements, mais l’accompagna avec un amour tenace, capable de faire confiance au temps de Dieu.
Elle fut un témoin d’espérance : sa vie montre qu’aucune situation n’est désespérée, si elle est vécue dans la foi.
Le message de Monique n’appartient pas seulement au IVe siècle. Il parle encore aujourd’hui, dans un contexte où de nombreuses familles vivent des tensions, où des enfants s’éloignent de la foi, où des parents expérimentent la fatigue de l’attente.
Aux parents elle enseigne à ne pas renoncer, à croire que la grâce opère de manière mystérieuse.
Aux femmes chrétiennes, elle montre comment la douceur et la fidélité peuvent transformer des relations difficiles.
À quiconque se sent découragé dans la prière, elle témoigne que Dieu écoute, même si son temps ne coïncide pas avec le nôtre.
Ce n’est pas un hasard si de nombreuses associations et mouvements ont choisi Monique comme patronne des mères chrétiennes et des femmes qui prient pour leurs enfants éloignés de la foi.

Une femme simple et extraordinaire
La vie de sainte Monique est l’histoire d’une femme à la fois simple et extraordinaire. Simple, parce qu’elle a vécu le quotidien d’une famille ; extraordinaire, parce qu’elle était transfigurée par la foi. Ses larmes et ses prières ont façonné un saint et, à travers lui, ont profondément marqué l’histoire de l’Église.
Sa mémoire, célébrée le 27 août, à la veille de la fête de saint Augustin, nous rappelle que la sainteté passe souvent par la persévérance cachée, le sacrifice silencieux, l’espérance qui ne déçoit pas.
Dans les paroles d’Augustin, adressées à Dieu pour sa mère, nous trouvons la synthèse de son héritage spirituel : « Je ne puis dire assez combien mon âme lui est redevable, mon Dieu ; mais tu sais tout. Rends-lui par ta miséricorde ce qu’elle te demanda pour moi avec tant de larmes » (Conf., IX, 13).

À travers les événements de sa vie, sainte Monique a atteint le bonheur éternel qu’elle a elle-même défini : « Le bonheur consiste sans aucun doute à atteindre le but et à croire que nous pouvons le rejoindre par une foi ferme, une espérance vive, une charité ardente » (La Félicité 4,35).




Devenir un signe d’espérance en eSwatini – Lesotho – Afrique du Sud après 130 ans

Au cœur de l’Afrique australe, entre les beautés naturelles et les défis sociaux d’eSwatini, du Lesotho et de l’Afrique du Sud, les Salésiens célèbrent 130 ans de présence missionnaire. En ce temps de Jubilé, de Chapitre Général et d’anniversaires historiques, la Province d’Afrique du Sud partage ses signes d’espérance : la fidélité au charisme de Don Bosco, l’engagement éducatif et pastoral auprès des jeunes et la force d’une communauté internationale qui témoigne de la fraternité et de la résilience. Malgré les difficultés, l’enthousiasme des jeunes, la richesse des cultures locales et la spiritualité de l’Ubuntu continuent d’indiquer des chemins d’avenir et de communion.

Salutations fraternelles des Salésiens de la plus petite Visitatoria et de la plus ancienne présence dans la Région Afrique-Madagascar (les 5 premiers confrères ont été envoyés par Don Rua en 1896). Cette année, nous remercions les 130 SDB qui ont travaillé dans nos 3 pays et qui intercèdent maintenant pour nous au ciel. « Petit, c’est beau » !

Sur le territoire de l’AFM vivent 65 millions de personnes qui communiquent dans 12 langues officielles, parmi tant de merveilles de la nature et de grandes ressources du sous-sol. Nous sommes parmi les rares pays d’Afrique subsaharienne où les catholiques sont une petite minorité par rapport aux autres Églises chrétiennes, avec seulement 5 millions de fidèles.

Quels sont les signes d’espérance que nos jeunes et la société recherchent ?
En premier lieu, nous cherchons à dépasser les records mondiaux tristement célèbres du fossé croissant entre riches et pauvres (100 000 millionnaires contre 15 millions de jeunes chômeurs), du manque de sécurité et de la violence croissante dans la vie quotidienne, de l’effondrement du système éducatif, qui a produit une nouvelle génération de millions d’analphabètes, aux prises avec diverses dépendances (alcool, drogue…). De plus, 30 ans après la fin du régime d’apartheid en 1994, la société et l’Église sont encore divisées entre les différentes communautés en termes d’économie, d’opportunités et de nombreuses blessures non encore cicatrisées. En effet, la communauté du « Pays de l’Arc-en-ciel » est aux prises avec de nombreuses « lacunes » qui ne peuvent être « comblées » qu’avec les valeurs de l’Évangile.

Quels sont les signes d’espérance que cherche l’Église catholique en Afrique du Sud ?
En participant à la rencontre triennale « Joint Witness » des supérieurs religieux et des évêques en 2024, nous avons constaté de nombreux signes de déclin : moins de fidèles, manque de vocations sacerdotales et religieuses, vieillissement et diminution du nombre de religieux, certains diocèses en faillite, perte/diminution continue d’institutions catholiques (assistance médicale, éducation, œuvres sociales ou médias) en raison de la forte baisse des religieux et des laïcs engagés. La Conférence épiscopale catholique (SACBC – qui comprend le Botswana, l’eSwatini et l’Afrique du Sud) indique comme priorité l’assistance aux jeunes dépendants de l’alcool et d’autres substances diverses.

Quels sont les signes d’espérance que cherchent les Salésiens d’Afrique australe ?
Nous prions chaque jour pour de nouvelles vocations salésiennes, afin de pouvoir accueillir de nouveaux missionnaires. En effet, l’époque de la Province anglo-irlandaise (jusqu’en 1988) est révolue et le Projet Afrique ne comprenait pas la pointe sud du continent. Après 70 ans en eSwatini (Swaziland) et 45 ans au Lesotho, nous n’avons que 4 vocations locales de chaque Royaume. Aujourd’hui, nous n’avons que 5 jeunes confrères et 4 novices en formation initiale. Cependant, la plus petite Visitatoria d’Afrique-Madagascar, avec ses 7 communautés locales, est chargée de l’éducation et de la pastorale dans 6 grandes paroisses, 18 écoles primaires et secondaires, 3 centres de formation professionnelle (TVET) et divers programmes d’aide sociale. Notre communauté provinciale, avec ses 18 nationalités différentes parmi les 35 SDB qui vivent dans les 7 communautés, est un grand don et un défi à relever.

En tant que communauté catholique minoritaire et fragile d’Afrique australe
Nous croyons que la seule voie pour l’avenir est de construire plus de ponts et de communion entre les religieux et les diocèses. Plus nous sommes faibles, plus nous nous efforçons de travailler ensemble. Puisque toute l’Église catholique cherche à se concentrer sur les jeunes, Don Bosco a été choisi par les évêques comme Patron de la Pastorale des Jeunes et sa Neuvaine est célébrée avec ferveur dans la plupart des diocèses et des paroisses au début de l’année pastorale.

En tant que Salésiens et Famille Salésienne, nous nous encourageons constamment les uns les autres : « work in progress » (un travail constant)
Au cours des deux dernières années, après l’invitation du Recteur Majeur, nous avons cherché à relancer notre charisme salésien, avec la sagesse d’une vision et d’une direction commune (à partir de l’assemblée annuelle provinciale), avec une série de petits pas quotidiens dans la bonne direction et avec la sagesse de la conversion personnelle et communautaire.
Nous sommes reconnaissants pour l’encouragement de Don Pascual Chávez lors de notre récent Chapitre Provincial de 2024 : « Vous savez bien qu’il est plus difficile, mais non impossible, de « refonder » que de fonder [le charisme], car il y a des habitudes, des attitudes ou des comportements qui ne correspondent pas à l’esprit de notre Saint Fondateur, Don Bosco, et à son Projet de Vie, et qui ont « droit de cité » [dans la Province]. Il y a vraiment besoin d’une vraie conversion de chaque confrère à Dieu, en tenant l’Évangile comme règle suprême de vie, et de toute la Province à Don Bosco, en assumant les Constitutions comme véritable projet de vie. »

Le conseil de Don Pascual a été voté et l’engagement a été pris : « Devenir plus passionnés de Jésus et plus dédiés aux jeunes », en investissant dans la conversion personnelle (en créant un espace sacré dans notre vie, pour permettre à Jésus de la transformer), dans la conversion communautaire (en investissant dans la formation permanente systématique avec un thème mensuel) et dans la conversion provinciale (en promouvant la mentalité provinciale à travers « One Heart One Soul » – fruit de notre assemblée provinciale) et avec des rencontres mensuelles des directeurs en ligne.

Sur l’image-souvenir de notre Visitatoria « Bienheureux Michel Rua » on voit le visage de tous les 46 confrères et des 4 novices : 35 vivent dans nos 7 communautés, 7 sont en formation à l’étranger et 5 SDB sont en attente de visa : un aux Catacombes San Callisto et un missionnaire qui fait de la chimiothérapie en Pologne. Une bénédiction pour nous est le nombre croissant de confrères missionnaires qui sont envoyés par le Recteur Majeur ou pour une période spécifique par d’autres Provinces africaines pour nous aider (AFC, ACC, ANN, ATE, MDG et ZMB). Nous sommes très reconnaissants à chacun de ces jeunes confrères. Nous croyons qu’avec leur aide, notre espérance de relance charismatique devient tangible. Notre Visitatoria, la plus petite d’Afrique-Madagascar, après presque 40 ans de fondation, n’a pas encore de véritable maison provinciale. La construction a commencé, avec l’aide du Recteur Majeur, seulement l’année dernière. Ici aussi, nous disons : « travaux en cours » …

Nous voulons également partager nos humbles signes d’espérance avec toutes les 92 autres Provinces en cette période précieuse du Chapitre Général. L’AFM a une expérience unique de 31 ans de volontaires missionnaires locaux (impliqués dans la Pastorale des Jeunes du Centre des Jeunes Don Bosco de Johannesburg depuis 1994), et un programme Love Matters pour une croissance sexuelle saine des adolescents depuis 2001. Nos volontaires, engagés pendant une année entière dans la vie de notre communauté, sont des membres précieux de notre Mission et des nouveaux groupes de la Famille Salésienne qui se développent lentement (VDB, Salésiens Coopérateurs et Anciens Élèves de Don Bosco).

Notre maison-mère du Cap célébrera l’année prochaine son cent trentième (130e) anniversaire et, grâce au cent cinquantième (150e) anniversaire des Missions Salésiennes, nous avons réalisé, avec l’aide de la Province de Chine, une « Chambre à la Mémoire de Saint Louis Versiglia », où notre Protomartyr a passé une journée lors de son retour d’Italie en Chine-Macao en mai 1917.

Don Bosco « Ubuntu » – chemin synodal
« Nous sommes ici grâce à vous ! » – Ubuntu est l’une des contributions des cultures d’Afrique du Sud à la communauté mondiale. Le mot en langue Nguni signifie « Je suis parce que vous êtes » (« I’m because you are ! »). Autres traductions possibles : « J’existe parce que vous existez »). L’année dernière, nous avons entrepris le projet « Eco Ubuntu », unprojet de sensibilisation environnementale d’une durée de 3 ans qui implique environ 15 000 jeunes de nos 7 communautés en eSwatini, au Lesotho et en Afrique du Sud. Outre la splendide célébration et le partage du Synode des Jeunes 2024, nos 300 jeunes [qui ont participé] gardent surtout Ubuntu dans leurs souvenirs. Leur enthousiasme est une source d’inspiration. L’AFM a besoin de vous : Nous y sommes grâce à vous !

Marco Fulgaro




Message du père Fabio Attard pour la fête du Recteur Majeur

Chers confrères, chers collaborateurs et collaboratrices de nos Communautés Éducatives et Pastorales, chers jeunes,

            Permettez-moi de partager avec vous ce message qui vient du fond de mon cœur. Je vous le communique avec toute l’affection, la reconnaissance et l’estime que j’ai pour chacun et chacune d’entre vous qui êtes engagés dans la mission d’éducateurs, de pasteurs et d’animateurs de jeunes sur tous les continents.
            Nous sommes tous bien conscients que l’éducation des jeunes a de plus en plus besoin d’adultes porteurs de sens, de personnes qui possèdent une base morale solide, capables de leur transmettre une espérance et une vision d’avenir.
            Si nous avons tous à cœur de marcher avec les jeunes, de les accueillir chez nous, de leur offrir des possibilités d’éducation en tous domaines, dans les réalités variées que nous menons, nous sommes également conscients des défis culturels, sociaux et économiques auxquels nous sommes confrontés.
            À côté de ces défis qui font partie de tout processus éducatif et pastoral, puisqu’il s’agit toujours d’un dialogue continu avec les réalités terrestres, nous reconnaissons que, en raison des situations de guerres et de conflits armés dans diverses parties du monde, l’appel que nous vivons devient plus complexe et plus difficile. Tout cela a un effet sur l’engagement que nous prenons. Il est encourageant de voir que, malgré les défis que nous devons affronter, nous sommes déterminés à continuer à vivre notre mission avec conviction.
            Ces derniers mois, le message du Pape François et maintenant les paroles du Pape Léon XIV invitent continuellement le monde à regarder en face cette situation douloureuse qui ressemble à une spirale grandissant de manière effrayante. Nous savons que les guerres n’engendrent jamais la paix. Nous sommes conscients, et certains d’entre nous en font l’expérience sur la ligne de front,que chaque conflit armé, chaque guerre apporte son lot de souffrances, de douleurs et d’aggravation de toutes sortes de pauvreté. Nous savons tous que ceux qui paient, en fin de compte, le prix de ces situations sont les personnes déplacées, les personnes âgées, les enfants et les jeunes qui se retrouvent sans présent et sans avenir.
            C’est pourquoi, chers confrères, chers collaborateurs, chères collaboratrices et chers jeunes du monde entier, je souhaiterais vous demander que, pour la fête du Recteur Majeur, qui est une tradition remontant à l’époque de Don Bosco, chaque communauté, à une date proche de la fête du Recteur Majeur, célèbre la Sainte Eucharistie pour la paix.
            C’est une invitation à la prière qui trouve sa source dans le sacrifice du Christ, crucifié et ressuscité. Une prière comme témoignage pour que personne ne reste indifférent face à une situation mondiale secouée par un nombre croissant de conflits.
            Il s’agit d’un geste de solidarité avec tous ceux, notamment les Salésiens, les laïcs et les jeunes qui, en ce moment particulier, avec beaucoup de courage et de détermination, continuent à vivre la mission salésienne au milieu de situations marquées par les guerres. Ce sont des Salésiens, des laïcs et des jeunes qui demandent et apprécient la solidarité de toute la Congrégation, la solidarité humaine, la solidarité spirituelle, la solidarité charismatique.
            Alors que le Conseil Général et moi-même, nous faisons tout notre possible pour être très proches de tous, de manière concrète, je crois qu’en ce moment particulier, ce signe de proximité et d’encouragement doit être donné par toute la Congrégation.
            À vous, nos chers frères et sœurs du Myanmar, de l’Ukraine, du Moyen-Orient, de l’Éthiopie, de l’Est de la République Démocratique du Congo, du Nigéria, d’Haïti et d’Amérique Centrale, nous voulons vous dire haut et fort que nous sommes avec vous. Nous vous remercions pour votre témoignage. Nous vous assurons de notre proximité humaine et spirituelle.
            Continuons à prier pour le don de la paix. Continuons à prier pour nos confrères, laïcs et jeunes qui, vivant dans des situations très difficiles, ne cessent d’espérer et de prier pour que la paix s’instaure enfin. Leur exemple, le don d’eux-mêmes et leur appartenance au charisme de Don Bosco, sont un témoignage fort pour nous. Avec tant de personnes consacrées, prêtres et laïcs engagés, ils sont les martyrs des temps modernes, c’est-à-dire les témoins de l’éducation et de l’évangélisation qui, malgré tout, en tant que véritables pasteurs et ministres de la charité évangélique, continuent d’aimer, de croire et d’espérer un avenir meilleur.
            Nous tous, cet appel à la solidarité, nous l’accueillons de tout notre cœur. Merci.

Prot. 25/0243 Rome, le 24 juin 2025
don Fabio ATTARD,
Recteur Majeur

Foto: shutterstock.com




Le Vénérable père Carlo Crespi, « témoin et pèlerin d’espérance »

Le père Carlo Crespi, missionnaire salésien en Équateur, a vécu sa vie en se consacrant à la foi et à l’espérance. Ces dernières années, dans le sanctuaire de Marie Auxiliatrice, il a réconforté les fidèles, insufflant de l’optimisme même dans les moments de crise. Sa pratique exemplaire des vertus théologales, mise en évidence par le témoignage de ceux qui l’ont connu, s’est également exprimée dans son engagement pour l’éducation : en fondant des écoles et des instituts, il a offert aux jeunes de nouvelles perspectives. Son exemple de résilience et de dévouement continue d’éclairer le chemin spirituel et humain de la communauté. Son héritage perdure et inspire des générations de croyants.

            Au cours des dernières années de sa vie, le père Carlo Crespi (Legnano, 29 mai 1891 – Cuenca, 30 avril 1982), missionnaire salésien en Équateur, avait progressivement relégué au second plan les aspirations universitaires de sa jeunesse. Il va à l’essentiel et sa croissance spirituelle apparaît irrésistible. On le voit dans le sanctuaire de Marie Auxiliatrice, diffusant la dévotion à la Vierge, confessant et conseillant des files interminables de fidèles. Pour lui les horaires, les repas et même le sommeil ne comptent plus. Comme il l’a fait de manière exemplaire toute sa vie, il garde les yeux fixés sur les biens éternels, qui apparaissent maintenant plus proches que jamais.
            Il avait cette espérance eschatologique liée aux attentes de l’homme dans la vie et au-delà de la mort, et qui influençait de manière significative sa vision du monde et son comportement quotidien. Selon saint Paul, l’espérance est un ingrédient indispensable pour une vie qui se donne, qui grandit en collaborant avec les autres et en développant sa propre liberté. L’avenir devient ainsi une tâche collective qui nous fait grandir en tant que personnes. Sa présence nous invite à regarder l’avenir avec un sentiment de confiance, d’initiative et de connexion avec les autres.
            Telle était l’espérance du Vénérable père Crespi ! Une grande vertu qui, comme les bras d’un joug, soutient la foi et la charité ; comme le bras transversal de la croix est le trône du salut, est le support du serpent salutaire élevé par Moïse dans le désert ; pont de l’âme pour prendre le vol dans la lumière.
            Le niveau exceptionnel atteint par le père Crespi dans la pratique de toutes les vertus a été souligné, de manière concordante, par les témoins entendus au cours de l’Enquête diocésaine de sa Cause de béatification, mais il ressort également de l’analyse attentive des documents et des événements biographiques du père Carlo Crespi. Sa façon d’exercer les vertus chrétiennes a été, de l’avis de ceux qui l’ont connu, non seulement hors du commun, mais aussi sans faille tout au long de sa longue vie. Les gens le suivaient fidèlement parce que dans son quotidien transparaissait, presque naturellement, l’exercice des vertus théologales, parmi lesquelles l’espérance jouait un rôle de premier plan dans les nombreux moments de difficulté. Il a semé l’espérance dans le cœur des gens et a vécu cette vertu au plus haut degré.
            Lorsque l’école « Cornelio Merchan » fut détruite par un incendie, il pleura lui aussi devant les ruines fumantes, mais au peuple accouru en larmes il manifesta une espérance constante et hors du commun en encourageant tout le monde : « Pachilla n’existe plus, mais nous en construirons une meilleure et les enfants seront plus heureux et plus contents ». De ses lèvres n’est jamais sorti un mot d’amertume ou de douleur pour la perte subie.
            À l’école de Don Bosco et de Maman Marguerite, il a vécu et témoigné de l’espérance en plénitude. Confiant dans le Seigneur et espérant dans la Divine Providence, il a réalisé de grandes œuvres et de grands services sans budget, même s’il n’a jamais manqué d’argent. Il n’avait pas le temps de s’agiter ou de désespérer, son attitude positive donnait confiance et espérance aux autres.
            Don Carlo a souvent été décrit comme un homme au cœur plein d’optimisme et d’espérance face aux grandes souffrances de la vie, parce qu’il était enclin à relativiser les événements humains, même les plus difficiles. Au milieu de son peuple, il était témoin et pèlerin d’espérance sur le chemin de la vie !
            Pour comprendre de quelle manière et dans quels domaines de la vie du Vénérable la vertu de l’espérance a trouvé une expression concrète, il faut lire le récit édifiant fait par le père Carlo Crespi lui-même dans une lettre, envoyée de Cuenca en 1925, au Recteur Majeur Don Filippo Rinaldi. En réponse à une demande insistante, il relate un épisode qu’il avait vécu personnellement. En consolant une femme kivara pour la perte prématurée de son fils, il lui annonce la bonne nouvelle de la vie sans fin : « Ému jusqu’aux larmes, je me suis approché de la vénérable fille de la forêt aux cheveux défaits volant au vent. Je l’ai assurée que son fils avait eu une bonne mort, qu’avant de mourir, il n’avait eu sur les lèvres que le nom de sa mère lointaine, qu’il avait eu une sépulture dans un cercueil spécial, et que son âme avait certainement été recueillie par le grand Dieu au Paradis […]. J’ai donc pu échanger tranquillement quelques mots avec elle, et jeter dans ce cœur brisé le doux baume de la Foi et de l’Espérance chrétiennes ».
            La pratique de la vertu d’espérance a grandi en lui en même temps que les autres vertus chrétiennes qu’elle stimulait. Il a été un homme riche de foi, d’espérance et de charité.
            Lorsque la situation socio-économique de Cuenca au XXe siècle s’est considérablement détériorée, avec d’importantes répercussions sur la vie de la population, il a eu l’intuition qu’en formant les jeunes d’un point de vue humain, culturel et spirituel, il sèmerait en eux l’espérance en une vie et un avenir meilleurs, contribuant à changer le sort de toute la société.
            Le père Crespi a donc pris de nombreuses initiatives en faveur de la jeunesse de Cuenca, en commençant tout d’abord par l’éducation scolaire. L’École Populaire Salésienne « Cornelio Merchán », le Collège Normal Orientaliste destiné aux enseignants salésiens, la fondation des écoles d’arts et métiers devenues par la suite le « Técnico Salesiano » et l’Institut Technologique Supérieur, et pour finir l’Université Polytechnique Salésienne, toutes ces fondations confirment le désir du Serviteur de Dieu d’offrir à la population de Cuenca des perspectives meilleures et plus nombreuses en vue d’une croissance spirituelle, humaine et professionnelle. Les jeunes et les pauvres, considérés avant tout comme des enfants de Dieu destinés à la béatitude éternelle, ont donc été rejoints par le père Crespi à travers une promotion humaine et sociale capable de confluer dans une dynamique plus large, celle du salut.
            Tout cela a été réalisé par lui avec peu de moyens économiques, mais une intarissable espérance dans l’avenir des jeunes. Il a travaillé activement sans perdre de vue le but ultime de sa mission : la vie éternelle. C’est précisément dans ce sens que le père Carlo Crespi a compris la vertu théologale de l’espérance et c’est à travers cette perspective qu’il fit passer tout son sacerdoce.
            La réaffirmation de la vie éternelle a sans aucun doute été l’un des thèmes centraux abordés dans les écrits du père Carlo Crespi. Cette donnée nous permet de saisir l’évidente importance qu’il accordait à la vertu de l’espérance. Cette donnée montre clairement comment la pratique de cette vertu a constamment imprégné le parcours terrestre du Serviteur de Dieu.
            Même la maladie n’a pu éteindre l’inépuisable espérance qui a toujours animé le père Crespi.
            Peu avant de clore son existence terrestre, Don Carlo a demandé qu’on lui mette un crucifix dans les mains. Sa mort est survenue le 30 avril 1982 à 17h30 à la Clinique Santa Inés de Cuenca à la suite d’une bronchopneumonie et d’une crise cardiaque.
            Le médecin personnel du Vénérable Serviteur de Dieu pendant 25 ans et jusqu’à la mort, a été le témoin direct de la sérénité et de la conscience avec lesquelles le père Crespi a vécu la rencontre tant attendue avec Jésus après avoir vécu toute sa vie le regard tourné vers le ciel.
            Dans le procès de canonisation on lit son témoignage : « Pour moi, un signe spécial est précisément sa façon très humaine et très simple de communiquer avec nous, en riant et en plaisantant. Mais quand il a vu que les portes de l’éternité étaient ouvertes et que peut-être la Vierge l’attendait, il nous a fait taire et il nous a fait tous prier ».

Carlo Riganti
Président de l’Association Carlo Crespi




Avec Nino Baglieri, pèlerin de l’Espérance, sur le chemin du Jubilé

Le parcours du Jubilé 2025, dédié à l’Espérance, trouve un témoin lumineux dans l’histoire du Serviteur de Dieu Nino Baglieri. De la chute dramatique qui le rendit tétraplégique à dix-sept ans jusqu’à sa renaissance intérieure en 1978, Baglieri est passé de l’ombre du désespoir à la lumière d’une foi active, transformant son lit de douleur en chaire de joie. Son histoire tisse les cinq signes jubilaires – pèlerinage, porte, profession de foi, charité et réconciliation – montrant que l’espérance chrétienne n’est pas une fuite, mais une force qui ouvre l’avenir et soutient chaque chemin.

1. L’espérance comme attente
            L’espérance, selon le dictionnaire en ligne Treccani, est un sentiment d’« attente confiante dans la réalisation, présente ou future, de ce que l’on désire ». L’étymologie du substantif « espérance » vient du latin spes, lui-même dérivé de la racine sanskrite spa– qui signifie tendre vers un but. En espagnol, « espérer » et « attendre » se traduisent par le verbe esperar, qui rassemble en un seul terme les deux significations, comme si on ne pouvait attendre que ce que l’on espère. Cet état d’esprit nous permet d’affronter la vie et ses défis avec courage et une lumière toujours ardente dans le cœur. L’espérance s’exprime – en positif ou en négatif – aussi dans certains proverbes populaires : « L’espérance est la dernière à mourir », « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », « Qui vit d’espérance meurt désespéré ».
            Comme s’il avait voulu recueillir ce sentiment universel concernant l’espérance, mais conscient de devoir aider à redécouvrir l’espérance dans sa dimension la plus pleine et vraie, le pape François a voulu consacrer le Jubilé ordinaire de 2025 à l’Espérance. Spes non confundit (L’espérance ne déçoit pas) est la bulle d’indiction de ce Jubilé. Mais déjà en 2014 il disait : « La résurrection de Jésus n’est pas la fin heureuse d’un beau conte, ce n’est pas le happy end d’un film ; mais c’est l’intervention de Dieu le Père là où l’espérance humaine s’effondre. Quand tout semble perdu, dans la douleur, où tant de personnes ressentent le besoin de descendre de la croix, c’est le moment le plus proche de la résurrection. La nuit devient plus sombre juste avant que le matin commence, avant que la lumière commence. Au moment le plus sombre, Dieu intervient et ressuscite » (cf. Audience du 16 avril 2014).
            C’est dans ce contexte que s’insère parfaitement l’histoire du Serviteur de Dieu Nino Baglieri (Modica, 1er mai 1951 – 2 mars 2007). Jeune maçon de dix-sept ans, tombé d’un échafaudage haut de dix-sept mètres à cause de la rupture soudaine d’une planche, il s’écrasa au sol et devint tétraplégique. Depuis cette chute, le 6 mai 1968, il ne pouvait bouger que la tête et le cou, dépendant à vie des autres pour tout, même pour les choses les plus simples et humbles. Nino ne pouvait même pas serrer la main d’un ami ou caresser sa mère… et voyait s’évanouir la possibilité de réaliser ses rêves. Quelle espérance de vie a maintenant ce jeune ? Dans quels sentiments peut-il affronter la situation ? Quel avenir l’attend ? La première réponse de Nino fut le désespoir, l’obscurité totale face à une quête de sens sans réponse. D’abord un long pèlerinage dans des hôpitaux de différentes régions italiennes, puis la compassion des amis et connaissances qui le conduisent à se rebeller et à s’enfermer dans dix longues années de solitude et de colère, tandis que le tunnel de la vie devient de plus en plus profond.
            Dans la mythologie grecque, Zeus confie à Pandore un vase contenant tous les maux du monde. Une fois ouvert, les hommes perdent l’immortalité et commencent une vie de souffrance. Pour les sauver, Pandore ouvre de nouveau le vase et libère elpis, l’espérance, restée au fond : c’était le seul antidote aux afflictions de la vie. En regardant plutôt vers le Donateur de tout bien, nous savons que « l’espérance ne déçoit pas » (Rm 5,5). Le pape François écrit dans Spes non confundit : « Sous le signe de cette espérance, l’apôtre Paul insuffle courage à la communauté chrétienne de Rome […]. Tous espèrent. Dans le cœur de chaque personne est enfermée l’espérance comme désir et attente du bien, sans savoir ce que demain apportera. L’imprévisibilité du futur suscite cependant des sentiments parfois opposés qui vont de la confiance à la crainte, de la sérénité au découragement, de la certitude au doute. Nous rencontrons souvent des personnes découragées, qui regardent l’avenir avec scepticisme et pessimisme, comme si rien ne pouvait leur offrir le bonheur. Que le Jubilé soit pour tous une occasion de raviver l’espérance » (ibid., 1).

2. Le Témoin du « désespoir » devient « ambassadeur » de l’espérance
            Revenons à l’histoire de notre Serviteur de Dieu, Nino Baglieri.
            Il faut dix longues années avant que Nino ne sorte du tunnel du désespoir, que les ténèbres épaisses se dissipent et que la Lumière entre. C’était l’après-midi du 24 mars, Vendredi saint 1978, lorsque le père Aldo Modica, avec un groupe de jeunes, se rendit chez Nino, sollicité par sa mère Peppina et par quelques personnes fréquentant le chemin du Renouveau dans l’Esprit, alors à ses débuts dans la paroisse salésienne voisine. Nino écrit : « Pendant qu’ils invoquaient l’Esprit Saint, j’ai ressenti une sensation étrange, une grande chaleur envahissait mon corps, un fort picotement dans toutes mes membres, comme si une nouvelle force entrait en moi et que quelque chose de vieux en sortait. À ce moment-là, j’ai dit mon “oui” au Seigneur, j’ai accepté ma croix et je suis né à une vie nouvelle, je suis devenu un homme nouveau. Dix ans de désespoir effacés en quelques instants, car une joie inconnue est entrée dans mon cœur. Je désirais la guérison de mon corps, mais le Seigneur me gratifiait d’une joie encore plus grande : la guérison spirituelle ».
            Commence alors pour Nino un nouveau chemin : de « témoin du désespoir » il devient « pèlerin de l’espérance ». Non plus isolé dans sa petite chambre, mais « ambassadeur » de cette espérance, il raconte son vécu à travers une émission diffusée par une radio locale et – grâce encore plus grande – le bon Dieu lui donne la joie de pouvoir écrire avec la bouche. Nino raconte : « En mars 1979, le Seigneur m’a fait un grand miracle : j’ai appris à écrire avec la bouche. Voici comment j’ai commencé. J’étais avec mes amis qui faisaient leurs devoirs, j’ai demandé qu’on me donne un crayon et un cahier, j’ai commencé à faire des signes et à dessiner quelque chose, puis j’ai découvert que je pouvais écrire et j’ai commencé à écrire ». Il commence alors à rédiger ses mémoires et à avoir des contacts par lettre avec des personnes de toutes catégories et de différentes parties du monde, des milliers de lettres encore conservées aujourd’hui. L’espérance retrouvée le rend créatif. Nino redécouvre le goût des relations et veut devenir – autant que possible – indépendant : avec l’aide d’une baguette qu’il utilise avec la bouche, et d’un élastique fixé au téléphone, il compose les numéros pour communiquer avec beaucoup de personnes malades, pour leur adresser un mot de réconfort. Il découvre une nouvelle manière d’affronter sa condition de souffrance, qui le fait sortir de l’isolement et le conduit à devenir témoin de l’Évangile de la joie et de l’espérance : « Maintenant, il y a beaucoup de joie dans mon cœur, en moi il n’y a plus de douleur, dans mon cœur il y a Ton amour. Merci Jésus mon Seigneur. De mon lit de douleur je veux te louer et de tout mon cœur te remercier parce que tu m’as appelé à connaître la vie, à connaître la vraie vie ».
            Nino a changé de perspective, il a opéré un virage à 360° – le Seigneur lui a offert la conversion – il a placé sa confiance en ce Dieu miséricordieux qui, à travers la « malchance », l’a appelé à travailler dans sa vigne, pour être signe et instrument de salut et d’espérance. Ainsi, beaucoup de personnes qui venaient le voir pour le consoler en ressortaient consolées, les larmes aux yeux. Elles ne trouvaient pas sur ce petit lit un homme triste et abattu, mais un visage souriant qui dégageait – malgré tant de souffrances, dont les plaies et les problèmes respiratoires – la joie de vivre : le sourire était une constante sur son visage et Nino se sentait « utile dans un lit de croix ». Nino Baglieri est l’opposé de beaucoup de personnes d’aujourd’hui, toujours à la recherche du sens de la vie, qui visent le succès facile et le bonheur des choses éphémères et sans valeur, vivent en ligne, consomment la vie en un clic, veulent tout et tout de suite mais ont les yeux tristes, éteints. Nino, en apparence, n’avait rien, pourtant il avait la paix et la joie dans le cœur. Il n’a pas vécu isolé, mais soutenu par l’amour de Dieu exprimé par l’étreinte et la présence de toute sa famille et de plus en plus de personnes qui le connaissent et entrent en relation avec lui.

3. Raviver l’espérance
            Construire l’espérance, c’est chaque fois que je ne me contente pas de ma vie et que je m’engage à la changer. Chaque fois que je ne me laisse pas endurcir par les expériences négatives et que j’empêche qu’elles me rendent méfiant. Chaque fois que je tombe et que j’essaie de me relever, que je ne permets pas aux peurs d’avoir le dernier mot. Chaque fois que, dans un monde marqué par les conflits, je choisis la confiance avec le désir de la relancer toujours, avec tous. Chaque fois que je ne fuis pas le rêve de Dieu qui me dit : « je veux que tu sois heureux », « je veux que tu aies une vie pleine… pleine aussi de sainteté ». Le sommet de la vertu de l’espérance est en effet un regard vers le Ciel pour bien habiter la terre ou, comme dirait Don Bosco, marcher avec les pieds sur la terre et le cœur au Ciel.
            Dans ce sillon d’espérance s’accomplit le jubilé qui, avec ses signes, nous demande de nous mettre en route, de franchir certaines frontières.
            Premier signe : le pèlerinage. Quand on se déplace d’un lieu à un autre, on est ouvert à la nouveauté, au changement. Toute la vie de Jésus a été « une mise en route », un chemin d’évangélisation qui s’accomplit dans le don de la vie puis au-delà, dans la Résurrection et l’Ascension.
            Deuxième signe : la porte. En Jn 10,9 Jésus affirme : « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira et trouvera un pâturage ». Passer la porte, c’est se laisser accueillir, être communauté. Dans l’évangile, on parle aussi de la « porte étroite » : le Jubilé devient un chemin de conversion.
            Troisième signe : la profession de foi. Il s’agit d’exprimer l’appartenance au Christ et à l’Église en le déclarant publiquement.
            Quatrième signe : la charité. La charité est le mot de passe pour le ciel. En 1 P 4,8 nous lisons cette exhortation de l’apôtre Pierre : « Gardez entre vous une grande charité, car la charité couvre une multitude de péchés ».
            Cinquième signe :la réconciliation et l’indulgence jubilaire. Le jubilé est un « temps favorable » (cf. 2Co 6,2) qui nous permet d’expérimenter la grande miséricorde de Dieu et de parcourir des chemins de rapprochement et de pardon envers nos frères ; de vivre la prière du Notre Père où l’on demande : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». C’est devenir des créatures nouvelles.
            Dans la vie de Nino, il y a aussi des épisodes qui le rattachent – grâce au « fil » de l’espérance – à ces dimensions jubilaires. Par exemple, le repentir pour quelques bêtises de son enfance. Il raconte qu’à trois, « nous volions dans la sacristie les offrandes des messes, qui nous servaient à jouer au baby-foot. Quand on rencontre de mauvaises compagnies, elles te mènent sur de mauvais chemins. De plus, l’un de nous a pris le trousseau de clés de l’Oratoire et l’a caché dans mon sac d’école qui était dans le bureau ; ils ont trouvé les clés, ont appelé les parents, nous ont donné deux gifles et nous ont exclus de l’école. Quelle honte ! ». Mais surtout dans la vie de Nino, il y a la charité : aider le frère pauvre, celui qui est dans l’épreuve physique et morale, se rendre proche de ceux qui ont aussi des difficultés psychologiques et atteindre par écrit nos frères en prison pour leur témoigner la bonté et l’amour de Dieu. Nino, qui avant la chute avait été maçon, a dit : « J’aimais construire de mes mains quelque chose qui reste dans le temps. Même maintenant, écrit-il, je me sens un maçon qui travaille dans le Royaume de Dieu, pour laisser quelque chose qui dure dans le temps, pour voir les Œuvres Merveilleuses que Dieu accomplit dans notre Vie ». Il ajoute cette confidence : « Mon corps semble mort, mais dans ma poitrine mon cœur continue de battre. Mes jambes ne bougent pas, et pourtant, à travers le monde, je marche ».

4. Pèlerin en marche vers le ciel
            Nino, devenu coopérateur salésien de la grande Famille Salésienne, conclut son « pèlerinage » terrestre le vendredi 2 mars 2007 à 8h00 du matin, à seulement 55 ans, dont 39 passés comme tétraplégique entre le lit et le fauteuil roulant, après avoir demandé pardon à sa famille pour les difficultés qu’elle a dû affronter à cause de sa condition. Il quitte la scène du monde en survêtement et baskets, comme il l’avait expressément demandé, pour courir dans les prairies vertes fleuries et sautiller comme une biche le long des cours d’eau. Nous lisons dans son Testament spirituel : « Je ne finirai jamais de te remercier, ô Seigneur, de m’avoir appelé à Toi à travers la Croix le 6 mai 1968. Une croix lourde pour mes jeunes forces… ». Le 2 mars, la vie – don continu qui part des parents et est peu à peu nourri avec émerveillement et beauté – offre à Nino Baglieri son plus beau cadeau : l’étreinte de son Seigneur et Dieu, accompagné de la Vierge Marie.
            À l’annonce de son départ, un chœur unanime s’élève de tous côtés : « un saint est mort », un homme qui a fait de son lit de croix l’étendard de la vie pleine, un don pour tous. Donc un grand témoin de l’espérance.
            Cinq ans après sa mort, comme prévu par les Normae Servandae in Inquisitionibus ab Episcopis faciendis in Causis Sanctorum de 1983, l’évêque du diocèse de Noto, à la demande du Postulateur général de la Congrégation Salésienne, après avoir consulté la Conférence épiscopale sicilienne et obtenu le Nihil obstat du Saint-Siège, ouvre l’enquête diocésaine pour la cause de béatification et canonisation du Serviteur de Dieu Nino Baglieri.
            Le procès diocésain, qui a duré 12 ans, s’est déroulé selon deux axes principaux : le travail de la Commission historique qui a recherché, collecté, étudié et présenté de nombreuses sources, surtout des écrits « du » et « sur » le Serviteur de Dieu ; le Tribunal ecclésiastique, responsable de l’enquête, qui a également entendu sous serment les divers témoins.
            Ce parcours s’est achevé le 5 mai 2024 en présence de Mgr Salvatore Rumeo, évêque actuel du diocèse de Noto. Quelques jours plus tard, les actes du procès ont été remis au Dicastère pour les Causes des Saints qui les a ouverts le 21 juin 2024. Début 2025, ce même Dicastère a décrété leur « validité juridique », permettant à la phase romaine de la Cause d’entrer dans le vif du sujet.
            Actuellement, la contribution à la Cause continue en faisant connaître la figure de Nino. Celui-ci a laissé à la fin de son chemin terrestre la recommandation suivante : « Ne me laissez pas sans rien faire. Je continuerai ma mission depuis le ciel. Je vous écrirai du Paradis ».
            Le chemin de l’espérance en sa compagnie devient ainsi désir du Ciel, quand « nous nous rencontrerons face à face avec la beauté infinie de Dieu (cf. 1Co 13,12) et pourrons lire avec une joyeuse admiration le mystère de l’univers, qui participera avec nous à la plénitude sans fin […]. En attendant, nous nous unissons pour prendre soin de cette maison qui nous a été confiée, sachant que ce qu’il y a de bon en elle sera accueilli dans la fête du ciel. Avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu […]. Marchons en chantant ! » (cf. Laudato Si’, 243-244).

Roberto Chiaramonte




Don Bosco, promoteur de la « miséricorde divine »

Tout jeune prêtre, Don Bosco a publié un volume, en petit format, intitulé « Exercice de dévotion à la miséricorde de Dieu ».

Tout commença avec la Marquise de Barolo
            La marquise Giulia Colbert di Barolo (1785-1864), déclarée vénérable par le pape François le 12 mai 2015, cultivait personnellement une dévotion particulière pour la miséricorde divine, si bien qu’elle fit introduire la coutume d’une semaine de méditations et de prières sur le sujet dans les communautés religieuses et éducatives qu’elle avait fondées près du Valdocco. Mais elle n’était pas satisfaite. Elle voulait que cette pratique se répandît ailleurs, surtout dans les paroisses, parmi le peuple. Elle demanda le consentement du Saint-Siège, qui non seulement l’accorda, mais accorda également diverses indulgences à cette pratique dévotionnelle. Il s’agissait alors de faire une publication adaptée.
            Nous sommes à l’été 1846, lorsque Don Bosco, après avoir surmonté la grave crise d’épuisement qui l’avait conduit au bord de la tombe, s’était retiré chez Maman Marguerite aux Becchi pour se reposer et avait alors « démissionné » de son service très apprécié d’aumônier d’une des œuvres de Barolo, au grand dam de la Marquise elle-même. Mais « ses jeunes » l’appelaient à la maison Pinardi nouvellement louée.
            C’est alors qu’intervint le célèbre patriote Silvio Pellico, secrétaire-bibliothécaire de la marquise, admirateur et ami de Don Bosco, qui avait mis en musique certains de ses poèmes. Les mémoires salésiennes racontent que Pellico, avec une certaine audace, proposa à la marquise de confier à Don Bosco la publication qui l’intéressait. Que fit la marquise ? Elle accepta, mais sans grand enthousiasme. Qui sait ? Peut-être voulait-elle le mettre à l’épreuve. Et Don Bosco, lui aussi, a accepté.

Un thème qui lui tient à cœur
            Le thème de la miséricorde de Dieu faisait partie de ses intérêts spirituels, ceux auxquels il avait été formé au séminaire de Chieri et surtout au Convitto de Turin. Deux ans auparavant, il avait terminé de suivre les cours de son compatriote Saint Joseph Cafasso, de quatre ans son aîné, mais son directeur spirituel, dont il suivait les sermons lors des exercices spirituels pour les prêtres, mais aussi le formateur d’une demi-douzaine d’autres fondateurs, certains même des saints. Ainsi, Cafasso, bien qu’issu de la culture religieuse de son temps – faite de prescriptions et de la logique du « faire le bien pour échapper au châtiment divin et mériter le Paradis » – ne manquait pas une occasion, tant dans son enseignement que dans sa prédication, de parler de la miséricorde de Dieu. Et comment ne pas le faire alors qu’il se consacrait constamment au sacrement de la pénitence et à l’assistance aux condamnés à mort ? D’autant plus que cette dévotion indulgente constituait à l’époque une réaction pastorale contre le rigorisme du jansénisme qui prônait la prédestination des sauvés.
            Don Bosco, dès son retour de la campagne au début du mois de novembre, se mit donc au travail, suivant les pratiques pieuses approuvées par Rome et répandues dans tout le Piémont. A l’aide de quelques textes qu’il put trouver facilement dans la bibliothèque du Convitto qu’il connaissait bien, il publia à la fin de l’année, à ses frais, un petit livret de 111 pages, de format réduit, intitulé « Exercice de dévotion à la Miséricorde de Dieu« . Il le donna immédiatement aux jeunes filles, aux femmes et aux religieuses des fondations de Barolo. Ce n’est attesté par aucun document, mais la logique et la gratitude voudraient qu’il en ait également fait don à la Marquise Barolo, promotrice du projet : mais la même logique et la même gratitude voudraient que la Marquise se soit laissée aller à la générosité, en lui envoyant, peut-être anonymement comme en d’autres occasions, une contribution personnelle aux frais.
            Nous n’avons pas la place de présenter ici le contenu « classique » du livret de méditations et de prières de Don Bosco ; nous voudrions seulement rappeler que son principe de base est le suivant : « chacun doit invoquer la Miséricorde de Dieu pour lui-même et pour tous les hommes, parce que « nous sommes tous pécheurs » […] tous ayant besoin de pardon et de grâce […] tous appelés au salut éternel ».
            Il est donc significatif qu’à la fin de chaque jour de la semaine, Don Bosco, dans la logique du titre « exercices de dévotion », assignât une pratique de piété : inviter les autres à intervenir, pardonner à ceux qui nous ont offensés, faire une mortification immédiate pour obtenir la miséricorde de Dieu pour tous les pécheurs, faire quelques aumônes ou les remplacer par la récitation de prières ou d’oraisons jaculatoires, etc. Le dernier jour, la pratique est remplacée par une belle invitation, peut-être même allusive à la Marquise de Barolo, à réciter « au moins un Ave Maria pour la personne qui a promu cette dévotion ».

Une pratique éducative
            Mais au-delà des écrits à finalité édifiante et formatrice, on peut se demander comment Don Bosco a concrètement éduqué ses jeunes à la confiance en la miséricorde divine. La réponse n’est pas difficile et peut être documentée de multiples façons. Nous nous limiterons à trois expériences vitales vécues au Valdocco : les sacrements de la confession et de la communion et sa figure de « père plein de bonté et d’amour ».

La confession
            Don Bosco a initié des centaines de jeunes du Valdocco à la vie chrétienne adulte. Mais par quels moyens ? Deux en particulier : la confession et la communion.
            Don Bosco, comme nous le savons, est l’un des grands apôtres de la confession, avant tout parce qu’il a exercé pleinement ce ministère, tout comme d’ailleurs son maître et directeur spirituel Cafasso déjà cité, et la figure très admirée de son presque contemporain, le saint curé d’Ars (1876-1859). Si la vie de ce dernier, comme on l’a écrit, « s’est déroulée dans le confessionnal » et si le premier a pu offrir de nombreuses heures de la journée (« le temps nécessaire ») pour écouter se confesser « des évêques, des prêtres, des religieux, des laïcs éminents et des gens simples qui affluaient vers lui », celle de Don Bosco n’a pas pu en faire autant à cause des nombreuses occupations dans lesquelles il était plongé. Néanmoins, il se rendait disponible au confessionnal pour les jeunes (et les salésiens) chaque jour où des services religieux étaient célébrés au Valdocco ou dans les maisons salésiennes, ou lors d’occasions spéciales.
            Il avait commencé à le faire dès la fin de son « apprentissage sacerdotal » au Convitto (1841-1844), lorsque le dimanche il réunissait les jeunes dans l’oratoire itinérant de deux ans, lorsqu’il allait se confesser au sanctuaire de la Consolata ou dans les paroisses piémontaises où il était invité, lorsqu’il profitait des voyages en calèche ou en train pour entendre les confessions des cochers ou des passagers. Il ne cessa de le faire jusqu’à la fin, lorsqu’on lui demanda de ne pas s’épuiser en confessions, il répondit que c’était désormais la seule chose qu’il pouvait faire pour ses jeunes. Et quelle ne fut pas sa douleur lorsque, pour des raisons bureaucratiques et des malentendus, son permis de confesser ne fut pas renouvelé par l’archevêque ! Les témoignages sur Don Bosco en tant que confesseur sont innombrables et, de fait, la célèbre photographie le représentant en train de confesser un jeune garçon entouré de tant d’autres en attente de le faire, a dû plaire au saint lui-même, qui en a peut-être eu l’idée, et qui reste une icône significative et indélébile de sa figure dans l’imaginaire collectif.
            Mais au-delà de son expérience de confesseur, Don Bosco fut un infatigable promoteur du sacrement de la Réconciliation, il en divulgua la nécessité, l’importance, l’utilité de sa fréquence, il signala les dangers d’une célébration dépourvue des conditions nécessaires, il illustra les modalités classiques d’une approche fructueuse. Il le fit par des conférences, des bonsoirs, des devises spirituelles et des petits mots à l’oreille, des lettres circulaires aux jeunes des collèges, des lettres personnelles, et le récit de nombreux rêves qui avaient pour objet la confession, bien ou mal faite. Conformément à sa pratique catéchétique intelligente, il leur racontait des épisodes de conversions de grands pécheurs, ainsi que ses expériences personnelles en la matière.
            Don Bosco, profond connaisseur de l’âme juvénile, pour inciter tous les jeunes à un repentir sincère, utilisait l’amour et la gratitude envers Dieu, présenté dans son infinie bonté, générosité et miséricorde. Au contraire, pour secouer les cœurs les plus froids et les plus endurcis, il décrit les châtiments possibles du péché et impressionne salutairement leur esprit avec des descriptions vivantes du jugement divin et de l’enfer. Même dans ces cas, cependant, non content de conduire les garçons à la douleur pour leurs péchés, il essaie de les amener à la nécessité de la miséricorde divine, une disposition importante pour anticiper leur pardon même avant la confession sacramentelle. Don Bosco, comme d’habitude, n’entre pas dans des disputes doctrinales, il est seulement intéressé par une confession sincère, qui guérit thérapeutiquement la blessure du passé, recompose le tissu spirituel du présent pour un avenir de « vie de grâce ».
            Don Bosco croit au péché, il croit au péché grave, il croit à l’enfer et il parle de leur existence à ses lecteurs et à ses auditeurs. Mais il est aussi convaincu que Dieu est miséricorde en personne, c’est pourquoi il a donné à l’homme le sacrement de la réconciliation. Il insiste donc sur les conditions pour bien le recevoir et surtout sur le confesseur comme « père » et « médecin » et non pas comme « médecin et juge » : « Le confesseur sait combien plus grande que vos fautes est la miséricorde de Dieu qui vous accorde le pardon par son intervention » (Esquisse biographique du jeune Michel Magone, pp. 24-25).
            Selon les mémoires salésiennes, il suggérait souvent à ses jeunes d’invoquer la miséricorde divine, de ne pas se décourager après un péché, mais de revenir se confesser sans crainte, en faisant confiance à la bonté du Seigneur et en prenant ensuite de fermes résolutions pour le bien.
            En tant qu' »éducateur dans le domaine de la jeunesse », Don Bosco ressent la nécessité d’insister moins sur l’ex opere operato que sur l’ex opere operantis, c’est-à-dire sur les dispositions du pénitent. Au Valdocco, tous se sont sentis invités à faire une bonne confession, tous ont senti le risque des mauvaises confessions et l’importance de faire une bonne confession ; beaucoup se sont alors sentis vivre dans une terre bénie par le Seigneur. Ce n’est pas pour rien que la miséricorde divine a fait qu’un jeune homme décédé s’est réveillé après l’exposition des rideaux funéraires pour pouvoir confesser (à Don Bosco) ses péchés.
            En définitive, le sacrement de la confession, bien expliqué dans ses spécificités et fréquemment célébré, fut peut-être le moyen le plus̀ efficace par lequel le saint piémontais a amené ses jeunes à se confier à l’immense miséricorde de Dieu.

La Communion
            Mais la communion, deuxième pilier de la pédagogie religieuse de Don Bosco, avait aussi sa raison d’être.
            Don Bosco est certainement l’un des plus grands promoteurs de la pratique sacramentelle de la communion fréquente. Sa doctrine, calquée sur la pensée de la Contre-Réforme, donnait de l’importance à la Communion plutôt qu’à la célébration liturgique de l’Eucharistie, même s’il y eut une évolution dans la fréquence de celle-ci. Dans les vingt premières années de sa vie sacerdotale, dans le sillage de saint Alphonse, mais aussi du Concile de Trente et avant lui de Tertullien et de saint Augustin, il proposait une communion hebdomadaire, ou plusieurs fois par semaine, voire quotidienne selon la perfection des dispositions correspondant aux grâces du sacrement. Dominique Savio, qui au Valdocco avait commencé à se confesser et à communier tous les quinze jours, passa ensuite à la communion hebdomadaire, puis à trois fois par semaine, et enfin, après une année d’intense croissance spirituelle, à tous les jours, en suivant évidemment toujours les conseils de son confesseur, Don Bosco lui-même.
            Plus tard, dans la seconde moitié des années 60, Don Bosco, sur la base de ses expériences pédagogiques et d’un fort courant théologique en faveur de la communion fréquente, dont les chefs de file étaient l’évêque français de Ségur et le prieur de Gênes, don Giuseppe Frassinetti, passa à inviter ses jeunes à une communion plus fréquente, convaincu qu’elle permettait des pas décisifs dans la vie spirituelle et qu’elle favorisait la croissance dans l’amour de Dieu. Et dans le cas où la communion sacramentelle quotidienne ne serait pas possible, il suggéra la communion spirituelle, éventuellement au cours d’une visite au Saint-Sacrement, si appréciée par saint Alphonse. Toutefois, l’important était de maintenir la conscience en état de pouvoir communier tous les jours : la décision revenait en quelque sorte au confesseur.
            Pour Don Bosco, toute Communion dignement reçue – jeûne prescrit, état de grâce, volonté de se détacher du péché, belle action de grâce ensuite – annule les fautes quotidiennes, fortifie l’âme pour les éviter à l’avenir, augmente la confiance en Dieu et en son infinie bonté et miséricorde ; elle est en outre une source de grâce pour réussir à l’école et dans la vie, elle est une aide pour supporter les souffrances et vaincre les tentations.
            Don Bosco pense que la Communion est une nécessité pour que les « bons » se maintiennent comme tels et pour que les « mauvais » deviennent « bons ». Elle est pour ceux qui veulent devenir saints, et non pour les saints, comme les médicaments sont donnés aux malades. Il sait évidemment que l’assistance seule n’est pas un indice sûr de bonté, car il y a ceux qui la reçoivent avec beaucoup de tiédeur et par habitude, d’autant plus que la superficialité même des jeunes ne leur permet souvent pas de comprendre toute l’importance de ce qu’ils sont en train de faire.
            Avec la Communion, on peut donc implorer du Seigneur des grâces particulières pour soi et pour les autres. Les lettres de Don Bosco sont pleines de demandes à ses jeunes de prier et de communier selon son intention, afin que le Seigneur lui accorde un bon succès dans les « affaires » de chaque ordre dans lequel il se trouve plongé. Il faisait de même avec tous ses correspondants, qui étaient invités à s’approcher de ce sacrement pour obtenir les grâces demandées, tandis qu’il faisait de même lors de la célébration de la Sainte Messe.
            Don Bosco tenait beaucoup à ce que ses garçons grandissent nourris des sacrements, mais il voulait aussi le plus grand respect de leur liberté. Il a laissé des instructions précises à ses éducateurs dans son traité sur le système préventif : « Ne forcez jamais les jeunes à assister aux saints sacrements, mais encouragez-les et donnez-leur le confort d’en profiter ».
            En même temps, il reste fermement convaincu que les sacrements sont d’une importance capitale. Il écrivait de manière péremptoire : « Dites ce que vous voulez des divers systèmes d’éducation, mais je ne trouve aucune base sûre si ce n’est dans la fréquence de la confession et de la communion » (Il pastorello delle Alpi, ovvero vita del giovane Besucco Francesco d’Argentera, 1864. p. 100).

Une paternité et une miséricorde personnalisées
            La miséricorde de Dieu, à l’œuvre surtout au moment des sacrements de la Confession et de la Communion, trouve alors son expression extérieure non seulement dans un Don Bosco « père confesseur », mais aussi « père, frère, ami » des jeunes gens dans la vie quotidienne ordinaire. Avec une certaine exagération, on pourrait dire que leur confiance en Don Bosco était telle que beaucoup d’entre eux faisaient à peine la distinction entre Don Bosco « confesseur » et Don Bosco « ami » et « frère » ; d’autres pouvaient parfois échanger l’aveu sacramentel avec les sincères effusions d’un fils envers son père ; d’autre part, la connaissance que Don Bosco avait des jeunes était telle qu’avec des questions sobres, il leur inspirait une confiance extrême et savait souvent comment faire l’aveu à leur place.
            La figure de Dieu père, miséricordieux et prévoyant, qui tout au long de l’histoire a manifesté sa bonté depuis Adam envers les hommes, justes ou pécheurs, mais tous ayant besoin d’aide et faisant l’objet d’une attention paternelle, et en tout cas tous appelés au salut en Jésus-Christ, est ainsi modulée et reflétée dans la bonté de Don Bosco « Père de ses jeunes », qui ne veut que leur bien, qui ne les abandonne pas, toujours prêt à les comprendre, à compatir, à leur pardonner. Pour beaucoup d’entre eux, orphelins, pauvres et abandonnés, habitués dès leur plus jeune âge à un dur travail quotidien, objets de très modestes manifestations de tendresse, enfants d’une époque où prévalaient la soumission décisive et l’obéissance absolue à toute autorité constituée, Don Bosco a peut-être été la caresse jamais vécue par un père, la « tendresse » dont parle le Pape François.
            Sa lettre aux jeunes de la maison de Mirabello à la fin de l’année 1864 est encore émouvante : « Ces voix, ces acclamations, ces baisers et ces poignées de main, ce sourire cordial, cette conversation sur l’âme, cet encouragement à faire le bien sont des choses qui embaument mon cœur, et c’est pourquoi je ne peux pas y penser sans être ému aux larmes. Je vous dirai […] que vous êtes la prunelle de mes yeux » (Epistolario II édité par F. Motto II, lett. n° 792).
            Plus émouvante encore est sa lettre aux jeunes gens de Lanzo du 3 janvier 1876 : « Laissez-moi vous dire, et que personne ne s’en offusque, que vous êtes tous des voleurs ; je le dis et je le répète, vous m’avez tout pris. Quand j’étais à Lanzo, vous m’avez enchanté par votre bienveillance et votre bonté, vous avez lié les facultés de mon esprit par votre pitié ; il me restait encore ce pauvre cœur, dont vous m’aviez déjà entièrement dérobé les affections. Maintenant votre lettre marquée de 200 mains amicales et très chères ont pris possession de ce cœur tout entier, auquel il ne reste plus qu’un vif désir de vous aimer dans le Seigneur, de vous faire du bien et de sauver les âmes de tous » (Epistolario III, lett. no. 1389).
            L’amour bienveillant avec lequel il traitait et voulait que les Salésiens traitent les garçons avait un fondement divin. Il l’affirmait en citant une expression de saint Paul : « La charité est bienveillante et patiente ; elle souffre tout, mais elle espère tout, et elle supporte toutes les détresses ».
            L’amour bienveillant est donc un signe de miséricorde et d’amour divin qui échappe au sentimentalisme et aux formes de sensualité grâce à la charité théologale qui en est la source. Don Bosco communiquait cet amour à des garçons pris individuellement et aussi à des groupes de garçons : « Que je vous porte beaucoup d’affection, je n’ai pas besoin de vous le dire, je vous en ai donné la preuve évidente. Que vous m’aimiez aussi, je n’ai pas besoin de le dire, parce que vous me l’avez constamment montré. Mais sur quoi se fonde cette affection réciproque ? […] Le bien de nos âmes est donc le fondement de notre affection » (Epistolario II, n° 1148). L’amour de Dieu, primum théologique, est donc le fondement du primum pédagogique.
            L’amour bienveillant était aussi la traduction de l’amour divin en un amour vraiment humain, fait de sensibilité droite, de cordialité aimable, d’affection bienveillante et patiente tendant à une profonde communion de cœur. En somme, cet amour effectif et affectif qui se vit sous une forme privilégiée dans la relation entre l’éduqué et l’éducateur, lorsque des gestes d’amitié et de pardon de la part de l’éducateur amènent le jeune, en vertu de l’amour qui guide l’éducateur, à s’ouvrir à la confiance, à se sentir soutenu dans son effort de dépassement et d’engagement, à consentir et à adhérer en profondeur aux valeurs que l’éducateur vit personnellement et qu’il lui propose. Le jeune comprend que cette relation le reconstruit et le restructure en tant qu’homme. L’entreprise la plus ardue du système préventif est précisément de gagner le cœur du jeune, de jouir de son estime, de sa confiance, d’en faire un ami. Si le jeune n’aime pas l’éducateur, celui-ci ne peut pas faire grand-chose du jeune et pour le jeune.

Les œuvres de miséricorde
            Nous pourrions maintenant poursuivre avec les œuvres de miséricorde, que le Catéchisme distingue entre les œuvres corporelles et les œuvres spirituelles, en établissant deux groupes de sept. Il ne serait pas difficile de documenter comment Don Bosco a vécu, pratiqué et encouragé la pratique de ces œuvres de miséricorde et comment, par son « être et son travail », il a en effet constitué un signe et un témoignage visible, en actes et en paroles, de l’amour de Dieu pour l’humanité. Faute de place, nous nous contentons d’indiquer les possibilités de recherche. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui elles semblent être abandonnées également à cause de la fausse opposition entre miséricorde et justice, comme si la miséricorde n’était pas une manière typique d’exprimer cet amour qui, en tant que tel, ne peut jamais contredire la justice.




Avec Don Bosco. Toujours

Il n’est pas indifférent de célébrer un Chapitre général dans un lieu ou un autre. Certes, à Valdocco, dans le « berceau du charisme », nous avons l’opportunité de redécouvrir la genèse de notre histoire et de retrouver l’originalité qui constitue le cœur de notre identité de consacrés et d’apôtres des jeunes.

Dans le cadre ancien de Valdocco, où tout parle de nos origines, je suis presque obligé de faire mémoire de ce mois de décembre 1859, où Don Bosco avait pris une décision incroyable, unique dans l’histoire : fonder une congrégation religieuse avec des jeunes.
Il les avait préparés, mais ils étaient encore très jeunes. « Depuis longtemps, je pensais fonder une congrégation. Le moment est venu de passer à la phase concrète », expliqua simplement Don Bosco. « En réalité, cette congrégation ne naît pas maintenant : elle existait déjà avec cet ensemble de règles que vous avez toujours observées par tradition… Il s’agit maintenant d’aller de l’avant, de constituer la congrégation en bonne et due forme et d’en accepter les règles. Sachez cependant que n’en feront partie que ceux qui, après y avoir sérieusement réfléchi, voudront prononcer en temps voulu les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance… Je vous laisse une semaine pour y réfléchir ».
À la sortie de la réunion, il y eut un silence inhabituel. Très vite, quand les bouches s’ouvrirent, on put constater que Don Bosco avait eu raison de procéder avec lenteur et prudence. Certains marmonnaient entre leurs dents que Don Bosco voulait faire d’eux des frati (des moines). Cagliero faisait les cent pas dans la cour, en proie à des sentiments contradictoires.
Mais le désir de « rester avec Don Bosco » l’emporta chez la majorité. Cagliero lâcha la phrase qui allait devenir historique : « Frate ou pas frate, je reste avec Don Bosco ».
À la « conférence d’adhésion », qui se tint le soir du 18 décembre, ils étaient 17.
Don Bosco convoqua le premier Chapitre général le 5 septembre 1877 à Lanzo près de Turin. Les participants étaient vingt-trois et le Chapitre dura trois jours entiers.
Aujourd’hui, pour le 29e Chapitre général, les capitulaires sont 227. Ils sont arrivés de toutes les parties du monde, comme représentants de tous les salésiens.
À l’ouverture du premier Chapitre général, voici comment Don Bosco parla à nos confrères : « Le Divin Sauveur dit dans le saint Évangile que là où deux ou trois sont rassemblés en son nom, il se trouve lui-même au milieu d’eux. Nous n’avons pas d’autre but dans ces réunions que la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes rachetées par le Sang précieux de Jésus-Christ ». Nous pouvons donc être certains que le Seigneur sera au milieu de nous et qu’il conduira les choses de telle manière que tous se sentent à l’aise.

Un changement d’époque
L’expression évangélique : « Jésus appela ceux qu’il voulait avec lui et il les envoya prêcher » (Mc 3, 14-15), dit que Jésus choisit et appelle ceux qu’il veut. Parmi eux, il y a nous aussi. Le Royaume de Dieu se rend présent et les Douze premiers sont un exemple et un modèle pour nous et pour nos communautés. Les Douze sont des personnes communes, avec des qualités et des défauts. Ils ne forment pas une communauté de purs et même pas un simple groupe d’amis.
Ils savent, comme l’a dit le Pape François, que « nous vivons un changement d’époque plus qu’une époque de changements ». À Valdocco, ces jours-ci, on respire le climat d’une grande prise de conscience. Tous les confrères sentent que c’est un moment de grande responsabilité.
Dans la vie de la majorité des confrères, des provinces et de la Congrégation, il y a beaucoup de choses positives, mais cela ne suffit pas et ne peut pas servir de « consolation », parce que le cri du monde, avec ses grandes et nouvelles pauvretés, avec la lutte quotidienne de tant de personnes – non seulement des pauvres mais aussi des gens simples et des travailleurs – s’élève avec force pour demander de l’aide. Ce sont toutes des questions qui doivent nous provoquer et nous secouer et ne pas nous laisser tranquilles.
Avec l’aide des provinces à travers la consultation, nous croyons avoir repéré d’un côté les principaux motifs de préoccupation et de l’autre les signes de vitalité de notre Congrégation, toujours avec les traits culturels spécifiques de chaque contexte local.
Durant le Chapitre, nous proposons de nous concentrer sur ce que signifie pour nous être vraiment des salésiens passionnés de Jésus-Christ, parce que sans cela nous offrirons de bons services, nous ferons du bien aux personnes, nous aiderons, mais nous ne laisserons pas une trace profonde.
La mission de Jésus continue et se rend visible aujourd’hui dans le monde à travers nous aussi, ses envoyés. Nous sommes consacrés pour construire de larges espaces de lumière pour le monde d’aujourd’hui, pour être des prophètes. Nous avons été consacrés par Dieu et placés à la suite de son Fils bien-aimé Jésus, pour vivre vraiment comme des êtres conquis par Dieu. C’est pourquoi encore une fois l’essentiel se joue tout dans la fidélité de la Congrégation à l’Esprit Saint, en vivant, avec l’esprit de Don Bosco, une vie consacrée salésienne centrée en Jésus-Christ.
La vitalité apostolique, comme vitalité spirituelle, est un engagement en faveur des jeunes, des enfants, dans les formes les plus diverses de pauvreté, et par conséquent nous ne pouvons pas nous contenter d’offrir seulement des services éducatifs. Le Seigneur nous appelle à éduquer en évangélisant, en portant sa présence et en accompagnant la vie avec des propositions d’avenir.
Nous sommes appelés à chercher de nouveaux modèles de présence, de nouvelles expressions du charisme salésien au nom de Dieu. Et que cela se fasse en communion avec les jeunes et avec le monde, à travers une « écologie intégrale », dans la formation d’une culture numérique, dans les mondes habités par les jeunes et les adultes.
Et on sent un fort désir et une forte attente que ce Chapitre général soit un Chapitre courageux, dans lequel les choses soient dites, sans se perdre dans des phrases correctes, bien confectionnées, mais qui ne touchent pas la vie.
Dans cette mission, nous ne sommes pas seuls. Nous savons et nous sentons que la Vierge Marie est un modèle de fidélité.
Il est beau de revenir avec l’esprit et avec le cœur au jour de la solennité de l’Immaculée Conception de 1887 quand, deux mois avant sa mort, Don Bosco dit à quelques Salésiens qui le regardaient et l’écoutaient avec émotion : « Jusqu’à présent, nous avons marché sur du solide. Nous ne pouvons pas nous tromper ; c’est Marie qui nous guide ».
Marie Auxiliatrice, la Madone de Don Bosco, nous guide. Elle est la Mère de nous tous et c’est elle qui répète, comme à Cana de Galilée à l’heure du CG29 : « Quoi qu’il vous dise, faites-le ».
Que notre Mère Auxiliatrice nous illumine et nous guide, comme elle le fit avec Don Bosco, pour être fidèles au Seigneur et ne jamais décevoir les jeunes, surtout ceux qui sont le plus dans le besoin.




Véra Grita, pèlerine de l’espérance

            Véra Grita, fille d’Amleto et de Maria Anna Zacco della Pirrera, née à Rome le 28 janvier 1923, était la deuxième de quatre sœurs. Elle a vécu et étudié à Savona où elle a obtenu son diplôme d’enseignement. À 21 ans, lors d’une soudaine incursion aérienne sur la ville (1944), elle a été écrasée et piétinée par la foule en fuite, subissant de graves conséquences pour son corps qui est resté marqué à jamais par la souffrance. Elle est passée inaperçue dans sa brève vie terrestre, enseignant dans les écoles de l’arrière-pays ligure (Rialto, Erli, Alpicella, Désert de Varazze), où elle a gagné l’estime et l’affection de tous pour son caractère bon et doux.
            À Savone, dans la paroisse salésienne Marie-Auxiliatrice, elle participait à la messe et était assidue au sacrement de Pénitence.  À partir de 1963, son confesseur fut le salésien don Giovanni Bocchi. Devenue Salésienne Coopératrice en 1967, elle a réalisé sa vocation dans le don total d’elle-même. Le Seigneur se manifestait à elle de manière extraordinaire, dans l’intimité de son cœur, comme la « Voix », la « Parole », pour lui confier l’Œuvre des Tabernacles Vivants. Elle soumettait tous ses écrits à son directeur spirituel, le salésien don Gabriello Zucconi. Elle gardait dans le silence de son cœur le secret de cet appel, guidée par le Maître divin et la Vierge Marie qui l’ont accompagnée tout au long du chemin de vie cachée, de dépouillement et d’anéantissement de soi.
            Sous l’impulsion de la grâce divine et en accueillant la médiation de ses guides spirituels, Véra Grita a répondu au don de Dieu par le témoignage de sa vie, marquée par la maladie et la rencontre avec le Ressuscité. Elle se consacrait avec une générosité héroïque à l’enseignement et à l’éducation de ses élèves, répondant aux besoins des familles et témoignant d’une vie de pauvreté évangélique. Centrée solidement sur le Dieu qui aime et soutient, dotée d’une grande fermeté intérieure, elle a été rendue capable de supporter les épreuves et les souffrances de la vie. Sur la base de cette solidité intérieure, elle a témoigné d’une existence chrétienne faite de patience et de constance dans le bien.
            Elle est morte le 22 décembre 1969, à 46 ans, dans une petite chambre d’hôpital à Pietra Ligure où elle avait passé les six derniers mois de sa vie dans un crescendo de souffrances acceptées et vécues en union avec Jésus crucifié. « À travers ses messages et ses lettres, a écrit don Borra, salésien, son premier biographe, l’âme de Véra entre dans la cohorte de ces âmes charismatiques appelées à enrichir l’Église de flammes d’amour pour Dieu et pour Jésus Eucharistie en vue de l’expansion du Royaume ».

Une vie privée d’espoirs humains
            Humainement, la vie de Véra est marquée dès l’enfance par la perte d’un horizon d’espoir. La perte de l’autonomie économique dans son foyer familial, puis le détachement de ses parents pour se rendre à Modica en Sicile chez ses tantes, et surtout la mort de son père en 1943, mettent Véra face aux conséquences d’événements humains particulièrement douloureux.
            Après le 4 juillet 1944, jour du bombardement sur Savone qui marquera toute la vie de Véra, sa santé sera compromise pour toujours. C’est pourquoi la jeune Servante de Dieu se retrouva sans aucune perspective d’avenir et dut à plusieurs reprises revoir ses projets et renoncer à ses nombreux désirs : non seulement les études universitaires et l’enseignement, mais aussi la perspective de fonder une famille avec le jeune homme qu’elle fréquentait.
            Malgré la fin soudaine de tous ses espoirs humains entre 20 et 21 ans, l’espérance reste très présente chez Véra, tant comme vertu humaine qui croit en un changement possible et s’engage à le réaliser (bien que très malade, elle a préparé et remporté le concours pour l’enseignement), que comme vertu théologale ancrée dans la foi, qui lui insuffle de l’énergie et devient un instrument de consolation pour les autres.
            Presque tous les témoins qui l’ont connue relèvent cette apparente contradiction entre ses conditions de santé compromise et sa capacité de ne jamais se plaindre, sachant manifester de la joie, de l’espérance et du courage même dans des circonstances humainement désespérées. Véra devint une « porteuse de joie ».
            Sa nièce affirme : « Elle était toujours malade et souffrante, mais je ne l’ai jamais vue découragée ou en colère pour sa condition ; elle avait toujours une lueur d’espoir soutenue par une grande foi. […] Ma tante était souvent hospitalisée, souffrante et délicate, mais toujours sereine et pleine d’espoir à cause du grand Amour qu’elle avait pour Jésus ».
            Sa sœur Liliana a également trouvé des encouragements, une sérénité et une espérance dans ses appels téléphoniques de l’après-midi, bien que la Servante de Dieu fût alors accablée par de nombreux problèmes de santé et des contraintes professionnelles. « Elle me donnait – dit-elle – confiance et espoir en me faisant réfléchir que Dieu est toujours près de nous et nous guide. Ses paroles me ramenaient dans les bras du Seigneur et je retrouvais la paix ».
            Le témoignage d’Agnese Zannino Tibirosa revêt une valeur particulière car elle a côtoyé Véra à l’hôpital « Santa Corona » durant sa dernière année de vie : « Malgré les graves souffrances que la maladie lui causait, je ne l’ai jamais entendue se plaindre de son état. Elle apportait du réconfort et de l’espoir à tous ceux qu’elle approchait, et quand elle parlait de son avenir, elle le faisait avec enthousiasme et courage ».
            Jusqu’à la fin, Véra Grita est restée ainsi. Même dans la dernière partie de son chemin sur la terre, elle garda le regard tourné vers le futur. Elle espérait que le tuberculome pourrait être résorbé grâce aux soins ; elle espérait pouvoir occuper le poste d’institutrice à Piani di Invrea pour l’année scolaire 1969-1970 et se consacrer, une fois sortie de l’hôpital, à sa mission spirituelle.

Formée à l’espérance par le confesseur dans son cheminement spirituel
            En ce sens, l’espérance attestée par Véra est enracinée en Dieu et dans cette lecture sapientielle des événements que son père spirituel don Gabriello Zucconi et, avant lui, son confesseur don Giovanni Bocchi lui ont enseignée. C’est précisément le ministère de don Bocchi, homme de la joie et de l’espérance, qui a exercé une influence positive sur Véra, que l’a accueillie dans sa condition de malade et à qui il a appris à donner de la valeur aux souffrances non recherchées qui l’accablaient. Don Bocchi a été le premier à enseigner l’espérance ; on a dit de lui : « Avec des paroles toujours cordiales et pleines d’espoir, il a ouvert les cœurs à la générosité, au pardon, à la transparence dans les relations interpersonnelles ; il a vécu les béatitudes avec naturel et dans une fidélité quotidienne ». « En espérant et en ayant la certitude que, comme cela s’est produit pour le Christ, cela se produira aussi pour nous : la Résurrection glorieuse », don Bocchi réalisait à travers son ministère une annonce de l’espérance chrétienne, fondée sur la toute-puissance de Dieu et la résurrection du Christ. Devenu plus tard missionnaire en Afrique, il dira : « J’ai été là-bas parce que je voulais leur apporter et leur donner Jésus Vivant et présent dans la Sainte Eucharistie avec tous les dons de Son Cœur : la Paix, la Miséricorde, la Joie, l’Amour, la Lumière, l’Union, l’Espérance, la Vérité, la Vie éternelle ».
            Véra devint porteuse d’espérance et de joie même dans des milieux marqués par la souffrance physique et morale, par des limitations cognitives (comme parmi ses petits élèves malentendants) ou par des conditions familiales et sociales non optimales (comme dans le « climat incandescent » d’Erli).
            Son amie Maria Mattalia se souvient : « Je revois le doux sourire de Véra, parfois fatiguée par tant de luttes et de souffrances ; en me rappelant sa force de volonté, j’essaie de suivre son exemple de bonté, de grande foi, d’espérance et d’amour […] ».
            Antonietta Fazio, ancienne femme de ménage à l’école de Casanova, témoigna à son sujet : « Elle était très appréciée de ses élèves qu’elle aimait beaucoup et en particulier de ceux en difficulté intellectuelle […]. Très pieuse, elle transmettait à chacun foi et espoir tout en étant elle-même très souffrante physiquement mais pas moralement ».
            Dans ces divers contextes, Véra travaillait à faire renaître les raisons de l’espoir. Par exemple, à l’hôpital (où la nourriture est peu satisfaisante), elle s’est privée d’une grappe de raisin pour en laisser une partie sur la table de nuit de chaque malade de la chambre. Elle prenait toujours soin de sa personne afin de se présenter dans une bonne tenue, avec dignité et élégance, contribuant ainsi à lutter contre le milieu de souffrance d’une clinique, et parfois de perte d’espérance chez de nombreux malades qui risquent de « se laisser aller ».
            À travers les Messages de l’Œuvre des Tabernacles Vivants, le Seigneur l’a éduquée à une posture d’attente, de patience et de confiance en lui. Ces messages renferment en effet d’innombrables exhortations sur la nécessité d’attendre l’Époux ou sur l’Époux qui attend son épouse :

« Espère en ton Jésus toujours, toujours.

Qu’il vienne dans nos âmes, qu’il vienne dans nos maisons ; qu’il vienne avec nous pour partager joies et peines, efforts et espoirs.

Laisse faire mon Amour et augmente ta foi, ton espérance.

Suis-moi dans l’obscurité, dans les ombres car tu connais le « chemin ».

Espère en Moi, espère en Jésus !

Après le chemin de l’espoir et de l’attente, il y aura la victoire.

Pour vous appeler aux choses du Ciel ».

Porteuse d’espérance dans la mort et dans l’intercession
            Même dans la maladie et la mort, Véra Grita a témoigné de l’espoir chrétien.
            Elle savait que, lorsque sa mission sera accomplie, sa vie sur terre prendra fin. « C’est ta mission et quand elle sera terminée, tu salueras la terre pour les Cieux ». C’est pourquoi elle ne se sentait pas « propriétaire » du temps, mais cherchait l’obéissance à la volonté de Dieu.
            Dans les derniers mois, malgré une condition aggravante et exposée à une détérioration de son état clinique, la Servante de Dieu a montré beaucoup de sérénité, de paix, et la perception intérieure d’un « accomplissement » de sa propre vie.
            Dans les derniers jours, bien qu’elle fût naturellement attachée à la vie, don Giuseppe Formento la décrivit comme « déjà en paix dans le Seigneur ». Dans cet esprit, elle put recevoir la Communion jusqu’à quelques jours avant de mourir, et recevoir l’Extrême-Onction le 18 décembre.
            Lorsque sa sœur Pina alla lui rendre visite peu avant sa mort – Véra avait été environ trois jours dans le coma – contrairement à son habituelle réserve, elle lui dit qu’elle avait vu pendant ces jours beaucoup de choses, des choses magnifiques dont elle n’avait malheureusement pas le temps de parler. Elle avait su que le Padre Pio et le Bon Pape Jean priaient pour elle, et elle ajouta, en pensant à la Vie éternelle : « Vous viendrez tous au paradis avec moi, soyez-en certaines ».
            Liliana Grita a également témoigné que, dans la dernière période, Véra « était plus du Ciel que de la terre ». De sa vie on a pu faire le bilan suivant : « Alors qu’elle souffrait beaucoup, elle consolait les autres, leur insufflant de l’espoir et n’hésitait pas à les aider ».
            De nombreuses grâces attribuées à l’intercession de Véra concernent en fin de compte l’espérance chrétienne. Même pendant la pandémie du Covid 19, Véra a aidé beaucoup de gens à retrouver des raisons d’espérer et a été pour eux une protection, une sœur dans l’esprit, une aide dans le sacerdoce. Elle a aidé intérieurement un prêtre qui, suite à un AVC, avait oublié les prières, ne parvenant plus à les prononcer, ce qui lui causait une grande douleur et le désarroi. Elle a permis à beaucoup de revenir à la prière, demandant la guérison d’un jeune papa victime d’une hémorragie.
            Même sœur Maria Ilaria Bossi, maîtresse des novices des Bénédictines du Très-Saint-Sacrement de Ghiffa, souligne comment Véra, sa sœur dans l’esprit, est une âme qui dirige vers le Ciel et accompagne vers le Ciel : « Je la sens comme une sœur sur le chemin du ciel… Beaucoup […] sont ceux qui se reconnaissent en elle, et se réfèrent à elle, sur le chemin de l’évangile, dans la course vers le ciel ».       
            En résumé, on comprend comment toute l’histoire de Véra Grita a été soutenue non par des espoirs humains, par le simple regard vers le « demain » en espérant qu’il sera meilleur que le présent, mais par une véritable Espérance théologale : « Elle était sereine parce que la foi et l’espérance l’ont toujours soutenue. Le Christ était au centre de sa vie, c’est de Lui qu’elle tirait la force. […] elle était une personne sereine parce qu’elle avait dans le cœur l’Espérance théologale, non pas l’espoir superficiel […], mais celui qui ne vient que de Dieu, qui est don et nous prépare à la rencontre avec Lui ».

            Dans une prière à Marie de l’Œuvre des Tabernacles Vivants, on lit : « Soulève-nous [Marie] de la terre afin qu’ici nous vivions et soyons pour le Ciel, pour le Royaume de ton fils ».
            Il est beau de rappeler que don Gabriello a dû, lui aussi, faire son  pèlerinage dans l’espérance à travers beaucoup d’épreuves et de difficultés comme il l’écrit dans une lettre à Véra du 4 mars 1968 depuis Florence : « Malgré tout, nous devons toujours espérer. La présence des difficultés n’enlève rien au fait qu’à la fin le bien, le bon, le beau triompheront. La paix, l’ordre, la joie reviendront. L’homme, fils de Dieu, retrouvera toute la gloire qu’il avait dès le début. L’homme sera sauvé en Jésus et retrouvera tout son bien en Dieu. Voici que nous reviennent à l’esprit toutes les belles choses promises par Jésus et l’âme en Lui retrouve sa paix. Courage ! Maintenant nous sommes comme dans un combat. Viendra le jour de la victoire. C’est une certitude en Dieu ».
            Dans l’église de Santa Corona à Pietra Ligure, Véra Grita participait à la messe et allait prier durant ses longs séjours à l’hôpital. Son témoignage de foi dans la présence vivante de Jésus Eucharistique et de la Vierge Marie dans sa brève vie terrestre est un signe d’espoir et de réconfort pour ceux qui dans ce lieu de soin demanderont son aide et son intercession auprès du Seigneur pour être soulagés et libérés de la souffrance.
            Le chemin de Véra Grita dans l’âpre labeur des jours offre également une nouvelle perspective laïque à la sainteté, devenant un exemple de conversion, d’acceptation et de sanctification pour les pauvres, les fragiles, les malades qui peuvent se reconnaître en elle et retrouver l’espoir.
            Saint Paul écrit « que les souffrances du moment présent ne sont pas comparables à la gloire future qui doit être révélée en nous ». Avec « impatience », nous attendons de contempler le visage de Dieu car « dans l’espérance nous avons été sauvés » (Rom 8, 18.24). Par conséquent, il est absolument nécessaire d’espérer contre toute espérance, « Spes contra spem ». Car, comme l’a écrit Charles Péguy, l’Espérance est une enfant « irréductible ». Par rapport à la Foi qui « est une épouse fidèle » et à la Charité qui « est une Mère », l’Espérance semble, à première vue, avoir peu de valeur. En réalité, c’est exactement le contraire. Ce sera justement l’Espérance, écrit Péguy, « qui est venue au monde le jour de Noël » et qui « traversera les mondes en portant les deux autres ».
            « Écris, Véra de Jésus, je te donnerai de la lumière. L’arbre fleuri au printemps a donné ses fruits. Beaucoup d’arbres devront refleurir en temps opportun pour que les fruits soient abondants… Je te demande d’accepter avec foi chaque épreuve, chaque douleur pour Moi. Tu verras les fruits, les premiers fruits de la nouvelle floraison ». (Santa Corona – 26 octobre 1969 – Fête du Christ Roi – Avant-dernier message).




Nous sommes Don Bosco, aujourd’hui

« Tu porteras à terme le travail que je commence ; je ferai l’esquisse, tu mettras les couleurs » (Don Bosco) 

Chers amis et lecteurs, membres de la Famille Salésienne, recevez mes plus cordiales salutations. Ce mois-ci, sur le Bulletin Salésien, je vais me concentrer sur un événement très important que vit la Congrégation Salésienne : le 29ème Chapitre Général. Dans le parcours de la Congrégation Salésienne, cette assemblée se tient tous les six ans, c’est la plus importante dans la vie de la Congrégation. 
Beaucoup de choses font partie de notre vie, et cette année jubilaire nous offre de nombreux événements importants. Je souhaite cependant me concentrer sur cela car, même si cela semble apparemment éloigné de nous, cela concerne chacun d’entre nous.  
Don Bosco, notre Fondateur, était conscient que tout ne se terminerait pas avec lui, mais que ce ne serait certainement que le début d’un long chemin à parcourir. À soixante ans, un jour de 1875, il dit à Don Barberis, l’un de ses plus proches collaborateurs : « Tu porteras à terme le travail que je commence ; je ferai l’esquisse, tu mettras les couleurs […] Je ferai une copie approximative de la Congrégation et je laisserai à ceux qui viendront après moi le soin de la rendre belle ». 
En employant cette heureuse et prophétique expression, Don Bosco dessinait le chemin que nous sommes tous appelés à parcourir, et que réalise au maximum le Chapitre Général des Salésiens de Don Bosco en ce moment à Valdocco. 

La prophétie des caramels 
Le monde d’aujourd’hui n’est pas celui de Don Bosco, mais il y a une caractéristique commune : c’est un temps de profondes mutations. L’humanisation complète, équilibrée et responsable dans ses composantes matérielles et spirituelles était le véritable objectif de Don Bosco. Il se souciait de remplir l’« espace intérieur » des jeunes, de former des « têtes bien faites », des « citoyens honnêtes ». En cela, il est plus que jamais d’actualité. Le monde a aujourd’hui besoin de Don Bosco. 
Au début, pour tous, il y a une question très simple : « Veux-tu une vie quelconque ou veux-tu changer le monde ? » Mais peut-on encore parler de buts et d’idéaux, aujourd’hui ? Quand le fleuve cesse de couler, il devient un marécage. L’homme aussi. 
Don Bosco n’a pas cessé de marcher. Aujourd’hui, il le fait avec nos pieds. 
Il avait une conviction concernant les jeunes : « Cette portion de la société humaine, celle qui est la plus délicate et la plus précieuse, et sur laquelle reposent les espoirs d’un avenir heureux, n’est pas mauvaise en elle-même… car s’il lui arrive parfois d’être déjà corrompue à cet âge, c’est plutôt par étourderie que par méchanceté voulue. Ces jeunes ont vraiment besoin d’une main bienveillante, qui prenne soin d’eux, les cultive, les guide… » 
En 1882, lors d’une conférence aux Coopérateurs à Gênes il s’exprimait ainsi : « En les retirant du milieu, en instruisant et en éduquant les jeunes en danger, on fait du bien à toute la société civile. Si la jeunesse est bien éduquée, nous aurons avec le temps une génération meilleure ». C’est comme dire que seule l’éducation peut changer le monde. 
Don Bosco avait une capacité de vision presque effrayante. Il ne dit jamais : « jusqu’à présent », mais toujours : « à partir de maintenant ». 
Guy Avanzini, éminent professeur d’Université, continue de répéter : « La pédagogie du XXIe siècle sera salésienne, ou ne sera pas ». 
Un soir de 1851, d’une fenêtre du premier étage, Don Bosco jeta une poignée de caramels au milieu des jeunes. Une grande joie explosa, et un garçon, le voyant sourire à la fenêtre, lui cria : « Oh si Don Bosco pouvait voir toutes les parties du monde, et en chacune d’elles tant d’oratoires ! » 
Don Bosco fixa en l’air son regard serein et répondit : « Qui sait si le jour viendra où l’on verra les fils de l’oratoire vraiment répandus dans le monde entier ». 

Regarder loin 
Mais qu’est-ce qu’un Chapitre Général ? Pourquoi occuper ces lignes sur un thème qui est celui de la Congrégation Salésienne ? 
Les Constitutions de vie des Salésiens de Don Bosco, à l’article 146, définissent ainsi le Chapitre Général : 
« Le Chapitre général est le principal signe de l’unité de la Congrégation dans sa diversité. C’est la rencontre fraternelle dans laquelle les salésiens effectuent une réflexion communautaire pour rester fidèles à l’Évangile et au charisme du Fondateur et sensibles aux besoins des temps et des lieux. 
Au cours du Chapitre général, l’ensemble de la Société, se laissant guider par l’Esprit du Seigneur, cherche à connaître, à un moment donné de l’histoire, la volonté de Dieu pour un meilleur service de l’Église ». 
Le Chapitre Général n’est donc pas un fait privé des salésiens consacrés, mais une assemblée très importante qui nous concerne tous, qui touche toute la Famille salésienne et tous ceux qui ont Don Bosco en eux, car au centre se trouvent les personnes, la mission, le Charisme de Don Bosco, l’Église et chacun de nous, de vous. 
Au centre se trouve la fidélité à Dieu et à Don Bosco, dans la capacité de voir les signes des temps et des différents lieux. Fidélité qui est un mouvement continu, un renouvellement, une capacité de regarder loin et de garder, en même temps, les pieds bien plantés sur terre. 
C’est pourquoi environ 250 confrères salésiens, venus de tous les coins du monde, se sont réunis pour prier, réfléchir, échanger et regarder loin… en fidélité à Don Bosco. 
Et puis, à partir de la construction de cette vision, il s’agit d’élire le nouveau Recteur Majeur, le successeur de Don Bosco et son Conseil Général. 
Ce n’est pas une chose extérieure à ta vie, cher ami(e) qui me lis, mais à l’intérieur de ton existence et dans ton « affection » pour Don Bosco. Pourquoi te dire cela ? Pour que tu accompagnes tout cela par ta prière. La prière à l’Esprit Saint pour aider tous les capitulaires à connaître la volonté de Dieu en vue d’un meilleur de l’Église. 
Je pense que le CG29, j’en suis certain, sera tout cela. Une expérience de Dieu pour nettoyer d’autres parties de l’esquisse que Don Bosco nous a laissée, comme cela a toujours été fait dans tous les Chapitres généraux de l’histoire de la Congrégation, toujours fidèles à son projet. 
Soyons sûrs qu’aujourd’hui encore, nous pouvons continuer à être éclairés pour être fidèles au Seigneur Jésus dans la fidélité au charisme original, avec les visages, la musique et les couleurs d’aujourd’hui. 
Nous ne sommes pas seuls dans cette mission et nous savons et nous sentons que Marie, la Mère Auxiliatrice des chrétiens, l’Auxiliatrice de l’Église, modèle de fidélité, soutiendra les pas de chacun d’entre nous.




Bons serviteurs, fidèles et courageux

En cette année jubilaire, dans ce monde difficile, nous sommes invités à nous lever, à repartir et à parcourir notre chemin d’hommes et de croyants dans la nouveauté de la vie.

            Le prophète Isaïe s’adresse à Jérusalem avec ces mots : « Lève-toi, revêts-toi de lumière, car ta lumière vient, la gloire du Seigneur brille sur toi » (Is 60,1). L’invitation du prophète à se lever, parce que la lumière vient, semble surprenante, car son cri est lancé au lendemain du dur exil et des nombreuses persécutions que le peuple a vécues.
            Cette invitation, aujourd’hui, résonne aussi pour nous qui célébrons cette année jubilaire. Dans ce monde difficile, nous sommes également invités à nous lever, à repartir et à parcourir notre chemin d’hommes et de croyants dans la nouveauté de la vie.
            D’autant plus maintenant que nous avons eu la grâce, oui car il s’agit d’une grâce, de célébrer dans le souvenir liturgique la sainteté de Jean Bosco. Ne nous habituons pas : Don Bosco est un grand homme de Dieu, génial et courageux, un apôtre infatigable parce que disciple profondément amoureux du Christ. Pour nous, un père !
            Dans la vie, avoir un père est très important. Dùàùàans la foi, à la suite du Christ, c’est pareil : avoir un père est un don inestimable. On le ressent en soi et son expérience de foi éveille notre vie. S’il en est ainsi pour Don Bosco, pourquoi cela ne pourrait-il pas être le cas aussi pour moi ?
            Question existentielle, qui nous met en mouvement et nous change, dans l’esprit du Jubilé, en devenant des personnes « renouvelées », « changées ». Pour nous tous c’est le sens profond de la fête de Don Bosco que nous venons de célébrer : imiter et non seulement admirer !
            Au cours de cette année jubilaire que nous sommes en train de vivre avec le thème de l’Espérance, présence de Dieu qui nous accompagne, Don Bosco est un repère clair et fort !
            En parlant de l’Espérance, Don Bosco écrit, comme je l’ai repris dans le texte de l’Étrenne pour cette année :
            « Le salésien – disait Don Bosco, et en parlant du salésien, il parle à chacun de nous qui le lisons – est prêt à supporter la chaleur et le froid, la soif et la faim, les fatigues et le mépris chaque fois qu’il s’agit de la gloire de Dieu et du salut des âmes ». Le soutien intérieur de cette exigence ascétique est la pensée du paradis comme un reflet de la bonne conscience avec laquelle il travaille et vit. « Dans chaque mission, dans chaque travail, peine ou chagrin, n’oublions jamais qu’Il tient un compte minutieux des plus petites choses que nous faisons pour son saint nom, et il est de foi qu’il nous accordera une récompensera abondante en son temps. À la fin de notre vie, lorsque nous nous présenterons devant son tribunal divin, il nous regardera avec un visage aimant et nous dira : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton Seigneur” (Mt 25,21) ».
            « Dans les fatigues et les souffrances, n’oublie jamais que nous avons une grande récompense préparée dans le ciel ». Et quand notre Père dit que le salésien épuisé par trop de travail représente une victoire pour toute la Congrégation, il semble même suggérer que la récompense a une dimension de communion fraternelle, presque un sens communautaire du paradis !
            Debout, les Salésiens ! C’est ce que nous demande Don Bosco.

« Salve, salvando salvati »
            Don Bosco a été l’un des grands saints de l’espérance. Il y a de nombreux éléments pour le prouver. Son esprit salésien est entièrement imprégné des certitudes et de l’ardeur caractéristiques de ce dynamisme audacieux de l’Esprit Saint.
            Don Bosco a su traduire dans sa vie l’énergie de l’espérance sur deux volets : l’effort de sanctification personnelle et la mission de salut pour les autres ; ou mieux – et c’est là que réside une caractéristique centrale de son esprit – la sanctification personnelle à travers le salut des autres. Rappelons la célèbre formule des trois « S » : « Salve, salvando salvati » (Salut, en sauvant les autres sauve-toi toi-même). Cela semble un simple jeu de mots mnémotechnique, un slogan pédagogique, mais c’est un enseignement profond qui indique comment les deux volets de la sanctification personnelle et du salut du prochain sont étroitement liés.
            Monseigneur Erik Varden affirme : « Ici et maintenant, l’espérance se manifeste comme une faible lueur. Cela ne veut pas dire qu’elle soit sans importance. L’espérance opère une sainte contagion qui lui permet de se répandre de cœur à cœur. Les pouvoirs totalitaires travaillent toujours à effacer l’espérance et à induire à la désespérance. S’éduquer à l’espérance signifie s’exercer à la liberté. Dans un poème, Péguy décrit l’espérance comme la flamme de la lampe du sanctuaire. Cette flamme, dit-il, “a traversé la profondeur des nuits”. Elle nous permet de voir ce qui est maintenant, mais aussi de prévoir ce qui pourrait être. Espérer signifie parier son existence sur la possibilité de devenir. C’est un art à pratiquer assidûment dans l’atmosphère fataliste et déterministe dans laquelle nous vivons ».
            Que Dieu nous donne de pouvoir vivre ainsi cette année jubilaire !
Puissions-nous tous marcher ce mois-ci avec cette vision qui “brille dans les ténèbres”, avec l’Espérance dans le cœur qui est la présence de Dieu.
            Je vous recommande, ce mois-ci, la prière pour notre Congrégation Salésienne, qui se réunit en Chapitre Général. Accompagnez-nous tous avec votre prière et votre pensée, afin que nous puissions être fidèles, en tant que Salésiens, à ce que voulait Don Bosco.