Mgr Giuseppe Malandrino et le Serviteur de Dieu Nino Baglieri

Mgr Giuseppe Malandrino, IXe évêque du diocèse de Noto, est retourné à la Maison du Père le 3 août 2025, jour de la fête de la patronne du diocèse de Noto, Maria Scala del Paradiso. 94 ans, 70 ans de sacerdoce et 45 ans de consécration épiscopale sont des chiffres très respectables pour un homme qui a servi l’Église en tant que Pasteur en ayant « l’odeur des brebis », comme le soulignait souvent le pape François.

Paratonnerre de l’humanité
Dans son expérience de pasteur du diocèse de Noto (19.06.1998 – 15.07.2007), il a eu l’occasion de cultiver son amitié avec le Serviteur de Dieu Nino Baglieri. Il ne manquait presque jamais de faire une « halte » chez Nino lorsque des raisons pastorales le menaient à Modica. Dans un de ses témoignages, Mgr Malandrino dit : « … me trouvant au chevet de Nino, j’avais la vive perception que ce cher frère infirme était vraiment le “paratonnerre de l’humanité”, selon une conception des souffrants qui m’est si chère et que j’ai voulu proposer également dans la Lettre Pastorale sur la mission permanente “Vous serez mes témoins” » (2003). Mgr Malandrino écrit : « Il est nécessaire de reconnaître dans les malades et les souffrants le visage du Christ souffrant et de les assister avec la même sollicitude et le même amour que Jésus dans sa passion, vécue dans un esprit d’obéissance au Père et de solidarité envers les frères ». Cela a été pleinement incarné par la maman de Nino, Madame Peppina. Cette femme sicilienne typique, avec un caractère fort et beaucoup de détermination, répond au médecin qui lui propose l’euthanasie pour son fils (compte tenu de ses graves problèmes de santé et de la perspective d’une vie de paralysé) : « Si le Seigneur le veut, il le prendra, mais s’il me le laisse ainsi, je serai heureuse de m’en occuper toute ma vie ». La mère de Nino, à ce moment-là, était-elle consciente de ce à quoi elle allait faire face ? Marie, la mère de Jésus, était-elle consciente de la douleur qu’elle aurait à souffrir pour le Fils de Dieu ? La réponse, à la lire avec des yeux humains, ne semble pas facile, surtout dans notre société du XXIe siècle où tout est liquide, fluctuant, se consume en un « instant ». Le Fiat de Maman Peppina est devenu, comme celui de Marie, un Oui de Foi et d’adhésion à cette volonté de Dieu qui trouve son accomplissement dans le fait de savoir porter la Croix, de savoir donner « âme et corps » à la réalisation du Plan de Dieu.

De la souffrance à la joie
La relation d’amitié entre Nino et Mgr Malandrino était déjà établie lorsque ce dernier était encore évêque d’Acireale. En effet, dès 1993, par l’intermédiaire du Père Attilio Balbinot, un camillien très proche de Nino, celui-ci lui offrit son premier livre : « De la souffrance à la joie ». Dans l’expérience de Nino, la relation avec l’évêque de son diocèse était une relation de filiation totale. Dès le moment de son acceptation du Plan de Dieu sur lui, il faisait sentir sa présence « active » en offrant ses souffrances pour l’Église, le Pape et les Évêques (ainsi que pour les prêtres et les missionnaires). Cette relation de filiation était renouvelée chaque année à l’occasion du 6 mai, jour de la chute, considéré ensuite comme le début mystérieux d’une renaissance. Le 8 mai 2004, quelques jours après que Nino ait fêté son 36e anniversaire de Croix, Mgr Malandrino se rend chez lui. En souvenir de cette rencontre, il écrit dans ses mémoires : « C’est toujours une grande joie chaque fois que je le vois et je reçois tant d’énergie et de force pour porter ma Croix et l’offrir avec tant d’Amour pour les besoins de la Sainte Église et en particulier pour mon Évêque et pour notre Diocèse. Que le Seigneur lui donne toujours plus de sainteté pour nous guider pendant de nombreuses années avec toujours plus d’ardeur et d’amour… ». Et encore : « … la Croix est lourde mais le Seigneur me donne tant de Grâces qui rendent la souffrance moins amère et elle devient légère et douce, la Croix se fait Don, offerte au Seigneur avec tant d’Amour pour le salut des âmes et la Conversion des Pécheurs… ». Enfin, il faut souligner que, lors de ces occasions de grâce, la demande pressante et constante de son « aide pour se faire Saint avec la Croix de chaque jour » ne manquait jamais. Nino, en effet, voulait absolument se faire saint.

Une béatification anticipée
Les funérailles du Serviteur de Dieu, le 3 mars 2007, ont représenté un moment d’une grande importance à cet égard. Mgr Malandrino lui-même, au début de la célébration eucharistique, s’est penché avec dévotion, bien qu’avec difficulté, pour embrasser le cercueil contenant la dépouille mortelle de Nino. C’était un hommage à un homme qui avait vécu 39 ans de son existence dans un corps qu’il « ne sentait pas » mais qui dégageait une joie de vivre à 360 degrés. Mgr Malandrino a souligné que la célébration de la messe, dans la cour des Salésiens devenue pour l’occasion une « cathédrale » à ciel ouvert, avait été une véritable apothéose (des milliers de personnes en larmes y ont participé) et l’on percevait clairement et communautairement que l’on se trouvait non pas devant des funérailles, mais devant une véritable « béatification ». Nino, par son témoignage de vie, était en effet devenu un point de référence pour beaucoup, jeunes ou moins jeunes, laïcs ou consacrés, mères ou pères de famille, qui, grâce à son précieux témoignage, parvenaient à lire leur propre existence et à trouver des réponses qu’ils ne trouvaient pas ailleurs. Mgr Malandrino a également souligné à plusieurs reprises cet aspect : « Vraiment, chaque rencontre avec mon cher Nino a été pour moi, comme pour tous, une expérience forte et vivante d’édification et un puissant stimulant – dans la douceur – au don de soi patient et généreux. La présence de l’évêque lui procurait à chaque fois une immense joie car, outre l’affection de l’ami qui venait le visiter, il y percevait la communion ecclésiale. Il est évident que ce que je recevais de lui était toujours beaucoup plus que le peu que je pouvais lui donner ». L’idée fixe de Nino était de « se faire saint ». Le fait d’avoir vécu et incarné pleinement l’Évangile de la Joie dans la Souffrance, avec ses douleurs physiques et son don total pour l’Église bien-aimée, a fait que tout ne s’est pas terminé avec son départ vers la Jérusalem du Ciel, mais a continué, comme l’a souligné Mgr Malandrino lors des funérailles : « … la mission de Nino continue maintenant aussi à travers ses écrits, il l’avait lui-même annoncé dans son Testament spirituel » : « … mes écrits continueront mon témoignage, je continuerai à donner de la Joie à tous et à parler du Grand Amour de Dieu et des Merveilles qu’il a faites dans ma vie ». Cela continue de se réaliser car « une ville située sur une montagne ne peut être cachée, et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison » (Matthieu 5,14-16). Métaphoriquement, on veut souligner que la « lumière » (entendue au sens large) doit être visible, tôt ou tard : ce qui est important viendra à la lumière et sera reconnu.
En rappelant ces jours marqués par la mort de Mgr Malandrino et par ses funérailles à Acireale (5 août, Notre-Dame des Neiges) et à Noto (7 août) avec l’inhumation qui a suivi dans la cathédrale qu’il avait lui-même fortement voulu restaurer après l’effondrement du 13 mars 1996 et qui a été rouverte en mars 2007 (mois où Nino Baglieri est décédé), nous pouvons retracer ce lien entre deux grandes figures de l’Église de Noto, fortement entrelacées et toutes deux capables de laisser une marque indélébile.

Roberto Chiaramonte




Les cardinaux protecteurs de la Société Salésienne de Saint Jean Bosco

Dès le début, la Société salésienne a eu, comme beaucoup d’autres ordres religieux, un cardinal protecteur. Au fil du temps, jusqu’au Concile Vatican II, il y a eu neuf cardinaux protecteurs, un rôle d’une grande importance pour la croissance de la Société salésienne.

L’institution de cardinaux protecteurs pour les congrégations religieuses est une tradition ancienne qui remonte aux premiers siècles de l’Église, lorsque le pape nommait des défenseurs et des représentants de la foi. Au fil du temps, cette pratique s’est étendue aux ordres religieux, auxquels un cardinal a été assigné pour protéger leurs droits et leurs prérogatives auprès du Saint-Siège. La Société salésienne de Saint Jean Bosco a également bénéficié de cette faveur, puisque plusieurs cardinaux l’ont représentée et protégée dans les affaires ecclésiastiques.

Origine du rôle de cardinal protecteur
La coutume d’avoir un protecteur remonte aux premiers siècles de l’Empire romain, lorsque Romulus, le fondateur de Rome, créa deux ordres sociaux : les patriciens et les plébéiens. Chaque plébéien pouvait élire un patricien comme protecteur, établissant ainsi un système d’avantages mutuels entre les deux classes sociales. Cette pratique a ensuite été adoptée par l’Église. L’un des premiers exemples de protecteur ecclésiastique est saint Sébastien, nommé défenseur de l’Église de Rome par le pape Caïus en 283 après J.-C.

Au XIIIe siècle, l’attribution de cardinaux protecteurs aux ordres religieux est devenue une pratique établie. Saint François d’Assise fut l’un des premiers à demander un cardinal protecteur pour son ordre. À la suite d’une vision dans laquelle ses frères étaient attaqués par des oiseaux de proie, François demanda au pape de leur assigner un cardinal comme protecteur. Innocent III accepta et nomma le cardinal Ugolino Conti, neveu du pape. Dès lors, les ordres religieux ont suivi cette tradition pour obtenir protection et soutien dans leurs relations avec l’Église.

Cette pratique s’est répandue presque par nécessité, car les nouveaux ordres mendiants et itinérants avaient un mode de vie différent de celui des moines à résidence fixe, bien connus des évêques locaux. Les distances géographiques, les différents systèmes politiques des lieux où les nouveaux ordres religieux opéraient et les difficultés de communication de l’époque nécessitaient une figure d’autorité qui connaissait parfaitement leurs problèmes et leurs besoins. Cette personnalité pouvait les représenter auprès de la Curie romaine, défendre leurs droits et leurs intérêts et intercéder auprès du Saint-Siège en cas de besoin. Le cardinal protecteur n’avait pas de juridiction ordinaire sur les ordres religieux ; son rôle était celui d’un protecteur bienveillant, même si, dans des circonstances particulières, il pouvait recevoir des pouvoirs délégués.

Cette pratique s’étendit également aux autres ordres religieux et, dans le cas de la Société salésienne, les cardinaux protecteurs ont joué un rôle crucial en assurant la reconnaissance et la protection de la jeune congrégation, en particulier dans ses premières années, lorsqu’elle essayait de se consolider au sein de la structure de l’Église catholique.

Le choix du cardinal protecteur
Les relations entre Don Bosco et la hiérarchie ecclésiastique étaient complexes, surtout dans les premières années de la fondation de la congrégation. Tous les cardinaux et évêques ne voyaient pas d’un bon œil le modèle éducatif et pastoral proposé par Don Bosco, en partie à cause de son approche novatrice et en partie à cause de son insistance à s’adresser aux classes les plus pauvres et défavorisées.

Le choix d’un cardinal protecteur ne s’est pas fait au hasard, mais avec beaucoup de soin. En général, on cherchait un cardinal qui connaissait l’ordre ou qui avait montré de l’intérêt pour le type de travail effectué par la congrégation. Dans le cas des Salésiens, il s’agissait de trouver des cardinaux qui s’intéressaient particulièrement à la jeunesse, à l’éducation ou aux missions, car il s’agissait des principaux domaines d’activité de la Société. Bien entendu, la nomination finale dépendait du pape et de la Secrétairerie d’État.

Le rôle du cardinal protecteur pour les salésiens
Pour la Société salésienne, le cardinal protecteur était une figure clé dans son interaction avec le Saint-Siège, servant de médiateur en cas de conflit, assurant l’interprétation correcte des règles canoniques et veillant à ce que les besoins de l’ordre soient compris et respectés. Contrairement à certaines congrégations plus anciennes, qui avaient déjà établi une relation solide avec les autorités ecclésiastiques, les Salésiens, nés à une époque de changements sociaux et religieux rapides, ont eu besoin d’un soutien important pour faire face aux défis initiaux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

L’un des aspects les plus importants du rôle du cardinal protecteur était sa capacité à soutenir les salésiens dans leurs relations avec le pape et la Curie. Ce rôle de médiateur et de protecteur a fourni à la congrégation un canal direct vers les échelons supérieurs de l’Église, leur permettant d’exprimer des préoccupations et des demandes qui, autrement, auraient pu être ignorées ou reportées. Le cardinal protecteur était également chargé de veiller à ce que la Société salésienne se conforme aux directives du pape et de l’Église, en s’assurant que leur mission restait conforme à l’enseignement catholique.

Lors d’une de ses visites à Rome en février 1875, Don Bosco demanda au Saint-Père Pie IX la grâce d’avoir un cardinal protecteur :

« Au cours de la même audience, il demanda au Pape s’il devait, comme les autres congrégations religieuses, demander un cardinal protecteur. Le Pape lui répondit textuellement : Tant que je vivrai, je serai toujours votre protecteur et celui de votre congrégation » (MB XI, 113).

Cependant, conscient de la nécessité de disposer d’une personne de référence ayant l’autorité nécessaire pour accomplir diverses tâches pour la Société salésienne, Don Bosco revint en 1876 demander au Pape un cardinal protecteur :

« Ayant alors demandé que, pour démêler nos affaires ecclésiastiques à Rome, il nous assigne un cardinal protecteur pour plaider nos causes auprès du Saint-Siège, comme le font tous les autres ordres et congrégations, il me dit en souriant : – Mais combien de protecteurs voulez-vous ? Vous n’en avez pas assez d’un ? – Il m’a fait comprendre : je veux être votre cardinal protecteur ; en voulez-vous encore plus ? En entendant des paroles d’une telle bonté, je l’ai remercié de tout cœur et je lui ai dit : – Saint-Père, quand vous dites cela, je ne cherche plus d’autre défenseur. » (MB XII, 221-222).

Après cette réponse satisfaisante, Don Bosco obtint cependant un cardinal protecteur au cours de la même année 1876 :

« 3° J’ai demandé un cardinal protecteur pour me mettre en communication avec Sa Sainteté. Au début, il m’a semblé qu’il souhaitait lui-même être notre protecteur, mais lorsque je lui ai fait remarquer que le cardinal protecteur était en fait un référendaire des choses salésiennes auprès de Sa Sainteté, que nous ne pouvions pas traiter ces questions dans les Sacrées Congrégations parce que nous étions loin, Sa Sainteté serait notre Protecteur de facto et le Cardinal s’occuperait de nos affaires dans les différents dicastères et qu’il en référerait ensuite à Sa Sainteté. – Dans ce sens, tout va bien, a-t-il ajouté, et je communiquerai tout cela à la Congrégation des Évêques et Religieux.Le cardinal Oreglia sera le protecteur de nos Missions, des Coopérateurs salésiens, de l’Œuvre de Marie-Auxiliatrice, de l’Archiconfrérie des Dévots de Marie-Auxiliatrice et de toute la Congrégation salésienne pour les affaires qui devront être traitées à Rome auprès du Saint-Siège ». (MB XIII, 496-497)

Don Bosco mentionne ce cardinal dans son écrit « La plus belle fleur du collège apostolique ou l’élection de Léon XIII » (pp. 193-194) :

« XXVIII. Cardinal Luigi Oreglia
Luigi Oreglia dei Baroni di S. Stefano honore le Piémont comme le cardinal Bilio, car il est né à Benevagienna dans le diocèse de Mondovì le 9 juillet 1828. Il fit ses études de théologie à Turin sous la direction de nos valeureux professeurs, qui admiraient son esprit de discernement et son infatigable amour du travail. Il se rendit ensuite à Rome, à l’Académie ecclésiastique, où il acheva avec brio son éducation religieuse et se consacra à l’étude des langues, en particulier de l’allemand, langue dans laquelle il est très doué. Entré dans la prélature, il fut nommé le 15 avril 1858 référendaire de la Signature, puis envoyé comme internonce à La Haye en Hollande, d’où il se rendit au Portugal, après avoir été préconisé archevêque de Damiette, succédant dans cette importante charge diplomatique au très éminent cardinal Perrieri. Au Portugal il trouva certaines traditions de Pombal encore vivantes, qu’il combattit avec beaucoup d’intelligence et de courage. Ce qui lui valut de ne pas être trop apprécié par les gouvernants de l’époque. Il retourna à Rome et pour montrer que si s’il cessait de représenter le Saint-Siège au Portugal, ce n’était pas pour un quelconque démérite, le Saint-Père le créa et le publia cardinal au Consistoire du 22 décembre 1873, en lui donnant le titre de Sainte-Anastasie et en le nommant préfet de la Sacrée Congrégation des Indulgences et des Saintes Reliques. Le cardinal Oreglia allie aux nobles manières du gentilhomme les vertus du prêtre exemplaire. Il a été toujours cher à Pie IX, qui aimait sa conversation pleine de réserve et de grâce. Il va lentement avant de s’engager dans une affaire, mais lorsqu’il donne sa parole, il ne craint ni la fatigue ni les ennuis pourvu que tout aille bien. Il est très généreux en aumônes. Le nouveau Pontife le tient en haute estime et l’a confirmé dans la charge de préfet de la Sacrée Congrégation des Indulgences et des Saintes Reliques ».

Le cardinal Luigi Oreglia fut protecteur des Salésiens de 1876 à 1878, bien qu’il ait déjà exercé cette fonction de manière informelle avant 1876.

Mais le premier cardinal protecteur officiel des Salésiens fut Lorenzo Nina, qui exerça cette fonction de 1879 à 1885. Léon XIII accéda à la demande de Don Bosco d’avoir un cardinal protecteur pour la Société, et la notification officielle arriva après l’audience du 29 mars 1879 :

Six jours après cette audience, dans une note de la Secrétairerie d’État portant la signature de Mgr Serafino Cretoni, Don Bosco fut officiellement informé de la nomination du Protecteur, en ces termes fort honorables : « La Sainteté de Notre-Seigneur, souhaitant que la Congrégation salésienne, qui acquiert chaque jour de nouveaux titres à la bienveillance spéciale du Saint-Siège pour ses œuvres de charité et de foi implantées dans plusieurs parties du monde, ait un protecteur spécial, a daigné confier cet office au Cardinal Lorenzo Nina, son Secrétaire d’État  ». À l’époque de Pie IX, le cardinal Oreglia exerçait la fonction de Protecteur, mais seulement à titre officieux, car ce Pontife s’était réservé la protection de la Société, qui avait besoin d’une assistance spéciale et paternelle à ses débuts. Mais à présent, elle avait un Protecteur proprement dit, à l’instar des autres congrégations religieuses. Le choix ne pouvait pas tomber sur un prélat plus bienveillant, qui avait connu Don Bosco avant le cardinalat, le tenait en très haute estime et avait pour lui une affection sincère. Sollicité par Don Bosco pour être le Protecteur des Salésiens, il se montra très disposé, en lui disant : – Je ne pourrais pas me proposer moi-même au Saint-Père pour cet office, mais si le Saint-Père me le dit, j’accepte tout de suite. – Il donna une preuve éloquente de ses bonnes dispositions lorsque le Bienheureux proposa à Son Éminence, qui avait tant à faire, de lui adjoindre une personne qui s’occuperait de l’affaire des Missions. Le Cardinal répondit : – Non, non ; je veux que nous nous en occupions directement ; venez demain à quatre heures et demie, et nous en parlerons mieux. C’est un miracle de voir une Congrégation s’élever en ces temps sur les ruines des autres, à une époque où l’on voudrait tout détruire. – Le Bienheureux a pu constater souvent combien cette protection affectueuse lui était bénéfique. De retour à Turin et après avoir informé le Chapitre Supérieur de la désignation pontificale de Protecteur, il envoya au Cardinal, au nom de toute la Congrégation, une lettre de remerciement pour avoir daigné accepter cette charge, et d’hommage très cordial et de prière pour les Missions et peut-être aussi pour les privilèges. C’est ce que nous laisse supposer la réponse de Son Éminence ». (MB XIV, 78-79)

Désormais, la Congrégation salésienne aura toujours un cardinal protecteur très influent au sein de la Curie romaine.

Outre cette figure officielle, il y a toujours eu d’autres cardinaux et hauts prélats qui, comprenant l’importance de l’éducation, ont soutenu les Salésiens. Il s’agit des cardinaux Alessandro Barnabò (1801-1874), Giuseppe Berardi (1810-1878), Gaetano Alimonda (1818-1891), Luigi Maria Bilio (1826-1884), Luigi Galimberti (1836-1896), Augusto Silj (1846-1926) et bien d’autres encore.

Liste des Protecteurs de la Société salésienne de Saint Jean Bosco :

  Cardinal Protecteur SDB Période Nomination
  Le bienheureux pape Pie IX    
1 Luigi OREGLIA 1876-1878  
2 Lorenzo NINA 1879-1885 29.03.1879 (MB XIV,78-79)
3 Lucido Maria PAROCCHI 1886-1903 12.04.1886 (ASV, Segr. Stato, 1886, prot. 66457 ; ASC D544, Cardinal Protecteurs, Parocchi)
4 Mariano RAMPOLLA DEL TINDARO 1903-1913 31.03.1093 (lettre du cardinal Rampolla à Don Rua)
5 Pietro GASPARRI 1914-1934 09.10.1914 (AAS 1914-006, p. 22)
6 Eugenio PACELLI (Pie XII) 1935-1939 02.01.1935 (AAS 1935-027, p.116)
7 Vincenzo LA PUMA 1939-1943 24.05.1939 (AAS 1939-031, p. 281)
8 Carlo SALOTTI 1943-1947 29.12.1943 (AAS 1943-036, p. 61)
9 Benedetto Aloisi MASELLA 1948-1970 10.02.1948 (AAS 1948-040, p.165)

Le dernier protecteur des Salésiens a été le cardinal Benedetto Aloisi Masella. Le rôle des protecteurs a été annulé en 1964 par la Secrétairerie d’État lors du Concile Vatican II. Les protecteurs en exercice sont restés jusqu’à leur mort, et avec eux la charge qu’ils avaient reçue a également disparu.

Cela est arrivé parce que, dans le contexte contemporain, le rôle du cardinal protecteur a perdu de sa pertinence formelle. L’Église catholique a connu de nombreuses réformes au cours du XXe siècle, et nombre des fonctions autrefois déléguées aux cardinaux protecteurs ont été intégrées dans les structures officielles de la Curie romaine ou ont été rendues obsolètes par les changements intervenus dans la gouvernance ecclésiastique. Cependant, même si la figure du cardinal protecteur n’existe plus avec les mêmes prérogatives que par le passé, le concept de protection ecclésiastique reste important.

Aujourd’hui, les Salésiens, comme beaucoup d’autres congrégations, maintiennent une relation étroite avec le Saint-Siège à travers divers dicastères et bureaux de la Curie, en particulier le Dicastère pour les Instituts de vie consacrée et les Sociétés de vie apostolique. En outre, de nombreux cardinaux continuent à soutenir personnellement la mission des Salésiens, même sans le titre officiel de protecteur. Cette proximité et ce soutien restent essentiels pour que la mission salésienne continue à répondre aux défis du monde contemporain, en particulier dans le domaine de l’éducation des jeunes et celui des missions.

L’institution des cardinaux protecteurs de la Société salésienne a été un élément crucial de sa croissance et de sa consolidation. Grâce à la protection offerte par ces éminentes personnalités ecclésiastiques, Don Bosco et ses successeurs ont pu accomplir la mission salésienne avec plus de sérénité et de sécurité, sachant qu’ils pouvaient compter sur le soutien du Saint-Siège. Le rôle des cardinaux protecteurs s’est avéré essentiel non seulement pour défendre les droits de la congrégation, mais aussi pour favoriser son expansion dans le monde, en contribuant à la diffusion du charisme de Don Bosco et de son système éducatif.




La vie selon l’Esprit en Maman Marguerite (2/2)

(suite de l’article précédent)

4. L’exode vers le sacerdoce de son fils
            Depuis le rêve des neuf ans, où elle est la seule à pressentir la vocation de son fils (« peut-être deviendras-tu prêtre »), elle est le soutien le plus convaincu et le plus tenace de la vocation de son fils, affrontant pour cela humiliations et sacrifices : « Alors sa mère, qui voulait le soutenir au prix de n’importe quel sacrifice, n’hésita pas à prendre la résolution de le faire entrer l’année suivante dans les écoles publiques de Chieri. Elle s’occupa ensuite de trouver des personnes vraiment chrétiennes chez qui elle pourrait le mettre en pension ». Marguerite suit discrètement le parcours vocationnel et la formation de Jean, au milieu de graves difficultés financières.
            Elle le laisse toujours libre dans ses choix et n’a en aucun cas conditionné son cheminement vers la prêtrise. Mais lorsque le curé cherche à convaincre Marguerite d’empêcher Jean de choisir la vie religieuse, afin de lui garantir une sécurité financière et une aide, elle rejoint immédiatement son fils et prononce des paroles qui resteront gravées dans le cœur de Don Bosco pour le reste de sa vie : « Je veux seulement que tu examines attentivement le choix que tu veux faire, et que tu suives ta vocation sans te préoccuper de moi. Le curé voulait que je te dissuade de cette décision, en raison du besoin que je pourrais avoir dans l’avenir de ton aide. Mais je dis : je n’entre absolument pas dans cette façon de voir, parce que Dieu passe avant tout. Ne te préoccupe pas de moi. Je ne veux rien de toi, je n’attends rien de toi. Réfléchis bien : je suis né dans la pauvreté, j’ai vécu dans la pauvreté, je veux mourir dans la pauvreté. Je te le promets. Si tu te décides à devenir prêtre séculier et que par malheur tu deviennes riche, je ne viendrai pas te rendre une seule visite, je ne mettrai plus jamais les pieds chez toi. Souviens-toi bien de cela ! »
            Mais dans ce parcours vocationnel, elle ne manque pas de se montrer forte envers son fils, lui rappelant, à l’occasion de son départ pour le séminaire de Chieri, les exigences de la vie sacerdotale : « Jean, mon fils, tu as revêtu l’habit sacerdotal ; j’éprouve toute la consolation qu’une mère peut ressentir pour le bonheur de son fils. Mais souviens-toi que ce n’est pas l’habit qui honore ton état, c’est la pratique de la vertu. S’il t’arrive de douter de ta vocation, ne déshonore pas cet habit ! Dépose-le vite. J’aime mieux un pauvre paysan qu’un fils prêtre manquant à son devoir ». Don Bosco n’oubliera jamais ces paroles de sa mère, expression à la fois de la conscience de sa dignité sacerdotale et fruit d’une vie profondément droite et sainte.
            Le jour de la première messe de Don Bosco, Marguerite intervient de nouveau avec des paroles inspirées par l’Esprit, exprimant à la fois la valeur authentique du ministère sacerdotal et l’abandon total de son fils à sa mission, sans aucune prétention ni demande de sa part : « Tu es prêtre, tu dis la messe, tu es désormais plus proche de Jésus-Christ. Mais n’oublie pas que commencer à dire la messe, c’est commencer à souffrir. Tu ne t’en rendras pas compte tout de suite, mais peu à peu tu verras que ta mère t’a dit la vérité. Je suis sûre que tu prieras pour moi tous les jours, que je sois encore en vie ou déjà morte ; cela me suffit. Désormais, ne pense qu’au salut des âmes et n’aie aucune préoccupation pour moi ». Elle renonce complètement à son fils pour l’offrir au service de l’Église. Mais en le perdant, elle le retrouve en partageant sa mission éducative et pastorale auprès des jeunes.

5. L’exode des Becchi vers le Valdocco
            Don Bosco avait apprécié et reconnu les grandes valeurs qu’il avait puisées dans sa famille : la sagesse paysanne, la bonne ruse paysanne, le sens du travail, la recherche de l’essentiel dans la vie, l’ardeur au travail, l’optimisme à toute épreuve, la résistance dans les moments difficiles, la capacité de rebondir après les coups, la gaieté toujours et malgré tout, l’esprit de solidarité, la foi vivante, la vérité et l’intensité des affections, le goût de l’accueil et de l’hospitalité. Toutes ces bonnes choses, il les avait trouvées chez lui, faisant de lui ce qu’il était. Il est tellement marqué par cette expérience que, lorsqu’il pense à une institution éducative pour ses garçons, il ne veut pas d’autre appellation que celle de « maison » et définit l’esprit qui devait l’imprégner en employant l’expression « esprit de famille ». Et pour lui donner cette bonne empreinte, il demande à Maman Marguerite, maintenant âgée et fatiguée, de quitter la tranquillité de sa petite maison sur la colline pour descendre en ville et s’occuper de ces garçons ramassés dans les rues, qui lui donneront beaucoup de soucis et d’épreuves. Mais elle y va pour aider Don Bosco et pour être la mère de ceux qui n’ont plus de famille ni d’affection. Si Jean Bosco apprend à l’école de Maman Marguerite l’art d’aimer concrètement, généreusement, de façon désintéressée et sans distinction, sa mère partagera le choix de son fils de consacrer sa vie au salut des jeunes jusqu’au bout. Cette communion d’esprit et d’action entre le fils et la mère marque le début de l’œuvre salésienne, impliquant de nombreuses personnes dans cette aventure divine. Parvenu à une situation paisible, elle accepte, n’étant plus toute jeune, de quitter la vie tranquille et la sécurité des Becchi, pour aller dans une banlieue de Turin et dans une maison sans confort. C’est un véritable nouveau départ dans sa vie !

            Alors Don Bosco, après avoir pensé et repensé à la manière de sortir des difficultés, alla parler à son curé de Castelnuovo, lui faisant part de son besoin et de ses craintes.
            – Tu as ta mère ! répondit le curé sans hésiter, fais-la venir avec toi à Turin.
Don Bosco, qui avait prévu cette réponse, voulut ajouter quelques réflexions, mais Don Cinzano lui répondit :
            – Emmène ta mère avec toi. Tu ne trouveras personne de mieux qu’elle pour ce travail. Sois tranquille, tu auras un ange à tes côtés ! Don Bosco rentre chez lui, convaincu par les raisons que lui a présentées le prévôt. Cependant, deux raisons le retiennent encore. La première était la vie de privations et de changements d’habitudes à laquelle sa mère serait naturellement soumise dans cette aventure. La seconde venait de la répugnance qu’il éprouvait à proposer à sa mère une charge qui l’aurait rendue en quelque sorte dépendante de lui. Pour Don Bosco, sa mère était tout et, avec son frère Joseph, il avait l’habitude de faire de ses moindres désirs une loi incontestable. Cependant, après avoir réfléchi et prié, voyant qu’il n’y avait plus d’autre choix, il conclut :
            – Ma mère est une sainte, je peux donc lui faire la proposition !
Un jour, il la prit donc à part et lui parla ainsi :
            – J’ai décidé, maman, de retourner à Turin parmi mes chers jeunes. Désormais, comme je n’habiterai plus au Refuge, j’aurais besoin d’une personne pour le service. Mais l’endroit où je devrai habiter dans le Valdocco est très risqué à cause de certaines personnes qui vivent près de là, et cela ne me laisse pas tranquille. J’ai donc besoin d’avoir à mes côtés une sauvegarde qui enlève aux malveillants tout motif de suspicion et de commérage. Vous seul pourriez m’ôter toute crainte ; ne voudriez-vous pas venir et rester avec moi ? À cette sortie inattendue, la pieuse femme resta quelque peu pensive, puis répondit :
            – Mon cher fils, tu peux t’imaginer combien il me coûte de quitter cette maison, ton frère et les autres êtres chers ; mais si tu penses qu’une telle chose peut plaire au Seigneur, je suis prête à te suivre. Don Bosco la rassura et, en la remerciant, conclut :
            – Alors, arrangeons les choses, et après la Toussaint nous partirons. Marguerite alla vivre avec son fils, non pas pour mener une vie plus confortable et plus agréable, mais pour partager avec lui les difficultés et les souffrances de centaines d’enfants pauvres et abandonnés. Elle y alla, non pas attirée par l’appât du gain, mais par l’amour de Dieu et des âmes, parce qu’elle savait que le ministère sacré que Don Bosco avait assumé, loin de lui donner des ressources ou des profits, l’obligeait à dépenser ses propres biens, et aussi à demander l’aumône. Elle ne s’arrêta pas ; au contraire, admirant le courage et le zèle de son fils, elle se sentit encore plus encouragée à devenir sa compagne et son imitatrice, jusqu’à sa mort.

            Marguerite vécut à l’Oratoire en apportant la chaleur maternelle et la sagesse d’une femme profondément chrétienne, un dévouement héroïque à son fils dans les moments difficiles pour sa santé et sa sécurité physique, exerçant ainsi une authentique maternité spirituelle et matérielle à l’égard de son fils prêtre. En effet, elle s’installe au Valdocco non seulement pour collaborer à l’œuvre entreprise par son fils, mais aussi pour écarter toute occasion de médisance qui pourrait naître de la proximité de locaux équivoques.
            Elle quitte la sécurité tranquille de la maison de Joseph pour s’aventurer avec son fils dans une mission difficile et risquée. Elle vit son temps dans un dévouement sans réserve aux jeunes « dont elle était devenue la mère ». Elle aime les gamins de l’oratoire comme ses propres enfants et travaille pour leur bien-être, leur éducation et leur vie spirituelle, donnant à l’oratoire cette atmosphère familiale qui sera une caractéristique des maisons salésiennes dès le début. « S’il y a la sainteté des extases et des visions, il y a aussi celle des casseroles à nettoyer et des chaussettes à raccommoder. Maman Marguerite était une sainte de cette sorte ».
            Dans ses relations avec les garçons, elle était exemplaire, se distinguant par la finesse de sa charité et son humilité dans le service, se réservant les occupations les plus humbles. Son intuition de mère et de femme spirituelle lui fit reconnaître en Dominique Savio le travail extraordinaire de la grâce.
            Cependant, même à l’Oratoire, les épreuves ne manquent pas et lorsqu’elle connut un moment d’hésitation dû à la dureté de l’expérience, causée par une vie très exigeante, le regard sur le Crucifix indiqué par son fils suffit à lui insuffler une nouvelle énergie : « À partir de cet instant, aucune parole de lamentation ne s’échappa plus de ses lèvres. En effet, à partir de ce moment-là, elle sembla insensible à ces misères ».
            Don Rua résume bien le témoignage de Maman Marguerite à l’oratoire, avec laquelle il a vécu pendant quatre ans : « Une femme vraiment chrétienne, pieuse, généreuse et courageuse, prudente, entièrement consacrée à la bonne éducation de ses enfants et de sa famille adoptive ».

6. L’exode vers la maison du Père
            Elle était née pauvre. Elle a vécu pauvre. Elle est morte pauvre, vêtue de la seule robe qu’elle avait ; dans sa poche se trouvaient 12 lires destinées à en acheter une nouvelle, qu’elle n’a jamais achetée.
            Même à l’heure de la mort, elle s’est tournée vers son fils tant aimé et lui a laissé des paroles dignes de la femme sage : « Aie une grande confiance en ceux qui travaillent avec toi dans la vigne du Seigneur… Fais attention, parce que beaucoup, au lieu de la gloire de Dieu, ne recherchent que leur propre avantage… Ne cherche ni l’élégance ni la splendeur dans les œuvres. Cherche la gloire de Dieu ; prends comme base la pauvreté en actes. Beaucoup aiment la pauvreté chez les autres, mais pas chez eux. L’enseignement le plus efficace est que nous soyons les premiers à faire ce que nous ordonnons aux autres ».
            Marguerite, qui avait consacré Giovanni à la Sainte Vierge, et à qui elle l’avait confié au début de ses études en lui recommandant la dévotion et la propagation de l’amour de Marie, le rassure maintenant : « La Sainte Vierge ne manquera pas de guider tes affaires ».
            Toute sa vie fut un don total de soi. Sur son lit de mort, elle peut dire : « J’ai fait tout ce que j’ai pu ». Elle meurt à l’âge de 68 ans à l’oratoire du Valdocco le 25 novembre 1856. Les garçons de l’Oratoire l’accompagnèrent au cimetière en la pleurant comme leur « Maman ».
            Très affligé, Don Bosco dit à Pietro Enria : « Nous avons perdu notre mère, mais je suis sûr qu’elle nous aidera du Ciel. C’était une sainte ! » Et Enria lui-même d’ajouter : « Don Bosco n’a pas exagéré en l’appelant sainte, parce qu’elle s’est sacrifiée pour nous et qu’elle a été une vraie mère pour nous tous ».

Conclusion
            Maman Marguerite fut une femme riche de vie intérieure et de foi granitique, sensible et docile à la voix de l’Esprit, prête à saisir et à réaliser la volonté de Dieu, attentive aux problèmes de son prochain, disponible pour subvenir aux besoins des plus pauvres et surtout des jeunes abandonnés. Don Bosco se souviendra toujours des enseignements et de ce qu’il avait appris à l’école de sa mère et cette tradition marquera son système éducatif et sa spiritualité. Don Bosco avait fait l’expérience que la formation de sa personnalité était vitalement enracinée dans l’extraordinaire climat de dévouement et de bonté de sa famille ; c’est pourquoi il voulut en reproduire les qualités les plus significatives dans son œuvre. Marguerite mêla sa vie à celle de son fils et aux débuts de l’œuvre salésienne elle fut la première « coopératrice » de Don Bosco ; par sa bonté active, elle devint l’élément maternel du Système Préventif. À l’école de Don Bosco et de Maman Marguerite, cela signifie prendre soin de la formation des consciences, éduquer à la force de la vie vertueuse en luttant sans rabais ni compromis contre le péché, avec l’aide des sacrements de l’Eucharistie et de la Réconciliation, grandir dans la docilité personnelle, familiale et communautaire aux inspirations et aux motions de l’Esprit Saint pour renforcer les raisons du bien et pour témoigner de la beauté de la foi.
            Pour toute la Famille salésienne, ce témoignage est une nouvelle invitation à avoir une attention privilégiée à la famille dans la pastorale des jeunes, en formant et en impliquant les parents dans l’action éducative et évangélisatrice de leurs enfants, en valorisant leur contribution dans les itinéraires d’éducation affective, et en favorisant de nouvelles formes d’évangélisation et de catéchèse de la famille et par la famille. Maman Marguerite est aujourd’hui un modèle extraordinaire pour les familles. Sa sainteté est une sainteté familiale comme femme, épouse, mère, veuve, éducatrice. Sa vie contient un message d’une grande actualité, en particulier dans la redécouverte de la sainteté du mariage.
            Mais il faut souligner un autre aspect : l’une des raisons fondamentales pour lesquelles Don Bosco a voulu que sa mère soit à ses côtés à Turin était de trouver en elle une gardienne de son propre sacerdoce. « Prends ta mère avec toi », lui avait suggéré le vieux curé. Don Bosco a pris Maman Marguerite dans sa vie de prêtre et d’éducateur. Enfant, orphelin, c’est sa mère qui l’a pris par la main ; jeune prêtre, c’est lui qui l’a prise par la main pour partager une mission spéciale. On ne peut comprendre la sainteté sacerdotale de Don Bosco sans la sainteté de Maman Marguerite, modèle non seulement de sainteté familiale, mais aussi de maternité spirituelle à l’égard des prêtres.




La vie selon l’Esprit en Maman Marguerite (1/2)

            Dans sa préface à la vie de Maman Marguerite, Don Lemoyne nous laisse un portrait vraiment singulier : « Nous ne raconterons pas des événements extraordinaires et héroïques, mais nous décrirons une vie simple, constante dans la pratique du bien, vigilante dans l’éducation de ses enfants, résignée et prévoyante dans les angoisses de la vie, résolue dans tout ce que le devoir lui imposait. Elle n’était pas riche, mais elle avait un cœur de reine ; elle n’était pas instruite dans les sciences profanes, mais elle était éduquée dans la sainte crainte de Dieu ; elle avait été privée très tôt de ceux qui devaient être son soutien, mais grâce à l’énergie de sa volonté et avec l’aide du ciel, elle a pu mener à bien la mission que Dieu lui avait confiée. »
            Ces paroles nous offrent les pièces d’une mosaïque et un canevas sur lequel nous pouvons construire l’aventure de l’Esprit que le Seigneur a fait vivre à cette femme qui, docile à l’Esprit, a retroussé ses manches et a affronté la vie avec une foi laborieuse et une charité maternelle. Nous suivrons les étapes de cette aventure avec la catégorie biblique de l’ »exode », expression d’un cheminement authentique dans l’obéissance de la foi. Maman Marguerite a vécu elle aussi ses « exodes », elle a marché vers « une terre promise », en traversant le désert et en surmontant les épreuves. Nous voyons ce parcours à la lumière de sa relation avec son fils et selon deux dynamiques typiques de la vie dans l’Esprit : l’une moins visible, constituée par le dynamisme intérieur du changement de soi, condition préalable et indispensable pour aider les autres ; l’autre plus immédiate et vérifiable : la capacité de retrousser les manches pour aimer son prochain en chair et en os, en venant en aide à ceux qui sont dans le besoin.

1. L’exode de Capriglio vers la ferme Biglione
            Marguerite a été éduquée dans la foi, a vécu et est morte dans la foi. « Dieu était au premier plan de toutes ses pensées ». Elle se sentait vivre en présence de Dieu et exprimait cette conviction par cette affirmation qui lui était habituelle : « Dieu te voit ». Tout lui parlait de la paternité de Dieu et elle avait une grande confiance dans la Providence, montrant sa gratitude envers Dieu pour les dons reçus et sa reconnaissance envers tous ceux qui étaient des instruments de la Providence. Marguerite passe sa vie dans une recherche continue et incessante de la volonté de Dieu, seul critère concret pour ses choix et ses actions.
            À l’âge de 23 ans, elle épouse François Bosco, veuf à 27 ans, avec un fils Antoine et une mère à demi paralysée. Marguerite devient non seulement épouse, mais aussi mère adoptive et aide pour sa belle-mère. Cette étape est la plus importante pour les deux époux car ils savent bien que le fait d’avoir reçu saintement le sacrement du mariage est pour eux une source de nombreuses bénédictions : pour la sérénité et la paix dans la famille, pour les futurs enfants, pour le travail et pour surmonter les moments difficiles de la vie. Marguerite vit son mariage avec François Bosco de manière fidèle et fructueuse. Les anneaux de mariage seront le signe d’une fécondité qui s’étendra à la famille fondée par son fils Giovanni. Tout cela suscitera chez Don Bosco et ses fils un grand sentiment de gratitude et d’amour pour ce couple de saints époux et parents.

2. L’exode de la ferme Biglione vers les Becchi
            Cinq ans à peine après leur mariage, en 1817, son mari Francesco meurt. Don Bosco se souvient qu’au moment de quitter la chambre, sa mère, en larmes, le « prit par la main » et le conduisit dehors. Voici l’icône spirituelle et éducative de cette mère : elle prend son fils par la main et le conduit dehors. Dès ce moment, il y a cette « prise par la main » qui unira la mère et le fils dans le parcours vocationnel et dans la mission éducative.
            Marguerite se trouve dans une situation très difficile d’un point de vue émotionnel et économique, notamment à cause d’un litige en forme de prétexte intenté par la famille Biglione. Il y a des dettes à payer, le dur travail des champs et une terrible famine à affronter, mais elle vit toutes ces épreuves avec une grande foi et une confiance inconditionnelle en la Providence.
            Le veuvage lui ouvre une nouvelle vocation d’éducatrice attentive et bienveillante à l’égard de ses enfants. Elle se consacre à sa famille avec ténacité et courage, refusant une proposition de mariage avantageuse : « Dieu m’a donné un mari et me l’a enlevé ; en mourant, il m’a confié trois enfants, et je serais une mère cruelle si je les abandonnais au moment où ils ont le plus besoin de moi… Le tuteur… est un ami, mais je suis la mère de mes enfants, je ne les abandonnerai jamais, même pour tout l’or du monde ».
            Elle éduque ses enfants avec sagesse, anticipant l’inspiration pédagogique du système préventif. C’est une femme qui a fait le choix de Dieu et qui sait transmettre à ses enfants, dans leur vie quotidienne, le sens de sa présence. Elle le fait de manière simple, spontanée, incisive, en saisissant chaque petite occasion pour les éduquer à vivre à la lumière de la foi. Elle le fait en anticipant cette méthode « du petit mot à l’oreille » que Don Bosco utilisera plus tard avec ses garçons pour les appeler à la vie de la grâce, à la présence de Dieu. Elle le fait en les aidant à reconnaître dans les créatures l’œuvre du Créateur, qui est un Père providentiel et bon. Elle le fait en racontant les faits de l’Évangile et la vie des saints.
            L’éducation chrétienne. Elle prépare ses enfants à recevoir les sacrements, en leur transmettant un sens aigu de la grandeur des mystères de Dieu. Jean Bosco a reçu sa première communion le jour de Pâques 1826 : « Ô mon cher fils, ce fut un grand jour pour toi. Je suis convaincue que Dieu a vraiment pris possession de ton cœur. Promets-lui maintenant de faire tout ce qui est en ton pouvoir pour que tu restes bon jusqu’à la fin de ta vie. » Ces paroles de Maman Marguerite font d’elle une véritable mère spirituelle de ses enfants, en particulier de Jean, qui se montrera immédiatement sensible à ces enseignements, qui ont la saveur d’une véritable initiation, expression de la capacité d’introduire au mystère de la grâce chez une femme inculte, mais riche de la sagesse des petits.
            La foi en Dieu se reflète dans l’exigence de rectitude morale qu’elle pratique elle-même et qu’elle inculque à ses enfants : « Contre le péché, elle avait déclaré une guerre perpétuelle. Non seulement elle abhorrait le mal, mais elle s’efforçait d’éloigner l’offense du Seigneur, même chez ceux qui ne lui appartenaient pas. Elle était donc toujours en alerte contre le scandale, prudente, mais résolue et au prix de n’importe quel sacrifice. »
            Le cœur qui anime la vie de Maman Marguerite est un immense amour et une grande dévotion envers l’Eucharistie. Elle en expérimente la valeur salvatrice et rédemptrice en participant au saint sacrifice et en acceptant les épreuves de la vie. C’est à cette foi et à cet amour qu’elle éduque ses enfants dès leur plus jeune âge, en leur transmettant cette conviction spirituelle et éducative qui fera de Don Bosco un prêtre amoureux de l’Eucharistie et qui fera de l’Eucharistie un pilier de son système éducatif.
            La foi s’exprime dans la vie de prière, et en particulier dans la prière en commun en famille. Maman Marguerite trouve la force d’une bonne éducation dans une vie chrétienne intense et attentive. Elle donne l’exemple et guide les enfants par sa parole. À son école, Giovannino apprend la force préventive de la grâce de Dieu sous une forme vitale. « L’instruction religieuse qu’une mère transmet par la parole, par l’exemple, en confrontant la conduite de son fils avec les préceptes particuliers du catéchisme, fait que la pratique de la Religion devient normale et que le péché est rejeté par instinct, tout comme le bien est aimée par instinct. Le bien devient une habitude, et la vertu ne coûte pas beaucoup d’efforts. Un enfant éduqué ainsi doit se faire violence pour devenir mauvais. Marguerite connaissait la puissance d’une telle éducation chrétienne et savait que la loi de Dieu, enseignée par le catéchisme tous les soirs et rappelée fréquemment même pendant la journée, était le moyen le plus sûr de rendre les enfants obéissants aux préceptes de leur mère. Elle répétait donc les questions et les réponses autant de fois qu’il le fallait pour que les enfants les apprennent par cœur. »

            Témoignage de charité. Dans sa pauvreté, elle pratique l’hospitalité avec joie, sans faire de distinctions ni d’exclusions ; elle aide les pauvres, visite les malades, et ses enfants apprennent d’elle à aimer les plus petits sans mesure. « Elle était d’un caractère très sensible, mais cette sensibilité s’est tellement transformée en charité qu’elle a pu être appelée à juste titre la mère de ceux qui étaient dans le besoin ». Cette charité se manifeste par une grande capacité à comprendre les situations, à respecter les personnes, à faire les bons choix au bon moment, à éviter les excès et à maintenir un grand équilibre : « Une femme pleine de bon sens » (Don Giacinto Ballesio). Le caractère raisonnable de ses enseignements, sa cohérence personnelle et sa fermeté sans colère touchent l’âme de ses enfants. Proverbes et dictons fleurissent avec aisance sur ses lèvres et y condensent des préceptes de vie : « Une mauvaise blanchisseuse ne trouve jamais la bonne pierre » ; « Qui ne sait pas à vingt ans, à trente ans ne fait pas et fou mourra » ; « La conscience est comme un chatouillement : certains la sentent, d’autres non ».
            Il convient en particulier de souligner que Jean Bosco sera un grand éducateur de garçons, « parce qu’il avait eu une mère qui avait éduqué son affectivité. Une mère bonne, aimable, forte. Elle a éduqué son cœur avec grand amour. On ne peut pas comprendre Don Bosco sans Maman Marguerite. On ne peut pas le comprendre. » Par sa médiation maternelle Maman Marguerite a contribué à l’œuvre de l’Esprit dans le façonnement et la formation du cœur de son fils. Don Bosco apprit à aimer, comme il le déclara lui-même, au sein de l’Eglise, grâce à Maman Marguerite et à l’intervention surnaturelle de Marie, qui lui fut donnée par Jésus comme « Mère et Maîtresse ».

(suite)




Nino, un jeune comme les autres… trouve le but de sa vie dans son Seigneur

            Nino (Antonino) Baglieri est né à Modica Alta le 1er mai 1951. Sa mère s’appelait Giuseppa et son père Pietro. Quatre jours après sa naissance, il est baptisé dans la paroisse Saint-Antoine de Padoue. Il grandit comme beaucoup de garçons, avec un groupe d’amis, quelques difficultés pendant les années scolaires et le rêve d’un avenir par le travail et la possibilité de fonder une famille.
            Quelques jours après son dix-septième anniversaire, célébré au bord de la mer avec ses amis, voici que le 6 mai 1968, jour de la commémoration liturgique de saint Dominique Savio, au cours d’une journée de travail ordinaire comme maçon, Nino fait une chute de 17 mètres, suite à l’effondrement de l’échafaudage de l’immeuble sur lequel il travaillait non loin de chez lui. Ces 17 mètres, écrira Nino dans son journal, représentent « 1 mètre pour chaque année de ma vie ». « Mon état, raconte-t-il, était si grave que les médecins s’attendaient à ce que je meure à tout moment (j’ai même reçu l’extrême-onction). [Un médecin] fit une proposition insolite à mes parents : – Si votre fils parvenait à survivre, ce qui serait déjà le résultat d’un miracle, il serait destiné à passer sa vie sur un lit ; si vous le voulez, avec une piqûre létale, vous vous épargnerez beaucoup de souffrances, à vous et à lui. – Si Dieu le veut auprès de lui, répondit ma mère, qu’il le prenne, mais s’il le laisse vivre, je serai heureuse de m’occuper de lui jusqu’à la fin de ses jours. C’est ainsi que ma mère, qui a toujours été une femme de grande foi et de grand courage, a ouvert ses bras et son cœur et a embrassé la croix la première. »
Nino connaîtra des années difficiles, passant d’un hôpital à un autre. Des thérapies et des opérations douloureuses le mettront à rude épreuve, sans pour autant aboutir à la guérison souhaitée. Il restera tétraplégique jusqu’à la fin de sa vie.
            De retour chez lui, suivi par l’affection de sa famille et le sacrifice héroïque de sa mère, toujours à ses côtés, Nino Baglieri retrouve le regard de ses amis et connaissances, mais voit trop souvent en eux une pitié qui le perturbe : « mischinu poviru Ninuzzu… (pauvre, mon pauvre Nino…) ». Il finit ainsi par se refermer sur lui-même pendant dix années douloureuses de solitude et de colère. Années de désespoir et de révolte, de non-acceptation de son état et de questions telles que : « Pourquoi tout cela m’est arrivé à moi ? »
            Le tournant se produisit le 24 mars 1978, la veille de l’Annonciation et, cette année-là, du vendredi saint. Un prêtre du Renouveau dans l’Esprit vint lui rendre visite avec quelques personnes qui ont prié sur lui. Le matin, Nino, encore alité, avait demandé à sa mère de l’habiller : « Si le Seigneur me guérit, je ne serai pas nu devant ces personnes ». Nous lisons dans son journal : « Le Père Aldo commença immédiatement la prière, j’étais anxieux et excité, il posa ses mains sur ma tête, je ne comprenais pas ce geste ; il commença à invoquer l’Esprit Saint pour qu’il descende sur moi. Après quelques minutes, sous l’imposition des mains, j’ai senti une grande chaleur dans tout mon corps, un grand picotement, comme une force nouvelle qui entrait en moi, une force régénératrice, une force Vive, et quelque chose de vieux qui en sortait. L’Esprit Saint était descendu sur moi, avec puissance il est entré dans mon cœur, c’était une Effusion d’Amour et de Vie, et à cet instant j’ai accepté la Croix, j’ai dit mon Oui à Jésus et je suis né à une Vie Nouvelle, je suis devenu un homme nouveau, avec un cœur nouveau. Tout le désespoir de 10 ans s’est effacé en quelques secondes, mon cœur s’est rempli d’une joie nouvelle et véritable que je n’avais jamais connue. Le Seigneur m’a guéri. Je voulais une guérison physique et au lieu de cela, le Seigneur a opéré quelque chose de plus grand, la Guérison de l’Esprit, et j’ai trouvé la Paix, la Joie, la Sérénité, une grande force et une grande volonté de vivre. À la fin de la prière, mon cœur débordait de joie, mes yeux brillaient et mon visage était radieux ; même si je restais dans ma condition de malade, j’étais heureux. »
            Une nouvelle période commence alors pour Nino Baglieri et pour sa famille, une période de renaissance marquée chez Nino par la redécouverte de la foi et de l’amour pour la Parole de Dieu, qu’il lit pendant un an d’affilée. Il s’ouvre aux relations humaines dont il s’était éloigné sans que jamais les autres ne cessent de l’aimer.
            Un jour, poussé par des enfants qui lui sont proches et qui lui demandent de les aider à faire un dessin, Nino se rend compte qu’il peut écrire avec la bouche. En peu de temps, il sera capable d’écrire très bien, mieux que lorsqu’il écrivait à la main. Cela lui permet d’objectiver sa propre expérience, aussi bien sous la forme très personnelle de nombreux carnets de bord qu’à travers des poèmes ou de courtes compositions qu’il commence à lire à la radio. Arriveront ensuite, avec l’élargissement de son réseau relationnel, des milliers de lettres, des amitiés, des rencontres…, à travers lesquelles Nino déploiera une forme particulière d’apostolat, jusqu’à la fin de sa vie.
Entre-temps, il approfondit son cheminement spirituel à travers trois lignes directrices qui rythment son expérience ecclésiale, dans l’obéissance aux rencontres que Dieu met sur son chemin : la proximité avec le Renouveau dans l’Esprit Saint ; le lien avec les Camilliens (Ministres des Infirmes) ; le cheminement avec les Salésiens, en devenant d’abord Salésien Coopérateur et ensuite laïc consacré dans l’Institut Séculier des Volontaires avec Don Bosco (sur les instances des délégués du Recteur Majeur, il donnera aussi sa contribution dans la rédaction du Projet de Vie des CDB). Ce furent d’abord les Camilliens qui lui proposèrent une forme de consécration qui, humainement parlant, semblait tenir compte de la spécificité de son existence, marquée par la souffrance. Mais la place de Nino était dans la maison de Don Bosco et il la découvrit avec le temps, non sans des moments de fatigue, mais toujours en se confiant à ceux qui le guidaient et en apprenant à confronter ses propres désirs aux voies par lesquelles l’Église appelle. Et tandis que Nino parcourait les étapes de la formation et de la consécration (jusqu’à sa profession perpétuelle le 31 août 2004), de nombreuses vocations – y compris au sacerdoce et à la vie consacrée féminine – ont puisé en lui inspiration, force et lumière.
            Le responsable mondial des CDB s’exprime ainsi sur le sens de la consécration laïque aujourd’hui, vécue également par Nino : « Nino Baglieri a été pour nous, Volontaires avec Don Bosco, un don spécial du ciel : il est le premier parmi nous, ses frères, qui nous montre un chemin de sainteté à travers un témoignage humble, discret et joyeux. Nino a pleinement réalisé la vocation à la sécularité consacrée salésienne et nous enseigne que la sainteté est possible dans toutes les conditions de vie, même celles qui sont marquées par la rencontre avec la croix et la souffrance. Nino nous rappelle que nous pouvons tous être vainqueurs en Celui qui nous donne la force. La Croix qu’il a tant aimée, comme un époux fidèle, a été le pont par lequel il a uni son histoire personnelle d’homme à l’histoire du salut ; elle a été l’autel sur lequel il a célébré son sacrifice de louange au Seigneur de la vie ; elle a été son échelle vers le paradis. Animés par son exemple, nous aussi, comme Nino, nous pouvons devenir capables de transformer toutes les réalités quotidiennes comme un bon levain, certains de trouver en lui un modèle et un puissant intercesseur auprès de Dieu. »
            Nino, qui ne peut pas bouger, est Nino qui, avec le temps, apprend à ne pas fuir, à ne pas se soustraire aux demandes. Il devient de plus en plus accessible et simple comme son Seigneur. Son lit, sa petite chambre ou son fauteuil roulant sont ainsi transfigurés en un « autel » où tant de personnes apportent leurs joies et leurs peines : il les accueille, il s’offre et offre ses propres souffrances pour eux. Nino, « l’homme qui tient bon », est l’ami sur lequel on peut « décharger » de nombreux soucis et « déposer » des fardeaux : il les accueille avec le sourire, même si des moments de grande épreuve morale et spirituelle, bien gardés dans le secret, ne manqueront pas dans sa vie.
            Dans les lettres, dans les rencontres, dans les amitiés, il fait preuve d’un grand réalisme et sait toujours être vrai, reconnaissant sa propre petitesse mais aussi la grandeur du don de Dieu en lui et à travers lui.
            Au cours d’une rencontre avec des jeunes à Lorette, en présence du Cardinal Angelo Comastri, il dira : « Si l’un d’entre vous est en état de péché mortel, il est bien plus malheureux que moi. » C’était l’expression de la conviction toute salésienne qu’il vaut « plutôt la mort que les péchés », et que les vrais amis doivent être Jésus et Marie, dont il ne faut jamais se séparer.
            L’évêque du diocèse de Noto, Mgr Salvatore Rumeo, souligne que « la divine aventure de Nino Baglieri nous rappelle à tous que la sainteté est possible et qu’elle n’appartient pas aux siècles passés. La sainteté est le chemin pour atteindre le Cœur de Dieu. Dans la vie chrétienne, il n’y a pas d’autres solutions. Embrasser la Croix signifie être avec Jésus dans la saison de la souffrance pour participer à sa Lumière. Et Nino est dans la lumière de Dieu ».
            Nino est né au Ciel le 2 mars 2007, après avoir célébré sans interruption le 6 mai (jour de la chute en 1982) son « anniversaire de la Croix ».
            Après sa mort, on l’a vêtu d’une tenue et de chaussures de gymnastique, afin que, comme il l’avait dit, « lors de mon dernier voyage vers Dieu, je puisse courir vers lui ».
            Aussi Don Giovanni d’Andrea, provincial des Salésiens de Sicile, nous invite-t-il à « …connaître toujours mieux la personne de Nino et son message d’espérance. Nous aussi, comme Nino, nous voulons mettre « une tenue et des chaussures » et « courir » sur le chemin de la sainteté, c’est-à-dire réaliser le Rêve de Dieu pour chacun de nous, le Rêve que nous sommes : être « heureux dans le temps et dans l’éternité », comme l’a écrit Don Bosco dans sa Lettre de Rome du 10 mai 1884″.
            Dans son testament spirituel, Nino nous exhorte à « ne pas le laisser sans rien faire ». Sa Cause de béatification et de canonisation est désormais l’instrument mis à notre disposition par l’Église pour apprendre à le connaître et à l’aimer toujours plus, pour le rencontrer comme ami et exemple à la suite de Jésus, pour nous tourner vers lui dans la prière, en lui demandant ces grâces qui sont déjà arrivées en grand nombre.
            « Le témoignage de Nino – note Don Cameroni, le postulateur général des salésiens – peut être un signe d’espérance pour ceux qui sont dans l’épreuve et la douleur, et pour les nouvelles générations, afin qu’elles apprennent à affronter la vie avec foi et courage, sans se décourager ni se laisser abattre. Nino nous sourit et nous soutient pour que, comme lui, nous puissions « courir » vers la joie du ciel ».
            À la fin de la séance de clôture de l’enquête diocésaine, Mgr Rumeo a déclaré : « C’est une grande joie d’avoir franchi cette étape pour Nino et surtout pour l’Église de Noto. Nous devons prier Nino, nous devons intensifier notre prière, nous devons demander une grâce à Nino pour qu’il puisse intercéder depuis le ciel. C’est une invitation à parcourir le chemin de la sainteté. La voie de la sainteté est un art difficile parce que le cœur de la sainteté est l’Évangile. Être saint signifie accepter la parole du Seigneur : à celui qui te frappe sur la joue, offre aussi l’autre, à celui qui te demande ton manteau, offre aussi ta tunique. C’est cela la sainteté ! […] Dans un monde où l’individualisme prévaut, nous devons choisir comment nous comprenons la vie : soit nous choisissons la récompense des hommes, soit nous recevons la récompense de Dieu. Jésus l’a dit, il est venu et reste un signe de contradiction parce qu’il est la ligne de partage des eaux, l’année zéro. La venue du Christ devient l’aiguille de la balance : avec lui ou contre lui. Aimer et nous aimer, telle est l’exigence qui doit guider notre existence. »

Roberto Chiaramonte




Don Bosco et sa mère

            En 1965, on a commémoré le 150ème anniversaire de la naissance de Don Bosco. Parmi les conférences données à cette occasion, il y eut celle de Mgr Giuseppe Angrisani, alors évêque de Casale et président national des anciens élèves prêtres. Dans son discours, l’orateur, se référant à Maman Marguerite, a dit de Don Bosco : « Heureusement pour lui, cette mère a été à ses côtés pendant de nombreuses années, et je pense et je crois avoir raison de dire que l’aigle des Becchi n’aurait pas volé jusqu’au bout du monde si l’hirondelle de la Serra di Capriglio n’était pas venue faire son nid sous la poutre de la très humble maison de la famille Bosco » (BS, sept. 1966, p. 10).
            L’image de l’illustre orateur est hautement poétique, mais elle exprime une réalité. Ce n’est pas pour rien que 30 ans plus tôt, G. Joergensen, sans vouloir profaner l’Ecriture Sainte, se permettait de commencer son Don Bosco publié par SEI par ces mots : « Au commencement était la mère ».
            L’influence maternelle dans les attitudes religieuses de l’enfant et dans la religiosité de l’adulte est reconnue par les experts en psychologie religieuse et est, dans notre cas, plus qu’évidente : saint Jean Bosco, qui a toujours eu la plus grande vénération pour sa mère, a copié d’elle un profond sens religieux de la vie. « Dieu dominait l’esprit de Don Bosco comme un soleil méridien » (Pietro Stella).

Dieu au sommet de ses pensées
            C’est un fait facile à documenter : Don Bosco a toujours eu Dieu au sommet de toutes ses pensées. Homme d’action, il était avant tout un homme de prière. Il rappelle lui-même que ce fut sa mère qui lui avait appris à prier, c’est-à-dire à converser avec Dieu :
            – Elle me faisait mettre à genoux avec mes frères matin et soir, et nous disions tous ensemble nos prières (MO 21-22).
            Lorsque Jean dut quitter le toit de sa mère pour aller travailler comme ouvrier agricole dans la ferme des Moglia, la prière était déjà sa nourriture et son réconfort habituels. Dans cette maison de Moncucco, « les devoirs d’un bon chrétien étaient accomplis avec la régularité d’habitudes domestiques invétérées, toujours tenaces dans les familles campagnardes, très tenaces à cette époque de saine vie rurale » (E. Ceria). Mais Jean faisait déjà quelque chose de plus : il priait à genoux, il priait souvent, il priait longuement. Même à l’extérieur de la maison, lorsqu’il conduisait les vaches au pâturage, il s’arrêtait de temps en temps pour prier.
            Sa mère avait également instillé dans son cœur une tendre dévotion à la Sainte Vierge. Lorsqu’il est entré au séminaire, elle lui a dit :
            – Quand tu es venu au monde, je t’ai consacré à la Sainte Vierge ; quand tu as commencé tes études, je t’ai recommandé la dévotion à cette Mère ; et si tu deviens prêtre, recommande et propage toujours la dévotion à Marie (MO, 89).
            Maman Marguerite, après avoir éduqué son fils Jean dans la petite maison des Becchi, après l’avoir maternellement suivi et encouragé dans son dur parcours vocationnel, vécut encore dix ans à ses côtés, assumant un rôle maternel très délicat dans l’éducation des jeunes qu’il avait recueillis, avec un style qui se perpétue dans tant d’aspects de la praxis éducative de Don Bosco : conscience de la présence de Dieu, assiduité qui est sens de la dignité humaine et chrétienne, courage qui inspire les œuvres, raison qui est dialogue et acceptation des autres, amour exigeant mais rassurant.
            Sans aucun doute, la mère a donc joué un rôle unique dans l’éducation et l’apostolat précoce de son fils, influençant profondément l’esprit et le style de son travail futur.
            Devenu prêtre et ayant commencé à travailler parmi les jeunes, Don Bosco donna le nom d’Oratoire à son œuvre. Ce n’est pas sans raison que le centre propulseur de toutes les œuvres de Don Bosco s’appelait l’Oratoire. Le titre indique l’activité dominante, le but principal d’une entreprise. Et Don Bosco, comme il l’a lui-même avoué, a donné le nom d’Oratoire à sa « maison » pour indiquer clairement que la prière était le seul pouvoir sur lequel il comptait.
            Il n’avait pas d’autre pouvoir à sa disposition pour animer ses oratoires, lancer l’hospice, résoudre le problème du pain quotidien, jeter les bases de sa Congrégation. Beaucoup, nous le savons, ont même douté de sa santé mentale.
            Ce que les grands ne comprenaient pas, les petits le comprenaient en revanche, c’est-à-dire les jeunes qui, après l’avoir connu, ne pouvaient plus s’en détacher. Ils voyaient en lui l’image vivante du Seigneur. Toujours calme et serein, tout à leur disposition, fervent dans la prière, facétieux dans la parole, paternel pour les guider vers le bien, gardant toujours vivante en chacun l’espérance du salut. Si quelqu’un, affirme un témoin, lui avait demandé de but en blanc : Don Bosco, où allez-vous ? il aurait répondu : Allons au Paradis !
            Ce sens religieux de la vie, qui imprègne toutes les œuvres et tous les écrits de Don Bosco, est un héritage évident de sa mère. La sainteté de Don Bosco était puisée à la source divine de la Grâce et modelée sur le Christ, maître de toute perfection, mais elle s’enracinait dans une valeur spirituelle maternelle, la sagesse chrétienne. Le bon arbre produit de bons fruits.

C’est ce qu’elle lui avait enseigné
            La mère de Don Bosco, Marguerite Occhiena, partageait avec son fils au Valdocco une vie de privations et de sacrifices depuis novembre 1846, date à laquelle, à 58 ans, elle avait quitté sa petite maison des Becchi, une vie de privations et de sacrifices entièrement consacrée aux enfants de la banlieue de Turin. Quatre années s’étaient écoulées et elle sentait ses forces décliner. Une grande lassitude avait pénétré ses os, une forte nostalgie dans son cœur. Elle entra dans la chambre de Don Bosco et lui dit : « Écoute-moi, Jean, il n’est plus possible de continuer ainsi. Chaque jour, les garçons me font un coup. Parfois, ils jettent par terre mon linge propre qui repose au soleil, parfois ils piétinent mes légumes dans le jardin. Ils déchirent mes vêtements de telle sorte qu’il n’y a plus moyen de les rapiécer. Ils perdent les chaussettes et les chemises. Ils emportent les outils de la maison pour s’amuser et me font marcher toute la journée pour les retrouver. Moi, au milieu de cette confusion, je perds la tête, vois ! Je suis sur le point de retourner aux Becchi ».
            Don Bosco fixa le visage de sa mère, sans parler. Puis il lui montra le crucifix accroché au mur. Maman Marguerite comprit. Ses yeux se remplirent de larmes.
            – Tu as raison, tu as raison, s’exclama-t-elle ; et elle retourna à ses tâches, pendant encore six ans, jusqu’à sa mort (G.B. LEMOYNE, Mamma Margherita, Torino, SEI, 1956, p. 155-156).
            Maman Marguerite nourrissait une profonde dévotion à la Passion du Christ, à cette Croix qui donnait sens, force et espérance à toutes ses croix. Elle l’avait enseigné à son fils. Un seul regard sur le Crucifix lui suffisait ! Pour elle, la vie était une mission à accomplir, le temps un don de Dieu, le travail une contribution humaine au plan du Créateur, l’histoire humaine une chose sacrée parce que Dieu, notre Seigneur, Père et Sauveur, est au centre, au début et à la fin du monde et de l’homme.
            Elle avait enseigné tout cela à son fils par la parole et par l’exemple. Mère et fils : une foi et une espérance placées en Dieu seul, et une charité ardente qui a brûlé dans leurs cœurs jusqu’à la mort.




Vénérable Dorothée de Chopitea

Qui était Dorothée de Chopitea ? Coopératrice salésienne, véritable mère des pauvres de la ville de Barcelone, créatrice de nombreuses institutions au service de la charité et de la mission apostolique de l’Église. Sa figure revêt aujourd’hui une importance particulière et nous encourage à imiter son exemple d’être « miséricordieux comme le Père ».

Un biscaïen au Chili
En 1790, sous le règne de Charles IV, un Biscayen, Pedro Nicolás de Chopitea, originaire de Lequeitio, émigre au Chili, qui fait alors partie de l’Empire espagnol. Le jeune émigrant prospère et épouse une jeune créole, Isabel de Villota.

Don Pedro Nolasco Chopitea et Isabel Villota s’installèrent à Santiago du Chili. Dieu leur accorda une nombreuse famille de 18 enfants, mais seuls 12 survécurent, cinq garçons et sept filles. La plus jeune d’entre elles naquit, fut baptisée et confirmée le même jour, le 5 août 1816, et reçut les noms d’Antonia, Dorotea et Dolores, bien qu’elle ait toujours été connue sous le nom de Dorotea, qui signifie en grec « don de Dieu ». La famille de Pierre et d’Élisabeth était riche, chrétienne et soucieuse d’utiliser ses richesses au profit des pauvres qui l’entouraient.

En 1816, année de la naissance de Dorothée, les Chiliens ont commencé à réclamer ouvertement leur indépendance vis-à-vis de l’Espagne, qu’ils ont obtenue en 1818. L’année suivante, Don Pedro, qui s’était rangé du côté des royalistes, c’est-à-dire en faveur de l’Espagne, et avait été emprisonné pour cela, transféra sa famille de l’autre côté de l’Atlantique, à Barcelone, afin que l’agitation politique ne compromette pas ses enfants plus âgés, tout en continuant à entretenir un réseau dense de relations avec les milieux politiques et économiques du Chili.

Dans la grande maison de Barcelone, Dorothée, âgée de trois ans, est confiée à sa sœur Joséphine, âgée de douze ans. Ainsi, Joséphine, qui deviendra plus tard « Sœur Joséphine », est pour la petite Dorothée la « petite jeune maman ». Elle se confie à elle avec une totale affection, se laissant guider avec docilité.

À treize ans, sur les conseils de Joséphine, elle prit comme directeur spirituel le prêtre Pedro Nardó, de la paroisse de Santa María del Mar. Pendant 50 ans, Pedro fut son confesseur et son conseiller dans les moments délicats et difficiles. Le prêtre lui a appris avec gentillesse et force à « séparer son cœur des richesses ».

Tout au long de sa vie, Dorothée a considéré les richesses de sa famille non pas comme une source d’amusement et de dissipation, mais comme un grand moyen mis dans sa main par Dieu pour faire du bien aux pauvres. Don Pedro Nardó lui a fait lire plusieurs fois la parabole évangélique de l’homme riche et du pauvre Lazare. Comme signe chrétien distinctif, il conseilla à Joséphine et à Dorothée de toujours s’habiller modestement et simplement, sans la cascade de rubans et de gaze de soie légère que la mode de l’époque imposait aux jeunes femmes aristocratiques.

Dorothée a reçu dans sa famille la solide éducation que l’on donnait à l’époque aux jeunes filles des familles aisées. D’ailleurs, elle aidera plus tard son mari à maintes reprises dans sa profession de commerçant.

Épouse à l’âge de seize ans
Les Chopitea avaient retrouvé à Barcelone des amis chiliens, les Serra, qui étaient revenus en Espagne pour la même raison, l’indépendance. Le père, Mariano Serra i Soler, originaire de Palafrugell, s’était lui aussi taillé une brillante situation économique. Marié à une jeune créole, Mariana Muñoz, il eut quatre enfants, dont l’aîné, José María, naquit au Chili le 4 novembre 1810.

À l’âge de seize ans, Dorothée vit le moment le plus délicat de sa vie. Elle est fiancée à José María Serra, bien que le mariage soit considéré comme un événement futur. Mais Don Pedro Chopitea doit retourner en Amérique latine pour défendre ses intérêts et, peu après, sa femme Isabel s’apprête à traverser l’Atlantique pour le rejoindre en Uruguay avec leurs plus jeunes enfants. Soudain, Dorothée est confrontée à une décision fondamentale pour sa vie : rompre l’affection profonde qui la lie à José María Serra et partir avec sa mère, ou se marier à l’âge de seize ans. Dorothée, sur les conseils de Don Pedro Nardó, décida de se marier. Le mariage a lieu à Santa Maria del Mar le 31 octobre 1832.

Le jeune couple s’installe dans la rue Montcada, dans le palais des parents de son mari. L’entente entre eux est parfaite et source de bonheur et de bien-être.

Dorothée était une petite personne mince et élancée, au caractère fort et déterminé. Le « je t’aimerai toujours » juré par les deux époux devant Dieu se transforma en une vie conjugale affectueuse et solide, qui donna naissance à six filles : toutes reçurent le nom de Maria avec différents compléments : Maria Dolores, Maria Ana, Maria Isabel, Maria Luisa, Maria Jesus et Maria del Carmen. La première est venue au monde en 1834, la dernière en 1845.

Cinquante ans après le « oui » prononcé dans l’église de Santa Maria del Mar, José Maria Serra dira que pendant toutes ces années, « notre amour a grandi jour après jour ».

Dorothée, mère des pauvres
Dorothée est la maîtresse de maison, dans laquelle travaillent plusieurs familles d’employés. C’est la collaboratrice intelligente de José María, qui devient rapidement célèbre dans le monde des affaires. Elle est à ses côtés dans les moments de succès comme dans les moments d’incertitude et d’échec. Dorothée était aux côtés de son mari lorsqu’il voyageait à l’étranger. Elle l’accompagnait dans la Russie du tsar Alexandre II, dans l’Italie des Savoie et dans la Rome du pape Léon XIII.

Lors de sa visite à Rome, à l’âge de 62 ans, elle était accompagnée de sa nièce Isidora Pons, qui a témoigné lors du procès apostolique : « Elle a été reçue par le pape. La déférence avec laquelle Léon XIII a traité ma tante, à qui il a offert son maillot de bain blanc, m’est restée en mémoire ».

Affectueuse et forte
Les employés de la maison Serra se sentaient comme des membres de la famille. Marie Arnenos a déclaré sous serment : « Elle avait une affection maternelle pour nous, ses employés. Elle s’occupait de notre bien-être matériel et spirituel avec un amour concret. Lorsque quelqu’un était malade, elle veillait à ce qu’il ne manque de rien, elle s’occupait des moindres détails. Son salaire était plus élevé que celui des employés des autres familles.

Une personne délicate, un caractère fort et déterminé. Tel est le champ de bataille sur lequel Dorothée a lutté toute sa vie pour acquérir l’humilité et le calme que la nature ne lui avait pas donnés. Si son élan était grand, sa force de vivre toujours en présence de Dieu l’était encore plus. C’est ainsi qu’elle écrivait dans ses notes spirituelles :
Je ferai tous mes efforts pour que, dès le matin, toutes mes actions soient dirigées vers Dieu », « Je n’abandonnerai pas la méditation et la lecture spirituelle sans raison sérieuse », « Je ferai chaque jour vingt actes de mortification et autant d’actes d’amour de Dieu », « Faire toutes les actions à partir de Dieu et pour Dieu, en renouvelant fréquemment la pureté de l’intention…. », Je promets à Dieu de purifier mon intention dans toutes mes actions ».

Coopératrice salésienne
Dans les dernières décennies du XIXe siècle, Barcelone est une ville en pleine « révolution industrielle ». Les faubourgs de la ville sont remplis de gens très pauvres. Les asiles, les hôpitaux et les écoles manquaient. Dans les exercices spirituels qu’elle fait en 1867, Doña Dorothée écrit parmi ses résolutions :
« Ma vertu préférée sera la charité envers les pauvres, même si elle me coûte de grands sacrifices ». Adrián de Gispert, deuxième neveu de Dorothée, témoigne : « Je sais que tante Dorothée a fondé des hôpitaux, des asiles, des écoles, des ateliers d’art et d’artisanat et bien d’autres œuvres. Je me souviens avoir visité certains d’entre eux en sa compagnie. Lorsque son mari était en vie, il l’a aidée dans ces œuvres caritatives et sociales. Après sa mort, elle a d’abord sauvegardé le patrimoine de ses cinq filles ; ensuite, ses biens « personnels » (sa très riche dot, le patrimoine reçu personnellement en héritage, les biens que son mari voulait enregistrer à son nom), elle les a utilisés pour les pauvres avec une administration attentive et prudente. Un témoin a déclaré sous serment : « Après avoir pourvu aux besoins de sa famille, elle a consacré le reste aux pauvres comme un acte de justice ».

Ayant reçu des nouvelles de Don Bosco, elle lui écrit le 20 septembre 1882 (il a 66 ans, Don Bosco 67). Elle lui dit que Barcelone est une ville « éminemment industrielle et mercantile » et que sa jeune et dynamique congrégation trouvera beaucoup de travail parmi les garçons des faubourgs. Elle propose une école pour les apprentis ouvriers.

Don Felipe Rinaldi arrive à Barcelone en 1889, il écrit : « Nous sommes allés à Barcelone à son appel, car elle voulait s’occuper spécialement des jeunes ouvriers et des orphelins abandonnés. Elle a acheté un terrain avec une maison, dont elle s’est occupée de l’agrandissement. Je suis arrivé à Barcelone alors que la construction était déjà achevée…. J’ai vu de mes propres yeux de nombreux cas d’assistance aux enfants, aux veuves, aux personnes âgées, aux chômeurs et aux malades. J’ai souvent entendu dire qu’elle rendait personnellement les plus humbles services aux malades ».

En 1884, elle pensa à confier une école maternelle aux Filles de Marie Auxiliatrice : il fallait penser aux enfants de cette périphérie.

Don Bosco ne put se rendre à Barcelone qu’au printemps 1886, et les chroniques rapportent amplement l’accueil triomphal qui lui fut réservé dans la métropole catalane, et les attentions affectueuses et respectueuses dont Doña Dorothée, ses filles, ses petits-enfants et ses proches entourèrent le saint.

Le 5 février 1888, lorsqu’elle fut informée de la mort de Don Bosco, le bienheureux Miguel Rúa lui écrivit : « Notre très cher père Don Bosco s’est envolé vers le ciel, laissant ses enfants pleins de tristesse ». Il a toujours manifesté une vive estime et une affection reconnaissante pour notre mère de Barcelone, comme il l’appelait, la mère des Salésiens et des Filles de Marie Auxiliatrice.

D’ailleurs, avant de mourir, il l’assura qu’il allait lui préparer une bonne place au ciel ». La même année, Doña Dorothée remit aux Salésiens l’oratoire et les écoles populaires de la rue Rocafort, au cœur de Barcelone.

La dernière œuvre remise à la Famille salésienne fut l’école « Santa Dorotea » confiée aux Filles de Marie Auxiliatrice. Pour son achat, il fallait 60 000 pesetas qu’elle a remises en disant : « Dieu me veut pauvre ». Cette somme est sa dernière provision pour ses vieux jours, ce qu’elle garde pour vivre modestement avec Marie, sa fidèle compagne.

Le vendredi saint 1891, dans la froide église de Marie Réparatrice, alors qu’elle faisait la quête, elle contracta une pneumonie. Elle avait soixante-quinze ans et il fut immédiatement évident qu’elle ne surmonterait pas la crise. Don Rinaldi vint le voir et resta longtemps à son chevet. Il écrit : « Pendant les quelques jours où elle était encore en vie, elle ne pensait pas à sa maladie, mais aux pauvres et à son âme. Elle voulait dire quelque chose en particulier à chacune de ses filles et les bénissait toutes au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, comme un ancien patriarche. Alors que nous nous tenions autour de son lit pour la recommander au Seigneur, à un moment donné, elle a levé les yeux. Le confesseur lui a présenté le crucifix pour qu’elle l’embrasse. Ceux d’entre nous qui étaient présents se sont agenouillés. Dona Dorothée se retira, ferma les yeux et rendit doucement le dernier soupir ».

C’était le 3 avril 1891, cinq jours après Pâques.

Le 9 juin 1983, le pape Jean-Paul II l’a déclarée « vénérable », c’est-à-dire « une chrétienne qui a pratiqué à un degré héroïque l’amour de Dieu et du prochain ».

P. Echave-Sustaeta del Villar Nicolás, sdb
Vice-Postulateur de la Cause du Vénérable




Les bienfaiteurs de Don Bosco

Faire du bien aux jeunes demande non seulement du dévouement mais aussi d’énormes ressources matérielles et financières. Don Bosco avait l’habitude de dire : « J’ai une confiance illimitée en la Divine Providence, mais la Providence veut aussi être aidée par nos immenses efforts » ; c’est dit et c’est fait.

            Le 11 novembre 1875, Don Bosco a adressé à ses missionnaires en partance 20 précieux « rappels ». Le premier était : « Cherchez les âmes, mais pas l’argent, ni les honneurs, ni les dignités ».
            Don Bosco lui-même a dû chercher de l’argent toute sa vie, mais il voulait que ses fils ne se fatiguent pas à chercher de l’argent, qu’ils ne s’inquiètent pas quand ils en manquaient, qu’ils ne perdent pas la tête quand ils en trouvaient, mais qu’ils soient prêts à toutes les humiliations et à tous les sacrifices dans la recherche de ce qui était nécessaire, avec une confiance totale dans la Divine Providence qui ne les laisserait jamais manquer d’argent. Et il leur a donné l’exemple.

« Le saint des millions !
            Don Bosco a géré dans sa vie de grandes sommes d’argent, recueillies au prix d’énormes sacrifices, de quêtes humiliantes, de loteries laborieuses, d’incessantes pérégrinations. Avec cet argent, il donna du pain, des vêtements, un logement et du travail à de nombreux garçons pauvres, acheta des maisons, ouvrit des hospices et des collèges, construisit des églises, lança de grandes initiatives d’impression et d’édition, lança des missions salésiennes en Amérique et, enfin, déjà affaibli par les maux et les douleurs de la vieillesse, il érigea la Basilique du Sacré-Cœur à Rome, en obéissance au Pape.
            Tout le monde ne comprirent pas l’esprit qui l’animait, tout le monde n’apprécia pas ses multiples activités et la presse anticléricale se livra à des insinuations ridicules. Le 4 avril 1872, le journal satirique turinois « Il Fischietto » affirma que Don Bosco disposait de « fonds fabuleux », tandis qu’à sa mort, Luigi Pietracqua publiait dans le journal « Il Birichin » un sonnet blasphématoire dans lequel il qualifiait Don Bosco d’homme rusé « capable de tirer du sang d’un navet » et le définissait comme « le Saint des millions » parce qu’il aurait compté les millions par poignées sans les avoir gagnés à la sueur de son front.
            Ceux qui connaissent le style de pauvreté dans lequel le Saint a vécu et est mort peuvent facilement comprendre à quel point la satire de Pietracqua était injuste. Don Bosco était certes un habile gestionnaire de l’argent que la charité des bons lui apportait, mais il n’a jamais rien gardé pour lui. Le mobilier de sa petite chambre au Valdocco se composait d’un lit en fer, d’une petite table, d’une chaise et, plus tard, d’un canapé, sans rideaux aux fenêtres, sans tapis, sans même une table de nuit. Dans sa dernière maladie, tourmenté par la soif, lorsqu’on lui offrit de l’eau de Seltz pour le soulager, il ne voulut pas la boire, croyant qu’il s’agissait d’une boisson coûteuse. Il fallut l’assurer qu’elle ne coûtait que sept cents la bouteille. Quelques jours avant sa mort, il ordonna à don Viglietti de regarder dans les poches de ses vêtements et de donner la bourse à don Rua, afin qu’il puisse mourir sans un sou en poche.

La noblesse philanthropique
            Les Mémoires Biographiques et Epistolaires de Don Bosco fournissent une riche documentation sur ses bienfaiteurs. Nous y trouvons les noms de près de 300 familles nobles dont il est impossible de donner une liste ici.

            Il ne faut certainement pas commettre l’erreur de limiter les bienfaiteurs de Don Bosco à la seule noblesse. Il obtint l’aide et la collaboration désintéressée de milliers d’autres personnes de la classe ecclésiastique et civile, de la bourgeoisie et du peuple, à commencer par cette incomparable bienfaitrice que fut Maman Marguerite.
            Nous nous arrêtons sur une figure de la noblesse qui s’est distinguée en soutenant l’œuvre de Don Bosco, en soulignant l’attitude simple et délicate et, en même temps, courageuse et apostolique qu’il a su garder pour recevoir et faire le bien.
            En 1866, Don Bosco adresse une lettre à la Comtesse Enrichetta Bosco di Ruffino, née Riccardi, en contact depuis des années avec l’Oratoire du Valdocco. Elle faisait partie des Dames qui se réunissaient chaque semaine pour réparer les vêtements des jeunes pensionnaires. Voici le texte :

« Bienfaitrice Madame la Comtesse,
            Je ne peux pas aller rendre visite à Votre Altesse comme je le voudrais, mais j’y vais avec la personne de Jésus-Christ cachée sous ces haillons que je vous recommande pour que, dans votre charité, vous puissiez les raccommoder. C’est une pauvre chose dans le temps, mais j’espère que pour vous, ce sera un trésor pour l’éternité.
            Que Dieu vous bénisse, vous, vos travaux et toute votre famille, et que j’aie l’honneur de me déclarer avec toute mon estime
            de V.S.B. très obligé serviteur ».
            Bosco Gio. prêtre Turin, 16 mai 1866

Lettre de Don Bosco aux bienfaiteurs

            Dans cette lettre, Don Bosco s’excuse de ne pouvoir se rendre en personne chez la comtesse. En retour, il lui envoie un paquet de chiffons des garçons de l’Oratoire pour …. une pauvre chose devant les hommes, mais un précieux trésor pour ceux qui habillent ceux qui sont nus pour l’amour du Christ !
            Certains ont voulu voir dans les relations de Don Bosco avec les riches un courtisanisme intéressé. Mais il y a là un authentique esprit évangélique !




Vera Grita, Mystique de l’Eucharistie

            À l’occasion du centenaire de la naissance de la Servante de Dieu Vera Grita, Coopératrice salésienne laïque (Rome 28 janvier 1923 – Pietra Ligure 22 décembre 1969), nous présentons un profil biographique et spirituel de son témoignage.

Rome, Modica, Savone

            Vera Grita est née à Rome le 28 janvier 1923, deuxième enfant d’Amleto, photographe de profession depuis des générations, et de Maria Anna Zacco della Pirrera, d’origine noble. La famille très unie comprenait également sa sœur aînée Giuseppa (appelée Pina) et ses sœurs cadettes Liliana et Santa Rosa (appelée Rosa). Le 14 décembre de la même année, Vera a été baptisée dans la paroisse de San Gioacchino à Prati, également à Rome.

            Dès son enfance, Vera a montré un caractère bon et doux qui ne sera pas ébranlé par les événements négatifs qui lui sont arrivés : à l’âge de onze ans, elle a dû quitter sa famille et se détacher de ses affections les plus proches avec sa jeune sœur Liliana, pour rejoindre ses tantes paternelles à Modica, en Sicile, qui étaient prêtes à aider les parents de Vera, frappés par des difficultés financières dues à la crise économique de 1929-1930. Pendant cette période, Vera montre sa tendresse envers sa jeune sœur en étant près d’elle lorsque cette dernière pleure sa mère le soir. Vera est attirée par un grand tableau du Sacré-Cœur de Jésus, accroché dans la pièce où elle récite les prières du matin et le chapelet tous les jours avec ses tantes. Elle reste souvent silencieuse devant ce tableau et répète souvent qu’elle veut devenir religieuse quand elle sera grande. Le jour de sa première communion (24 mai 1934), elle ne veut pas enlever son habit blanc car elle craint de ne pas montrer suffisamment à Jésus la joie de l’avoir dans son cœur. À l’école, elle obtient de bons résultats et est sociable avec ses camarades de classe.
            À l’âge de dix-sept ans, en 1940, elle retourne dans sa famille. La famille a déménagé à Savone et Vera a obtenu son diplôme de l’Ecole normale primaire l’année suivante. Vera a vingt ans lorsqu’elle doit faire face à une nouvelle et douloureuse séparation due au décès prématuré de son père Amleto (1943) et renonce à poursuivre les études universitaires auxquelles elle aspirait, afin d’aider financièrement la famille.

Le jour de la première communion

Le drame de la guerre
            Mais c’est la Seconde Guerre mondiale avec le bombardement de Savone en 1944 qui causera à Vera des dommages irréparables : elle déterminera le cours ultérieur de sa vie. Vera est écrasée et piétinée par la foule en fuite, qui cherche à s’abriter dans un tunnel-abri.

Vera vers 14-15 ans

La médecine appelle syndrome d’écrasement les conséquences physiques qui surviennent après des bombardements, des tremblements de terre, des effondrements de structures, à la suite desquels un membre ou le corps entier est écrasé. Il se produit alors des dommages musculaires qui affectent tout le corps, en particulier les reins. Suite à l’écrasement, Vera souffrira de blessures lombaires et dorsales qui causeront des dommages irréparables à sa santé avec des fièvres, des maux de tête et des pleurésies. Avec cet événement dramatique commence la  » Via Crucis  » de Vera qui durera 25 ans, pendant lesquels elle alternera de longs séjours à l’hôpital avec son travail. À l’âge de 32 ans, on lui diagnostique la maladie d’Addison, qui la consumera et affaiblira son organisme : Vera ne pèsera plus que 40 kilos. À l’âge de 36 ans, Vera subit une hystérectomie totale (1959), ce qui provoque une ménopause prématurée et exacerbe l’asthénie dont elle souffre déjà à cause de la maladie d’Addison.
            Malgré sa condition physique précaire, Vera a passé et remporté un concours pour devenir institutrice dans une école primaire. Elle s’est consacrée à l’enseignement pendant les dix dernières années de sa vie terrestre, servant dans des écoles de l’arrière-pays ligure difficiles d’accès (Rialto, Erli, Alpicella, Deserto di Varazze), suscitant l’estime et l’affection de ses collègues, des parents et des élèves.

Coopératrice salésienne
            À Savone, dans la paroisse salésienne de Marie Auxiliatrice, elle assiste à la messe et est assidue au sacrement de la pénitence. Depuis 1963, son confesseur est le salésien Père Giovanni Bocchi. Coopératrice salésienne depuis 1967, elle a réalisé son appel dans le don total de soi au Seigneur, qui de façon extraordinaire s’est donné à elle, au plus profond de son cœur, avec la « Voix », avec la « Parole », pour lui communiquer l’Oeuvre des Tabernacles Vivants. Elle a remis tous ses écrits à son directeur spirituel, le salésien Père Gabriello Zucconi, et a gardé dans le silence de son cœur le secret de cet appel, guidée par le divin Maître et la Vierge Marie qui l’accompagneront sur le chemin de la vie cachée, de la spoliation et du dépouillement.

            Sous l’impulsion de la grâce divine et en acceptant la médiation de ses guides spirituels, Vera Grita a répondu au don de Dieu en témoignant, dans sa vie, marquée par la fatigue de la maladie, de la rencontre avec le Ressuscité, et en se consacrant avec une générosité héroïque à l’enseignement et à l’éducation de ses élèves, en contribuant aux besoins de sa famille et en témoignant d’une vie de pauvreté évangélique. Centrée et inébranlable dans le Dieu qu’elle aime et soutient, avec une grande fermeté intérieure, elle est rendue capable de supporter les épreuves et les souffrances de la vie. Sur la base de cette solidité intérieure, elle témoigne d’une existence chrétienne faite de patience et de constance dans la bonté.
            Elle est morte le 22 décembre 1969 à Pietra Ligure à l’hôpital Santa Corona dans une petite chambre où elle avait passé les six derniers mois de sa vie dans un crescendo de souffrances acceptées et vécues en union avec Jésus Crucifié. L’âme de Vera », a écrit le salésien Giuseppe Borra, son premier biographe, « avec ses messages et ses lettres, elle entre dans le rang de ces âmes charismatiques appelées à enrichir l’Église de flammes d’amour pour Dieu et pour Jésus dans l’Eucharistie pour l’expansion du Royaume. Elle est l’un de ces grains de blé que le Ciel a laissé tomber sur Terre pour porter du fruit, en son temps, dans le silence et la dissimulation.

En pèlerinage à Lourdes

Vera de Jésus
            La vie de Vera Grita s’est déroulée sur une courte période de 46 ans marquée par des événements historiques dramatiques tels que la grande crise économique de 1929-1930 et la Seconde Guerre mondiale, puis s’est terminée au seuil d’un autre événement historique important : la manifestation de 1968, qui aura de profondes répercussions sur le plan culturel, social, politique, religieux et ecclésial.

Avec quelques membres de la famille

La vie de Vera commence, se développe et se termine au milieu de ces événements historiques dont elle subit les conséquences dramatiques sur le plan familial, émotionnel et physique. En même temps, son histoire montre comment elle a traversé ces événements en les affrontant avec la force de sa foi en Jésus-Christ, témoignant ainsi d’une fidélité héroïque à l’Amour crucifié et ressuscité. Une fidélité que, à la fin de sa vie terrestre, le Seigneur lui rendra en lui donnant un nouveau nom : Véra de Jésus. « Je t’ai donné mon Saint Nom, et dorénavant tu seras appelée et tu seras ‘Véra de Jésus' » (Message du 3 décembre 1968).
            Éprouvée par diverses maladies qui, avec le temps, délimitent une situation d’usure physique généralisée et irrémédiable, Vera vit dans le monde sans être du monde, en maintenant une stabilité et un équilibre intérieurs grâce à son union avec Jésus dans l’Eucharistie reçue quotidiennement, et à la conscience de sa Permanence eucharistique dans son âme. C’est donc la Sainte Messe qui est le centre de la vie quotidienne et spirituelle de Vera, où, comme une petite « goutte d’eau », elle se joint au vin pour être inséparablement unie à l’Amour infini qui se donne continuellement, sauve et soutient le monde.
            Quelques mois avant sa mort, Vera a écrit à son père spirituel, le Père Gabriello Zucconi : « Les maladies que j’ai portées en moi pendant plus de vingt ans ont dégénéré, dévorée par la fièvre et la douleur dans tous mes os, je suis vivante dans la Sainte Messe« . Encore : « La flamme de la Sainte Messe reste, l’étincelle divine qui m’anime, me donne la vie, puis le travail, les enfants, la famille, l’impossibilité d’y trouver un endroit tranquille où je peux m’isoler pour prier, ou la fatigue physique après l’école ».

L’œuvre des Tabernacles vivants
            Pendant les longues années de souffrance, consciente de sa fragilité et des limites humaines, Vera a appris à se confier à Dieu et à s’abandonner totalement à sa volonté. Elle a maintenu cette docilité même lorsque le Seigneur lui a communiqué l’Œuvre desTabernacles Vivants, dans les 2 dernières années et 4 mois de sa vie terrestre. Son amour pour la volonté de Dieu a conduit Vera au don total d’elle-même : d’abord avec les vœux privés et le vœu de « petite victime » pour les prêtres (2 février 1965) ; ensuite avec l’offrande de sa vie (5 novembre 1968) pour la naissance et le développement de l’Œuvre des Tabernacles Vivants, toujours dans la pleine obéissance à son directeur spirituel.
            Le 19 septembre 1967, elle a commencé l’expérience mystique qui l’a invitée à vivre pleinement la joie et la dignité d’être enfant de Dieu, en communion avec la Trinité et dans l’intimité eucharistique avec Jésus reçu dans la Sainte Communion et présent dans le Tabernacle. « Le vin et l’eau, c’est nous : toi et moi, toi et moi. Nous sommes un : je creuse en toi, je creuse, je creuse pour me construire un temple : laisse-moi travailler, ne mets pas d’obstacles sur mon chemin […] la volonté de mon Père est celle-ci : que je reste en toi, et toi en moi. Ensemble, nous porterons de grands fruits ». Il y a 186 messages qui composent l’Œuvre des Tabernacles Vivants que Vera, luttant contre la peur d’être victime d’une tromperie, a écrit en obéissant au Père Zucconi.
            Le message « Emmène-moi avec toi » exprime de manière simple l’invitation de Jésus à Vera. Où, emmène-moi avec toi ? Là où tu vis : Vera est éduquée et préparée par Jésus pour vivre en union avec Lui. Jésus veut entrer dans la vie de Vera, dans sa famille, dans l’école où elle enseigne. Une invitation adressée à tous les chrétiens. Jésus veut sortir de l’Église de pierre et veut vivre dans nos cœurs par l’Eucharistie, avec la grâce de la permanence eucharistique dans nos âmes. Il veut venir avec nous là où nous allons, pour vivre notre vie de famille, et il veut rejoindre ceux qui vivent loin de lui en vivant en nous.

Dans le sillage du charisme salésien
            Dans l’Œuvre des Tabernacles Vivants, il y a des références explicites à Don Bosco et à son « da mihi animas cetera tolle », vivre en union avec Dieu et avoir confiance en Marie Auxiliatrice, donner à Dieu à travers un apostolat infatigable qui coopère au salut de l’humanité. L’Œuvre, par la volonté du Seigneur, est confiée en premier lieu aux fils de Don Bosco pour sa réalisation et sa diffusion dans les paroisses, les instituts religieux et l’Église : « J’ai choisi les Salésiens parce qu’ils vivent avec les jeunes, mais leur vie d’apostolat doit être plus intense, plus active, plus sincère ».

            La Cause de béatification de la Servante de Dieu Vera Grita a été lancée le 22 décembre 2019, le 50e anniversaire de sa mort, à Savone avec la remise du Supplice libellus à l’évêque diocésain Monseigneur Calogero Marino par le postulateur Père Pierluigi Cameroni. L’acteur de la Cause est la Congrégation Salésienne. L’enquête diocésaine a eu lieu du 10 avril au 15 mai 2022 à la Curie de Savone. Le Dicastère pour les Causes des Saints a donné la validité juridique à cette Enquête le 16 décembre 2022.
            Comme l’a écrit le Recteur Majeur dans l’Étrenne de cette année : « Vera Grita témoigne avant tout d’une orientation eucharistique totalisante, qui est devenue explicite surtout dans les dernières années de son existence. Elle ne pensait pas en termes de programmes, d’initiatives apostoliques, de projets : elle accueillait le « projet » fondamental qu’est Jésus lui-même, au point d’en faire sa propre vie. Le monde d’aujourd’hui témoigne d’un grand besoin de l’Eucharistie. Son parcours dans le dur labeur de la journée offre également une nouvelle perspective laïque de la sainteté, devenant un exemple de conversion, d’acceptation et de sanctification pour les « pauvres », les « fragiles », les « malades » qui peuvent se reconnaître et trouver l’espoir en elle. En tant que Coopératrice salésienne, Vera Grita vit et travaille, enseigne et rencontre les gens avec une sensibilité salésienne particulière : de la gentillesse affectueuse de sa présence discrète mais efficace à sa capacité de se faire aimer des enfants et des familles ; de la pédagogie de la bonté qu’elle met en œuvre avec son sourire constant à l’empressement généreux avec lequel, sans tenir compte des difficultés, elle se tourne de préférence vers le dernier, le petit, le lointain, l’oublié ; de la passion généreuse pour Dieu et sa Gloire au chemin de croix, se permettant de tout emporter dans sa condition de malade ».

Dans le jardin de Santa Corona en 1966