Loteries : de véritables exploits

Don Bosco ne fut pas seulement un éducateur et un pasteur d’âmes infatigable, mais aussi un homme d’une extraordinaire ingéniosité, capable d’inventer des solutions nouvelles et courageuses pour soutenir ses œuvres. Les nécessités économiques de l’Oratoire de Valdocco, en constante expansion, le poussèrent à chercher des moyens toujours plus efficaces pour garantir le gîte, le couvert, l’école et le travail à des milliers de garçons. Parmi ceux-ci, les loteries représentèrent l’une des intuitions les plus ingénieuses : de véritables entreprises collectives, qui impliquaient nobles, prêtres, bienfaiteurs et simples citoyens. Ce n’était pas simple, car la législation piémontaise réglementait rigoureusement les loteries, n’en permettant l’organisation aux particuliers que dans des cas bien définis. Et il ne s’agissait pas seulement de collecter des fonds, mais de créer un réseau de solidarité qui unissait la société turinoise autour du projet éducatif et spirituel de l’Oratoire. La première, en 1851, fut une aventure mémorable, riche en imprévus et en succès.

L’argent qui arrivait entre les mains de Don Bosco y restait peu de temps, car il était immédiatement utilisé pour nourrir, loger, scolariser et faire travailler des dizaines de milliers de garçons ou pour construire des collèges, des orphelinats et des églises ou pour soutenir les missions d’Amérique du Sud. Ses comptes, on le sait, ont toujours été déficitaires ; les dettes l’ont accompagné tout au long de sa vie.
Or, parmi les moyens intelligemment adoptés par Don Bosco pour financer ses œuvres, on peut certainement placer les loteries : une quinzaine ont été organisées par lui, petites et grandes. La première, modeste, fut celle de Turin en 1851 en faveur de l’église Saint François de Sales de Valdocco et la dernière, grandiose, au milieu des années 1880, fut celle pour faire face aux immenses dépenses de l’église et de l’Hospice du Sacré-Cœur de la gare Termini à Rome.
Une véritable histoire de ces loteries reste à écrire, bien que les sources ne manquent pas à cet égard. Ce n’est que pour la première, celle de 1851, que nous avons retrouvé une douzaine d’inédits. Grâce à elles, nous reconstituons son histoire tourmentée en deux épisodes.

La demande d’autorisation
Selon la loi du 24 février 1820 – modifiée par les brevets royaux de janvier 1835 et par les instructions de la Compagnie générale des finances royales du 24 août 1835, puis par les brevets royaux du 17 juillet 1845 – toute loterie nationale (Royaume de Sardaigne) devait faire l’objet d’une autorisation gouvernementale préalable.
Pour Don Bosco, il s’agissait avant tout d’avoir la certitude morale de réussir le projet. Il l’a eue grâce au soutien économique et moral des tout premiers bienfaiteurs : les nobles familles Callori et Fassati et le chanoine Anglesio de Cottolengo. Il se lance donc dans ce qui s’avérera être une authentique entreprise. En peu de temps, il réussit à mettre en place une commission d’organisation, composée au départ de seize personnalités, puis de vingt. Parmi elles, de nombreuses autorités civiles officiellement reconnues, comme un sénateur (nommé trésorier), deux adjoints au maire, trois conseillers municipaux ; puis des prêtres prestigieux comme les théologiens Pietro Baricco, adjoint au maire et secrétaire de la Commission, Giovanni Borel, aumônier de la cour, Giuseppe Ortalda, directeur de l’Opera Pia di Propaganda Fide, Roberto Murialdo, cofondateur du Collegio degli Artigianelli et de l’Association de charité ; enfin, des hommes d’expérience comme un ingénieur, un orfèvre réputé, un négociant en gros, etc. Tous des gens, pour la plupart propriétaires terriens, connus de Don Bosco et « proches » de l’œuvre du Valdocco.
La Commission terminée, Don Bosco transmet, début décembre 1851, la demande formelle à l’Intendant Général des Finances, le Chevalier Alessandro Pernati di Momo (futur Sénateur et Ministre de l’Intérieur du Royaume) ainsi qu’à un « ami » de l’œuvre du Valdocco.

L’appel aux dons
Il joint à la demande d’autorisation une circulaire très intéressante dans laquelle, après avoir retracé l’histoire émouvante de l’Oratoire – apprécié par la famille royale, les autorités gouvernementales et communales – il signale que la nécessité constante d’agrandir l’Œuvre du Valdocco pour accueillir de plus en plus de jeunes consomme les ressources économiques de la bienfaisance privée. C’est pourquoi, pour payer les frais d’achèvement de la nouvelle chapelle en construction, il a été décidé de faire appel à la charité publique par le biais d’une loterie de dons à offrir spontanément : « Ce moyen consiste en une loterie d’objets, que le soussigné a eu l’idée d’entreprendre pour couvrir les frais d’achèvement de la nouvelle chapelle, et à laquelle votre seigneurie voudra sans doute prêter son concours, réfléchissant à l’excellence de l’œuvre à laquelle elle s’adresse. Quel que soit l’objet que Votre Seigneurie voudra offrir, qu’il soit de soie, de laine, de métal ou de bois, qu’il soit l’oeuvre d’un artiste réputé, d’un modeste ouvrier, d’un artisan laborieux ou d’une dame charitable, tout sera accepté avec reconnaissance, parce qu’en matière de charité, chaque petit secours est une grande chose, et parce que les offrandes, même petites, d’un grand nombre peuvent suffire à achever l’oeuvre désirée ».
La circulaire indiquait également les noms des promoteurs à qui les dons pouvaient être remis et des personnes de confiance qui les recueillaient et les gardaient. Les 46 promoteurs comprenaient diverses catégories de personnes : professionnels, professeurs, imprésarios, étudiants, clercs, commerçants, marchands, prêtres ; par contre, parmi les quelque 90 promoteurs, les femmes de la noblesse (baronne, marquise, comtesse et leurs accompagnatrices) semblaient prédominer.
Elle ne manqua pas de joindre à la demande le « plan de la loterie » dans ses multiples aspects formels : collecte des objets, récépissé de livraison des objets, leur évaluation, billets authentifiés à vendre en nombre proportionnel au nombre et à la valeur des objets, leur exposition au public, tirage au sort des gagnants, publication des numéros tirés, heure de la collecte des lots, etc. Une série de tâches exigeantes auxquelles Don Bosco ne s’est pas soustrait. La chapelle de Pinardi ne suffisait plus à ses jeunes : il leur faut une église plus grande, celle prévue de Saint François de Sales (une douzaine d’années plus tard, il leur en faudra une autre encore plus grande, celle de Marie Auxiliatrice !)

Une réponse positive
Compte tenu du sérieux de l’initiative et de la grande « qualité » des membres de la Commission de proposition, la réponse de l’Intendance ne pouvait être que positive et immédiate. Le 17 décembre, le député-maire Pietro Baricco a transmis à Don Bosco le décret correspondant, en l’invitant à transmettre des copies des futurs actes formels de la loterie à l’administration municipale, responsable de la régularité de toutes les exigences légales. A ce moment-là, avant Noël, Don Bosco envoya la circulaire susmentionnée à l’imprimerie, la fit circuler et commença à recueillir des dons.
Il disposait de deux mois pour le faire, car d’autres loteries avaient lieu au cours de l’année. Mais les dons arrivaient lentement et, à la mi-janvier, Don Bosco se vit contraint de réimprimer la circulaire et de demander la collaboration de tous les jeunes du Valdocco et de leurs amis pour écrire des adresses, rendre visite aux bienfaiteurs connus, faire connaître l’initiative et collecter les dons.
Mais le meilleur reste à venir.

La salle d’exposition
Le Valdocco n’ayant pas d’espace pour exposer les dons, Don Bosco demanda à l’adjoint au maire Baricco, trésorier de la commission de la loterie, de demander au ministère de la Guerre trois salles dans la partie du couvent Saint-Dominique mise à la disposition de l’armée. Les pères dominicains acceptaient. Le ministre Alfonso Lamarmora les leur accorda le 16 janvier. Mais Don Bosco se rendit vite compte qu’elles ne seraient pas assez grandes et demanda au roi, par l’intermédiaire de l’aumônier, l’abbé Stanislao Gazzelli, une chambre plus grande. Le surintendant royal Pamparà lui répondit que le roi ne disposait pas de locaux adéquats et proposa de louer à ses frais un local pour le jeu du Trincotto (ou pallacorda : une sorte de tennis à main ante litteram). Ce local ne serait cependant disponible que pour le mois de mars et sous certaines conditions. Don Bosco refusa la proposition mais accepta les 200 lires offertes par le roi pour la location du local. Il se mit alors à la recherche d’une autre salle et en trouva une convenable sur la recommandation de la mairie, derrière l’église Saint-Dominique, à quelques centaines de mètres du Valdocco.

Arrivée des dons
Entre-temps, Don Bosco avait demandé au ministre des Finances, le célèbre comte Camillo Cavour, une réduction ou une exonération des frais de port pour les lettres circulaires, les billets et les cadeaux eux-mêmes. Par l’intermédiaire du frère du comte, le très religieux marquis Gustavo di Cavour, il obtient l’approbation de diverses réductions postales.
Il s’agissait maintenant de trouver un expert pour évaluer le montant des cadeaux et le nombre de billets à vendre. Don Bosco s’adressa à l’intendant et lui proposa aussi le nom : un orfèvre membre de la Commission. L’intendant, cependant, répondit par l’intermédiaire du maire en lui demandant une double copie des cadeaux reçus afin de nommer son propre expert. Don Bosco exécuta immédiatement la demande et le 19 février, l’expert évalua les 700 objets collectés à 4124,20 lires. Au bout de trois mois, on arriva à 1000 dons, au bout de quatre mois à 2000, jusqu’à la conclusion de 3251 dons, grâce à la « quête » continue de Don Bosco auprès des particuliers, des prêtres et des évêques et à ses demandes formelles répétées à la Commune de prolonger le délai pour le tirage. Don Bosco ne manqua pas non plus de critiquer l’estimation faite par l’assesseur municipal des dons qui arrivaient continuellement, qu’il disait inférieure à leur valeur réelle ; et de fait, d’autres assesseurs s’ajoutèrent, en particulier un peintre pour les œuvres d’art.
Le chiffre final est tel que Don Bosco est autorisé à émettre 99.999 billets au prix de 50 centimes l’unité. Au catalogue déjà imprimé des dons numérotés avec le nom du donateur et des promoteurs, on ajouta un supplément avec les derniers dons arrivés. Parmi eux, ceux du Pape, du Roi, de la Reine Mère, de la Reine Consort, des députés, des sénateurs, des autorités municipales, mais aussi de nombreuses personnes modestes, surtout des femmes, qui ont offert des objets ménagers et mobiliers, même de faible valeur (verre, encrier, bougie, carafe, tire-bouchon, bouchon, dé à coudre, ciseaux, lampe, mètre, pipe, porte-clés, savon, taille-crayon, sucrier). Les cadeaux les plus fréquents sont les livres (629) et les tableaux (265). Même les garçons du Valdocco ont rivalisé pour offrir leur propre petit cadeau, peut-être un livret offert par Don Bosco lui-même.

Un travail énorme jusqu’au tirage au sort
À ce moment-là, il fallait imprimer les billets en série progressive sous deux formes (petit talon et billet), les faire signer par deux membres de la commission, envoyer le billet avec une note, documenter l’argent collecté. De nombreux bienfaiteurs ont reçu des dizaines de billets, avec une invitation à les conserver ou à les transmettre à des amis et connaissances.
La date du tirage au sort, initialement fixée au 30 avril, fut reportée au 31 mai, puis au 30 juin, pour se tenir à la mi-juillet. Ce dernier report est dû à l’explosion de la poudrière de Borgo Dora qui a dévasté la région du Valdocco.
Pendant deux après-midi, les 12 et 13 juillet 1852, des billets sont tirés au sort sur le balcon de l’hôtel de ville. Quatre urnes à roue de couleurs différentes contenaient 10 balles (de 0 à 9) identiques et de la même couleur que la roue. Introduites une à une par l’adjoint au maire dans les urnes, puis tournées, huit jeunes gens de l’Oratoire effectuent l’opération et le numéro tiré est proclamé à haute voix puis publié dans la presse. De nombreux cadeaux ont été déposés à l’Oratoire, où ils ont été réutilisés par la suite.

Le jeu en valait-il la chandelle ?
Pour les quelque 74 000 billets vendus, après déduction des frais, il reste à Don Bosco environ 26 000 lires, qu’il partage à parts égales avec l’œuvre voisine de Cottolengo. Un petit capital certes (la moitié du prix d’achat de la maison Pinardi l’année précédente), mais le plus grand résultat du travail exténuant qu’il effectua pour réaliser la loterie – documenté par des dizaines de lettres souvent inédites – fut l’implication directe et sincère de milliers de personnes de toutes les classes sociales dans son « projet naissant du Valdocco » : en le faisant connaître, apprécier et ensuite soutenir économiquement, socialement et politiquement.
Don Bosco a eu recours à plusieurs reprises à des loteries, toujours dans un double but : collecter des fonds pour ses œuvres en faveur des garçons pauvres, pour les missions, et offrir aux croyants (et aux non-croyants) des moyens de pratiquer la charité, le moyen le plus efficace, comme il le répétait continuellement, pour « obtenir le pardon des péchés et s’assurer la vie éternelle ».

« J’ai toujours eu besoin de tous » Don Bosco

Au sénateur Giuseppe Cotta

Giuseppe Cotta, banquier, était un grand bienfaiteur de Don Bosco. La déclaration suivante sur papier timbré, datée du 5 février 1849, est conservée dans les archives : « Les prêtres soussignés T. Borrelli Gioanni de Turin et D. Bosco Gio’ di Castelnuovo d’Asti se déclarent débiteurs de trois mille francs envers le malheureux Cavaliere Cotta qui les leur a prêtés pour une œuvre pieuse. Cette somme doit être remboursée par les soussignés dans un an avec les intérêts légaux ». Signé Prêtre Giovanni Borel, D. Bosco Gio.

Au bas de la même page et à la même date, don Joseph Cafasso écrit : « Le soussigné remercie vivement très Illustre Mr le Chev. Cotta pour ce qui précède et se porte garant auprès de lui pour la somme mentionnée ». Au bas de la page, Cotta signe qu’il a reçu 2 000 lires le 10 avril 1849, 500 lires le 21 juillet 1849 et le solde le 4 janvier 1851.




Don Jose-Luis Carreno, missionnaire salésien

Don José Luis Carreño (1905-1986) a été décrit par l’historien Joseph Thekkedath comme « le salésien le plus aimé du sud de l’Inde » dans la première partie du XXe siècle. Partout où il a vécu – que ce soit en Inde britannique, dans la colonie portugaise de Goa, aux Philippines ou en Espagne – nous trouvons des salésiens qui gardent avec affection sa mémoire. Mais, chose étrange, nous ne disposons pas encore d’une biographie adéquate de ce grand salésien, à l’exception de la volumineuse lettre mortuaire rédigée par Don José Antonio Rico : « José Luis Carreño Etxeandía, ouvrier de Dieu ». Nous espérons que cette lacune pourra bientôt être comblée. Don Carreño a été l’un des artisans de la région Asie du Sud, et nous ne pouvons pas nous permettre de l’oublier.

José-Luis Carreño Etxeandía est né à Bilbao, en Espagne, le 23 octobre 1905. Orphelin de mère à l’âge de huit ans, il fut accueilli dans la maison salésienne de Santander. En 1917, à l’âge de douze ans, il entra à l’aspirantat de Campello. Il se souvient qu’à cette époque « on ne parlait pas beaucoup de Don Bosco… Mais pour nous, Don Binelli était un Don Bosco, sans parler de Don Rinaldi, alors Préfet Général, dont les visites nous laissaient une sensation surnaturelle, comme lorsque les messagers de Yahweh visitèrent la tente d’Abraham ».
Après le noviciat et le post-noviciat, il effectua son stage comme assistant des novices. Il devait être un clerc brillant, car Don Pedro Escursell écrit de lui au Recteur Majeur : « Je parle en ce moment même avec l’un des clercs modèles de cette maison. Il est assistant dans la formation du personnel de cette Province ; il me dit qu’il demande depuis longtemps à être envoyé en mission et qu’il a renoncé à le demander parce qu’il ne reçoit pas de réponse. C’est un jeune homme d’une grande valeur intellectuelle et morale. »
À la veille de son ordination sacerdotale, en 1932, le jeune José-Luis écrivit directement au Recteur Majeur, s’offrant pour les missions. L’offre fut acceptée, et il fut envoyé en Inde, où il débarqua à Mumbai en 1933. À peine un an plus tard, lorsque la Province de l’Inde du Sud fut érigée, il fut nommé maître des novices à Tirupattur : il avait à peine 28 ans. Avec ses extraordinaires qualités d’esprit et de cœur, il devint rapidement l’âme de la maison et laissa une profonde impression sur ses novices. « Il nous a conquis avec son cœur paternel », écrit l’un d’eux, l’archevêque Hubert D’Rosario de Shillong.
Don Joseph Vaz, un autre novice, racontait souvent comment Carreño s’était rendu compte qu’il tremblait de froid pendant une conférence. « Attends un instant, hombre », dit le maître des novices, et il sortit. Peu après, il revint avec un pull bleu qu’il donna à Joe. Joe remarqua que le pull était étrangement chaud. Puis il se rappela que sous sa soutane, son maître portait quelque chose de bleu… qui n’était plus là. Carreño lui avait donné son propre pull.
En 1942, lorsque le gouvernement britannique en Inde interna tous les étrangers des pays en guerre avec la Grande-Bretagne, Carreño ne fut pas inquiété, étant citoyen d’un pays neutre. En 1943, il reçut un message via Radio Vatican : il devait prendre la place de Don Eligio Cinato, inspecteur de la province de l’Inde du Sud, lui aussi interné. À la même période, l’archevêque salésien Louis Mathias de Madras-Mylapore l’invita à être son vicaire général.
En 1945, il fut officiellement nommé inspecteur, fonction qu’il occupa de 1945 à 1951. L’un de ses tout premiers actes fut de consacrer la Province au Sacré-Cœur de Jésus. De nombreux salésiens étaient convaincus que la croissance extraordinaire de la Province du Sud était due précisément à ce geste. Sous la direction de Don Carreño, les œuvres salésiennes doublèrent. L’un de ses actes les plus clairvoyants fut le lancement d’un collège universitaire dans le village reculé et pauvre de Tirupattur. Le Sacred Heart College finirait par transformer tout le district.
Carreño fut également le principal artisan de l’« indianisation » du visage salésien en Inde, cherchant dès le début des vocations locales, au lieu de s’appuyer exclusivement sur les missionnaires étrangers. Un choix qui s’avéra providentiel : d’abord, parce que le flux de missionnaires étrangers cessa, il s’interrompit pendant la guerre ; ensuite, parce que l’Inde indépendante décida de ne plus accorder de visas aux nouveaux missionnaires étrangers. « Si aujourd’hui les salésiens en Inde sont plus de deux mille, le mérite de cette croissance doit être attribué aux politiques initiées par Don Carreño », écrit Don Thekkedath dans son histoire des salésiens en Inde.
Don Carreño, comme nous l’avons dit, n’était pas seulement inspecteur, mais aussi vicaire de Mgr Mathias. Ces deux grands hommes, qui s’estimaient profondément, étaient cependant très différents de tempérament. L’archevêque était partisan de mesures disciplinaires sévères envers les confrères en difficulté, tandis que Don Carreño préférait des procédures plus douces. Le visiteur extraordinaire, Don Albino Fedrigotti, semble avoir donné raison à l’archevêque, qualifiant Don Carreño d’« excellent religieux, un homme au grand cœur », mais aussi « un peu trop poète ».
On ne manqua pas non plus de l’accuser d’être un mauvais administrateur, mais il est significatif qu’une figure comme Don Aurelio Maschio, grand procureur et architecte des œuvres salésiennes de Mumbai, ait rejeté avec décision cette accusation. En réalité, Don Carreño était un innovateur et un visionnaire. Certaines de ses idées – comme celle d’impliquer des volontaires non salésiens pour un service de quelques années – étaient, à l’époque, regardées avec suspicion, mais aujourd’hui elles sont largement acceptées et activement promues.
En 1951, à la fin de son mandat officiel d’inspecteur, on demanda à Carreño de rentrer en Espagne pour s’occuper des Salésiens Coopérateurs. Ce n’était pas la vraie raison de son départ, après dix-huit ans en Inde, mais Carreño accepta avec sérénité, même si ce ne fut pas sans douleur.
En 1952, on lui demanda d’aller à Goa, où il resta jusqu’en 1960. « Goa fut un coup de foudre », écrivit-il dans Urdimbre en el telar. Goa, de son côté, l’accueillit dans son cœur. Il poursuivit la tradition des salésiens qui servaient comme directeurs spirituels et confesseurs du clergé diocésain, et fut même le patron de l’association des écrivains de langue konkani. Surtout, il gouverna la communauté de Don Bosco Panjim avec amour, prit soin avec une paternité extraordinaire des nombreux garçons pauvres et, encore une fois, se dédia activement à la recherche de vocations à la vie salésienne. Les premiers salésiens de Goa – des personnes comme Thomas Fernandes, Elias Diaz et Romulo Noronha – racontaient avec les larmes aux yeux comment Carreño et d’autres passaient par le Goa Medical College, juste à côté de la maison salésienne, pour donner leur sang et ainsi obtenir quelques roupies avec lesquelles acheter des vivres et d’autres biens pour les garçons.
En 1961 eut lieu l’action militaire indienne avec l’annexion de Goa. À ce moment-là, Don Carreño se trouvait en Espagne et ne put plus retourner dans sa terre bien-aimée. En 1962, il fut envoyé aux Philippines comme maître des novices. Il n’accompagna que trois groupes de novices, car en 1965, il demanda à rentrer en Espagne. À l’origine de sa décision, il y avait une sérieuse divergence de vision entre lui et les missionnaires salésiens venant de Chine, et spécialement avec Don Carlo Braga, supérieur de la Visitatoria. Carreño s’opposa avec force à la politique d’envoyer les jeunes salésiens philippins nouvellement profès à Hong Kong pour les études de philosophie. Il se trouva que, finalement, les supérieurs acceptèrent la proposition de retenir les jeunes salésiens aux Philippines, mais à ce moment-là, la demande de Carreño de rentrer dans son pays avait déjà été acceptée.
Don Carreño ne passa que quatre ans aux Philippines, mais là aussi, comme en Inde, il laissa une empreinte indélébile, « une contribution incommensurable et cruciale à la présence salésienne aux Philippines », selon les mots de l’historien salésien Nestor Impelido.
De retour en Espagne, il a collaboré avec les Procures Missionnaires de Madrid et de New Rochelle, et à l’animation des provinces ibériques. Beaucoup en Espagne se souviennent encore du vieux missionnaire qui visitait les maisons salésiennes, contaminant les jeunes avec son enthousiasme missionnaire, ses chansons et sa musique.
Mais dans son imagination créative, un nouveau projet prenait forme. Carreño se consacra de tout son cœur au rêve de fonder un Pueblo Misionero avec deux objectifs : préparer de jeunes missionnaires – principalement originaires d’Europe de l’Est – pour l’Amérique latine ; et offrir un refuge aux missionnaires « retraités » comme lui, qui pourraient également servir de formateurs. Après une longue et douloureuse correspondance avec les supérieurs, le projet prit finalement forme dans l’Hogar del Misionero à Alzuza, à quelques kilomètres de Pampelune. La composante vocationnelle missionnaire ne décolla jamais, et très peu de missionnaires âgés rejoignirent effectivement Carreño. Son principal apostolat durant ces dernières années resta celui de la plume. Il laissa plus de trente livres, dont cinq dédiés au Saint-Suaire, auquel il était particulièrement attaché.
Don José-Luis Carreño est décédé en 1986 à Pampelune, à l’âge de 81 ans. Malgré les hauts et les bas de sa vie, ce grand amoureux du Sacré-Cœur de Jésus put affirmer, lors du jubilé d’or de son ordination sacerdotale : « Si il y a cinquante ans ma devise de jeune prêtre était ‘Le Christ est tout’, aujourd’hui, vieux et submergé par son amour, je l’écrirais en lettres d’or, car en réalité LE CHRIST EST TOUT ».

Don Ivo COELHO, sdb




Béatification de Camille Costa de Beauregard. Et après…?

Le diocèse de Savoie et la ville de Chambéry ont vécu trois journées historiques, les 16, 17 et 18 mai 2025. Un compte rendu des faits et des perspectives d’avenir.

            Les reliques de Camille Costa de Beauregard ont été transférées du Bocage à l’église Notre-Dame (lieu du baptême de Camille), le vendredi 16 mai. Un magnifique cortège a ensuite parcouru les rues de la ville à partir de vingt heures. Après les cors des Alpes, les cornemuses ont pris le relais pour ouvrir la marche, suivies d’un char fleuri transportant un portrait géant du « père des orphelins ». Suivaient ensuite les reliques, sur une civière portée par de jeunes lycéens du Bocage, vêtus de magnifiques sweats rouges sur lesquels on pouvait lire cette phrase de Camille : « Plus la montagne est haute, mieux on voit loin« . Plusieurs centaines de personnes de tous âges défilaient ensuite, dans une ambiance « bon enfant ». Le long du parcours, les curieux, respectueux, s’arrêtaient, ébahis, de voir passer ce cortège insolite.
            À l’arrivée à l’église Notre-Dame, un prêtre était là pour animer une veillée de prière soutenue par les chants d’une belle chorale de jeunes. La cérémonie se déroulait donc dans un climat détendu, mais recueilli. Tous défilaient, à la fin de la veillée, pour vénérer les reliques et confier à Camille une intention personnelle. Un très beau moment !
            Samedi 17 mai. Grand jour ! Depuis Pauline Marie Jaricot (béatifiée en mai 2022), la France n’avait pas connu de nouveau « Bienheureux ». Aussi toute la Région Apostolique se trouvait représentée par ses évêques : Lyon, Annecy, Saint-Étienne, Valence, etc… À ceux-ci s’étaient ajoutés deux anciens archevêques de Chambéry : Monseigneur Laurent Ulrich, actuellement archevêque de Paris et Monseigneur Philippe Ballot, évêque de Metz. Deux évêques du Burkina Faso avaient fait le déplacement pour participer à cette fête. De nombreux prêtres diocésains étaient venus concélébrer, ainsi que plusieurs religieux dont sept Salésiens de Don Bosco. Le nonce apostolique en France, Monseigneur Celestino Migliore, avait mission de représenter le cardinal Semeraro (Préfet du Dicastère pour les causes des saints) retenu à Rome pour l’intronisation du pape Léon XIV. Inutile de dire que la cathédrale était comble, ainsi que les chapiteaux et le parvis et le Bocage : plus de trois mille personnes en tout.
            Quelle émotion, lorsqu’après la lecture du décret pontifical (signé la veille seulement par le pape Léon XIV) lu par le père Pierluigi Caméroni, postulateur de la cause, le portrait de Camille a été dévoilé dans la cathédrale ! Quelle ferveur dans ce grand vaisseau ! Quelle solennité soutenue par les chants d’une magnifique chorale interdiocésaine et du grand orgue merveilleusement servi par le maître Thibaut Duré ! Bref, une cérémonie grandiose pour cet humble prêtre qui donna toute sa vie au service des plus petits !
            Un reportage a été assuré par RCF Savoie (une station de radio régionale française qui fait partie du réseau RCF, Radios Chrétiennes Francophones) avec des interviews de plusieurs personnalités impliquées dans la défense de la cause de Camille, et d’autre part, par la chaîne KTO (la chaîne de télévision catholique de langue française) qui retransmettait en direct cette magnifique célébration.
            Une troisième journée, Dimanche 18 mai, venait couronner cette fête. Elle se déroulait au Bocage, sous un grand chapiteau ; c’était une messe d’action de grâce présidée par Monseigneur Thibault Verny, archevêque de Chambéry, entouré des deux évêques africains, du Provincial des Salésiens et de quelques prêtres, dont le père Jean-François Chiron (président, depuis treize ans, du Comité Camille créé par Monseigneur Philippe Ballot) qui prononçait une homélie remarquable. Une foule considérable était venue participer et prier. À la fin de la messe, une rose « Camille Costa de Beauregard fondateur du Bocage » a été bénie par le père Daniel Féderspiel, Provincial des Salésiens de France (cette rose, choisie par les anciens élèves, offerte aux personnalités présentes, est en vente dans les serres du Bocage).
            Après la cérémonie, les cors des Alpes ont donné un concert jusqu’au moment où le pape Léon, lors de son discours, au moment du Regina Coeli, a déclaré être très joyeux de la première béatification de son pontificat, le prêtre de Chambéry Camille Costa de Beauregard. Tonnerre d’applaudissements sous le chapiteau !
            L’après-midi, plusieurs groupes de jeunes du Bocage, lycée et maison des enfants, ou scouts, se sont succédé sur le podium pour animer un moment récréatif. Oui ! Quelle fête !

            Et maintenant ? Tout est fini ? Ou y a-t-il un après, une suite ?
            La béatification de Camille n’est qu’une étape dans le processus de canonisation. Le travail continue et vous êtes appelés à y contribuer. Que reste-t-il à faire ? Faire connaître toujours mieux la figure du nouveau Bienheureux autour de nous, par de multiples moyens, car il est nécessaire que beaucoup le prient afin que son intercession nous obtienne une nouvelle guérison inexplicable par la science, ce qui permettrait d’envisager un nouveau procès et une canonisation rapide. La sainteté de Camille serait alors présentée au monde entier. C’est possible, il faut y croire ! Ne nous arrêtons pas en chemin !

            Nous disposons de plusieurs moyens, tels que :
            – le livre Le bienheureux Camille Costa de Beauregard La noblesse du cœur, de Françoise Bouchard, Éditions Salvator ;
            – le livre Prier quinze jours avec Camille Costa de Beauregard, du père Paul Ripaud, Éditions Nouvelle Cité ;
            – une bande dessinée : Bienheureux Camille Costa de Beauregard, de Gaëtan Evrard, Éditions Triomphe ;
            – les vidéos à découvrir sur le site des « Amis de Costa« , et celle de la béatification ;
            – les visites des lieux de mémoire, au Bocage à Chambéry ; elles sont possibles en contactant soit l’accueil du Bocage, soit directement Monsieur Gabriel Tardy, directeur de la Maison des Enfants.

            À tous, merci de soutenir la cause du bienheureux Camille, il le mérite bien !

Père Paul Ripaud, sdb




Le titre de Basilique au Temple du Sacré-Cœur à Rome

A l’occasion du centenaire de la mort de Don Paul Albera, on a souligné comment le deuxième successeur de Don Bosco a réalisé ce que l’on pourrait qualifier de rêve de Don Bosco. En effet, trente-quatre ans après la consécration du temple du Sacré-Cœur à Rome, qui eut lieu en présence de Don Bosco, désormais épuisé (mai 1887), le pape Benoît XVI – le pape de la célèbre et inouïe définition de la Première Guerre mondiale comme « massacre inutile » – conféra à l’église le titre de Basilique mineure (11 février 1921). Pour sa construction, Don Bosco avait « donné son âme » (et son corps aussi !) au cours des sept dernières années de sa vie. Il avait fait de même au cours des vingt années précédentes (1865-1868) pour la construction de l’église Marie Auxiliatrice de Turin-Valdocco, la première église salésienne élevée à la dignité de basilique mineure le 28 juin 1911, en présence du nouveau Recteur Majeur, le Père Paul Albera.

Le résultat de la supplication
Mais comment en est-on arrivé là ? Qui en est à l’origine ? Nous le savons désormais avec certitude grâce à la découverte récente du brouillon dactylographié de la demande de ce titre par le Recteur Majeur, le Père Paolo Albera. Il est inclus dans un livret commémorant le 25e anniversaire du Sacré-Cœur, édité en 1905 par le directeur de l’époque, le père Francesco Tomasetti (1868-1953). Le tapuscrit, daté du 17 janvier 1921, comporte des corrections minimes de la part du Recteur Majeur mais, ce qui est important, porte sa signature autographe.
Après une description de l’œuvre de Don Bosco et de l’activité incessante de la paroisse, probablement tirée de l’ancien dossier, le Père Albera s’adresse au Pape en ces termes

« Alors que la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus grandit et se répand dans le monde entier, et que de nouveaux Temples sont dédiés au Divin Cœur, également grâce à la noble initiative des Salésiens, comme à S. Paolo au Brésil, à La Plata en Argentine, à Londres, à Barcelone et ailleurs, il semble que le premier Temple-Sanctuaire dédié au Sacré-Cœur de Jésus à Rome, où une dévotion aussi importante a une affirmation si digne de la Ville Éternelle, mérite une distinction spéciale. C’est pourquoi le soussigné, après avoir entendu l’avis du Conseil supérieur de la pieuse Société salésienne, prie humblement Votre Sainteté de daigner accorder au Temple-Sanctuaire du Sacré-Cœur de Jésus au Castro Pretorio à Rome le titre et les privilèges de Basilique mineure, espérant que cette honorable élévation augmentera la dévotion, la piété et toute activité catholique bénéfique ».

La supplique, en belle copie, signée par le père Albera, fut vraisemblablement envoyée par le procureur, le père Francesco Tomasetti, à la Sacrée Congrégation des Brefs, qui l’accueillit favorablement. Il s’empressa de rédiger le projet de Bref apostolique à conserver dans les Archives du Vatican, le fit transcrire par des calligraphes experts sur un riche parchemin et le transmit à la Secrétairie d’État pour la signature du titulaire du moment, le cardinal Pietro Gasparri.
Aujourd’hui, les fidèles peuvent admirer cet original de l’octroi du titre demandé, joliment encadré dans la sacristie de la basilique (voir photo).
Nous ne pouvons qu’être reconnaissants à la Dr Patrizia Buccino, spécialiste en archéologie et en histoire, et au père Giorgio Rossi, historien salésien, qui ont diffusé la nouvelle. C’est à eux qu’il revient de compléter l’enquête entamée en recherchant dans les archives du Vatican l’intégralité de la correspondance, qui sera également portée à la connaissance du monde scientifique par le biais de la célèbre revue d’histoire salésienne « Ricerche Storiche Salesiane ».

Le Sacré-Cœur : une basilique nationale au rayonnement international
Vingt-six ans auparavant, le 16 juillet 1885, à la demande de Don Bosco et avec le consentement explicite du Pape Léon XIII, Monseigneur Gaetano Alimonda, archevêque de Turin, avait chaleureusement exhorté les Italiens à participer au succès de la « noble et sainte proposition [du nouveau temple] en la qualifiant de vote national des Italiens ».
Or, le Père Albera, dans sa demande au pontife, après avoir rappelé l’appel pressant du Cardinal Alimonda, rappelle que toutes les nations du monde ont été invitées à contribuer économiquement à la construction, à la décoration du temple et des œuvres annexes (y compris l’inévitable oratoire salésien avec hospice !) afin que le Temple-Sanctuaire, en plus d’un vœu national, devienne une « manifestation mondiale ou internationale de la dévotion au Sacré-Cœur ».
À cet égard, dans un article historico-ascétique publié à l’occasion du premier centenaire de la consécration de la basilique (1987), l’érudit Armando Pedrini l’a définie comme : « Un temple qui est donc international en raison de la catholicité et de l’universalité de son message à tous les peuples », compte tenu également de la « position proéminente » de la basilique à côté de la gare ferroviaire dont l’internationalité est reconnue.
Rome-Termini n’est donc pas seulement une grande gare avec des problèmes d’ordre public et un territoire difficile à gérer, dont on parle souvent dans les journaux et comme les gares de nombreuses capitales européennes. Mais c’est aussi la Basilique du Sacré-Cœur de Jésus. Et si le soir et la nuit, la zone n’apporte pas la sécurité aux touristes, pendant la journée, la Basilique distribue la paix et la sérénité aux fidèles qui y entrent, s’y arrêtent pour prier, y reçoivent les sacrements.
Les pèlerins qui passeront par la gare de Termini dans une année sainte pas trop lointaine (2025) s’en souviendront-ils ? Ils n’auront qu’à traverser une rue… et le Sacré-Cœur de Jésus les attend.

PS. À Rome, il existe une deuxième basilique paroissiale salésienne, plus grande et plus riche sur le plan artistique que celle du Sacré-Cœur : il s’agit de celle de Saint Jean Bosco à Tuscolano, qui est devenue telle en 1965, quelques années après son inauguration (1959). Où se trouve-t-elle ? Évidemment dans le quartier Don Bosco (à deux pas des célèbres studios de Cinecittà). Si la statue du clocher de la basilique du Sacré-Cœur domine la place de la gare Termini, la coupole de la basilique de Don Bosco, légèrement inférieure à celle de Saint-Pierre, la regarde en revanche de face, bien que depuis deux points extrêmes de la capitale. Et comme il n’y a pas deux sans trois, il y a une troisième splendide basilique paroissiale salésienne à Rome : celle de Santa Maria Ausiliatrice, dans le quartier Appio-Tuscolano, à côté du grand Institut Pio XI.

Lettre apostolique intitulée Pia Societas, datée du 11 février 2021, par laquelle Sa Sainteté Benoît XV a élevé l’église du Sacré-Cœur de Jésus au rang de Basilique.

Ecclesia parochialis SS.mi Cordis Iesu ad Castrum Praetorium in urbe titulo et privilegiis Basilicae Minoris decoratur.
Benedictus pp. XV

            Ad perpetuam rei memoriam.
            Pia Societas sancti Francisci Salesii, a venerabili Servo Dei Ioanne Bosco iam Augustae Taurinorum condita atque hodie per dissitas quoque orbis regiones diffusa, omnibus plane cognitum est quanta sibi merita comparaverit non modo incumbendo actuose sollerterque in puerorum, orbitate laborantium, religiosam honestamque institutionem, verum etiam in rei catholicae profectum tum apud christianum populum, tum apud infideles in longinquis et asperrimis Missionibus. Eiusdem Societatis sodalibus est quoque in hac Alma Urbe Nostra ecclesia paroecialis Sacratissimo Cordi Iesu dicata, in qua, etsi non abhinc multos annos condita, eximii praesertim Praedecessoris Nostri Leonis PP. XIII iussu atque auspiciis, christifideles urbani, eorumdem Sodalium opera, adeo ad Dei cultum et virtutum laudem exercentur, ut ea vel cum antiquioribus paroeciis in honoris ac meritorum contentionem veniat. Ipsemet Salesianorum Sodalium fundator, venerabilis Ioannes Bosco, in nova Urbis regione, aere saluberrimo populoque confertissima, quae ad Gastrum Praetorium exstat, exaedificationem inchoavit istius templi, et, quasi illud erigeret ex gentis italicae voto et pietatis testimonio erga Sacratissimum Cor Iesu, stipem praecipue ex Italiae christifidelibus studiose conlegit; verumtamen pii homines ex ceteris nationibus non defuerunt, qui, in exstruendum perficiendumque templum istud, erga Ssmum Cor Iesu amore incensi, largam pecuniae vim contulerint. Anno autem MDCCCLXXXVII sacra ipsa aedes, secundum speciosam formam a Virginio Vespignani architecto delineatam, tandem perfecta ac sollemniter consecrata dedicataque est. Eamdem vero postea, magna cum sollertia, Sodales Salesianos non modo variis altaribus, imaginibus affabre depictis et statuis, omnique sacro cultui necessaria supellectili exornasse, verum etiam continentibus aedificiis iuventuti, ut tempora nostra postulant, rite instituendae ditasse, iure ac merito Praedecessores Nostri sunt » laetati, et Nos haud minore animi voluptate probamus. Quapropter cum dilectus filius Paulus Albera, hodiernus Piae Societatis sancti Francisci Salesii rector maior, nomine proprio ac religiosorum virorum quibus praeest, quo memorati templi Ssmi Cordi Iesu dicati maxime augeatur decus, eiusdem urbanae paroeciae fidelium fides et pietas foveatur, Nos supplex rogaverit, ut eidem templo dignitatem, titulum et privilegia Basilicae Minoris pro Nostra benignitate impertiri dignemur; Nos, ut magis magisque stimulos fidelibus ipsius paroeciae atque Urbis totius Nostrae ad Sacratissimum Cor Iesu impensius colendum atque adamandum addamus, nec non benevolentiam, qua Sodales Salesianos ob merita sua prosequimur, publice significemus, votis hisce piis annuendum ultro libenterque censemus. Quam ob rem, conlatis consiliis cum VV. FF. NN. S. R. E. Cardinalibus Congregationi Ss. Rituum praepositis, Motu proprio ac de certa scientia et matura deliberatione Nostris, deque apostolicae potestatis plenitudine, praesentium Litterarum tenore perpetuumque in modum, enunciatum templum Sacratissimo Cordi Iesu dicatum, in hac alma Urbe Nostra atque ad Castrum Praetorium situm, dignitate ac titulo Basilicae Minoris honestamus, cum omnibus et singulis honoribus, praerogativis, privilegiis, indultis quae aliis Minoribus Almae huius Urbis Basilicis de iure competunt. Decernentes praesentes Litteras firmas, validas atque efficaces semper exstare ac permanere, suosque integros effectus sortiri iugiter et obtinere, illisque ad quos pertinent nunc et in posterum plenissime suffragari; sicque rite iudicandum esse ac definiendum, irritumque ex nunc et inane fieri, si quidquam secus super his, a quovis, auctoritate qualibet, scienter sive ignoranter attentari contigerit. Non obstantibus contrariis quibuslibet.

            Datum Romae apud sanctum Petrum sub annulo Piscatoris, die XI februarii MCMXXI, Pontificatus Nostri anno septimo.
P. CARD. GASPARRI, a Secretis Status.

***

L’église paroissiale du Sacré-Cœur de Jésus, située près du Castrum Praetorium dans la ville, est honorée du titre et des privilèges de Basilique Mineure.
Benoît XV

Pour la mémoire éternelle de cette chose.
La Pieuse Société de Saint François de Sales, fondée par le vénérable Serviteur de Dieu Jean Bosco à Turin et aujourd’hui répandue dans les régions les plus éloignées du monde, a acquis des mérites reconnus de tous, non seulement en s’engageant activement et habilement dans l’éducation religieuse et honnête des enfants orphelins, mais aussi dans le progrès de la cause catholique, tant parmi le peuple chrétien que parmi les infidèles dans les Missions lointaines et très difficiles. Les membres de cette même Société possèdent également dans cette Ville Éternelle Notre église paroissiale dédiée au Sacré-Cœur de Jésus, dans laquelle, bien que fondée il n’y a pas si longtemps, sur l’ordre et sous les auspices de Notre éminent Prédécesseur le Pape Léon XIII, les fidèles urbains, grâce à l’œuvre de ces mêmes membres, sont tellement exercés au culte de Dieu et à la louange des vertus, qu’elle rivalise même avec les paroisses plus anciennes en termes d’honneur et de mérites. Le fondateur lui-même des Salésiens, le vénérable Jean Bosco, a commencé la construction de ce temple dans un nouveau quartier de la Ville, à l’air très sain et très peuplé, situé près du Castrum Praetorium, et, comme s’il l’érigeait selon le vœu du peuple italien et comme témoignage de piété envers le Sacré-Cœur de Jésus, il a recueilli avec zèle des aumônes principalement auprès des fidèles d’Italie ; cependant, des personnes pieuses d’autres nations n’ont pas manqué, qui, enflammées par l’amour envers le Sacré-Cœur de Jésus, ont contribué une somme d’argent considérable à la construction et à l’achèvement de ce temple. En l’an 1887, ce même édifice sacré, selon la belle forme dessinée par l’architecte Virginio Vespignani, fut enfin achevé et solennellement consacré et dédié. Nos Prédécesseurs se sont réjouis à juste titre et à bon droit de ce que les Salésiens aient ensuite, avec une grande habileté, non seulement orné ce même édifice de divers autels, d’images habilement peintes et de statues, et de tout le mobilier nécessaire au culte sacré, mais aussi qu’ils l’aient enrichi de bâtiments contigus pour l’éducation de la jeunesse, comme l’exigent nos temps, et Nous approuvons cela avec non moins de joie. C’est pourquoi, puisque notre cher fils Paul Albera, actuel recteur majeur de la Pieuse Société de Saint François de Sales, en son nom propre et au nom des religieux qu’il dirige, afin d’accroître au maximum la splendeur du temple susmentionné dédié au Sacré-Cœur de Jésus, et de favoriser la foi et la piété des fidèles de cette même paroisse urbaine, Nous a humblement demandé de daigner accorder à ce même temple la dignité, le titre et les privilèges de Basilique Mineure par Notre bienveillance ; Nous, afin d’inciter de plus en plus les fidèles de cette paroisse et de toute Notre Ville à cultiver et à aimer plus intensément le Sacré-Cœur de Jésus, et aussi pour manifester publiquement la bienveillance que Nous portons aux Salésiens en raison de leurs mérites, Nous estimons qu’il faut accéder volontiers et de bon gré à ces pieux vœux. C’est pourquoi, après avoir consulté Nos Vénérables Frères les Cardinaux de la Sainte Église Romaine préposés à la Congrégation des Sacrés Rites, de Notre propre Motu proprio et de Notre science certaine et mûre délibération, et en vertu de la plénitude de la puissance apostolique, par la teneur des présentes Lettres et de manière perpétuelle, Nous honorons le temple susmentionné dédié au Sacré-Cœur de Jésus, situé dans cette Ville Éternelle et près du Castrum Praetorium, de la dignité et du titre de Basilique Mineure, avec tous et chacun des honneurs, prérogatives, privilèges, indults qui reviennent de droit aux autres Basiliques Mineures de cette Ville Éternelle. Nous décrétons que les présentes Lettres sont et demeurent toujours fermes, valides et efficaces, qu’elles produisent et obtiennent toujours leurs pleins effets, et qu’elles profitent pleinement à ceux qu’elles concernent maintenant et à l’avenir ; et qu’il doit en être ainsi jugé et défini, et que tout ce qui serait tenté autrement à ce sujet, par quiconque, sous quelque autorité que ce soit, sciemment ou par ignorance, est nul et non avenu dès maintenant. Nonobstant toute disposition contraire.

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, sous l’anneau du Pêcheur, le 11 février 1921, la septième année de Notre Pontificat.
P. CARD. GASPARRI, Secrétaire d’État.




Les Salésiens en Ukraine (vidéo)

La « Visitatoria » (quasi-province) salésienne Marie-Auxiliatrice de rite byzantin (UKR) a remodelé sa mission éducative et pastorale depuis le début de l’invasion russe de 2022. Au temps des sirènes antiaériennes, des abris improvisés et des écoles en sous-sol, les Salésiens se sont faits proximité concrète : ils hébergent des personnes déplacées, distribuent de l’aide, accompagnent spirituellement militaires et civils, transforment une maison en centre d’accueil et animent le campus modulaire « Mariapolis », où chaque jour ils servent mille repas et organisent l’oratoire et le sport, et même la première équipe ukrainienne de Football pour Amputés. Le témoignage personnel d’un confrère révèle les blessures, les espoirs et les prières de ceux qui ont tout perdu, mais continuent de croire qu’après ce long Chemin de Croix national, la Pâque de la paix se lèvera pour l’Ukraine.

La pastorale de la Visitatoria Marie-Auxiliatrice de rite byzantin (UKR) pendant la guerre
Notre pastorale a dû se modifier lorsque la guerre a commencé. Nos activités éducatives et pastorales ont dû s’adapter à une réalité complètement différente, souvent marquée par le son incessant des sirènes annonçant le danger d’attaques de missiles et de bombardements. Chaque fois que l’alarme retentit, nous sommes contraints d’interrompre les activités et de descendre avec les jeunes dans les abris souterrains ou les bunkers. Dans certaines écoles, les cours se déroulent directement dans les sous-sols, pour garantir une plus grande sécurité aux élèves.

Dès le début, nous nous sommes mis sans hésiter à aider et à secourir la population souffrante. Nous avons ouvert nos maisons pour accueillir les personnes déplacées, nous avons organisé la collecte et la distribution de l’aide humanitaire. Nous préparons avec nos jeunes des milliers de colis contenant des vivres, des vêtements et tout le nécessaire pour les envoyer aux personnes dans le besoin dans les territoires proches des combats ou dans les zones de combat. De plus, certains de nos confrères salésiens servent comme aumôniers dans les zones de combat. Là, ils apportent un soutien spirituel aux jeunes militaires, mais aussi une aide humanitaire aux personnes restées dans les villages sous bombardements constants, aidant certains d’entre eux à déménager dans un endroit plus sûr. Un confrère diacre qui était dans les tranchées a vu sa santé se dégrader et a perdu sa cheville. Quand, il y a quelques années, je lisais dans le Bulletin Salésien italien un article parlant des Salésiens dans les tranchées pendant la Première ou la Seconde Guerre mondiale, je ne pensais pas que cela arriverait à notre époque moderne dans mon pays. J’ai été frappé un jour par les paroles d’un très jeune soldat ukrainien qui citait un historien et éminent officier défenseur et combattant pour l’indépendance de notre peuple qui disait : « Nous luttons pour défendre notre indépendance non pas parce que nous haïssons ceux qui sont devant nous, mais parce que nous aimons ceux qui sont derrière nous. »

Pendant cette période, nous avons également transformé l’une de nos Maisons Salésiennes en centre d’accueil pour les personnes déplacées.

Pour soutenir la réhabilitation physique, mentale, psychologique et sociale des jeunes qui ont perdu des membres à la guerre, nous avons créé une équipe de Football pour Amputés, la première équipe de ce type en Ukraine.
Dès le début de l’invasion en 2022, nous avons mis à la disposition de la municipalité de Lviv un de nos terrains, destiné à la construction d’une école salésienne, pour réaliser un campus modulaire pour les personnes déplacées de l’intérieur, la « Mariapolis », où nous, Salésiens, opérons en collaboration avec le Centre du Département Social de la Municipalité. Nous apportons un soutien social et un accompagnement spirituel, rendant l’environnement plus accueillant. Avec l’aide de notre Congrégation, de diverses organisations dont VIS et Missioni Don Bosco, des différentes procures et autres fondations caritatives, ainsi que des agences d’État d’autres pays, nous avons pu organiser la cuisine du campus avec son personnel, ce qui nous permet d’offrir un repas chaque jour à environ 1000 personnes. De plus, grâce à leur aide, nous pouvons organiser diverses activités dans le style salésien pour les 240 enfants et jeunes présents sur le campus.

Une petite expérience et un humble témoignage personnel
Je voudrais partager ici ma petite expérience et mon témoignage… Je remercie vraiment le Seigneur qui, par l’intermédiaire de mon Provincial, m’a appelé à ce service particulier. Depuis trois ans, je travaille dans le campus qui héberge environ 1 000 personnes déplacées. Depuis le début, je suis aux côtés de personnes qui ont tout perdu en un instant, sauf leur dignité. Leurs maisons sont détruites et pillées, les économies et les biens accumulés avec peine au fil des ans se sont envolés. Beaucoup ont perdu bien plus et un bien encore plus précieux : leurs proches, tués sous leurs yeux par des missiles ou des mines. Certaines des personnes présentes sur le campus ont dû vivre pendant des mois dans les sous-sols d’immeubles effondrés, se nourrissant du peu qu’elles trouvaient, même périmé. Elles buvaient l’eau des radiateurs et faisaient bouillir des épluchures de pommes de terre pour se nourrir. Puis, à la première occasion, elles se sont enfuies ou ont été évacuées sans savoir où aller, sans certitudes sur ce qui les attendait. De plus, certains ont vu leurs villes, comme Marioupol, rasées. C’est en effet en l’honneur de cette belle ville de Marie, que nous, Salésiens, avons appelé le campus pour les personnes déplacées « Mariapolis », confiant ce lieu et les habitants du campus à la Vierge Marie. Et Elle, comme une mère, se tient aux côtés de chacun dans ces moments d’épreuve. Dans le campus, j’ai aménagé une chapelle qui lui est dédiée, où se trouve une icône dessinée par une dame du campus originaire de la ville martyre de Kharkiv. La chapelle est devenue pour tous les résidents, quelle que soit leur confession chrétienne, un lieu de rencontre avec Dieu et avec eux-mêmes.

Être avec eux, les aimer, les accueillir, les écouter, les consoler, les encourager, prier pour eux et avec eux et les soutenir dans ce que je peux, telles sont les dispositions qui font partie de mon service, qui est devenu ma vie pendant cette période. C’est une véritable école de vie, de spiritualité, où j’apprends énormément en étant aux côtés de leur souffrance. Presque tous espèrent que la guerre finira bientôt et que la paix arrivera, pour pouvoir rentrer chez eux. Mais pour beaucoup, ce rêve est désormais irréalisable : leurs maisons n’existent plus. Alors, comme je peux, j’essaie de leur offrir une lueur d’espoir, en les aidant à rencontrer Celui qui n’abandonne personne, qui est proche dans les souffrances et les difficultés de la vie.

Parfois, ils me demandent de les préparer à la Réconciliation : avec Dieu, avec eux-mêmes, avec la dure réalité qu’ils sont contraints de vivre. D’autres fois, je les aide dans leurs besoins les plus concrets : médicaments, vêtements, couches, visites à l’hôpital. Je fais aussi un travail d’administrateur avec mes trois collègues laïcs. Chaque jour, à 17h00, nous prions pour la paix, et un petit groupe a appris à réciter le Chapelet, le priant quotidiennement.

En tant que Salésien, j’essaie d’être attentif aux besoins des jeunes. Dès le début, avec l’aide des animateurs, nous avons créé un oratoire à l’intérieur du campus, ainsi que des activités, des excursions, des camps en montagne pendant l’été. De plus, l’un des engagements que je poursuis est de superviser la cantine, pour m’assurer qu’aucune des personnes résidant au campus ne reste sans un repas chaud.

Parmi les habitants du campus, il y a le petit Maksym, qui se réveille au cœur de la nuit, terrorisé par chaque bruit fort. Maria, une mère qui a tout perdu, y compris son mari, et qui sourit chaque jour à ses enfants pour ne pas leur faire peser sa douleur. Puis il y a Petro, 25 ans, qui était chez lui avec sa petite amie quand un drone russe a largué une bombe. L’explosion lui a amputé les deux jambes, tandis que sa petite amie est morte peu après. Petro est resté toute la nuit entre la vie et la mort, jusqu’à ce que des soldats le trouvent le matin et le mettent en sécurité. L’ambulance ne pouvait pas s’approcher à cause des combats.
Au milieu de tant de souffrances, je continue mon apostolat avec l’aide du Seigneur et le soutien de mes confrères.

Nous, Salésiens de rite byzantin, avec nos 13 confrères de rite latin présents en Ukraine – en grande partie d’origine polonaise et appartenant à la Province salésienne de Cracovie (PLS) – partageons profondément la douleur et les souffrances du peuple ukrainien. En tant que fils de Don Bosco, nous continuons avec foi et espérance notre mission éducative et pastorale, nous adaptant chaque jour aux conditions difficiles imposées par la guerre.

Nous sommes aux côtés des jeunes, des familles et de tous ceux qui souffrent et ont besoin d’aide. Nous désirons être des signes visibles de l’amour de Dieu, afin que la vie, l’espérance et la joie des jeunes ne soient jamais étouffées par la violence et la douleur.

Dans ce témoignage commun, nous réaffirmons la vitalité de notre charisme salésien, qui sait répondre même aux défis les plus dramatiques de l’histoire. Nos deux particularités, celle du rite byzantin et celle du rite latin, rendent visible cette unité indivisible du Charisme Salésien, comme l’affirment les Constitutions Salésiennes à l’art. 100 : « Le charisme du Fondateur est principe d’unité de la Congrégation et, par sa fécondité, est à l’origine des différentes manières de vivre l’unique vocation salésienne. »

Nous croyons que la douleur, la souffrance n’ont pas le dernier mot, et que dans la foi, chaque Croix contient déjà le germe de la Résurrection. Après cette longue Semaine Sainte, viendra inévitablement la Résurrection pour l’Ukraine : la vraie et juste PAIX viendra.

Quelques informations
Certains confrères capitulaires demandaient des informations sur la guerre en Ukraine. Permettez-moi de dire quelque chose sous forme de Flash. Une précision : la guerre en Ukraine ne peut être interprétée comme un conflit ethnique ou un différend territorial entre deux peuples aux revendications opposées ou aux droits sur un territoire donné. Il ne s’agit pas d’une querelle entre deux parties luttant pour un morceau de terre. Et donc, ce n’est pas une bataille entre égaux. Ce qui se passe en Ukraine est une invasion, une agression unilatérale. Il s’agit ici d’un peuple qui en a agressé indûment un autre. Une nation, qui a fabriqué des motivations infondées, s’inventant un droit présumé, violant l’ordre et les lois internationales, a décidé d’attaquer un autre État, violant sa souveraineté et son intégrité territoriale, son droit de décider de son propre sort et de la direction de son développement, en occupant et en annexant des territoires. Détruisant des villes et des villages, dont beaucoup ont été rasés, ôtant la vie à des milliers de civils. Il y a ici un agresseur et un agressé : c’est précisément cela la particularité et l’horreur de cette guerre.
Et c’est en partant de cette prémisse que devrait être conçue également la paix que nous attendons. Une paix qui ait le goût de la justice et soit basée sur la vérité, non temporaire, non opportuniste, non une paix fondée sur des convenances cachées et commerciales, évitant de créer des précédents pour des régimes autocratiques dans le monde qui pourraient un jour décider d’envahir d’autres pays, d’occuper ou d’annexer une partie d’un pays voisin ou lointain, simplement parce qu’ils le désirent ou parce que cela leur plaît ainsi, ou parce qu’ils sont plus puissants.
Une autre absurdité de cette guerre non provoquée et non déclarée est que l’agresseur interdit à la victime le droit de se défendre, cherche à intimider et à menacer tous ceux, en l’occurrence d’autres pays, qui prennent le parti de celui qui est sans défense et se mettent à aider la victime injustement agressée à se défendre et à résister.

Quelques tristes statistiques
Depuis le début de l’invasion de 2022 jusqu’à aujourd’hui (08.04.2025), l’ONU a enregistré et confirmé les données relatives à 12 654 morts et 29 392 blessés parmi les CIVILS en Ukraine.

Selon les dernières informations disponibles vérifiées par l’UNICEF, au moins 2 406 ENFANTS ont été tués ou blessés depuis l’escalade de la guerre en Ukraine en 2022. Parmi les victimes on compte 659 ENFANTS TUÉS et 1 747 BLESSÉS – soit au moins 16 enfants tués ou blessés chaque semaine. Des millions d’enfants continuent d’avoir leur vie bouleversée par les attaques en cours ou par la nécessité de fuir et d’être évacués vers d’autres lieux et pays. Les enfants du Donbass souffrent de la guerre depuis déjà 11 ans.
La Russie a lancé, parallèlement au plan d’invasion de l’Ukraine, un programme de déportations forcées d’enfants ukrainiens. Les dernières données font état de 20 000 enfants enlevés de leurs foyers, détenus pendant des mois et soumis à une russification forcée par une propagande intense avant l’adoption forcée.

Père Andrii Platosh, sdb






Le Vénérable Francesco Convertini, pasteur selon le Cœur de Jésus

Le vénérable Don Francesco Convertini, salésien missionnaire en Inde, apparaît comme un pasteur selon le Cœur de Jésus, façonné par l’Esprit et totalement fidèle au projet divin sur sa vie. À travers les témoignages de ceux qui l’ont rencontré, se dessinent son humilité profonde, son dévouement inconditionnel à l’annonce de l’Évangile et son amour fervent pour Dieu et pour le prochain. Il a vécu avec une joyeuse simplicité évangélique, affrontant les difficultés et les sacrifices avec courage et générosité, toujours attentif à tous ceux qu’il rencontrait sur son chemin. Le texte met en lumière son humanité extraordinaire et sa richesse spirituelle, un don précieux pour l’Église.

1. Un paysan dans la vigne du Seigneur
            Présenter le profil vertueux du Père Francesco Convertini, missionnaire salésien en Inde, un homme qui s’est laissé modeler par l’Esprit et a su réaliser sa physionomie spirituelle selon le projet de Dieu sur lui, est quelque chose de beau et de grave à la fois, parce que cela rappelle le vrai sens de la vie, comme réponse à un appel, à une promesse, à un projet de grâce.
            Très originale est la synthèse esquissée à son sujet par un prêtre de son pays, le père Quirico Vasta, qui a connu le père Francesco lors de ses rares visites dans sa terre bien-aimée des Pouilles. Ce témoignage nous offre une synthèse du profil vertueux de ce grand missionnaire, en nous introduisant de façon précise et convaincante dans la découverte de la stature humaine et religieuse de l’homme de Dieu. « La manière de mesurer la stature spirituelle de ce saint homme, Don Francesco Convertini, n’est pas la méthode analytique qui consiste à comparer sa vie aux nombreux paramètres de conduite religieux (le Père Francesco, en tant que salésien, a également accepté les engagements propres à un religieux : pauvreté, obéissance, chasteté, et y est resté fidèle tout au long de sa vie). Au contraire, le Père Francesco Convertini apparaît globalement tel qu’il a été dès le début : un petit paysan qui, après la guerre, et peut-être à cause de la laideur de la guerre, s’ouvre à la lumière de l’Esprit et, laissant tout derrière lui, se met à la suite du Seigneur. D’une part, il sait ce qu’il laisse derrière lui et il le laisse non seulement avec la vigueur typique du paysan méridional, pauvre mais tenace, mais aussi avec joie et avec cette force d’âme toute personnelle que la guerre a revigorée : celle de quelqu’un qui entend poursuivre à fond, même si c’est en silence et au plus profond de son âme, ce sur quoi il a focalisé son attention. D’autre part, toujours comme un paysan qui a saisi en quelque chose ou en quelqu’un les « certitudes » de l’avenir et la solidité de ses espérances et qui sait « à qui il se fie », il permet à la lumière de celui qui lui a parlé de le mettre dans une position de clarté dans l’action. Et il adopte immédiatement les stratégies pour atteindre l’objectif : prière et disponibilité sans mesure, quel qu’en soit le prix. Ce n’est pas un hasard si les vertus clés de ce saint homme sont : l’action silencieuse et sans clameur (cf. saint Paul : « C’est quand je suis faible que je suis fort ») et un sens très respectueux des autres (cf. Actes des Apôtres : « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir »).
Vu sous cet angle, le P. Francesco Convertini est vraiment un homme : timide, enclin à dissimuler ses dons et ses mérites, peu enclin à se vanter, doux avec les autres et fort avec lui-même, mesuré, équilibré, prudent et fidèle ; un homme de foi, d’espérance et en communion habituelle avec Dieu ; un religieux exemplaire, dans l’obéissance, la pauvreté et la chasteté. »

2. Signes distinctifs : « Il émanait de lui un charme qui vous guérissait »
            En retraçant les étapes de son enfance et de sa jeunesse, de sa préparation au sacerdoce et à la vie missionnaire, l’amour particulier de Dieu pour son serviteur et sa correspondance avec ce bon Père sont évidents. Les traits distinctifs de sa physionomie spirituelle sont notamment :

– Foi-confiance illimitée en Dieu, incarnée dans l’abandon filial à la volonté divine.
            Il avait une grande confiance dans la bonté et la miséricorde infinies de Dieu et dans les grands mérites de la passion et de la mort de Jésus-Christ, à qui il confiait tout et de qui il attendait tout. C’est sur le roc solide de cette foi qu’il a entrepris tous ses travaux apostoliques. Froid ou chaleur, pluie tropicale ou soleil brûlant, difficulté ou fatigue, rien ne l’empêchait d’avancer toujours avec confiance, lorsqu’il s’agissait de la gloire de Dieu et du salut des âmes.

– Amour inconditionnel pour Jésus-Christ Sauveur, à qui il offrait tout en sacrifice, à commencer par sa propre vie, vouée à la cause du Royaume.
            Le Père Convertini trouvait sa joie dans la promesse du Sauveur et dans la venue de Jésus, Sauveur universel et unique médiateur entre Dieu et les hommes : « Jésus s’est donné tout entier en mourant sur la croix, et nous, ne serons-nous pas capables de nous donner entièrement à Lui ? »

– Salut intégral du prochain, poursuivi au moyen d’une évangélisation passionnée.
            Les fruits abondants de son travail missionnaire sont dus à sa prière incessante et à ses sacrifices inlassables pour le prochain. Ce sont des hommes et des missionnaires de cette trempe qui ont laissé une trace indélébile dans l’histoire des missions, du charisme salésien et du ministère sacerdotal.
            Même au contact des hindous et des musulmans, il était poussé par un authentique désir d’annoncer l’Évangile, ce qui les conduisait souvent à la foi chrétienne, mais il se sentait aussi presque obligé de souligner les vérités fondamentales facilement perçues même par les non-chrétiens, comme l’infinie bonté de Dieu, l’amour du prochain comme voie de salut et la prière comme moyen d’obtenir des grâces.

– Union incessante avec Dieu par la prière, les sacrements, la confiance en Marie, Mère de Dieu et notre Mère, l’amour de l’Eglise et du Pape, la dévotion aux saints.
            Il se sentait fils de l’Église, qu’il servait avec le cœur d’un authentique disciple de Jésus et d’un missionnaire de l’Évangile, en se confiant au Cœur Immaculé de Marie et en compagnie des saints qu’il considérait comme des intercesseurs et des amis.

– Ascétisme évangélique simple et humble à la suite de la croix, incarné dans une vie extraordinairement ordinaire.
            Sa profonde humilité, sa pauvreté évangélique (il portait sur lui l’indispensable) et son visage angélique transparaissaient dans toute sa personne. Pénitence volontaire, maîtrise de soi, peu ou pas de repos, repas irréguliers. Il se privait de tout pour donner aux pauvres, même ses habits, ses chaussures, son lit et sa nourriture. Il dormait toujours à même le sol. Il faisait de longs jeûnes. Au fil des ans, il contracta plusieurs maladies qui ont miné sa santé : il a souffert d’asthme, de bronchite, d’emphysème, de troubles cardiaques… qui l’ont souvent attaqué au point de l’obliger à garder le lit. On se demandait comment il pouvait supporter tout cela sans se plaindre. C’est précisément cela qui lui valait la vénération des hindous, pour qui il était le « sanyasi », celui qui savait renoncer à tout pour l’amour de Dieu et pour leur bien.

            Sa vie apparaît comme une ascension linéaire vers les sommets de la sainteté dans l’accomplissement fidèle de la volonté de Dieu et dans le don de soi à ses frères, à travers le ministère sacerdotal vécu dans la fidélité. Laïcs, religieux et ecclésiastiques parlent de son extraordinaire façon de vivre le quotidien.

3. Missionnaire de l’Évangile de la joie : « Je leur ai annoncé Jésus. Jésus Sauveur. Jésus miséricordieux »
            Il ne se passait pas un jour sans qu’il aille dans une famille pour parler de Jésus et de l’Évangile. Le Père François avait un tel enthousiasme et un tel zèle qu’il espérait même des choses qui semblaient humainement impossibles. Le père François devint célèbre en tant qu’artisan de la paix entre des familles ou des villages en proie à la discorde. « Ce n’est pas en discutant que nous parvenons à comprendre. Dieu et Jésus sont au-delà de nos discussions. Nous devons avant tout prier et Dieu nous donnera le don de la foi. C’est par la foi que l’on trouve le Seigneur. N’est-il pas écrit dans la Bible que Dieu est amour ? C’est par le chemin de l’amour que l’on vient à Dieu ».

            Il était un homme intérieurement pacifié et il apportait la paix. Il voulait qu’entre les gens, dans les maisons ou les villages, il n’y ait ni querelles, ni bagarres, ni divisions. « Dans notre village, nous étions catholiques, protestants, hindous et musulmans. Pour que la paix règne parmi nous, le père nous réunissait de temps en temps et nous disait comment nous pouvions et devions vivre en paix entre nous. Puis il écoutait ceux qui voulaient dire quelque chose et à la fin, après avoir prié, il donnait la bénédiction : une merveilleuse façon de maintenir la paix entre nous ». Il avait une paix intérieure vraiment étonnante ; c’était la force qui lui venait de la certitude qu’il avait de faire la volonté de Dieu, recherchée avec effort, mais embrassée avec amour une fois qu’on l’avait trouvée.
            C’était un homme qui vivait la simplicité évangélique, avec la transparence d’un enfant, prêt à tous les sacrifices, sachant se mettre au diapason de chaque personne qu’il rencontrait sur son chemin, voyageant à cheval, à bicyclette, ou plus souvent marchant des journées entières avec son sac à dos sur les épaules. Il appartenait à tous, sans distinction de religion, de caste ou de statut social. Il était aimé de tous, parce qu’il apportait à tous « l’eau de Jésus qui sauve ».

4. Un homme à la foi contagieuse : prière sur les lèvres, chapelet à la main, yeux levés au ciel
            « Nous savons de lui qu’il n’a jamais négligé la prière, aussi bien lorsqu’il était avec les autres que lorsqu’il était seul, même quand il était soldat. Cela l’a aidé à tout faire pour Dieu, surtout lorsqu’il a fait la première évangélisation parmi nous. Pour lui, il n’y avait pas d’heure fixe : ni le matin, ni le soir, ni le soleil, ni la pluie, ni la chaleur, ni le froid ne l’empêchaient de parler de Jésus ou de faire le bien. Lorsqu’il se rendait dans les villages, il marchait même la nuit et sans manger pour se rendre dans une maison ou un village afin d’y prêcher l’Évangile. Même lorsqu’il était confesseur à Krishnagar, il venait à nous pour les confessions sous une chaleur étouffante après le déjeuner. Un jour, je lui ai demandé : « Pourquoi venez-vous à cette heure ? » Il m’a répondu : « Lors de la passion, Jésus n’a pas choisi l’heure qui lui convenait lorsqu’il était conduit chez Anne, Caïphe ou Pilate. Il a dû le faire même contre sa propre volonté, pour faire la volonté du Père ».
            Il n’évangélisait pas par prosélytisme, mais par attraction. C’était son comportement qui attirait les gens. Son dévouement et son amour faisaient dire aux gens que le Père François était la véritable image de ce Jésus qu’il prêchait. Son amour de Dieu le poussait à rechercher l’union intime avec lui, à se recueillir dans la prière, à éviter tout ce qui pouvait déplaire à Dieu. Il savait que l’on ne connaît Dieu que par la charité. Il disait : « Aime Dieu, évite de lui déplaire ».

            « S’il y a un sacrement dans lequel le Père François a excellé héroïquement, c’était bien l’administration du sacrement de la réconciliation. Pour toute personne de notre diocèse de Krishnagar, dire Père François, c’est dire l’homme de Dieu qui a montré la paternité du Père dans le pardon, en particulier au confessionnal. Il a passé les 40 dernières années de sa vie plus au confessionnal qu’en tout autre ministère : des heures et des heures, surtout en préparation des fêtes et des solennités. C’est ainsi qu’il passait toute la nuit de Noël et de Pâques ou des fêtes patronales. Il était toujours ponctuellement présent au confessionnal tous les jours, mais surtout les dimanches avant les messes ou les veilles de fêtes et les samedis. Il se rendait ensuite dans d’autres lieux où il était confesseur habituel. C’était une tâche qui lui était très chère et qui était très attendue par tous les religieux du diocèse, chez qui il se rendait chaque semaine. Son confessionnal était toujours le plus fréquenté et le plus désiré. Prêtres, religieux, gens ordinaires : on aurait dit que le Père François connaissait tout le monde personnellement, tant il était pertinent dans ses conseils et ses admonestations. Je m’émerveillais moi-même de la sagesse de ses admonestations lorsque je me confessais à lui. En fait, le serviteur de Dieu a été mon confesseur tout au long de sa vie, depuis l’époque où il était missionnaire dans les villages jusqu’à la fin de ses jours. Je me disais : C’est exactement ce que je voulais entendre de lui… Mgr Morrow, qui se confessait régulièrement à lui, le considérait comme son guide spirituel, affirmant que le père Francesco était guidé par l’Esprit Saint dans ses conseils et que sa sainteté personnelle compensait son manque de dons naturels. »

            La confiance en la miséricorde de Dieu était un thème presque récurrent dans ses conversations, et il l’utilisait bien en tant que confesseur. Son ministère de confesseur était un ministère d’espérance pour lui-même et pour ceux qui se confessaient à lui. Ses paroles inspiraient l’espoir à tous ceux qui venaient à lui. « Au confessionnal, le serviteur de Dieu était le prêtre modèle, célèbre pour l’administration de ce sacrement. Le serviteur de Dieu donnait toujours ses conseils, essayant de conduire tout le monde au salut éternel… Le serviteur de Dieu aimait adresser ses prières au Père qui est aux cieux, et il enseignait aussi aux gens à voir en Dieu la bonté d’un Père. Il rappelait surtout aux personnes en difficulté, y compris spirituelle, et aux pécheurs repentants que Dieu est miséricordieux et qu’il faut toujours avoir confiance en lui. Le serviteur de Dieu a multiplié les prières et les mortifications pour réparer ses infidélités, comme il disait, et pour les péchés du monde. »

            Le père Rosario Stroscio, supérieur religieux, conclut l’annonce de la mort du père Francesco en ces termes éloquents : « Ceux qui ont connu le père Francesco se souviendront toujours avec amour des petits avertissements et des exhortations qu’il avait l’habitude de donner en confession. Avec sa petite voix si faible, mais si pleine d’ardeur il disait : « Aimons les âmes, ne travaillons que pour les âmes…. Soyons proches des gens du peuple… Traitons-les de telle sorte que les gens comprennent que nous les aimons… » Toute sa vie a été un magnifique témoignage de la technique la plus fructueuse dans le ministère sacerdotal et dans le travail missionnaire. Nous pouvons la résumer par cette simple expression : pour gagner les âmes au Christ, il n’y a pas de moyen plus puissant que la bonté et l’amour. »

5. Il aimait Dieu et il aimait son prochain pour l’amour de Dieu : Mets-y l’amour ! Mets-y l’amour !
            A Ciccilluzzo, nom familier pour Francesco, qui aidait dans les champs à surveiller les dindes et à faire d’autres travaux adaptés à son âge, sa maman Caterina répétait : « Mets-y l’amour ! Mets-y l’amour !
            « Le Père Francesco donnait tout à Dieu, parce qu’il était convaincu que Dieu avait tous les droits sur lui, qui s’était entièrement consacré à Lui en tant que prêtre religieux et missionnaire. Quand nous lui demandions pourquoi il ne rentrait pas chez lui (en Italie), il nous répondait qu’il s’était désormais donné entièrement à Dieu et à nous ». Son sacerdoce était tout entier pour les autres : « Je suis prêtre pour le bien de mon prochain, c’est mon premier devoir ». Il se sentait redevable de tout à Dieu, tout appartenait à Dieu et au prochain, parce qu’il s’était donné totalement, ne réservant rien pour lui. Le Père François remerciait continuellement le Seigneur de l’avoir choisi pour être prêtre missionnaire. Il manifestait ce sens de la gratitude envers tous ceux qui avaient fait quelque chose pour lui, même les plus pauvres.
            Il a donné des exemples extraordinaires de force d’âme en s’adaptant aux conditions de vie de l’œuvre missionnaire qui lui était confiée : une langue nouvelle et difficile, qu’il s’efforçait d’apprendre assez bien, parce que c’était le moyen de communiquer avec son peuple ; un climat très rude, celui du Bengale, tombeau de tant de missionnaires, qu’il apprenait à supporter pour l’amour de Dieu et des âmes ; des voyages apostoliques à pied dans des régions inconnues, avec le risque de rencontrer des bêtes sauvages.

            Il fut un missionnaire et un évangélisateur infatigable dans une région très difficile comme celle de Krishnagar, qu’il voulait transformer en Christ-nagar, la cité du Christ, où les conversions étaient difficiles, sans parler de l’opposition des protestants et des membres d’autres religions. Pour l’administration des sacrements, il affronta tous les dangers possibles : la pluie, la faim, les maladies, les bêtes sauvages, les personnes malveillantes. « J’ai souvent entendu l’épisode du Père François qui, une nuit, alors qu’il portait le Saint-Sacrement à un malade, rencontra un tigre accroupi sur le chemin où lui et ses compagnons devaient passer… Alors que ses compagnons tentaient de fuir, le serviteur de Dieu ordonna au tigre : « Laisse passer ton Seigneur » ; et le tigre s’éloigna. Mais j’ai entendu d’autres exemples similaires concernant le serviteur de Dieu, qui voyageait souvent à pied la nuit. Une fois, une bande de brigands l’attaqua, croyant tenir quelque chose de lui. Mais lorsqu’ils le virent privé de tout, sauf de ce qu’il avait sur lui, ils s’excusèrent et l’accompagnèrent jusqu’au prochain village ».
            Sa vie de missionnaire a été un voyage permanent, à bicyclette, à cheval et la plupart du temps à pied. Cette marche à pied est peut-être ce qui décrit le mieux le missionnaire infatigable et le signe de l’authentique évangélisateur : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds du messager de la bonne nouvelle qui annonce la paix, du messager des bonnes nouvelles qui annonce le salut » (Is 52,7).

6. Des yeux limpides tournés vers le ciel
            « En observant le visage souriant du serviteur de Dieu et en regardant ses yeux limpides et tournés vers le ciel, on pensait qu’il n’était pas de ce monde, mais du ciel ». En le voyant la première fois, beaucoup ont gardé de lui une impression inoubliable. Ses yeux qui brillaient, son visage plein de simplicité et d’innocence et sa longue barbe vénérable donnaient l’image d’une personne pleine de bonté et de compassion. Un témoin a déclaré : « Le Père François était un saint. Je ne sais pas juger, mais je pense que de telles personnes sont introuvables. Nous étions petits, mais il parlait avec nous, il ne méprisait personne. Il ne faisait pas de différence entre les musulmans et les chrétiens. Le père s’adressait à tout le monde de la même manière, et quand nous étions ensemble il nous traitait tous de la même manière. Il nous donnait des conseils à nous, les enfants : « Obéissez à vos parents, faites bien vos devoirs, aimez-vous comme des frères ». Il nous donnait ensuite des petits bonbons ; dans ses poches, il y avait toujours quelque chose pour nous ».
            Le Père François manifestait son amour de Dieu surtout par la prière, qui semblait ininterrompue. On le voyait toujours remuer les lèvres pour prier. Même lorsqu’il parlait aux gens, il gardait toujours les yeux levés, comme s’il voyait quelqu’un à qui il parlait. Ce qui frappait le plus souvent, c’était la capacité du Père Convertini à être totalement concentré sur Dieu et, en même temps, sur la personne en face de lui, regardant avec des yeux sincères le frère qu’il rencontrait sur son chemin : « Il avait, sans aucun doute, les yeux fixés sur le visage de Dieu. C’était un trait indélébile de son âme, une concentration spirituelle d’un niveau impressionnant. Il vous suivait attentivement et vous répondait avec une grande précision lorsque vous lui parliez. Pourtant, on sentait qu’il était « ailleurs », dans une autre dimension, en dialogue avec l’Autre ».

            Il encourageait les autres à la sainteté, comme dans le cas de son cousin Lino Palmisano, qui se préparait à la prêtrise : « Je suis très heureux de savoir que tu es déjà en formation ; cela aussi passera vite si tu sais profiter des grâces du Seigneur qu’il te donnera chaque jour, pour te transformer en un saint chrétien de bon sens. Les études de théologie t’attendent ; elles te donneront plus de satisfaction et nourriront ton âme de l’Esprit de Dieu, qui t’a appelé à aider Jésus dans son apostolat. Ne pense pas aux autres, mais à toi seul, à la façon de devenir un saint prêtre comme Don Bosco. Déjà de son temps Don Bosco disait : les temps sont difficiles, mais nous ferons poufpouf, nous irons de l’avant même à contre-courant. C’était la Maman du ciel qui lui disait : infirma mundi elegit Deus. Ne t’inquiète pas, je t’aiderai. Cher frère, le cœur et l’âme d’un saint prêtre valent aux yeux du Seigneur que tous les membres d’une société. Le jour de ton sacrifice avec celui de Jésus sur l’autel est proche, prépare-toi. Tu ne regretteras jamais d’avoir été généreux envers Jésus et envers tes supérieurs. Aie confiance en eux, ils t’aideront à surmonter les petites difficultés de la journée que ta belle âme peut rencontrer. Je me souviendrai de toi chaque jour à la Sainte Messe, pour que toi aussi tu puisses un jour t’offrir tout entier au Bon Dieu ».

Conclusion
            Comme au début, voici à la fin de ce bref excursus sur le profil vertueux du Père Convertini un témoignage qui résume ce qui a été présenté.
            « L’une des figures de pionnier qui m’a le plus frappé est celle du Vénérable Père Francesco Convertini, apôtre zélé de l’amour chrétien, qui a su porter la nouvelle de la Rédemption dans les églises, dans les paroisses, dans les ruelles et les cabanes des réfugiés et à tous ceux qu’il rencontrait, en les consolant, en les conseillant, en les aidant avec son exquise charité, un vrai témoin des œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles, sur lesquelles nous serons jugés, toujours prêt et zélé dans le ministère du sacrement du pardon. Les chrétiens de toutes confessions, les musulmans et les hindous ont accueilli avec joie et empressement celui qu’ils appelaient l’homme de Dieu. Il a su apporter à chacun le véritable message d’amour que Jésus a prêché et apporté sur cette terre, à travers le contact évangélique direct et personnel, pour les jeunes et les vieux, les garçons et les filles, les pauvres et les riches, les autorités et les parias, c’est-à-dire le dernier échelon le plus méprisé des déchets (sub)humains. Pour moi et pour beaucoup d’autres, ce fut une expérience bouleversante qui m’a aidé à comprendre et à vivre le message de Jésus : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

            Le dernier mot revient au Père François, comme un héritage qu’il laisse à chacun d’entre nous. Le 24 septembre 1973, écrivant de Krishnagar à ses parents, le missionnaire veut les impliquer dans le travail pour les non-chrétiens qu’il accomplit avec difficulté depuis sa dernière maladie, mais toujours avec zèle : « Après six mois d’hospitalisation, ma santé est un peu faible, je me sens comme une vieille casserole. Cependant, le miséricordieux Jésus m’aide miraculeusement dans Son travail pour les âmes. Je me fais porter en ville et je reviens à pied, après avoir fait connaître Jésus et notre sainte religion. Après avoir terminé mes confessions à la maison, je vais parmi les païens, qui sont bien meilleurs que certains chrétiens. Affectueusement vôtre dans le Cœur de Jésus, Francesco prêtre ».




Don Bosco International

Don Bosco International (DBI) est un organisme non gouvernemental basé à Bruxelles, qui représente les Salésiens de Don Bosco auprès des institutions de l’Union européenne, en mettant l’accent sur la défense des droits des mineurs, le développement des jeunes et l’instruction. Fondé en 2014, DBI collabore avec divers partenaires européens pour promouvoir des politiques sociales et éducatives inclusives, en accordant une attention particulière aux personnes vulnérables. L’organisation encourage la participation des jeunes à la définition des politiques, en valorisant l’importance de l’éducation non formelle. Grâce au networking et à l’advocacy, DBI vise à créer des synergies avec les institutions européennes, les organisations de la société civile et les réseaux salésiens à l’échelle mondiale. Les valeurs qui l’animent sont la solidarité, la formation intégrale des jeunes et le dialogue interculturel. DBI organise des séminaires, des conférences et des projets européens visant à garantir une plus grande présence des jeunes dans les processus décisionnels, en favorisant un contexte inclusif qui les soutient dans leur parcours de croissance, d’autonomie et de développement spirituel, à travers des échanges culturels et éducatifs. La secrétaire exécutive, Sara Sechi, nous explique l’activité de cette institution.

L’advocacy comme acte de responsabilité pour et avec nos jeunes
            Don Bosco International (DBI) est l’organisme qui assure la représentation institutionnelle des Salésiens de Don Bosco auprès des institutions européennes et des organisations de la société civile qui gravitent autour d’elles. La mission de DBI est axée sur l’advocacy, que l’on peut traduire par « incidence politique », c’est-à-dire toutes les actions visant à influencer les décisions en matière de législation, dans notre cas au plan européen. Le bureau de DBI est basé à Bruxelles et est hébergé dans la communauté salésienne de Woluwe-Saint-Lambert (Province FRB). Le travail dans la capitale européenne est dynamique et stimulant, mais la proximité de la communauté nous permet de maintenir vivant le charisme salésien dans notre mission, en évitant de rester piégés dans ce que l’on appelle la « bulle européenne », ce monde de relations et de dynamiques « privilégiées » souvent éloignées de nos réalités.
            L’action de DBI suit deux directions : d’une part, rapprocher la mission éducative et pastorale salésienne des institutions en partageant les bonnes pratiques, les demandes des jeunes, les projets et leurs résultats, en créant des espaces de dialogue et de participation pour ceux qui, traditionnellement, n’en auraient pas ; d’autre part, apporter la dimension européenne au sein de la Congrégation en assurant le suivi et l’information sur les processus en cours et les nouvelles initiatives, en facilitant de nouveaux contacts avec des représentants institutionnels, des ONG et des organisations confessionnelles susceptibles de donner naissance à de nouvelles collaborations.
            Une question qui se pose souvent spontanément est de savoir comment DBI parvient concrètement à avoir une incidence politique. Dans les actions d’advocacy, il est essentiel de travailler en réseau avec d’autres organisations ou organismes qui partagent les mêmes principes, valeurs et objectifs. À cet égard, DBI assure une présence active dans des alliances, formelles et informelles, avec des ONG ou des acteurs confessionnels qui travaillent ensemble sur des thèmes chers à la mission de Don Bosco : la lutte contre la pauvreté et l’inclusion sociale, la défense des droits des jeunes, en particulier de ceux qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité, et le développement humain intégral. Chaque fois qu’une délégation salésienne visite Bruxelles, nous facilitons les rencontres avec les membres du Parlement européen, les fonctionnaires de la Commission, les corps diplomatiques, y compris la Nonciature apostolique auprès de l’Union européenne, et d’autres acteurs utiles. Nous parvenons souvent à rencontrer les groupes de jeunes et d’étudiants des écoles salésiennes qui visitent la ville, en organisant pour eux un moment de dialogue avec d’autres organisations de jeunesse.
            DBI est un service que la Congrégation offre pour donner de la visibilité à ses œuvres et porter devant les instances institutionnelles la voix de ceux qui, autrement, ne seraient pas entendus. La Congrégation salésienne a un potentiel d’advocacy qui n’est pas totalement exprimé. Sa présence dans 137 pays pour la protection des jeunes menacés par la pauvreté et l’exclusion sociale représente un réseau éducatif et social sur lequel peu d’organisations peuvent compter. Cependant, il est encore difficile de présenter stratégiquement de bons résultats à la table des décisions, là où se dessinent les politiques et les investissements, surtout au niveau international. C’est pourquoi, garantir un dialogue constant avec les institutions représente à la fois une opportunité et un acte de responsabilité. Une opportunité car, à long terme, la visibilité facilite les contacts, les nouveaux partenariats, les financements pour les projets et la durabilité des œuvres. Une responsabilité car, ne pouvant rester silencieux face aux difficultés rencontrées par nos jeunes dans le monde d’aujourd’hui, l’incidence politique est le témoignage actif de cet engagement civique que nous cherchons souvent à susciter chez les jeunes.
            En garantissant les droits et la dignité des jeunes, Don Bosco a été le premier acteur politique de la Congrégation, par exemple à travers la signature du premier contrat d’apprentissage italien. L’advocacy représente un élément intrinsèque de la mission salésienne. Les Salésiens ne manquent ni d’expérience, ni d’histoires de réussite, ni d’alternatives concrètes et innovantes pour relever les défis actuels, mais ils manquent souvent d’une cohésion qui permette un travail en réseau coordonné et une communication claire et partagée. En donnant la parole aux témoignages authentiques des jeunes, nous pouvons transformer les défis en opportunités, en créant un impact durable dans la société qui donne de l’espoir pour l’avenir.

Sara Sechi
Don Bosco International – DBI, Bruxelles

Sara Sechi, secrétaire exécutive de DBI, est présente à Bruxelles depuis deux ans et demi. Elle est issue de la génération Erasmus+, qui, avec d’autres programmes européens, a permis des expériences de vie et de formation qui auraient été impossibles autrement. Elle est très reconnaissante envers Don Bosco et la Congrégation salésienne, où elle a trouvé la méritocratie, une possibilité de croissance et une deuxième famille. Et nous lui souhaitons un bon et fructueux travail pour la cause des jeunes.




Bienheureux Luigi Variara : 150e anniversaire de la naissance

Cette année marque le 150e anniversaire de la naissance du Bienheureux Luigi Variara, une figure extraordinaire de prêtre et de missionnaire salésien. Né le 15 janvier 1875 à Viarigi, dans la province d’Asti, Luigi a grandi dans un environnement riche de foi, de culture et d’amour fraternel, qui a forgé son caractère et l’a préparé à la mission extraordinaire qui l’a conduit à servir les plus nécessiteux en Colombie.
Depuis son enfance passée dans le Montferrat, dans une famille marquée par l’influence spirituelle de Don Bosco, jusqu’à sa vocation missionnaire mûrie à Valdocco, la vie du Bienheureux Variara représente un exemple lumineux de dévouement envers autrui et de fidélité à Dieu. Revenons sur les moments marquants de son enfance et de sa formation en offrant un aperçu de l’extraordinaire héritage spirituel et humain qu’il nous a laissé.

De Viarigi à Agua de Dios
            Luigi Variara naît à Viarigi dans la province d’Asti le 15 janvier 1875, il y a 150 ans, d’une famille profondément chrétienne. Son père Pietro avait écouté Don Bosco en 1856, lorsqu’il était venu dans le village pour prêcher une mission. Lorsque Luigi est né, son père Pietro avait quarante-deux ans et était marié en secondes noces avec Livia Bussa. Pietro avait obtenu son diplôme de maître d’école, aimait la musique et le chant et animait les fonctions paroissiales en tant qu’organiste et directeur de la chorale qu’il avait lui-même fondée. Sa présence était très estimée et appréciée dans le village de Viarigi. Lorsque Luigi est né, en plein hiver rigoureux et en raison des circonstances de sa naissance, la sage-femme a jugé prudent de baptiser le nouveau-né. Deux jours plus tard, les rites baptismaux ont été complétés.
            L’enfance de Luigi est marquée par les traditions locales et la vie de famille, un milieu culturel et spirituel qui a contribué à façonner son caractère et à transmettre de solides valeurs favorables à la croissance du jeune garçon, marquant ainsi sa future vocation missionnaire en Colombie.
            Significatif est le rapport de Luigi avec son père Pietro, son formateur et son maître, qui lui a transmis le sens chrétien de la vie, les premiers rudiments de l’école et l’amour de la musique et du chant : des aspects qui, comme nous le savons, marqueront la vie et la mission de Luigi Variara. Son frère cadet Celso se souvient : « Bien qu’il ne révélât rien d’exceptionnel, Luigi était tout bonté et amour dans les manifestations de sa vie, tant avec ses parents, et en particulier avec sa mère qu’avec nous… Je ne me souviens pas que mon frère ait jamais utilisé des manières moins courtoises et moins fraternelles avec nous, ses frères plus jeunes. Fidèle et pieux à l’église et durant les fonctions, il passait le reste de son temps non pas à s’amuser dans la rue, mais à la maison, à lire et à étudier ses livres d’école et à tenir compagnie à sa mère ».
            Il faut souligner aussi la relation cordiale du petit Luigi avec sa sœur aînée Giovanna, fille du premier mariage et sa marraine de baptême. Bien qu’elle se soit mariée jeune, Giovanna a toujours maintenu un lien spécial avec le petit Luigi, contribuant à renforcer les traits de sa personnalité, son inclination à la piété et à l’étude. Un des enfants de Giovanna, Ulisse, deviendra prêtre, et Ernestina, Fille de Marie Auxiliatrice. De plus, Giovanna, qui mourra à quatre-vingt-dix ans en 1947, a maintenu des liens épistolaires entre Luigi et sa mère Livia durant la vie missionnaire de son frère.
            Un autre aspect qui influencera la croissance du petit Luigi est que la maison des Variara était presque toujours pleine d’enfants. Papa Pietro, à la fin des classes, emmenait avec lui les élèves les plus nécessiteux et après avoir fait un peu de répétition, les confiait aux soins de maman Livia. Et c’est ainsi que faisaient les autres familles. Un témoin raconte : « Madame Livia était la mère de tout le voisinage ; sa cour était toujours pleine de garçons et de filles ; elle nous apprenait à coudre, jouait avec nous, se montrait toujours de bonne humeur ». Luigi a grandi dans ce climat « oratorien », où l’on se sentait chez soi, aimé ; la présence paternelle de papa Pietro et maternelle de maman Livia étaient des ressources éducatives et affectives de première qualité non seulement pour leurs enfants, mais pour beaucoup d’autres enfants et jeunes, surtout les plus pauvres et défavorisés.
            Au cours de ces années, Luigi connaît et s’occupe d’un camarade handicapé, Andrea Ferrari, prenant soin de lui et lui permettant de se sentir à l’aise. On peut voir en cela comme une graine de cette sollicitude et de cette proximité qui marqueront ensuite la vie et la mission de Luigi Variara au service des malades de la lèpre à Agua de Dios en Colombie.
            Vraiment, Luigi Variara, enfant et jeune garçon, a expérimenté, avec ses frères et les garçons du voisinage, l’amour sincère de ses parents et à travers leur exemple, il a connu le vrai visage de Dieu le Père, source de l’amour authentique.

En passant par Valdocco
            Don Bosco était très connu dans le Montferrat : il l’avait parcouru dans tous les sens au cours des fameuses promenades d’automne avec ses garçons qui, avec leurs cris et leur joie bruyante et contagieuse, apportaient la fête partout où ils allaient. Les garçons du lieu se joignaient avec bonheur à la troupe joyeuse et bruyante et par la suite, nombreux étaient ceux qui partaient pour se retrouver avec ce prêtre qui les fascinait pour être éduqués par lui à l’oratoire de Turin.
            À Viarigi, on n’avait pas oublié la visite de Don Bosco en février 1856. Don Bosco avait accepté l’invitation du curé, Don Giovanni Battista Melino, à prêcher une mission. En effet, le village était profondément troublé et divisé à cause des scandales d’un ancien prêtre, un certain Grignaschi, qui rassemblait autour de lui une véritable secte et jouissait d’une grande popularité. Don Bosco réussit à attirer un auditoire très nombreux et invita la population à la conversion. C’est ainsi que Viarigi retrouva son équilibre religieux et sa paix spirituelle. Le lien spirituel qui s’était créé entre ce village du pays d’Asti et le Saint des jeunes s’est prolongé dans le temps et le petit Luigi fut préparé à sa première communion justement par le curé, Don Giovanni Battista Melino, celui-là même qui avait invité Don Bosco à prêcher la mission populaire.
            Dans la famille Variara, le désir de papa Pietro était que Luigi s’oriente vers le sacerdoce, mais lui, à la fin des classes élémentaires, n’avait aucun désir et aucune préoccupation vocationnelle particulière. Quoi qu’il en soit, il devait continuer ses études et c’est alors que Don Bosco entre en jeu. Le souvenir qu’il avait laissé à Viarigi, sa réputation d’homme de Dieu, l’amitié avec le curé, les rêves de papa Pietro, la renommée de l’oratoire de Turin ont fait que Luigi, le 1er octobre 1887, entra à Valdocco en première classe de collège, le désir de son père étant toujours que son fils s’oriente vers le sacerdoce. Cependant, le jeune Luigi, en toute simplicité mais avec fermeté, n’hésitait pas à déclarer qu’il ne ressentait pas de vocation, mais son père rétorquait : « Si tu ne l’as pas, Marie Auxiliatrice te la donnera. Sois bon et étudie ! » Don Bosco mourra quatre mois après l’arrivée du jeune Variara à l’oratoire de Valdocco, mais la rencontre de Luigi avec lui fut suffisante pour le marquer toute sa vie. Lui-même se souvient ainsi de l’événement : « Nous étions en hiver et un après-midi, nous jouions dans la grande cour de l’oratoire, lorsque tout à coup, on entendit crier d’un bout à l’autre : « Don Bosco, Don Bosco ! » Instinctivement, nous nous sommes tous précipités vers l’endroit où apparaissait notre bon Père, qui sortait pour une promenade dans sa voiture. Nous l’avons suivi jusqu’à l’endroit où il devait monter dans le véhicule. Tout à coup, on vit Don Bosco entouré de tous ses chers fils. Je cherchais désespérément un moyen de me mettre à un endroit d’où je pourrais le voir à ma guise, car je désirais ardemment le connaître. Je m’approchai autant que je le pouvais et, au moment où on l’aidait à monter dans la voiture, il me lança un doux regard, et ses yeux se posèrent attentivement sur moi. Je ne sais pas ce que j’ai ressenti à ce moment-là… C’était quelque chose que je ne sais pas exprimer ! Ce jour-là fut l’un des plus heureux de ma vie ; j’étais sûr d’avoir connu un Saint, et que ce Saint avait lu dans mon âme quelque chose que seul Dieu et lui pouvaient savoir ».




Communauté de la Mission de Don Bosco, une histoire de « famille » et de « prophétie »

La Famille Salésienne, née de l’intuition de Don Bosco, a continué à croître au fil du temps et à prendre des formes différentes, tout en conservant les mêmes racines. Parmi ces réalités il y a la Communauté de la Mission de Don Bosco (CMB), une association privée de fidèles avec un charisme missionnaire, qui fait officiellement partie de la Famille Salésienne depuis 2010.

Les origines de la CMB
            Tout a commencé en 1983 à Rome, à l’Institut Gerini, lors d’une rencontre de jeunes Salésiens Coopérateurs. Lors de la messe de clôture, un signe clair et indélébile est resté gravé dans le cœur et dans l’esprit de certains participants : ta vie et ta foi doivent prendre une lumière missionnaire… dans chaque endroit où tu seras. De cette intuition est née la Communauté de la Mission de Don Bosco, née comme une initiative de l’Esprit et fondée dans l’Institut Salésien de Bologne.
            Nous avons demandé au diacre Guido Pedroni, fondateur et gardien général de la CMB, de raconter l’histoire de cette réalité. La CMB, composée de laïcs, est aujourd’hui présente dans différentes parties du monde. C’est une communauté missionnaire dans le style et dans les choix, profondément enracinée dans l’esprit salésien et dans la vie de ses fondateurs. Aux côtés de Guido Pedroni, quatre autres laïcs ont partagé depuis le début l’idéal de la CMB : Paola Terenziani (disparue il y a quelques années et pour laquelle on a introduit le processus de béatification), Rita Terenziani, Andrea Bongiovanni et Giacomo Borghi. À ces figures, réunies dans la “Tente Mère”, s’est récemment ajouté Daniele Landi, déjà présent aux origines de la Communauté.

Une communauté mariale et missionnaire
            Il est important de noter que la CMB est le seul groupe de la Famille Salésienne fondé par un laïc et né d’une idée partagée : un rêve missionnaire et communautaire. Elle est profondément mariale, car le geste définitif d’appartenance à la Communauté, l’Acte de Don de soi, est inspiré par la vie de Marie, entièrement dédiée à Jésus. Comme le raconte Guido Pedroni, la CMB est née d’« une intuition, l’Acte de Don de soi, qui pour nous est une véritable consécration à Dieu et à la Communauté à l’exemple de Marie et de Don Bosco ».

Le style et la spiritualité
Le style de la CMB se concrétise dans la manière de vivre la foi, d’ouvrir de nouvelles présences missionnaires, de réaliser des projets, de se mettre en relation éducative et d’expérimenter la vie communautaire. C’est un style marqué par l’initiative, que certains ont même qualifiée de “téméraire”, et il repose sur quatre piliers : susciter, impliquer, créer et croire. Susciter des motivations, impliquer les personnes dans l’action, créer des relations authentiques, croire dans la Providence de l’Esprit qui précède et garde chaque choix. Pour la CMB, vivre en “état de mission” permanente signifie témoigner de l’Évangile à chaque moment de la journée et en tout lieu, que ce soit en Afrique, en Amérique, en Italie, dans un camp de nomades ou dans une salle de classe. L’essentiel est de se sentir partie intégrante de la mission de l’Église, incarnée dans le style de Don Bosco en faveur des jeunes.
            Trois sont les pivots de la spiritualité de la CMB :
            – Unité, construite dans le dialogue fraternel ;
            – Charité, envers les jeunes et les pauvres, vécue dans la communion ;
            – Simplicité, incarnée dans le partage simple et familial typique de l’esprit salésien.
            D’autres éléments distinctifs sont la remise d’un mandat spécifique et la prise de conscience d’être en “état de mission”. L’identité charismatique s’enracine dans la spiritualité salésienne, enrichie par certains traits propres à la CMB, en particulier une spiritualité de recherche et une attitude de familiarité, qui posent les bases de l’unité entre les membres de la Communauté et de l’Association.

Missions et diffusion dans le monde
            Au départ, la CMB était engagée dans des activités missionnaires en faveur de l’Éthiopie. Cependant, avec le temps, l’engagement s’est déplacé du seul temps libre à la vie quotidienne, orientant les choix fondamentaux de l’existence. Le climat d’amitié profonde, la vie spirituelle intense rythmée par la Parole de Dieu et le travail concret pour les pauvres et pour les jeunes ont conduit au Don de soi. On a ainsi compris que la tension missionnaire ne concernait pas seulement l’Éthiopie, mais chaque lieu où il y avait des besoins.
            En 1988 a été rédigée la première Règle de Vie, et en 1994 la CMB est devenue une Association avec une structure juridique propre, pour poursuivre l’engagement missionnaire et les activités d’animation dans les environs de Bologne.
            Toutes les présences missionnaires de la CMB sont nées à la suite d’un appel et d’un signe. Actuellement, la Communauté est présente en Europe, en Afrique, en Amérique du Sud et en Amérique Centrale. La première expédition missionnaire a eu lieu en 1998 à Madagascar. Depuis lors, elle s’est répandue dans neuf pays : Italie, Madagascar, Burundi, Haïti, Ghana, Chili, Argentine, Ukraine et Mozambique. Les deux “aventures” les plus récentes concernent justement le Mozambique et l’Ukraine.
            Dans les mois à venir, une nouvelle présence sera ouverte au Mozambique. En septembre dernier, dans la Basilique Marie-Auxiliatrice de Turin-Valdocco, le crucifix missionnaire a été remis à Angelica et symboliquement à trois autres jeunes de Madagascar et du Burundi, absentes pour des raisons bureaucratiques ; avec elle, elles formeront la première communauté dans ce pays.
            Plusieurs membres de la CMB se sont rendus plusieurs fois en Ukraine pour apporter de l’aide en raison de la guerre. Actuellement, en dialogue avec les Salésiens, ils essaient de comprendre quel nouveau défi l’Esprit veut nous indiquer.

Une vocation de confiance et de service
            Il est évident que la vocation de la CMB est missionnaire et mariale, au sein du charisme salésien, mais elle possède également une identité propre, forgée par l’histoire et les signes de la présence du Seigneur qui ont émergé dans les événements de la Communauté. C’est une histoire liée à la vie de Don Bosco et à celle des personnes qui en font partie. Il n’a jamais été facile de rester fidèle aux appels de l’Esprit, car ils invitent toujours à élargir l’horizon, à faire confiance même “dans le noir”.
            La mission de la CMB est témoignage et service, partage et confiance en Dieu. Témoignage de la vie de chacun, service comme action éducative, partage comme fruit du discernement communautaire et prise de responsabilité à tous les niveaux, confiance en Dieu à l’exemple de Don Bosco, apprenant progressivement comment les projets peuvent acquérir lumière et forme.

Marco Fulgaro




Saint François de Sales, accompagnateur personnel

             « Mon esprit accompagne fort le vôtre », écrivait un jour François de Sales à Jeanne de Chantal, à un moment où celle-ci se voyait assaillie de ténèbres et de tentations. Il ajoutait : « Cheminez donc, ma chère fille, et avancez chemin parmi ces mauvais temps et de nuit. Soyez courageuse, ma chère fille ; nous ferons prou (beaucoup), Dieu aidant ».
            Accompagnement, direction spirituelle, conduite des âmes, direction de conscience, assistance spirituelle, ce sont là des expressions et des termes à peu près synonymes qui désignent cette forme particulière de formation qui s’exerce dans le domaine spirituel de la conscience individuelle. Mais est-il possible, est-il permis ou souhaitable de guider les autres dans le domaine secret de la conscience ? Jean Calvin était catégorique : « Dieu se réserve à lui seul et à sa Parole le gouvernement spirituel des âmes, afin qu’étant hors de la sujétion des hommes, elles ne regardent qu’à sa volonté ». Chez les catholiques, fidèles à une tradition qui remontait aux premiers temps du monachisme, on ne pensait pas de la même manière.

La formation d’un futur accompagnateur
            La formation de saint François de Sales l’avait préparé à devenir à son tour un directeur spirituel renommé. Étudiant chez les jésuites à Paris, il eut très probablement un père spirituel dont nous ignorons le nom. À Padoue son directeur fut le fameux jésuite Antoine Possevin, dont il se félicitera plus tard d’avoir été l’un des fils spirituels. Lors de son difficile passage à l’état clérical, c’est Amé Bouvard, un prêtre ami de sa famille, qui fut son confident et son soutien et qui le prépara aux ordinations.
            Au début de son épiscopat, il confia le soin de sa vie spirituelle au père Fourier, recteur des jésuites de Chambéry, « grand, docte et dévot religieux », avec qui il entretint « des rapports de très particulière amitié » et qui l’« assista grandement de ses conseils et de ses avis ».
            Le séjour qu’il fit à Paris en 1602 eut une influence profonde sur le développement de ses dons de directeur d’âmes. Envoyé par son évêque pour traiter à la cour des affaires du diocèse, il eut peu de chance sur le plan diplomatique, mais son séjour dans la capitale française lui permit d’entrer en contact avec l’élite spirituelle qui se réunissait chez madame Acarie, une femme exceptionnelle, à la fois mystique et maîtresse de maison. Devenu son confesseur, il observait ses extases et l’écoutait sans poser de questions. « Oh ! quelle faute je commis, dira-t-il plus tard, quand je ne profitai pas assez de sa très sainte conversation ! Car elle m’eût librement découvert toute son âme ; mais le très grand respect que je lui portais faisait que je n’osais pas m’enquérir de la moindre chose ».

Une activité absorbante « qui délasse et avive le cœur »
            Aider chaque personne en particulier, l’accompagner personnellement, la conseiller, corriger éventuellement ses erreurs, l’encourager, tout cela demande du temps, de la patience, et un effort constant de discernement. L’auteur de l’Introduction à la vie dévote parle d’expérience quand il affirme dans la Préface :

C’est une peine, je le confesse, mais une peine qui soulage, pareille à celle des moissonneurs et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contents que d’être fort embesognés et chargés ; c’est un travail qui délasse et avive le cœur par la suavité qui en revient à ceux qui l’entreprennent.

            C’est surtout par sa correspondance que nous connaissons cette part importante de son action de formation, tout en sachant que la direction spirituelle ne se fait pas seulement par l’écrit. Les entretiens personnels et surtout la confession individuelle en font partie, même s’il y a des distinctions à faire. Or nous savons que depuis son ordination en 1593, il confessait beaucoup de personnes, de toutes conditions, y compris celles de sa propre famille. Un jour qu’il se trouvait au château de Sales, il fut très édifié par les siens : « Hier, universellement, confiait-il à madame de Chantal, toute cette aimable famille vint à confesse à moi en notre petite chapelle ». Sa mère elle-même le considérait comme son directeur spirituel, au point que sur son lit de mort, elle dira en parlant de lui : « C’est mon fils et mon père celui-ci ».
            La correspondance qui débuta en 1593 entre François de Sales et Antoine Favre, si elle révèle une grande amitié humaine et une entente spirituelle qui dureront pendant toute la vie, ne relève pas de la direction spirituelle en tant que telle, mais plutôt du partage fraternel où bien souvent, c’était l’aîné Antoine qui soutenait François, notamment durant la dangereuse mission du Chablais. Il n’empêche que François exerça un ascendant spirituel sur Antoine et sur sa nombreuse famille, en particulier sur sa fille Jacqueline, sa « grande fille bien-aimée », qui se fera visitandine. Pendant la mission du Chablais, le prévôt de Sales devint le père spirituel d’un grand nombre de convertis, qui trouvèrent en lui la lumière et la force nécessaires pour faire leur entrée dans l’Église catholique.
            En 1603 il rencontra le duc de Bellegarde, grand personnage du royaume et grand pécheur, qui lui demandera, quelques années plus tard, de le guider sur les chemins de la conversion. Le carême qu’il prêcha à Dijon l’année suivante constitua un tournant dans sa « carrière » de directeur spirituel, puisqu’il y rencontra Jeanne Frémyot, veuve du baron de Chantal. À partir de 1605, la visite systématique de son vaste diocèse le mettra en contact avec un nombre infini de personnes de toutes conditions, des paysans surtout et des montagnards, illettrés pour la plupart, qui n’ont pas laissé de correspondance. En marge des rencontres et des célébrations publiques, il y avait place pour des rencontres plus personnelles car, d’après Georges Rolland, « il apportait les remèdes convenables par exhortations, colloques doux et familiers, réconciliations des inimitiés et pacification des différends et procès qu’il avait pu connaître ».
            Prêchant le carême à Annecy en 1607, il trouva dans ses « sacrés filets » une «dame» de vingt et un an, « mais toute d’or ». Née en Normandie en 1586, Louise du Chastel avait épousé le cousin de l’évêque, Henri de Charmoisy. Les lettres de direction qu’il enverra à madame de Charmoisy serviront de matériaux de base à la rédaction de la future Introduction à la vie dévote.
            Les prédications de Grenoble en 1616, en 1617 et en 1618 lui amenèrent un grand contingent de filles et de fils spirituels qui, après l’avoir entendu en chaire, cherchèrent à entrer en contact avec lui. Les femmes étaient les plus nombreuses, car, écrivait-il avec humour, « ici, comme partout ailleurs, les hommes laissent aux femmes le soin du ménage et de la dévotion ».
            De nouvelles Philothées s’attacheront à ses pas durant son dernier voyage à Paris en 1618-1619, où il faisait partie de la délégation de Savoie qui allait négocier le mariage du prince de Piémont avec Christine de France, sœur de Louis XIII. Quand le mariage princier sera conclu, celle-ci le choisira comme confesseur et grand aumônier. À Paris, il rencontra également le jeune Vincent de Paul, qui subira son ascendant ; il lui confiera la direction spirituelle des visitandines de la capitale, auxquelles il disait simplement en parlant de lui : « Monsieur Vincent vous conseille fort bien ». Il devint le conseiller de la célèbre mère Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal, qu’il assistera de son amitié pendant les dernières années de sa vie, tant au plan personnel que pour le gouvernement des religieuses. Jusqu’à la fin de sa vie, il restera en correspondance avec de nombreuses personnes qui l’avaient choisi comme guide.

Le directeur est père, frère, ami
            En tant que père spirituel, le directeur est celui qui dans certains cas, dit : je veux. François de Sales sait user de ce langage, mais en des circonstances très spéciales, comme lorsqu’il ordonne à la baronne de ne pas fuir la rencontre de l’assassin de son mari. Une fois il écrira à une angoissée : « Je vous l’ordonne comme cela au nom de Dieu », mais c’est pour lui enlever ses scrupules. Son autorité reste humble, bonne, tendre même. L’intimité qui s’établira entre lui et le duc de Bellegarde sera telle qu’à la demande du duc, François de Sales consentira non sans hésitation à l’appeler « mon fils » ou « monsieur mon fils », bien que celui-ci fût plus âgé que lui. L’aspect pédagogique de la direction spirituelle est souligné par une autre image significative ; après avoir évoqué la course rapide de la tigresse qui sauve son petit par la force de l’amour naturel, il continue :

Combien plus un cœur un cœur paternel prendra-t-il volontiers en charge une âme qu’il aura rencontrée au désir de la sainte perfection, la portant en son sein, comme une mère fait [pour] son petit enfant, sans se ressentir de ce faix bien-aimé.

            Il écrivait en effet à une « très chère fille » : « Vraiment, j’ai un certain cœur de père, mais qui tient un peu du cœur de mère ». Parfois, son langage prenait des accents mâles. Il disait : « Cette vie est une guerre continuelle » ; ou encore : « il faut fourrer notre cervelle entre les épines des difficultés et laisser transpercer notre cœur de la lance de la contradiction ; boire le fiel et avaler le vinaigre ». D’ordinaire cependant, c’est la paix et la tendresse qui débordent de son cœur. « Il me semble que quand vous avez du mal, je l’ai avec vous », écrit-il à une femme accablée de dettes à payer.
            François de Sales se comporte aussi à l’égard de ses dirigés, hommes et femmes, comme un frère et c’est en cette qualité qu’il se présente souvent aux personnes qui recourent à lui. Antoine Favre est constamment appelé « mon frère ». Après avoir donné à la baronne de Chantal le titre de Madame, il lui donne celui de sœur, « ce nom par lequel les apôtres et premiers chrétiens exprimaient l’intime amour qu’ils s’entreportaient ». Il en use de même avec l’épouse du président du parlement de Bourgogne, et c’est après avoir bien des fois assuré cette « très chère sœur » de son dévouement cordial qu’il peut se permettre « en esprit de liberté » de lui faire quelques remontrances. Un frère ne commande pas, il donne des conseils et pratique la correction fraternelle.
            Mais ce qui caractérise le mieux le style salésien, c’est le climat d’amitié et de réciprocité qui unit le directeur et le dirigé. Comme le dit justement André Ravier, « il n’y a, pour lui, de véritable direction spirituelle que s’il y a amitié, c’est-à-dire échange, communication, influence réciproque ». Il est étonnant de voir non pas que François de Sales aime ses correspondants, d’un amour qu’il leur témoigne de mille manières, mais qu’il désire également d’être aimé par eux. Au père de Jeanne de Chantal il écrit : « J’abuse de votre bonté à vous déployer si grossièrement mes affections ; mais, Monsieur, quiconque me provoque en la contention d’amitié, il faut qu’il soit bien ferme, car je ne l’épargne point ».
            À Jeanne de Chantal qui désirait qu’il lui parle un peu de lui-même il répond : « Je vous dirai quelque chose de moi, puisque vous le désirez tant et que vous me dites que cela vous sert ». Et même il lui obéit : « J’ai fait en partie ce que vous désiriez de moi ». Avec elle, la réciprocité devint si intense que les deux « moi » devenaient parfois un « nous ».
            L’amitié n’exclut pas la franchise, elle la rend possible et même désirable. À l’un de ses amis, qui avait publié un livre aux tendances gallicanes, il se permet de dire franchement son désaccord : « La matière me déplaît ; s’il faut dire le mot que j’ai dans le cœur, je dis : la matière me déplaît extrêmement » ; mais l’amitié restera sauve.

Climat de confiance et de liberté
            L’obéissance au directeur spirituel est une garantie contre les excès, les illusions et les faux pas suggérés la plupart du temps par l’amour-propre ; elle maintient dans la prudence et la sagesse. L’auteur de l’Introduction à la vie dévote la considère comme nécessaire et bienfaisante, sans s’y attarder ; c’est une tradition que cette « humble obéissance, tant recommandée et pratiquée par tous les anciens dévots ». François de Sales la recommande à la baronne de Chantal envers son premier directeur, mais en y mettant la forme :

Je loue infiniment le respect religieux que vous portez à votre directeur et vous exhorte de soigneusement y persévérer ; mais si faut-il que je vous dise encore ce mot. Ce respect vous doit sans doute contenir en la sainte conduite à laquelle vous vous êtes rangée, mais il ne vous doit gêner, ni étouffer la juste liberté que l’Esprit de Dieu donne à ceux qu’il possède.

            Cependant, il faut que le directeur possède trois qualités indispensables : « Il le faut plein de charité, de science et de prudence : si l’une de ces trois parties lui manque, il y a du danger ». Ce ne semblait guère être le cas du premier directeur de madame de Chantal. Au dire de sa biographe, la mère de Chaugy, celui-ci « l’attacha à sa direction » en lui défendant de ne jamais en changer ; c’étaient des « filets importuns qui tenaient son âme comme en piège, contrainte et sans liberté ». Quand elle voulut changer de directeur après sa rencontre avec François de Sales, elle tomba dans de grands scrupules. Celui-ci, pour la rassurer, lui indiqua une autre voie :

Voici la règle générale de notre obéissance écrite en grosses lettres : IL FAUT TOUT FAIRE PAR AMOUR ET RIEN PAR FORCE ; IL FAUT PLUS AIMER L’OBEISSANCE QUE CRAINDRE LA DESOBEISSANCE. Je vous laisse l’esprit de liberté, non pas celui qui forclôt (exclut) l’obéissance, car c’est la liberté de la chair ; mais celui qui forclôt la contrainte et le scrupule ou empressement.

            La manière salésienne est fondée sur le respect et l’obéissance dus au directeur, sans aucun doute, mais surtout sur la confiance : « Ayez en lui une extrême confiance mêlée d’une sacrée révérence, en sorte que la révérence ne diminue point la confiance, et que la confiance n’empêche point la révérence; confiez-vous en lui avec le respect d’une fille envers son père, respectez-le avec la confiance d’un fils envers sa mère ».
            Comment faut-il écrire à l’évêque de Genève ? « Écrivez-moi librement, sincèrement et naïvement, disait-il à une de ses correspondantes. Je n’ai pas autre chose à dire pour cela, sinon que vous ne devez pas mettre sur la lettre Monseigneur tout court, ni autrement ; il suffit d’y mettre Monsieur, et pour cause. Je suis homme sans cérémonie, et vous chéris et honore de tout mon cœur ». Souvent ce refrain revient au début d’une nouvelle relation épistolaire.
            L’affection, quand elle est sincère et surtout quand elle a la chance de jouir de la réciprocité, autorise la liberté et la plus grande franchise. « Écrivez-moi toujours quand il vous plaira, disait-il à une autre, avec entière confiance et sans cérémonie ; car en cette sorte d’amitié, il faut cheminer comme cela ». À un de ses correspondants il demandait : « Ne me faites point d’excuses à m’écrire bien ou mal, car il ne me faut nulle sorte d’autre cérémonie que de m’aimer ». L’amour pour Dieu comme l’amour pour le prochain nous fait aller « à la bonne foi et sans art » car, dit-il, « le vrai amour n’a guère de méthode ».
            Que de personnes ont besoin de pouvoir s’ouvrir à quelqu’un en toute confiance ! François de Sales raconte l’histoire d’un jeune homme de vingt ans, « brave comme le jour, vaillant comme l’épée » qui vint vers lui pour lui dire ses secrets ; la joie fut telle qu’il dira : « Il me mit hors de moi-même ; que de baisers de paix que je lui donnai » ! La confiance que saint François de Sales inspirait ne venait pas de lui : c’est Dieu, pensait-il, « qui incline tant de personnes à me remettre la clef de leurs cœurs, voire à en lever la serrure devant moi afin que je voie mieux tout ce qui est dedans ».

« Chaque fleur requiert son particulier soin »
            Si le but de la direction spirituelle est le même pour tous, à savoir la perfection de la vie chrétienne, les personnes ne se ressemblent pas et tout l’art du directeur consistera à leur indiquer le chemin particulier qui y conduit. En homme de son temps, pour qui les stratifications sociales étaient une réalité, François de Sales savait bien quelle différence il y avait entre le gentilhomme, l’artisan, le valet, le prince, la veuve, la fille et la mariée. Chacun, en effet, doit porter du fruit « selon sa qualité et vacation ». Mais le sens du groupe social se conjuguait chez lui avec le sens de l’individu : il faut « accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier ». Il estimait d’ailleurs que « les moyens de parvenir à la perfection sont divers selon la diversité des vocations ».
            La diversité des tempéraments est une donnée de fait, dont il faut tenir compte. On dénote chez lui un flair psychologique antérieur aux découvertes modernes. Le sens du caractère unique de chaque personne est très fort chez lui et c’est la raison pour laquelle chaque personne mérite une attention spéciale de la part du père spirituel : « Chaque herbe et chaque fleur requiert son particulier soin en un jardin ». Comme un père ou une mère avec ses enfants, il s’adapte à l’individualité, au tempérament, aux situations particulières de chacune des personnes.
            À telle personne, impatiente avec elle-même, déçue de ne pas avancer assez vite, il recommande de s’aimer elle-même ; à telle autre, attirée par la vie religieuse mais dotée d’une individualité exceptionnelle, il conseille un mode de vie qui tienne compte de ces deux tendances ; à une troisième, qui oscillait entre l’exaltation et la dépression, il prêche la confiance et la paix du cœur au moyen de la lutte contre les imaginations angoissantes. À une femme révoltée par le caractère « dissipateur et léger » de son mari le directeur doit enseigner la « sainte médiocrité (juste milieu) et modération » et les moyens pour surmonter son aversion. Une autre, femme de tête, au caractère entier, pleine de tracas et de procès, avait besoin de la « sainte douceur et tranquillité ». Une autre encore est angoissée par la mort et souvent déprimée : son directeur lui inspire courage. Il y a des âmes qui ont mille désirs de perfection : il faut calmer leur impatience, fruit de l’amour-propre. La fameuse Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal, veut réformer son monastère par la rigidité : il faut lui recommander la souplesse et l’humilité.
            Quant au duc de Bellegarde, qui fut mêlé à toutes les intrigues politiques et amoureuses de la cour, il est appelé à « une dévotion mâle, courageuse, vaillante, invariable, pour servir de miroir à plusieurs en faveur de la vérité de l’amour céleste, digne réparation des fautes passées ». En 1613, il rédigea à son intention un Mémorial pour bien faire la confession, contenant huit avis généraux, puis les différentes sortes de péchés, un moyen pour discerner le péché mortel du péché véniel, et enfin « les moyens pour divertir les grands du péché de la chair ».
            Pour pouvoir exercer avec un certain profit la direction spirituelle, il faut la connaissance de la personne, ce qui requiert du temps. Le directeur n’est pas toujours certain de bien saisir la situation réelle de la personne, ce qui lui faisait faire par exemple cette demande : « Une autre fois, si vous m’écrivez sur quelque semblable sujet, donnez-moi exemple de l’action de laquelle vous me demandez l’avis ».

Méthode « régressive »
            L’art de la direction de conscience consiste bien souvent de la part du directeur à savoir se retirer, à laisser l’initiative au destinataire, ou à Dieu, surtout dans les décisions qui exigent une grande « résolution ». « Ne prenez point mes paroles ric à ric, écrit-il à la baronne de Chantal, car je ne veux point qu’elles vous serrent, mais que vous ayez liberté de faire ce que vous croirez être meilleur ».
            Le directeur n’est pas un despote, mais quelqu’un qui « guide nos actions par ses avis et conseils ». Il se défend de vouloir commander quand il écrit à madame de Chantal : « Ce sont avis bons et propres pour vous, non point commandements ». Celle-ci d’ailleurs dira au procès de canonisation qu’elle regrettait parfois qu’il ne commandait pas assez. En fait, le rôle du directeur est défini par cette réponse de Socrate à l’un de ses disciples : « J’aurai donc soin de te restituer à toi-même meilleur que tu n’es ». Comme il le déclarait à madame de Chantal, il s’était « voué », mis au service de « la très sainte liberté chrétienne ». Il combat pour la liberté : « Vous verrez que je dis vrai, et que je combats pour une bonne cause, quand je défends la sainte et charitable liberté d’esprit, laquelle, comme vous savez, j’honore singulièrement ».