Entretien avec le Recteur Majeur, Don Fabio Attard

Nous avons réalisé un entretien exclusif avec le Recteur Majeur des Salésiens, Don Fabio Attard, qui revient sur les étapes fondamentales de sa vocation et de son parcours humain et spirituel. Sa vocation est née dans un oratoire et s’est consolidée à travers un parcours de formation riche qui l’a conduit de l’Irlande à la Tunisie, de Malte à Rome. De 2008 à 2020, il a été Conseiller général pour la Pastorale des Jeunes, fonction qu’il a exercée avec une vision multiculturelle acquise grâce à des expériences dans différents contextes. Son message central est la sainteté comme fondement de l’action éducative salésienne : « Je voudrais voir une Congrégation plus sainte », affirme-t-il, soulignant que l’efficacité professionnelle doit s’enraciner dans l’identité consacrée.

Quelle est l’histoire de ta vocation ?

Je suis né à Gozo, Malte, le 23 mars 1959, cinquième d’une fratrie de sept enfants. À ma naissance, mon père était pharmacien à l’hôpital, tandis que ma mère avait ouvert un petit magasin de tissus et de couture, qui s’est développé au fil du temps pour devenir une petite chaîne de cinq magasins. C’était une femme très travailleuse, mais l’entreprise est toujours restée familiale.

J’ai fréquenté l’école primaire et secondaire locale. Un élément très beau et particulier de mon enfance est que mon père était catéchiste laïc à l’oratoire, qui jusqu’en 1965 était dirigé par les salésiens. Ayant lui-même, dans sa jeunesse, fréquenté cet oratoire, il y était resté comme seul catéchiste laïc. Quand j’ai commencé à le fréquenter, à l’âge de six ans, les salésiens venaient de quitter l’œuvre. Un jeune prêtre (qui est toujours en vie) a pris la relève et a poursuivi les activités de l’oratoire dans le même esprit salésien, ayant lui-même vécu là en tant que séminariste.
On continuait avec le catéchisme, la bénédiction eucharistique quotidienne, le football, le théâtre, la chorale, les excursions, les fêtes… tout ce qu’on vit normalement dans un oratoire. Il y avait beaucoup d’enfants et d’adolescents, et j’ai grandi dans cet environnement. En pratique, ma vie se déroulait entre ma famille et l’oratoire. J’étais également enfant de chœur dans ma paroisse. Ainsi, à la fin de mes études secondaires, je me suis orienté vers la prêtrise, car depuis mon enfance, j’avais ce désir dans mon cœur.

Aujourd’hui, je me rends compte à quel point j’avais été influencé par ce jeune prêtre que j’admirais : il était toujours présent avec nous dans la cour, dans les activités de l’oratoire. Cependant, à cette époque, les salésiens n’étaient plus là. Alors je suis entré au séminaire, où l’on faisait alors deux ans de propédeutique en tant qu’internes. Au cours de la troisième année – qui correspondait à la première année de philosophie – j’ai rencontré un ami de la famille, âgé d’environ 35 ans, une vocation adulte, qui était entré comme aspirant salésien (il est encore en vie aujourd’hui et est coadjuteur). Quand il a fait cette démarche, un feu s’est allumé en moi et avec l’aide de mon directeur spirituel, j’ai commencé un discernement vocationnel.
Ce fut un parcours important mais aussi exigeant. J’avais 19 ans, mais ce guide spirituel m’a aidé à chercher la volonté de Dieu, et pas simplement la mienne. La dernière année – la quatrième de philosophie – au lieu de le suivre au séminaire, je l’ai vécue comme aspirant salésien, en terminant les deux années de philosophie requises.

Dans ma famille, l’environnement était fortement marqué par la foi. Nous participions chaque jour à la messe, nous récitions le chapelet à la maison, nous étions très unis. Aujourd’hui encore, bien que nos parents soient au paradis, nous conservons cette même unité entre frères et sœurs.

Une autre expérience familiale m’a profondément marqué, même si je ne m’en suis rendu compte qu’avec le temps. Mon frère, le deuxième de la famille, est mort à 25 ans d’une insuffisance rénale. Aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, il serait encore en vie grâce à la dialyse et aux greffes, mais à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de possibilités. J’ai été à ses côtés pendant les trois dernières années de sa vie, nous partagions la même chambre et je l’aidais souvent la nuit. C’était un jeune serein, joyeux, qui vivait sa fragilité avec une joie extraordinaire.
J’avais 16 ans quand il est mort. Cinquante ans ont passé, mais quand je repense à cette époque, à cette expérience quotidienne de proximité, faite de petits gestes, je réalise à quel point cela a marqué ma vie.

Je suis né dans une famille où régnaient la foi, le sens du travail et la responsabilité partagée. Mes parents sont pour moi deux exemples extraordinaires. Ils ont vécu le mystère de la croix avec une grande foi et dans une grande sérénité, sans jamais faire peser quoi que ce soit sur qui que ce soit, sachant transmettre en même temps la joie de la vie familiale. Je peux dire que j’ai eu une très belle enfance. Nous n’étions ni riches ni pauvres, mais toujours sobres et discrets. Ils nous ont appris à travailler, à bien gérer les ressources, à ne pas gaspiller, à vivre avec dignité, avec élégance et, surtout, avec une particulière attention envers les pauvres et les malades.

Comment ta famille a-t-elle réagi lorsque tu as pris la décision de suivre la vocation consacrée ?

Le moment était venu où, avec mon directeur spirituel, nous avions clarifié que ma voie était celle des salésiens. Je devais également l’annoncer à mes parents. Je me souviens que c’était une soirée tranquille, nous étions en train de dîner tous les trois. À un moment donné, j’ai dit : « J’ai quelque chose à vous dire : j’ai fait mon discernement et j’ai décidé d’entrer chez les salésiens. »
Mon père était ravi. Il m’a immédiatement répondu : « Que le Seigneur te bénisse. » Ma mère, en revanche, s’est mise à pleurer, un peu comme toutes les mères. Elle m’a demandé : « Alors tu t’en vas ? » Alors mon père est intervenu avec douceur et fermeté : « Qu’il s’éloigne de nous ou non, c’est son chemin. »
Ils m’ont béni et encouragé. Ce sont des moments qui restent gravés à jamais dans ma mémoire.

Je me souviens en particulier de ce qui s’est passé vers la fin de la vie de mes parents. Mon père est décédé en 1997, et six mois plus tard, on a découvert un cancer incurable chez ma mère.
À cette époque, mes supérieurs m’avaient demandé d’aller enseigner à l’Université Pontificale Salésienne (UPS), mais je ne savais pas quelle décision prendre. Ma mère n’allait pas bien, elle était proche de la mort. En discutant avec mes frères, ils m’ont dit : « Fais ce que tes supérieurs te demandent. »
J’étais à la maison et j’en ai parlé avec elle : « Maman, mes supérieurs me demandent d’aller à Rome. »
Avec la lucidité d’une vraie mère, elle m’a répondu : « Écoute, mon fils, si cela ne tenait qu’à moi, je te demanderais de rester ici, car je n’ai personne d’autre et je ne voudrais pas être un fardeau pour tes frères. Mais… » – et là, elle a dit une phrase que je garde dans mon cœur – « Tu n’es pas à moi, tu appartiens à Dieu. Fais ce que tes supérieurs te disent. »
Cette phrase, prononcée un an avant sa mort, est pour moi un trésor, un héritage précieux. Ma mère était une femme intelligente, sage, perspicace : elle savait que la maladie allait l’emporter, mais à ce moment-là, elle a su être libre intérieurement. Libre de dire des mots qui confirmaient une fois de plus le don qu’elle avait fait à Dieu : offrir un fils à la vie consacrée.

La réaction de ma famille, du début à la fin, a toujours été marquée par un profond respect et un grand soutien. Et aujourd’hui encore, mes frères et sœurs continuent à perpétuer cet esprit.

Quel a été ton parcours de formation depuis le noviciat jusqu’à aujourd’hui ?

Ce fut un parcours très riche et varié. J’ai commencé le pré-noviciat à Malte, puis j’ai fait mon noviciat à Dublin, en Irlande. Une expérience vraiment belle.

Après le noviciat, mes compagnons sont partis à Maynooth pour étudier la philosophie à l’université, mais j’avais déjà terminé ces études. C’est pourquoi mes supérieurs m’ont demandé de rester encore un an au noviciat, où j’ai enseigné l’italien et le latin. Ensuite, je suis retourné à Malte pour effectuer deux ans de stage, qui ont été très beaux et enrichissants.

J’ai ensuite été envoyé à Rome pour étudier la théologie à l’Université pontificale salésienne, où j’ai passé trois années extraordinaires. Ces années m’ont ouvert l’esprit. Nous vivions en communauté avec quarante confrères provenant de vingt pays différents : Asie, Europe, Amérique latine… Le corps enseignant était également international. C’était au milieu des années 1980, environ vingt ans après le Concile Vatican II, et on respirait encore beaucoup d’enthousiasme. Il y avait des débats théologiques animés, la théologie de la libération, l’intérêt pour la méthode et la pratique. Ces études m’ont appris à lire la foi non seulement comme un contenu intellectuel, mais comme un choix de vie.

Après ces trois années, j’ai poursuivi les études en faisant deux années de spécialisation en théologie morale à l’Académie Alphonsienne, avec les Pères rédemptoristes. Là aussi, j’ai rencontré des personnalités importantes, comme le célèbre Bernhard Häring, avec lequel j’ai noué une amitié personnelle et que j’allais voir régulièrement chaque mois pour discuter avec lui. Au total, ce furent cinq années – entre le baccalauréat et la licence – qui m’ont profondément formé sur le plan théologique.

Par la suite, m’étant porté volontaire pour les missions, mes supérieurs m’ont envoyé en Tunisie, avec un autre salésien, pour rétablir la présence salésienne dans le pays. Nous avons repris une école gérée par une congrégation féminine qui était sur le point de fermer faute de vocations. C’était une école de 700 élèves. Nous avons donc dû apprendre le français et aussi l’arabe. Pour nous préparer, nous avons passé quelques mois à Lyon, en France, puis nous nous sommes consacrés à l’étude de l’arabe.
Je suis resté là-bas trois ans. Ce fut une autre grande expérience, car nous nous sommes retrouvés à vivre la foi et le charisme salésien dans un contexte où l’on ne pouvait pas parler explicitement de Jésus. Cependant, il était possible de construire des parcours éducatifs fondés sur des valeurs humaines : le respect, la disponibilité, la vérité. Notre témoignage était silencieux mais éloquent. Dans cet environnement, j’ai appris à connaître et à aimer le monde musulman. Tous étaient musulmans, les élèves, les enseignants et les familles ; ils nous ont accueillis très chaleureusement. Ils nous ont fait sentir comme faisant partie de leur famille. Je suis retourné plusieurs fois en Tunisie et j’ai toujours rencontré le même respect et la même appréciation, au-delà de notre appartenance religieuse.

Après cette expérience, je suis retourné à Malte et j’ai travaillé pendant cinq ans dans le secteur social, plus précisément dans une maison salésienne qui accueille des jeunes ayant besoin d’un accompagnement éducatif plus attentif, y compris en internat.

Après ces huit années passées dans la pastorale (entre la Tunisie et Malte), on m’a proposé de terminer mon doctorat. J’ai choisi de retourner en Irlande, car le thème était lié à la conscience selon la pensée du cardinal John Henry Newman, aujourd’hui saint. Une fois mon doctorat terminé, le Recteur Majeur de l’époque, Don Juan Edmundo Vecchi – d’éternelle e mémoire – m’a demandé de rejoindre l’Université Pontificale Salésienne en tant que professeur de théologie morale.

En regardant tout mon parcours, depuis l’aspirantat jusqu’au doctorat, je peux dire que cela a été un ensemble d’expériences non seulement de contenus, mais aussi de contextes culturels très différents. Je remercie le Seigneur et la Congrégation, car ils m’ont offert la possibilité de vivre une formation aussi variée et riche.

Tu connais donc le maltais, qui est ta langue maternelle, l’anglais, qui est la deuxième langue à Malte, le latin, que tu as enseigné, l’italien, que tu as étudié en Italie, le français et l’arabe, que tu as appris à Manouba, en Tunisie… Combien de langues connais-tu ?

Cinq, six langues, plus ou moins. Mais quand on me pose la question, je réponds toujours que ce sont des coïncidences historiques.
À Malte, nous grandissons déjà avec deux langues : le maltais et l’anglais, et à l’école, nous apprenons une troisième langue. À mon époque, on enseignait aussi l’italien. Ensuite, j’étais naturellement porté vers les langues, et j’ai également choisi le latin. Plus tard, en Tunisie, j’ai dû apprendre le français et aussi l’arabe.

À Rome, en vivant avec de nombreux étudiants hispanophones, l’oreille s’habitue, et quand j’ai été élu conseiller pour la pastorale des jeunes, j’ai approfondi un peu l’espagnol, qui est une très belle langue.

Toutes les langues sont belles. Bien sûr, leur apprentissage demande un effort dans l’étude et dans la pratique. Certains ont plus de facilités que d’autres ; cela fait partie des dispositions personnelles. Mais ce n’est ni un mérite ni une faute. C’est simplement un don, une prédisposition naturelle.

De 2008 à 2020, tu as été conseiller général pour la pastorale des jeunes pendant deux mandats. Comment ton expérience t’a-t-elle aidé dans cette mission ?

Lorsque le Seigneur nous confie une mission, nous emportons avec nous tout le bagage d’expériences que nous avons accumulées au fil du temps.
Ayant vécu dans des contextes culturels différents, je ne courais pas le risque de tout voir à travers le filtre d’une seule culture. Je suis européen, je viens de la Méditerranée, d’un pays qui a été une colonie anglaise, mais j’ai eu la chance de vivre dans des communautés internationales et multiculturelles.

Les années d’études à l’UPS m’ont également beaucoup aidé. Nous avions des professeurs qui ne se limitaient pas à transmettre des contenus, mais qui nous apprenaient à faire la synthèse, à construire une méthode. Par exemple, si l’on étudiait l’histoire de l’Église, on comprenait à quel point il était essentiel de comprendre la patristique. Si l’on abordait la théologie biblique, on apprenait à la relier à la théologie sacramentelle, à la morale, à l’histoire de la spiritualité. En somme, on nous apprenait à penser de manière organique. Cette capacité de synthèse, cette architecture de la pensée, fait ensuite partie de votre formation personnelle. Quand on fait de la théologie, on apprend à identifier les points fixes et à les relier entre eux. Il en va de même pour une proposition pastorale, pédagogique ou philosophique. Quand on rencontre des personnes de grande envergure, on absorbe non seulement ce qu’elles disent, mais aussi la manière dont elles le disent, et cela forge ton style.

Un autre élément important est qu’au moment de mon élection, j’avais déjà vécu des expériences dans des milieux missionnaires, où la religion catholique était pratiquement absente, et j’avais travaillé avec des personnes marginalisées et vulnérables. J’avais également acquis une certaine expérience dans le monde universitaire et, parallèlement, je m’étais beaucoup consacré à l’accompagnement spirituel.

De plus, entre 2005 et 2008, juste après mon expérience à l’UPS, l’archidiocèse de Malte m’avait demandé de fonder un institut de formation pastorale, à la suite d’un synode diocésain qui en avait reconnu la nécessité. L’archevêque m’a confié la tâche de le mettre sur pied à partir de zéro. La première chose que j’ai faite a été de constituer une équipe composée de prêtres, de religieux, de laïcs, hommes et femmes. Nous avons mis en place une nouvelle méthode de formation, qui est encore utilisée aujourd’hui. L’institut continue de très bien fonctionner, et d’une certaine manière, cette expérience a été une préparation précieuse pour le travail que j’ai accompli par la suite dans la pastorale des jeunes.
Dès le début, j’ai toujours cru au travail d’équipe et à la collaboration avec les laïcs. Ma première expérience en tant que directeur s’est déroulée dans ce style : une équipe éducative stable, qu’on appellerait aujourd’hui une CEP (Communauté éducative et pastorale), avec des réunions régulières et non occasionnelles. Nous nous réunissions chaque semaine avec les éducateurs et les professionnels. Et cette approche, qui est devenue une méthode au fil du temps, est restée une référence pour moi.

À cela s’ajoute l’expérience universitaire. J’ai passé six ans comme professeur à l’Université pontificale salésienne, où arrivaient des étudiants de plus de cent pays, puis comme examinateur et directeur de thèses de doctorat à l’Académie Alphonsienne.

Je pense que tout cela m’a préparé à assumer cette responsabilité avec lucidité et vision de futur.

Ainsi, lorsque la Congrégation, lors du Chapitre général de 2008, m’a demandé d’assumer cette charge, j’avais déjà une vision large et multiculturelle. Cela m’a aidé, car mettre ensemble des diversités ne m’était pas difficile : cela faisait partie de la normalité. Bien sûr, il ne s’agissait pas simplement de faire un « mélange » d’expériences : il fallait trouver les fils conducteurs, donner une cohérence et une unité.

Ce que j’ai pu vivre en tant que Conseiller général n’est pas mon mérite personnel. Je crois que n’importe quel salésien, s’il avait eu les mêmes opportunités et le soutien de la Congrégation, aurait pu vivre des expériences similaires et apporter sa contribution avec générosité.

Y a-t-il une prière, une « bonne nuit » salésienne, une habitude que tu ne manques jamais de faire ?

La dévotion à Marie. À la maison, nous avons grandi avec le chapelet quotidien, récité en famille. Ce n’était pas une obligation, c’était quelque chose de naturel : nous le faisions avant de manger, car nous mangions toujours ensemble. À l’époque, c’était possible. Aujourd’hui, c’est peut-être moins le cas, mais à l’époque, c’était ainsi que nous vivions : la famille réunie, la prière partagée, le repas en commun.

Au début, je ne me rendais peut-être pas compte de la profondeur de cette dévotion mariale. Mais avec les années, quand on commence à distinguer l’essentiel du secondaire, j’ai compris à quel point cette présence maternelle avait accompagné ma vie.
La dévotion à Marie s’exprime sous différentes formes : le chapelet quotidien, lorsque c’est possible ; un moment de recueillement devant une image ou une statue de la Vierge Marie ; une prière simple, mais faite avec le cœur. Ce sont des gestes qui accompagnent le cheminement de la foi.

Bien sûr, il y a quelques points fixes : l’Eucharistie quotidienne et la méditation quotidienne. Ce sont des piliers qui ne se discutent pas, qui se vivent. Non seulement parce que nous sommes consacrés, mais parce que nous sommes croyants. On ne vit la foi qu’en la nourrissant. Quand nous la nourrissons, elle grandit en nous. Et ce n’est que si elle grandit en nous que nous pouvons aider les autres à grandir aussi. Pour nous, qui sommes éducateurs, c’est évident : si notre foi ne se traduit pas dans une vie concrète, tout le reste devient façade.

Ces pratiques – la prière, la méditation, la dévotion – ne sont pas réservées aux saints. Elles sont l’expression de la cohérence de notre vie. Si j’ai fait un choix de foi, j’ai aussi la responsabilité de le cultiver. Sinon, tout se réduit à quelque chose d’extérieur, d’apparent. Et cela, avec le temps, ne tient pas.

Si tu pouvais revenir en arrière, ferais-tu les mêmes choix ?

Oui, absolument. Il y a eu des moments très difficiles dans ma vie, comme pour tout le monde. Je ne veux pas passer pour la « victime du jour ». Je crois que chaque personne, pour grandir, doit traverser des phases d’obscurité, des moments de désolation, de solitude, où elle se sent trahie ou injustement accusée. J’ai vécu ces moments-là. Mais j’ai eu la chance d’avoir un directeur spirituel à mes côtés.

Quand on traverse certaines épreuves avec quelqu’un qui t’accompagne, on parvient à comprendre que tout ce que Dieu permet a un sens, un but. Et quand on sort de ce « tunnel », on découvre qu’on est une personne différente, plus mûre. C’est comme si, à travers cette épreuve, on était transformé.

Si j’étais resté seul, j’aurais risqué de prendre de mauvaises décisions, sans vision, aveuglé par la fatigue du moment. Quand on est en colère, quand on se sent seul, ce n’est pas le moment de prendre des décisions. C’est le moment de marcher, de demander de l’aide, de se faire accompagner.

Vivre certaines étapes avec l’aide de quelqu’un, c’est comme être une pâte mise au four : le feu la cuit, la mûrit. C’est pourquoi, à la question de savoir si je changerais quelque chose, ma réponse est non. Car même les moments les plus difficiles, même ceux que je ne comprenais pas, m’ont aidé à devenir la personne que je suis aujourd’hui.

Est-ce que je me sens quelqu’un de parfait ? Non. Mais je sens que je suis en chemin, chaque jour, essayant de vivre devant la miséricorde et la bonté de Dieu.

Et aujourd’hui, au moment où je donne cette interview, je peux dire sincèrement que je me sens heureux. Je n’ai peut-être pas encore pleinement compris ce que signifie être Recteur Majeur – cela prend du temps –, mais je sais que c’est une mission, pas une promenade. Cela comporte des difficultés. Cependant, je me sens aimé, estimé par mes collaborateurs et par toute la Congrégation.

Et tout ce que je suis aujourd’hui, je le dois à ce que j’ai vécu, même dans les passages les plus difficiles. Je ne les changerais pour rien au monde. Ils ont fait de moi ce que je suis.

As-tu un projet qui te tient particulièrement à cœur ?

Oui. Si je ferme les yeux et que j’imagine quelque chose que je désire vraiment, je voudrais voir une Congrégation plus sainte. Plus sainte. Plus sainte.

La première lettre de Don Pascual Chávez, intitulée « Soyez saints », m’a profondément inspiré en 2002. Cette lettre m’a touché au plus profond de moi-même, elle m’a marqué.
Les projets sont nombreux, tous valables, bien structurés, avec des visions vastes et profondes. Mais quelle valeur ont-ils s’ils sont menés par des personnes qui ne sont pas saintes ? Nous pouvons faire un excellent travail, nous pouvons même être appréciés – et cela n’est pas négatif en soi –, mais nous ne travaillons pas pour avoir du succès. Notre point de départ est une identité : nous sommes des personnes consacrées.

Ce que nous proposons n’a de sens que si cela vient de là. Il est clair que nous souhaitons que nos projets soient couronnés de succès, mais nous souhaitons encore plus qu’ils apportent la grâce, qu’ils touchent les gens au plus profond d’eux-mêmes. Il ne suffit pas d’être efficaces. Nous devons être efficaces au sens le plus profond du terme : efficaces dans notre témoignage, dans notre identité, dans notre foi.
L’efficacité peut exister même sans aucune référence religieuse. Nous pouvons être d’excellents professionnels, mais cela ne suffit pas. Notre consécration n’est pas un détail : c’est le fondement. Si elle devient marginale, si nous la mettons de côté pour faire place à l’efficacité, alors nous perdons notre identité.

Les gens nous observent. Dans les écoles salésiennes, on reconnaît que les résultats sont bons – et c’est une bonne chose. Mais nous reconnaissent-ils aussi comme des hommes de Dieu ? Telle est la question.
Si on nous voit seulement comme de bons professionnels, alors nous sommes efficaces et rien de plus. Mais notre vie doit se nourrir de Lui – Voie, Vérité et Vie – et non de ce que « je pense », ou de ce que « je veux », ou de « ce qui me semble ».

C’est pourquoi, plutôt que de parler d’un projet personnel, je préfère parler d’un désir profond : devenir saints. Et en parler de manière concrète, non idéalisée. Quand Don Bosco parlait à ses garçons du trinôme savoir-santé-sainteté, il ne visait pas une sainteté faite uniquement de prière à la chapelle. Il pensait à une sainteté vécue dans la relation avec Dieu et nourrie par la relation avec Dieu. La sainteté chrétienne est le reflet de cette relation vivante et quotidienne.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui s’interroge sur sa vocation ?

Je lui dirais de découvrir, pas à pas, quel est le projet de Dieu pour lui.
Le cheminement vocationnel n’est pas une question que l’on pose en attendant une réponse toute faite de la part de l’Église. C’est un pèlerinage. Quand un jeune me dit : « Je ne sais pas si je veux devenir salésien ou non », j’essaie de l’éloigner de cette formulation. Car il ne s’agit pas simplement de décider : « Je vais devenir salésien ». La vocation n’est pas une option par rapport à une « chose ».

Dans ma propre expérience, lorsque j’ai dit à mon directeur spirituel : « Je veux devenir salésien, je dois le devenir », il m’a fait réfléchir très calmement : « Est-ce vraiment la volonté de Dieu ? Ou est-ce seulement ton désir à toi ? »

Il est normal qu’un jeune cherche ce qu’il désire, c’est une bonne chose. Mais celui qui l’accompagne a pour tâche d’éduquer cette recherche, de transformer un enthousiasme initial en un cheminement de maturation intérieure.
« Tu veux faire du bien ? C’est bien. Alors, apprends à te connaître toi-même, reconnais que tu es aimé de Dieu. »
Ce n’est qu’à partir de cette relation profonde avec Dieu que peut émerger la vraie question : « Quel est le projet de Dieu pour moi ? »
Car ce que je désire aujourd’hui pourrait ne plus me suffire demain. Si la vocation se réduit à ce qui me « plaît », alors elle sera fragile. La vocation est plutôt une voix intérieure qui interpelle, qui demande d’entrer en dialogue avec Dieu et de répondre.

Quand un jeune arrive à ce stade, quand il est accompagné dans la découverte de cet espace intérieur où habite Dieu, alors il commence vraiment à cheminer.

C’est pourquoi celui qui l’accompagne doit être très attentif, profond, patient. Jamais superficiel.

L’Évangile d’Emmaüs en est une image parfaite. Jésus s’approche des deux disciples, il les écoute même s’il sait qu’ils parlent dans la confusion. Puis, après les avoir écoutés, il commence à parler. Et eux, à la fin, l’invitent : « Reste avec nous, car le soir tombe. »
Et ils le reconnaissent dans le geste de rompre le pain. Puis ils se disent : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous tandis qu’il nous parlait en chemin ? »

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes sont en quête. Notre tâche, en tant qu’éducateurs, est de ne pas être pressés. Mais de les aider, avec calme et progressivement, à découvrir la grandeur qui est déjà dans leur cœur. Car c’est là, dans cette profondeur, qu’ils rencontrent le Christ. Comme le dit saint Augustin : « Tu étais en moi, et moi en dehors de moi. C’est là que je te cherchais. »

As-tu un message à transmettre aujourd’hui à la Famille salésienne ?

C’est le même message que j’ai partagé ces derniers jours, lors de la réunion du Conseil de la Famille salésienne : La foi. Enracinons-nous toujours plus dans la personne du Christ.

C’est de cet enracinement que naît une connaissance authentique de Don Bosco. Les premiers salésiens, lorsqu’ils ont voulu écrire un livre sur le vrai Don Bosco, ne l’ont pas intitulé « Don Bosco apôtre des jeunes », mais « Don Bosco avec Dieu » – un texte écrit par Don Eugenio Ceria en 1929.
Et cela nous fait réfléchir. Pourquoi eux, qui l’avaient vu à l’œuvre tous les jours, n’ont-ils pas choisi de mettre en avant le Don Bosco infatigable, organisateur, éducateur ? Non, ils ont voulu raconter le Don Bosco profondément uni à Dieu.
Ceux qui l’ont bien connu ne se sont pas arrêtés aux apparences, mais sont allés à la racine : Don Bosco était un homme immergé en Dieu.

À la Famille salésienne, je dis : nous avons reçu un trésor. Un immense don. Mais tout don implique une responsabilité.
Dans mon discours final, j’ai dit : « Il ne suffit pas d’aimer Don Bosco, il faut le connaître. »
Et nous ne pouvons vraiment le connaître que si nous sommes des personnes de foi.

Nous devons le regarder avec les yeux de la foi. C’est seulement ainsi que nous pouvons rencontrer le croyant qu’était Don Bosco, en qui le Saint-Esprit a agi avec force : avec dynamis, avec charis, avec charisme, avec grâce.
Nous ne pouvons pas nous limiter à répéter certaines de ses maximes ou à raconter ses miracles. Car nous courons le risque de nous arrêter aux anecdotes de Don Bosco, au lieu de nous arrêter à l’histoire de Don Bosco, car Don Bosco est plus grand que Don Bosco.
Cela signifie étudier, réfléchir, approfondir. Cela signifie éviter toute superficialité.

Et alors nous pourrons dire en vérité : « Telle est ma foi, tel est mon charisme : enracinés dans le Christ, sur les pas de Don Bosco. »




Message du père Fabio Attard pour la fête du Recteur Majeur

Chers confrères, chers collaborateurs et collaboratrices de nos Communautés Éducatives et Pastorales, chers jeunes,

            Permettez-moi de partager avec vous ce message qui vient du fond de mon cœur. Je vous le communique avec toute l’affection, la reconnaissance et l’estime que j’ai pour chacun et chacune d’entre vous qui êtes engagés dans la mission d’éducateurs, de pasteurs et d’animateurs de jeunes sur tous les continents.
            Nous sommes tous bien conscients que l’éducation des jeunes a de plus en plus besoin d’adultes porteurs de sens, de personnes qui possèdent une base morale solide, capables de leur transmettre une espérance et une vision d’avenir.
            Si nous avons tous à cœur de marcher avec les jeunes, de les accueillir chez nous, de leur offrir des possibilités d’éducation en tous domaines, dans les réalités variées que nous menons, nous sommes également conscients des défis culturels, sociaux et économiques auxquels nous sommes confrontés.
            À côté de ces défis qui font partie de tout processus éducatif et pastoral, puisqu’il s’agit toujours d’un dialogue continu avec les réalités terrestres, nous reconnaissons que, en raison des situations de guerres et de conflits armés dans diverses parties du monde, l’appel que nous vivons devient plus complexe et plus difficile. Tout cela a un effet sur l’engagement que nous prenons. Il est encourageant de voir que, malgré les défis que nous devons affronter, nous sommes déterminés à continuer à vivre notre mission avec conviction.
            Ces derniers mois, le message du Pape François et maintenant les paroles du Pape Léon XIV invitent continuellement le monde à regarder en face cette situation douloureuse qui ressemble à une spirale grandissant de manière effrayante. Nous savons que les guerres n’engendrent jamais la paix. Nous sommes conscients, et certains d’entre nous en font l’expérience sur la ligne de front,que chaque conflit armé, chaque guerre apporte son lot de souffrances, de douleurs et d’aggravation de toutes sortes de pauvreté. Nous savons tous que ceux qui paient, en fin de compte, le prix de ces situations sont les personnes déplacées, les personnes âgées, les enfants et les jeunes qui se retrouvent sans présent et sans avenir.
            C’est pourquoi, chers confrères, chers collaborateurs, chères collaboratrices et chers jeunes du monde entier, je souhaiterais vous demander que, pour la fête du Recteur Majeur, qui est une tradition remontant à l’époque de Don Bosco, chaque communauté, à une date proche de la fête du Recteur Majeur, célèbre la Sainte Eucharistie pour la paix.
            C’est une invitation à la prière qui trouve sa source dans le sacrifice du Christ, crucifié et ressuscité. Une prière comme témoignage pour que personne ne reste indifférent face à une situation mondiale secouée par un nombre croissant de conflits.
            Il s’agit d’un geste de solidarité avec tous ceux, notamment les Salésiens, les laïcs et les jeunes qui, en ce moment particulier, avec beaucoup de courage et de détermination, continuent à vivre la mission salésienne au milieu de situations marquées par les guerres. Ce sont des Salésiens, des laïcs et des jeunes qui demandent et apprécient la solidarité de toute la Congrégation, la solidarité humaine, la solidarité spirituelle, la solidarité charismatique.
            Alors que le Conseil Général et moi-même, nous faisons tout notre possible pour être très proches de tous, de manière concrète, je crois qu’en ce moment particulier, ce signe de proximité et d’encouragement doit être donné par toute la Congrégation.
            À vous, nos chers frères et sœurs du Myanmar, de l’Ukraine, du Moyen-Orient, de l’Éthiopie, de l’Est de la République Démocratique du Congo, du Nigéria, d’Haïti et d’Amérique Centrale, nous voulons vous dire haut et fort que nous sommes avec vous. Nous vous remercions pour votre témoignage. Nous vous assurons de notre proximité humaine et spirituelle.
            Continuons à prier pour le don de la paix. Continuons à prier pour nos confrères, laïcs et jeunes qui, vivant dans des situations très difficiles, ne cessent d’espérer et de prier pour que la paix s’instaure enfin. Leur exemple, le don d’eux-mêmes et leur appartenance au charisme de Don Bosco, sont un témoignage fort pour nous. Avec tant de personnes consacrées, prêtres et laïcs engagés, ils sont les martyrs des temps modernes, c’est-à-dire les témoins de l’éducation et de l’évangélisation qui, malgré tout, en tant que véritables pasteurs et ministres de la charité évangélique, continuent d’aimer, de croire et d’espérer un avenir meilleur.
            Nous tous, cet appel à la solidarité, nous l’accueillons de tout notre cœur. Merci.

Prot. 25/0243 Rome, le 24 juin 2025
don Fabio ATTARD,
Recteur Majeur

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La dévotion de Don Bosco au Sacré-Cœur de Jésus

La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, chère à Don Bosco, naît des révélations faites à Sainte Marguerite-Marie Alacoque dans le monastère de Paray-le-Monial. En montrant son cœur transpercé et couronné d’épines, le Christ demanda une fête réparatrice le vendredi après l’octave de la Fête-Dieu. Malgré les oppositions, le culte s’est répandu parce que ce Cœur, siège de l’amour divin, rappelle la charité manifestée sur la croix et dans l’Eucharistie. Don Bosco invite les jeunes à l’honorer constamment, surtout pendant le mois de juin, en récitant le Rosaire et en accomplissant des actes de réparation qui obtiennent de nombreuses indulgences et les douze promesses de paix, de miséricorde et de sainteté.

                La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus grandit chaque jour davantage. Écoutez, chers jeunes, comment elle a pris naissance. Il y avait en France, dans le monastère de la Visitation de Paray-le-Monial, une humble jeune religieuse du nom de Marguerite Alacoque. Elle était chère à Dieu à cause de sa grande pureté. Un jour, pendant qu’elle adorait Jésus au Saint-Sacrement, elle vit son Époux céleste découvrir sa poitrine et lui montrer son Sacré-Cœur rayonnant de flammes, entouré d’épines, transpercé d’une blessure et surmonté d’une croix. En même temps, elle l’entendit se plaindre de l’ingratitude monstrueuse des hommes. Il lui ordonna de s’employer à ce que, le vendredi après l’octave de la Fête-Dieu, on rende un culte spécial à son Divin Cœur en réparation des offenses qu’Il reçoit dans la Sainte Eucharistie. Pleine de confusion, la pieuse jeune fille exposa à Jésus son incapacité à accomplir une si grande entreprise, mais elle fut réconfortée par le Seigneur qui l’encouragea à poursuivre son œuvre, et la fête du Sacré-Cœur de Jésus fut instituée malgré la vive opposition de ses adversaires.

                Les raisons de ce culte sont multiples : 1° Parce que Jésus-Christ nous a offert son Sacré-Cœur comme siège de ses affections ; 2° Parce qu’il est le symbole de l’immense charité dont Il a fait preuve en particulier en permettant que son Sacré-Cœur soit transpercé d’une lance ; 3° Parce que ce Cœur incite les fidèles à méditer les douleurs de Jésus-Christ et à lui professer leur reconnaissance.
                Honorons donc constamment ce Cœur divin qui mérite toute notre humble et tendre vénération en raison des nombreux et grands bienfaits qu’il nous a déjà accordés et qu’il nous accordera.

Mois de juin
                Celui qui consacre tout le mois de juin en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus par une prière quotidienne ou une dévotion, obtient 7 ans d’indulgences pour chaque jour et une indulgence plénière à la fin du mois.

Chapelet du Sacré-Cœur de Jésus
                Ayez l’intention de réciter ce chapelet au Divin Cœur de Jésus-Christ pour le dédommager des outrages qu’il reçoit dans la Sainte Eucharistie de la part des infidèles, des hérétiques et des mauvais chrétiens. Dites-le, seul ou avec d’autres personnes, si possible devant l’image du Divin Cœur ou devant le Saint-Sacrement :
                V. Deus, in adjutorium meum intende (Dieu, viens à mon aide).
                R. Domine ad adjuvandum me festina (Seigneur, viens vite à mon secours).
                Gloria Patri, etc.

                1. Ô Cœur très aimable de mon Jésus, j’adore humblement votre très douce amabilité, que vous manifestez d’une manière singulière dans le Saint-Sacrement envers les âmes encore pécheresses. Je regrette de vous voir ainsi ingratement récompensé, et j’ai l’intention de vous dédommager des nombreuses offenses que vous recevez dans la Sainte Eucharistie de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                2. Ô Cœur très humble de mon Jésus au Saint-Sacrement, j’adore votre profonde humilité dans la Divine Eucharistie, où vous vous cachez par amour pour nous sous les espèces du pain et du vin. Je vous en prie, mon Jésus, mettez dans mon cœur cette belle vertu. Quant à moi, je m’efforcerai de vous dédommager des offenses que vous recevez dans le Saint-Sacrement de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                3. Ô Cœur de mon Jésus, si désireux de souffrir, j’adore votre ardent désir d’aller à la rencontre de votre douloureuse Passion et de vous soumettre aux outrages que vous avez prévus au Saint-Sacrement. Ah, mon Jésus ! J’ai bien l’intention de vous en dédommager par ma propre vie ; je voudrais empêcher ces offenses que vous recevez malheureusement dans la Sainte Eucharistie de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                4. Ô Cœur très patient de mon Jésus, je vénère humblement votre patience invincible à supporter pour mon amour tant de souffrances sur la Croix et tant de tourments dans la Divine Eucharistie. Ô mon cher Jésus ! Puisque je ne peux laver de mon sang les lieux où vous avez été si maltraité dans l’un et l’autre Mystère, je vous promets, ô mon Bien Suprême, d’utiliser tous les moyens pour dédommager votre Cœur Divin des nombreux outrages que vous recevez dans la Sainte Eucharistie de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                5. Ô Cœur de mon Jésus, grand ami de nos âmes dans l’admirable institution de la Sainte Eucharistie, j’adore humblement cet amour immense que vous nous portez en nous donnant pour nourriture votre Corps divin et votre divin Sang. Quel cœur pourrait rester insensible à la vue d’une si immense charité ? Ô mon bon Jésus ! Donnez-moi des larmes abondantes pour pleurer et réparer tant d’offenses que vous recevez dans le Saint-Sacrement de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                6. Ô Cœur de mon Jésus assoiffé de notre salut, je vénère humblement cet amour ardent qui vous a poussé à accomplir le sacrifice ineffable de la Croix, le renouvelant chaque jour sur les autels dans la Sainte Messe. Est-il possible que le cœur humain ne brûle de gratitude devant un tel amour ? Oui, malheureusement, ô mon Dieu. Mais pour l’avenir, je vous promets de faire tout mon possible pour réparer les nombreux outrages que vous recevez dans ce Mystère d’amour de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                Quiconque récitera ne serait-ce que les 6 Pater, Ave et Gloria indiqués ci-dessus devant le Saint-Sacrement, dont le dernier Pater, Ave et Gloria sera dit selon l’intention du Souverain Pontife, aura 300 jours d’indulgence à chaque fois.

Promesses faites par Jésus-Christ
à la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque pour les dévots de son Divin Cœur
                Je leur donnerai toutes les grâces nécessaires à leur état.
                Je ferai régner la paix dans leurs familles.
                Je les consolerai dans toutes leurs afflictions.
                Je serai leur refuge sûr dans la vie, mais surtout à l’heure de la mort.
                Je comblerai de bénédictions toutes leurs entreprises.
                Les pécheurs trouveront dans mon Cœur la source et l’océan infini de la miséricorde.
                Les âmes tièdes deviendront ferventes.
                Les âmes ferventes s’élèveront rapidement à une grande perfection.
                Je bénirai la maison où l’image de mon Sacré-Cœur sera exposée et honorée.
                Je donnerai aux prêtres le don de toucher les cœurs les plus endurcis.
                Le nom des personnes qui propageront cette dévotion sera inscrit dans mon Cœur et n’en sera jamais effacé.

Acte de réparation contre les blasphèmes.
                Dieu soit béni.
                Béni soit son Saint Nom.
                Béni soit Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme.
                Béni soit le nom de Jésus.
                Béni soit Jésus au Très Saint Sacrement de l’Autel.
                Béni soit son Sacré Cœur.
                Bénie soit l’Auguste Mère de Dieu, la Très Sainte Vierge Marie.
                Béni soit le nom de Marie, Vierge et Mère.
                Bénie soit sa Sainte et Immaculée Conception.
                Béni soit Dieu dans ses Anges et dans ses Saints.
                Une indulgence d’un an est accordée chaque fois : l’indulgence plénière à celui qui la récite pendant un mois, le jour où il fera la confession et la communion.

Offrande au Sacré-Cœur de Jésus devant sa sainte Image
                Moi, NN., pour marquer ma reconnaissance et pour réparer mes infidélités, je vous donne mon cœur et je me consacre entièrement à vous, mon aimable Jésus, et avec votre aide, je me propose de ne plus pécher.

                Le Pape Pie VII a accordé cent jours d’indulgence, une fois par jour, à qui la récite avec un cœur contrit, et une indulgence plénière une fois par mois à qui la récitera tous les jours.

Prière au Sacré-Cœur de Marie
                Je vous salue, très auguste Reine de la paix, Mère de Dieu. Par le Sacré Cœur de votre Fils Jésus, Prince de la paix, faites que sa colère s’apaise et qu’il règne sur nous dans la paix. Souvenez-vous, ô très pieuse Vierge Marie, qu’on n’a jamais entendu dire que vous avez rejeté ou abandonné quelqu’un qui implorait vos faveurs. Animé de cette confiance, je me présente à vous : ne méprisez pas mes prières, ô Mère du Verbe Éternel, mais écoutez-les favorablement et exaucez-les, ô clémente, ô miséricordieuse, ô douce Vierge Marie.

                Pie IX a accordé une indulgence de 300 jours chaque fois qu’on récitera cette prière avec dévotion, et une indulgence plénière une fois par mois à ceux qui l’auront récitée chaque jour.

Ô Jésus, brûlant d’amour,
                Si seulement je ne t’avais jamais offensé !
                Ô mon doux et bon Jésus,
                Je ne veux plus t’offenser.

Sacré Cœur de Marie,
                Fais que je sauve mon âme.
                Sacré Cœur de mon Jésus,
                Fais que je t’aime toujours plus.

                Je vous donne mon cœur,
                Mère de mon Jésus – Mère de l’amour.

(Source: « Il Giovane Provveduto per la pratica de’ suoi doveri negli esercizi di cristiana pietà per la recita dell’Uffizio della b. Vergine dei vespri di tutto l’anno e dell’uffizio dei morti coll’aggiunta di una scelta di laudi sacre, pel sac. Giovanni Bosco, 101a edizione, Torino, 1885, Tipografia e Libreria Salesiana, S. Benigno Canavese – S. Pier d’Arena – Lucca – Nizza Marittima – Marsiglia – Montevideo – Buenos-Aires », pp. 119-124 [Opere Edite, pp. 247-253])

Photo : Statue du Sacré-Cœur en bronze doré sur le clocher de la Basilique du Sacré-Cœur à Rome, don des anciens élèves salésiens d’Argentine. Érigée en 1931, c’est une œuvre réalisée à Milan par Riccardo Politi d’après un projet du sculpteur Enrico Cattaneo de Turin.




Don Bosco assiste à un conciliabule de démons (1884)

Les pages qui suivent nous plongent au cœur de l’expérience mystique de Saint Jean Bosco, à travers deux rêves saisissants qu’il a eus entre septembre et décembre 1884. Dans le premier, le Saint traverse la plaine vers Castelnuovo avec un personnage mystérieux et médite sur la rareté des prêtres, avertissant que seul un travail acharné, l’humilité et la moralité peuvent faire éclore de véritables vocations. Dans le second cycle onirique, Bosco assiste à un concile infernal : des démons monstrueux complotent pour anéantir la Congrégation Salésienne naissante, en répandant la gourmandise, la soif de richesses, la liberté sans obéissance et l’orgueil intellectuel. Entre présages de mort, menaces internes et signes de la Providence, ces rêves deviennent un miroir dramatique des luttes spirituelles qui attendent chaque éducateur et l’Église entière, offrant à la fois de sévères avertissements et de lumineuses espérances.

            Les deux rêves que Don Bosco a eus en septembre et en décembre sont riches d’enseignements.

            Le premier, qu’il a eu dans la nuit du 29 au 30 septembre, est une leçon pour les prêtres. Il lui a semblé qu’il se dirigeait vers Castelnuovo à travers une plaine ; un vénérable prêtre, dont il dit ne plus se souvenir du nom, marchait à ses côtés. L’entretien tomba sur les prêtres. – Travail, travail, travail ! disaient-ils : voilà le but et la gloire des prêtres. Ne jamais se lasser de travailler. Ainsi, combien d’âmes seraient sauvées ! Combien de choses on pourrait faire pour la gloire de Dieu ! Si le missionnaire faisait vraiment le missionnaire, si le curé faisait vraiment le curé, combien de merveilles de sainteté resplendiraient de toutes parts ! Mais malheureusement beaucoup ont peur de travailler et préfèrent leurs commodités…
            Pendant qu’ils faisaient entre eux ces raisonnements, ils arrivèrent à un endroit appelé Filippelli. Alors Don Bosco commença à se lamenter sur l’actuel manque de prêtres.
            – C’est vrai, répondit l’autre, il y a une pénurie de prêtres, mais si tous les prêtres étaient prêtres, il y en aurait suffisamment. Combien de prêtres ne font rien pour le ministère ! Les uns ne font que le prêtre de famille ; d’autres, par timidité, sont oisifs, alors que s’ils se mettaient dans le ministère, s’ils se présentaient à l’examen de confession, ils rempliraient un grand vide dans les rangs de l’Église… Dieu proportionne les vocations en fonction des besoins. Quand vint le service militaire des clercs, tous commencèrent à s’effrayer, comme si personne ne voulait plus devenir prêtre ; mais quand les imaginations se calmèrent, on vit que les vocations augmentaient au lieu de diminuer.
            – Et maintenant, demanda Don Bosco, que faut-il faire pour promouvoir les vocations parmi les jeunes ?
            – Rien d’autre, répondit son compagnon, que de cultiver jalousement la moralité parmi eux. La moralité est le terreau des vocations.
            – Et que doivent surtout faire les prêtres pour que leur vocation porte du fruit ?
            – Presbyter discat domum suam regere et sanctificare. (Le prêtre doit apprendre à gouverner et à sanctifier sa maison). Que chacun soit un exemple de sainteté dans sa famille et dans sa paroisse. Pas d’excès dans la nourriture et dans les soucis temporels… Qu’il soit avant tout un modèle dans sa maison et il sera ensuite le premier à l’extérieur.
            À un certain endroit de la route, le prêtre demanda à Don Bosco où il allait ; Don Bosco indiqua Castelnuovo. Alors il le laissa aller et resta avec un groupe de personnes qui le précédaient. Après quelques pas, Don Bosco se réveilla. Dans ce rêve, nous pouvons voir un souvenir des promenades d’autrefois dans ces lieux.

Prédiction de la mort de certains salésiens
            Le deuxième rêve a trait à la Congrégation et met en garde contre les dangers qui pourraient menacer son existence. En fait, plus qu’un rêve, il s’agit d’un argument développé au cours d’une succession de rêves.
            Dans la nuit du 1er décembre, le clerc Viglietti fut réveillé par des cris déchirants provenant de la chambre de Don Bosco. Il saute immédiatement du lit et écoute. Don Bosco, d’une voix étouffée par les sanglots, s’écrie :
            – Oh ! oh ! à l’aide ! à l’aide !
            Viglietti entra sans plus attendre et lui dit :
            – Oh ! Don Bosco, vous vous sentez mal ?
            – Oh ! Viglietti, répondit-il en se réveillant, non, je ne suis pas malade, mais je ne pouvais plus respirer, tu sais. Mais ça suffit, retourne tranquillement dans ton lit et dors.
            Le matin, quand Viglietti lui apporta comme d’habitude le café après la messe, il lui dit :
            – Oh ! Viglietti, je n’en peux plus, j’ai l’estomac tout retourné à cause des cris de cette nuit. Cela fait quatre nuits consécutives que je fais des rêves qui me forcent à crier et m’épuisent à l’excès. Il y a quatre nuits, j’ai vu une longue file de salésiens qui allaient tous l’un après l’autre, chacun portant une perche, au sommet de laquelle il y avait une pancarte et sur la pancarte un numéro imprimé. On pouvait lire 73 sur l’un, 30 sur l’autre, 62 sur un troisième, et ainsi de suite. Après de nombreux passages de salésiens, la lune apparut dans le ciel, et dans la lune, à mesure qu’un salésien apparaissait, on pouvait voir un nombre qui n’était jamais supérieur à 12, suivi de plusieurs points noirs. Tous les salésiens que j’avais vus allèrent s’asseoir chacun sur une tombe préparée à cet effet.
            Voici l’explication de ce spectacle. Le nombre inscrit sur les pancartes était le nombre d’années de vie destinées à chacun ; l’apparition de la lune sous différentes formes et phases indiquait le dernier mois de vie ; les points noirs étaient les jours du mois au cours duquel ils allaient mourir. Parfois, il en voyait plusieurs réunis en groupes : c’étaient ceux qui devaient mourir ensemble, le même jour. S’il avait voulu raconter en détail tous les incidents et circonstances, il dit qu’il lui aurait fallu au moins une bonne dizaine de jours.

Il assiste à un conciliabule de démons
            Il y a trois nuits, poursuit-il, j’ai encore eu un rêve. Je vais te le raconter brièvement. Il m’a semblé que j’étais dans une grande salle, où des démons en grand nombre tenaient une conférence et discutaient de la manière d’exterminer la Congrégation salésienne. Ils ressemblaient à des lions, à des tigres, à des serpents et à d’autres bêtes, mais leur figure était comme indéterminée et faisait penser plutôt à la figure humaine. Ils ressemblaient à des ombres qui s’abaissaient et se relevaient, se raccourcissaient et s’étiraient, comme le feraient de nombreux corps s’ils avaient derrière eux une lampe placée d’un côté ou de l’autre, tantôt abaissée vers le sol, tantôt relevée. Mais cette fantasmagorie inspirait un sentiment de terreur.
            Et voici que l’un des démons s’avance et ouvre la séance. Pour détruire la Pieuse Société, il propose un moyen : la gourmandise. Il montra les conséquences de ce vice : inertie, corruption des mœurs, scandale, absence d’esprit de sacrifice, absence de souci de la jeunesse… Mais un autre démon lui répondit :
            – Ton moyen n’est ni universel ni efficace, parce qu’on ne peut pas attaquer ainsi tous les membres à la fois, parce que la table des religieux sera toujours frugale et le vin mesuré ; la Règle fixe leur nourriture ordinaire et les Supérieurs surveillent pour prévenir le désordre. Ceux qui exagèrent quelquefois dans le boire et le manger, au lieu de scandaliser, seraient plutôt repoussés. Non, ce n’est pas là l’arme pour combattre les salésiens. Je propose un autre moyen, qui sera plus efficace et qui atteindra mieux notre but : l’amour des richesses. Dans une Congrégation religieuse, quand l’amour des richesses s’en mêle, l’amour du confort s’en mêle aussi, on cherche par tous les moyens à avoir un pécule, le lien de la charité est rompu, chacun pense à soi, on néglige les pauvres pour ne s’occuper que des plus fortunés, on vole à la Congrégation…
            Il voulait continuer, mais un troisième démon surgit, qui s’exclama :
            – Mais quoi ? La gourmandise ! Les richesses ! Chez les salésiens, l’amour des richesses ne peut vaincre que peu de personnes. Ils sont tous pauvres, les salésiens, ils ont peu d’occasions d’acquérir un pécule. En général, ils sont ainsi faits et leurs besoins pour tant de jeunes et tant de maisons sont si grands que toute somme, même importante, serait vite dépensée. Ils n’ont pas la possibilité d’amasser des trésors. Moi, j’ai un moyen infaillible pour nous approprier la Société Salésienne, c’est la liberté. Pousser les salésiens à mépriser les Règles, à rejeter certaines charges comme lourdes et déshonorantes, les pousser à s’opposer à leurs supérieurs d’opinions différentes, à aller chez eux sous prétexte d’invitations et autres choses du même genre.
            Pendant que les démons parlementaient, Don Bosco pensait : – Je fais attention, vous savez, à ce que vous dites. Parlez, parlez, pour que je puisse déjouer vos complots.
            Enfin un quatrième démon se leva d’un bond en criant :
            – Mais qu’est-ce que vous dites ! Vos armes sont cassées ! Les Supérieurs sauront freiner cette liberté, ils chasseront des maisons tous ceux qui oseront se montrer rebelles contre les Règles. Certains se laisseront peut-être emporter par l’amour de la liberté, mais la grande majorité s’en tiendra à son devoir. Moi, j’ai un moyen adapté pour tout détruire à partir des fondations, un moyen tel que les salésiens pourront difficilement en être préservés ; ce sera vraiment un défaut à la racine. Ecoutez-moi bien. Il faut les persuader que la science devra être leur gloire principale. Incitez-les donc à étudier beaucoup pour eux-mêmes, pour acquérir la renommée, et à ne pas mettre en pratique ce qu’ils apprennent, à ne pas faire usage de la science pour le bien d’autrui. D’où l’ostentation des connaissances devant les ignorants et les pauvres, la paresse dans le ministère sacré. Plus d’oratoires festifs, plus de catéchismes aux enfants, plus de petites classes pour instruire les enfants pauvres et abandonnés, plus de longues heures au confessionnal. Ils se contenteront de prêcher, mais rarement, et de façon stérile, parce qu’ils le feront par orgueil, pour avoir la louange des hommes et non pour sauver les âmes.
            Sa proposition fut accueillie par un applaudissement général. Don Bosco entrevit alors le jour où les salésiens se laisseraient aller à croire que le bien de la Congrégation et son honneur consisteraient uniquement dans le savoir, et il craignit que non seulement ils pratiquent cette façon de voir, mais qu’ils prêchent haut et fort qu’il doit en être ainsi.
            Don Bosco se tenait de nouveau dans un coin de la pièce, écoutant et observant tout, lorsqu’un des démons le découvrit et, en criant, le désigna aux autres. À ce cri, ils se précipitèrent tous sur lui en criant :
            – Nous allons en finir ! C’était une bacchanale infernale de spectres qui le heurtaient, le saisissaient par les bras et par le corps, et il criait : Lâchez-moi ! Au secours ! – Enfin, il se réveilla, l’estomac retourné par tant de cris.

Lions, tigres et monstres déguisés en agneaux
            La nuit suivante, il se rendit compte que le diable avait attaqué les salésiens sur leur point le plus essentiel, les poussant à transgresser les Règles. Parmi eux il vit distinctement devant lui ceux qui les observaient et ceux qui ne les observaient pas.
            La dernière nuit, le rêve avait été effrayant. Don Bosco vit un grand troupeau d’agneaux et de brebis représentant les salésiens. Il s’approcha, essayant de caresser les agneaux ; mais il s’aperçut que leur laine, au lieu d’être de la laine d’agneau, ne servait que de couverture, cachant des lions, des tigres, des chiens enragés, des porcs, des panthères, des ours, et chacun avait sur les flancs un monstre laid et féroce. Au milieu du troupeau se tenaient quelques-uns réunis en conseil. Sans se faire remarquer, Don Bosco s’approcha d’eux pour écouter ce qu’ils disaient : ils étaient en train de comploter pour détruire la Congrégation salésienne. L’un d’eux dit :
            – Il faut massacrer les salésiens.
            Et un autre ajouta en ricanant :
            – Il faut les étrangler.
            Mais au milieu de tout cela, l’un d’entre eux vit Don Bosco qui écoutait tout près. Il donna l’alerte et tous crièrent d’une seule voix qu’il fallait commencer par Don Bosco. Cela dit, ils se précipitèrent sur lui comme pour l’étrangler. C’est alors qu’il poussa le cri qui réveilla Viglietti. En plus de cette violence diabolique il y avait autre chose qui oppressait son esprit : il avait vu une grande pancarte déployée sur ce troupeau, où l’on pouvait lire : BESTIIS COMPARATI SUNT (ils sont comparés à des bêtes). Après avoir raconté cela, il baissa la tête et pleura.
            Viglietti lui prit la main et la serra contre son cœur :
            – Ah ! Don Bosco, lui dit-il, nous serons toujours pour vous des fils fidèles et bons, n’est-ce pas, avec l’aide de Dieu ?
            – Cher Viglietti, répondit-il, sois bon et prépare-toi à voir les événements. Je t’ai un peu parlé de ces rêves ; si je devais tout te raconter en détail, j’en aurais pour longtemps. Que de choses j’ai vues ! Il y en a dans nos maisons qui ne feront plus jamais la neuvaine de Noël. Oh, si je pouvais parler aux jeunes, si j’avais la force de m’entretenir avec eux, si je pouvais faire le tour des maisons, faire ce que je faisais autrefois, révéler à chacun l’état de sa conscience, tel que je l’ai vu en rêve, et dire à certains : Brise la glace, fais une fois une bonne confession ! Ils me répondraient : Mais moi je me suis bien confessé ! Je pourrais au contraire leur répondre en leur disant ce qu’ils ont tu pour qu’ils n’osent plus ouvrir la bouche. Même certains salésiens, si je pouvais arriver à leur dire un mot, verraient la nécessité de s’amender en refaisant leur confession. J’ai vu ceux qui observaient les Règles et ceux qui ne les observaient pas. J’ai vu beaucoup de jeunes qui allaient à San Benigno, deviendront salésiens puis feront défection. Il y aura aussi des transfuges parmi ceux qui sont déjà salésiens. Il y en aura qui voudront surtout la science qui gonfle, qui leur procure les louanges des hommes et qui leur fait mépriser les conseils de ceux qu’ils croient inférieurs à eux au niveau du savoir…
            À ces pensées angoissantes se mêlaient des consolations providentielles qui lui réjouissaient le cœur. Le soir du 3 décembre, l’évêque de Para, le pays central dans le rêve des Missions, arrivait à l’Oratoire. Le lendemain, il dit à Viglietti :
            – Comme elle est grande, la Providence ! Ecoute, et dis-moi si nous ne sommes pas protégés par Dieu. Don Albera m’écrivait qu’il ne pouvait plus tenir et qu’il avait besoin de mille francs immédiatement ; le même jour, une dame de Marseille, qui désirait ardemment revoir son frère religieux à Paris, heureuse d’avoir obtenu une grâce de la Vierge, apportait au P. Albera mille francs. L’abbé Ronchail est en grande difficulté et a absolument besoin de quatre mille francs ; une dame écrit aujourd’hui même à Don Bosco pour mettre quatre mille francs à sa disposition. Don Dalmazzo ne sait plus où donner de la tête pour avoir de l’argent ; aujourd’hui une dame donne une somme très importante pour l’église du Sacré-Cœur. – Et puis, le 7 décembre, ce fut la joie de la consécration épiscopale de Mgr Cagliero. Tous ces faits étaient d’autant plus encourageants qu’ils étaient des signes visibles de la main de Dieu dans l’œuvre de son Serviteur.
(MB XVII 383-389)




Éduquer le cœur humain avec saint François de Sales

Saint François de Sales place au centre de la formation humaine le cœur, siège de la volonté, de l’amour et de la liberté. S’appuyant sur la tradition biblique et dialoguant avec la philosophie et la science de son époque, l’évêque de Genève identifie dans la volonté la « faculté maîtresse » capable de gouverner les passions et les sens, tandis que les affections – surtout l’amour – nourrissent son dynamisme intérieur. L’éducation salésienne vise donc à transformer les désirs, les choix et les résolutions en un chemin de maîtrise de soi, où douceur et fermeté convergent pour orienter la personne tout entière vers le bien.

Au centre et au sommet de la personne humaine François de Sales place le cœur, au point qu’il a pu dire : « Qui a gagné le cœur de l’homme a gagné tout l’homme ». Dans l’anthropologie salésienne, on ne peut que constater l’usage surabondant du terme et de la notion de cœur. Cela est d’autant plus surprenant que chez les humanistes de son temps, tout imprégnés des conceptions et de la terminologie de l’antiquité, il ne semble pas qu’on puisse discerner une insistance particulière sur ce symbole.
Pour une part, cette prépondérance du cœur peut s’expliquer par l’usage commun et universel de ce terme pour désigner l’intériorité de la personne, spécialement sous l’aspect affectif. Par ailleurs, François de Sales dépend certainement de la tradition biblique, où le cœur est considéré comme le siège des facultés typiquement humaines telles que la pensée, l’amour et la volonté.
À ces considérations on pourrait peut-être ajouter les recherches anatomiques contemporaines sur le fonctionnement du cœur et la circulation du sang. L’important pour nous est de chercher la signification que François de Sales attribuait au cœur à partir de sa vision de l’homme, qui culmine dans la volonté, l’amour et la liberté.

La volonté est la faculté maîtresse
            En parlant de l’entendement et de la mémoire, nous restions dans le domaine de la connaissance. Il s’agit maintenant d’entrer dans celui de l’agir, qui dépend avant tout de la volonté. Comme l’avaient fait saint Augustin et certains philosophes tels que Duns Scot, sans doute aussi sous l’influence de ses maîtres jésuites, François de Sales donna la première place à la volonté. C’est elle qui doit gouverner toutes les « puissances » de l’âme.
Il est significatif que le Traité de l’amour de Dieu s’ouvre sur le chapitre qui proclame que « pour la beauté de la nature humaine Dieu a donné le gouvernement de toutes les facultés de l’âme à la volonté ». Citant saint Thomas d’Aquin, François de Sales affirme que l’homme a « plein pouvoir sur toutes sortes d’accidents et événements » et que « l’homme sage, c’est-à-dire l’homme qui se conduit par la raison, se rendra maître absolu des astres ». Avec l’entendement et la mémoire, la volonté est « le troisième soldat de notre esprit et le plus fort de tous », car « nul ne peut surmonter la liberté de la volonté de l’homme ; Dieu même qui l’a créé ne veut en façon quelconque la forcer ni violenter ».
Mais l’autorité de la volonté s’exerce de manière très diverse, et l’obéissance qu’elle reçoit est très variable. Les membres de notre corps obéissent à la volonté sans problème. Nous ouvrons et fermons la bouche, nous remuons la langue, les mains, les pieds, les yeux comme nous voulons et quand nous voulons. La volonté a aussi pouvoir sur le fonctionnement de nos cinq sens, mais il s’agit d’un pouvoir indirect. Pour ne pas voir de mes yeux, je dois les détourner ou les fermer ; pour pratiquer le jeûne, je dois commander à mes mains de ne pas porter de nourriture à ma bouche.
La volonté peut et doit dominer l’appétit sensuel avec ses douze passions, bien que celui-ci ait tendance à se comporter comme « un sujet rebelle, séditieux et remuant ». La volonté a pouvoir même sur les facultés supérieures de l’esprit, l’entendement et la mémoire, car c’est elle qui décide d’appliquer ou non l’esprit à tel ou tel objet ou à tel ou tel souvenir, mais elle ne peut les manier et les réduire à l’obéissance sans difficulté. La difficulté est encore plus grande lorsque l’imagination, qui intervient presque en toute occasion, a comme particularité d’être extrêmement « variante et volage ».
Mais comment « fonctionne » la volonté ? Si l’on se réfère au modèle salésien de la méditation tel que l’auteur l’a exposé dans l’Introduction à la vie dévote, la réponse à cette question tient en peu de mots. Au point de départ, l’entendement et la mémoire produisent les « considérations », qui consistent à réfléchir et à méditer sur un bien, une valeur ou une vérité. Cette réflexion produit normalement des « affections », c’est-à-dire de grands désirs d’acquérir et de posséder ce bien ou cette valeur, et ces affections sont en mesure d’« émouvoir » la volonté. Et la volonté, une fois « émue », produit des « résolutions ».

Les « affections » qui meuvent la volonté
            La volonté étant définie par François de Sales comme un « appétit », il s’ensuit qu’on peut la considérer comme une « faculté affective ». Mais c’est un appétit raisonnable, et non pas sensible ou sensuel. Les mouvements de l’appétit sensible sont les passions, tandis que les mouvements de la volonté sont appelés « affections », en tant qu’ils affectent ou meuvent la volonté. François de Sales appelle parfois les premiers « passions du corps » et les seconds « affections du cœur ». Les douze affections sont les mêmes que les douze passions, mais elles interviennent à un niveau supérieur.
Dans les méditations qu’il propose dans la première partie de l’Introduction, l’auteur fait appel à toute une série d’expressions fortes et significatives pour susciter les douze affections du cœur qu’il veut inculquer à Philothée : l’amour du bien (« tourner son cœur vers », « s’affectionner à », « embrasser », « s’attacher à », se joindre à », s’unir à ») ; la haine du mal (« détester », « rompre la liaison », « fouler au pied ») ; le désir (« aspirer », « implorer », « invoquer », « supplier ») ; la fuite du mal (« mépriser », « se séparer », « s’éloigner », « renoncer », « abjurer ») ; l’espoir (« sus donc ! ô mon cœur ») ; le désespoir (« oh ! que mon indignité est grande ! ») ; la joie (« jouir », « se complaire ») ; la tristesse (« s’affliger », « se confondre », « s’abaisser », « s’humilier ») ; la colère (« reprocher », « pousser dehors », « déraciner ») ; la crainte (« trembler », « épouvanter son âme ») ; le courage (« encourager », « fortifier ») ; et enfin le triomphe (« exalter », « glorifier »).
Dans le processus décisionnel, la reconnaissance du rôle des affections paraît indispensable. Il est significatif que les méditations proposées dans l’Introduction leur accordent une place centrale. Dans certains cas, explique l’auteur, on pourra presque se passer de considérations ou les abréger, mais les affections ne pourront jamais manquer, parce que ce sont elles qui motivent les résolutions. Dès que survient une affection bonne, conseillait-il, il faut lui « lâcher la bride, sans suivre la méthode que je vous ai donnée », parce que la considération ne se fait que pour déclencher l’affection.

L’amour est la première « affection » de la volonté
            Pour François de Sales, l’amour arrive toujours en tête, que ce soit dans la liste des passions ou que ce soit dans celle des affections. Qu’est-ce que l’amour ? lui demandait un jour son disciple et ami Jean-Pierre Camus. Il répondit : « L’amour est la première passion de notre appétit sensitif, et la première affection de notre appétit raisonnable, qui est notre volonté, si bien que notre volonté n’est autre chose que l’amour du bien, et l’amour c’est vouloir le bien ».
L’amour gouverne les autres affections et les attire dans notre cœur : « La tristesse, la crainte, l’espérance, la haine et les autres affections de l’âme n’entrent point dans le cœur que l’amour ne les y tire après soi ». Dans le sillage de saint Augustin, pour qui vivre c’est aimer, François de Sales explique que toutes les affections qui font vibrer le cœur humain dépendent de l’amour. « L’amour est la vie de notre cœur », dit-il encore, et c’est en dépendance de l’amour que « nous désirons, nous nous délectons, nous espérons et désespérons, nous craignons, nous nous encourageons, nous haïssons, nous fuyons, nous nous attristons, nous entrons en colère, nous triomphons ».
Pour François de Sales, la volonté a d’abord une dimension passive, alors que l’amour est la puissance active qui émeut et qui meut. La volonté ne parvient à se décider et à décider que mue par ce mobile prédominant : l’amour. Si l’on prend l’exemple du fer attiré par l’aimant, il faudra dire que la volonté est le fer, mais que l’amour est l’aimant qui l’attire vers lui.
Pour illustrer le dynamisme de l’amour, l’auteur du Traité utilise également l’image de l’arbre. Avec une précision de botaniste, il analyse les cinq parties de l’arbre de l’amour : sa racine est la « convenance » de la volonté avec le bien, le pied de l’arbre est le plaisir qui est le moteur de l’amour, le tronc est le mouvement qui le parcourt, les branches représentent les recherches et les efforts qu’il fait, le fruit est la jouissance qu’il procure, c’est-à-dire l’union avec l’objet désiré. Car « l’amour tend à l’union ».
L’amour s’impose à la volonté elle-même. Telle est sa force qu’« à celui qui aime rien n’est difficile ». Mieux encore, « à l’amour rien n’est impossible ». L’amour est fort comme la mort, répète François de Sales avec le Cantique des Cantiques, ou plutôt l’amour est plus fort que la mort. À tout bien considérer, l’homme ne vaut que par l’amour et toutes les puissances et facultés humaines tendent vers lui, spécialement la volonté : « Dieu ne veut l’homme que pour l’âme, ni l’âme que pour la volonté, ni la volonté que pour l’amour ». Mais qui, en fin de compte, aura le dessus, la volonté ou l’amour ?
Pour expliquer sa pensée, l’auteur du Traité utilise l’image des relations entre l’homme et la femme telles qu’elles étaient vécues et codifiées à son époque. La volonté, comme la femme, est maîtresse de son choix entre les divers amants qui la recherchent, mais une fois qu’elle a fait son choix, elle devient sujette de l’amour.

Le combat de la volonté pour la liberté intérieure
            Vouloir, c’est choisir. La volonté, éclairée par la raison et guidée par l’amour, doit continuellement faire des choix. Quand l’homme est encore un petit enfant, il est entièrement dépendant et incapable de choisir, mais bientôt les choix s’imposent. Les enfants ne sont ni bons ni mauvais, car ils ne sont pas plus capables de choisir le bien que le mal. Ils marchent pendant leur enfance comme ceux qui sortant d’une ville vont tout droit quelque temps. Mais au bout de quelque temps ils trouvent que le chemin fourche et se partage en deux. Il est en leur pouvoir de prendre à droite ou à gauche, selon que bon leur semble, pour aller où ils désirent.
Le choix est difficile parce qu’il suppose qu’on renonce à un bien pour un autre. Très souvent, nous devons choisir entre ce que nous sentons et ce que nous voulons. Sentir est généralement indépendant de notre volonté, et donc moralement neutre, alors que consentir relève d’un acte libre de notre volonté. Le jeune homme tenté par une « impudique femme », dont parlait saint Jérôme, avait l’imagination extrêmement occupée par la présence des « objets voluptueux », mais il surmonta l’épreuve par un pur acte de la volonté supérieure. La volonté, assiégée de toute part et sommée de donner son consentement, a résisté à la passion sensuelle.
Le choix s’impose très souvent dans les relations que nous avons avec autrui, notamment à cause des aversions et des antipathies que nous éprouvons en face de certaines personnes. « Foulez aux pieds vos sentiments, vos défiances, vos craintes, vos aversions », conseillait François de Sales à une de ses correspondantes, lui demandant de prendre « le parti de l’inspiration et de la raison contre celui de la nature et de l’aversion ».
Pour gouverner notre moi inférieur, l’amour a besoin de toutes ses forces. Ce sera donc un « amour armé » qui asservira nos passions. La « volonté libre » réside en effet « en la suprême et plus spirituelle partie de l’âme ». Elle ne dépend que de Dieu et d’elle-même et « quand toutes les autres facultés de l’âme sont perdues et assujetties à l’ennemi, elle seule demeure maîtresse d’elle-même pour ne point consentir ».
Le combat se situe en particulier au niveau de l’intention que nous mettons dans nos actions. C’est un aspect auquel François de Sales est très sensible parce qu’il touche la qualité de notre agir. En effet, la fin que l’on poursuit donne son sens à tout ce que nous faisons. On peut décider une action pour une quantité de motifs. À la différence des animaux, « l’homme est tellement maître de ses actions humaines et raisonnables qu’il les fait toutes pour quelque fin ». Il peut même changer la fin naturelle d’une action ou lui ajouter une fin secondaire, qui n’est pas toujours bonne. Chez les païens, les intentions étaient rarement désintéressées. Nos actions peuvent être contaminées par l’orgueil, la vanité ou par quelque intérêt personnel plus ou moins caché. Parfois nous faisons croire que nous voulons être les derniers en nous asseyant « au bas bout de la table », mais c’est afin de passer plus avantageusement « au haut bout ».
« Purifions donc, Théotime, tant que nous pourrons, toutes nos intentions », demande l’auteur du Traité. L’intention bonne doit animer les plus petites actions et les simples gestes du quotidien. En effet, ce n’est pas par la multiplicité de nos actions que nous parvenons à la perfection, mais c’est par la « pureté d’intention » avec laquelle nous les faisons. Il ne faut pas perdre courage, car on peut toujours redresser son intention et la « bonifier ».

Les fruits de la volonté sont les résolutions
            Avec le thème du combat pour la liberté intérieure, il est apparu que la volonté n’a pas seulement un caractère passif, mais un aspect actif très fort, surtout quand il est question des résolutions comme fruit de la faculté maîtresse de notre esprit. Saint François de Sales attache une grande importance à la distinction entre volonté affective et volonté effective, comme entre l’amour affectif et l’amour effectif. L’amour affectif ressemble à l’amour d’un père pour le cadet, « un petit mignon encore tout enfant, de bonne grâce », tandis que l’amour qu’il témoigne à l’aîné, « homme fait, brave et généreux soldat », est d’une autre sorte : « Celui-ci donc est aimé de l’amour effectif, et le petit de l’amour affectif ».
De même, en parlant de « la constance de la volonté », François de Sales affirme qu’on ne peut se contenter d’une « constance sensible » ; il faut une constance « qui soit en la partie supérieure de l’esprit, et qu’elle soit effective ». La volonté, en effet, doit produire des « résolutions », sous peine d’être vide et inefficace. Il arrive un moment où il ne faut plus « spéculer avec l’entendement », mais « raidir la volonté », indépendamment de nos états d’âme qui peuvent varier comme les saisons de l’année. « Que le soleil la brûle ou que la rosée la rafraîchisse », une volonté forte ne se laisse pas facilement détourner de ses résolutions. « Soyons inviolables en nos résolutions », demande l’auteur de l’Introduction.
C’est la faculté maîtresse qui donne sa valeur à la personne car, affirme-t-il, « tout le monde ensemble ne vaut pas une âme, et une âme ne vaut rien sans nos résolutions ». Ce mot de « résolution » indique une décision qui intervient à la fin d’un processus qui a mis en jeu l’entendement avec sa capacité de discernement et le cœur au sens d’une affectivité qui se laisse mouvoir par un bien qui l’attire.
Dans la dernière partie de chacune des dix méditations proposées dans la première partie de l’Introduction, après les considérations et les affections c’est le moment des résolutions. On y trouve des expressions fréquentes comme : « je veux », « je ne veux plus », « oui je pratiquerai les inspirations et conseils », « je ferai tout ce que je pourrai », « je veux faire ceci ou cela », « je ferai tel et tel effort », « je choisis », « je veux prendre parti »… Ailleurs il dit encore : il faut se résoudre et se déterminer, il ne faut plus par après révoquer en doute notre choix, mais le cultiver et soutenir, et « bien que les difficultés, tentations et diversités d’événements qui se rencontrent au progrès de l’exécution de notre dessein, nous pourraient donner quelque défiance d’avoir bien choisi, il faut néanmoins demeurer ferme et ne point regarder tout cela ».
La volonté chez saint François de Sales, si elle a souvent un aspect passif, se montre ici dans tout son dynamisme extrêmement actif. Ce n’est donc pas sans raison qu’on peut parler de volontarisme salésien.

Motiver et fortifier le cœur
            François de Sales a été reconnu comme un authentique éducateur de la volonté. Dire qu’il fut un éducateur du cœur humain signifie à peu près la même chose, si l’on y ajoute la nuance affective qui s’attache à la conception salésienne du cœur. Pour être efficace, l’éducation, comme d’ailleurs toute forme d’intervention à l’égard de soi et d’autrui, doit toucher le grand ressort de la personne : il faut « émouvoir la volonté », en l’attirant au bien, à la vérité et à la beauté, en somme lui proposer des valeurs et les faire désirer.
Un bon pédagogue sait que pour amener son élève au but qu’il lui propose, que ce soit le savoir ou la vertu, il est indispensable de lui présenter un projet qui mobilise ses énergies. François de Sales se révèle ici un maître dans l’art de la motivation, par exemple quand il enseigne à sa fille spirituelle, Jeanne de Chantal, une de ses maximes favorites : « Il faut tout faire par amour et rien par force ». Dans le Trité il affirme que « la délectation ouvre le cœur », alors que « la tristesse le resserre ». Car l’amour est la vie du cœur.
Cependant, la force ne doit pas manquer. Car une fois que le cœur s’est laissé attirer par un bien, il doit mettre en œuvre toute son énergie pour le conquérir. Quand Philothée sera tentée par la vanité, l’avarice ou les plaisirs, elle devra « fortifier son cœur » contre toutes ces tentations. Les deux dimensions de la volonté, affective et effective, se trouvent souvent mélangées l’une avec l’autre chaque fois qu’il parle du cœur humain, c’est-à-dire très souvent.
Saint François de Sales veut un cœur « doux et paisible », mais il n’aime pas la « tendreté de cœur » qui est recherche de soi et demande la « fermeté de cœur » dans l’action. « À cœur vaillant, rien d’impossible », écrit-il à une correspondante pour l’encourager dans ses résolutions. Il veut un « cœur d’homme », en même temps qu’un cœur « souple, maniable et soumis, aisé à condescendre en toutes choses permises », un « cœur doux à l’endroit du prochain et humble à l’endroit de son Dieu », et en même temps « généreusement relevé ». Au jeune homme qui va « prendre la haute mer du monde » l’évêque de Genève souhaitait « un cœur généreux » et « un cœur vigoureux » qui sache gouverner ses désirs.
Il s’agit, en somme, de parvenir à la maîtrise de soi, en vue de se posséder soi-même. Parlant de la vertu de patience, il écrit : « C’est le grand bonheur de l’homme, Philothée, que de posséder son âme ; et à mesure que la patience est plus parfaite, nous possédons plus parfaitement nos âmes ».
Le chemin indiqué par saint François de Sales est un chemin vers l’autonomie du moi, garantie par la prédominance de la volonté libre et raisonnable, mais une autonomie gouvernée par l’amour souverain.

Photo : Portrait de Saint François de Sales dans la Basilique du Sacré-Cœur de Jésus à Rome. Œuvre sur toile réalisée par le peintre romain Attilio Palombi et offerte par le cardinal Lucido Maria Parocchi.




Don Bosco et le Sacré-Cœur. Garder, réparer, aimer

En 1886, à la veille de la consécration de la nouvelle basilique du Sacré-Cœur au centre de Rome, le « Bulletin salésien » a voulu préparer ses lecteurs – coopérateurs, bienfaiteurs, jeunes, familles – à une rencontre vitale avec « le Cœur transpercé qui continue d’aimer ». Pendant une année entière, le Bulletin fit défiler sous les yeux du monde salésien un véritable « rosaire » de méditations. Chaque numéro reliait un aspect de la dévotion à une urgence pastorale, éducative ou sociale que Don Bosco – déjà épuisé mais lucide – considérait comme stratégique pour l’avenir de l’Église et de la société italienne. Près de cent quarante ans plus tard, cette série reste un petit traité de spiritualité du cœur, écrit dans un style simple mais plein d’ardeur, capable de conjuguer contemplation et pratique. Nous présentons ici une lecture unifiée de ce parcours mensuel, montrant comment l’intuition salésienne peut encore parler aujourd’hui.


Février – La garde d’honneur : veiller sur l’Amour blessé
            La nouvelle année liturgique s’ouvre, dans le Bulletin, sur une invitation surprenante : non seulement adorer Jésus présent dans le tabernacle, mais « faire l’heure de garde » – une heure choisie librement au cours de laquelle chaque chrétien, sans interrompre ses activités quotidiennes, se fait sentinelle aimante qui console le Cœur transpercé par l’indifférence des foules du carnaval. L’idée, née à Paray-le-Monial et adoptée dans de nombreux diocèses, devient un programme éducatif : transformer le temps en espace de réparation, enseigner aux jeunes que la fidélité naît de petits gestes constants, faire de la journée une liturgie diffuse. Le vœu qui y est lié – destiner le produit du Manuel de la Garde d’Honneur à la construction de la basilique romaine – révèle la logique salésienne : la contemplation qui se traduit immédiatement en briques, car la vraie prière édifie (littéralement) la maison de Dieu.

Mars – Charité créative : l’empreinte salésienne
            Lors de la grande conférence du 8 mai 1884, le cardinal Parocchi résuma la mission salésienne en un mot : « charité ». Le Bulletin reprend ce discours pour rappeler que l’Église conquiert le monde davantage par des gestes d’amour que par des disputes théoriques. Don Bosco ne fonde pas des écoles d’élite, mais des établissements populaires ; il ne retire pas les jeunes de leur milieu uniquement pour les protéger, mais pour les rendre à la société comme de bons citoyens. Telle est la charité « selon les exigences du siècle » : répondre au matérialisme non par des polémiques, mais par des œuvres qui montrent la force de l’Évangile. D’où l’urgence d’un grand sanctuaire dédié au Cœur de Jésus : faire resplendir au cœur de Rome un signe visible de cet amour qui éduque et transforme.

Avril – L’Eucharistie : « chef-d’œuvre du Cœur de Jésus »
            Pour Don Bosco, rien n’est plus urgent que de ramener les chrétiens à la communion fréquente. Le Bulletin rappelle qu’« il n’y a pas de catholicisme sans la Vierge Marie et sans l’Eucharistie ». La table eucharistique est « la genèse de la société chrétienne » : c’est de là que naissent la fraternité, la justice, la pureté. Si la foi languit, il faut raviver le désir du Pain vivant. Ce n’est pas un hasard si saint François de Sales a confié aux Visitandines la mission de garder le Cœur eucharistique : la dévotion au Sacré-Cœur n’est pas un sentiment abstrait, mais un chemin concret qui conduit au tabernacle et de là se répand dans les rues. Et c’est encore le chantier romain qui en est la preuve : chaque lire offerte pour la basilique devient une « brique spirituelle » qui consacre l’Italie au Cœur qui se donne.

Mai – Le Cœur de Jésus resplendit dans le Cœur de Marie
            Le mois de Marie amène le Bulletin à établir un lien entre les deux grandes dévotions. En effet, il existe entre les deux Cœurs une communion profonde, symbolisée par l’image biblique du « miroir ». Le Cœur immaculé de Marie reflète la lumière du Cœur divin, la rendant supportable aux yeux des hommes : ceux qui n’osent pas fixer le Soleil regardent sa lumière reflétée dans la Mère. Culte de latrie pour le Cœur de Jésus, « hyperdulie » pour celui de Marie : une distinction qui évite les malentendus des polémiques jansénistes d’hier et d’aujourd’hui. Le Bulletin réfute les accusations d’idolâtrie et invite les fidèles à un amour équilibré, où contemplation et mission se nourrissent mutuellement : Marie introduit au Fils et le Fils conduit à la Mère. En vue de la consécration du nouveau sanctuaire, il est demandé d’unir les deux invocations qui dominent les collines de Rome et de Turin : le Sacré-Cœur de Jésus et Marie Auxiliatrice.

Juin – Consolations surnaturelles : l’amour à l’œuvre dans l’histoire
            Deux cents ans après la première consécration publique au Sacré-Cœur (Paray-le-Monial, 1686), le Bulletin affirme que la dévotion répond au mal de l’époque : « refroidissement de la charité par surabondance d’iniquité ». Le Cœur de Jésus – Créateur, Rédempteur, Glorificateur – est présenté comme le centre de toute l’histoire : de la création à l’Église, de l’Eucharistie à l’eschatologie. Ceux qui adorent ce Cœur entrent dans un dynamisme qui transforme la culture et la politique. C’est pourquoi le pape Léon XIII a demandé à tous d’apporter leur contribution au sanctuaire romain, monument de réparation mais aussi « digue » contre le « flot immonde » de l’erreur moderne. C’est un appel qui semble actuel : sans charité ardente, la société se désagrège.

Juillet – Humilité : la physionomie du Christ et du chrétien
            La méditation estivale choisit la vertu la plus négligée : l’humilité, « gemme transplantée par la main de Dieu dans le jardin de l’Église ». Don Bosco, fils spirituel de saint François de Sales, sait que l’humilité est la porte des autres vertus et le sceau de tout véritable apostolat : celui qui sert les jeunes sans chercher la visibilité actualise « la vie cachée de Jésus pendant trente ans ». Le Bulletin démasque l’orgueil déguisé en fausse modestie et invite à cultiver une double humilité : celle de l’intelligence, qui s’ouvre au mystère, et celle de la volonté, qui obéit à la vérité reconnue. La dévotion au Sacré-Cœur n’est pas du sentimentalisme, elle est une école de pensée humble et d’action concrète, capable de construire la paix sociale parce qu’elle enlève du cœur le poison de l’orgueil.

Août – La douceur : la force qui désarme
            Après l’humilité, la douceur, une vertu qui n’est pas faiblesse mais maîtrise de soi, « le lion qui produit du miel », dit le texte en renvoyant à l’énigme de Samson. Le Cœur de Jésus apparaît doux dans l’accueil des pécheurs, ferme dans la défense du temple. Les lecteurs sont invités à imiter ce double mouvement : douceur envers les personnes, fermeté contre l’erreur. Saint François de Sales redevient un modèle : d’un ton apaisé, il a déversé des fleuves de charité dans la turbulente Genève, convertissant plus de cœurs que n’aurait pu le faire la victoire dans les polémiques pleines d’âpretés. Dans un siècle qui « pèche par manque de cœur », construire le sanctuaire du Sacré-Cœur signifie ériger un gymnase de douceur sociale – une réponse évangélique au mépris et à la violence verbale qui empoisonnaient déjà alors le débat public.

Septembre – Pauvreté et question sociale : le Cœur qui réconcilie riches et pauvres
            Le grondement du conflit social, prévient le Bulletin, menace de « réduire en miettes l’édifice civil ». Nous sommes en pleine « question ouvrière » ; les socialistes agitent les masses, les capitaux se concentrent. Don Bosco ne nie pas la légitimité de la richesse honnête, mais rappelle que la véritable révolution commence dans le cœur. Le Cœur de Jésus a proclamé bienheureux les pauvres et a lui-même vécu la pauvreté. Le remède passe par une solidarité évangélique nourrie par la prière et la générosité. Tant que le sanctuaire romain ne sera pas terminé, écrit le journal, le signe visible de la réconciliation fera défaut. Au cours des décennies suivantes, la doctrine sociale de l’Église développera ces intuitions, mais le germe est déjà là : la charité n’est pas l’aumône, c’est la justice qui naît d’un cœur transformé.

Octobre – L’enfance : sacrement de l’espérance
            « Malheur à celui qui scandalise un de ces petits ! » Sur les lèvres de Jésus, l’invitation devient un avertissement. Le Bulletin rappelle les horreurs du monde païen contre les enfants et montre comment le christianisme a changé l’histoire en confiant aux petits une place centrale. Pour Don Bosco, l’éducation est un acte religieux : c’est à l’école et à l’oratoire que l’on garde le trésor de l’Église future. La bénédiction de Jésus aux enfants, reproduite sur les premières pages du Bulletin, est la manifestation du Cœur qui « se serre comme un cœur de père » et annonce la vocation salésienne : faire de la jeunesse un « sacrement » qui rend Dieu présent dans la cité. Les écoles, les collèges, les ateliers ne sont pas facultatifs : ils sont la manière concrète d’honorer le Cœur de Jésus vivant dans les jeunes.

Novembre – Triomphes de l’Église : l’humilité qui vainc la mort
            La liturgie commémore les saints et les défunts. Le Bulletin médite sur le « triomphe doux » de Jésus entrant à Jérusalem. Cette image devient la clé de lecture de l’histoire de l’Église : succès et persécutions alternent, mais l’Église, comme le Maître, ressuscite toujours. Les lecteurs sont invités à ne pas se laisser paralyser par le pessimisme. Les ombres du moment (lois anticléricales, réduction des ordres religieux, propagande maçonnique) n’effacent pas le dynamisme de l’Évangile. Le temple du Sacré-Cœur, construit dans l’hostilité et la pauvreté, sera le signe tangible que « la pierre scellée a été renversée ». Collaborer à sa construction, c’est parier sur l’avenir de Dieu.

Décembre – La béatitude de la douleur : la Croix accueillie par le cœur
            L’année se termine par la plus paradoxale des béatitudes : « Heureux ceux qui pleurent ». La douleur, scandale pour la raison païenne, devient dans le Cœur de Jésus un chemin de rédemption et de fécondité. Le Bulletin voit dans cette logique la clé pour lire la crise contemporaine : les sociétés fondées sur le divertissement à tout prix produisent injustice et désespoir. Quand la souffrance est acceptée en union avec le Christ, elle transforme les cœurs, fortifie le caractère, stimule la solidarité, libère de la peur. Même les pierres du sanctuaire sont « des larmes transformées en espérance », petites offrandes, parfois fruit de sacrifices cachés, qui construiront un lieu d’où pleuvront, promet le journal, « des torrents de purs délices ».

Un héritage prophétique
            Dans le montage mensuel du Bulletin Salésien de 1886, la pédagogie du crescendo est frappante : on part de la petite heure de garde pour aboutir à la consécration de la douleur ; du fidèle individuel au chantier national ; du tabernacle fortifié de l’oratoire aux remparts de l’Esquilin. C’est un parcours qui s’articule autour de trois axes principaux :
            Contemplation – Le Cœur de Jésus est avant tout un mystère à adorer : veillée, Eucharistie, réparation.
            Formation – Chaque vertu (humilité, douceur, pauvreté) est proposée comme un remède social, capable de guérir les blessures collectives.
            Construction – La spiritualité devient architecture : la basilique n’est pas un ornement, mais un laboratoire de citoyenneté chrétienne.
            Sans forcer, on peut reconnaître ici une première annonce des thèmes que l’Église développera tout au long du XXe siècle : l’apostolat des laïcs, la doctrine sociale, la centralité de l’Eucharistie dans la mission, la protection des mineurs, la pastorale de la souffrance. Don Bosco et ses collaborateurs saisissent les signes des temps et y répondent avec le langage du cœur.

            Le 14 mai 1887, lorsque Léon XIII consacra la Basilique du Sacré-Cœur, par l’intermédiaire de son vicaire le Cardinal Lucido Maria Parocchi, Don Bosco – trop faible pour monter à l’autel – assista à la cérémonie caché parmi les fidèles. À ce moment-là, toutes les paroles du Bulletin de 1886 devinrent pierre vivante : la garde d’honneur, la charité éducative, l’Eucharistie centre du monde, la tendresse de Marie, la pauvreté qui réconcilie, la béatitude de la douleur. Aujourd’hui, ces pages demandent un nouveau souffle. C’est à nous, consacrés ou laïcs, jeunes ou âgés, de poursuivre la veillée, d’ériger des chantiers d’espérance, d’apprendre la géographie du cœur. Le programme reste le même, simple et audacieux : garder, réparer, aimer.




Don Bosco et les processions eucharistiques

Un aspect peu connu mais important du charisme de saint Jean Bosco est celui des processions eucharistiques. Pour le saint des jeunes, l’Eucharistie n’était pas seulement une dévotion personnelle, mais un instrument pédagogique et un témoignage public. Dans un Turin en pleine transformation, Don Bosco a vu dans les processions une occasion de renforcer la foi des jeunes et d’annoncer le Christ dans les rues. L’expérience salésienne, poursuivie dans le monde entier, montre comment la foi peut s’incarner dans la culture et répondre aux défis sociaux. Aujourd’hui encore, vécues dans un climat d’authenticité et d’ouverture, ces processions peuvent devenir des signes prophétiques de foi.

Quand on parle de saint Jean Bosco (1815-1888), on pense immédiatement à ses oratoires populaires, à sa passion éducative pour les jeunes et à la famille salésienne née de son charisme. Moins connu, mais non moins décisif, est le rôle que la dévotion eucharistique — et en particulier les processions eucharistiques — a joué dans son œuvre. Pour Don Bosco, l’Eucharistie n’était pas seulement le cœur de la vie intérieure ; elle constituait aussi un puissant instrument pédagogique et un signe public de renouveau social dans un Turin en rapide transformation industrielle. Retracer le lien entre le saint des jeunes et les processions du Saint-Sacrement, c’est entrer dans un laboratoire pastoral où liturgie, catéchèse, éducation civique et promotion humaine s’entremêlent de manière originale et, parfois, surprenante.

Les processions eucharistiques dans le contexte du XIXe siècle
Pour comprendre Don Bosco, il faut se rappeler que le XIXe siècle italien a connu un intense débat sur le rôle public de la religion. Après l’époque napoléonienne et le mouvement du Risorgimento, les manifestations religieuses dans les rues des villes n’étaient plus une évidence : dans de nombreuses régions se profilait un État libéral, qui regardait avec suspicion toute expression publique du catholicisme, craignant les rassemblements de masse ou les résurgences « réactionnaires ». Les processions eucharistiques, cependant, conservaient une force symbolique très puissante : elles rappelaient la seigneurie du Christ sur toute la réalité et, en même temps, faisaient émerger une Église populaire, visible et incarnée dans les quartiers. C’est sur ce fond que se détache l’obstination de Don Bosco, qui n’a jamais renoncé à accompagner ses jeunes pour témoigner de la foi en dehors des murs de l’oratoire, que ce soit dans les rues de Valdocco ou dans les campagnes environnantes.

Dès ses années de formation au séminaire de Chieri, Giovanni Bosco a développé une sensibilité eucharistique à saveur « missionnaire ». Les chroniques racontent qu’il s’arrêtait souvent à la chapelle, après les cours, pour une longue prière devant le tabernacle. Dans les « Mémoires de l’Oratoire », il reconnaît lui-même avoir appris de son directeur spirituel, Don Cafasso, la valeur de « se faire pain » pour les autres. Contempler Jésus qui se donne dans l’Hostie signifiait, pour lui, apprendre la logique de l’amour gratuit. Cette ligne traverse toute son existence. « Restez amis de Jésus au Saint-Sacrement et de Marie Auxiliatrice », répétera-t-il aux jeunes, indiquant la communion fréquente et l’adoration silencieuse comme les piliers d’un chemin de sainteté laïque et quotidienne.

L’oratoire de Valdocco et les premières processions internes
Dans les premières années 1840 du XIXe siècle, l’oratoire de Turin ne possédait pas encore de véritable église. Les célébrations avaient lieu dans des baraques en bois ou dans des cours aménagées. Don Bosco, cependant, ne renonçait pas à organiser de petites processions internes, presque des « répétitions générales » de ce qui allait devenir une pratique stable. Les jeunes portaient des cierges et des étendards, chantaient des louanges mariales et, à la fin, s’arrêtaient autour d’un autel improvisé pour la bénédiction eucharistique. Ces premières tentatives avaient une fonction éminemment pédagogique : habituer les jeunes à une participation dévote mais joyeuse, unissant discipline et spontanéité. Dans le Turin ouvrier, où la misère débouchait souvent sur la violence, défiler en ordre avec le foulard rouge au cou était déjà un signal à contre-courant : c’était montrer que la foi pouvait éduquer au respect de soi et des autres.

Don Bosco savait bien qu’une procession ne s’improvise pas : il faut des signes, des chants, des gestes qui parlent au cœur avant même de parler à l’esprit. C’est pourquoi il s’occupait personnellement de l’explication des symboles. Le dais devenait l’image de la tente de la rencontre, signe de la présence divine qui accompagne le peuple en chemin. Les fleurs éparpillées le long du parcours rappelaient la beauté des vertus chrétiennes qui doivent orner l’âme. Les lampions, indispensables lors des sorties nocturnes, faisaient allusion à la lumière de la foi qui éclaire les ténèbres du péché. Chaque élément faisait l’objet d’un petit « sermon » convivial au réfectoire ou pendant la récréation, de sorte que la préparation logistique se mêlait à la catéchèse systématique. Le résultat ? Pour les jeunes, la procession n’était pas une obligation rituelle mais une occasion de fête pleine de sens.

L’un des aspects les plus caractéristiques des processions salésiennes était la présence de la fanfare formée par les élèves eux-mêmes. Don Bosco considérait la musique comme un antidote contre l’oisiveté et, en même temps, un puissant instrument d’évangélisation. « Une marche joyeuse bien exécutée, écrivait-il, attire les gens comme l’aimant attire le fer ». La fanfare précédait le Saint-Sacrement, alternant des morceaux sacrés et des airs populaires adaptés avec des textes religieux. Ce « dialogue » entre foi et culture populaire réduisait les distances avec les passants et créait autour de la procession une aura de fête partagée. Nombreux sont les chroniqueurs laïcs qui témoigneront avoir été « intrigués » par ce groupe de très jeunes musiciens disciplinés, si différent des fanfares militaires ou philharmoniques de l’époque.

Les processions comme réponse aux crises sociales
Le Turin du XIXe siècle a connu des épidémies de choléra (1854 et 1865), des grèves, des famines et des tensions anticléricales. Don Bosco a souvent réagi en proposant des processions extraordinaires de réparation ou de supplication. Pendant le choléra de 1854, il emmena les jeunes dans les rues les plus touchées, récitant à haute voix les litanies pour les malades et distribuant du pain et des médicaments. C’est à ce moment-là qu’est née la promesse — qui sera maintenue par la suite — de construire l’église de Marie Auxiliatrice : « Si la Madone sauve mes jeunes, je lui élèverai un sanctuaire ». Les autorités civiles, initialement opposées aux cortèges religieux par crainte de contagion, ont dû reconnaître l’efficacité du réseau d’assistance salésien, alimenté spirituellement précisément par les processions. L’Eucharistie, portée auprès des malades, devenait ainsi un signe tangible de la compassion chrétienne.

Contrairement à certains modèles dévotionnels confinés dans les sacristies, les processions de Don Bosco revendiquaient pour la foi un droit de citoyenneté dans l’espace public. Il ne s’agissait pas d’« occuper » les rues, mais de les restituer à leur vocation communautaire. Passer sous les balcons, traverser les places et les arcades, c’était rappeler que la ville n’est pas seulement un lieu d’échanges économiques ou de conflits politiques, mais aussi de rencontre fraternelle. C’est pourquoi Don Bosco insistait sur un ordre impeccable : manteaux brossés, chaussures propres, rangs réguliers. Il voulait que l’image de la procession communique beauté et dignité, persuadant même les observateurs les plus sceptiques que la proposition chrétienne élevait la personne.

L’héritage salésien des processions
Après la mort de Don Bosco, ses fils spirituels ont diffusé la pratique des processions eucharistiques dans le monde entier, depuis les écoles agricoles de l’Émilie jusqu’aux missions de Patagonie, des collèges asiatiques aux quartiers ouvriers de Bruxelles. Ce qui importait n’était pas de répéter servilement un rite piémontais, mais de transmettre son noyau pédagogique : le protagonisme des jeunes, la catéchèse symbolique, l’ouverture à la société environnante. C’est ainsi qu’en Amérique latine, les salésiens ont inséré des danses traditionnelles au début du cortège ; en Inde, ils ont adopté des tapis de fleurs selon l’art local ; en Afrique subsaharienne, ils ont alterné des chants grégoriens et les rythmes polyphoniques des tribus. L’Eucharistie devenait un pont entre les cultures, réalisant le rêve de Don Bosco de « faire de tous les peuples une seule famille ».

Sur le plan théologique, les processions de Don Bosco incarnent une forte vision de la présence réelle du Christ. Porter le Saint-Sacrement « dehors » signifie proclamer que le Verbe ne s’est pas fait chair pour rester enfermé, mais pour « planter sa tente parmi nous » (cf. Jn 1,14). Cette présence demande à être annoncée sous des formes compréhensibles, sans se réduire à un geste intimiste. Chez Don Bosco, la dynamique centripète de l’adoration (rassembler les cœurs autour de l’Hostie) génère une dynamique centrifuge : les jeunes, nourris à l’autel, se sentent envoyés pour servir. De la procession découlent des micro-engagements : assister un camarade malade, pacifier une dispute, étudier avec plus de diligence. L’Eucharistie se prolonge dans les « processions invisibles » de la charité quotidienne.

Aujourd’hui, dans des contextes sécularisés ou multireligieux, les processions eucharistiques peuvent soulever des questions : sont-elles encore communicatives ? Ne risquent-elles pas d’apparaître comme un folklore nostalgique ? L’expérience de Don Bosco suggère que la clé réside dans la qualité relationnelle plus que dans la quantité d’encens ou de parements. Une procession qui implique les familles, explique les symboles, intègre des langages artistiques contemporains, et surtout comporte des gestes concrets de solidarité, conserve une force prophétique surprenante. Le récent Synode sur les jeunes (2018) a rappelé à plusieurs reprises l’importance de « sortir » et de « montrer la foi dans la chair ». La tradition salésienne, avec sa liturgie itinérante, offre un paradigme déjà éprouvé d’une « Église en sortie ».

Les processions eucharistiques n’étaient pas pour Don Bosco de simples traditions liturgiques, mais de véritables actes éducatifs, spirituels et sociaux. Elles représentaient une synthèse entre foi vécue, communauté éducatrice et témoignage public. À travers elles, Don Bosco formait des jeunes capables d’adorer, de respecter, de servir et de témoigner.
Aujourd’hui, dans un monde fragmenté et distrait, reproposer la valeur des processions eucharistiques à la lumière du charisme salésien peut être un moyen efficace de retrouver le sens de l’essentiel : le Christ présent au milieu de son peuple, qui marche avec lui, l’adore, le sert et l’annonce.
À une époque qui recherche l’authenticité, la visibilité et les relations, la procession eucharistique – si elle est vécue selon l’esprit de Don Bosco – peut être un signe puissant d’espérance et de renouveau.

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Don Bosco à l’école de saint François de Sales. L’avenir des vocations (1879)

Dans le rêve prophétique que Don Bosco raconte le 9 mai 1879, Saint François de Sales apparaît comme un maître attentionné et remet au Fondateur un livret rempli d’avertissements pour les novices, les profès, les directeurs et les supérieurs. La vision est dominée par deux batailles épiques : d’abord des jeunes et des guerriers, puis des hommes armés et des monstres, tandis que l’étendard de « Maria Auxilium Christianorum » garantit la victoire à ceux qui le suivent. Les survivants partent pour l’Orient, le Nord et le Midi, préfigurant l’expansion missionnaire salésienne. Les paroles du Saint insistent sur l’obéissance, la chasteté, la charité éducative, l’amour du travail et la tempérance, piliers indispensables pour que la Congrégation grandisse, résiste aux épreuves et laisse à ses fils un héritage de sainteté active. Le rêve se termine par un cercueil, rappel sévère à la vigilance et à la prière.

            Quoi qu’il en soit de ce rêve [remède pour les yeux au jus de chicorée], le Bienheureux en eut un autre, qu’il raconta le 9 mai. Il y vit les rudes combats que devaient livrer ceux qui étaient appelés dans la Congrégation, et en reçut plusieurs avertissements utiles pour tous les siens et quelques conseils salutaires pour l’avenir.

            Il y eut une grande et longue bataille des jeunes contre des guerriers d’apparence et de forme diverses, avec des armes étranges. À la fin, il n’y eut que très peu de survivants.
            Une autre bataille, plus féroce et plus horrible, opposa des monstres de forme gigantesque à des hommes de grande taille, bien armés et bien entraînés. Ils avaient une grande et large bannière, au centre de laquelle étaient peints en or ces mots : Maria Auxilium Christianorum (Marie Secours des Chrétiens). La bataille fut longue et sanglante. Mais ceux qui suivaient la bannière étaient comme invulnérables et restaient maîtres d’une vaste plaine. Ils furent rejoints par les jeunes qui avaient survécu à la bataille précédente, et ils formèrent une sorte d’armée. Chacun avait le Crucifix comme arme dans la main droite, et un petit étendard de Marie Auxiliatrice dans la main gauche, sur le modèle indiqué ci-dessus.
            Les nouveaux soldats firent de nombreuses manœuvres dans cette vaste plaine, puis ils se divisèrent et partirent, certains vers l’Est, quelques-uns vers le Nord, beaucoup vers le Midi.
            Lorsque ceux-ci disparurent, les mêmes combats se renouvelèrent, les mêmes manœuvres et les mêmes départs dans les mêmes directions.
            Je connaissais quelques-uns des participants aux premiers combats ; ceux qui suivirent m’étaient inconnus, mais ils me faisaient comprendre qu’ils me connaissaient et ils me posaient beaucoup de questions.
            Peu après, il y eut une pluie de flammes brillantes qui ressemblaient à du feu de différentes couleurs. Il y eut un coup de tonnerre, puis le ciel s’éclaircit et je me retrouvai dans un jardin très agréable. Un homme qui ressemblait à saint François de Sales m’offrit un petit livre sans dire un mot. J’ai demandé qui il était.
            – Lis dans le livre, m’a-t-il répondu.
            J’ai ouvert le livre, mais j’ai eu du mal à lire. Je parvins cependant à distinguer ces mots avec précision :
Aux novices : – Obéissance en toutes choses. Par leur obéissance, ils mériteront les bénédictions du Seigneur et la bienveillance des hommes. Par leur diligence, ils combattront et vaincront les pièges des ennemis spirituels.
Aux profès : – Garder jalousement la vertu de chasteté. Aimer la bonne réputation des confrères et promouvoir l’honneur de la Congrégation.
Aux directeurs : – Grand soin, grand effort pour observer et faire respecter les règles par lesquelles chacun s’est consacré à Dieu.
Au supérieur : – Holocauste absolu pour se donner soi-même et donner les confrères à Dieu.
            Beaucoup d’autres choses étaient imprimées dans ce livre, mais je ne pouvais plus lire, car le papier apparaissait bleu comme de l’encre.
            – Qui êtes-vous ? demandai-je encore à l’homme qui me regardait d’un air serein.
            – Mon nom est connu de tous les gens de bien, et je suis envoyé pour vous annoncer certaines choses à venir.
            – Lesquelles ?
            – Celles qui ont été énoncées et celles que tu demanderas.
            – Que dois-je faire pour promouvoir les vocations ?
            – Les salésiens auront beaucoup de vocations par leur conduite exemplaire, en traitant leurs élèves avec la plus grande charité et en insistant sur la communion fréquente.
            – Que faut-il observer dans l’accueil des novices ?
            – Exclure les paresseux et les gourmands.
            – Dans l’acceptation aux vœux ?
            – Veiller à ce qu’il y ait une garantie en matière de chasteté.
            – Comment préserver au mieux le bon esprit dans nos maisons ?
            – Écrire, visiter, recevoir et traiter avec bonté, et cela très fréquemment de la part des Supérieurs.
            – Comment devrions-nous nous organiser dans les missions ?
            – Envoyer des individus sûrs du point de vue moral ; rappeler ceux qui suscitent des doutes sérieux ; étudier et cultiver les vocations locales.
            – Est-ce que notre Congrégation marche bien ?
            – Qui iustus est justificetur adhuc (Celui qui est juste qu’il le devienne toujours plus). Non progredi est regredi (Ne pas avancer, c’est reculer). Qui perseveraverit, salvus erit (Celui qui persévère sera sauvé).
            – Est-ce qu’elle se dilatera beaucoup ?
            – Tant que les Supérieurs feront leur part, elle grandira et personne ne pourra arrêter sa propagation.
            – Est-ce qu’elle durera longtemps ?
            – Votre Congrégation durera aussi longtemps que ses membres aimeront le travail et la tempérance. Si l’un de ces deux piliers fait défaut, votre édifice s’écroulera, écrasant les supérieurs et les inférieurs et leurs disciples.
            À ce moment apparurent quatre individus, portant un cercueil mortuaire. Ils se dirigeaient vers moi. Je leur demandai :
            – Pour qui est cela ?
            – Pour toi !
            – Bientôt ?
            – Ne le demande pas, pense seulement que tu es mortel.
            – Que voulez-vous me signifier avec ce cercueil ?
            – Que tu dois faire pratiquer pendant ta vie ce que tu souhaites que tes fils pratiquent après toi. C’est cela l’héritage, le testament que tu dois laisser à tes fils ; mais tu dois le préparer et le transmettre bien préparé et bien pratiqué.
            – Qu’est-ce qui nous attend, des fleurs ou des épines ?
            – Il y aura beaucoup de roses, beaucoup de consolations, mais il y aura aussi des épines très pointues qui causeront à tous une grande amertume et un profond chagrin. Il faut beaucoup prier.
            – Devons-nous aller à Rome ?
            – Oui, mais lentement, avec la plus grande prudence et des précautions raffinées.
            – La fin de ma vie mortelle est-elle imminente ?
            – Peu importe. Tu as les règles, tu as les livres, fais ce que tu enseignes aux autres. Sois vigilant.

            Je voulais poser d’autres questions, mais le tonnerre a éclaté accompagné d’éclairs et de foudres, tandis que des hommes, ou plutôt des monstres horribles, se jetèrent sur moi pour me mettre en pièces. À cet instant, une obscurité lugubre me cacha la vue de tout cela. J’ai cru que j’étais mort et j’ai crié frénétiquement. Je me suis réveillé et me suis retrouvé encore vivant. Il était quatre heures et trois quarts du matin.
            S’il y a là quelque chose qui peut être utile, acceptons-le.
            Mais en toute chose, honneur et gloire à Dieu pour les siècles des siècles.
(MB XIV, 123-125)

Photo sur la page de titre. Saint François de Sales. Anonyme. Sacristie du Dôme de Chieri




Les exégètes

Un célèbre bibliste avait invité un groupe de collègues chez lui. Ils s’assirent autour d’une table au milieu de laquelle trônait un magnifique vase de fleurs, et se mirent à discuter d’une page de la Bible. Ils discutaient avec animation, décortiquant chaque mot, émettant des hypothèses sur les racines anciennes, conjecturant, postulant, comparant, distillant, historicisant, démythifiant, psychologisant, féminisant…
Ils n’arrivaient à se mettre d’accord sur presque rien.
Soudain, l’hôte interrompit la discussion et se tourna vers l’un des invités qui était en train de prendre des fleurs dans le vase au milieu de la table et de les détruire systématiquement.
– Qu’est-ce que vous faites ?
– Je compte les verticilles, je divise les étamines et les pistils, je mets de côté les tiges et les filaments…
– Ce zèle scientifique est tout à votre honneur, mais elle gâche ainsi toute la beauté de ces belles fleurs !
L’homme sourit amèrement : « C’est exactement ce que vous faites ».

Rabbi Elimelekh avait prononcé un merveilleux sermon sur l’art de vivre. Pleins d’enthousiasme, les auditeurs l’accompagnèrent joyeusement tandis qu’il reprenait la calèche pour retourner dans son village.
À un moment donné, le rabbin fit arrêter la calèche et demanda au conducteur d’avancer sans lui pendant qu’il se mêlait aux gens.
– Quel exemple d’humilité ! dit l’un de ses disciples.
– L’humilité n’a rien à voir là-dedans, répondit Elimelekh. Ici, les gens marchent gaiement, chantent, boivent du vin, bavardent, se font de nouveaux amis, et tout cela grâce à un vieux rabbin venu parler de l’art de vivre. Je préfère donc laisser mes théories dans la calèche et profiter de la fête.