La conversion

Dialogue entre un homme récemment converti au Christ et un ami incroyant :
– Alors tu t’es converti au Christ ?
– Oui.
– Alors tu dois savoir beaucoup de choses sur lui. Dis-moi, dans quel pays est-il né ?
– Je ne sais pas.
– Quel âge avait-il quand il est mort ?
– Je ne sais pas.
– Combien de livres a-t-il écrits ?
– Je ne sais pas.
– Tu en sais décidément bien peu pour un homme qui prétend s’être converti au Christ !
– Tu as raison. J’ai honte du peu que je sais sur lui. Mais ce que je sais, c’est qu’il y a trois ans, j’étais un ivrogne. J’étais très endetté. Ma famille s’effondrait. Ma femme et mes enfants redoutaient mon retour à la maison tous les soirs. Mais aujourd’hui, j’ai arrêté de boire, nous n’avons plus de dettes, notre foyer est heureux, mes enfants attendent avec impatience que je rentre le soir. Tout cela, le Christ l’a fait pour moi. Voilà ce que je sais du Christ.

Ce qui importe le plus, c’est précisément la manière dont Jésus change notre vie. Il faut le souligner avec force : suivre Jésus, c’est changer notre regard sur Dieu, sur les autres, sur le monde et sur nous-mêmes. C’est une autre façon de vivre et une autre façon de mourir que celle préconisée par l’opinion courante. C’est le mystère de la « conversion ».

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Les exégètes

Un célèbre bibliste avait invité un groupe de collègues chez lui. Ils s’assirent autour d’une table au milieu de laquelle trônait un magnifique vase de fleurs, et se mirent à discuter d’une page de la Bible. Ils discutaient avec animation, décortiquant chaque mot, émettant des hypothèses sur les racines anciennes, conjecturant, postulant, comparant, distillant, historicisant, démythifiant, psychologisant, féminisant…
Ils n’arrivaient à se mettre d’accord sur presque rien.
Soudain, l’hôte interrompit la discussion et se tourna vers l’un des invités qui était en train de prendre des fleurs dans le vase au milieu de la table et de les détruire systématiquement.
– Qu’est-ce que vous faites ?
– Je compte les verticilles, je divise les étamines et les pistils, je mets de côté les tiges et les filaments…
– Ce zèle scientifique est tout à votre honneur, mais elle gâche ainsi toute la beauté de ces belles fleurs !
L’homme sourit amèrement : « C’est exactement ce que vous faites ».

Rabbi Elimelekh avait prononcé un merveilleux sermon sur l’art de vivre. Pleins d’enthousiasme, les auditeurs l’accompagnèrent joyeusement tandis qu’il reprenait la calèche pour retourner dans son village.
À un moment donné, le rabbin fit arrêter la calèche et demanda au conducteur d’avancer sans lui pendant qu’il se mêlait aux gens.
– Quel exemple d’humilité ! dit l’un de ses disciples.
– L’humilité n’a rien à voir là-dedans, répondit Elimelekh. Ici, les gens marchent gaiement, chantent, boivent du vin, bavardent, se font de nouveaux amis, et tout cela grâce à un vieux rabbin venu parler de l’art de vivre. Je préfère donc laisser mes théories dans la calèche et profiter de la fête.




Vie de Saint Pierre, prince des apôtres

Le moment culminant de l’Année Jubilaire pour chaque croyant est le passage par la Porte Sainte, un geste hautement symbolique qui doit être vécu avec une profonde méditation. Il ne s’agit pas d’une simple visite pour admirer la beauté architecturale, sculpturale ou picturale d’une basilique : les premiers chrétiens ne se rendaient pas dans les lieux de culte pour cette raison, d’autant plus qu’à l’époque, il n’y avait pas grand-chose à admirer. Ils venaient plutôt prier devant les reliques des saints apôtres et martyrs, et pour obtenir l’indulgence grâce à leur puissante intercession. Se rendre sur les tombes des apôtres Pierre et Paul sans connaître leur vie n’est pas un signe d’appréciation. C’est pourquoi, en cette Année Jubilaire, nous souhaitons présenter les parcours de foi de ces deux glorieux apôtres, tels qu’ils ont été narrés par Saint Jean Bosco.

Vie de Saint Pierre, prince des apôtres, racontée au peuple par le prêtre Giovanni Bosco

Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? (Matt. XIV, 31).

PRÉFACE
CHAPITRE I. Patrie et profession de S. Pierre. — Son frère André le conduit à Jésus-Christ. An 29 de Jésus-Christ.
CHAPITRE II. Pierre conduit le Sauveur dans son bateau — Pêche miraculeuse. — Il accueille Jésus chez lui. — Miracles opérés. An 30 de Jésus-Christ.
CHAPITRE III. S. Pierre, chef des Apôtres, est envoyé prêcher. — Il marche sur les vagues. — Belle réponse donnée au Sauveur. An 31 de Jésus-Christ.
CHAPITRE IV. Pierre confesse pour la seconde fois Jésus-Christ comme fils de Dieu. — Il est constitué chef de l’Église et les clés du royaume des Cieux lui sont promises. An 32 de Jésus-Christ.
CHAPITRE V. S. Pierre dissuade le divin Maître de la passion. — Il va avec lui sur le mont Thabor. An 32 de J.-C.
CHAPITRE VI. Jésus ressuscite la fille de Jaïre en présence de Pierre. — Il fait payer le tribut par Pierre. — Il enseigne l’humilité à ses disciples. An 32 de J.-C.
CHAPITRE VII. Pierre parle avec Jésus du pardon des injures et du détachement des choses terrestres. — Il refuse de se laisser laver les pieds. — Son amitié avec S. Jean. An 33 de J.-C.
CHAPITRE VIII. Jésus prédit le reniement de Pierre et lui assure que sa foi ne faillira pas. — Pierre le suit dans le jardin de Gethsémani. — Il coupe l’oreille de Malchus. — Sa chute et son repentir. An 33 de J.-C.
CHAPITRE IX. Pierre au sépulcre du Sauveur. — Jésus lui apparaît. — Sur le lac de Tibériade il donne trois signes distincts de son amour pour Jésus qui le constitue effectivement chef et pasteur suprême de l’Église.
CHAPITRE X. Infaillibilité de S. Pierre et de ses successeurs
CHAPITRE XI. Jésus prédit à S. Pierre la mort sur la croix. — Il promet assistance à l’Église jusqu’à la fin du monde. — Retour des Apôtres au cénacle. An 33 de J.-C.
CHAPITRE XII. S. Pierre remplace Judas. — Venue de l’Esprit Saint. — Miracle des langues. An 33 de J.-C.
CHAPITRE XIII. Première prédication de Pierre. An 33 de J.-C.
CHAPITRE XIV. S. Pierre guérit un boiteux. — Son deuxième sermon. An 33 de J.-C.
CHAPITRE XV. Pierre est mis en prison avec Jean, puis est libéré.
CHAPITRE XVI. Vie des premiers Chrétiens. — Le fait d’Ananie et Saphire. — Miracles de S. Pierre. An 34 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XVII. S. Pierre de nouveau mis en prison. — Il est libéré par un ange. An 34 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XVIII. Élection des sept diacres. — S. Pierre résiste à la persécution de Jérusalem. — Il va en Samarie. — Son premier affrontement avec Simon le Magicien. An 35 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XIX. S. Pierre fonde le siège d’Antioche ; il retourne à Jérusalem. — Il est visité par saint Paul. An 36 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XX. Saint Pierre visite plusieurs Églises. — Il guérit Énée le paralytique. — Il ressuscite la défunte Tabitha. An 38 de J.-C.
CHAPITRE XXI. Dieu révèle à S. Pierre la vocation des Gentils. — Il va à Césarée et baptise la famille du centurion Corneille. An 39 de J.-C.
CHAPITRE XXII. Hérode fait décapiter S. Jacques le Majeur et mettre S. Pierre en prison. — Mais il est libéré par un Ange. — Mort d’Hérode. An 41 de J.-C.
CHAPITRE XXIII. Pierre à Rome. — Il y transfère la chaire apostolique. — Sa première lettre. — Progrès de l’Évangile. An 42 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXIV. Au concile de Jérusalem S. Pierre définit une question. — Saint Jacques confirme son jugement. An 50 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXV. Saint Pierre confère à Saint Paul et à Saint Barnabé la plénitude de l’Apostolat. — Il est averti par Saint Paul. — Il retourne à Rome. An 54 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXVI. Saint Pierre fait ressusciter un mort. An 66 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXVII. Un vol. — La chute. — Mort désespérée de Simon le Magicien. An 67 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXVIII. Pierre est recherché pour être tué. — Jésus lui apparaît et lui prédit un martyre imminent. — Testament du saint Apôtre.
CHAPITRE XXIX. Saint Pierre en prison convertit Processus et Martinien. — Son martyre. An 67 de l’ère vulgaire.
CHAPITRE XXX. Tombeau de Saint Pierre. — Attentat contre son corps.
CHAPITRE XXXI. Tombe et Basilique de Saint Pierre au Vatican.
APPENDICE SUR LA VENUE DE SAINT PIERRE À ROME

PRÉFACE
            Celui qui doit entrer dans un palais fermé et en prendre possession doit nécessairement se rendre propice à celui qui en détient les clés.
            Malheureux celui qui, se trouvant sur une barque en haute mer, n’est pas dans les bonnes grâces du pilote. La brebis perdue, qui est loin de son berger, ne connaît pas sa voix ou ne l’écoute pas.
            Cher lecteur, ta demeure est le ciel, et tu dois aspirer à en obtenir la possession. Tant que tu vis ici-bas, tu navigues dans la mer agitée de ce monde, en danger de heurter les écueils, de faire naufrage et de te perdre dans les abîmes de l’erreur.
            Comme une brebis, tu es chaque jour sur le point d’être conduit à des pâturages nocifs, de te perdre dans des précipices et de tomber même dans les griffes des loups rapaces, c’est-à-dire dans les pièges des ennemis de ton âme. Ah ! Oui, tu as besoin de te rendre propice à celui à qui ont été remises les clés du ciel ; il est nécessaire que tu confies ta vie au grand Pilote du Navire du Christ, au Noé du Nouveau Testament ; tu dois te rassembler autour du Suprême Pasteur de l’Église, qui seul peut te guider vers de bons pâturages et te conduire à la vie.
            Or, le Portier du royaume des Cieux, le grand Pilote et Pasteur des hommes est justement S. Pierre, prince des Apôtres, qui exerce son pouvoir en la personne du Souverain Pontife, son Successeur. Aujourd’hui encore il ouvre et ferme, il gouverne l’Église et guide les âmes vers le salut.
            N’hésite donc pas, pieux lecteur, à parcourir la brève vie que je te présente ici ; apprends à connaître qui il est, à respecter sa suprême autorité d’honneur et de juridiction ; apprends à reconnaître la voix aimante du Pasteur et à l’écouter. Car qui est avec Pierre, est avec Dieu, marche dans la lumière et court vers la vie ; qui n’est pas avec Pierre, est contre Dieu, va titubant dans les ténèbres et tombe dans la perdition. Où est Pierre, là est la vie ; où Pierre n’est pas, là est la mort.

CHAPITRE I. Patrie et profession de S. Pierre[1]. — Son frère André le conduit à Jésus-Christ. An 29 de Jésus-Christ.
            S. Pierre était juif de naissance et fils d’un pauvre pêcheur nommé Jonas ou Jean, qui habitait dans une ville de Galilée appelée Bethsaïde. Cette ville est située sur la rive occidentale du lac de Génésareth, communément appelé mer de Galilée ou de Tibériade, qui est en réalité un vaste lac de douze milles de long et six de large.
            Avant que le Sauveur ne changeât son nom, Pierre s’appelait Simon. Il exerçait le métier de pêcheur, comme son père ; il avait un tempérament robuste, un esprit vif et spirituel ; il était prompt à répondre, mais de cœur bon et plein de reconnaissance envers ses bienfaiteurs.
            Cette nature vive le portait souvent à de grandes manifestations d’affection envers le Sauveur, qui lui donna également des signes indubitables de prédilection. À une époque où la virginité était encore peu honorée, Pierre prit femme dans la ville de Capharnaüm, capitale de la Galilée, sur la rive occidentale du Jourdain, qui est un grand fleuve, divisant la Palestine du nord au sud.
            Comme Tibériade était située là où le Jourdain se jette dans la mer de Galilée, et donc très adaptée à la pêche, S. Pierre établit dans cette ville sa résidence ordinaire et continua à exercer son métier habituel. La bonté de son cœur ouvert à la vérité, l’innocent métier de pêcheur et l’assiduité au travail contribuèrent beaucoup à le maintenir dans la sainte crainte de Dieu.
            À cette époque, nombreux étaient ceux qui pensaient que la venue du Messie était imminente ; en fait, certains disaient qu’il était déjà né parmi les Juifs. Cela poussait S. Pierre à faire le maximum d’efforts pour en avoir connaissance. Il avait un frère aîné, nommé André, qui, captivé par les merveilles racontées à propos de S. Jean-Baptiste, Précurseur du Sauveur, voulut devenir son disciple, vivant la majeure partie du temps avec lui dans un désert sauvage.
            La nouvelle, qui se confirmait de jour en jour, que le Messie était déjà né, faisait que beaucoup se tournaient vers S. Jean, croyant qu’il était lui-même le Rédempteur. Parmi eux il y avait S. André, frère de Simon Pierre. Mais bientôt, instruit par Jean, il vint à connaître Jésus-Christ et la première fois qu’il l’entendit parler, il fut tellement captivé qu’il courut immédiatement en donner la nouvelle à son frère.
            Dès qu’il le vit, il lui dit : “Simon, j’ai trouvé le Messie ; viens avec moi pour le voir.”
            Simon, qui avait déjà entendu raconter quelque chose, mais vaguement, partit aussitôt avec son frère et alla là où André avait laissé Jésus-Christ. Dès qu’il vit le Sauveur, Pierre fut comme ravi par son amour. Le divin Maître, qui avait conçu de grands desseins sur lui, le regarda avec bonté et, avant qu’il ne parlât, lui montra qu’il était pleinement informé de son nom, de sa naissance, de sa patrie, en disant : “Tu es Simon, fils de Jean, mais par la suite tu seras appelé Céphas.” Ce mot signifie pierre, d’où dérive le nom de Pierre. Jésus communique à Simon qu’il sera appelé Pierre, parce qu’il devait être cette pierre sur laquelle Jésus-Christ fondera son Église, comme nous le verrons au cours de cette Vie.
            Dans ce premier entretien, Pierre reconnut immédiatement que ce que son frère lui avait raconté était de loin inférieur à la réalité et, dès ce moment, il devint très attaché à Jésus-Christ, ne sachant plus vivre loin de lui. Le divin Sauveur, d’autre part, permit à ce nouveau disciple de retourner à son ancien métier car il voulait le préparer peu à peu à l’abandon total des choses terrestres, le guider vers les plus hauts degrés de la vertu et ainsi le rendre capable de comprendre les autres mystères qu’il lui révélerait et le rendre digne du grand pouvoir dont il voulait l’investir.

CHAPITRE II. Pierre conduit le Sauveur dans son bateau — Pêche miraculeuse. — Il accueille Jésus chez lui. — Miracles opérés. An 30 de Jésus-Christ.
            Pierre continuait donc à exercer sa première profession, mais chaque fois que le temps et les occupations le lui permettaient, il allait avec joie vers le divin Sauveur pour l’entendre parler des vérités de la foi et du royaume des cieux.
            Un jour, Jésus marchant sur la plage de la mer de Tibériade, vit les deux frères Pierre et André en train de jeter leurs filets dans l’eau. Il les appela à lui et leur dit : “Venez avec moi et, de pêcheurs de poissons que vous êtes, je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes.” Ils obéirent promptement aux signes du Rédempteur et, abandonnant leurs filets, devinrent des disciples fidèles et constants. Non loin de là il y avait une autre barque de pêcheurs, dans laquelle se trouvait un certain Zébédée avec ses deux fils, Jacques et Jean, qui réparaient leurs filets. Jésus appela aussi ces deux frères. Pierre, Jacques et Jean sont les trois disciples qui reçurent des signes de bienveillance spéciale du Sauveur et qui, de leur côté, se montrèrent fidèles et loyaux à chaque rencontre.
            Quand le peuple apprit que le Sauveur se trouvait là, il affluait autour de lui pour écouter sa divine parole. Souhaitant satisfaire le désir de la multitude et en même temps offrir à tous la possibilité de l’entendre, il ne voulut pas prêcher sur le rivage, mais dans une des deux barques qui étaient près de la rive ; et pour donner à Pierre un nouveau témoignage d’amour, il choisit sa barque. Monté à bord et ayant fait monter aussi Pierre, il lui ordonna de s’éloigner un peu du rivage et, s’étant assis, il se mit à instruire cette dévote assemblée. À la fin de la prédication, il ordonna à Pierre de conduire la barque en haute mer et de jeter le filet pour prendre des poissons.
            Pierre avait passé toute la nuit précédente à pêcher au même endroit et n’avait rien pris ; c’est pourquoi, se tournant vers Jésus, il lui dit : “Maître, nous nous sommes fatigués toute la nuit à pêcher et nous n’avons pris même pas un poisson ; cependant, sur votre parole, je jetterai le filet dans la mer.” C’est ce qu’il fit par obéissance et, contre toute attente, la pêche fut si abondante et le filet si plein de gros poissons qu’en essayant de le tirer hors de l’eau, il était sur le point de se déchirer. Ne pouvant seul porter le grand poids du filet, Pierre demanda de l’aide à Jacques et à Jean, qui se trouvaient dans l’autre barque, et ceux-ci vinrent à son secours. Ensemble mais avec peine, ils tirèrent le filet, versèrent les poissons dans les barques, qui restèrent toutes deux si pleines qu’elles menaçaient de sombrer.
            Pierre commençait à percevoir quelque chose de surnaturel dans la personne du Sauveur. Il reconnut immédiatement que c’était un prodige et, plein d’étonnement, se jugeait indigne de rester avec lui dans la même barque. Humilié et confus, il se jeta à ses pieds en disant : “Seigneur, je suis un misérable pécheur, je vous prie donc de vous éloigner de moi.” Comme pour dire : “Oh ! Seigneur, je ne suis pas digne de rester en votre présence.” En admirant les dons de Dieu, dit Saint Ambroise, il méritait d’autant plus qu’il présumait moins de lui-même[2].
            Jésus apprécia la simplicité de Pierre et l’humilité de son cœur et, voulant qu’il ouvre son esprit à de meilleures espérances, il lui dit pour le réconforter : “Dépose toute crainte ; dorénavant, tu ne seras plus pêcheur de poissons, mais tu seras pêcheur d’hommes.” À ces paroles, Pierre reprit courage et fut changé presque en un autre homme ; il conduisit la barque au rivage, abandonna tout et devint un compagnon inséparable du Rédempteur.
            Comme Jésus-Christ parlait en marchant en direction de la ville de Capharnaüm, Pierre alla avec lui. Là, ils entrèrent tous deux dans la Synagogue et l’Apôtre écouta la prédication que le Seigneur y fit et fut témoin de la guérison miraculeuse d’un possédé.
            En sortant de la Synagogue, Jésus alla dans la maison de Pierre où sa belle-mère était tourmentée par une fièvre très grave. Avec André, Jacques et Jean, il pria Jésus de bien vouloir libérer cette femme du mal qui l’oppressait. Le divin Sauveur exauça leurs prières et, s’approchant du lit de la malade, la prit par la main, la souleva et à cet instant la fièvre disparut. La femme se trouva si parfaitement guérie qu’elle put se lever immédiatement et préparer le repas pour Jésus et toute sa suite. La renommée de ces miracles attira à la maison de Pierre de nombreux malades ainsi qu’une foule innombrable, si bien que toute la ville semblait rassemblée là. Jésus rendit la santé à tous ceux qu’on lui amenait ; et tous, pleins de joie, s’en allaient en louant et en bénissant le Seigneur.
            Pour les saints Pères la barque de Pierre représente l’Église, dont le chef est Jésus-Christ, représenté par Pierre, son Vicaire, et après lui tous les Papes, ses successeurs. Les paroles dites à Pierre : « Conduis la barque en haute mer », et les autres dites à lui et à ses Apôtres : « Jetez vos filets pour attraper des poissons », contiennent également un sens élevé. À tous les Apôtres, dit S. Ambroise, il ordonne de jeter les filets dans les vagues, car tous les Apôtres et tous les pasteurs sont tenus de prêcher la parole divine et de garder dans la barque, c’est-à-dire dans l’Église, les âmes qu’ils ont gagnées par leur prédication. Mais à Pierre seul, il ordonne ensuite de conduire la barque en haute mer, car lui, de préférence à tous, est fait participant de la profondeur des mystères divins et reçoit seul du Christ le pouvoir de résoudre les difficultés qui peuvent surgir en matière de foi et de morale. La venue des autres apôtres à sa barque signifie la collaboration des autres pasteurs, qui, s’unissant à Pierre, doivent l’aider à propager et à conserver la foi dans le monde et à gagner des âmes au Christ[3].

CHAPITRE III. S. Pierre, chef des Apôtres, est envoyé prêcher. — Il marche sur les vagues. — Belle réponse donnée au Sauveur. An 31 de Jésus-Christ.
            Parti de la maison de Pierre, Jésus se dirigea vers un lieu solitaire, sur une montagne, pour prier. Pierre et les autres disciples, qui à ce moment-là étaient devenus nombreux, le suivirent ; mais, arrivés au lieu convenu, Jésus leur ordonna de s’arrêter et se retira, tout seul, dans un endroit isolé. Au lever du jour, il retourna vers les disciples. À cette occasion, le divin Maître choisit douze disciples, qu’il appela Apôtres, ce qui signifie envoyés, car les Apôtres étaient vraiment envoyés prêcher l’Évangile, d’abord dans les seuls villages de la Judée, puis dans le monde entier. Parmi ces douze, il désigna Saint Pierre pour occuper la première place et agir en tant que chef. En établissant parmi eux un supérieur, dit Saint Jérôme, il voulait supprimer toute occasion de discorde et de schisme. Ut capite constituto schismatis tolleretur occasio[4].
            Les nouveaux prédicateurs allaient avec zèle annoncer l’Évangile, prêchant partout la venue du Messie et confirmant leurs paroles par des miracles éclatants. Puis ils retournaient vers le divin Maître pour rendre compte de ce qu’ils avaient fait. Il les accueillait avec bonté et avait l’habitude de se rendre lui-même à l’endroit où les Apôtres avaient prêché. Un jour, les foules, transportées d’admiration et d’enthousiasme, voulaient le faire roi ; mais il ordonna aux Apôtres de faire le trajet vers l’autre rive du lac, s’éloigna de cette bonne foule et alla se cacher dans le désert. Les Apôtres, suivant les ordres du Maître, montèrent dans une barque pour traverser le lac. La nuit avançait et ils étaient déjà arrivés au rivage quand une tempête terrible se leva et le navire, agité par les vagues et le vent, était sur le point de sombrer.
            Au milieu de cette tempête, ils ne s’imaginaient certainement pas qu’ils pourraient voir Jésus-Christ, qu’ils avaient laissé sur l’autre rive du lac. Mais quelle ne fut pas leur surprise de le voir à peu de distance marcher sur les eaux, d’un pas libre et rapide, et s’avancer vers eux ! Dès qu’ils le virent, tous furent effrayés, craignant que ce ne fût un spectre ou un fantôme, et ils se mirent à crier. Jésus alors fit entendre sa voix et les encouragea en disant : « C’est moi, ayez foi, n’ayez pas peur. »
            À ces mots, aucun des Apôtres n’osa parler ; seul Pierre, dans l’élan de son amour pour Jésus et pour s’assurer que ce n’était pas une illusion, dit : « Seigneur, si c’est vraiment vous, ordonnez que je vienne à vous en marchant sur les eaux. » Le Divin Sauveur acquiesça, et Pierre, plein de confiance, sauta hors du bateau et se mit à marcher sur les vagues, comme on marche sur un pavé. Mais Jésus, qui voulait éprouver sa foi et la rendre plus parfaite, permit à nouveau que se lève un vent impétueux, qui agitait les vagues en menaçant de submerger Pierre. Voyant ses pieds s’enfoncer dans l’eau, il fut effrayé et se mit à crier : « Maître, Maître, aidez-moi, sinon je suis perdu. » Alors Jésus le réprimanda à cause de la faiblesse de sa foi en disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » En disant cela, Jésus et Pierre marchèrent ensemble sur les vagues. Quand ils entrèrent dans la barque, le vent cessa et la tempête se calma. Les saints Pères voient dans ce fait les dangers où se trouve parfois le Chef de l’Église et le secours rapide que lui apporte Jésus-Christ, son Chef invisible, qui permet certes les persécutions, mais lui donne toujours la victoire.
            Quelque temps après, le Divin Sauveur retourna dans la ville de Capharnaüm avec les Apôtres, suivi d’une grande foule. Alors qu’il se trouvait dans cette ville, beaucoup se pressaient autour de lui, le priant de leur enseigner quelles étaient les œuvres absolument nécessaires pour se sauver. Jésus se mit à les instruire sur sa doctrine céleste, le mystère de son Incarnation, le Sacrement de l’Eucharistie. Mais comme ces enseignements visaient à déraciner l’orgueil du cœur des hommes, à y engendrer l’humilité en les obligeant à croire en des mystères très élevés et surtout au mystère des mystères, la divine Eucharistie, ses auditeurs trouvèrent ces discours trop rigides et trop sévères ; se montrant offensés, la plupart l’abandonnèrent.
            Se voyant abandonné presque par tous, Jésus s’adressa aux Apôtres et dit : « Voyez-vous comme beaucoup s’en vont ? Voulez-vous vous en aller, vous aussi ? » À cette question soudaine, chacun se tut. Seul Pierre, comme chef et au nom de tous, répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez des paroles de vie éternelle ; nous avons cru et connu que vous êtes le Christ, le fils de Dieu. » Saint Cyrille pense que cette question fut posée par Jésus-Christ afin de les inciter à confesser la vraie foi, comme cela se produisit effectivement par la bouche de Pierre. Quelle différence entre la réponse de notre Apôtre et les murmures de certains chrétiens qui trouvent que la sainte loi de l’Évangile est dure et sévère, parce qu’elle ne s’adapte pas à leurs passions (Cyrille, in Ioann. lib. 4).

CHAPITRE IV. Pierre confesse pour la seconde fois Jésus-Christ comme fils de Dieu. — Il est constitué chef de l’Église et les clés du royaume des Cieux lui sont promises. An 32 de Jésus-Christ.
            À plusieurs reprises, le divin Sauveur avait manifesté les projets particuliers qu’il avait sur la personne de Pierre, mais il ne s’était pas encore exprimé aussi clairement, comme nous le verrons dans le fait suivant, qui peut être considéré comme le plus mémorable de la vie de ce grand Apôtre. Parti de la ville de Capharnaüm, Jésus était allé dans les environs de Césarée de Philippe, une ville non loin du fleuve Jourdain. Là, un jour, après avoir prié, Jésus se tourna soudainement vers ses disciples, qui étaient revenus de la prédication, leur fit signe de s’approcher et commença à les interroger : « Que disent les hommes, qui suis-je selon eux ? » L’un des Apôtres répondit : « Certains disent que vous êtes le prophète Élie. » Un autre ajouta : « On m’a dit que vous êtes le prophète Jérémie, ou Jean-Baptiste ou l’un des anciens prophètes ressuscités. » Pierre ne prononça pas un mot. Jésus reprit : « Mais vous, qui dites-vous que je suis ? » Pierre alors s’avança et répondit au nom des autres Apôtres : « Vous êtes le Christ, le fils du Dieu vivant. » Alors Jésus dit : « Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jean, car ce ne sont pas les hommes qui t’ont révélé ces paroles, mais mon Père céleste. Dorénavant, tu ne t’appelleras plus Simon, mais Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église, et les portes de l’enfer ne pourront pas la vaincre. Je te donnerai les clés du royaume des cieux ; ce que tu lieras sur terre sera lié aussi dans les cieux, et ce que tu auras délié sur terre sera délié aussi dans les cieux.[5] »
            Ce fait et ces paroles méritent d’être un peu expliqués pour être bien compris. Pierre se tut tant que Jésus voulait seulement savoir ce que disaient les hommes à son sujet ; mais lorsque le divin Sauveur invita les Apôtres à exprimer leur sentiment, Pierre parla immédiatement au nom de tous, car il jouissait déjà d’une primauté, ou supériorité, sur ses compagnons.
            Pierre, divinement inspiré, dit : « Vous êtes le Christ. » C’était la même chose que de dire : « Vous êtes le Messie promis par Dieu venu sauver les hommes ; vous êtes le fils du Dieu vivant. » Jésus-Christ n’était pas fils de Dieu comme les divinités des idolâtres, faites de la main et du caprice des hommes, mais fils du Dieu vivant et vrai, c’est-à-dire fils du Père éternel, donc avec Lui créateur et suprême maître de toutes choses. Par là, il parvenait à le confesser comme la seconde personne de la Sainte Trinité. Pour le récompenser de sa foi, Jésus l’appelle Bienheureux, et en même temps il change son nom de Simon en celui de Pierre, signe évident qu’il voulait l’élever à une grande dignité. C’est ainsi que Dieu avait fait avec Abraham, lorsqu’il le constitua père de tous les croyants ; avec Sara, lorsqu’il lui promit la naissance prodigieuse d’un fils ; avec Jacob, lorsqu’il l’appela Israël et lui assura que de sa descendance naîtrait le Messie.
            Jésus dit : « Sur cette pierre, je fonderai mon Église. » Ces paroles signifient : toi, Pierre, tu seras dans l’Église ce que le fondement est dans une maison. Le fondement est la partie principale de la maison, tout à fait indispensable ; toi, Pierre, tu seras le fondement, c’est-à-dire la suprême autorité dans mon Église. Sur le fondement on construit toute la maison, afin qu’elle soit soutenue, maintenue solidement immobile. Sur toi, que j’appelle Pierre, comme sur un rocher ou une pierre inébranlable, j’élève l’éternel édifice de mon Église par ma force toute-puissante ; appuyée sur toi, elle restera forte et invincible contre tous les assauts de ses ennemis. Il n’y a pas de maison sans fondation, il n’y a pas d’Église sans Pierre. Une maison sans fondation n’est pas l’œuvre d’un architecte sage ; une Église séparée de Pierre ne pourra jamais être mon Église. Dans les maisons, les parties qui ne reposent pas sur les fondations tombent et se ruinent ; dans mon Église, quiconque se sépare de Pierre tombe dans l’erreur et se perd.
            « Les portes de l’enfer ne vaincront jamais mon Église. » Les portes de l’enfer, comme l’expliquent les Saints Pères, signifient les hérésies, les hérétiques, les persécutions, les scandales publics et les désordres que le démon cherche à susciter contre l’Église. Toutes ces puissances infernales pourront certes, séparément ou réunies, mener une guerre acharnée contre l’Église et troubler son esprit pacifique, mais elles ne pourront jamais la vaincre.
            Pour finir, le Christ ajoute: « Et je te donnerai les clés du royaume des cieux. » Les clés sont le symbole de la puissance. Lorsque le vendeur d’une maison remet les clés à l’acheteur, cela signifie qu’il lui en donne la pleine et entière possession. De même, lorsque les clés d’une ville sont présentées à un roi, cela signifie que cette ville le reconnaît comme son seigneur. Ainsi, les clés du royaume des cieux, c’est-à-dire de l’Église, données à Pierre, montrent qu’il est fait maître, prince et gouverneur de l’Église. C’est pourquoi Jésus-Christ ajoute à Pierre : « Tout ce que tu lieras sur terre sera également lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur terre sera aussi délié dans les cieux. » Ces paroles indiquent manifestement l’autorité suprême donnée à Pierre : autorité de lier la conscience des hommes par des décrets et des lois en vue de leur bien spirituel et éternel, et autorité de les délier des péchés et des peines qui empêchent ce même bien spirituel et éternel.
            Il est bon de noter ici que le vrai Chef suprême de l’Église est Jésus-Christ, son fondateur. Saint Pierre, quant à lui, exerce ensuite sa suprême autorité en exerçant ses fonctions, en étant son vicaire sur la terre. Jésus-Christ agit avec Pierre comme le font justement les rois de ce monde, lorsqu’ils donnent les pleins pouvoirs à un de leurs ministres avec ordre que tout doit dépendre de lui. C’est ainsi que le roi Pharaon donna un tel pouvoir à Joseph que personne ne pouvait mouvoir la main ou le pied sans son autorisation[6].
            Il convient également de noter que les autres Apôtres reçurent de Jésus-Christ la faculté de délier et de lier[7], mais cette faculté leur fut donnée après que Saint Pierre l’ait reçue seul, pour indiquer qu’il était le seul chef destiné à conserver l’unité de foi et de morale. Les autres Apôtres, et tous les évêques qui leur succéderont, devaient toujours dépendre de Pierre et des Papes qui lui succéderont, afin de rester unis à Jésus-Christ, qui du ciel assiste son Vicaire et toute l’Église jusqu’à la fin des siècles. Pierre reçut la faculté de délier et de lier avec les autres Apôtres, et ainsi lui et ses successeurs sont égaux aux Apôtres et aux Évêques ; mais ensuite il la reçut seul, et c’est pourquoi Pierre et les Papes qui lui succèdent sont les Chefs suprêmes de toute l’Église, non seulement des simples fidèles, mais aussi des Prêtres et de tous les Évêques. Ils sont évêques et pasteurs de Rome, papes et pasteurs de toute l’Église.
            Dans le fait que nous venons d’exposer, le divin Sauveur promet de vouloir constituer Saint Pierre comme chef suprême de son Église, et lui explique la grandeur de son autorité. Nous verrons l’accomplissement de cette promesse après la résurrection de Jésus-Christ.

CHAPITRE V. S. Pierre dissuade le divin Maître de la passion. — Il va avec lui sur le mont Thabor. An 32 de J.-C.
            Après avoir fait connaître à ses disciples comment il édifiait son Église sur des bases stables, inébranlables et éternelles, le divin Rédempteur voulut leur donner un enseignement afin qu’ils comprennent bien qu’il ne fondait pas ce royaume, c’est-à-dire son Église, avec des richesses ou une magnificence mondaine, mais avec l’humilité, par les souffrances. Dans cette intention, il manifesta à Saint Pierre et à tous ses disciples la longue série des souffrances et la mort infamante que les Juifs devaient lui faire endurer à Jérusalem. C’est alors que Pierre, à cause du grand amour qu’il avait pour son divin Maître, horrifié d’entendre les maux auxquels sa sainte personne allait être exposée, porté par l’affection qu’un bon fils a pour son père, le prit à part et commença à le persuader de s’éloigner de Jérusalem pour éviter ces maux et conclut : « Loin de vous, Seigneur, tous ces maux. » Jésus le reprit pour son affection trop sensible, en lui disant : « Retire-toi de moi, mon adversaire ; tes paroles me scandalisent, tu ne sais pas encore goûter les choses de Dieu, mais seulement les choses humaines. » « Voici donc, dit Saint Augustin, ce Pierre qui peu auparavant l’avait confessé comme fils de Dieu et qui craint maintenant qu’il meure comme fils de l’homme. »
            Au moment où le Rédempteur manifesta les mauvais traitements qu’il aurait à subir de la part des Juifs, il promit que certains des Apôtres auraient un avant-goût de sa gloire avant qu’il ne meure, et cela pour les confirmer dans la foi et afin qu’ils ne se laissent pas abattre lorsqu’ils le verraient exposé aux humiliations de la passion. Aussi, quelques jours après, Jésus choisit les trois Apôtres Pierre, Jacques et Jean, et les conduisit sur une montagne appelée communément Thabor. En présence de ces trois disciples, il se transfigura, c’est-à-dire qu’il laissa transparaître un rayon de sa divinité autour de sa très sainte personne. Au même moment, une lumière éclatante l’enveloppa et son visage devint semblable à l’éclat du soleil, et ses vêtements blancs comme la neige. Lorsqu’il arriva sur la montagne, peut-être fatigué du voyage, Pierre s’était mis à dormir avec les deux autres ; mais tous, à ce moment-là, se réveillèrent et virent la gloire de leur Divin Maître. En même temps, Moïse et Élie apparurent également. En voyant le Sauveur resplendissant, et à l’apparition de ces deux personnages et de cet éclat insolite, Pierre, stupéfait, voulait parler, mais ne savait que dire. Presque hors de lui, et considérant comme un rien toute grandeur humaine en comparaison de cet avant-goût du paradis, il sentit brûler en lui le désir de rester toujours là avec son Maître. Il se tourna donc vers Jésus et dit : « Seigneur, combien il est bon d’être ici ; si cela vous plaît, faisons ici trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie. » Comme le rapporte l’Évangile, Pierre était hors de lui et parlait sans savoir ce qu’il disait. C’était un transport d’amour pour son Maître et un vif désir de bonheur. Il parlait encore lorsque Moïse et Élie disparurent et une nuée merveilleuse enveloppa les trois Apôtres. À ce moment-là, du milieu de cette nuée, une voix se fit entendre qui disait : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute ma complaisance. Écoutez-le. » Alors les trois Apôtres, de plus en plus terrifiés, tombèrent à terre comme morts ; mais le Rédempteur, s’approchant, les toucha de la main, leur rendit courage et les releva. Levant les yeux, ils ne virent plus ni Moïse ni Élie ; il n’y avait plus que Jésus dans son état naturel. Jésus leur ordonna de ne révéler à personne cette vision, sauf après sa mort et sa résurrection[8]. Après cet événement, les trois disciples grandirent démesurément dans leur amour pour Jésus. Saint Jean Damascène explique pourquoi Jésus a de préférence choisi ces trois Apôtres, et dit que Pierre, ayant été le premier à témoigner de la divinité du Sauveur, méritait d’être aussi le premier à pouvoir contempler de manière sensible son humanité glorifiée ; Jacques eut également ce privilège parce qu’il devait être le premier à suivre son Maître dans le martyre ; Saint Jean avait le mérite de la virginité qui le rendit digne de cet honneur[9].
            L’Église catholique célèbre le vénérable événement de la transfiguration du Sauveur sur le mont Thabor le 6 août.

CHAPITRE VI. Jésus ressuscite la fille de Jaïre en présence de Pierre. — Il fait payer le tribut par Pierre. — Il enseigne l’humilité à ses disciples. An 32 de J.-C.
            Cependant le temps approchait où la foi de Pierre devait être mise à l’épreuve. C’est pourquoi le divin Maître, pour l’enflammer toujours plus d’amour pour lui, lui donnait souvent de nouveaux signes d’affection et de bonté. Jésus étant venu dans une partie de la Palestine appelée terre des Géraséniens, un prince de la synagogue nommé Jaïre s’avança vers lui, le priant de vouloir rendre la vie à sa fille unique de 12 ans, morte peu auparavant. Jésus voulut l’exaucer ; mais arrivé chez lui, il interdit à tous d’entrer, et ne prit avec lui que Pierre, Jacques et Jean, afin qu’ils soient témoins de ce miracle.
            Le lendemain, Jésus s’éloigna un peu des autres disciples, entra avec Pierre dans la ville de Capharnaüm pour se rendre chez lui. À la porte de la ville, les collecteurs d’impôts, c’est-à-dire ceux qui étaient chargés par le gouvernement de percevoir les impôts et les taxes, tirèrent Pierre à part et lui dirent : « Est-ce que votre Maître paie le tribut ? » Certainement, répondit Pierre. Cela dit, il entra dans la maison où le Seigneur l’avait précédé. Dès que l’aperçut le Sauveur, à qui tout était manifeste, il l’appela à lui et lui dit : « Dis-moi, Pierre, qui sont ceux qui paient le tribut ? Est-ce que ce sont les fils du roi, ou les étrangers de la famille royale ? » Pierre répondit : « Ce sont les étrangers. » « Donc, reprit Jésus, les fils du roi sont exempts de tout tribut. » Ce qui voulait dire : « Donc moi qui suis, comme tu l’as déclaré, le Fils de Dieu vivant, je ne suis pas obligé de payer quoi que ce soit aux princes de la terre ; cependant, ces bonnes gens ne me connaissent pas comme toi, et ils pourraient en prendre scandale ; c’est pourquoi je compte payer le tribut. Va à la mer, jette le filet, et dans la bouche du premier poisson que tu prendras, tu trouveras la monnaie pour payer le tribut pour moi et pour toi. » L’Apôtre exécuta ce qui lui avait été commandé, et après un certain temps, il revint plein d’étonnement avec la monnaie indiquée par le Sauveur ; et le tribut fut payé.
            Les Saints Pères ont admiré deux choses dans cet événement : l’humilité et la douceur de Jésus, qui se soumet aux lois des hommes, et l’honneur qu’il daigna faire à l’Apôtre Pierre, l’égalant à lui-même et le montrant ouvertement comme son Vicaire.
            Lorsque les autres Apôtres apprirent la préférence faite à Pierre, ils en éprouvèrent de l’envie, étant encore très imparfaits dans la vertu. C’est pourquoi ils discutaient entre eux pour savoir qui d’entre eux était le plus grand. Quand ils furent arrivés en sa présence, Jésus, qui voulait peu à peu les corriger de leurs défauts, leur fit connaître comment les grandeurs du ciel sont bien différentes de celles de la terre, et que celui qui veut être le premier au Ciel doit se faire le dernier sur la terre. Il leur dit ensuite : « Qui est le plus grand ? Qui est le premier dans une famille ? Est-ce celui qui est assis, ou celui qui sert à table ? Certainement celui qui est à table. Maintenant que voyez-vous en moi ? À quel personnage est-ce que je ressemble ? Certainement à celui d’un pauvre qui sert à table. »
            Cet avis devait principalement valoir pour Pierre, qui devait recevoir dans le monde de grands honneurs à cause de sa dignité, et cependant se conserver dans l’humilité et se nommer serviteur des serviteurs du Seigneur, comme le font d’ailleurs les Papes, ses successeurs.

CHAPITRE VII. Pierre parle avec Jésus du pardon des injures et du détachement des choses terrestres. — Il refuse de se laisser laver les pieds. — Son amitié avec S. Jean. An 33 de J.-C.
            Un jour, le divin Sauveur se mit à enseigner les Apôtres au sujet du pardon des offenses, en disant qu’il fallait supporter tous les outrages et pardonner toutes les injures. Pierre resta plein d’étonnement, car il était prévenu, comme tous les Juifs, en faveur des traditions judaïques, qui permettaient à la personne offensée d’infliger une peine à l’offenseur, appelée peine du talion. Il s’adressa donc à Jésus et lui dit : « Maître, si l’ennemi nous faisait du tort sept fois et venait me demander sept fois le pardon, devrais-je lui pardonner sept fois ? » Jésus, qui était venu pour atténuer les rigueurs de l’ancienne loi par la sainteté et la pureté de l’Évangile, répondit à Pierre qu’il « ne devait pas seulement pardonner sept fois, mais soixante-dix fois sept fois, » expression qui signifie qu’il faut toujours pardonner. Les Saints Pères reconnaissent dans cet événement principalement l’obligation pour chaque chrétien de pardonner à son prochain toutes ses offenses, en tout temps et en tout lieu. En second lieu, ils reconnaissent la faculté donnée par Jésus à Saint Pierre et à tous les ministres sacrés de pardonner les péchés des hommes, quels que soient leur gravité et leur nombre, pourvu qu’ils en soient repentis et promettent un sincère amendement.
            Un autre jour, Jésus enseignait le peuple en parlant de la grande récompense que recevraient ceux qui méprisent le monde, font bon usage des richesses et détachent leur cœur des biens de la terre. Pierre, qui n’avait pas encore reçu les lumières de l’Esprit Saint et qui plus que les autres avait besoin d’être instruit, s’adressa à Jésus avec sa franchise habituelle et lui dit : « Maître, nous avons abandonné toutes choses, nous vous avons suivi et nous avons fait ce que vous avez commandé ; quelle sera la récompense que vous nous donnerez ? » Le Sauveur apprécia la question de Pierre et, tout en louant le détachement des Apôtres de tout bien terrestre, assura qu’à eux était réservée une récompense particulière, car ils l’avaient suivi en ayant laissé leurs biens. « Quant à vous, dit-il, qui m’avez suivi, vous serez assis sur douze trônes majestueux et, devenus mes compagnons dans ma gloire, vous jugerez avec moi les douze tribus d’Israël et avec elles toute l’humanité. »
            Peu de temps après, Jésus se rendit au temple de Jérusalem et se mit à discuter avec Pierre de la construction de ce grand édifice et de la beauté des pierres qui l’ornaient. Le divin Sauveur profita alors de l’occasion pour prédire sa complète ruine en disant : « De ce magnifique temple, il ne restera plus pierre sur pierre. » En sortant ensuite de la ville, Jésus passa près d’un figuier qu’il avait maudit. Pierre, stupéfait, fit remarquer au divin Maître comment cet arbre était déjà devenu aride et sec. C’était une preuve de la véracité des promesses du Sauveur. C’est pourquoi, pour encourager les Apôtres à avoir foi, Jésus répondit qu’avec la foi ils obtiendront tout ce qu’ils demandent.
            La vertu que le Christ voulait enraciner profondément dans le cœur des Apôtres, et spécialement de Pierre, était l’humilité. En de nombreuses occasions, il leur en donna des exemples lumineux, surtout la veille de sa passion. C’était le premier jour de la Pâque juive, qui devait durer sept jours et qui est souvent appelée jour des azymes. Jésus envoya Pierre et Jean à Jérusalem en leur disant : « Allez et préparez les choses nécessaires pour la Pâque. » Ils dirent : « Où voulez-vous que nous les préparions ? » Jésus répondit : « En entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme qui porte une cruche d’eau ; allez avec lui, et il vous montrera une grande salle mise en ordre, et là préparez ce qu’il faut pour cette occasion. » C’est ce qu’ils firent. Quand arriva le soir de cette nuit, qui était la dernière de la vie mortelle du Sauveur, voulant instituer le Sacrement de l’Eucharistie, il commença par un acte qui démontre la pureté d’âme avec laquelle chaque chrétien doit s’approcher de ce sacrement de l’amour divin, et qui sert en même temps à freiner l’orgueil des hommes jusqu’à la fin du monde. Alors qu’il était à table avec ses disciples, vers la fin du repas, le Seigneur se leva de table, prit un linge, le ceignit autour des hanches et versa de l’eau dans un bassin, en montrant qu’il voulait laver les pieds des Apôtres. Ils étaient assis et regardaient émerveillés ce que leur Maître voulait faire.
            Jésus vint avec de l’eau vers Pierre, s’agenouilla devant lui en lui demandant son pied pour le laver. Horrifié, voyant le Fils de Dieu se comporter comme un pauvre serviteur, le bon Pierre se souvint qu’il l’avait vu peu auparavant resplendissant de lumière. Plein de honte et presque en pleurs, il dit : « Que faites-vous, Maître, que faites-vous ? Vous voulez me laver les pieds ? Cela ne sera jamais, jamais je ne pourrai le permettre. » Le Sauveur lui dit : « Ce que je fais, tu ne le comprends pas maintenant, mais tu le comprendras plus tard. Prends garde de ne pas me contredire ; si je ne te lave pas les pieds, tu n’auras pas part avec moi, » c’est-à-dire tu seras privé de tout mon bien et déshérité. À ces paroles, le bon Pierre fut terriblement troublé. D’une part, il souffrait de devoir être séparé de son Maître et ne voulait pas lui désobéir ni le contrister ; d’autre part, il lui semblait qu’il ne pouvait pas lui permettre un service aussi humble. Mais lorsqu’il comprit que le Sauveur voulait être obéi, il dit : « Ô Seigneur, puisque vous le voulez ainsi, je ne dois ni ne veux résister à votre volonté ; faites de moi tout ce qu’il vous plaît ; s’il ne suffit pas de me laver les pieds, lavez-moi aussi les mains et la tête. »
            Après avoir accompli cet acte de profonde humilité, le Sauveur se tourna vers ses Apôtres et leur dit : « Avez-vous vu ce que j’ai fait ? Si moi, qui suis votre Maître et Seigneur, je vous ai lavé les pieds, vous devez faire de même entre vous. » Ces paroles signifient qu’un disciple de Jésus-Christ ne doit jamais refuser de faire la plus humble des œuvres de charité, si elle procure le bien du prochain et la gloire de Dieu.
            Pendant ce repas, il se produisit un fait qui concerne particulièrement S. Pierre et S. Jean. On a déjà pu observer que le divin Rédempteur portait une affection particulière à ces deux Apôtres ; l’un pour la sublime dignité à laquelle il était destiné, l’autre pour la pureté singulière de ses mœurs. Ils aimaient leur Sauveur d’un amour intense, et étaient liés entre eux par des liens d’amitié très spéciale, dont le Rédempteur lui-même se montrait heureux, parce qu’elle était fondée sur la vertu.
            En effet, pendant qu’il était à table avec ses Apôtres, Jésus prédit au milieu du repas que l’un d’eux le trahirait. À cette annonce, tous furent effrayés, et chacun craignait pour lui-même. Ils commencèrent à se regarder les uns les autres en disant : « Est-ce moi ? » Comme il était plus fervent dans l’amour pour son Maître, Pierre désirait savoir qui était ce traître ; il voulait interroger Jésus, mais le faire en secret, afin que personne des présents ne s’en aperçoive. Il fit un signe à Jean, sans prononcer un mot, pour qu’il pose cette question. Ce cher apôtre avait pris place près de Jésus, et sa position était telle qu’il appuyait sa tête sur sa poitrine, tandis que la tête de Pierre reposait sur celle de Jean. Jean donna satisfaction au désir de son ami avec tant de discrétion qu’aucun des Apôtres ne put entendre ni le signe de Pierre, ni la question de Jean, ni la réponse du Christ ; car personne à ce moment ne savait que le traître était Judas Iscariote, sauf les deux apôtres privilégiés.

CHAPITRE VIII. Jésus prédit le reniement de Pierre et lui assure que sa foi ne faillira pas. — Pierre le suit dans le jardin de Gethsémani. — Il coupe l’oreille de Malchus. — Sa chute et son repentir. An 33 de J.-C.
            On approchait du temps de la passion du Sauveur, et la foi des Apôtres devait être mise à rude épreuve. Après le dernier repas, lorsque Jésus s’apprêtait à sortir du cénacle, il se tourna vers ses Apôtres et leur dit : « Cette nuit est très douloureuse pour moi et très dangereuse pour vous tous ; il m’arrivera des choses qui vous scandaliseront, et ce que vous avez connu et ce que vous croyez maintenant à mon sujet ne vous paraîtra plus croyable. C’est pourquoi je vous dis qu’en cette nuit, vous me tournerez tous le dos. » Pierre fut le premier à répondre avec son ardeur habituelle : « Comment ? Nous tous vous tourner le dos ? Même si tous ceux-ci étaient faibles au point de vous abandonner, moi, je ne le ferai jamais ; au contraire, je suis prêt à mourir avec vous. » « Ah ! Simon, Simon, répondit Jésus-Christ, voici que Satan a ourdi contre vous une terrible tentation, et il vous passera au crible comme on fait avec le blé ; et toi-même, cette nuit, avant que le coq ait chanté deux fois, tu me renieras trois fois. » Pierre parlait sous l’influence d’un sentiment ardent d’affection, sans réfléchir qu’en dehors de l’aide divine, l’homme tombe dans des excès déplorables. C’est pourquoi il renouvela les mêmes promesses en disant : « Non, certainement ; il se peut que tous vous renient, mais moi, jamais. » Jésus savait bien que cette présomption de Pierre venait d’un enthousiasme irréfléchi et d’une grande affection pour lui. Il eut pitié de lui et ajouta : « Tu tomberas certainement, Pierre, comme je te l’ai dit ; cependant, ne te décourage pas. J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne faiblisse pas ; mais toi, lorsque tu te seras repenti de ta chute, confirme tes frères : Rogavi pro te, ut non deficiat fides tua, et tu aliquando conversus, confirma fratres tuos. » Par ces mots, le divin Sauveur promit une assistance particulière au Chef de son Église, afin que sa foi ne faiblisse jamais, c’est-à-dire qu’en tant que Maître universel, s’agissant de questions concernant la religion et la morale, il a toujours enseigné et il enseignera toujours la vérité, bien qu’il puisse tomber dans la faute dans sa vie privée, comme cela arriva effectivement à Saint Pierre.
            Après ce mémorable Repas Eucharistique, à la nuit avancée, Jésus-Christ sortit du cénacle avec les onze Apôtres et se dirigea vers le mont des Oliviers. Arrivé là, il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et se retira dans un endroit appelé Gethsémani, où il avait l’habitude d’aller prier. Jésus s’éloigna encore des trois Apôtres d’un jet de pierre et se mit à prier. Au moment de se séparer d’eux, il les avertit en disant : « Veillez et priez, car la tentation est proche. » Mais à cause de l’heure tardive et de la fatigue, Pierre et ses compagnons s’assirent pour se reposer et s’endormirent.
            Ce fut là une nouvelle faute de Pierre, qui devait suivre les ordres du Sauveur en veillant et en priant. Pendant ce temps, les gardes arrivèrent dans le jardin pour capturer Jésus et l’emmener en prison. Dès qu’il les vit, Pierre courut à leur rencontre pour les éloigner. Voyant qu’ils résistaient, il mit la main à l’épée qu’il avait avec lui, frappa au hasard et coupa l’oreille d’un serviteur du pontife Caïphe, nommé Malchus.
            Ce n’étaient pas là les preuves de fidélité que Jésus attendait de Pierre ; jamais il ne lui avait enseigné d’opposer la force à la force. C’était l’effet de son grand amour pour le divin Sauveur mais hors de propos. Jésus dit à Pierre : « Remets l’épée dans le fourreau, car celui qui frappe avec l’épée périra par l’épée. » Puis, mettant en pratique ce qu’il avait tant de fois enseigné dans ses prédications, c’est-à-dire de faire du bien à ceux qui nous font du mal, il prit l’oreille coupée et, avec une grande bonté, la remit avec ses saintes mains à l’endroit de la coupure, si bien qu’elle fut instantanément guérie.
            Voyant que toute résistance était inutile et qu’en fait ils couraient un danger pour eux-mêmes, Pierre et les autres Apôtres mirent de côté les promesses faites peu auparavant au Maître, prirent la fuite et abandonnèrent Jésus, le laissant seul entre les mains de ses bourreaux.
            Honteux de sa lâcheté, confus et indécis, Pierre ne savait où aller ni où rester. Il suivit Jésus de loin jusque dans la cour du palais de Caïphe, chef de tous les prêtres juifs, et grâce à une recommandation il réussit même à y entrer. Jésus était là à l’intérieur au pouvoir des scribes et des pharisiens, qui l’avaient accusé devant ce tribunal et cherchaient à le faire condamner avec quelque apparence de justice.
            À peine entré dans ce lieu, notre Apôtre trouva une foule de gardes qui se réchauffaient là près d’un feu, et il s’assit aussi avec eux. À la clarté des flammes, la servante qui l’avait laissé entrer par faveur, le voyant pensif et mélancolique, commença à soupçonner qu’il était un partisan de Jésus. « Hé, lui dit-elle, tu me sembles un compagnon du Nazaréen, n’est-ce pas ? » L’Apôtre, se voyant découvert devant tant de gens, resta stupéfait ; et craignant pour lui la prison, peut-être même la mort, il perdit tout son courage et répondit : « Femme, tu te trompes, je ne suis pas de ceux-là, je ne connais même pas ce Jésus dont tu parles. » Cela dit, le coq chanta pour la première fois, mais Pierre n’y prêta pas attention.
            Après un moment passé en compagnie des gardes, il se dirigea vers le vestibule. Au moment de retourner près du feu, une autre servante, désignant Pierre, se mit aussi à dire aux alentours : « Celui-ci était lui aussi avec Jésus de Nazareth. » Le pauvre disciple, de plus en plus effrayé en entendant ces mots, presque hors de lui, répondit qu’il ne le connaissait pas et qu’il ne l’avait jamais vu. Pierre parlait ainsi, mais sa conscience le lui reprochait et lui faisait sentir un grand remords. Aussi, tout pensif, le regard trouble et le pas incertain, il restait, entrait et sortait sans savoir que faire. Or, un abîme conduit à un autre abîme.
            Après quelques instants, un parent de ce Malchus à qui Pierre avait coupé l’oreille le vit et, le fixant bien en face, dit : « C’est certain, celui-ci est l’un des compagnons du Galiléen ! Tu l’es certainement, ton accent te trahit. Et puis, ne t’ai-je pas vu dans le jardin avec lui, lorsque tu as coupé l’oreille de Malchus ? » Se voyant dans une si mauvaise passe, Pierre ne trouva d’autre échappatoire que de jurer avec serment qu’il ne le connaissait pas. Il n’avait pas encore bien prononcé la dernière syllabe, que le coq chanta pour la deuxième fois.
            Lorsque le coq chanta la première fois, Pierre n’y avait pas fait attention, mais cette deuxième fois, il prêta attention au nombre de ses dénégations, se rappelant la prédiction de Jésus-Christ qu’il voyait s’accomplir exactement. À ce souvenir, il se trouble, il sent toute l’amertume de son cœur, et en tournant son regard vers le bon Jésus, son regard croisa le sien. Ce regard de Christ fut une action muette, mais en même temps un coup de grâce, qui, à la manière d’une flèche acérée, alla le blesser au cœur, non pour lui donner la mort, mais pour lui rendre la vie[10].
            À ce trait de bonté et de miséricorde, secoué comme après un profond sommeil, Pierre sentit son cœur se gonfler et la douleur lui fit verser des larmes. Pour donner libre cours à ses pleurs, il sortit de cet endroit funeste et alla pleurer sa faute, et implora le pardon de la divine miséricorde. L’Évangile nous dit seulement : et egressus Petrus flevit amare (Pierre sortit et pleura amèrement). Le remords de cette chute accompagna le saint Apôtre pendant toute sa vie, et on peut dire que depuis cette heure jusqu’à sa mort, il ne fit que pleurer son péché, en faisant une dure pénitence. On dit qu’il avait toujours sur lui un linge pour s’essuyer les larmes, et que chaque fois qu’il entendait le coq chanter, il sursautait et tremblait, en se rappelant le moment douloureux de sa chute. On dit même que les larmes qui coulaient continuellement lui avaient creusé deux sillons sur les joues. Bienheureux Pierre qui abandonna si vite la faute et en fit une si longue et si dure pénitence ! Bienheureux aussi le chrétien qui, après avoir eu le malheur de suivre Pierre dans la faute, le suit aussi dans le repentir.

CHAPITRE IX. Pierre au sépulcre du Sauveur. — Jésus lui apparaît. — Sur le lac de Tibériade il donne trois signes distincts de son amour pour Jésus qui le constitue effectivement chef et pasteur suprême de l’Église.
            Pendant que le divin Sauveur était traîné devant les divers tribunaux et ensuite conduit au Calvaire pour mourir sur la Croix, Pierre ne le perdit pas de vue, car il désirait voir où allait finir ce lugubre spectacle.
            Bien que l’Évangile ne le dise pas, il y a des raisons de croire qu’il se trouva en compagnie de son ami Jean aux pieds de la croix. Mais après la mort du Sauveur, le bon Pierre, tout humilié par la manière indigne dont il avait répondu au grand amour de Jésus, pensait continuellement à lui, oppressé par le plus amer des chagrins et des regrets.
            Cependant, cette humiliation était précisément ce qui attirait sur Pierre la bienveillance de Jésus. Après sa résurrection, Jésus apparut d’abord à Marie-Madeleine et à d’autres pieuses femmes, car elles seules étaient au sépulcre pour l’embaumer. Après s’être manifesté à elles, il ajouta : « Allez vite, rapportez à mes frères, et en particulier à Pierre, que vous m’avez vu vivant. » Pierre, qui se croyait peut-être déjà oublié par le Maître, en entendant que Jésus lui annonçait à lui personnellement la nouvelle de sa résurrection, se mit à pleurer à chaudes larmes et ne pouvait plus contenir la joie dans son cœur.
            Transporté de joie et du désir de voir le Maître ressuscité, il se mit à courir rapidement vers le mont Calvaire en compagnie de son ami Jean. Leur esprit était agité à ce moment par deux sentiments contraires : l’espoir de voir Jésus ressuscité et la peur que le récit des pieuses femmes ne fût que l’effet de leur imagination, car au début, ils ne comprenaient pas comment il devait vraiment ressusciter. Ils couraient ensemble tous les deux, mais Jean, étant plus jeune et plus agile, arriva au tombeau avant Pierre. Cependant, il n’eut pas le courage d’entrer ; il se pencha un peu à l’entrée et vit les bandelettes dans lesquelles le corps de Jésus avait été enveloppé. Peu après, Pierre arriva également et entra immédiatement dans le sépulcre sans s’arrêter à l’extérieur, soit parce qu’il savait qu’il avait une autorité plus grande, soit parce qu’il avait un caractère plus résolu et plus prompt. Il examina le tombeau dans toutes ses parties en cherchant et en touchant tout partout, mais ne vit rien d’autre que les bandelettes et le suaire roulé à part. Suivant ensuite l’exemple de Pierre, Jean entra lui aussi, et ils furent tous deux d’avis que le corps de Jésus avait été enlevé du tombeau et volé. En effet, tout en désirant ardemment que le divin Maître fût ressuscité, ils ne croyaient pas encore à cette consolante vérité. Après avoir fait leurs observations minutieuses dans le tombeau, les deux Apôtres sortirent et retournèrent là d’où ils étaient partis. Mais ce même jour, Jésus voulut lui-même visiter Pierre en personne pour le consoler par sa présence, et il apparut justement à Pierre avant tous les autres Apôtres.
            Plusieurs fois, le divin Sauveur se manifesta à ses Apôtres après la résurrection pour les instruire et les affermir dans la foi.
            Un jour, pour éviter l’oisiveté et avoir quelque chose à manger, Pierre, Jacques et Jean avec quelques autres disciples allèrent pêcher sur le lac de Tibériade. Ils montèrent tous dans une barque, s’éloignèrent un peu du rivage et jetèrent leurs filets. Ils s’épuisèrent toute la nuit à jeter les filets tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, mais en vain. Déjà le jour se levait et ils n’avaient rien pris. Alors le Seigneur apparut sur le rivage, sans se faire reconnaître, comme s’il voulait acheter des poissons. « Mes enfants, leur dit-il, avez-vous quelque chose à manger ? » « Pueri, numquid pulmentarium habetis ? » « Non, répondirent-ils, nous avons travaillé toute la nuit et nous n’avons rien pris. » Jésus ajouta : « Jetez le filet à droite de la barque et vous en prendrez. » Alors, poussés par un élan intérieur, ou suivant le conseil de Celui qui, à leurs yeux, semblait un pêcheur expérimenté, ils jetèrent le filet. Peu de temps après, ils le trouvèrent rempli de tant et si gros poissons qu’ils purent à peine le tirer dehors. À cette pêche inattendue, Jean se tourna vers celui qui, du rivage, avait donné ce conseil et, ayant reconnu que c’était Jésus, dit immédiatement à Pierre : « C’est le Seigneur. » En entendant ces paroles, Pierre se sentit transporté par son habituel et fervent enthousiasme, et sans autre considération, se jeta à l’eau et nagea jusqu’au rivage pour être le premier à saluer le Divin Maître. Pendant que Pierre s’entretenait familièrement avec Jésus, les autres Apôtres s’approchèrent également en traînant le filet.
          À leur arrivée, ils trouvèrent le feu allumé par la main même du Divin Sauveur et du pain préparé avec du poisson qui rôtissait. Les Apôtres, poussés par le désir de voir le Seigneur, laissèrent tous les poissons dans la barque, de sorte que le Sauveur leur dit : « Apportez ici les poissons que vous avez pris maintenant. » Quand Pierre, qui était en toute chose le plus prompt et le plus obéissant, entendit cet ordre, il monta immédiatement dans la barque et tira à terre tout seul le filet plein de 153 gros poissons.
            Le texte sacré nous avertit que ce fut un miracle que le filet ne se soit pas déchiré, bien qu’il y eût tant de poissons et d’une telle grosseur. Les saints Pères reconnaissent dans ce fait la divine puissance du chef de l’Église, qui, assisté de manière particulière par l’Esprit Saint, guide la barque mystique pleine d’âmes à conduire aux pieds de Jésus-Christ, qui les a rachetées et les attend au ciel.
            Alors Jésus, qui avait lui-même préparé le repas, invita les Apôtres à s’asseoir sur le sable, et distribua à chacun du pain et du poisson qu’il avait grillé. Une fois le repas terminé, Jésus-Christ se remit à discuter avec Saint Pierre et à l’interroger devant ses compagnons de la manière suivante : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » « Oui, répondit Pierre, vous savez que je vous aime. » Jésus lui dit : « Pais mes agneaux. » Puis il lui demanda une autre fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » « Seigneur, répliqua Pierre, vous savez bien que je vous aime. » Jésus répéta : « Pais mes agneaux. » Le Seigneur ajouta : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre, en se voyant interrogé trois fois sur le même sujet, fut fortement troublé ; lui revinrent alors à l’esprit les promesses déjà faites autrefois, et qu’il avait violées, et il craignait que Jésus-Christ ne voie dans son cœur un amour bien plus faible que celui qu’il pensait avoir, et qu’il veuille lui prédire d’autres reniements. Doutant alors de ses propres forces, Pierre répondit avec grande humilité : « Seigneur, vous savez tout, vous savez que je vous aime. » Ces mots signifiaient que Pierre était sûr à ce moment de la sincérité de ses sentiments, mais pas tant pour l’avenir. Jésus, qui connaissait son désir de l’aimer et la franchise de ses sentiments, le consola en disant : « Pais mes brebis. » Par ces mots, le Fils de Dieu accomplissait la promesse faite à Saint Pierre de le constituer prince des Apôtres et pierre fondamentale de l’Église. En effet, les agneaux représentent tous les fidèles chrétiens, dispersés dans les différentes parties du monde, qui doivent être soumis au Chef de l’Église, tout comme le sont les agneaux à l’égard de leur pasteur. Les brebis, quant à elles, représentent les évêques et les autres ministres sacrés, qui donnent le pâturage de la doctrine de Jésus-Christ aux fidèles chrétiens, mais toujours d’accord, toujours unis et soumis au suprême pasteur de l’Église, qui est le Pontife romain, le Vicaire de Jésus-Christ sur terre.
            S’appuyant sur ces paroles de Jésus-Christ, les catholiques de tous les temps ont toujours cru comme vérité de foi que Saint Pierre a été constitué par Jésus-Christ son Vicaire sur terre et chef visible de toute l’Église, et qu’il a reçu de lui la plénitude de l’autorité sur les autres apôtres et sur tous les fidèles. Cette autorité passa aux Pontifes romains, ses successeurs. Cela a été défini comme un dogme de foi au concile de Florence en l’année 1439 dans les termes suivants : « Nous définissons que le Saint-Siège apostolique et le Pontife romain est le successeur du prince des Apôtres, le véritable Vicaire du Christ et le chef de toute l’Église, le maître et père de tous les chrétiens, et qu’à lui, en la personne du bienheureux Pierre, a été donné par notre Seigneur Jésus-Christ le plein pouvoir de paître, gouverner et diriger l’Église universelle. »
            Les saints Pères notent également que le divin Rédempteur a voulu que Pierre dise trois fois publiquement qu’il l’aimait, comme pour réparer le scandale qu’il avait donné en le niant trois fois.

CHAPITRE X. Infaillibilité de S. Pierre et de ses successeurs
            Le divin Sauveur a donné à l’Apôtre Pierre le pouvoir suprême dans l’Église, c’est-à-dire le primat d’honneur et de juridiction, que nous verrons bientôt exercé par lui. Mais afin qu’il puisse exercer convenablement cette suprême autorité en tant que chef de l’Église, Jésus-Christ l’a également doté d’un privilège singulier, à savoir l’infaillibilité. Étant donné que c’est l’une des vérités les plus importantes, je pense qu’il est bon d’ajouter quelque chose en confirmation et en déclaration de la doctrine que l’Église catholique a professée à travers tous les temps concernant ce dogme.
            Tout d’abord, il est nécessaire de comprendre ce que l’on entend par infaillibilité. On entend par là que le Pape, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire en remplissant la fonction de Pasteur ou de Docteur de tous les chrétiens, et qu’il juge des choses concernant la foi ou les mœurs, ne peut, grâce à l’assistance divine, tomber dans l’erreur, donc ni se tromper ni tromper les autres. Il convient donc de noter que l’infaillibilité ne s’étend pas à toutes les actions, à toutes les paroles du Pape ; elle ne lui appartient pas en tant qu’homme privé, mais seulement en tant que Chef, Pasteur, Docteur de l’Église, et lorsqu’il définit une doctrine concernant la foi ou la morale et entend obliger tous les fidèles. De plus, il ne faut pas confondre l’infaillibilité avec l’impeccabilité ; en effet, Jésus-Christ a promis l’infaillibilité à Pierre et à ses successeurs dans leur enseignement, mais il n’a pas voulu leur donner le privilège de l’impeccabilité.
            Cela étant dit, l’une des vérités les plus certaines est justement celle de l’infaillibilité doctrinale, accordée par Dieu au Chef de l’Église. Les paroles de Jésus-Christ ne peuvent faillir, car ce sont des paroles de Dieu. Or, Jésus-Christ a dit à Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle. Je te donnerai les clés du royaume des cieux, et tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié aussi dans les cieux. »
            Selon ces paroles, les portes[11], c’est-à-dire les puissances infernales, parmi lesquelles l’erreur et le mensonge occupent la première place, ne pourront jamais prévaloir ni contre la Pierre, ni contre l’Église qui est fondée sur elle. Mais si Pierre, en tant que Chef de l’Église, se trompait sur des questions de foi et de mœurs, ce serait comme s’il manquait le fondement. S’il venait à manquer, l’édifice, c’est-à-dire l’Église elle-même, s’effondrerait, et ainsi le fondement et la construction devraient être considérés comme vaincus et abattus par les portes infernales. Cela est impossible, après les paroles susmentionnées, sauf à vouloir blasphémer en affirmant que les promesses du divin Fondateur étaient fallacieuses. Chose horrible, non seulement pour les catholiques, mais pour les schismatiques et les hérétiques eux-mêmes.
            De plus, Jésus-Christ a assuré que tout ce que Pierre, en tant que Chef de l’Église, liait ou déliait, approuvait ou condamnait sur terre, serait sanctionné dans le ciel. Mais étant donné que l’erreur ne peut être approuvée dans le ciel, il faut nécessairement admettre que le Chef de l’Église est infaillible dans ses jugements et dans ses décisions en tant que Vicaire de Jésus-Christ ; et donc, en tant que maître et juge de tous les fidèles, il n’approuve et ne condamne que ce qui peut être également approuvé ou condamné dans le ciel. Et cela mène à l’infaillibilité.
            Cette vérité apparaît encore plus clairement dans les paroles que Jésus-Christ a adressées à Pierre lorsqu’il lui a ordonné de confirmer dans la foi les autres Apôtres : « Simon, Simon, lui dit-il, voici que Satan a demandé à vous passer au crible comme on fait avec le blé ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne faiblisse pas ; et toi, quand tu seras revenu, confirme tes frères. » Jésus-Christ prie donc pour que la foi du Pape ne faiblisse pas. Or, il est impossible que la prière du Fils de Dieu ne soit pas exaucée. De plus, Jésus a ordonné à Pierre de confirmer dans la foi les autres pasteurs et à ceux-ci de l’écouter ; mais s’il ne lui avait pas communiqué aussi l’infaillibilité doctrinale, il l’aurait mis en danger de les tromper et de les entraîner dans l’abîme de l’erreur. Peut-on croire que Jésus-Christ ait voulu laisser l’Église et son Chef dans un tel danger ?
            Enfin, après sa Résurrection, le divin Rédempteur a établi Pierre comme Pasteur suprême de son troupeau, c’est-à-dire de son Église, en confiant à ses soins les agneaux et les brebis : « Pais mes agneaux, lui dit-il, pais mes brebis. » Instruis, enseigne les uns et les autres en les guidant vers les pâturages de vie éternelle. Mais si Pierre se trompait en matière de doctrine, soit par ignorance ou par malice,il serait comme un pasteur qui conduit les agneaux et les brebis à des pâturages empoisonnés qui, au lieu de leur donner la vie, leur donnerait la mort. Mais peut-on supposer que Jésus-Christ, qui a donné tout son être pour sauver ses brebis, ait voulu établir un pasteur semblable ?
            Ainsi donc, selon l’Évangile, l’Apôtre Pierre a reçu le don de l’infaillibilité :
            I. Parce qu’il est la Pierre fondamentale de l’Église de Jésus-Christ ;
            II. Parce que ses jugements doivent être confirmés aussi dans le ciel ;
            III. Parce que Jésus-Christ a prié pour son infaillibilité, et sa prière ne peut faillir ;
            IV. Parce qu’il doit confirmer dans la foi, paître et gouverner non seulement les simples fidèles, mais aussi les pasteurs eux-mêmes.
            Il est utile maintenant d’ajouter qu’avec l’autorité suprême sur toute l’Église, le don de l’infaillibilité est passé de Pierre à ses successeurs, c’est-à-dire aux Papes romains.
            Cela aussi est une vérité de foi.
            Jésus-Christ, comme nous l’avons vu, a donné un pouvoir plus grand à Saint Pierre et l’a doté de l’infaillibilité, afin de veiller à l’unité et à l’intégrité de la foi chez ses disciples. « Parmi les douze, l’un d’eux est élu, affirme le grand docteur Saint Jérôme, afin que la désignation d’un Chef supprime toute occasion de schisme : Inter duodecim unus eligitur, ut, capite constituto, schismatis tolleretur occasio.[12] » Saint Cyprien a écrit que « le primat est conféré à Pierre afin que l’Église montre qu’elle est une, et une est la chaire de vérité.[13]« 
            Ceci étant posé, disons que le besoin d’unité et de vérité n’existait pas seulement à l’époque des Apôtres, mais aussi dans les siècles suivants. En fait, ce besoin s’est accru avec l’expansion de l’Église elle-même et avec la disparition des Apôtres, dotés par Jésus-Christ de dons extraordinaires pour la promulgation de l’Évangile. Dans l’intention du divin Sauveur, en effet, l’autorité et l’infaillibilité du premier Pape ne devaient pas cesser à sa mort, mais se transmettre à un autre, en se perpétuant ainsi dans l’Église.
            Cette transmission apparaît très clairement surtout dans les paroles de Jésus-Christ à Pierre, par lesquelles il l’établissait comme base et fondement de l’Église. Il est manifeste que le fondement doit durer aussi longtemps que l’édifice, qui ne peut subsister sans cela. Mais l’édifice, qui est l’Église, doit durer jusqu’à la fin du monde, Jésus ayant promis lui-même d’être avec son Église jusqu’à la consommation des siècles : « Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » Donc, le fondement qui est Pierre doit durer jusqu’à la consommation des siècles. Mais puisque Pierre est mort, l’autorité et l’infaillibilité doivent encore subsister en quelqu’un d’autre. Elles subsistent en fait dans ses successeurs sur le Siège de Rome, c’est-à-dire dans les Pontifes romains. Par conséquent, on peut dire que Pierre vit encore et juge dans ses successeurs. C’est ainsi, en effet, que s’exprimaient les légats du Siège Apostolique, aux applaudissements du Concile général d’Éphèse en l’an 431 : « Qui vit et exerce le jugement jusqu’à ce moment, et toujours dans ses successeurs. »
            Pour cette raison, dès les premiers siècles de l’Église, quand surgissaient des questions religieuses, on faisait appel à l’Église de Rome, et ses décisions et ses jugements étaient considérés comme règle de foi. Il suffit de rappeler pour preuve les paroles écrites par Saint Irénée, Évêque de Lyon, mort martyr en l’an 202 : « Pour confondre tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, par vaine gloire, par cécité ou par malice, se rassemblent en conciliabules, il suffira de leur indiquer la tradition et la foi que la plus grande et la plus ancienne de toutes les églises, l’Église connue dans le monde entier, l’Église romaine, fondée et constituée par les glorieux Apôtres Pierre et Paul, a annoncées aux hommes et transmises jusqu’à nous par le moyen de la succession de ses évêques. En effet, à cette Église, en raison de son prééminent principat, doit recourir chaque Église, c’est-à-dire tous les fidèles, d’où qu’ils soient.[14]« 
            Pour ce qui est de l’infaillibilité du Pape, nous savons que certains hérétiques, dont les protestants et les soi-disant vieux catholiques, la nient en disant que seul Dieu est infaillible.
            Nous ne nions pas que Dieu seul est infaillible par nature, mais nous disons qu’il peut accorder le don de l’infaillibilité même à un homme en l’assistant de telle manière qu’il ne se laisse pas abuser. Dieu seul peut faire de véritables miracles ; et pourtant, nous savons par la Sainte Écriture que de nombreux hommes en ont fait, et des miracles stupéfiants. Ils les ont opérés non par leur propre vertu, mais par la vertu divine qui leur a été communiquée. Ainsi, le Pape n’est pas infaillible par nature, mais par la vertu de Jésus-Christ qui l’a voulu ainsi pour le bien de l’Église.
            D’ailleurs, les protestants et leurs partisans, qui croient encore à l’Évangile, ne doivent pas faire autant de bruit, parce que nous, catholiques, nous tenons pour infaillible un homme lorsqu’il fait office de docteur suprême et universel. Ils croient en effet avec nous, sans penser faire tort à Dieu, qu’il y en a au moins quatre, à savoir les Évangélistes Matthieu, Marc, Luc et Jean, qui sont infaillibles. En fait, ils considèrent comme infaillibles tous les écrivains sacrés tant du Nouveau que de l’Ancien Testament. Or, si l’on peut, et même on doit, croire à l’infaillibilité de ces hommes qui nous ont transmis par écrit la parole de Dieu, qu’est-ce qui peut nous empêcher de croire à l’infaillibilité d’un autre homme destiné à la conserver intacte et à l’expliquer au nom de Dieu lui-même ?
            La raison elle-même nous suggère qu’il est tout à fait convenable que Jésus-Christ accorde le don de l’infaillibilité à son Vicaire, au Docteur de tous les fidèles. Et quoi ? Si un père sage et aimant a des enfants à instruire, n’est-il pas vrai qu’il choisit le maître le plus savant et le plus sage qu’il puisse trouver ? N’est-il pas vrai aussi que, si ce père pouvait donner à ce maître le don de ne jamais tromper son fils, par ignorance ou par malice, il le lui communiquerait de tout cœur ? Or, tous les hommes, en particulier les chrétiens, sont les enfants de Dieu ; le Pape est leur grand Maître choisi par lui. Or, Dieu pouvait lui conférer le don de ne jamais tomber dans l’erreur lorsqu’il les instruit. Qui donc peut raisonnablement admettre que ce merveilleux Père n’ait pas fait ce que nous ferions nous, misérables ?
            Dans tous les siècles, tous les vrais catholiques ont toujours cru en l’infaillibilité du successeur de Pierre. Mais en ces derniers temps se sont levés certains hérétiques pour la contester, et même, en raison de l’absence d’une définition expresse, certains catholiques mal avisés en ont également profité pour la mettre en doute. C’est pourquoi, le 18 juillet 1870, le Concile du Vatican, composé de plus de 700 Évêques présidés par l’immortel Pie IX, a voulu prémunir les fidèles contre toute erreur en définissant solennellement en ces termes l’infaillibilité pontificale comme un dogme de foi : « Nous déclarons que le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire en remplissant la fonction de Pasteur et de Docteur de tous les chrétiens, et définit par son autorité apostolique suprême une doctrine sur la foi et les mœurs à tenir par toute l’Église, jouit, en raison de l’assistance divine qui lui a été promise en la personne du Bienheureux Pierre, de l’infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu doter son Église dans la définition des doctrines concernant la foi et les mœurs. Par conséquent, ces décisions du Pape romain sont irréformables en elles-mêmes, et non avec le consentement de l’Église. Si quelqu’un ose contredire cette définition, qu’il soit excommunié. »
            Après cette définition, quiconque nie l’infaillibilité pontificale commet une grave désobéissance à l’Église, et s’il persiste dans son erreur, il n’appartient plus à l’Église de Jésus-Christ, et nous devrions l’éviter comme hérétique. « Celui qui n’écoute pas l’Église, dit l’Évangile, qu’il soit pour toi comme un païen et un publicain, » c’est-à-dire excommunié.

CHAPITRE XI. Jésus prédit à S. Pierre la mort sur la croix. — Il promet assistance à l’Église jusqu’à la fin du monde. — Retour des Apôtres au cénacle. An 33 de J.-C.
            Quand S. Pierre comprit que les questions répétées du Sauveur n’étaient pas un présage de chute, mais la confirmation de la haute autorité qui lui avait été promise, il fut consolé. Et comme Jésus savait que Pierre tenait beaucoup à glorifier son divin Maître, il voulut lui prédire le genre de supplice par lequel il terminerait sa vie.
            C’est pourquoi, immédiatement après les trois déclarations d’amour qu’il lui avait faites, il commença à lui parler ainsi : « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, un autre, c’est-à-dire le bourreau, te ceindra, c’est-à-dire te liera, et tu étendras les mains et il te conduira où tu ne veux pas. » Par ces mots, dit l’Évangile, il signifiait de quelle mort Pierre glorifiera Dieu, c’est-à-dire en étant attaché à une croix et en recevant la couronne du martyre. En voyant que Jésus lui donnait une autorité suprême et lui prédisait le martyre à lui seul, Pierre se montra curieux de savoir ce qu’il adviendra de son ami Jean et dit : « Et celui-ci, que deviendra-t-il ? » À quoi Jésus répondit : « Que t’importe ? Si je veux qu’il demeure jusqu’à mon retour, à toi qu’importe ? Toi, fais ce que je te dis et suis-moi. » Alors Pierre adora les décrets du Sauveur et n’osa plus poser d’autres questions à ce sujet.
            Jésus-Christ apparut plusieurs fois à Saint Pierre et aux autres Apôtres. Un jour, il se manifesta sur une montagne où plus de 500 disciples étaient présents. À une autre occasion, après leur avoir fait connaître le pouvoir suprême et absolu qu’il avait dans le ciel et sur la terre, il conféra à S. Pierre et à tous les Apôtres le pouvoir de remettre les péchés en disant : « Comme mon Père m’a envoyé, ainsi je vous envoie. Recevez l’Esprit Saint : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis ; quorum retinueritis, retenta sunt. Allez, prêchez l’Évangile à toutes les créatures ; enseignez-les et baptisez-les au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Qui croira et recevra le baptême sera sauvé, qui ne croira pas sera condamné. J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour le moment vous ne pouvez pas les comprendre. Mais l’Esprit Saint, que je vous enverrai dans quelques jours, vous enseignera toutes choses. Ne perdez pas courage. Vous serez conduits devant les tribunaux, devant les magistrats et même les rois. Ne vous inquiétez pas de ce que vous devrez répondre ; l’Esprit de vérité, que le Père céleste vous enverra en mon nom, mettra les mots dans votre bouche et vous suggérera toutes choses. Toi, Pierre, et vous tous, mes Apôtres, ne pensez pas que je vous laisse orphelins ; non, je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des siècles : Et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem saeculi. »
            Il dit encore beaucoup de choses à ses Apôtres. Puis, le quarantième jour après sa résurrection, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem jusqu’à la venue de l’Esprit Saint et les conduisit sur le mont des Oliviers. Là, il les bénit et commença à s’élever en hauteur. Au même moment, une nuée resplendissante apparut qui l’entoura et l’enleva à leur regard.
            Les Apôtres avaient encore les yeux tournés vers le ciel, comme ceux qui sont ravis en une douce extase, lorsque deux Anges en apparence humaine, magnifiquement vêtus, s’approchèrent et dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ici à regarder le ciel ? Ce Jésus, qui s’éloigne maintenant de vous et monte au ciel, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’élever. » Cela dit, ils disparurent. Alors cette pieuse troupe quitta le mont des Oliviers et rentra à Jérusalem pour attendre la venue de l’Esprit Saint, selon le commandement du divin Sauveur.

CHAPITRE XII. S. Pierre remplace Judas. — Venue de l’Esprit Saint. — Miracle des langues. An 33 de J.-C.
            Nous avons jusqu’à présent considéré Pierre seulement dans sa vie privée, mais bientôt nous le verrons parcourir une carrière beaucoup plus glorieuse, après avoir reçu les dons de l’Esprit Saint. Observons maintenant comment il commença à exercer l’autorité de Souverain Pontife, dont il avait été investi par Jésus-Christ.
            Après l’ascension du divin Maître, S. Pierre, les Apôtres et de nombreux autres disciples se retirèrent dans le cénacle, qui était une habitation située sur la partie la plus élevée de Jérusalem, appelée mont Sion. Là, au nombre d’environ 120 personnes, avec Marie, la Mère de Jésus, ils passaient leurs journées en prière, attendant la venue de l’Esprit Saint.
            Un jour, pendant les fonctions sacrées, Pierre se leva au milieu d’eux, imposa le silence avec la main, et dit : « Frères, il est nécessaire que s’accomplisse ce que l’Esprit Saint a prédit par la bouche du prophète David au sujet de Judas, qui fut le guide de ceux qui arrêtèrent le Divin Maître. Comme vous, il avait été élu au même ministère ; mais il a prévariqué, et avec le prix de ses iniquités, il a acheté un champ ; et il s’est pendu, se déchira par le milieu en versant ses entrailles sur la terre. Le fait est connu de tous les habitants de Jérusalem, et ce champ reçut le nom de Haceldama, c’est-à-dire champ du sang. Or, il a été écrit à son sujet dans le livre des Psaumes : Que sa demeure devienne déserte, et qu’il n’y ait personne qui y habite ; et qu’un autre prenne sa charge[15]. C’est pourquoi il est nécessaire que parmi ceux qui ont été avec nous tout le temps que Jésus-Christ a demeuré avec nous, depuis le baptême de Jean jusqu’à ce jour où, s’éloignant de nous, il est monté au ciel, il est nécessaire, dis-je, qu’on en choisisse un parmi eux, qui soit avec nous témoin de sa résurrection pour l’œuvre à laquelle nous sommes envoyés. »
            Tous accueillirent en silence les paroles de Pierre, car tous le considéraient comme le chef de l’Église, élu par Jésus-Christ pour remplir ses fonctions sur la terre. On en présenta deux, à savoir Joseph, appelé aussi Barsabbas (qui avait pour surnom le Juste), et Matthias. Reconnaissant que tous deux étaient égaux en mérite et en vertu, les saints électeurs remirent le choix à Dieu. S’étant prosternés, ils se mirent à prier ainsi : « Seigneur, vous qui connaissez le cœur de tous, montrez-nous lequel des deux vous avez élu pour occuper la place de Judas le prévaricateur. » Dans ce cas, on jugea bon d’utiliser le sort en plus de la prière pour connaître la volonté de Dieu. Actuellement, l’Église n’utilise plus ce moyen, ayant de nombreuses autres voies pour reconnaître ceux qui sont appelés au ministère de l’autel. Ils jetèrent donc le sort et celui-ci tomba sur Matthias, qui fut compté parmi les autres onze Apôtres, et occupa ainsi la douzième place restée vacante.
            C’est là le premier acte d’autorité Pontificale exercée par S. Pierre, autorité non seulement d’honneur, mais de juridiction, telle qu’elle a été exercée en tout temps par les Papes qui lui ont succédé.
            Nous avons considéré en Pierre une foi vive, une humilité profonde, une obéissance prompte, une charité fervente et généreuse. Mais ces belles qualités étaient encore bien loin de le mettre en mesure d’exercer le grand ministère auquel il était destiné. Il devait vaincre l’obstination des Juifs, détruire l’idolâtrie, convertir des hommes adonnés à tous les vices, et établir sur toute la terre la foi en un Dieu crucifié. Le don de la force, dont Pierre avait besoin pour une si grande entreprise, était réservé à une grâce spéciale de l’Esprit Saint, qui devait descendre sur lui, pour éclairer son esprit et enflammer son cœur par un prodige inouï.
            Cet événement miraculeux est rapporté par les Livres Saints comme suit. C’était le jour de la Pentecôte, c’est-à-dire le cinquantième jour après la résurrection de Jésus-Christ, le dixième depuis que Pierre était au cénacle en prière avec les autres disciples. Soudain, à la troisième heure, vers neuf heures du matin, on entendit sur le mont Sion un grand bruit semblable au tonnerre accompagné d’un vent violent. Ce vent envahit la maison où se trouvaient les disciples et la remplit de tous côtés. Pendant que chacun réfléchissait à la cause de ce bruit, voici qu’apparurent des flammes qui allaient se poser sur la tête de chacun des présents comme des langues de feu. Ces flammes étaient le symbole du courage et de la charité enflammée avec lesquels les Apôtres s’apprêtaient à prêcher l’Évangile.
            À cet instant, Pierre devint un homme nouveau ; il fut éclairé à tel point qu’il connut les plus hauts mystères, et éprouva en lui-même un courage et une force tels que les plus grandes entreprises lui semblaient insignifiantes.
            Ce jour-là, les Juifs célébraient une grande fête à Jérusalem, et très nombreux étaient ceux qui étaient accourus de toutes les parties du monde. Certains d’entre eux parlaient latin, d’autres grec, d’autres égyptien, arabe, syriaque, d’autres encore persan, et ainsi de suite.
            Au bruit du vent violent, une multitude de gens de langues et de nations diverses courut autour du cénacle, pour savoir ce qui s’était passé. À cette vue, les Apôtres sortirent et s’approchèrent d’eux pour parler.
            C’est alors que commença un miracle jamais entendu jusque-là. En effet, les Apôtres, des rustres au plan humain au point qu’ils savaient à peine la langue du pays, se mirent à parler des grandeurs de Dieu dans les langues de tous ceux qui étaient accourus. Un tel fait remplit les auditeurs d’une grande stupéfaction ;  ne sachant comment expliquer ce phénomène, ils se disaient les uns aux autres : « Qu’est-ce que cela ? »

CHAPITRE XIII. Première prédication de Pierre. An 33 de J.-C.
            Alors que la plupart admirait l’intervention de la puissance divine, il y avait là aussi quelques malveillants, habitués à mépriser toute chose sainte ; ne sachant plus que dire, ils disaient que les Apôtres étaient ivres. C’était une véritable sottise ridicule, car l’ivresse ne fait pas parler une langue inconnue, mais fait oublier ou maltraiter sa propre langue. C’est alors que Saint Pierre, plein d’une sainte ardeur, commença à prêcher Jésus-Christ pour la première fois.
            Au nom de tous les autres Apôtres, il s’avança devant la multitude, leva la main, imposa silence et commença à parler : « Hommes de Judée et vous tous qui habitez Jérusalem, ouvrez les oreilles à mes paroles et vous serez éclairés sur cet événement. Ces hommes ne sont pas du tout ivres comme vous le pensez, car nous ne sommes qu’à la troisième heure du matin, à laquelle nous avons l’habitude d’être à jeun. Bien différente est la cause de ce que vous voyez. Aujourd’hui s’est réalisée chez nous la prophétie du prophète Joël, qui a dit ceci : « Il arrivera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai mon Esprit sur les hommes ; et vos fils et vos filles prophétiseront ; vos jeunes auront des visions et vos vieux des rêves. En effet, ces jours-là, je répandrai mon esprit sur mes serviteurs et mes servantes, et ils deviendront prophètes, et je ferai des prodiges dans le ciel et sur la terre. Et il arrivera que quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ». »
            « Maintenant, continua Pierre, écoutez, fils de Jacob. Le Seigneur, au nom de qui celui qui croira sera sauvé, est ce Jésus de Nazareth, cet homme grand à qui Dieu rendait témoignage par une multitude de miracles qu’il a opérés, comme vous l’avez vu vous-mêmes. Vous avez fait mourir cet homme par la main des impies et ainsi, sans le savoir, vous avez servi les décrets de Dieu, qui voulait sauver le monde par sa mort. Mais Dieu l’a ressuscité des morts, comme l’avait prédit le prophète David en disant : « Tu ne me laisseras pas dans le tombeau, tu ne permettras pas que ton saint soit soumis à la corruption ». »
            « Notez bien, ajouta Pierre, notez, ô Juifs, que David ne voulait pas parler de lui, car vous savez bien qu’il est mort et que son tombeau est resté parmi nous jusqu’à ce jour ; mais étant prophète et sachant que Dieu lui avait promis par serment que de sa descendance naîtrait le Messie, il prophétisa aussi sa résurrection, disant qu’il ne serait pas laissé dans le sépulcre et que son corps ne connaîtrait pas la corruption. Celui-là donc est Jésus de Nazareth, que Dieu a ressuscité des morts, celui dont nous sommes les témoins. Oui, nous l’avons vu revenu à la vie, nous l’avons touché et avons mangé avec lui. »
            « Ayant été élevé au ciel par la puissance du Père et ayant reçu de lui l’autorité d’envoyer l’Esprit Saint, il a tenu sa promesse en envoyant sur nous cet Esprit divin, dont vous voyez en nous une preuve si manifeste. Que Jésus soit monté au ciel, David lui-même le dit en ces termes : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis sous tes pieds ». Or, vous savez bien que David n’est pas monté au ciel pour régner. C’est Jésus-Christ qui est monté au ciel ; c’est donc à lui, et non à David, que ces paroles étaient adressées. Que tout le peuple d’Israël sache donc que ce Jésus que vous avez crucifié a été établi par Dieu Seigneur de toutes choses, roi et Sauveur de son peuple, et personne ne peut être sauvé sans avoir foi en lui. »
            Cette prédication de Pierre aurait dû endurcir l’esprit de ses auditeurs, à qui il reprochait l’énorme délit commis contre la personne du divin Sauveur. Mais c’était Dieu qui parlait par la bouche de son ministre, et c’est pourquoi sa prédication produisit des effets merveilleux. Aussi, agités comme par un feu intérieur, effet de la grâce de Dieu, ils s’écriaient de tous côtés avec un cœur véritablement contrit : « Que devons-nous faire ? » Voyant que la grâce du Seigneur opérait dans leurs cœurs et qu’ils croyaient déjà en Jésus-Christ, S. Pierre leur dit : « Faites pénitence et que chacun reçoive le baptême au nom de Jésus-Christ ; ainsi vous obtiendrez la rémission des péchés et recevrez l’Esprit Saint. »
            L’Apôtre continua à instruire cette multitude, encourageant tous à avoir confiance dans la miséricorde et la bonté de Dieu, qui désire le salut des hommes. Le fruit de cette première prédication correspondait à l’ardente charité du prédicateur. Environ 3 000 personnes se convertirent à la foi de Jésus-Christ et furent baptisées par les Apôtres. Ainsi commençaient à s’accomplir les paroles du Sauveur lorsqu’il dit à Pierre que dorénavant il ne serait plus pêcheur de poissons, mais pêcheur d’hommes. Saint Augustin nous assure que Saint Étienne, le protomartyr, fut converti lors de cette prédication.

CHAPITRE XIV. S. Pierre guérit un boiteux. — Son deuxième sermon. An 33 de J.-C.
            Peu après cette prédication, à la neuvième heure, c’est-à-dire à trois heures de l’après-midi, Pierre et son ami Jean voulurent remercier Dieu des bienfaits reçus en se rendant au temple ensemble pour prier. Arrivés à une porte du temple appelée « Belle », ils trouvèrent un homme qui boitait des deux pieds depuis sa naissance. Comme il ne pouvait pas se tenir debout, on l’avait transporté là où, pour vivre, il demandait l’aumône à ceux qui venaient dans le lieu saint. Lorsqu’il vit les deux Apôtres près de lui, le malheureux leur demanda la charité, comme il le faisait avec tous. Pierre, inspiré par Dieu, le regarda fixement et lui dit : « Regarde vers nous. » Il regarda, et dans l’espoir d’avoir quelque chose, il ne clignait pas des yeux. Alors Pierre lui dit : « Écoute, ami, je n’ai ni or ni argent à te donner ; ce que j’ai, je te le donne. Au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et marche. » Puis il le prit par la main afin de le relever, comme il avait vu faire par le divin Maître dans des cas similaires. Alors le boiteux sentit ses jambes se renforcer, ses nerfs se raffermir et acquérir des forces comme n’importe quel autre homme en meilleure santé. Se sentant guéri, il fit un saut, se mit à marcher et, sautillant de joie et louant Dieu, entra avec les deux Apôtres dans le temple. Toute la foule, qui avait été témoin du fait et voyait le boiteux marcher par lui-même, ne pouvait que reconnaître dans cette guérison un véritable miracle. Le langage des faits est plus efficace que celui des mots. C’est pourquoi, quand la foule apprit que c’était S. Pierre qui avait rendu la santé à ce misérable, elle se pressa autour de lui et de Jean, désirant tous admirer de leurs propres yeux celui qui savait faire des œuvres si merveilleuses.
            C’est là le premier miracle opéré par les Apôtres après l’Ascension de Jésus-Christ, et il convenait qu’il fût fait par Pierre, car il tenait le premier rang dans l’Église. Mais quand Pierre se vit entouré d’une si grande foule, il estima que c’était une belle occasion de rendre à Dieu la gloire qui lui était due et de glorifier en même temps Jésus-Christ, car c’est en son nom que le prodige avait été opéré.
            « Fils d’Israël, leur dit-il, pourquoi vous émerveiller de ce fait ? Pourquoi fixez-vous si intensément les yeux sur nous, comme si c’était par notre vertu que nous avons fait marcher cet homme ? Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son Fils Jésus, ce Jésus que vous avez trahi et renié devant Pilate, qui voulait le relâcher comme innocent. Vous avez donc eu l’audace de renier le Saint et le Juste, et vous avez demandé que soit libéré de la mort Barabbas, voleur et meurtrier, et en reniant le Juste, le Saint, et l’auteur de la vie, vous l’avez fait mourir. Mais Dieu l’a ressuscité des morts, et nous en sommes témoins, car nous l’avons vu plusieurs fois, nous l’avons touché et avons mangé avec lui. Maintenant, en vertu de son nom, par la foi qui vient de lui, cet infirme que vous voyez et connaissez a été guéri ; c’est Jésus qui l’a rendu en parfaite santé devant vous tous. Je sais bien que votre délit et celui de vos chefs, bien qu’il n’ait pas d’excuse suffisante, a été commis par ignorance. Mais Dieu, qui avait fait prédire par ses prophètes que le Messie devait souffrir, a permis que vous puissiez vérifier cela sans le vouloir, de sorte que le décret de la miséricorde de Dieu a eu son accomplissement. Rentrez donc en vous-mêmes et faites pénitence, afin que vos péchés soient effacés et que vous puissiez ensuite vous présenter avec l’assurance de votre salut devant le tribunal de ce même Jésus-Christ que je vous ai prêché, et devant qui nous devrons tous être jugés.
            « Tout ceci, poursuivit Pierre, a été prédit par Dieu ; croyez donc à ses prophètes et parmi tous croyez à Moïse, qui est le plus grand d’entre eux. Que dit-il ? « Le Seigneur, dit Moïse, fera surgir un prophète comme moi, et vous croirez en tout ce qu’il vous dira. Quiconque n’écoutera pas ce que dit ce prophète sera éliminé de son peuple. »
            « C’est ce que disait Moïse et il parlait de Jésus. Après Moïse, à commencer par Samuel, tous les prophètes qui sont venus ont prédit ce jour et les événements qui se sont produits. Toutes ces choses et les grandes bénédictions qui ont été prédites vous appartiennent. Vous êtes les fils des prophètes, des promesses et des alliances que Dieu fit déjà avec nos pères en disant à Abraham, qui est la souche de la descendance des justes : « En toi et dans ta postérité seront bénies toutes les générations du monde. » Il parlait du Rédempteur, de ce Jésus Fils de Dieu descendant d’Abraham ; ce Jésus que Dieu a ressuscité des morts et qui nous commande de vous prêcher sa parole avant de la prêcher à tout autre peuple, vous apportant par notre intermédiaire la promesse bénie, afin que vous vous convertissiez de vos péchés et ayez la vie éternelle. »
            Cette deuxième prédication de S. Pierre fut suivie de très nombreuses conversions à la foi. Cinq mille hommes demandèrent le baptême, si bien que le nombre des convertis après ces deux seules prédications s’élevait déjà à huit mille personnes, sans compter les femmes et les enfants.

CHAPITRE XV. Pierre est mis en prison avec Jean, puis est libéré.
            L’ennemi du genre humain, qui voyait son royaume se détruire, chercha à susciter une persécution contre l’Église dès son commencement. Pendant que Pierre prêchait, arrivèrent les prêtres, les magistrats du temple et les sadducéens, qui niaient la résurrection des morts. Ceux-ci se montraient extrêmement furieux parce que Pierre prêchait au peuple la résurrection de Jésus-Christ.
            Impatients et pleins de colère, ils interrompirent le discours de Pierre, lui mirent les mains dessus et le conduisirent avec Jean en prison, avec l’intention de discuter avec l’un et l’autre le jour suivant. Mais craignant les protestations du peuple, ils ne leur firent aucun mal.
            Le jour venu, tous les principaux de la ville se rassemblèrent, c’est-à-dire que toutes les autorités de la nation se réunirent en conseil pour juger les deux Apôtres, comme s’ils étaient les plus scélérats et les plus redoutables hommes du monde. Au milieu de cette imposante assemblée, on fit entrer Pierre et Jean, et avec eux le boiteux qu’ils avaient guéri.
            On leur posa solennellement cette question : « Avec quel pouvoir et au nom de qui avez-vous guéri ce boiteux ? » Alors Pierre, rempli de l’Esprit Saint, avec un courage vraiment digne du chef de l’Église, commença à parler de la manière suivante :
            « Princes du peuple, et vous docteurs de la loi, écoutez. Si en ce jour on nous accuse et qu’on nous fait un procès pour une œuvre bonne comme la guérison de cet infirme, sachez tous, et que tout le peuple d’Israël le sache, que celui que vous voyez ici en votre présence, sain et sauf, a obtenu la santé au nom du Seigneur Jésus de Nazareth, celui-là même que vous avez crucifié et que Dieu a fait ressusciter de la mort à la vie. C’est lui la pierre de l’édifice que vous avez rejetée et qui est maintenant devenue la Pierre angulaire. Nul ne peut avoir le salut en dehors de lui, et il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes en dehors de celui-ci, par lequel on puisse avoir le salut. »
            Cette parole franche et résolue du prince des Apôtres produisit une profonde impression dans l’âme de tous ceux qui composaient l’assemblée, au point que, admirant le courage et l’innocence de Pierre, ils ne savaient à quel parti se rallier. Ils voulaient les punir, mais le grand crédit que le miracle opéré peu auparavant leur avait fait acquérir dans toute la ville faisait craindre de fâcheuses conséquences.
            Cependant, voulant prendre une décision, ils firent sortir les deux Apôtres du conseil et convinrent de leur interdire, sous des peines très sévères, de ne plus jamais parler à l’avenir des choses passées, ni de jamais plus nommer Jésus de Nazareth, afin qu’on en vienne même à perdre son souvenir. Mais il est écrit que les efforts des hommes sont inutiles lorsqu’ils sont contraires à la volonté de Dieu.
            Lorsque les deux Apôtres furent ramenés au milieu du conseil, ils entendirent cette sévère menace, mais loin de s’effrayer, avec une fermeté et une constance plus grandes qu’auparavant, Pierre répondit :
            « Eh bien, décidez vous-mêmes s’il est juste et raisonnable d’obéir à vous plutôt qu’à Dieu. Nous ne pouvons pas ne pas révéler ce que nous avons entendu et vu. »
            Alors ces juges, de plus en plus confus, ne sachant ni que répondre ni que faire, prirent la résolution de les renvoyer cette fois-ci sans les punir, leur interdisant seulement de ne plus prêcher Jésus de Nazareth.
            À peine laissés libres, Pierre et Jean allèrent immédiatement trouver les autres disciples, qui étaient en grande inquiétude à cause de leur emprisonnement. Mais lorsqu’ils entendirent le récit de ce qui s’était passé, chacun remercia Dieu, le priant de vouloir donner force et vertu pour prêcher la divine parole face à n’importe quel danger.
            Si les chrétiens d’aujourd’hui avaient tous le courage des fidèles des premiers temps et de surmonter toute forme de respect humain en professant sans peur leur foi, on ne verrait certainement pas tant de mépris pour notre sainte religion, et peut-être beaucoup de ceux qui cherchent à tourner en dérision la religion et les ministres sacrés seraient contraints de la vénérer ainsi que ses ministres.

CHAPITRE XVI. Vie des premiers Chrétiens. — Le fait d’Ananie et Saphire. — Miracles de S. Pierre. An 34 de Jésus-Christ.
            Grâce aux prédications de S. Pierre et au zèle des autres Apôtres, le nombre des fidèles avait considérablement augmenté.
            Aux jours fixés, ils se rassemblaient pour les fonctions sacrées. Et la Sainte Écriture dit précisément que ces fidèles étaient persévérants dans la prière, dans l’écoute de la parole de Dieu et dans la réception fréquente de la sainte communion, au point qu’ils formaient tous un seul cœur et une seule âme pour aimer et servir Dieu Créateur.
            Beaucoup d’entre eux, désireux de détacher entièrement leur cœur des biens de la terre et de penser uniquement au ciel, vendaient leurs biens et les apportaient aux pieds des Apôtres, afin qu’ils en fassent le meilleur usage en faveur des pauvres. La Sainte Écriture fait un éloge spécial d’un certain Joseph, surnommé Barnabé, qui fut ensuite le fidèle compagnon de S. Paul Apôtre. Celui-ci vendit un champ qu’il possédait et en apporta généreusement le prix entier aux Apôtres. Beaucoup, suivant son exemple, se disputaient pour donner signe de leur détachement des choses terrestres, de sorte qu’en peu de temps ces fidèles formaient une seule famille, dont Pierre était le chef visible. Parmi eux, il n’y avait pas de pauvres, car les riches partageaient leurs biens avec les nécessiteux.
            Cependant, même en ces temps heureux, il y eut des fraudeurs, guidés par un esprit d’hypocrisie, qui tentèrent de tromper S. Pierre et de mentir à l’Esprit Saint. Ce qui eut les conséquences les plus funestes. Voici comment le texte sacré nous expose le terrible événement.
            Un certain Ananie et sa femme Saphire firent à Dieu la promesse de vendre un de leurs biens et, comme les autres fidèles, d’en apporter le prix aux Apôtres afin qu’ils le distribuent selon les divers besoins. Ils exécutèrent ponctuellement la première partie de la promesse, mais l’amour de l’or les conduisit à violer la seconde.
            Ils étaient libres de garder leur champ ou son prix, mais ayant fait la promesse, ils étaient obligés de la maintenir, car les choses consacrées à Dieu ou à l’Église deviennent sacrées et inviolables.
            S’étant mis d’accord entre eux, ils retinrent pour eux une partie de la somme et apportèrent l’autre à S. Pierre, avec l’intention de lui faire croire que c’était la somme entière tirée de la vente. Pierre eut une révélation spéciale de la tromperie et dès qu’Ananie comparut devant lui, sans lui laisser le temps de prononcer un mot, il se mit à le réprimander sur un ton d’autorité en disant : « Pourquoi t’es-tu laissé séduire par l’esprit de Satan jusqu’à mentir à l’Esprit Saint, en retenant une partie du prix de ton champ ? N’était-il pas ta propriété avant de le vendre ? Et après l’avoir vendu, est-ce que toute la somme reçue n’était pas à ta disposition ? Pourquoi donc as-tu conçu ce malheureux dessein ? Sache bien que tu as menti non pas aux hommes, mais à Dieu. » À ce ton de voix, à ces paroles, Ananie tomba mort sur-le-champ, comme frappé par la foudre.
            À peine trois heures plus tard, Saphire vint également se présenter à Pierre, sans rien savoir de la malheureuse fin de son mari. L’Apôtre eut plus de compassion pour elle et voulut lui donner le temps de se repentir en lui demandant si cette somme était le produit entier de la vente de ce champ. La femme, avec une intrépidité et une audace égales à celles d’Ananie, confirma par un autre mensonge le mensonge de son mari. Reprise par S. Pierre avec le même zèle et la même force, elle tomba également sur-le-champ et expira. Il est bon d’espérer qu’un tel châtiment temporel aura contribué à leur épargner le châtiment éternel dans l’autre vie. Ce châtiment exemplaire était nécessaire pour inculquer la vénération pour le christianisme à tous ceux qui venaient à la foi et pour enseigner le respect envers le prince des Apôtres, et aussi pour donner un exemple de la manière terrible dont Dieu punit le parjure et nous enseigner à être fidèles aux promesses faites à Dieu.
            Ce fait, conjointement avec les nombreux miracles que Pierre opérait, fit que les fidèles redoublaient de ferveur et que la renommée de ses vertus s’étendait de plus en plus.
            Tous les Apôtres opéraient des miracles. Un malade qui avait été en contact avec l’un des Apôtres était immédiatement guéri. S. Pierre se distinguait cependant au-dessus de tous les autres. La confiance que tous avaient en lui et en ses vertus était telle que de toutes parts, même de pays lointains, on venait à Jérusalem pour être témoin de ses miracles. Parfois il arrivait qu’il était entouré d’une telle foule de boiteux et de malades qu’il n’était plus possible de l’approcher. C’est pourquoi ils portaient les malades sur des lits dans les places publiques et dans les rues, pour qu’au moins l’ombre du corps de Pierre parvînt à les toucher quand il passait, ce qui était suffisant pour guérir toute espèce de maladie. Saint Augustin assure qu’un mort, sur lequel était passée l’ombre de Pierre, ressuscita immédiatement.
            Les Saints Pères voient dans ce fait l’accomplissement de la promesse du Rédempteur à ses Apôtres, quand il disait qu’ils feraient des miracles même plus grands que ceux qu’il avait jugé bon de faire durant sa vie mortelle[16].

CHAPITRE XVII. S. Pierre de nouveau mis en prison. — Il est libéré par un ange. An 34 de Jésus-Christ.
            L’Église de Jésus-Christ gagnait chaque jour de nouveaux fidèles. La multitude des miracles, associée à la vie sainte de ces premiers chrétiens, faisait en sorte que des personnes de tout rang, âge et condition couraient en foule pour demander le Baptême et assurer ainsi leur salut éternel. Mais le prince des prêtres et les sadducéens étaient rongés de colère et de jalousie ; ne sachant quel moyen utiliser pour empêcher la propagation de l’Évangile, ils prirent Pierre et les autres Apôtres et les enfermèrent en prison. Mais Dieu, pour montrer une fois de plus que les projets des hommes sont vains lorsqu’ils sont contraires aux volontés du Ciel, et qu’Il peut faire ce qu’Il veut et quand Il le veut, envoya cette même nuit un ange qui ouvrit les portes de la prison, les tira dehors en leur disant : « Au nom de Dieu, allez et prêchez avec assurance dans le temple, en présence du peuple, les paroles de la vie éternelle. N’ayez peur ni des ordres ni des menaces des hommes. »
            Voyant qu’ils étaient si prodigieusement favorisés et défendus par Dieu, les Apôtres exécutèrent l’ordre reçu en se rendant de bon matin au temple pour prêcher et instruire le peuple. Le prince des prêtres, qui désirait punir sévèrement les Apôtres, et pour donner plus de solennité au procès, convoqua le Sanhédrin, les anciens, les scribes et tous ceux qui avaient quelque autorité sur le peuple. Puis il envoya chercher les Apôtres pour qu’ils soient conduits là depuis la prison.
            Les ministres, c’est-à-dire les sbires, obéirent aux ordres reçus. Ils allèrent, ouvrirent la prison, entrèrent et n’y trouvèrent âme qui vive. Ils firent immédiatement retour à l’assemblée et, pleins d’étonnement, annoncèrent la chose ainsi : « Nous avons trouvé la prison fermée et gardée avec diligence ; les gardes étaient fidèlement à leur poste, mais en entrant nous n’avons trouvé personne. » En entendant cela, ils ne savaient plus à quel parti se rallier.
            Pendant qu’ils se consultaient sur ce qu’il fallait faire, survint un homme qui dit : « Ne le savez-vous pas ? Ces hommes que vous avez mis en prison hier sont maintenant dans le temple à prêcher avec plus de ferveur qu’auparavant. » Alors ils se sentirent plus que jamais brûler de rage contre les Apôtres, mais la peur de s’attirer l’inimitié du peuple les retint, car ils risquaient d’être lapidés.
            Le préfet du temple se proposa de régler lui-même cette affaire par le meilleur moyen possible. Il alla là où se trouvaient les prédicateurs et, avec de bonnes manières, sans user de violence, les invita à venir avec lui et les conduisit au milieu de l’assemblée.
            Le grand prêtre s’adressa à eux en disant : « Il y a quelques jours à peine, nous vous avons strictement interdit de parler de ce Jésus de Nazareth, et pendant ce temps vous avez rempli la ville de cette nouvelle doctrine. Il semble que vous voulez nous faire porter la responsabilité de la mort de cet homme et nous faire haïr par tout le monde comme coupables de son sang. Comment osez-vous faire cela ? »
            « Nous pensons avoir très bien agi, répondit Pierre au nom des autres Apôtres, car il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes. Ce que nous prêchons est une vérité mise dans notre bouche par Dieu, et nous n’avons pas peur de vous le dire en cette vénérable assemblée. » Ici Pierre répéta ce qu’il avait dit d’autres fois concernant la vie, la passion et la mort du Sauveur, concluant toujours qu’il leur était impossible de se taire sur des choses qui devaient être prêchées selon les ordres reçus de Dieu.
            À ces paroles prononcées avec tant de fermeté par les Apôtres, et n’ayant rien à leur opposer, ils étaient rongés de colère et pensaient déjà à les faire mourir. Mais ils furent dissuadés par un certain Gamaliel, qui était l’un des docteurs de la loi réunis dans la salle. Celui-ci, ayant bien considéré chaque chose, fit sortir les Apôtres pour un bref moment, puis, se levant, dit en pleine assemblée : « Hommes d’Israël, faites bien attention à ce que vous allez faire à l’égard de ces hommes ; car si tout cela est l’œuvre des hommes, elle tombera d’elle-même, comme cela est arrivé avec tant d’autres, mais si l’œuvre est de Dieu, pourrez-vous l’empêcher et la détruire, ou voulez-vous vous opposer à Dieu ? » Toute l’assemblée se calma et suivit son conseil.
            Après avoir fait rentrer les Apôtres, ils les firent d’abord battre de verges, puis ils leur ordonnèrent de ne plus parler absolument de Jésus-Christ. Mais ils partirent du conseil remplis de joie, parce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir quelque chose pour le nom de Jésus-Christ.

CHAPITRE XVIII. Élection des sept diacres. — S. Pierre résiste à la persécution de Jérusalem. — Il va en Samarie. — Son premier affrontement avec Simon le Magicien. An 35 de Jésus-Christ.
            La multitude des fidèles qui embrassaient la foi occupait tellement le zèle des Apôtres, qu’ils devaient s’occuper de la prédication de la parole divine, de l’instruction des nouveaux convertis, de la prière, de l’administration des sacrements, et ne pouvaient plus s’occuper des affaires temporelles. Cela causait du mécontentement chez certains chrétiens, comme s’ils étaient tenus en peu de considération ou méprisés dans la distribution des subsides. Informés de la situation, saint Pierre et les autres Apôtres décidèrent d’y remédier.
            Ils convoquèrent une nombreuse assemblée de fidèles et, leur faisant comprendre qu’ils ne devaient pas négliger les choses de leur ministère sacré pour s’occuper des aides temporelles, proposèrent l’élection de sept diacres, connus pour leur zèle et leur vertu. Ils s’occuperaient de l’administration de certains rites sacrés, comme l’administration du Baptême et de l’Eucharistie, et veilleraient en même temps à la distribution des aumônes et des autres tâches matérielles.
            Tous approuvèrent ce projet. Alors saint Pierre et les autres Apôtres imposèrent les mains aux nouveaux élus et leur fixèrent les tâches à accomplir. Avec l’ajout de ces sept diacres, ils avaient pourvu aux besoins temporels et aussi multiplié les ouvriers évangéliques, ainsi que les conversions. Parmi les sept diacres, il y avait le célèbre saint Étienne, qui fut tué par lapidation hors de la ville pour son intrépidité à défendre la vérité de l’Évangile, Il est communément appelé Protomartyr, c’est-à-dire le premier martyr qui a donné sa vie pour la foi après Jésus-Christ. La mort de saint Étienne fut le début d’une grande persécution suscitée par les Juifs contre tous les disciples de Jésus-Christ, ce qui obligea les fidèles à se disperser ici et là dans diverses villes et dans différents pays.
            Pierre et les autres Apôtres restèrent à Jérusalem, autant pour confirmer les fidèles dans la foi que pour maintenir un lien vivant avec ceux qui étaient dispersés dans d’autres pays. Afin d’éviter la fureur des Juifs, il se tenait caché, connu seulement des disciples de l’Évangile, sortant néanmoins de sa demeure secrète lorsqu’il en voyait la nécessité. Pendant ce temps, un édit de l’empereur Tibère Auguste en faveur des chrétiens et la conversion de saint Paul mirent fin à la persécution. Et c’est alors que l’on apprit comment la providence de Dieu ne permet aucun mal sans en tirer du bien ; elle se servit en effet de la persécution pour diffuser l’Évangile dans d’autres lieux, et l’on peut dire que chaque fidèle était un prédicateur de Jésus-Christ dans tous les lieux où il allait se réfugier. Parmi ceux qui furent contraints de fuir Jérusalem, il y avait l’un des sept diacres nommé Philippe.
            Celui-ci alla dans la ville de Samarie, où il fit de nombreuses conversions par sa prédication et par ses miracles. Lorsque la nouvelle parvint à Jérusalem qu’un nombre extraordinaire de Samaritains étaient venus à la foi, les Apôtres décidèrent de leur envoyer quelques-uns d’entre eux pour administrer le Sacrement de la Confirmation et suppléer à ceux que les Diacres n’avaient pas l’autorité d’administrer. Pierre et Jean furent désignés pour cette mission : Pierre parce que, en tant que chef de l’Église, il recevrait dans son sein cette nation étrangère et unirait les Samaritains aux Juifs ; Jean ensuite comme ami spécial de saint Pierre et célèbre parmi les autres pour ses miracles et sa sainteté.
            Il y avait en Samarie un certain Simon de Gitton, surnommé le Magicien, c’est-à-dire sorcier. Celui-ci, à force de balivernes et d’enchantements, avait trompé beaucoup de gens, se vantant d’être quelque chose d’extraordinaire. De façon blasphématoire, il affirmait qu’il était la vertu de Dieu, celle qu’on nomme la grande. Le peuple semblait fou de lui et lui courait après, l’acclamant presque comme un être divin. Un jour, pendant la prédication de Philippe, il se laissa émouvoir et demanda le Baptême pour opérer lui aussi les merveilles que les fidèles faisaient généralement après avoir reçu ce Sacrement.
            Arrivés là, Pierre et Jean se mirent à administrer le Sacrement de la Confirmation, imposant les mains comme le font les Évêques aujourd’hui. En voyant qu’avec l’imposition des mains ils recevaient aussi le don des langues et celui de faire des miracles, Simon pensa que ce serait pour lui une grande chance s’il pouvait faire les mêmes choses. S’approchant de Pierre, il sortit une bourse d’argent et la lui offrit, le priant de lui accorder aussi le pouvoir de faire des miracles et de donner l’Esprit Saint à ceux à qui il imposerait les mains.
            Saint Pierre, vivement indigné par une telle impiété, s’adressa à lui en lui disant : « Scélérat, que ton argent périsse avec toi, car tu as cru que l’on pouvait acheter les dons de l’Esprit Saint avec de l’argent. Hâte-toi de faire pénitence pour cette faute et prie Dieu qu’il veuille te donner le pardon. »
            Craignant que ce qui était arrivé à Ananie et à Saphire ne lui arrive, Simon répondit tout effrayé : « C’est vrai, priez aussi pour moi afin que cette menace ne se réalise pas en moi. » Ces paroles semblent montrer qu’il était repentant, mais ce n’était pas le cas. Il ne pria pas les Apôtres de lui obtenir la miséricorde de Dieu, mais de détourner le fléau loin de lui. Ayant surmonté la peur du châtiment, il redevint ce qu’il était auparavant, c’est-à-dire magicien, séducteur, ami du démon. Nous le verrons dans d’autres affrontements avec Pierre.
            Après avoir administré le Sacrement de la Confirmation aux nouveaux fidèles de Samarie et les avoir renforcés dans la foi qu’ils avaient reçue peu auparavant, les deux Apôtres Pierre et Jean leur donnèrent le salut de paix et partirent de cette ville. Ils passèrent dans de nombreux lieux en prêchant Jésus-Christ, considérant que toute fatigue est peu de chose si elle contribue à propager l’Évangile et à gagner des âmes pour le ciel.

CHAPITRE XIX. S. Pierre fonde le siège d’Antioche ; il retourne à Jérusalem. — Il est visité par saint Paul. An 36 de Jésus-Christ.
            De retour de la Samarie, S. Pierre demeura quelque temps à Jérusalem, puis alla prêcher la grâce du Seigneur dans divers pays. Alors qu’il visitait les églises qui se fondaient ici et là avec un zèle digne du prince des Apôtres, il apprit que Simon le Magicien s’était rendu de Samarie à Antioche pour y répandre ses impostures. Il résolut alors de se rendre dans cette ville pour dissiper les erreurs de cet ennemi de Dieu et des hommes. Arrivé dans cette capitale, il se mit immédiatement à prêcher l’Évangile avec grand zèle, et réussit à convertir un tel nombre de gens à la foi, que les fidèles commencèrent là à être appelés chrétiens, c’est-à-dire disciples de Jésus-Christ.
            Parmi les personnages illustres qui se convertirent à la prédication de saint Pierre, il y avait saint Évode. À l’arrivée de Pierre, il l’invita chez lui, et le saint Apôtre s’attacha à lui, lui procura l’instruction nécessaire et, le voyant orné des vertus nécessaires, le consacra prêtre, puis évêque, afin qu’il fût son vicaire en son absence, et qu’il lui succédât ensuite sur le siège épiscopal.
            Lorsque Pierre voulait commencer la prédication dans cette ville, il rencontrait un grave obstacle de la part du gouverneur, qui était un prince nommé Théophile. Celui-ci fit mettre en prison le saint Apôtre comme inventeur d’une religion contraire à la religion de l’État. Il voulut donc en venir à une dispute sur les choses qu’il prêchait, et quand il l’entendit dire que Jésus-Christ, par amour pour les hommes, était mort sur la croix, il dit : « C’est un fou, il ne faut plus l’écouter. » Pour le faire considérer comme tel, il lui fit couper les cheveux par moitié pour se moquer de lui, en forme de cercle autour de la tête comme une couronne. Ce qui fut alors fait par mépris, les ecclésiastiques l’utilisent maintenant par honneur, et cela s’appelle la cléricale ou tonsure, qui rappelle la couronne d’épines placée sur la tête du Divin Sauveur.
            Lorsque Pierre se vit traité de la sorte, il pria le gouverneur de bien vouloir l’écouter une fois de plus. Cela lui ayant été accordé, Pierre lui dit : « Tu te scandalises, Théophile, en entendant dire que le Dieu que j’adore est mort sur la croix. Je t’avais déjà dit qu’il s’était fait homme, et étant homme, tu ne devrais pas t’étonner qu’il soit mort, car mourir est propre à l’homme. Sache d’autre part qu’il est mort sur la croix de sa propre volonté, car par sa mort il voulait donner la vie à tous les hommes en faisant la paix entre son Éternel Père et le genre humain. Mais tout comme je te dis qu’il est mort, je t’assure qu’il est ressuscité par sa propre vertu, après avoir ressuscité beaucoup d’autres morts. » En entendant dire qu’il avait fait ressusciter des morts, Théophile se calma et ajouta d’un air étonné : « Tu dis que le Dieu que tu adores a ressuscité des morts ; si tu fais maintenant ressusciter en son nom un de mes fils, qui est mort il y a quelques jours, je croirai à ce que tu me prêches. » L’Apôtre accepta l’invitation, alla au tombeau du jeune homme et, en présence de beaucoup de monde, fit une prière et au nom de Jésus-Christ le rappela à la vie[17]. À cause de cela, le gouverneur et toute la ville crurent en Jésus-Christ.
            Théophile devint bientôt un fervent chrétien et, en signe d’estime et de vénération envers saint Pierre, il lui offrit sa maison pour qu’il en fasse l’usage qu’il jugerait bon. Ce bâtiment fut transformé en église, où le peuple se rassemblait pour assister au sacrifice divin et pour entendre les prêches du saint Apôtre. Afin de pouvoir l’écouter avec plus de commodité et de profit, ils lui élevèrent là une chaire d’où le saint donnait les leçons sacrées.
            Il est bon de noter ici que saint Pierre résidait pendant trois ans, autant que possible, à Jérusalem, la capitale de la Palestine, où les Juifs pouvaient plus facilement avoir des relations avec lui. L’année trente-six de Jésus-Christ, à cause de la persécution de Jérusalem et pour préparer le chemin à la conversion des Gentils, il vint établir son siège à Antioche, c’est-à-dire qu’il choisit la ville d’Antioche comme sa résidence ordinaire et comme centre de communion avec les autres Églises chrétiennes.
            Pierre gouverna cette Église d’Antioche pendant sept ans, jusqu’au moment où il transféra son siège à Rome sous l’inspiration de Dieu, comme nous le raconterons en temps voulu.
            L’établissement du Saint-Siège à Antioche est raconté en particulier par Eusèbe de Césarée, S. Jérôme, S. Léon le Grand et par un grand nombre d’écrivains ecclésiastiques. L’Église catholique célèbre cet événement avec une solennité particulière le 22 février.
            Pendant que Saint Pierre se rendait d’Antioche à Jérusalem, il reçut une visite qui lui apporta certainement un grand réconfort. S. Paul, qui avait été converti à la foi par un miracle éclatant, bien qu’instruit par Jésus-Christ et envoyé par lui prêcher l’Évangile, voulut néanmoins se rendre auprès de S. Pierre pour vénérer en lui le chef de l’Église et recevoir de lui les conseils et les instructions utiles pour lui. S. Paul resta à Jérusalem avec le prince des Apôtres pendant quinze jours. Ce temps lui suffit, car en plus des révélations reçues de Jésus-Christ, il avait passé sa vie à étudier les saintes Écritures et, après sa conversion, il s’était inlassablement consacré à la méditation et à la prédication de la parole de Dieu.

CHAPITRE XX. Saint Pierre visite plusieurs Églises. — Il guérit Énée le paralytique. — Il ressuscite la défunte Tabitha. An 38 de J.-C.
            Saint Pierre avait été chargé par le divin Sauveur de conserver dans la foi tous les chrétiens. Comme les Églises se multipliaient ici et là par l’action des Apôtres, des Diacres et d’autres disciples, Saint Pierre allait visiter personnellement les Églises qui avaient déjà été fondées et qui étaient en train de l’être, afin de maintenir l’unité de la foi et pour exercer le pouvoir suprême qui lui avait été conféré par le Sauveur, tout en gardant sa résidence ordinaire à Antioche. Dans un lieu, il confirmait les fidèles dans la foi, ailleurs il consolait ceux qui avaient souffert lors de la persécution passée, ici il administrait le sacrement de la Confirmation, partout il ordonnait des pasteurs et des évêques, qui, après son départ, continueraient à prendre soin des églises et du troupeau de Jésus-Christ.
            Passant d’une ville à l’autre, il arriva chez les saints qui habitaient à Lydda, une ville située à environ vingt milles de Jérusalem. Les chrétiens des premiers temps étaient appelés saints à cause de la vie vertueuse et mortifiée qu’ils menaient, et ce nom devrait pouvoir désigner les chrétiens d’aujourd’hui qui, à l’instar de ceux-là, sont appelés à la sainteté.
            Arrivé aux portes de la ville de Lydda, Pierre rencontra un paralytique nommé Énée. Celui-ci était frappé de paralysie et complètement immobile dans ses membres, et depuis huit ans il ne s’était plus levé de son lit. Dès qu’il le vit, sans être prié, Pierre s’adressa à lui et lui dit : « Énée, le Seigneur Jésus-Christ t’a guéri ; lève-toi et refais ton lit. » Énée se leva en bonne santé et robuste comme s’il n’avait jamais été malade. Beaucoup de gens étaient présents à ce miracle, et la nouvelle se répandit rapidement dans toute la ville et dans le pays voisin appelé Saron. Tous les habitants, poussés par la bonté divine qui manifestait de manière sensible des signes de sa puissance infinie, crurent en Jésus-Christ et entrèrent dans le sein de l’Église.
            À peu de distance de Lydda se trouvait Joppé, une autre ville située sur les rives de la mer Méditerranée. Là vivait une veuve chrétienne nommée Tabitha, qui, par ses aumônes et de nombreuses œuvres de charité, était universellement appelée la mère des pauvres. Il arriva en ces jours qu’elle tomba malade et, après une brève maladie, mourut, laissant tous dans une profonde douleur. Selon l’usage de ces temps, les femmes lavèrent son corps et le placèrent sur la terrasse avant de faire l’enterrement. Or, en raison de la proximité de Lydda, la nouvelle du miracle de la guérison d’Énée s’étant répandue à Joppé, deux hommes furent envoyés là pour prier Pierre de vouloir venir voir la défunte Tabitha. Ayant entendu parler de la mort de cette vertueuse disciple de Jésus-Christ et du désir des chrétiens qu’il aille là pour la ressusciter, Pierre partit immédiatement avec eux. Arrivés à Joppé, les disciples le conduisirent sur la terrasse et, lui montrant le corps de Tabitha, lui racontèrent les nombreuses bonnes œuvres de cette sainte femme et le priaient de vouloir la ressusciter.
            Dès que les pauvres et les veuves apprirent la venue de Pierre, ils coururent en pleurant pour le prier de vouloir leur rendre leur bonne mère. « Vois, dit l’une d’elles, ce vêtement est l’œuvre de sa charité » ; « cette tunique, les sandales de ce garçon, ajoutaient d’autres, lui ont toutes été données par elle. » À la vue de tant de gens qui pleuraient, de tant d’œuvres de charité qu’on racontait, Pierre fut tout ému. Il se leva et, se tournant vers le corps, il dit : « Tabitha, je te le commande au nom de Dieu, lève-toi. » Tabitha, à cet instant, ouvrit les yeux et, ayant vu Pierre, s’assit et se mit à lui parler. Pierre, la prenant par la main, la releva et, ayant appelé les disciples, leur restitua cette mère tant désirée, saine et sauve. Une immense jubilation s’éleva dans toute la maison ; de toutes parts, on pleurait de joie, car ces bons chrétiens avaient l’impression d’avoir retrouvé un trésor en cette femme qui était véritablement la consolation de tous. Cet événement enseigne aux pauvres à être reconnaissants envers ceux qui leur tendent la main. Aux riches il apprend ce que signifie être miséricordieux et généreux envers les pauvres.

CHAPITRE XXI. Dieu révèle à S. Pierre la vocation des Gentils. — Il va à Césarée et baptise la famille du centurion Corneille. An 39 de J.-C.
            Dieu avait plusieurs fois fait prédire par ses prophètes qu’à la venue du Messie toutes les nations seraient appelées à la connaissance du vrai Dieu.
            Le divin Sauveur avait donné lui-même l’ordre exprès à ses Apôtres, en disant : « Allez, enseignez toutes les nations. » Même les prédicateurs de l’Évangile avaient déjà reçu quelques non-Juifs à la foi, comme ils l’avaient fait pour l’Eunuque de la reine Candace et pour Théophile, le gouverneur d’Antioche. Mais c’étaient des cas particuliers. Jusqu’alors les Apôtres avaient presque exclusivement prêché l’Évangile aux Juifs, attendant du Seigneur un avis spécial concernant le moment où ils devaient sans exception recevoir à la foi aussi les gentils et les païens. Une telle révélation devait certainement être faite à Saint Pierre, chef de l’Église. Voici comment le texte sacré expose cet événement mémorable.
            À Césarée, ville de Palestine, habitait un certain Corneille, centurion, c’est-à-dire officier d’une cohorte, corps de 100 soldats, qui appartenait à la légion italique, ainsi appelée parce qu’elle était composée de soldats italiens.
            La Sainte Écriture fait son éloge en disant qu’il était un homme religieux et craignant Dieu. Ces mots signifient qu’il était païen, mais qu’il avait abandonné l’idolâtrie dans laquelle il était né, adorait le vrai Dieu, faisait de nombreuses aumônes et prières, et vivait religieusement selon la droite raison.
            Dieu, infiniment miséricordieux, qui ne manque jamais, par sa grâce, de venir en aide à ceux qui font ce qu’ils peuvent de leur côté, envoya un ange à Corneille pour l’instruire sur ce qu’il devait faire. Ce bon soldat était en train de prier quand il vit apparaître devant lui un ange sous l’apparence d’un homme vêtu de blanc. « Corneille », dit l’ange. Pris de peur, il fixa sur lui son regard en disant : « Qui êtes-vous, Seigneur ; que voulez-vous ? » Alors l’ange lui dit : « Dieu s’est souvenu de tes aumônes ; tes prières sont parvenues à son trône, et pour satisfaire tes désirs, il m’a envoyé pour t’indiquer le chemin du salut. Envoie quelqu’un à Joppé pour chercher un certain Simon surnommé Pierre. Il demeure chez un autre Simon, tanneur de peaux, qui a sa maison près de la mer. Ce Pierre te dira tout ce qui est nécessaire pour te sauver. » Corneille ne tarda pas à obéir à la voix du Ciel et, ayant appelé deux domestiques et un soldat, tous des personnes qui craignaient Dieu, il leur raconta la vision et leur ordonna de se rendre immédiatement à Joppé pour la mission indiquée par l’ange.
            Ils partirent sur-le-champ et, marchant toute la nuit, arrivèrent à Joppé à midi du jour suivant, car la distance entre ces deux villes est d’environ 40 milles. Peu avant qu’ils n’y arrivent, S. Pierre eut lui aussi une merveilleuse révélation, qui lui confirma que même les gentils étaient appelés à la foi. Fatigué par ses travaux, le saint Apôtre était venu ce jour-là chez son hôte pour se reposer et, comme d’habitude, se rendit d’abord dans une chambre située à l’étage pour prier. Pendant qu’il priait, il lui sembla voir le ciel ouvert et descendre de là jusqu’à terre un objet semblable à un grand drap, qui, tenu aux quatre extrémités, formait comme un grand vase plein de toutes sortes de quadrupèdes, de serpents et d’oiseaux, qui tous, selon la loi de Moïse, étaient considérés comme impurs, c’est-à-dire qui ne pouvaient être ni mangés ni offerts à Dieu.
            En même temps, il entendit une voix qui disait : « Lève-toi, Pierre, tue et mange. » Étonné par ce commandement, l’Apôtre répondit : « Jamais de la vie je ne mangerai des animaux impurs, ce dont je me suis toujours abstenu. » La voix ajouta : « Ne considère pas comme impur ce que Dieu a purifié. » Après que la même vision lui ait été répétée trois fois, ce vase mystérieux s’éleva vers le ciel et disparut.
            Les Saints Pères reconnaissent dans ces animaux impurs une figure des pécheurs et de tous ceux qui, enfoncés dans le vice et l’erreur, sont purifiés par le sang de Jésus-Christ et reçus en grâce. Pendant que Pierre méditait sur ce que pouvait bien signifier cette vision, arrivèrent les trois messagers. À ce moment, Dieu les lui fit connaître et lui ordonna de descendre à leur rencontre, de se mettre en leur compagnie et d’aller avec eux sans aucune crainte. Il descendit donc et leur dit en les voyant : « Me voici, je suis celui que vous cherchez. Quelle est la raison de votre venue ? »
            Ayant entendu la vision de Corneille et la raison de leur voyage, il comprit immédiatement le sens de ce mystérieux drap ; c’est pourquoi il les accueillit avec bienveillance et leur donna l’hospitalité cette nuit-là. Le lendemain matin, accompagné de six disciples, il partit de Joppé avec les messagers et, au nombre de dix, ils prirent la route en direction de Césarée.
            Deux jours plus tard, Pierre arriva avec toute sa suite dans cette ville où le centurion l’attendait avec une grande impatience. Pour honorer davantage son hôte, celui-ci avait convoqué parents et amis, afin qu’ils puissent participer eux aussi aux bénédictions célestes qu’il espérait obtenir du Ciel à l’arrivée de Pierre. Lorsque ce bon centurion, selon l’ordre de Dieu, envoya chercher Pierre pour entendre de lui les volontés divines, il dut certainement se faire une grande idée de lui, le considérant comme un personnage sublime, différent des autres hommes. Aussi, quand Pierre entra dans sa maison, il vint vers lui et se jeta à ses pieds en acte d’adoration. Pierre, plein d’humilité, le releva immédiatement, lui faisant savoir qu’il n’était qu’un simple homme comme lui. Continuant ensuite à parler, ils entrèrent au lieu de l’assemblée.
            Là, en présence de tous, Pierre raconta l’ordre reçu de Dieu de converser avec les gentils et de ne plus les juger comme abominables et profanes. « Maintenant que je suis ici parmi vous, conclut-il, dites-moi quelle est la raison pour laquelle vous m’avez appelé. » Corneille obéit à l’invitation de Pierre, se leva et raconta ce qui lui était arrivé quatre jours auparavant, affirmant que lui-même et tous ceux qui étaient là réunis étaient prêts à exécuter tout ce qu’il leur commandera sur l’ordre de Dieu. Alors Pierre, expliquant son caractère d’Apôtre du Seigneur, dépositaire fidèle de la religion et de la foi, commença à instruire toute cette honorable assemblée dans les principaux mystères de l’Évangile.
            Pierre continuait son discours lorsque l’Esprit Saint descendit visiblement sur Corneille et ses proches, et leur communiqua de manière sensible le don des langues, si bien qu’ils commencèrent à glorifier Dieu en chantant ses louanges. En voyant se produire là presque le même prodige qu’au cénacle de Jérusalem, S. Pierre s’exclama : « Quelqu’un peut-il nous empêcher de baptiser ceux qui ont reçu l’Esprit Saint comme nous ? » Puis, s’adressant à ses disciples, il ordonna qu’ils les baptisent tous. La famille de Corneille fut la première de Rome et d’Italie à embrasser la foi.
            Après les avoir tous baptisés, S. Pierre retarda son départ de Césarée. Il s’arrêta quelque temps pour satisfaire les pieuses insistances de Corneille et de tous ces nouveaux baptisés qui le priaient de rester. Pierre profita de ce temps pour prêcher l’Évangile dans cette ville, et le fruit fut tel qu’il résolut de désigner un pasteur pour cette multitude de fidèles. Ce pasteur fut Saint Zachée, dont il est question dans l’Évangile ; il fut consacré premier évêque de Césarée[18].
            Cet événement, c’est-à-dire le fait d’avoir admis à la foi les gentils, causa une certaine jalousie parmi les fidèles de Jérusalem. Certains parmi eux désapprouvèrent publiquement ce que Saint Pierre avait fait. Pour cette raison, il jugea bon de se rendre dans cette ville, pour éclairer les égarés en leur faisant savoir qu’il avait agi en tout sur l’ordre de Dieu. Quand il arriva à Jérusalem, certains se présentèrent à lui en lui disant hardiment : « Pourquoi es-tu allé chez des hommes non circoncis et as-tu mangé avec eux ? » Pierre leur donna la raison de ce qu’il avait fait en présence de tous les fidèles réunis, et pourquoi il n’avait pas tenu compte de cette interrogation. Il leur raconta la vision qu’il avait eue à Joppé : le vase rempli de toutes sortes d’animaux impurs, l’ordre reçu de Dieu de s’en nourrir, la répugnance qu’il avait montrée à obéir par crainte de contredire la loi, et la voix qui se fit de nouveau entendre lui enjoignant de ne plus appeler impur ce qui avait été purifié par Dieu. Puis il exposa en détail ce qui était arrivé chez Corneille et comment l’Esprit Saint était descendu en présence de nombreux témoins. Alors toute cette assemblée, reconnaissant la voix du Seigneur dans celle de Pierre, se calma et loua Dieu d’avoir étendu les limites de sa miséricorde.

CHAPITRE XXII. Hérode fait décapiter S. Jacques le Majeur et mettre S. Pierre en prison. — Mais il est libéré par un Ange. — Mort d’Hérode. An 41 de J.-C.
            À l’époque où la parole de Dieu, prêchée avec tant de zèle par les Apôtres et les disciples, produisait des fruits de vie éternelle parmi les Juifs et les Gentils, la Judée était gouvernée par Hérode Agrippa, neveu de cet Hérode qui avait ordonné le massacre des innocents.
            Dominé par un esprit d’ambition et de vanité, il désirait désespérément gagner l’affection du peuple. Les Juifs, et en particulier ceux qui avaient quelque autorité, surent tirer parti de cette propension pour l’inciter à persécuter l’Église et à chercher les applaudissements des Juifs pervers en versant le sang des chrétiens. Il commença par faire emprisonner l’Apôtre S. Jacques pour ensuite le condamner au supplice. Il s’agit de S. Jacques le Majeur, frère de S. Jean l’Évangéliste, l’ami fidèle de Pierre, qui eut avec lui de nombreux signes particuliers de bienveillance de la part du Sauveur.
            Cet Apôtre courageux, après la descente de l’Esprit Saint, prêcha l’Évangile en Judée. Puis (comme le raconte la tradition) il alla en Espagne, où il convertit certains à la foi. De retour en Palestine, il convertit entre autres un certain Hermogène, homme célèbre, ce qui déplut beaucoup à Hérode et lui servit de prétexte pour le faire emprisonner. Conduit devant les tribunaux, il montra tant de fermeté dans ses réponses et dans sa confession de Jésus-Christ que le juge en fut émerveillé. Son accusateur, ému par tant de constance, renonça au judaïsme, se déclara publiquement chrétien et, comme tel, fut également condamné à mort. Pendant qu’on les conduisait tous deux au supplice, il se tourna vers Saint Jacques et lui demanda pardon pour ce qu’il avait dit et fait contre lui. Le saint Apôtre lui lança un regard affectueux en lui disant : « pax tecum » (la paix soit avec toi). Puis il l’embrassa et le baisa en protestant qu’il lui pardonnait de tout cœur, et même qu’il l’aimait comme un frère. Ce serait là l’origine du signe de paix et de pardon, habituellement utilisé entre les chrétiens, et spécialement pendant le sacrifice de la sainte Messe.
            Après cela, ces deux généreux confesseurs de la foi furent décapités et allèrent ensemble se retrouver éternellement au Ciel.
            Cette mort attrista beaucoup les fidèles, mais réjouit au plus haut point les Juifs, qui, après la mort des chefs de la religion, pensaient mettre fin à la religion elle-même. Quand Hérode vit que la mort de S. Jacques avait plu aux Juifs, il pensa leur procurer un spectacle encore plus agréable en faisant emprisonner S. Pierre, pour ensuite le laisser à la merci de leur furie aveugle. Et comme c’était la semaine des azymes, qui pour les Juifs est un temps de joie et de préparation à la Pâque, il ne voulut pas assombrir la joie publique par le supplice d’un homme prétendument coupable. Il le fit donc conduire, chargé de chaînes, entre deux gardes et ordonna qu’il soit soigneusement gardé dans une sombre prison jusqu’à la fin de cette solennité. Il donna ensuite l’ordre strict que seize soldats soient placés en garde, veillant jour et nuit alternativement sur la prison de fer qui s’ouvrait sur un chemin de la ville. Ce roi savait certainement comment Pierre avait déjà été emprisonné à d’autres reprises et en était sorti de manière tout à fait merveilleuse, et il ne voulait pas qu’il lui arrive à nouveau une chose semblable. Mais toutes ces précautions, portes de fer, chaînes, gardes et surveillants ne servirent qu’à donner plus de relief à l’œuvre de Dieu.
            Comme l’arme la plus puissante que le Sauveur a laissée aux chrétiens est la prière, les fidèles, privés de leur père et pasteur commun, se rassemblèrent en pleurant l’emprisonnement de S. Pierre et en adressant continuellement des prières à Dieu, afin qu’il le libère du danger imminent. Bien que leurs prières fussent très ferventes, il plut néanmoins au Seigneur d’exercer leur foi et leur patience pendant quelques jours pour faire connaître davantage les effets de la toute-puissance divine.
            C’était déjà la nuit précédant le jour fixé pour la mort de Pierre. Il était tout résigné aux dispositions divines, prêt à vivre comme à mourir pour la gloire de son Seigneur. Aussi demeurait-il dans l’obscurité de cette horrible prison dans la plus grande tranquillité de son âme. Pierre dormait, mais sur lui veillait Celui qui a promis d’assister son Église. Il était minuit et tout était dans un profond silence, quand soudain une lumière éclatante illumina toute cette prison. Et voici qu’un ange envoyé par Dieu secoue Pierre, le réveille en lui disant : « Lève-toi vite. » À ces mots, les deux chaînes se délièrent et tombèrent de ses mains. Alors l’ange continua : « Mets tout de suite tes vêtements et tes sandales. » Saint Pierre fit tout, et l’ange poursuivit en lui disant : « Mets encore le manteau sur tes épaules et suis-moi. » Pierre obéit, mais avec l’impression que tout était un rêve et qu’il était hors de lui. Comme les portes de la prison étaient ouvertes, il sortait en suivant l’ange qui marchait devant lui. Passant près des premiers gardiens, puis des seconds sans qu’ils donnent le moindre signe de les voir, ils arrivèrent à l’énorme porte de fer qui donnait accès à la ville en sortant du bâtiment des prisons. Cette porte s’ouvrit d’elle-même. Étant sortis, ils marchèrent un peu ensemble jusqu’à ce que l’ange disparaisse. Alors Pierre, réfléchissant sur lui-même, se dit : « Maintenant, je me rends compte que le Seigneur a vraiment envoyé son ange pour me libérer des mains d’Hérode et du jugement que les Juifs voulaient contre moi. » Après avoir reconnu l’endroit où il était, il se dirigea directement vers la maison d’une certaine Marie, mère de Jean, surnommé Marc, où de nombreux fidèles étaient rassemblés en prière, suppliant Dieu de venir en aide au chef de son Église.
            Arrivé à cette maison, Saint Pierre se mit à frapper à la porte. Une jeune fille, nommée Rose, alla voir qui c’était. « Qui est là ? » dit-elle. Et Pierre : « C’est moi, ouvre. » La jeune fille, le reconnaissant bien à sa voix, resta comme d’elle à cause de la joie, oublia d’ouvrir la porte et, le laissant dehors, courut en donner la nouvelle à ses maîtres. « Vous ne savez pas ? C’est Pierre. » Mais ils dirent : « Tu divagues, Pierre est en prison et ne peut pas se trouver ici à cette heure. » Mais elle continuait à affirmer que c’était vraiment lui. Ils ajoutèrent alors : « Celui que tu as vu ou entendu est peut-être son ange, qui a pris sa forme pour venir nous donner quelques nouvelles. » Pendant qu’ils discutaient avec la jeune fille, Pierre continuait à frapper plus fort en disant : « Hé, ouvrez. » Cela les poussa à courir rapidement pour ouvrir, et ils s’aperçurent que c’était vraiment Pierre.
            Ils avaient tous l’impression que c’était un rêve, et chacun pensait voir un mort ressuscité. Certains demandaient qui l’avait libéré, d’autres quand, certains étaient impatients de savoir s’il s’était produit quelque prodige.
            Alors Pierre, pour les apaiser tous, leur fit signe de la main pour qu’ils se taisent, et raconta dans l’ordre ce qui était arrivé avec l’ange et comment il l’avait libéré de la prison. Tous se mirent à pleurer d’émotion ; ils louaient Dieu en le remerciant pour le bienfait qu’ils avaient reçu.
            En considérant que sa vie n’était plus en sécurité à Jérusalem, Pierre dit à ces disciples : « Allez et rapportez ces choses à Jacques (le Mineur, évêque de Jérusalem) et aux autres frères, et enlevez-leur l’inquiétude dans laquelle ils se trouvent à cause de moi. En ce qui me concerne, je pense qu’il est opportun de quitter cette ville et d’aller ailleurs. »
            Lorsque la nouvelle se répandit que Dieu avait si prodigieusement sauvé le chef de l’Église, tous les fidèles éprouvèrent une grande consolation.
            L’Église catholique célèbre la mémoire de ce glorieux événement le premier août sous le titre de Fête de Saint Pierre aux Liens.
            Mais que devinrent Hérode et ses gardes ? Lorsque le jour se leva, les gardiens qui n’avaient rien entendu ni vu, allèrent de bon matin visiter la prison ; n’ayant plus trouvé Pierre, ils furent très étonnés. La chose fut immédiatement rapportée à Hérode, qui ordonna de chercher Saint Pierre, mais il ne put le trouver. Alors, indigné, il fit juger les soldats et les fit tous condamner à mort, peut-être par soupçon de négligence ou d’infidélité, ayant trouvé toutes les portes de la prison ouvertes.
            Mais le malheureux Hérode ne tarda pas à payer le prix des injustices et des tourments infligés aux disciples de Jésus-Christ. Pour régler certaines affaires politiques, il était allé de Jérusalem dans la ville de Césarée, et tandis qu’il goûtait les applaudissements du peuple qui l’adulait follement en l’appelant Dieu, il fut frappé à cet instant même par un ange du Seigneur. On l’emporta hors de la place et, parmi des douleurs indicibles, dévoré par les vers, il expira.
            Ce fait démontre avec quelle sollicitude Dieu vient en aide à ses serviteurs fidèles, et donne un terrible avertissement aux malfaisants. Ceux-ci doivent vraiment craindre la main de Dieu, qui punit sévèrement même dès cette vie ceux qui méprisent la religion, que ce soit dans ses fonctions sacrées ou dans la personne de ses ministres.

CHAPITRE XXIII. Pierre à Rome. — Il y transfère la chaire apostolique. — Sa première lettre. — Progrès de l’Évangile. An 42 de Jésus-Christ.
            Après avoir fui Jérusalem sous les impulsions de l’Esprit Saint, l’Apôtre Saint Pierre décida de transférer le Saint-Siège à Rome.
            C’est ainsi qu’après avoir tenu sa chaire à Antioche pendant sept ans, il partit en direction de Rome. Durant son voyage, il prêcha Jésus-Christ dans le Pont et en Bithynie, qui sont deux vastes provinces de l’Asie Mineure. Poursuivant son voyage, il prêcha le saint Évangile en Sicile et à Naples, donnant à cette ville comme évêque Saint Aspren. Enfin, il arriva en l’an quarante-deux de Jésus-Christ à Rome, où régnait un empereur nommé Claude.
            Pierre trouva cette ville dans un état véritablement déplorable. C’était, dit Saint Léon, une immense mer d’iniquité, une fosse de tous les vices, une forêt de bêtes enragées. Les rues et les places étaient remplies de statues de bronze et de pierre adorées comme des dieux, et devant ces horribles simulacres, on brûlait de l’encens et on faisait des sacrifices. Le démon lui-même était honoré au moyen de souillures infâmes ; les actions les plus honteuses étaient considérées comme des actes de vertu. S’ajoutaient à cela les lois qui interdisaient toute nouvelle religion. Les prêtres idolâtres et les philosophes étaient également de graves obstacles. De plus, il s’agissait de prêcher une religion qui désapprouvait le culte de tous les dieux, condamnait toutes sortes de vices et commandait les vertus les plus sublimes.
            Toutes ces difficultés, au lieu d’arrêter le zèle du Prince des Apôtres, l’enflammaient encore plus dans son désir de libérer cette misérable ville des ténèbres de la mort. Appuyé uniquement sur l’aide du Seigneur, Saint Pierre entra à Rome pour faire de la métropole de l’empire le premier siège du sacerdoce, le centre du Christianisme.
            Il est vrai que la renommée des vertus et des miracles de Jésus-Christ était déjà parvenue jusque-là. Pilate en avait envoyé un rapport à l’empereur Tibère, et celui-ci, très ému en lisant la sainte vie et mort du Sauveur, avait décidé de le mettre au rang des dieux romains. Mais le Seigneur du ciel et de la terre ne voulut pas être confondu avec les divinités stupides des païens ; et il disposa que le sénat romain rejetât la proposition de Tibère comme contraire aux lois de l’empire[19].
            Pierre commença à prêcher l’Évangile aux Juifs qui habitaient alors au Transtévère, c’est-à-dire dans une partie de la ville de Rome située de l’autre côté du Tibre. Il quitta la synagogue des Juifs pour prêcher aux Gentils, et ceux-ci, dans un transport de vraie joie, couraient anxieux pour recevoir le Baptême. Leur nombre devint si grand, et leur foi si vive, que Saint Paul en éprouvait une grande consolation en écrivant peu après aux Romains ces mots : « Votre foi est annoncée », c’est-à-dire qu’elle fait parler d’elle et étend sa renommée dans le monde entier[20]. Les bénédictions du ciel ne tombaient pas seulement sur le bas peuple, mais aussi sur des grands personnages de la noblesse. On voyait des hommes élevés aux premières charges de Rome abandonner le culte des faux dieux pour se mettre sous le doux joug de Jésus-Christ. Eusèbe, évêque de Césarée, dit que les raisonnements de Pierre étaient si robustes et s’insinuaient avec tant de douceur dans les âmes des auditeurs, qu’il devenait maître de leurs affections et tous restaient comme envoûtés par les paroles de vie qui sortaient de sa bouche et ne se lassaient pas de l’écouter. Si grand était le nombre de ceux qui demandaient le Baptême, que Pierre, aidé par ses compagnons, l’administrait sur les rives du Tibre, de la même manière que Saint Jean-Baptiste l’avait administré sur les rives du Jourdain[21].
            Arrivé à Rome, Pierre habitait le faubourg appelé Transtévère, à peu de distance de l’endroit où l’on édifia par la suite l’Église Sainte-Cécile. De là naquit la vénération spéciale que les habitants du quartier conservent encore aujourd’hui envers la personne du Souverain Pontife. Parmi les premiers à recevoir la foi, il y avait un sénateur, nommé Pudens, qui avait occupé les plus hautes charges de l’État. Il donna l’hospitalité au Prince des Apôtres dans sa maison, et celui-ci en profitait pour célébrer les divins Mystères, administrer aux fidèles la Sainte Eucharistie et expliquer les vérités de la foi à ceux qui venaient l’écouter. Cette maison fut bientôt transformée en un temple consacré à Dieu sous le titre du Pasteur ; c’est le plus ancien temple chrétien de Rome, et on croit que c’est celui-là même qui est actuellement appelé Sainte-Pudentienne. Presque en même temps l’Apôtre fonda une autre Église, qu’on pense être celle que de nos jours on appelle Saint-Pierre-aux-Liens.
            Quand Saint Pierre vit que Rome était vraiment bien disposée à recevoir la lumière de l’Évangile, et que c’était en même temps un lieu très approprié pour entrer en relation avec tous les pays du monde, il établit sa chaire à Rome, c’est-à-dire qu’il fit de Rome le centre et le lieu de sa demeure spéciale, où les diverses nations chrétiennes pourraient et devraient recourir en cas de doutes concernant la religion et pour leurs besoins spirituels. L’Église catholique célèbre la fête de la chaire de Saint Pierre à Rome le 18 janvier.
            Il faut ici bien rappeler que par siège ou chaire de Saint Pierre, on n’entend pas le siège matériel, mais on entend l’exercice de la suprême autorité qu’il avait reçue de Jésus-Christ, surtout lorsqu’il lui a dit que tout ce qu’il lierait ou délierait sur la terre serait également lié ou délié dans le ciel. On entend par là l’exercice de cette autorité conférée par Jésus-Christ de faire paître le troupeau universel des fidèles, de soutenir et de conserver les autres pasteurs dans l’unité de foi et de doctrine comme l’ont toujours fait les souverains pontifes depuis Saint Pierre jusqu’au Pape régnant Léon XIII.
            Comme les occupations que Saint Pierre avait à Rome ne lui permettaient plus d’aller visiter les églises qu’il avait fondées dans les divers pays, il écrivit une longue et sublime lettre adressée spécialement aux chrétiens qui habitaient dans le Pont, en Galatie, en Bithynie et en Cappadoce, qui sont des provinces d’Asie Mineure. Comme un père aimant, il adresse son discours à ses fils pour les encourager à être constants dans la foi qu’il leur avait prêchée et les avertit spécialement de se garder des erreurs que les hérétiques répandaient depuis cette époque contre la doctrine de Jésus-Christ.
            Il conclut sa lettre par ces mots : « Vous, les anciens, c’est-à-dire les évêques et les prêtres, je vous conjure de paître le troupeau de Dieu, qui dépend de vous, en le gouvernant non pas par contrainte, mais de bon gré, non par amour d’un vil gain, mais avec un cœur bien disposé et en devenant le modèle de votre troupeau. Vous, les jeunes, et vous tous, les chrétiens, soyez soumis aux prêtres avec une véritable humilité, car Dieu résiste aux orgueilleux et donne sa grâce aux humbles. Soyez tempérants et veillez, car le démon, votre ennemi, comme un lion rugissant, rôde cherchant qui dévorer ; résistez-lui courageusement dans la foi.
            Les chrétiens qui sont à Babylone (c’est-à-dire à Rome) vous saluent, et en particulier Marc, mon fils en Christ.  
            Que la grâce du Seigneur soit avec vous tous qui vivez en Jésus-Christ. Ainsi soit-il.[22] »
            Les Romains qui avaient embrassé avec grand ferveur la foi prêchée par Pierre manifestèrent à Saint Marc, fidèle disciple de l’Apôtre, le vif désir qu’il mette par écrit ce que Pierre prêchait. Saint Marc avait en effet accompagné le Prince des Apôtres dans plusieurs voyages et l’avait entendu prêcher dans de nombreux pays. De fait, après tout ce qu’il avait entendu dans les prêches et dans les conversations familières avec son maître, éclairé et inspiré de manière toute spéciale par l’Esprit Saint, il était réellement en mesure de satisfaire les pieux désirs de ces fidèles. C’est pourquoi il se mit à écrire l’Évangile, c’est-à-dire un récit fidèle des actions du Sauveur, et c’est ce que nous avons aujourd’hui sous le nom d’Évangile selon Saint Marc.
            Depuis Rome, Saint Pierre envoya plusieurs de ses disciples dans différentes parties d’Italie et dans de nombreux pays du monde. Il envoya Saint Apollinaire à Ravenne, Saint Trophime en Gaule et précisément dans la ville d’Arles, d’où l’Évangile se propagea dans les autres pays de France. Il envoya Saint Marc à Alexandrie d’Égypte pour fonder en son nom cette église. C’est ainsi que la ville de Rome, capitale de tout l’Empire romain, puis la ville d’Alexandrie, qui était la première après Rome, et enfin celle d’Antioche, capitale de tout l’Orient, eurent pour fondateur le Prince des Apôtres, et devinrent les trois premiers sièges patriarcaux. Pendant plusieurs siècles on répartit ainsi le domaine du monde catholique, tout en maintenant toujours les patriarches d’Alexandrie et d’Antioche sous la dépendance du Pape romain, chef de toute l’Église, pasteur universel, centre d’unité. Pendant que Saint Pierre envoyait beaucoup de ses disciples pour prêcher l’Évangile ailleurs, il ordonnait des prêtres à Rome, consacrait des évêques, parmi lesquels il avait choisi Saint Zénon comme vicaire pour le remplacer dans les cas où une affaire grave l’obligerait à s’éloigner de cette ville.

CHAPITRE XXIV. Au concile de Jérusalem S. Pierre définit une question. — Saint Jacques confirme son jugement. An 50 de Jésus-Christ.
            Rome était la demeure ordinaire du Prince des Apôtres, mais sa sollicitude devait s’étendre à tous les fidèles chrétiens. S’il surgissait des difficultés ou des questions concernant la religion, il envoyait un disciple ou écrivait des lettres sur le sujet et parfois il se rendait lui-même sur place, comme il le fit à l’occasion où une question naquit entre les Juifs et les Gentils à Antioche.
            Les Juifs croyaient que, pour être de bons chrétiens, il était nécessaire de recevoir la circoncision et d’observer toutes les cérémonies de Moïse. Les Gentils refusaient de se soumettre à cette prétention des Juifs, et la situation en arriva à un point tel qu’elle causait un dommage et un scandale graves parmi les simples fidèles et même parmi les prédicateurs de l’Évangile. Par conséquent, Saint Paul et Saint Barnabé jugèrent bon de recourir au jugement du chef de l’Église et des autres Apôtres, afin que leur autorité dissipe tout doute.
            Saint Pierre se rendit donc de Rome à Jérusalem pour convoquer un concile général. Puisque le Seigneur a promis son assistance au chef de l’Église, afin que sa foi ne faiblisse pas, il l’assiste certainement aussi lorsque sont réunis avec lui les principaux pasteurs de l’Église ; d’autant plus que Jésus-Christ nous a assurés qu’il est de fait au milieu de ceux qui se rassemblent en son nom, même s’ils ne sont que deux. Arrivé donc dans cette ville, le Prince des Apôtres invita tous les autres Apôtres et tous les principaux pasteurs qu’il put avoir. Puis Paul et Barnabé, accueillis au concile, exposèrent en pleine assemblée leur ambassade au nom des Gentils d’Antioche. Ils montrèrent les raisons et les craintes d’un côté et de l’autre, et demandèrent une décision pour la paix et la sécurité des consciences. « Il y a des gens de la secte des Pharisiens, disait Saint Paul, qui ont cru et qui affirment qu’il est nécessaire que les Gentils soient circoncis comme les Juifs, et qu’ils doivent observer la loi de Moïse, s’ils veulent obtenir le salut. »
            Cette vénérable assemblée commença à examiner ce point. Après une longue discussion sur la matière proposée, Pierre se leva et commença à parler en disant : « Frères, vous savez bien comment Dieu m’a choisi pour faire connaître aux Gentils la lumière de l’Évangile et les vérités de la foi, comme cela arriva avec le Centurion Corneille et toute sa famille. Or Dieu, qui connaît les cœurs des hommes, a rendu un bon témoignage à ces Gentils en leur envoyant l’Esprit Saint, comme il l’avait fait pour nous. Il n’a fait aucune différence entre nous et eux, montrant que la foi les avait purifiés des impuretés qui auparavant les excluaient de la grâce. Donc, la chose est claire : sans circoncision, les Gentils sont justifiés par la foi en Jésus-Christ. Pourquoi donc voulons-nous tenter Dieu, en le provoquant à nous donner une preuve plus certaine de sa volonté ? Pourquoi imposer à ces nos frères Gentils un joug que nous et nos pères n’avons pu porter qu’avec peine ? Nous croyons que les Gentils comme les Juifs doivent être sauvés par la seule grâce de notre Seigneur Jésus-Christ. »
            Après le jugement du Vicaire de Jésus-Christ, toute cette assemblée se tut et se calma. Paul et Barnabé confirmèrent ce que Pierre avait dit, racontant les conversions et les miracles que Dieu avait eu la bonté d’opérer par leur main parmi les Gentils qu’ils avaient convertis à l’Évangile.
            Lorsque Paul et Barnabé eurent fini de parler, Saint Jacques, évêque de Jérusalem, confirma le jugement de Pierre en disant : « Frères, maintenant prêtez-moi votre attention aussi à moi. Pierre a bien dit que dès le début Dieu a fait grâce aux Gentils, formant un seul peuple qui glorifie son saint nom. Or cela est confirmé par les paroles des prophètes, que nous voyons se réaliser dans les faits. Pour cette raison, je juge avec Pierre que les Gentils ne doivent pas être troublés après s’être convertis à Jésus-Christ ; seulement il me semble qu’il faut leur ordonner que, par égard pour les scrupules de leurs frères Juifs et pour faciliter l’union entre ces deux peuples, il soit interdit de manger les choses sacrifiées aux idoles, les viandes étouffées et le sang ; et que la fornication soit également interdite. »
            Cette dernière chose, c’est-à-dire la fornication, n’avait pas besoin d’être interdite, étant totalement contraire aux préceptes de la raison et prohibée par le sixième article du Décalogue. Néanmoins, cette prohibition fut renouvelée à l’égard des Gentils, car dans le culte de leurs fausses divinités, ils pensaient qu’il était licite, voire agréable, d’offrir des choses immondes et obscènes.
            Le jugement de Saint Pierre, confirmé par Saint Jacques, plut à tout le concile. Aussi, d’un commun accord, ils décidèrent de choisir des personnes autorisées pour les envoyer à Antioche avec Paul et Barnabé. On leur remit, au nom du concile, des lettres contenant les décisions prises. Les lettres étaient de cette teneur : « Les Apôtres et les frères prêtres aux frères Gentils qui sont à Antioche, en Syrie, en Cilicie, salut. Ayant entendu que certains venus de chez nous ont troublé et angoissé vos consciences avec des idées arbitraires, il nous a semblé bon, à nous ici réunis, de choisir et de vous envoyer Paul et Barnabé, hommes qui nous sont très chers et qui ont sacrifié et exposé leur vie au danger pour le nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Avec eux, nous envoyons Silas et Jude, qui vous remettront nos lettres et vous confirmeront de vive voix les mêmes vérités. En effet, il a paru bon à l’Esprit Saint et à nous de ne vous imposer aucun autre fardeau, excepté celui que vous devez observer, c’est-à-dire de vous abstenir des choses sacrifiées aux idoles, des viandes étouffées, du sang et de la fornication. En vous abstenant de ces choses, vous ferez bien. Soyez en paix. »
            Ce fut le premier concile général présidé par Saint Pierre. Comme Prince des Apôtres et chef de l’Église, il définit la question avec l’assistance de l’Esprit Saint. Ainsi, chaque fidèle chrétien doit croire que les choses définies par les conciles généraux réunis et confirmés par le Souverain Pontife, Vicaire de Jésus-Christ et successeur de Saint Pierre, sont des vérités certaines, ayant les mêmes motifs de crédibilité que si elles sortaient de la bouche de l’Esprit Saint, car ils représentent l’Église avec son chef, à qui Dieu a promis son infaillibilité jusqu’à la fin des siècles.

CHAPITRE XXV. Saint Pierre confère à Saint Paul et à Saint Barnabé la plénitude de l’Apostolat. — Il est averti par Saint Paul. — Il retourne à Rome. An 54 de Jésus-Christ.
            Dieu avait déjà fait connaître plusieurs fois qu’il voulait envoyer Saint Paul et Saint Barnabé prêcher aux Gentils. Mais jusqu’alors, ils exerçaient leur ministère sacré comme simples prêtres, et peut-être aussi comme évêques, sans que la plénitude de l’apostolat leur ait encore été conférée. Lorsque, par la suite, ils allèrent à Jérusalem pour le concile et racontèrent les merveilles opérées par Dieu au milieu des Gentils par leur intermédiaire, ils eurent aussi des entretiens particuliers avec Saint Pierre, Jacques et Jean. Ils racontèrent, dit le texte sacré, de grandes merveilles à ceux qui occupaient les premières charges dans l’Église, parmi lesquels se trouvaient certainement les trois Apôtres, qu’on considérait comme les trois colonnes principales de l’Église. Ce fut à cette occasion, dit Saint Augustin, que Saint Pierre, en tant que chef de l’Église, Vicaire de Jésus-Christ et divinement inspiré, conféra à Paul et à Barnabé la plénitude de l’apostolat, avec la mission d’apporter la lumière de l’Évangile aux Gentils. Ainsi, Saint Paul fut élevé à la dignité d’Apôtre, avec la même plénitude de pouvoirs dont jouissaient les autres Apôtres établis par Jésus-Christ.
            Pendant que Saint Pierre et Saint Paul demeuraient à Antioche, se produisit un événement qui mérite d’être rapporté. Saint Pierre était certainement persuadé que les cérémonies de la loi de Moïse n’étaient plus obligatoires pour les Gentils. Cependant, lorsqu’il se trouvait avec les Juifs, il mangeait à la manière juive, craignant de leur déplaire s’il agissait autrement. Cette condescendance fut la cause que la foi de nombreux Gentils se refroidissait ; ainsi naissait une aversion entre Gentils et Juifs, et le lien de charité qui caractérise les véritables disciples de Jésus-Christ se rompait. Saint Pierre ignorait les rumeurs qui circulaient à ce sujet. Mais quand Saint Paul réalisa que cette conduite de Pierre pouvait générer un scandale dans la communauté des fidèles, il pensa à le corriger publiquement en disant : « Si toi, qui es Juif, tu as compris par la foi que tu peux vivre comme les Gentils et non comme les Juifs, pourquoi, par ton exemple, veux-tu contraindre les Gentils à observer la loi juive ? » Saint Pierre fut très content de cet avis, car ce fait montrait à tous les fidèles que la loi cérémonielle de Moïse n’était plus obligatoire, et que celui qui prêchait aux autres l’humilité de Christ Jésus a su la pratiquer lui-même, ne montrant le moindre signe de ressentiment. Dès lors, il n’eut plus aucun égard envers la loi cérémonielle de Moïse.
            Cependant, il faut noter ici avec les Saints Pères que ce que faisait Saint Pierre n’était pas mal en soi, mais fournissait aux chrétiens un motif de discorde. On veut également que Saint Pierre ait été d’accord avec Saint Paul concernant la correction à faire publiquement, afin que soit mieux connue la fin de la loi cérémonielle de Moïse.
            Pierre quitta Antioche pour aller prêcher dans diverses villes, jusqu’à ce qu’il soit averti par Dieu de retourner à Rome pour assister les fidèles dans une persécution féroce excitée contre les chrétiens. Lorsque Saint Pierre arriva dans cette ville, l’empire était gouverné par Néron, homme plein de vices et par conséquent le plus opposé au christianisme. C’est lui qui avait fait mettre le feu à divers endroits de cette capitale, de sorte qu’une grande partie de la ville fut consumée par les flammes ; à la suite de quoi il rejetait la faute de cette action malveillante sur les chrétiens.
            Dans sa cruauté, Néron avait fait mettre à mort un philosophe vertueux, nommé Sénèque, qui avait été son maître. Sa propre mère périt victime de ce fils dénaturé. Mais la gravité de ces méfaits fit une terrible impression même sur le cœur abruti de Néron, au point qu’il lui semblait voir des spectres qui l’accompagnaient jour et nuit. Aussi cherchait-il à apaiser les ombres infernales, ou mieux les remords de la conscience, par des sacrifices. Voulant ensuite se procurer un certain soulagement, il fit rechercher les magiciens les plus accrédités pour faire usage de leur magie et de leurs sortilèges. Le magicien Simon, celui-là même qui avait cherché à acheter à Saint Pierre les dons de l’Esprit Saint, profita de l’absence du Saint Apôtre pour se rendre sur place et, à force d’adulations envers l’empereur, discréditer la religion chrétienne.

CHAPITRE XXVI. Saint Pierre fait ressusciter un mort. An 66 de Jésus-Christ.
            Le magicien Simon savait que s’il pouvait faire un miracle, il gagnerait beaucoup de crédit. Les miracles que Saint Pierre accomplissait partout ne faisaient qu’accroître sa jalousie et sa colère ; c’est pourquoi il cherchait à étudier un tour pour se montrer supérieur à Saint Pierre. Il se confronta à lui plusieurs fois, mais en sortit toujours plein de confusion. Et comme il se vantait de savoir guérir les maladies, de prolonger la vie, de ressusciter les morts, toutes choses qu’il voyait faire à Saint Pierre, il arriva qu’il fut invité à faire de même. Un jeune homme d’une noble famille et parent de l’empereur était mort. À ses parents, inconsolables, on conseilla de recourir à Saint Pierre pour qu’il vienne le ramener à la vie. D’autres, en revanche, invitèrent Simon.
            Ils arrivèrent tous deux en même temps chez le défunt. Saint Pierre consentit de bon gré à ce que Simon fasse ses preuves pour redonner la vie au mort ; il savait en effet que seul Dieu peut opérer de véritables miracles, et que jamais personne ne peut se vanter d’en avoir fait, sauf par vertu divine et en confirmation de la religion catholique, et que par conséquent tous les efforts du méchant Simon seraient vains. Plein d’orgueil et poussé par l’esprit maléfique, Simon accepta follement l’épreuve ; et, persuadé de gagner, il proposa la condition suivante : si Pierre réussit à ressusciter le mort, je serai condamné à mort ; mais si je redonne vie à ce cadavre, que Pierre le paie de sa tête. Comme personne parmi les présents ne refusa cette proposition, et que Saint Pierre l’accepta de bon gré, le magicien se mit à l’œuvre.
            Il s’approcha du cercueil du défunt, invoqua le démon et accomplit mille autres enchantements. Certains avaient l’impression que ce froid cadavre donnait quelque signe de vie. Alors les partisans de Simon se mirent à crier que Pierre devait mourir.
            Le Saint Apôtre riait de cette imposture et demanda modestement à tous de vouloir se taire un moment. Pui il dit : « Si le mort est ressuscité, qu’il se lève, qu’il marche et qu’il parle ; si resuscitatus est, surgat, ambulet, fabuletur. Il n’est pas vrai qu’il bouge la tête ou donne signe de vie, c’est votre imagination qui vous fait penser ainsi. Commandez à Simon de s’éloigner du lit, et vous verrez immédiatement disparaître chez le mort tout espoir de vie.[23]« 
            Ainsi fut fait. Celui qui s’était éteint auparavant restait couché là comme une pierre, sans esprit ni mouvement. Alors le Saint Apôtre s’agenouilla à peu de distance du cercueil et se mit à prier avec ferveur le Seigneur, le suppliant de glorifier son saint nom pour la confusion des méchants et le réconfort des bons. Après une brève prière, s’adressant au cadavre, il dit à haute voix : « Jeune homme, lève-toi ; Jésus Seigneur te donne la vie et la santé. »
            Au commandement de cette voix, à laquelle la mort était habituée à obéir, l’esprit revint rapidement vivifier ce corps froid ; et pour enlever toute illusion, il se leva, parla et marcha, et on lui fit prendre de la nourriture. Alors Pierre le prit par la main et le restitua à sa mère, plein de vie et de santé. Cette bonne femme ne savait comment exprimer sa gratitude envers le Saint, et le pria humblement de ne pas vouloir quitter sa maison, pour ne pas abandonner celui qui était ressuscité par ses mains. Saint Pierre la consola en disant : « Nous sommes des serviteurs du Seigneur ; il l’a ressuscité et ne l’abandonnera jamais. N’aie pas peur pour ton fils, car il a son gardien. »
            Il restait maintenant à condamner à mort le magicien, et déjà une foule de gens était prête à le lapider sous une pluie de pierres, si l’Apôtre, ému de pitié pour lui, n’avait pas demandé de le laisser en vie. Il disait que pour lui, la honte qu’il avait éprouvée était une punition suffisante. « Qu’il vive, dit-il, mais qu’il vive pour voir croître et s’étendre toujours plus le royaume de Jésus-Christ. »

CHAPITRE XXVII. Un vol. — La chute. — Mort désespérée de Simon le Magicien. An 67 de Jésus-Christ.
            Dans la résurrection de ce jeune homme, le magicien Simon aurait dû admirer la bonté et la charité de Pierre, et reconnaître en même temps l’intervention de la puissance divine, puis abandonner le démon qu’il servait depuis si longtemps ; mais l’orgueil le rendit encore plus obstiné. Animé par l’esprit de Satan, il s’enflamma plus que jamais et résolut à tout prix de se venger de Saint Pierre. Dans ce but, il se rendit un jour chez Néron et lui dit qu’il était dégoûté des Galiléens, c’est-à-dire des chrétiens, qu’il était décidé à abandonner le monde et que, pour donner à tous une preuve infaillible de sa divinité, il voulait monter par lui-même au Ciel.
            Cette proposition plut beaucoup à Néron, et comme il désirait toujours trouver de nouveaux prétextes pour persécuter les chrétiens, il fit prévenir Saint Pierre, qui selon lui passait pour un grand connaisseur de magie, et le défia de faire la même chose en prouvant que Simon était un menteur ; que s’il ne le faisait pas, il serait lui-même jugé menteur et imposteur, et comme tel condamné à la décapitation. L’Apôtre, s’appuyant sur la protection du Ciel qui ne manque jamais de venir en défense de la vérité, accepta l’invitation. Saint Pierre donc, sans aucun secours humain, s’arma du bouclier invincible de la prière. Il ordonna aussi à tous les fidèles d’unir leurs prières aux siennes par le jeûne. Il ordonna également à tous les fidèles d’invoquer la miséricorde divine par un jeûne universel et des prières continues. Le jour où l’on fit ces pratiques religieuses était un samedi, et c’est de là qu’est venu le jeûne du samedi, qui à l’époque de Saint Augustin était encore pratiqué à Rome en mémoire de cet événement.
            Au contraire, le Magicien Simon, tout enflé par la faveur qui lui était promise par ses démons, se préparait à ourdir et à terminer avec eux la fraude, et dans sa folie croyait abattre par ce moyen l’Église de Jésus-Christ. Le jour fixé arriva. Une immense foule de gens était rassemblée sur une grande place de Rome. Néron lui-même, vêtu de vêtements brillants d’or et de gemmes, était assis avec toute sa cour sur une tribune sous un riche pavillon pour regarder et encourager son champion. Un profond silence se fit. Simon apparut vêtu comme s’il était un Dieu et, feignant le calme, montrait son assurance de remporter la victoire. Pendant qu’il se répandait en discours pompeux, un char de feu apparut soudain dans les airs (c’était toute une illusion diabolique et un jeu de fantaisie), dans lequel le magicien prit place sous les yeux de tout le peuple. Le démon le souleva du sol et le transporta dans les airs. Il touchait déjà les nuages et commençait à disparaître de la vue du peuple, qui levait les yeux vers le ciel et jubilait d’émerveillement en battant des mains et en criant : Victoire ! miracle ! Gloire et honneur à Simon, vrai fils des Dieux !
            Pierre s’agenouilla à terre en compagnie de Saint Paul, sans aucune ostentation, et, les mains levées vers le Ciel, pria Jésus-Christ avec ferveur de venir en aide à son Église pour faire triompher la vérité devant ce peuple abusé. Sitôt dit, sitôt fait. La main de Dieu tout-puissant, qui avait permis aux esprits malins de soulever Simon jusqu’à cette hauteur, leur ôta soudainement tout pouvoir, si bien que, privés de force, ils durent l’abandonner dans le plus grand danger et au comble de sa gloire. Privé de sa force diabolique, Simon se renversa sous le poids de son gros corps, fit une chute désastreuse, et tomba à terre avec une telle force qu’il se brisa tous les membres, éclaboussant de son sang jusqu’au tribunal de Néron. Cette chute se produisit près d’un temple dédié à Romulus, où se trouve aujourd’hui l’église des saints Cosme et Damien.
            L’infortuné Simon aurait certainement dû perdre la vie si Saint Pierre n’avait pas invoqué Dieu en sa faveur. Pierre pria le Seigneur de le délivrer de la mort, dit Saint Maxime, tant pour faire connaître à Simon la faiblesse de ses démons que pour implorer de Lui le pardon de ses péchés en confessant la puissance de Jésus-Christ. Mais celui qui déclarait depuis longtemps qu’il méprisait les grâces du Seigneur, était trop obstiné pour se rendre, même au cas où Dieu abondait en Sa miséricorde. Devenu l’objet des moqueries de tout le peuple, plein de confusion, Simon pria quelques-uns de ses amis de l’emporter de là. Transporté dans une maison voisine, il survécut encore quelques jours. Plein de douleur et de honte, il prit le parti désespéré de se débarrasser des misérables restes de sa vie et, se jetant par une fenêtre, il se donna ainsi volontairement la mort[24].
            La chute de Simon est une image vivante de la chute des chrétiens qui renient la religion chrétienne ou négligent de l’observer. Ils tombent du haut degré de vertu auquel la foi chrétienne les a élevés, et se ruinent misérablement dans les vices et les désordres, provoquant le déshonneur du caractère chrétien et de la religion qu’ils professent, et causant à leur âme un dommage parfois irréparable.

CHAPITRE XXVIII. Pierre est recherché pour être tué. — Jésus lui apparaît et lui prédit un martyre imminent. — Testament du saint Apôtre.
            Le supplice infligé à Simon le Magicien est une preuve évidente de la vengeance du Ciel, mais il contribua beaucoup à accroître le nombre des chrétiens. Quand Néron vit une multitude de personnes abandonner le culte profane des Dieux pour professer la religion prêchée par Saint Pierre, et se rendit compte que le Saint Apôtre avait réussi à gagner des personnes qui avaient ses faveurs, et même celles qui étaient à la cour des instruments d’iniquité, il sentit sa colère redoubler contre les chrétiens et commença à s’acharner encore plus contre eux.
            Au milieu de cette furieuse persécution, Pierre encourageait inlassablement les fidèles à résister dans la foi jusqu’à la mort et à convertir de nouveaux Gentils. Le sang des martyrs, loin d’effrayer les chrétiens et de diminuer leur nombre, était une semence féconde qui chaque jour les multipliait. Seuls les Juifs de Rome, peut-être stimulés par ceux de Judée, se montraient obstinés. Aussi Dieu décida de leur envoyer une dernière épreuve pour vaincre leur obstination. Il fit publiquement prédire par son Apôtre que dans peu de temps, il susciterait contre cette nation un roi, qui, après l’avoir réduite aux plus graves angoisses, raserait leur ville, forçant les citoyens à mourir de faim et de soif. Alors, leur disait-il, on verra les uns manger les corps des autres et se détruire mutuellement, jusqu’à ce que, devenus la proie de vos ennemis, vous verrez sous vos yeux vos femmes, vos filles et vos enfants cruellement déchirés et mis à mort sur les pierres. Vos contrées seront réduites en désolation et en ruine par le fer et le feu. Ceux qui échapperont à la commune calamité seront vendus comme des bêtes de somme et soumis à une servitude perpétuelle. De tels maux viendront sur vous, ô fils de Jacob, parce que vous vous êtes réjouis de la mort du Fils de Dieu et refusez maintenant de croire en Lui[25].
            Mais comme les ministres de la persécution savaient bien qu’ils se fatigueraient inutilement s’ils ne venaient à bout du chef des chrétiens, ils se tournèrent contre lui pour l’avoir entre leurs mains et le mettre à mort. Les fidèles, sachant combien ils perdraient avec sa mort, cherchaient tous les moyens d’empêcher qu’il ne tombe entre les mains des persécuteurs. Quand ils réalisèrent qu’il était impossible qu’il puisse rester caché plus longtemps, ils lui conseillèrent de sortir de Rome et de se retirer dans un endroit moins connu. Pierre refusait ces conseils suggérés par l’amour filial et désirait ardemment la couronne du martyre. Mais comme les fidèles continuaient à prier pour qu’il fasse cela pour le bien de l’Église de Dieu, c’est-à-dire pour essayer de conserver la vie afin d’instruire et de confirmer dans la foi les croyants et de gagner des âmes au Christ, il finit par consentir et décida de partir.
            De nuit, il prit congé des fidèles pour échapper à la fureur des idolâtres. Mais arrivé hors de la ville, par la Porte Capène, aujourd’hui appelée Porte Saint-Sébastien, Jésus-Christ lui apparut tel qu’il l’avait connu et fréquenté pendant plusieurs années. Bien que surpris par cette apparition inattendue, l’Apôtre trouva le courage de l’interroger avec sa vivacité habituelle en disant : « Seigneur, où allez-vous ? » Domine, quo vadis ? Jésus répondit : « Je vais à Rome pour être crucifié à nouveau. » Cela dit, il disparut.
            Ces paroles firent comprendre à Pierre que sa propre crucifixion était imminente, car il savait que le Seigneur ne pouvait plus être crucifié de nouveau pour lui-même, mais devait être crucifié dans la personne de son Apôtre. En mémoire de cet événement, une église fut édifiée hors de la Porte Saint-Sébastien, appelée encore aujourd’hui « Domine, quo vadis« , ou « Sainte Marie ad Passus », c’est-à-dire Sainte-Marie aux Pieds, car le Sauveur laissa imprimée sur une pierre la sainte empreinte de ses pieds à l’endroit où il parla à Saint Pierre. Cette pierre se conserve encore aujourd’hui dans l’église Saint-Sébastien.
            Après cet avertissement, Saint Pierre retourna en arrière et, interrogé par les chrétiens de Rome sur la raison de son retour si rapide, il leur raconta tout. Personne ne douta plus que Pierre serait emprisonné et glorifierait le Seigneur en donnant sa vie pour Lui. Comme il craignait de tomber d’un moment à l’autre entre les mains des persécuteurs et que l’Église restât privée de son suprême pasteur dans ces moments de calamité, Pierre pensa à nommer quelques évêques plus zélés, afin que l’un d’eux succède au Pontificat après sa mort. C’étaient Saint Lin, Saint Clément, Saint Cléophas et Saint Anaclet, qui l’avaient déjà aidé dans l’office de vicaires dans les divers besoins de l’Église.
            Non content d’avoir ainsi pourvu aux besoins du Siège Pontifical, Saint Pierre voulut également adresser un écrit à tous les fidèles, comme son testament, c’est-à-dire une seconde lettre. Cette lettre est adressée au corps universel des chrétiens, nommant en particulier à ceux du Pont, de la Galatie et d’autres provinces d’Asie auxquelles il avait prêché.
            Après avoir de nouveau fait allusion à ce qu’il avait déjà dit dans sa première lettre, il recommande de toujours garder les yeux sur Jésus Sauveur, en se gardant de la corruption de ce siècle et des plaisirs mondains. Pour décider les chrétiens à se maintenir fermes dans la vertu, il leur met sous les yeux les récompenses que le Sauveur a préparées dans le royaume éternel du Ciel, et en même temps rappelle les terribles châtiments par lesquels Dieu a l’habitude de punir les pécheurs, souvent dès cette vie, mais infailliblement dans l’autre par la peine éternelle du feu. Se transportant ensuite en esprit dans l’avenir, il prédit les scandales que de nombreux hommes pervers susciteront, les erreurs qu’ils répandront et les ruses dont ils se serviront pour les propager. « Mais sachez, dit-il, qu’à l’image de sources sans eau et des brumes obscures agitées par les vents, ce sont tous des imposteurs et des séducteurs d’âmes, qui promettent une liberté qui finit toujours en un misérable esclavage, dans lequel ils sont pris eux-mêmes, et après quoi ils subiront le jugement, la perdition et le feu qui leur sont réservés. »
            « Pour moi, continue-t-il, je suis certain, selon la révélation reçue de Notre Seigneur Jésus-Christ, que dans peu de temps je dois abandonner la tente de mon corps ; mais je ne manquerai pas de faire en sorte qu’après ma mort, vous ayez les moyens de rappeler ces vérités à votre mémoire. Soyez-en certains, les promesses du Seigneur ne manqueront jamais. Viendra le dernier jour où les cieux cesseront d’exister, les éléments seront dissous ou dévorés par le feu, la terre sera consumée avec tout ce qu’elle contient. Occupez-vous donc des œuvres de piété, attendons avec patience et plaisir la venue du jour du Seigneur et, selon ses promesses, vivons de manière à pouvoir passer à la contemplation des cieux et à la possession d’une gloire éternelle. »
            Ensuite il les exhorte à se conserver purs du péché et à croire constamment que la longue patience du Seigneur envers nous est pour notre bien commun. Il recommande aussi vivement de ne pas interpréter les Saintes Écritures selon l’intention privée de chacun, et cite en particulier les lettres de Saint Paul, qu’il appelle son très cher frère, dont il dit ceci : « Jésus-Christ retarde sa venue pour vous donner le temps de vous convertir ; c’est ce que vous a écrit Paul, notre très cher frère, avec la sagesse qui lui a été donnée par Dieu. Il fait de même dans toutes ses lettres, où il parle de ces mêmes choses. Mais faites bien attention : il y a dans ces lettres certaines choses difficiles à comprendre, que les hommes ignorants et instables interprètent de manière perverse, comme ils le font aussi pour d’autres parties des Saintes Écritures, dont ils abusent pour leur propre perte. » Ces paroles méritent d’être attentivement méditées par les protestants, qui veulent confier l’interprétation de la Bible à n’importe quel homme du peuple, même s’il est grossier et ignorant. À eux on peut appliquer ce que dit Saint Pierre, à savoir que l’interprétation capricieuse de la Bible les a conduits à leur perte, ad suam ipsorum perditionem[26].

CHAPITRE XXIX. Saint Pierre en prison convertit Processus et Martinien. — Son martyre[27]. An 67 de l’ère vulgaire.
            Enfin, le moment était venu de réaliser les prédictions faites par Jésus-Christ concernant la mort de son Apôtre. Tant d’efforts méritaient d’être couronnés par la palme du Martyre. Un jour, alors qu’il se sentait tout embrasé d’amour pour la personne du Divin Sauveur et désirait ardemment pouvoir s’unir à Lui le plus tôt possible, il est surpris par des persécuteurs qui le capturent immédiatement et le conduisent dans une profonde et sombre prison appelée Mamertine, où l’on avait l’habitude d’enfermer les plus célèbres scélérats[28]. La divine providence disposa que Néron devait s’éloigner de Rome pour des affaires de gouvernement ; ainsi, Saint Pierre resta environ neuf mois en prison. Mais les véritables serviteurs du Seigneur savent promouvoir la gloire de Dieu en tout temps et en tout lieu.
            Dans l’obscurité de la prison, Pierre exerça son apostolat et surtout le ministère de la parole divine, et il eut la consolation de gagner à Jésus-Christ les deux gardiens de la prison, nommés Processus et Martinien, ainsi que 47 autres personnes qui se trouvaient enfermées au même endroit.
            On raconte – et cela est confirmé par l’autorité d’écrivains accrédités – que n’ayant pas d’eau pour administrer le baptême à ces nouveaux convertis, Dieu fit jaillir à cet instant une source perpétuelle, dont les eaux continuent à jaillir encore aujourd’hui. Les voyageurs qui se rendent à Rome prennent soin de visiter la prison Mamertine, qui se trouve au pied du Capitole, où jaillit encore aujourd’hui la fontaine prodigieuse. Cet édifice, tant dans la partie souterraine que dans celle qui s’élève sur terre, est l’objet d’une grande vénération chez les chrétiens.
            Les ministres de l’empereur tentèrent plusieurs fois de vaincre la constance du saint Apôtre ; mais, voyant que tous leurs efforts étaient inutiles, et de plus constatant que, même enchaîné, il ne cessait de prêcher Jésus-Christ et ainsi d’accroître le nombre des chrétiens, ils décidèrent de le faire taire par la mort. C’était un matin lorsque Pierre vit la prison s’ouvrir. Les bourreaux entrent, l’attachent étroitement et lui annoncent qu’il doit être conduit au supplice. Oh ! Alors son cœur fut rempli de joie. « Je me réjouis, s’exclamait-il, car bientôt je verrai mon Seigneur. Bientôt j’irai retrouver Celui que j’ai aimé et de qui j’ai reçu tant de signes d’affection et de miséricorde. »
            Avant d’être conduit au supplice, le saint Apôtre dut subir une douloureuse flagellation conformément aux lois romaines, ce qui lui causa une grande joie, car ainsi il devenait de plus en plus le fidèle disciple de son divin Maître, qui, avant d’être crucifié, avait subi une peine similaire.
            Même le chemin qu’il parcourut en allant au supplice mérite d’être noté. Les Romains, conquérants du monde, après avoir soumis une nation, préparaient la pompe du triomphe sur un magnifique char dans la vallée ou plutôt dans la plaine au pied de la colline vaticane. De là, par la voie sacrée, dite aussi triomphale, les vainqueurs montaient triomphants au Capitole. Saint Pierre, quant à lui, après avoir soumis le monde au doux joug du Christ, est également tiré de la prison et conduit par le même chemin au lieu où se préparaient ces grandes solennités.
            C’est ainsi qu’il célébrait lui aussi la cérémonie du triomphe et s’offrait lui-même en holocauste au Seigneur, hors de la porte de Rome, comme son divin Maître qui avait été crucifié hors de Jérusalem.
            Entre la colline du Janicule[29] et le Vatican, il y avait une vallée où se rassemblaient les eaux en formant un marais. Sur l’autre sommet de la montagne qui surplombait le marais, se trouvait le lieu destiné au martyre du plus grand homme du monde. Lorsqu’il arriva au lieu du supplice et vit la croix sur laquelle il était condamné à mourir, l’intrépide athlète, plein de courage et de joie, s’exclama : « Salut, ô croix, salut des nations, étendard du Christ, ô croix très chère, salut, ô réconfort des chrétiens. Tu es celle qui m’assures le chemin du ciel, tu es celle qui m’assures l’entrée dans le royaume de la gloire. Toi, que j’ai vue un jour rouge du très saint sang de mon Maître, sois aujourd’hui mon aide, mon réconfort, mon salut. »[30]
            Cependant, Saint Pierre jugeait que c’était pour lui un honneur trop grand de mourir de la même manière que son divin Maître. Il pria donc ses bourreaux de bien vouloir le faire mourir la tête en bas. Comme cette manière de mourir le faisait souffrir davantage, on lui accorda facilement cette grâce. Mais son corps, naturellement, ne pouvait tenir sur la croix si les mains et les pieds étaient seulement fixés avec des clous ; c’est pourquoi on lia ses saints membres à ce dur tronc avec des cordes.
            Il avait été accompagné au lieu du supplice par une grande foule de chrétiens et d’infidèles. En vrai homme de Dieu, au milieu des tourments, oublieux presque de lui-même, il consolait les premiers afin qu’ils ne s’affligent pas pour lui ; il s’efforçait de sauver les seconds en les exhortant à abandonner le culte des idoles et à embrasser l’Évangile, afin qu’ils puissent connaître le seul vrai Dieu, créateur de toutes choses. Le Seigneur, qui dirigeait toujours le zèle de ce fidèle ministre, le consola dans cette dernière agonie par la conversion d’un grand nombre d’idolâtres de toute condition et de tout sexe[31].
            Pendant que Saint Pierre pendait à la croix, Dieu voulut également le consoler par une vision céleste. Deux anges lui apparurent avec deux couronnes de lys et de roses, pour lui indiquer que ses souffrances étaient arrivées à leur terme et qu’il devait être couronné de gloire dans la bienheureuse éternité[32].
            Saint Pierre subit ce noble triomphe sur la croix le 29 juin, l’année soixante-dix de Jésus-Christ et la soixante-septième de l’ère vulgaire. Le même jour où Saint Pierre mourut sur la croix, Saint Paul périt sous l’épée du même tyran, glorifiant Jésus-Christ en étant décapité. Jour véritablement glorieux pour toutes les Églises de la chrétienté, mais spécialement pour celle de Rome, qui, après avoir été fondée par Pierre et longuement nourrie de la doctrine de ces deux Princes des Apôtres, est maintenant consacrée par leur martyre, par leur sang, et élevée au-dessus de toutes les églises du monde.
            C’est ainsi qu’au moment où était imminente la destruction de la ville sainte de Jérusalem, et où son temple devait être brûlé, Rome, la capitale et la maîtresse de toutes les nations, devenait par l’intermédiaire de ces deux Apôtres la Jérusalem de la nouvelle alliance, la ville éternelle. Elle devenait d’autant plus glorieuse que la grâce de l’Évangile et le sacerdoce de la nouvelle loi sont plus grands que le sacerdoce, toutes les cérémonies et figures de l’ancienne loi.
            Saint Pierre fut martyrisé à l’âge de 86 ans, après un pontificat de 35 ans, 3 mois et 4 jours. Il passa trois ans spécialement à Jérusalem. Il occupa ensuite son siège pendant sept ans à Antioche, et le reste des années à Rome.

CHAPITRE XXX. Tombeau de Saint Pierre. — Attentat contre son corps.
            Quand Saint Pierre eut rendu son dernier soupir, de nombreux chrétiens partirent du lieu du supplice en pleurant la mort du suprême Pasteur de l’Église. Saint Lin, son disciple et successeur immédiat, deux frères prêtres, Saint Marc et Saint Apulée, Saint Anaclet et d’autres chrétiens fervents se rassemblèrent autour de la croix de Saint Pierre. Lorsque les bourreaux s’éloignèrent du lieu du martyre, ils déposèrent le corps du saint Apôtre, l’oignirent avec des aromates précieux, l’embaumèrent et l’emportèrent pour l’enterrer près du Cirque, c’est-à-dire près des jardins de Néron sur la colline vaticane, précisément à l’endroit où on le vénère encore aujourd’hui. Son corps fut placé dans un site où avaient déjà été enterrés de nombreux martyrs, disciples des saints Apôtres et prémices de l’Église catholique ; sur ordre de Néron, ils avaient été exposés aux bêtes, ou crucifiés, ou brûlés, ou tués au milieu de tourments inouïs. Saint Anaclet avait érigé là un petit cimetière et c’est là, dans un coin, qu’il éleva une sorte d’oratoire où repose le corps de Saint Pierre. Ce site devint célèbre et tous les papes, successeurs de Saint Pierre, montrèrent toujours un vif désir d’y être enterrés.
            Peu après la mort de Saint Pierre, quelques chrétiens d’Orient vinrent à Rome et, pensant que ce serait pour eux un grand trésor de posséder les reliques du saint Apôtre, ils résolurent d’en faire l’acquisition. Mais sachant qu’il serait inutile d’essayer de les acheter avec de l’argent, ils pensèrent à les voler, comme si c’était quelque chose qui leur appartenait, et à les ramener dans les lieux d’où le saint était venu. Ils allèrent donc courageusement au sépulcre, en sortirent le corps et l’emportèrent dans les catacombes, qui sont un lieu creusé sous terre, actuellement appelé de Saint Sébastien, avec l’intention de l’emporter en Orient dès que l’occasion se présenterait.
            Mais Dieu, qui avait appelé ce grand Apôtre à Rome pour la rendre glorieuse par le martyre, disposa également que son corps soit conservé dans cette ville et fasse de cette église la plus glorieuse du monde. De fait, lorsque ces Orientaux allèrent pour accomplir leur projet, un orage se leva avec un tourbillon si puissant, que le bruit des tonnerres et le fracas des éclairs les obligèrent à interrompre leur action.
            Quand les chrétiens de Rome prirent conscience de ce qui s’était passé, ils sortirent en grande foule de la ville pour reprendre le corps du saint Apôtre et le ramener à nouveau sur la colline vaticane d’où il avait été enlevé[33].
            En l’an 103, Saint Anaclet, devenu Souverain Pontife à une époque où les persécutions contre les chrétiens s’étaient un peu calmées, éleva à ses frais un petit temple pour y placer les reliques et tout le sépulcre existant. Ce fut la première église dédiée au Prince des Apôtres.
            Ce dépôt sacré resta exposé à la vénération des fidèles jusqu’à la moitié du troisième siècle. Ce n’est qu’en l’an 221, en raison de la férocité avec laquelle les chrétiens étaient persécutés, et par peur que les corps des saints Apôtres Pierre et Paul ne soient profanés par les infidèles, qu’ils furent transportés par le Pontife dans les catacombes dites Cimetière de Saint Calixte, au lieu qui est appelé aujourd’hui cimetière de Saint Sébastien. Mais en l’an 255, le pape Saint Corneille, cédant à la prière et à l’insistance de Sainte Lucine et d’autres chrétiens, ramena le corps de Saint Paul sur la voie d’Ostie, à l’endroit où il avait été décapité. Quant au corps de Saint Pierre, il fut de nouveau transporté et déposé dans la tombe primitive au pied de la colline vaticane.

CHAPITRE XXXI. Tombe et Basilique de Saint Pierre au Vatican.
            Dans les premiers siècles de l’Église, les fidèles ne pouvaient généralement pas se rendre au tombeau de Saint Pierre, sauf au risque d’être accusés de christianisme et conduits devant les tribunaux des persécuteurs. Cependant, il y avait toujours une grande affluence de gens, venant des pays les plus éloignés, pour invoquer la protection du Ciel au tombeau de Saint Pierre. Mais lorsque Constantin devint maître de l’Empire romain et mit fin aux persécutions, chacun put librement se montrer comme disciple de Jésus-Christ, et le tombeau de Saint Pierre devint le sanctuaire du monde chrétien, où l’on venait de toute part pour vénérer les reliques du premier Vicaire de Jésus-Christ. L’empereur lui-même professait publiquement l’Évangile, et parmi les nombreux signes qu’il donna de son attachement à la religion catholique, l’un fut d’avoir fait construire plusieurs églises, dont celle en l’honneur du Prince des Apôtres ; celle-ci porte donc parfois le nom de Basilique constantinienne, plus communément connue sous le nom de Basilique Vaticane.
            C’est ainsi qu’en l’an 319, sous l’impulsion et à l’invitation de Saint Sylvestre, Constantin établit que le site de la nouvelle Église serait au pied du Vatican, avec le projet d’y inclure tout le petit temple construit par Saint Anaclet qui avait fait l’objet de la vénération commune jusqu’à cette époque. Le jour où l’Empereur Constantin voulut donner le coup d’envoi à la sainte entreprise, il déposa sur le lieu le diadème impérial et tous les insignes royaux, puis se prosterna à terre et versa de grandes larmes de dévotion. Il prit la houe et s’apprêta à creuser le terrain de ses propres mains, donnant ainsi le coup d’envoi à la construction de la nouvelle basilique. Il voulut lui-même en dresser le plan et définir l’espace que devait embrasser le nouveau temple. Pour encourager les gens à prêter main forte à la construction, il voulut porter sur ses épaules douze coffrets de terre en l’honneur des douze Apôtres. On déterra le corps de Saint Pierre, et en présence de nombreux fidèles et de nombreux clercs, Saint Sylvestre le plaça dans un grand coffre d’argent, surmonté d’un autre coffre en bronze doré, planté immobile dans le sol. L’urne qui renfermait le dépôt sacré mesurait cinq pieds de haut, de large et de long ; au-dessus fut placée une grande croix en or pur pesant cent cinquante livres, sur laquelle étaient gravés les noms de Sainte Hélène et de son fils Constantin. Une fois ce majestueux édifice achevé, avec une crypte ou chambre souterraine entièrement ornée d’or et de gemmes précieuses, entourée d’une quantité de lampes d’or et d’argent, on y plaça le précieux trésor : la tête de Saint Pierre. Saint Sylvestre invita de nombreux évêques et les fidèles chrétiens de toutes les parties du monde assistèrent à cette solennité. Pour les encourager encore plus, il ouvrit le trésor de l’Église et accorda de nombreuses indulgences. L’affluence fut extraordinaire, la solennité majestueuse ; c’était la première consécration qui se faisait publiquement avec des rites et des cérémonies telles que celles qui se pratiquent encore aujourd’hui lors de la consécration des édifices sacrés. La fonction se déroula en l’an 324, le dix-huit novembre. L’urne de Saint Pierre alors fermée ne fut jamais rouverte, et elle fut toujours l’objet de vénération dans toute la chrétienté. Constantin fit de nombreux dons pour la décoration et la conservation de cet auguste édifice. Tous les souverains Pontifes rivalisèrent pour rendre glorieux le sépulcre du Prince des Apôtres.
            Mais toutes les choses humaines s’usent avec le temps, et la basilique Vaticane se trouva en danger de ruine au XVIe siècle. C’est pourquoi les Pontifes décidèrent de la reconstruire entièrement. Après de nombreuses études, de grands efforts et de grandes dépenses, on put poser la première pierre du nouveau temple en l’an 1506. Le grand pape Jules II, malgré son âge avancé et le profond gouffre dans lequel il devait descendre pour atteindre la base du pilier de la coupole, voulut néanmoins y descendre en personne pour y établir et placer solennellement la première pierre. Il est difficile de décrire les efforts, le travail, l’argent, le temps, les hommes qui furent employés dans cette merveilleuse construction.
            Le travail fut achevé en l’espace de cent vingt ans. Ce fut Urbain VIII, assisté de 22 cardinaux et de tous les dignitaires qui ont l’habitude de prendre part aux fonctions pontificales, qui consacra solennellement la majestueuse basilique le 18 novembre 1626, c’est-à-dire le même jour où Saint Sylvestre avait consacré l’ancienne basilique érigée par Constantin. Pendant tout ce temps, au milieu de toutes les restaurations et de tous les travaux de construction, les reliques de Saint Pierre ne subirent aucune translation ; ni l’urne, ni le coffre en bronze ne furent déplacés, pas même la crypte ne fut ouverte. Le nouveau pavement, un peu plus élevé que l’ancien, fut disposé de manière à renfermer la chapelle primitive et à laisser intact l’autel consacré par Saint Sylvestre. À ce propos, il est à noter que lorsque l’architecte Giacomo della Porta surélevait le pavement autour de l’ancien autel pour y superposer le nouveau, il découvrit la fenêtre qui correspondait à l’urne sacrée. En y faisant descendre la lumière, il aperçut la croix d’or placée par Constantin et par Sainte Hélène, sa mère. Il fit immédiatement un rapport de tout cela au Pape, qui en 1594 était Clément VIII. Celui-ci, accompagné des cardinaux Bellarmino et Antoniano, se rendit personnellement sur les lieux et trouva ce que l’architecte avait rapporté. Le Pontife ne voulut ouvrir ni le sépulcre ni l’urne ; il n’accepta même pas que quiconque s’approchât, mais ordonna que l’ouverture fût scellée avec du ciment. Depuis lors, la tombe ne fut jamais rouverte, et personne ne s’est plus approché de ces reliques vénérables.
            Les voyageurs qui se rendent à Rome pour visiter la grande basilique Saint-Pierre au Vatican, restent comme envoûtés à la première vue, et les personnages les plus célèbres en talent et en savoir ne savent en donner qu’une faible idée quand ils retournent dans leurs pays.
            Voilà ce que l’on peut comprendre avec quelque facilité. Cette église est embellie des marbres précieux ; son ampleur et son élévation atteignent un point qui surprend l’œil qui la contemple ; le sol, les murs, la voûte sont ornés avec une telle maîtrise qu’ils semblent avoir épuisé toutes les ressources de l’art. La coupole, qui s’élève pour ainsi dire jusqu’aux nuages, est un résumé de toutes les beautés de la peinture, de la sculpture et de l’architecture. Au-dessus de la coupole, en fait au-dessus du petit dôme, se trouve une sphère ou boule en bronze doré qui, regardée de la terre, semble une balle de jeu, mais celui qui y monte et y pénètre voit un globe dans lequel seize personnes peuvent s’asseoir confortablement. En un mot, dans cette basilique, tout est si beau, si rare et si bien travaillé que cela dépasse ce que l’on peut imaginer dans le monde. Princes, rois, monarques et empereurs ont contribué à orner cet édifice merveilleux en envoyant des dons magnifiques au tombeau de Saint Pierre, et en els apportant eux-mêmes de très loin.
            Et c’est précisément au centre d’un édifice aussi magnifique que reposent les précieuses cendres d’un pauvre pêcheur, d’un homme sans érudition humaine et sans richesses, dont la fortune consistait en un filet de pêche. Et cela fut voulu par Dieu afin que les hommes comprennent comment Dieu, dans sa toute-puissance, prend l’homme le plus humble aux yeux du monde pour le placer sur le trône glorieux afin de gouverner son peuple. Ils comprendront aussi combien Il honore, même dans la vie présente, ses serviteurs fidèles, et se feront ainsi une idée de la gloire immense réservée au Ciel à ceux qui vivent et meurent à son service. Rois, princes, empereurs et les plus grands monarques de la terre sont venus implorer la protection de celui qui fut tiré d’une barque pour être fait pasteur suprême de l’Église. Les hérétiques et les infidèles eux-mêmes furent contraints de le respecter. Dieu aurait pu choisir le pasteur suprême de son Église parmi les plus grands et les plus sages de la terre ; mais alors, peut-être, ces merveilles auraient été attribuées à leur sagesse et à leur puissance. Dieu voulait qu’elles soient entièrement reconnues comme venant de sa main toute-puissante.
            Seulement dans de très rares cas, les papes ont permis que les reliques de ce grand protecteur de Rome soient transportées ailleurs. C’est pourquoi peu de lieux de la chrétienté peuvent se vanter d’en posséder : toute la gloire est à Rome.
            Si quelqu’un voulait écrire les nombreux pèlerinages faits à toutes les époques, provenant de toutes les parties du monde et de tous les milieux de la société, la multitude des grâces reçues, les miracles stupéfiants opérés là, il devrait écrire beaucoup de gros volumes.
            Quant à nous, avec des sentiments de sincère gratitude, et comme conclusion et fruit de ce que nous avons dit sur les actions du Prince des Apôtres, élevons de ferventes prières au trône du Dieu Très-Haut . Prions son heureux Vicaire et glorieux martyr, afin que du Ciel il daigne jeter un regard compatissant sur les besoins présents de son Église, qu’il daigne la protéger et la soutenir dans les assauts vigoureux qu’elle doit subir chaque jour de la part de ses ennemis, qu’il obtienne force et courage pour ses successeurs, pour tous les évêques et pour tous les ministres sacrés, afin que tous se rendent dignes du ministère que le Christ leur a confié. Ainsi réconfortés par son aide céleste, ils pourront récolter des fruits copieux de leurs efforts, et promouvoir la gloire de Dieu et le salut des âmes parmi les peuples chrétiens.
            Heureux les peuples qui sont unis à Pierre en la personne de ses successeurs, les Papes. Ils marchent sur le chemin du salut, alors que tous ceux qui se trouvent en dehors de ce chemin et n’appartiennent pas à l’union de Pierre n’ont aucun espoir de salut. Jésus-Christ lui-même nous assure que la sainteté et le salut ne peuvent se trouver que dans l’union avec Pierre, sur lequel repose le fondement inébranlable de son Église. Remercions de tout cœur la bonté divine qui a fait de nous les fils de Pierre.
            Et puisqu’il a les clés du royaume des Cieux, prions-le d’être notre protecteur dans les besoins présents, et qu’au dernier jour de notre vie, il daigne nous ouvrir la porte de la bienheureuse éternité.

APPENDICE SUR LA VENUE DE SAINT PIERRE À ROME
            Bien que les discussions sur des faits particuliers puissent être considérées comme étrangères à l’historien, la venue de Saint Pierre à Rome, qui est l’un des points les plus importants de l’histoire ecclésiastique, mais vivement combattue par les hérétiques d’aujourd’hui, me semble d’une telle importance qu’elle ne doit pas être omise.
            Cela semble d’autant plus opportun que les Protestants, depuis quelque temps, dans leurs livres, journaux et conversations, cherchent à en faire l’objet de raisonnement, toujours dans le but de la mettre en doute et de discréditer notre sainte religion catholique. Ils font cela pour diminuer, voire pour détruire, s’ils le pouvaient, l’autorité du Pape, car, disent-ils, si Pierre n’est pas venu à Rome, les Papes romains ne sont pas ses successeurs, et donc pas héritiers de ses pouvoirs. Mais les efforts des hérétiques montrent seulement à quel point l’autorité du Pape est puissante contre eux ; pour se libérer de celle-ci, ils n’hésitent pas à fabriquer des mensonges, en pervertissant et en niant l’histoire. Nous croyons que ce seul fait suffira à faire connaître la grande malhonnêteté qui règne chez eux, car mettre en doute la venue de Saint Pierre à Rome est la même chose que de douter s’il y a de la lumière lorsque le soleil brille en plein midi.
            Je pense qu’il est opportun de faire remarquer ici qu’au jusqu’au XIVe siècle, sur une période d’environ mille quatre cents ans, on ne trouve aucun auteur, ni catholique ni hérétique, qui ait soulevé le moindre doute sur la venue de Saint Pierre à Rome, et nous invitons les adversaires à en citer un seul. Le premier à avoir soulevé ce doute fut Marsile de Padoue, qui vendit sa plume à l’empereur Louis de Bavière ; et tous deux, l’un avec les armes, l’autre avec des doctrines pernicieuses, se déchaînèrent contre le primat du Souverain Pontife. Ce doute, cependant, fut considéré comme ridicule par tous, et disparut avec la mort de son auteur.
            Deux cents ans plus tard, au XVIe siècle, surgirent les esprits turbulents de Luther et de Calvin ; de leur l’école sortirent plusieurs, qui dépassèrent la malhonnêteté de leurs propres maîtres en cherchant à susciter le même doute pour mieux tromper les simples et les ignorants. Qui est un peu versé dans l’histoire sait quel crédit mérite celui qui, s’appuyant uniquement sur son caprice, se met à contredire un fait rapporté unanimement par les écrivains de tous les temps et de tous les lieux. Cette seule observation suffirait à rendre manifeste l’insuffisance de ce doute. Cependant, afin que le lecteur connaisse les auteurs qui viennent confirmer de leur autorité ce que nous affirmons, nous en citerons quelques-uns. Puisque les protestants admettent l’autorité de l’Église des quatre premiers siècles et que nous sommes désireux de leur plaire dans tout ce qui est possible, nous nous servirons des écrivains qui ont vécu à cette époque. Certains d’entre eux affirment que Pierre fut à Rome, et d’autres attestent qu’il y fonda son siège épiscopal et y subit le martyre.
            Dans sa première lettre aux Corinthiens, le Pape Saint Clément, disciple de Saint Pierre et son successeur au pontificat, donne comme publique et certaine la venue de Saint Pierre à Rome, en ajoutant la longue durée de son séjour et le martyre qu’il y subit avec Saint Paul. Voici ses mots : « L’exemple de ces hommes, qui, vivant saintement, rassemblèrent une grande multitude d’élus et souffrirent de nombreux supplices et tourments, est resté célèbre parmi nous. »
            Le martyr Saint Ignace, lui aussi disciple de Saint Pierre et son successeur à l’épiscopat d’Antioche, fut conduit à Rome pour y être martyrisé ; écrivant aux Romains, il leur demande de ne pas vouloir empêcher son martyre en disant :
            « Je vous prie, je ne vous commande pas, comme l’ont fait Pierre et Paul : Non ut Petrus et Paulus praecipio vobis. »
            La même affirmation se trouve chez Papias, contemporain des précédents et disciple de Saint Jean Évangéliste, comme on peut le voir chez Eusèbe dans son Histoire Ecclésiastique, au livre 2, chapitre 15.
            Vers la même époque, nous avons les illustres témoignages de Saint Irénée et de Saint Denys, qui ont longuement connu et conversé avec les disciples des Apôtres, et étaient très informés des événements survenus au sein de l’Église de Rome.
            Saint Irénée, évêque de Lyon, mort martyr en l’an 202, atteste que Saint Matthieu a diffusé son Évangile aux Hébreux dans leur propre langue, tandis que Pierre et Paul prêchaient à Rome et y établissaient l’Église : Petro et Paulo Romae evangelizantibus et constituentibus Ecclesiam[34]. Après de tels témoignages, nous ne savons comment les hérétiques osent nier la venue de Saint Pierre à Rome. Presque à la même époque vécurent les célèbres Clément d’Alexandrie, Saint Caïus prêtre de Rome, Tertullien de Carthage, Origène, Saint Cyprien et beaucoup d’autres, qui s’accordent à rapporter la grande affluence des fidèles au tombeau de Saint Pierre martyrisé à Rome. Et tous, pleins de vénération pour le primat dont jouissait l’Église de Rome, disent que c’est de celle-ci que l’on doit attendre les oracles du salut éternel, car Jésus-Christ a promis la conservation de la foi à son fondateur Saint Pierre[35].
            En passant ensuite de ces écrivains aux grandes lumières de l’Église, S. Pierre d’Alexandrie, S. Astère d’Amasée, S. Optat de Milève, S. Ambroise, S. Jean Chrysostome, S. Épiphane, S. Maxime de Turin, S. Augustin, S. Cyrille d’Alexandrie et beaucoup d’autres, nous trouvons leurs témoignages unanimes et concordants sur la vérité que nous affirmons, à savoir que Pierre fut à Rome et y subit le martyre. S. Optat, évêque de Milève en Afrique, en écrivant contre les Donatistes, dit ceci : « Tu ne peux pas nier, tu le sais, que dans la ville de Rome, la chaire épiscopale fut tenue dès le début par Pierre. » Par souci de brièveté, nous rapportons seulement les paroles de S. Jérôme, célèbre Docteur du IVe siècle de l’Église : « Pierre, prince des Apôtres, va à Rome dans la deuxième année de l’empereur Claude, et y tient la chaire sacerdotale jusqu’à la dernière année de Néron. Enterré à Rome au Vatican, près de la Voie Triomphale, il est célèbre pour la vénération que lui rend l’univers.[36] » À cela s’ajoutent les nombreux martyrologes des différentes Églises latines, qui nous sont parvenus depuis la plus lointaine antiquité, les Calendriers des Éthiopiens, des Égyptiens, des Syriens, les ménologes des Grecs, ainsi que les liturgies de toutes les Églises chrétiennes dispersées dans les divers pays de la chrétienté. Partout on trouve la preuve de la vérité de ce récit.
            Que dire de plus ? Même des protestants quelque peu célèbres en doctrine, comme Gave, Ammendo, Pearson, Grotius, Usserius, Biondello, Scaliger, Basnagio et Newton et beaucoup d’autres s’accordent pour dire que la venue du prince des Apôtres à Rome et sa mort survenue dans cette métropole de l’univers sont des faits incontestables.
            Il est vrai que ni les Actes des Apôtres, ni S. Paul dans sa lettre aux Romains n’en font mention. Mais au-delà du fait que des écrivains accrédités reconnaissent que ces auteurs mentionnent avec suffisamment de clarté cet événement[37], nous observons que l’auteur des Actes des Apôtres n’avait pas pour but d’écrire les actions de S. Pierre et des autres Apôtres, mais seulement celles de S. Paul, son compagnon et maître, comme s’il voulait faire l’apologie de cet Apôtre des gentils, le plus méprisé et le plus calomnié par les Juifs. C’est pourquoi, après avoir narré les débuts de l’Église du chapitre XVI jusqu’à la fin de son livre, S. Luc n’écrit plus sur d’autres personnages mais seulement sur Paul et ses compagnons de mission. En fait, dans ses Actes, Luc ne nous raconte même pas tout ce qu’a fait Paul, et que nous ne connaissons que par les lettres de cet Apôtre. Est-ce qu’il parle, par exemple, des trois naufrages subis par son maître, de son combat contre les bêtes à Éphèse, et d’autres exploits dont il est fait mention dans sa deuxième lettre aux Corinthiens et dans celle aux Galates[38] ? Parle-t-il du martyre de Paul, ou même seulement de ce qu’il fit après sa première captivité à Rome ? Parle-t-il peut-être aussi d’une seule de ses 14 lettres ? Rien de tout cela. Alors, pourquoi s’étonner si cet auteur a gardé le silence sur toutes les aventures de Pierre, parmi lesquelles sa venue à Rome ?
            Ce que nous avons dit sur le silence de Saint Luc vaut pour le silence de Saint Paul dans sa lettre aux Romains. En écrivant aux Romains, Paul ne salue pas Pierre ; donc, concluent les Protestants, Pierre n’a jamais été à Rome. Quelle étrange raisonnement ! Au mieux, on pourrait en déduire que Pierre à ce moment-là ne se trouvait pas à Rome, et rien de plus. Qui ne sait que Pierre, tout en ayant son siège à Rome, s’en éloignait souvent pour aller fonder d’autres Églises dans diverses parties d’Italie ? N’avait-il pas fait de même lorsqu’il avait son siège à Jérusalem et à Antioche ? C’est précisément à cette époque qu’il voyagea dans diverses parties de la Palestine, puis en Asie Mineure, en Bithynie, dans le Pont, en Galatie, en Cappadoce, à qui il adressa spécialement sa première lettre. On peut donc supposer qu’il faisait de même en Italie, qui lui offrait une moisson très abondante. D’ailleurs, Pierre ne s’occupait pas seulement de Rome en Italie, nous apprend Eusèbe, historien du IVe siècle, qui dit ceci en décrivant les principaux événements de sa vie : « Les preuves des choses faites par Pierre sont ces mêmes Églises qui brillèrent peu après, comme par exemple l’Église de Césarée en Palestine, celle d’Antioche en Syrie et l’Église de la ville de Rome elle-même. Car il a été transmis aux générations futures que Pierre lui-même a fondé ces Églises et toutes celles qui l’entourent. Et il en a été de même de celles d’Égypte et même d’Alexandrie, bien que celles-ci aient été fondées non pas par lui, mais par l’intermédiaire de Marc, son disciple, alors que lui-même était occupé en Italie et parmi les peuples environnants.[39] »
            Donc, Paul ne salue pas Pierre dans sa lettre aux Romains, parce qu’il savait qu’à ce moment-là il ne se trouvait peut-être pas à Rome. Certes, si Pierre y avait été, il aurait pu résoudre lui-même la question qui se posait aux fidèles, et qui a donné l’occasion à Paul d’écrire sa célèbre lettre.
            Et puis, même si Pierre s’était trouvé dans cette ville, on peut bien dire que Paul dans sa lettre n’a pas laissé aux fidèles le soin de le saluer avec les autres, car il le fit saluer à part par le porteur de celle-ci, ou lui écrivit individuellement comme nous le faisons encore aujourd’hui avec des personnages importants. D’ailleurs, si le fait que Paul, en écrivant aux Romains, n’a pas fait saluer Pierre prouvait que Pierre n’a jamais été à Rome, alors nous devrions aussi dire que Saint Jacques le Mineur n’a jamais été évêque de Jérusalem, car Paul, en écrivant aux Hébreux, ne le salue pas du tout. Or, toute l’antiquité proclame Saint Jacques évêque de Jérusalem. Donc le silence de Paul ne prouve rien contre la venue de Saint Pierre à Rome.
Ajoutons : si le silence de la Sainte Écriture concernant la venue de Saint Pierre à Rome prouvait que Pierre n’est pas venu à Rome, alors on pourrait aussi faire le raisonnement suivant : la Sainte Écriture ne dit pas que Saint Pierre est mort, donc Saint Pierre est encore vivant, et vous, protestants, cherchez-le dans un coin de la terre.
            Il y a une autre raison du silence de la Sainte Écriture sur la venue et la mort de Saint Pierre à Rome, et nous ne voulons pas la taire. Que Pierre soit le chef de l’Église, le pasteur suprême, le maître infaillible de tous les fidèles, et que ces prérogatives doivent être transmises à ses successeurs jusqu’à la fin du monde, c’est un dogme de foi, et cela devait donc être révélé soit par la Sainte Écriture, soit par la Tradition divine, comme cela a été. Mais qu’il soit venu et mort à Rome est un fait historique, un fait que l’on pouvait voir de ses propres yeux, toucher de ses propres mains, et donc il n’était pas nécessaire d’avoir un témoignage de la Sainte Écriture pour l’attester, il suffisait pour cela d’avoir les preuves qui annoncent et confirment à l’homme tous les autres faits. Les protestants qui prétendent nier la venue de Saint Pierre à Rome parce qu’on ne peut pas le prouver par des arguments bibliques, tombent dans le ridicule. Que diraient-ils de celui qui nierait la venue et la mort de l’empereur Auguste dans la ville de Nola parce que l’Écriture ne le dit pas ? Si nous voulons nous arrêter sur ce silence des Actes des Apôtres et de la lettre de Saint Paul, disons que cela n’est une preuve ni pour nous, ni pour les protestants. Car la saine logique et la simple raison naturelle nous enseignent que, lorsque l’on cherche la vérité d’un fait passé sous silence par un auteur, il faut chercher la vérité auprès d’autres auteurs qui ont le droit d’en parler. C’est ce que nous avons fait abondamment.
            Nous n’ignorons pas non plus que Flavius Josèphe ne parle pas de cette venue de Saint Pierre à Rome, pas plus qu’il ne parle de Saint Paul. Mais que lui importe à lui de parler des chrétiens ? Son but était d’écrire l’histoire du peuple juif et de la guerre judaïque, et non les faits particuliers survenus ailleurs. Il parle bien de Jésus-Christ, de Saint Jean-Baptiste, de Saint Jacques, dont la mort est survenue en Palestine ; mais est-ce qu’il parle de Saint Paul, de Saint André ou des autres Apôtres, qui ont remporté la couronne du martyre en dehors de la Palestine ? Et ne dit-il pas lui-même qu’il veut passer sous silence de nombreux faits survenus de son temps[40] ?
            Et puis, n’est-il pas insensé de faire plus confiance à un juif qui n’en parle pas qu’aux premiers chrétiens qui proclament tous d’une seule voix que Saint Pierre est mort à Rome, après y avoir demeuré de nombreuses années ?
            Nous ne voulons pas non plus omettre la difficulté que certains soulèvent sur le désaccord des écrivains concernant l’année de la venue de Saint Pierre à Rome. Car de nos jours, les érudits s’accordent généralement sur la chronologie que nous suivons. Mais nous disons que ce désaccord des écrivains anciens prouve la vérité du fait : il démontre qu’un écrivain n’a pas copié l’autre, que chacun se servait des documents ou des mémoires qu’il avait dans son pays et qui étaient publiquement reconnus comme certains. On ne doit pas non plus être surpris par le désaccord chronologique (qui est d’un ou deux ans environ) en des temps reculés où chaque nation avait sa propre manière de compter les années. Mais tous ces auteurs rapportent franchement cette venue de Saint Pierre à Rome et en mentionnent les circonstances minutieuses concernant son séjour et sa mort dans cette ville.
            Les adversaires de la venue de Saint Pierre à Rome ajoutent encore ceci : on lit dans la première lettre de Saint Pierre aux fidèles d’Asie qu’il était à Babylone. En effet, voici comment il s’exprime dans ses salutations : « Recevez les salutations de l’Église qui est rassemblée à Babylone, et de Marc, mon fils ». Donc, sa venue à Rome est impossible. Commençons par dire que, même si par Babylone, dont parle Pierre, on entendait la métropole de l’Assyrie, on ne pourrait cependant pas encore en déduire qu’il n’a pas pu venir, et qu’il n’est pas venu à Rome. Son pontificat fut très long, et les critiques s’accordent à dire que la lettre susmentionnée a été écrite avant l’année 43, ou autour de cette date. En effet, il salue aussi les fidèles au nom de Marc, et nous savons par Eusèbe que Marc a été envoyé par Pierre pour fonder l’Église d’Alexandrie en l’an 43 de Jésus-Christ. Il en résulte que Pierre, entre la date de sa lettre et sa mort, avait au moins encore 24 ans à vivre. Dans un intervalle de temps aussi long, n’aurait-il pas pu faire le voyage à Rome ?
            Mais nous avons une autre réponse à donner. En parlant de Babylone par métaphore, Pierre entendait parler de la ville de Rome, où il se trouvait justement en écrivant sa lettre. C’est ce qu’affirme toute l’antiquité. Papias, disciple des Apôtres, dit en termes clairs que Pierre a montré qu’il avait écrit sa première lettre à Rome, tout en lui donnant le nom symbolique de Babylone[41]. Saint Jérôme dit également que Pierre, dans sa première lettre, sous le nom de Babylone, signifiait la ville de Rome : Petrus in epistola prima sub nomine Babylonis figurative Romam significans, salutat vos, inquit, ecclesia quae est in Babylone collecta[42]. Un tel langage n’était pas inhabituel chez les chrétiens. Saint Jean donne à Rome le même nom de Babylone. Dans son Apocalypse, après avoir appelé Rome la ville des sept collines, la grande ville qui règne sur les rois de la terre, il annonce sa chute, en écrivant : Cecidit, cecidit Babylon magna : elle est tombée, elle est tombée la grande Babylone[43]. Rien d’étonnant donc que Rome puisse être appelée une Babylone, car elle renfermait en son sein toutes les erreurs répandues dans les diverses parties du monde qu’elle dominait.
            Pierre avait également de bonnes raisons de taire le nom littéral du lieu d’où il écrivait. En effet, ayant échappé peu auparavant aux mains d’Hérode Agrippa, et sachant l’étroite amitié qui liait ce roi et l’empereur Claude, il pouvait justement craindre quelque traîtrise de ces deux ennemis du nom chrétien si sa lettre venait à s’égarer. Pour éviter ce danger, la prudence voulait qu’il utilise dans son écrit un mot connu des chrétiens et inconnu des Juifs et des gentils. C’est ce qu’il fit.
            De plus, les paroles de Pierre apportent une autre preuve de sa venue à Rome. En effet, en concluant sa lettre, Pierre dit : « L’Église vous salue… ainsi que Marc, mon fils ». Donc Marc se trouvait avec Pierre. Cela dit, toute la tradition proclame unanimement que Marc, fils spirituel de Pierre, son disciple, son interprète, son copiste et je dirais son secrétaire, était à Rome et c’est dans cette ville qu’il écrivit l’Évangile qu’il a entendu prêcher par son Maître[44]. Donc il est nécessaire d’admettre également que Pierre était à Rome avec son disciple.
            Nous pouvons maintenant arriver à la conclusion suivante. Pendant quatorze cents ans, jamais personne n’a émis le moindre doute sur la venue de Saint Pierre à Rome. Au contraire, nous avons une longue série d’hommes célèbres pour leur sainteté et leur doctrine, qui depuis les temps apostoliques jusqu’à nous, l’ont toujours acceptée avec autorité. Les liturgies, les martyrologes, et même les ennemis du christianisme s’accordent avec la majorité des protestants sur ce fait.
            C’est donc vous, protestants d’aujourd’hui, qui contestez la venue de Saint Pierre à Rome ; vous vous opposez à toute l’antiquité, vous vous opposez à l’autorité des hommes les plus savants et pieux des temps passés, vous vous opposez aux martyrologes, aux ménologes, aux liturgies, aux calendriers de l’antiquité, vous vous opposez à ce que vos propres maîtres ont écrit.
            Ô protestants, ouvrez les yeux, écoutez les paroles d’un ami qui vous parle uniquement pour votre bien. Beaucoup prétendent être votre guide dans la vérité, mais ils vous trompent, soit par malice, soit par ignorance. Écoutez la voix de Dieu qui vous appelle à son bercail, sous la garde du pasteur suprême qu’il a établi. Abandonnez votre engagement actuel, surmontez l’obstacle du respect humain, renoncez aux erreurs dans lesquelles des hommes victimes d’illusion vous ont précipités. Revenez à la religion de vos ancêtres, et que certains de vos ancêtres ont abandonnée ; invitez tous les partisans de la Réforme à écouter ce que disait à son époque Tertullien : « Courage, chrétien, si tu veux une assurance dans la grande affaire du salut, fais appel aux Églises fondées par les Apôtres. Va à Rome, d’où émane notre autorité. Heureuse Église, où ils ont répandu toute leur doctrine en même temps que leur sang, où Pierre a souffert un martyre semblable à la passion de son divin Maître, où Paul a obtenu la couronne du martyre en ayant la tête tranchée, où Jean a été plongé dans une chaudière d’huile bouillante sans ressentir aucun mal et a été exilé par la suite sur l’île de Patmos ![45] »

Troisième Édition
Turin
Librairie Salésienne Éditrice 1899
[1ère éd., 1856 ; réimpr. 1867 et 1869 ; 2ème éd., 1884]

PROPRIÉTÉ DE L’ÉDITEUR
S. Pier d’Arena – École Typ. Salésienne
Hospice S. Vincent de Paul
(N. 1265 — M)

Vu : Nihil obstat
Gênes, 12 juin 1899
AGOSTINO Can. MONTALDO
V. Permis d’imprimer
Gênes, 15 juin 1899
Chan.
PAOLO CANEVELLO Prov. Gen.


[1] Les informations concernant la vie de Saint Pierre ont été tirées de l’Évangile, des Actes et de certaines lettres des Apôtres, ainsi que de divers autres auteurs, dont les mémoires sont rapportées par César Baronius dans le premier volume de ses annales, par les Bollandistes le 18 janvier, 22 février, 29 juin, 1er août et ailleurs. La vie de Saint Pierre a été largement traitée par Antonio Cesari dans les Actes des Apôtres et aussi dans un volume séparé, par Luigi Cuccagni dans trois volumes consistants, et par beaucoup d’autres.

[2] Saint Ambroise, Commentaire sur l’Évangile de Luc, livre 4.

[3] Saint Ambroise, œuvre citée.

[4] Saint Jérôme, Contre Jovinien, chapitre 1, 26.

[5] Évangile selon Matthieu, chapitre 16.

[6] Genèse, chapitre 41.

[7] Évangile selon Matthieu, chapitre 18.

[8] Évangile selon Matthieu, chapitre 15.

[9] Saint Jean Damascène, Homélie sur la Transfiguration.

[10] Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur l’Évangile de Matthieu.

[11] Le transfert de « porte » au sens de « pouvoir », donc le signe pour la chose signifiée, découle du fait que dans l’ancienne loi et chez les peuples orientaux, les princes et les juges exerçaient généralement leur pouvoir législatif et judiciaire devant les portes de la ville (voir III, p. XXII, 2). De plus, cette partie de la ville était maintenue dans un état continu de défense et de protection, de sorte qu’une fois les portes prises, le reste était facilement conquis. Encore aujourd’hui, on dit « Porte Ottomane » ou « Sublime Porte » pour indiquer la puissance turque.

[12] Saint Jérôme, Contre Jovinien, chapitre 1, 26.

[13] Saint Augustin, Sur l’Unité de l’Église.

[14] Saint Irénée, Contre les Hérésies, livre III, n. 3.

[15] Psaumes 68, 108.

[16] Évangile selon Jean, 14, 12.

[17] Voir Saint Basile de Séleucie et les Reconnaissances de Saint Clément.

[18] Voir Théodoret, Saint Jean Chrysostome, Saint Clément, etc.

[19] Benoît XIV, De la Béatification des Serviteurs de Dieu, livre I, chapitre I.

[20] Lettre aux Romains, chapitre I.

[21] Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, livre II, chapitre 15.

[22] Première Lettre de Pierre, chapitre 5.

[23] Saint Pacien, lettre 2.

[24] Les saints Pères qui racontent le fait de Simon le Magicien, entre autres, sont : Saint Maxime de Turin, Saint Cyrille de Jérusalem, Saint Sulpice Sévère, Saint Grégoire de Tours, Saint Clément Pape, Saint Basile de Séleucie, Saint Épiphane, Saint Augustin, Saint Ambroise, Saint Jérôme et beaucoup d’autres.

[25] Lactance, livre 4.

[26] Épître 2, chapitre 3.

[27] Les opinions des chercheurs varient quant à l’année du martyre du Prince des Apôtres, mais la plus probable est celle qui l’assigne à l’année 67 de l’ère vulgaire. En effet, Saint Jérôme, infatigable enquêteur et connaisseur des choses sacrées, nous informe que Saint Pierre et Saint Paul ont été martyrisés deux ans après la mort de Sénèque, maître de Néron. Or, Tacite, historien de ces temps, nous apprend que les consuls sous lesquels mourut Sénèque étaient Silius Nerva et Atticus Vestinus, qui ont exercé le consulat en l’année 65 ; donc, les deux Apôtres ont subi le martyre en 67. À ce calcul d’années, pour lequel le martyre est fixé à cette époque, correspondent les 25 ans et presque deux mois pendant lesquels Saint Pierre a tenu son Siège à Rome ; ce nombre d’années a toujours été reconnu par toute l’antiquité (voir « Observations historique-chronologiques » de Mgr Domenico Bartolini, cardinal de la Sainte Église : « Si l’année 67 de l’ère vulgaire est l’année du martyre des glorieux Princes des Apôtres Pierre et Paul », Rome, Tipografia Scalvini, 1866).

[28] La chaîne avec laquelle Saint Pierre a été lié se conserve encore à Rome dans l’église dite Saint-Pierre-aux-Liens (Artano, « Vie de Saint Pierre »).

[29] Sur le point le plus élevé du Mont Janicule, où Ancus Marcius, quatrième roi de Rome, fonda la forteresse, l’église San Pietro in Montorio a été édifiée à l’endroit où le saint Apôtre a subi le martyre. Ce mont a été appelé Janicule, parce qu’il était dédié à Janus, gardien des portes qui en latin se dit ianuae. On dit qu’on a enterré ici également Janus, celui qui a construit cette partie de Rome en face du Capitole. Il a également été appelé Mont Aureo, d’après la toute proche et ancienne Porte Aurélienne. Maintenant, il s’appelle Montorio, ou Mont d’Or, en raison de la couleur jaune de la terre qui couvre cette colline, l’une des sept collines de l’ancienne Rome (voir Moroni, « Églises de Saint Pierre »).

[30] Bollandistes, jour 29 juin.

[31] Saint Éphrem Syrien.

[32] Voir Place Emmanuel.

[33] Voir Saint Grégoire le Grand, épître 30. Baronius à l’année 284.

[34] Saint Irénée, Contre les Hérésies, livre III, chapitre 1.

[35] Gaïus Romain chez Eusèbe ; Clément d’Alexandrie, Stromates, livre 7 ; Tertullien, De persecutionibus ; Origène chez Eusèbe, livre 3 ; Saint Cyprien, lettre 52 à Antonin et lettre 55 à Cornelius.

[36] Saint Jérôme, De viris illustribus, chapitre 1.

[37] Théodoret, évêque de Cyr, homme très versé dans l’histoire ecclésiastique, mort en l’an 450, commentant la Lettre de Saint Paul aux Romains, là où l’Apôtre écrit : « Je désirerais vous voir, pour vous communiquer quelque don spirituel afin que vous soyez fortifiés » (Romains 1,11), ajoute que Paul n’a pas dit vouloir les confirmer, parce que le grand Saint Pierre leur avait déjà communiqué l’Évangile en premier : « Parce que Pierre leur a donné le premier la doctrine évangélique, il a nécessairement ajouté ‘pour vous confirmer' » (Commentaire à la Lettre aux Romains).

[38] 1 Corinthiens 11, 23-24 ; Galates 1, 17-18.

[39] Voir Théophanie.

[40] Antiquités Judaïques, livre 20, chapitre 5.

[41] Chez Eusèbe, livre II, 14.

[42] Saint Jérôme, De viris illustribus.

[43] Apocalypse 17,5 ; 18,2.

[44] Voir Saint Jérôme, De viris illustribus, chapitre 8.

[45] Tertullien, De praescriptione haereticorum, chapitre 36.




Vie de saint Paul Apôtre docteur des nations

Le moment culminant de l’Année Jubilaire pour chaque croyant est le passage par la Porte Sainte, un geste hautement symbolique qui doit être vécu avec une profonde méditation. Il ne s’agit pas d’une simple visite pour admirer la beauté architecturale, sculpturale ou picturale d’une basilique : les premiers chrétiens ne se rendaient pas dans les lieux de culte pour cette raison, d’autant plus qu’à l’époque, il n’y avait pas grand-chose à admirer. Ils venaient plutôt prier devant les reliques des saints apôtres et martyrs, et pour obtenir l’indulgence grâce à leur puissante intercession. Se rendre sur les tombes des apôtres Pierre et Paul sans connaître leur vie n’est pas un signe d’appréciation. C’est pourquoi, en cette Année Jubilaire, nous souhaitons présenter les parcours de foi de ces deux glorieux apôtres, tels qu’ils ont été narrés par Saint Jean Bosco.

Vie de saint Paul Apôtre docteur des nations racontée au peuple par le prêtre Jean Bosco

PRÉFACE

CHAPITRE I. Patrie, éducation de Saint Paul, sa haine contre les Chrétiens

CHAPITRE II. Conversion et Baptême de Saul — An 34 ap. J.-C.

CHAPITRE III. Premier voyage de Saul — Retour à Damas; des pièges lui sont tendus — Il va à Jérusalem et se présente aux Apôtres — Jésus-Christ lui apparaît — Années 35, 36 et 37 ap. J.-C.

CHAPITRE IV. Prophéties d’Agabus — Saul et Barnabé ordonnés évêques — Ils vont sur l’île de Chypre — Conversion du proconsul Sergius — Châtiment du magicien Élymas — Jean-Marc retourne à Jérusalem — Années 40-43 ap. J.-C.

CHAPITRE V. Saint Paul prêche à Antioche de Pisidie — An 44 ap. J.-C.

CHAPITRE VI. Saint Paul prêche dans d’autres villes — Opère un miracle à Lystres, où il est ensuite lapidé et laissé pour mort — An 45 ap. J.-C.

CHAPITRE VII. Paul miraculeusement guéri — Autres travaux apostoliques — Conversion de Sainte Thècle

CHAPITRE VIII. Saint Paul va conférer avec Saint Pierre — Il assiste au Concile de Jérusalem — An 50 ap. J.-C.

CHAPITRE IX. Paul se sépare de Barnabé — Il parcourt plusieurs villes d’Asie — Dieu l’envoie en Macédoine — À Philippes, il convertit la famille de Lydie — An 51 ap. J.-C.

CHAPITRE X. Saint Paul libère une jeune fille du démon — Il est battu de verges — Il est mis en prison — Conversion du geôlier et de sa famille — An 51 ap. J.-C.

CHAPITRE XI. Saint Paul prêche à Thessalonique — L’affaire de Jason — Il va à Bérée où il est de nouveau contrecarré par les Juifs — An 52 ap. J.-C.

CHAPITRE XII. État religieux des Athéniens — Saint Paul à l’Aréopage — Conversion de Saint Denys — Année 52 ap. J.-C.

CHAPITRE XIII. Saint Paul à Corinthe — Son séjour chez Aquilas — Baptême de Crispus et de Sosthène — Il écrit aux Thessaloniciens — Retour à Antioche — Années 53-54 ap. J.-C.

CHAPITRE XIV. Apollos à Éphèse — Le sacrement de la Confirmation — Saint Paul opère de nombreux miracles — Le fait de deux exorcistes juifs — An 55 ap. J.-C.

CHAPITRE XV. Sacrement de la Confession — Livres pervers brûlés — Lettre aux Corinthiens — Soulèvement pour la déesse Diane — Lettre aux Galates — Années 56-57 ap. J.-C.

CHAPITRE XVI. Saint Paul retourne à Philippes — Deuxième Lettre aux fidèles de Corinthe — Il va dans cette ville — Lettre aux Romains — Son sermon prolongé à Troas — Il ressuscite un mort — An 58 ap. J.-C.

CHAPITRE XVII. Prédication de Saint Paul à Milet — Son voyage jusqu’à Césarée — Prophétie d’Agabus — Année 58 ap. J.-C.

CHAPITRE XVIII. Saint Paul se présente à Saint Jacques — Les Juifs lui tendent des pièges — Il parle au peuple — Il réprimande le grand prêtre — An 59 ap. J.-C.

CHAPITRE XIX. Quarante Juifs s’engagent par vœu à tuer Saint Paul — Un de ses neveux découvre le complot — Il est transféré à Césarée — An 59 ap. J.-C.

CHAPITRE XX. Paul devant le gouverneur — Ses accusateurs et sa défense — An 59 ap. J.-C.

CHAPITRE XXI. Paul devant Festus — Ses paroles au roi Agrippa — An 60 ap. J.-C.

CHAPITRE XXII. Saint Paul est embarqué pour Rome — Il subit une terrible tempête, dont il est sauvé avec ses compagnons — An 60 ap. J.-C.

CHAPITRE XXIII. Saint Paul sur l’île de Malte — Il est libéré de la morsure d’une vipère — Il est accueilli chez Publius, dont il guérit le père — An 60 ap. J.-C.

CHAPITRE XXIV. Voyage de Saint Paul de Malte à Syracuse — Il prêche à Rhegium — Son arrivée à Rome — An 60 ap. J.-C.

CHAPITRE XXV. Paul parle aux Juifs et leur prêche Jésus-Christ — Progrès de l’Évangile à Rome — An 61 ap. J.-C.

CHAPITRE XXVI. Saint Luc — Les Philippiens envoient de l’aide à Saint Paul — Maladie et guérison d’Épaphrodite — Lettre aux Philippiens — Conversion d’Onésime — An 61 ap. J.-C.

CHAPITRE XXVII. Lettre de Saint Paul à Philémon — An 62 ap. J.-C.

CHAPITRE XXVIII. Saint Paul écrit aux Colossiens, aux Éphésiens et aux Hébreux — An 62 ap. J.-C.

CHAPITRE XXIX. Saint Paul est libéré — Martyre de Saint Jacques le Mineur — An 63 ap. J.-C.

CHAPITRE XXX. Autres voyages de Saint Paul — Il écrit à Timothée et à Tite — Son retour à Rome — An 68 ap. J.-C.

CHAPITRE XXXI. Saint Paul est de nouveau emprisonné — Il écrit la deuxième lettre à Timothée — Son martyre — Années 69-70 ap. J.-C.

CHAPITRE XXXII. Enterrement de Saint Paul — Merveilles opérées près de sa tombe — Basilique qui lui est dédiée

CHAPITRE XXXIII. Portrait de Saint Paul — Image de son esprit — Conclusion

PRÉFACE

            Saint Pierre est le prince des Apôtres, premier Pape, Vicaire de Jésus-Christ sur la terre. Il a été établi chef de l’Église ; mais sa mission était particulièrement dirigée vers la conversion des Juifs. Saint Paul est cet Apôtre qui a été appelé de manière extraordinaire par Dieu à porter la Lumière de l’Évangile aux Gentils. Ces deux grands Saints sont désignés par l’Église comme les colonnes et les fondements de la Foi, princes des Apôtres, qui, par leurs efforts, leurs écrits et leur sang, nous ont enseigné la loi du Seigneur ; Ipsi nos docuerunt legem tuam, Domine. Pour cette raison, à la vie de Saint Pierre succède celle de Saint Paul.
            Il est vrai que cet apôtre ne fait pas partie de la série des Papes ; mais les efforts extraordinaires qu’il a déployés pour aider Saint Pierre à propager l’Évangile, son zèle, sa charité, la doctrine qu’il nous a laissée dans les livres sacrés, le rendent digne d’être placé aux côtés de la vie du premier Pape, comme une forte colonne sur laquelle repose l’Église de Jésus-Christ.

CHAPITRE I. Patrie, éducation de Saint Paul, sa haine contre les Chrétiens

            Saint Paul était Juif de la tribu de Benjamin. Huit jours après sa naissance, il fut circoncis, et on lui donna le nom de Saul, qui fut ensuite changé en celui de Paul. Son père habitait à Tarse, ville de Cilicie, province de l’Asie Mineure. L’empereur César Auguste accorda de nombreux privilèges à cette ville, parmi lesquels le droit de citoyenneté romaine. Ainsi, Saint Paul, étant né à Tarse, était citoyen romain, qualité qui lui conférait de nombreux avantages, car il pouvait bénéficier de l’immunité des lois particulières de tous les pays soumis ou alliés à l’empire romain, et dans n’importe quel endroit, un citoyen romain pouvait faire appel au sénat ou à l’empereur pour être jugé.
            Ses parents, étant aisés, l’envoyèrent à Jérusalem pour lui donner une éducation convenable à leur statut. Son maître fut un docteur nommé Gamaliel, homme de grande vertu, dont nous avons déjà parlé dans la vie de Saint Pierre. Dans cette ville, il eut la chance de trouver un bon compagnon de Chypre, appelé Barnabé, jeune homme de grande vertu, dont la bonté de cœur contribua beaucoup à tempérer l’ardeur de son condisciple. Ces deux jeunes hommes restèrent toujours de loyaux amis, et nous les verrons devenir collègues dans la prédication de l’Évangile.
            Le père de Saul était Pharisien, c’est-à-dire qu’il professait la secte la plus stricte parmi les Juifs, qui considérait la vertu comme une grande apparence extérieure de rigueur, maxime totalement contraire à l’esprit d’humilité de l’Évangile. Saul suivit les préceptes de son père, et comme son maître était aussi Pharisien, il devint plein d’enthousiasme pour en augmenter le nombre et éliminer tout obstacle qui s’opposerait à cet objectif.
            Il était d’usage chez les Juifs de faire apprendre à leurs enfants un métier tout en s’occupant de l’étude de la Bible. Cela se faisait afin de les préserver des dangers que l’oisiveté entraîne ; et aussi pour occuper le corps et l’esprit dans quelque chose qui puisse leur permettre de gagner leur pain dans les circonstances difficiles de la vie. Saul apprit le métier de tanneur de peaux et surtout à coudre des tentes. Il se distinguait parmi tous ceux de son âge par son zèle envers la loi de Moïse et les traditions des Juifs. Ce zèle peu éclairé le rendit blasphémateur, persécuteur et féroce ennemi de Jésus-Christ.
            Il incita les Juifs à condamner Saint Étienne, et il fut présent à sa mort. Et comme son âge ne lui permettait pas de prendre part à l’exécution de la sentence, il gardait les vêtements de ses compagnons et les incitait avec fureur à lancer des pierres contre lui lorsque Étienne était sur le point d’être lapidé. Mais Étienne, véritable disciple du Sauveur, fit la vengeance des saints, c’est-à-dire qu’il se mit à prier pour ceux qui le lapidaient. Cette prière fut le début de la conversion de Saul ; et Saint Augustin dit précisément que l’Église n’aurait pas eu en Paul un apôtre, si le diacre Étienne n’avait pas prié.
            À cette époque, une violente persécution fut suscitée contre l’Église de Jérusalem, et Saul était celui qui montrait une féroce envie de disperser et de faire mourir les disciples de Jésus-Christ. Afin de mieux fomenter la persécution en public et en privé, il se fit autoriser à cet effet par le prince des prêtres. Alors il devint comme un loup affamé qui ne se rassasie pas de déchirer et de dévorer. Il entrait dans les maisons des Chrétiens, les insultait, les malmenait, les liait ou les faisait charger de chaînes pour être ensuite traînés en prison, les faisait battre avec des verges ; en somme, il employait tous les moyens pour les contraindre à blasphémer le saint nom de Jésus-Christ. La nouvelle des violences de Saul se répandit même dans des pays lointains, de sorte que son seul nom inspirait la terreur parmi les fidèles.
            Les persécuteurs ne se contentaient pas de tourmenter les personnes des Chrétiens ; mais, comme cela a toujours été le cas avec les persécuteurs, ils les dépouillaient aussi de leurs biens et de tout ce qu’ils possédaient en commun. Ce qui faisait que beaucoup étaient contraints de vivre de l’aumône que les fidèles des Églises lointaines leur envoyaient. Mais il y a un Dieu qui assiste et gouverne son Église, et quand nous y pensons le moins, il vient en aide à ceux qui se confient en lui.

CHAPITRE II. Conversion et Baptême de Saul — An 34 ap. J.-C.

            La fureur de Saul ne pouvait se rassasier ; il ne respirait que menaces et massacres contre les disciples du Seigneur. Ayant entendu que, à Damas, ville distante d’environ cinquante miles de Jérusalem, de nombreux Juifs avaient embrassé la foi, il ressentit un ardent désir de s’y rendre pour y faire un carnage. Pour agir librement selon ce que lui suggérait sa haine contre les Chrétiens, il alla voir le prince des prêtres et le sénat, qui lui donnèrent des lettres l’autorisant à se rendre à Damas, à enchaîner tous les Juifs qui se déclaraient Chrétiens et à les conduire à Jérusalem pour y être punis avec une sévérité capable d’arrêter ceux qui auraient été tentés de les imiter.
            Mais les projets des hommes sont vains lorsqu’ils sont contraires à ceux du Ciel ! Dieu, ému par les prières de Saint Étienne et des autres fidèles persécutés, voulut manifester en Saul sa puissance et sa miséricorde. Saul, avec ses lettres de recommandation, plein d’ardeur, dévorant la route, était proche de la ville de Damas, et il lui semblait déjà avoir les Chrétiens entre ses mains. Mais c’était le lieu de la divine miséricorde.
            Dans l’élan de sa fureur aveugle, vers midi, une grande lumière, plus éclatante que celle du soleil, l’entoure avec tous ceux qui l’accompagnaient. Éblouis par cette splendeur céleste, ils tombèrent tous à terre comme morts ; en même temps, ils entendirent le bruit d’une voix, comprise seulement par Saul. “Saul, Saul”, dit la voix, “pourquoi me persécutes-tu ?” Alors Saul, encore plus effrayé, répondit : “Qui êtes-vous, vous qui parlez ?” “Je suis, continua la voix, ce Jésus que tu persécutes. Souviens-toi qu’il est trop dur de donner des coups de pied contre le fer, ce que tu fais en résistant à un plus puissant que toi. En persécutant mon Église, tu me persécutes moi-même ; mais celle-ci deviendra plus florissante, et tu ne feras de mal qu’à toi-même.”
            Ce doux reproche du Sauveur, accompagné de l’onction intérieure de sa grâce, adoucit la dureté du cœur de Saul et le transforma en un homme complètement nouveau. Par conséquent, tout humilié, il s’exclama : “Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?” Comme s’il disait : Quel est le moyen de procurer votre gloire ? Je me mets à votre disposition pour faire votre très sainte volonté.
            Jésus-Christ ordonna à Saul de se lever et d’aller dans la ville où un disciple l’instruirait sur ce qu’il devait faire. Dieu, dit Saint Augustin, en remettant à ses ministres l’instruction d’un apôtre appelé de manière si extraordinaire, nous enseigne qu’il faut chercher sa sainte volonté dans l’enseignement des Pasteurs, qu’il a revêtus de son autorité pour être nos guides spirituels sur terre.
            S’étant levé, Saul ne voyait plus rien, bien qu’il gardât les yeux ouverts. Il fut donc nécessaire de lui donner la main et de le conduire à Damas, comme si Jésus-Christ voulait le conduire en triomphe. Il prit logement chez un marchand nommé Judas ; il y demeura trois jours sans voir, sans boire et sans manger, ignorant encore ce que Dieu voulait de lui.
            Il y avait à Damas un disciple nommé Ananie, très estimé des Juifs pour sa vertu et sa sainteté. Jésus-Christ lui apparut et lui dit : “Ananie !” Il répondit : “Me voici, ô Seigneur.” Le Seigneur ajouta : “Lève-toi et va dans la rue appelée Droite, et cherche un certain Saul natif de Tarse ; tu le trouveras en train de prier.” Ananie, ayant entendu le nom de Saul, trembla et dit : “Ô Seigneur, où m’envoyez-vous ? Vous savez bien le grand mal qu’il a fait aux fidèles à Jérusalem ; maintenant, tout le monde sait qu’il est venu ici avec plein pouvoir de lier tous ceux qui croient en votre Nom.” Le Seigneur répondit : “Va en paix, n’aie pas peur, car cet homme est un instrument choisi par moi pour porter mon nom aux nations païennes, devant les rois et devant les fils d’Israël ; car je lui ferai voir combien il doit souffrir pour mon nom.” Pendant que Jésus-Christ parlait à Ananie, il envoya à Saul une autre vision, dans laquelle lui apparut un homme nommé Ananie qui, s’approchant de lui, lui imposait les mains pour lui redonner la vue. C’est ce que fit le Seigneur pour assurer Saul qu’Ananie était celui qu’il envoyait pour lui manifester ses volontés.
            Ananie obéit, alla trouver Saul, lui imposa les mains et lui dit : “Saul, frère, le Seigneur Jésus qui t’est apparu sur le chemin par lequel tu venais à Damas, m’a envoyé à toi afin que tu recouvres la vue et sois rempli de l’Esprit Saint.” En disant cela, Ananie, tenant les mains sur la tête de Saul, ajouta : “Ouvre les yeux.” À ce moment, des écailles tombèrent des yeux de Saul comme des écailles, et il recouvra parfaitement la vue.
            Alors Ananie ajouta : “Maintenant, lève-toi et reçois le Baptême, et lave tes péchés en invoquant le nom du Seigneur.” Saul se leva immédiatement pour recevoir le Baptême ; puis, tout plein de joie, il réconforta sa fatigue avec un peu de nourriture. Après avoir passé à peine quelques jours avec les disciples de Damas, il se mit à prêcher l’Évangile dans les synagogues, démontrant par les Écritures Saintes que Jésus était le Fils de Dieu. Tous ceux qui l’écoutaient étaient pleins d’étonnement, et ils disaient : “N’est-ce pas celui qui persécutait à Jérusalem ceux qui invoquaient le nom de Jésus et qui est venu ici spécialement pour les conduire là en prison ?”
            Mais Saul avait déjà dépassé tout respect humain ; il ne désirait plus rien d’autre que de promouvoir la gloire de Dieu et de réparer le scandale donné ; par conséquent, laissant chacun dire de lui ce qu’il voulait, il confondait les Juifs et prêchait avec intrépidité Jésus Crucifié.

CHAPITRE III. Premier voyage de Saul — Retour à Damas; des pièges lui sont tendus — Il va à Jérusalem et se présente aux Apôtres — Jésus-Christ lui apparaît — Années 35, 36 et 37 ap. J.-C.

            Saul, à la vue des graves oppositions qui lui étaient faites par les Juifs, jugea opportun de s’éloigner de Damas pour passer quelque temps avec les hommes simples de la campagne et aussi pour se rendre en Arabie à la recherche d’autres peuples mieux disposés à recevoir la foi.
            Après trois ans, croyant que la tempête était passée, il retourna à Damas, où avec zèle et force il se mit à prêcher Jésus-Christ, mais les Juifs, ne pouvant résister aux paroles de Dieu qui leur étaient prêchées par son ministre, décidèrent de le faire mourir. Pour mieux réussir dans leur dessein, ils le dénoncèrent à Arétas, roi de Damas, le présentant comme un perturbateur de la tranquillité publique. Ce roi, trop crédule, écouta la calomnie et ordonna que Saul fût conduit en prison, et pour qu’il ne s’échappe pas, il mit des gardes à toutes les portes de la ville. Cependant, ces pièges ne purent rester si cachés qu’ils n’en vinssent à la connaissance des disciples et de Saul lui-même. Mais comment le libérer? Ces bons disciples le conduisirent dans une maison donnant sur les murs de la ville et, l’ayant mis dans une corbeille, le firent descendre du rempart. Ainsi, tandis que les gardes veillaient à toutes les portes et qu’une recherche rigoureuse était faite dans chaque coin de Damas, Saul est libéré de leurs mains et prend le chemin de Jérusalem, sain et sauf.
            Bien que la Judée ne fût pas le champ confié à son zèle, le motif de ce voyage était cependant saint. Il considérait comme son devoir indispensable de se présenter à Pierre, qu’il n’avait pas encore connu, et de rendre compte de sa mission au Vicaire de Jésus-Christ. Le nom de Saul avait imprimé une si grande terreur aux fidèles de Jérusalem qu’ils ne pouvaient croire à sa conversion. Quand il cherchait à s’approcher tantôt des uns, tantôt des autres, ils le fuyaient tous par peur, sans lui laisser le temps de s’expliquer. C’est dans cette conjoncture que Barnabé se montra un véritable ami. À peine eut-il entendu raconter la prodigieuse conversion de ce condisciple, qu’il se rendit immédiatement auprès de lui pour le consoler; puis il alla chez les Apôtres, leur raconta la prodigieuse apparition de Jésus-Christ à Saul et comment lui, instruit directement par le Seigneur, ne désirait rien d’autre que de publier le saint nom de Dieu à tous les peuples de la terre. En entendant toutes ces bonnes nouvelles, les disciples l’accueillirent avec joie et Saint Pierre le garda plusieurs jours chez lui, où il ne manqua pas de le faire connaître aux fidèles les plus zélés. Saul ne laissait échapper aucune occasion de rendre témoignage à Jésus-Christ dans ces lieux mêmes où il avait blasphémé et fait blasphémer.
            Et comme il pressait trop vivement les Juifs et les confondait en public et en privé, ceux-ci se levèrent contre lui, résolus à lui ôter la vie. C’est pourquoi les fidèles lui conseillèrent de quitter cette ville. La même chose lui fut révélée par Dieu au cours d’une vision. Un jour, tandis que Saul priait dans le temple, Jésus-Christ lui apparut et lui dit: “Pars immédiatement de Jérusalem, car ce peuple ne croira pas à ce que tu vas leur dire de moi.” Paul répondit: “Seigneur, ils savent comment j’ai été persécuteur de votre saint nom; s’ils savent que je me suis converti, ils suivront certainement mon exemple et se convertiront eux aussi.” Jésus ajouta: “Ce n’est pas vrai ; ils ne prêteront aucune foi à tes paroles. Va, je t’ai choisi pour porter mon Évangile dans des pays lointains parmi les nations païennes” (Actes des Apôtres, chap. 22).
            Ainsi fut décidé le départ de Paul. Les disciples l’accompagnèrent à Césarée et de là l’envoyèrent à Tarse, sa patrie, avec l’espoir qu’il pourrait vivre avec moins de danger parmi ses parents et amis et commencer aussi dans cette ville à faire connaître le nom du Seigneur.

CHAPITRE IV. Prophéties d’Agabus — Saul et Barnabé ordonnés évêques — Ils vont sur l’île de Chypre — Conversion du proconsul Sergius — Châtiment du magicien Élymas — Jean-Marc retourne à Jérusalem — Années 40-43 ap. J.-C.

            Pendant que Saul prêchait la parole divine à Tarse, Barnabé se mit à la prêcher avec grand fruit à Antioche. À la vue du grand nombre de ceux qui chaque jour venaient à la foi, Barnabé jugea opportun de se rendre à Tarse pour inviter Saul à venir l’aider. En effet, tous deux vinrent à Antioche, où ils gagnèrent un grand nombre de fidèles par la prédication et les miracles.
            En ces jours-là, des prophètes, c’est-à-dire des chrétiens fervents illuminés par Dieu qui prédisaient l’avenir, vinrent de Jérusalem à Antioche. L’un d’eux, nommé Agabus, inspiré par le Saint-Esprit, prédit une grande famine qui devait désoler toute la terre, comme cela arriva au temps de l’empereur Claude. Pour prévenir les maux que cette famine allait provoquer, les fidèles décidèrent de faire une collecte en demandant à chacun, selon ses possibilités, d’envoyer quelque secours aux frères de Judée. Les résultats de cette action furent excellents. Et pour avoir une personne de bonne réputation auprès de tous, ils choisirent Saul et Barnabé et les envoyèrent porter cette aumône aux prêtres de Jérusalem, afin qu’ils en fassent la distribution selon les besoins. Après avoir accompli leur mission, Saul et Barnabé retournèrent à Antioche.
            Il y avait aussi dans cette ville d’autres prophètes et docteurs, parmi lesquels un certain Simon surnommé le Noir, Lucius de Cyrène et Manaën, frère de lait d’Hérode. Un jour, tandis qu’ils offraient les Saints Mystères et jeûnaient, l’Esprit Saint apparut de manière extraordinaire et leur dit: “Séparez-moi Saul et Barnabé pour l’œuvre du saint ministère à laquelle je les ai élus.” Alors on ordonna un jeûne avec des prières publiques, ils leur imposèrent les mains et les consacrèrent évêques. Cette ordination fut le modèle de celles que l’Église Catholique a l’habitude de faire à ses ministres ; de là vinrent les jeûnes des Quatre-Temps, les prières et d’autres cérémonies qui ont lieu lors des ordinations sacrées.
            Saul était à Antioche lorsqu’il eut une merveilleuse vision, au cours de laquelle il fut enlevé au troisième ciel, c’est-à-dire qu’il fut élevé par Dieu à contempler les choses du Ciel les plus sublimes dont un homme mortel puisse être capable. Lui-même a écrit qu’il avait vu des choses qui ne peuvent être exprimées par des mots, des choses jamais vues, jamais entendues, et que le cœur de l’homme ne peut même pas imaginer. Réconforté par cette vision céleste, Saul partit avec Barnabé et se rendit directement à Séleucie de Syrie, ainsi nommée pour la distinguer d’une autre ville du même nom située près du Tigre du côté de la Perse. Ils avaient aussi avec eux un certain Jean-Marc, non pas Marc l’Évangéliste. Il était le fils de cette pieuse veuve dans la maison de laquelle Saint Pierre s’était réfugié lorsqu’il fut miraculeusement libéré de prison par un ange. Il était cousin de Barnabé et avait été conduit de Jérusalem à Antioche lors de leur voyage pour porter les aumônes.
            Séleucie avait un port sur la Méditerranée et c’est de là que nos ouvriers évangéliques s’embarquèrent pour aller sur l’île de Chypre, patrie de Saint Barnabé. Arrivés à Salamine, ville et port important de cette île, ils commencèrent à annoncer l’Évangile aux Juifs et ensuite aux Gentils, qui étaient plus simples et mieux disposés à recevoir la foi. Les deux Apôtres, prêchant sur toute cette île, arrivèrent à Paphos, capitale du pays, où résidait le proconsul, c’est-à-dire le gouverneur romain nommé Sergius Paulus. Là, le zèle de Saul eut l’occasion de s’exercer à cause d’un magicien appelé Bar-Jésus ou Élymas. Celui-ci, soit pour gagner la faveur du proconsul, soit pour tirer de l’argent de ses escroqueries, séduisait le peuple et empêchait Sergius de suivre les bons sentiments de son cœur. Quand le proconsul entendit parler des prédicateurs qui étaient venus dans le pays qu’il gouvernait, il les fit appeler afin qu’ils viennent lui faire connaître leur doctrine. Saul et Barnabé allèrent immédiatement lui exposer les vérités de l’Évangile. Mais Élymas, voyant qu’on lui retirait la matière de ses gains, et craignant peut-être pire, se mit à entraver les desseins de Dieu ; il contredisait la doctrine de Saul et le discréditait auprès du proconsul pour le tenir éloigné de la vérité. Alors Saul, tout enflammé de zèle et de Saint-Esprit, lui jeta un regard sévère. “Scélérat, lui dit-il, réceptacle d’impiété et de fraude, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu pas de pervertir les voies droites du Seigneur? Voici que la main de Dieu va peser sur toi ; à partir de maintenant tu seras aveugle, et pendant tout le temps que Dieu voudra, tu ne verras pas la lumière du soleil.” À l’instant, une obscurité tomba sur ses yeux et lui enleva la possibilité de voir ; il allait de-ci de-là en tâtonnant, cherchant qui lui donnerait la main.
            Devant ce fait terrible, Sergius reconnut la main de Dieu ; ému par les prêches de Saul et par ce miracle, il crut en Jésus-Christ et embrassa la foi avec toute sa famille. Même le magicien Élymas, terrifié par cette cécité soudaine, reconnut la puissance divine dans les paroles de Paul et, renonçant à l’art magique, se convertit, fit pénitence et embrassa la foi. En cette occasion, Saul prit le nom de Paul, tant en mémoire de la conversion de ce gouverneur, que pour être mieux accueilli parmi les Gentils, car Saul était un nom juif, tandis que Paul était un nom romain.
            Ayant récolté à Paphos de grands fruits de leur prédication, Paul et Barnabé s’embarquèrent avec d’autres compagnons en direction de Pergé, ville de la Pamphylie. Là, ils renvoyèrent chez eux Jean-Marc, qui jusqu’alors s’était employé à les aider. Barnabé aurait volontiers voulu le garder encore; mais Paul, voyant en lui une certaine pusillanimité et instabilité, pensa à le renvoyer chez sa mère à Jérusalem. Nous verrons bientôt ce disciple réparer la faiblesse qu’il avait montrée et devenir un prédicateur fervent.

CHAPITRE V. Saint Paul prêche à Antioche de Pisidie — An 44 ap. J.-C.

            De Pergé, Saint Paul alla avec Saint Barnabé à Antioche de Pisidie, ainsi nommée pour la distinguer d’Antioche de Syrie, qui était la grande capitale de l’Orient. Là, les Juifs, comme dans de nombreuses autres villes d’Asie, avaient leur synagogue où ils se réunissaient les jours de sabbat pour écouter l’explication de la Loi de Moïse et des Prophètes. Les deux apôtres participèrent également et avec eux de nombreux Juifs et des Gentils qui adoraient déjà le vrai Dieu. Selon l’usage des Juifs, les docteurs de la loi lurent un passage de la Bible qu’ils donnèrent ensuite à Paul en le priant de leur dire quelque chose d’édifiant. Paul, qui n’attendait que l’occasion de parler, se leva, indiqua de la main qu’ils fassent tous silence, et commença à parler ainsi: « Fils d’Israël, et vous tous qui craignez le Seigneur, puisque vous m’invitez à parler, je vous prie de m’écouter avec l’attention que mérite la dignité de ce que je vais vous dire.
            « Ce Dieu qui a choisi nos pères lorsqu’ils étaient en Égypte et, par une longue série de prodiges, en a fait une nation privilégiée, a particulièrement honoré la lignée de David en promettant qu’il en ferait naître le Sauveur du monde. Cette grande promesse, confirmée par tant de prophéties, s’est enfin accomplie dans la personne de Jésus de Nazareth. Jean, auquel vous croyez certainement, ce Jean dont les sublimes vertus firent croire qu’il était le Messie, lui a rendu le témoignage le plus autorisé en disant qu’il ne se jugeait pas digne de délier même les lacets de ses sandales. Vous aujourd’hui, frères, vous, dignes fils d’Abraham, et vous tous, adorateurs du vrai Dieu, de quelque nation ou lignée que vous soyez, vous êtes ceux à qui s’adresse particulièrement la parole de salut. Les habitants de Jérusalem, trompés par leurs chefs, n’ont pas voulu reconnaître le Rédempteur que nous vous prêchons. Au contraire, ils lui ont donné la mort; mais Dieu tout-puissant n’a pas permis, comme il l’avait prédit, que le corps de son Christ subisse la corruption dans le sépulcre. C’est pourquoi, le troisième jour après sa mort, il le fit ressusciter glorieux et triomphant.
            « Jusqu’ici, vous n’avez aucune faute, car la lumière de la vérité n’était pas encore parvenue jusqu’à vous. Mais tremblez à partir de maintenant si jamais vous décidez de fermer les yeux ; tremblez de provoquer sur vous la malédiction fulminée par les prophètes contre quiconque ne veut pas reconnaître la grande œuvre du Seigneur, dont l’accomplissement doit avoir lieu en ces jours. »
            Une fois le discours terminé, tous les auditeurs se retirèrent en silence, méditant sur les choses entendues de Saint Paul.
            Cependant, des pensées différentes occupaient leurs esprits. Les bons étaient pleins de joie en entendant les paroles du salut qui leur étaient annoncées, mais une grande partie des Juifs, toujours persuadés que le Messie devait rétablir la puissance temporelle de leur nation et ayant honte de reconnaître comme Messie celui que leurs princes avaient condamné à une mort ignominieuse, accueillirent avec dédain la prédication de Paul. Malgré tout, ils se montrèrent satisfaits et invitèrent l’Apôtre à revenir le sabbat suivant, mais avec un esprit bien différent : les malveillants pour se préparer à le contredire, et ceux qui craignaient le Seigneur, Israélites et Gentils, pour mieux s’instruire et être confirmés dans la foi. Le jour convenu, une immense foule se rassembla pour entendre cette nouvelle doctrine. À peine Saint Paul se mit à prêcher, les docteurs de la synagogue se levèrent contre lui. Ils opposèrent d’abord des difficultés ; puis, lorsqu’ils se rendirent compte qu’ils ne pouvaient résister à la force des raisons avec lesquelles Saint Paul prouvait les vérités de la foi, ils se laissèrent aller à des cris, des injures, des blasphèmes. Les deux apôtres, voyant qu’on leur étouffait la parole dans la bouche, s’écrièrent à haute voix avec grand courage : « C’est à vous qu’il fallait d’abord annoncer la divine parole ; mais puisque vous vous bouchez volontairement les oreilles et la repoussez avec fureur, vous vous rendez indignes de la vie éternelle. Nous nous tournons donc vers les Gentils pour accomplir la promesse faite par Dieu par la bouche de son prophète lorsqu’il a dit : Je t’ai destiné à être la lumière des Gentils et leur salut jusqu’aux extrémités de la terre. »
            Alors les Juifs, pris encore plus par l’envie et la colère, excitèrent contre les Apôtres une persécution féroce.
            Ils se servirent de quelques femmes, qui avaient la réputation d’être pieuses et honnêtes, pour influencer les magistrats de la ville. Tous ensemble, criant et faisant du bruit, forcèrent les Apôtres à sortir de leur ville. Sous la contrainte, Paul et Barnabé partirent de cette malheureuse cité et, au moment de leur départ, selon le commandement de Jésus-Christ, ils secouèrent la poussière de leurs pieds pour signifier qu’ils renonçaient dorénavant à toute relation avec des hommes réprouvés par Dieu et frappés de la malédiction divine.

CHAPITRE VI. Saint Paul prêche dans d’autres villes — Opère un miracle à Lystres, où il est ensuite lapidé et laissé pour mort — An 45 ap. J.-C.

            Chassés de Pisidie, Paul et Barnabé se rendirent en Lycaonie, une autre province de l’Asie Mineure, et se dirigèrent vers Iconium, la capitale. Les saints Apôtres, cherchant uniquement la gloire de Dieu et oubliant les mauvais traitements qu’ils avaient reçus à Antioche de la part des Juifs, se mirent immédiatement à prêcher l’Évangile dans la synagogue. Là, Dieu bénit leurs efforts, et une multitude de Juifs et de Gentils embrassa la foi. Mais ceux parmi les Juifs qui restèrent incrédules et s’obstinèrent dans l’impiété, déclenchèrent une nouvelle persécution contre les Apôtres. Certains les accueillaient comme des hommes envoyés par Dieu, d’autres les traitaient d’imposteurs. Ayant été avertis que beaucoup d’entre eux, protégés par les chefs de la synagogue et les magistrats, voulaient les lapider, ils allèrent à Lystres puis à Derbé, une ville non loin d’Iconium. Ces villes et leurs alentours furent le champ où nos zélés ouvriers se mirent à semer la parole du Seigneur. Parmi les nombreux miracles que Dieu opéra par la main de Saint Paul lors de cette mission, celui que nous allons rapporter fut particulièrement éclatant.
            À Lystres, il y avait un homme infirme de naissance, qui n’avait jamais pu faire un pas avec ses pieds. Ayant entendu que Saint Paul opérait des miracles extraordinaires, il sentit naître dans son cœur une vive confiance de pouvoir lui aussi, par ce moyen, obtenir la santé comme tant d’autres l’avaient déjà obtenue. Il écoutait les prédications de l’Apôtre, lorsque celui-ci, le regardant fixement et percevant les bonnes dispositions de son âme, lui dit à haute voix : “Lève-toi et tiens-toi droit sur tes pieds”. À un tel commandement, l’infirme se leva et commença à marcher sans aucune difficulté. La multitude qui avait été témoin de ce miracle se sentit transportée d’enthousiasme et d’émerveillement. “Ces hommes ne sont pas des hommes, s’exclamait-on de toutes parts, mais ce sont des dieux revêtus d’apparences humaines, descendus du ciel parmi nous”. Et selon cette supposition erronée, ils appelaient Barnabé Jupiter, parce qu’ils le voyaient d’apparence plus majestueuse, et Paul, qui parlait avec une merveilleuse éloquence, ils l’appelaient Mercure, qui chez les Gentils était l’interprète et le messager de Jupiter et le dieu de l’éloquence. Lorsque la nouvelle de cet événement parvint au prêtre du temple de Jupiter, qui était en dehors de la ville, il jugea de son devoir d’offrir aux grands hôtes un sacrifice solennel et d’inviter tout le peuple à y participer. On prépara les victimes, les couronnes et tout ce qui était nécessaire pour la fonction, et on apporta tout devant la maison où logeaient Paul et Barnabé, auxquels on voulait de toutes les manières offrir un sacrifice. Les deux Apôtres, enflammés d’un saint zèle, se jetèrent dans la foule et, en signe de douleur, déchirant leurs vêtements, se mirent à crier : “Oh, que faites-vous, misérables ? Nous sommes des hommes mortels comme vous ; nous vous exhortons de tout notre cœur à vous convertir du culte des dieux au culte du Seigneur, qui a créé le ciel et la terre, et qui, bien qu’il ait toléré par le passé que les Gentils suivent leurs folies, a cependant fourni des arguments clairs de son existence et de sa bonté infinie par les œuvres qui le font connaître comme le maître suprême de toutes choses”.
            En entendant ce discours si franc, les esprits se calmèrent et abandonnèrent l’idée de faire le sacrifice. Les prêtres n’avaient pas encore totalement cédé et restaient perplexes quant à savoir s’ils devaient y renoncer lorsque survinrent d’Antioche et d’Iconium quelques Juifs, envoyés par les synagogues pour troubler les saintes entreprises des Apôtres. Ces malveillants firent et dirent si bien qu’ils réussirent à retourner tout le peuple contre les deux Apôtres. C’est ainsi que ceux qui quelques jours auparavant les vénéraient comme des dieux, les traitaient maintenant de malfaiteurs ; et comme Saint Paul était celui qui avait particulièrement parlé, la colère se tourna entièrement contre lui.
            Ils déchargèrent sur lui une telle tempête de pierres qu’ils le traînèrent hors de la ville en le croyant mort. Par là tu vois, mon cher lecteur, combien tu dois compter sur la gloire du monde ! Ceux qui aujourd’hui voudraient t’élever au-dessus des étoiles, demain peut-être te voudront dans le plus profond des abîmes ! Bienheureux ceux qui mettent leur confiance en Dieu.

CHAPITRE VII. Paul miraculeusement guéri — Autres travaux apostoliques — Conversion de Sainte Thècle

            Les disciples avec d’autres fidèles, ayant su ou peut-être vu ce qui était arrivé à Paul, se rassemblèrent autour de son corps en le pleurant comme mort. Mais ils furent bientôt consolés ; car, que Paul fût réellement mort ou seulement tout meurtri, Dieu en un instant le fit revenir sain et vigoureux comme auparavant, à tel point qu’il put se lever par lui-même et, entouré des disciples, retourner à la ville de Lystres parmi ceux qui peu avant l’avaient lapidé.
            Mais le lendemain, sortant de cette ville, il passa à Derbé, une autre ville de Lycaonie. Là, il prêcha Jésus-Christ et fit beaucoup de conversions. Paul et Barnabé visitèrent de nombreuses villes où ils avaient déjà prêché. En voyant les graves dangers auxquels étaient exposés ceux qui venaient à peine de croire, ils ordonnèrent des Évêques et des Prêtres pour prendre soin de ces églises.
            Parmi les conversions opérées lors de cette troisième mission de Paul, celle de Sainte Thècle est très célèbre. Alors qu’il prêchait à Iconium, cette jeune fille vint l’écouter. Auparavant, elle s’était consacrée aux belles lettres et à l’étude de la philosophie profane. Déjà ses parents l’avaient promise à un jeune noble, riche et très puissant. Se trouvant un jour à écouter Saint Paul prêcher sur le mérite de la virginité, elle se sentit tomber amoureuse de cette précieuse vertu. En entendant ensuite la grande estime que le Sauveur en avait faite et le grand prix qui était réservé au ciel à ceux qui ont la belle chance de la conserver, elle se sentit brûler du désir de se consacrer à Jésus-Christ et de renoncer à tous les avantages des noces terrestres. Au refus de ces noces, qui aux yeux du monde étaient avantageuses, ses parents s’indignèrent fortement et, d’accord avec le fiancé, tentèrent toutes les voies, toutes les séductions pour la faire changer d’avis. Tout fut inutile : quand une âme est blessée par l’amour de Dieu, tout effort humain ne parvient plus à l’éloigner de l’objet qu’elle aime. En effet, les parents, le fiancé et les amis changèrent leur amour en colère ; ils excitèrent les juges et les magistrats d’Iconium contre la sainte vierge et des menaces passèrent aux actes.
            Elle fut jetée dans un enclos de bêtes affamées et féroces. Armée uniquement de confiance en Dieu, Thècle fait le signe de la Sainte Croix. Alors les animaux abandonnent leur férocité et respectent l’épouse de Jésus-Christ. On allume un bûcher où on la précipite ; mais à peine a-t-elle fait le signe de la Croix que les flammes s’éteignent et elle reste intacte. En somme, elle fut exposée à tous les genres de tourments et de tous fut miraculeusement délivrée. Pour cette raison, elle reçut le nom de protomartyre, c’est-à-dire première martyre parmi les femmes, comme Saint Étienne fut le premier martyr parmi les hommes. Elle vécut encore de nombreuses années dans l’exercice des plus héroïques vertus, et mourut en paix à un âge très avancé.

CHAPITRE VIII. Saint Paul va conférer avec Saint Pierre — Il assiste au Concile de Jérusalem — An 50 ap. J.-C.

            Après les travaux et les souffrances endurés par Paul et Barnabé lors de leur troisième mission, heureux à cause des âmes qu’ils avaient réussi à conduire au bercail de Jésus-Christ, ils retournèrent à Antioche de Syrie. Là, ils racontèrent aux fidèles de cette ville les merveilles opérées par Dieu dans la conversion des Gentils. Le Saint Apôtre y fut consolé par une révélation, dans laquelle Dieu lui ordonna de se rendre à Jérusalem pour conférer avec Saint Pierre au sujet de l’Évangile qu’il avait prêché. Dieu avait ordonné cela afin que Saint Paul reconnaisse en Saint Pierre le Chef de l’Église, et que tous les fidèles comprennent que les deux princes des Apôtres prêchaient une même foi, un seul Dieu, un seul baptême, un seul Sauveur Jésus-Christ.
            Paul partit en compagnie de Barnabé, avec un disciple nommé Tite, gagné à la foi au cours de cette troisième mission. Celui-ci est ce fameux Tite, qui devint modèle de vertu, fidèle disciple et collaborateur de notre saint Apôtre et dont nous aurons souvent l’occasion de parler. Arrivés à Jérusalem, ils se présentèrent aux Apôtres Pierre, Jacques et Jean, qui étaient considérés comme les principales colonnes de l’Église. Entre autres choses, il fut convenu que Pierre avec Jacques et Jean s’appliquerait de manière spéciale à conduire les Juifs à la foi ; Paul et Barnabé, quant à eux, se consacreraient principalement à la conversion des Gentils.
            Paul demeura quinze jours dans cette ville, après quoi il retourna avec ses compagnons à Antioche. Là, ils trouvèrent les fidèles très agités par le fait que les Juifs voulaient obliger les Gentils à se soumettre à la circoncision et aux autres cérémonies de la loi de Moïse, ce qui voulait dire qu’il était nécessaire de devenir un bon Juif pour devenir ensuite un bon Chrétien. Les disputes allèrent si loin que, ne pouvant les apaiser, ils décidèrent d’envoyer Paul et Barnabé à Jérusalem pour consulter le Chef de l’Église afin qu’il tranche la question.
            Nous avons déjà raconté dans la vie de Saint Pierre comment Dieu, par une merveilleuse révélation, avait fait connaître à ce prince des Apôtres que les Gentils venus à la foi n’étaient pas obligés à la circoncision ni aux autres cérémonies de la loi de Moïse. Cependant, afin que la volonté de Dieu soit connue de tous et que soit solennellement résolue toute difficulté, Pierre convoqua un concile universel, qui fut le modèle de tous les conciles qui seront célébrés dans les temps futurs. Là, Paul et Barnabé exposèrent l’état de la question, qui fut définie par Saint Pierre et confirmée par les autres Apôtres de la manière suivante :
            « Les Apôtres et les anciens aux frères convertis du paganisme, qui demeurent à Antioche et dans les autres parties de la Syrie et de la Cilicie. Ayant entendu que certains venus d’ici ont troublé et angoissé vos consciences avec des idées arbitraires, il nous a semblé bon, à nous ici rassemblés, de choisir et d’envoyer vers vous Paul et Barnabé, deux hommes qui nous sont très cher, qui ont sacrifié leur vie pour le nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Avec eux, nous envoyons Silas et Jude, qui vous remettront nos lettres et vous confirmeront de vive voix les mêmes vérités. En effet, l’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de vous imposer aucune autre loi, excepté celles que vous devez observer, c’est-à-dire de vous abstenir des choses sacrifiées aux idoles, des viandes étouffées, du sang et de la fornication, dont vous ferez bien de vous abstenir. Restez en paix. »
            La dernière chose, c’est-à-dire la fornication, n’avait pas besoin d’être interdite, étant totalement contraire aux préceptes de la raison et prohibée par le sixième précepte du Décalogue. Cependant, cette prohibition fut renouvelée concernant les Gentils, qui dans le culte de leurs faux dieux pensaient qu’elle était permise, voire agréable à ces divinités immondes.
            Quand Paul et Barnabé arrivèrent à Antioche avec Silas et Jude, ils publièrent la lettre avec le décret du concile. Non seulement ils apaisèrent le tumulte, mais remplirent les frères de joie, chacun reconnaissant la voix de Dieu dans celle de Saint Pierre et du concile. Silas et Jude contribuèrent beaucoup à cette joie commune, car étant des prophètes, c’est-à-dire remplis de l’Esprit Saint et dotés du don de la parole divine et d’une grâce particulière pour interpréter les Saintes Écritures, ils eurent beaucoup d’efficacité pour confirmer les fidèles dans la foi, dans la concorde et dans les bonnes résolutions.
            Quand Saint Pierre fut informé des progrès extraordinaires que l’Évangile faisait à Antioche, il voulut lui aussi venir visiter ces fidèles, à qui il avait déjà prêché pendant plusieurs années et parmi lesquels il avait établi le Siège Pontifical pendant sept ans. Durant le séjour des deux princes des Apôtres à Antioche, il arriva que Pierre, pour plaire aux Juifs, pratiquait certaines cérémonies de la loi mosaïque, ce qui provoqua une certaine aversion chez les Gentils, sans que Saint Pierre en fût conscient. Quand Saint Paul prit connaissance de ce fait, il avertit publiquement Saint Pierre. Avec une admirable humilité celui-ci reçut l’avertissement sans prononcer de mots d’excuse ; au contraire, il devint dès lors très ami de Saint Paul, et dans ses lettres ne l’appelait que par le nom de frère très cher. Exemple digne d’être imité par ceux qui d’une manière ou d’une autre sont avertis de leurs défauts.

CHAPITRE IX. Paul se sépare de Barnabé — Il parcourt plusieurs villes d’Asie — Dieu l’envoie en Macédoine — À Philippes, il convertit la famille de Lydie — An 51 ap. J.-C.

            Paul et Barnabé prêchèrent pendant quelque temps l’Évangile dans la ville d’Antioche, s’efforçant même de le diffuser dans les alentours. Peu après, Paul eut l’idée de visiter les Églises auxquelles il avait prêché. Il dit à Barnabé : « Il me semble qu’il serait bon d’aller revoir les fidèles des villes et des régions où nous avons prêché, pour voir comment vont les choses de la religion parmi eux. » Comme ce projet lui tenait vraiment à cœur, Barnabé fut immédiatement d’accord avec le Saint Apôtre, mais il proposa d’emmener avec eux ce Jean-Marc qui les avait suivis lors de la mission précédente et qui les avait ensuite laissés à Pergé. Souhaitant peut-être effacer la tache qu’il avait faite à cette occasion, celui-ci voulait à nouveau être en leur compagnie. Saint Paul ne voyait pas les choses de cette manière : « Tu vois, disait-il à Barnabé, que cet homme n’est pas digne de confiance ; tu te souviens certainement qu’en arrivant à Pergé de Pamphylie, il nous a abandonnés. » Barnabé insistait en disant qu’il pouvait être accueilli, et il avançait de bonnes raisons. Ne pouvant s’accorder, les deux Apôtres décidèrent de se séparer et d’aller chacun de son côté.
            C’est ainsi que Dieu fit servir cette diversité d’opinions à sa plus grande gloire car, en se séparant, ils apportaient la lumière de l’Évangile dans de nouveaux espaces, ce qu’ils n’auraient pas fait en allant tous les deux ensemble.
            Barnabé partit avec Jean-Marc pour l’île de Chypre et visita ces Églises où il avait prêché avec Saint Paul lors de la mission précédente. Cet Apôtre travailla beaucoup pour répandre la foi en Jésus-Christ et fut finalement couronné comme martyr à Chypre, sa patrie. Jean-Marc, cette fois, fut constant, et nous le verrons ensuite fidèle compagnon de Saint Paul, qui eut à louer beaucoup son zèle et sa charité.
            Saint Paul prit avec lui Silas, celui qui lui avait été assigné comme compagnon pour porter les actes du concile de Jérusalem à Antioche, entreprit son quatrième voyage et alla visiter diverses Églises qu’il avait fondées. Il se rendit d’abord à Derbé, puis à Lystres, où quelque temps auparavant le Saint Apôtre avait été laissé pour mort. Mais Dieu voulut cette fois le récompenser de ce qu’il avait souffert auparavant.
            Il trouva là un jeune qu’il avait converti lors d’une mission précédente, nommé Timothée. Paul avait déjà connu les belles qualités de ce disciple et dans son âme avait décidé de faire de lui un collaborateur de l’Évangile, c’est-à-dire de le consacrer prêtre et de le prendre comme compagnon dans ses travaux apostoliques. Avant de lui conférer l’ordination sacrée, Paul demanda des informations aux fidèles de Lystres et trouva que tous louaient ce bon jeune homme en louant sa vertu, sa modestie, son esprit de prière. Le disaient non seulement ceux de Lystres, mais même ceux d’Iconium et des autres villes voisines, et tous pressentaient en Timothée un prêtre zélé et un saint évêque.
            En entendant ces témoignages lumineux, Paul n’eut plus aucune difficulté à le consacrer prêtre. Alors Paul prit avec lui Timothée et Silas, continua la visite des Églises, recommandant à tous d’observer et de se tenir fermes aux décisions du concile de Jérusalem. Ainsi avaient fait ceux d’Antioche, et ainsi firent en tout temps les prédicateurs de l’Évangile pour assurer les fidèles de ne pas tomber dans l’erreur : se conformer aux décrets, aux ordres des conciles et du Pontife romain, successeur de Saint Pierre.
            Paul traversa la Galatie et la Phrygie avec ses compagnons pour porter l’Évangile en Asie, mais l’Esprit Saint le lui interdit.
            Pour faciliter la compréhension des choses que nous allons raconter, il est bon de noter en passant que par le mot Asie au sens large, on entend une des trois parties du monde. On appelle Asie Majeure toute l’étendue de l’Asie, à l’exception de cette partie qui s’appelle Asie Mineure, aujourd’hui Anatolie, qui est la péninsule comprise entre la mer de Chypre, l’Égée et la mer Noire. On appelait aussi Asie proconsulaire une partie de l’Asie Mineure, plus ou moins étendue selon le nombre des provinces confiées au gouvernement du proconsul romain. Ici, par Asie, où Saint Paul projetait d’aller, on entend une portion de l’Asie Proconsulaire, située autour d’Éphèse et comprise entre le mont Taurus, la mer Noire et la Phrygie.
            Saint Paul pensa ensuite aller en Bithynie, qui est une autre province de l’Asie Mineure un peu plus vers la mer Noire, mais cela non plus ne lui fut pas permis par Dieu. Il retourna donc en arrière et se rendit à Troas, qui est une ville et province où se trouvait autrefois une célèbre ville appelée Troie. Dieu avait réservé à plus tard la prédication de l’Évangile à ces peuples ; pour l’instant, il voulait l’envoyer dans d’autres pays.
            Alors que Saint Paul était à Troas, un ange lui apparut vêtu comme un homme selon l’usage des Macédoniens, qui se tenait debout devant lui pour lui dire : « Ah ! aie pitié de nous ; passe en Macédoine et viens à notre secours. » Cette vision fit connaître à Saint Paul la volonté du Seigneur et sans délai il se prépara à traverser la mer pour se rendre en Macédoine.
            À Troas, se joignit à Saint Paul un de ses cousins nommé Luc, qui lui fut d’un grand secours dans ses travaux apostoliques. Il était médecin d’Antioche, un grand esprit, qui écrivait un grec très pur et élégant. Il fut pour Paul ce que Saint Marc était pour Saint Pierre, et comme lui, il écrivit l’Évangile que nous lisons sous le nom d’Évangile selon Saint Luc. Le livre intitulé Actes des Apôtres, d’où nous tirons presque toutes les informations concernant Saint Paul, est également l’œuvre de Saint Luc. Depuis le moment où il devint le compagnon de notre Apôtre, aucun danger, aucune fatigue, aucune souffrance n’ont pu ébranler sa constance.
            Suivant l’avis de l’ange, Paul s’embarqua alors à Troas avec Silas, Timothée et Luc, traversa la mer Égée (qui sépare l’Europe de l’Asie) et après une bonne navigation arriva à l’île de Samothrace, puis à Néapolis (non la capitale du Royaume de Naples mais une petite ville à la frontière de la Thrace et de la Macédoine). Sans s’arrêter, l’Apôtre se rendit directement à Philippes, ville principale, ainsi nommée parce qu’elle fut édifiée par un roi de ce pays appelé Philippe. Là, ils s’arrêtèrent quelque temps.
            Dans cette ville, les Juifs n’avaient pas de synagogue, parce que cela leur était interdit ou parce qu’ils étaient trop peu nombreux. Ils n’avaient qu’une proseuchè, c’est-à-dire un lieu de prière, que nous appelons oratoire. Le jour du sabbat, Paul et ses compagnons sortirent de la ville sur la rive d’une rivière où ils trouvèrent une proseuchè avec quelques femmes à l’intérieur. Ils se mirent immédiatement à prêcher le royaume de Dieu à cette petite assemblée. Une marchande nommée Lydie fut la première à être appelée par Dieu ; elle reçut le baptême ainsi que sa famille.
            En reconnaissance pour les bienfaits reçus, cette femme pieuse pria les maîtres et pères de son âme en leur disant : « Si vous me jugez fidèle à Dieu, ne me refusez pas une grâce après celle du Baptême que j’ai reçue de vous. Venez dans ma maison, demeurez-y autant que vous le souhaitez et considérez-la comme la vôtre. » Paul ne voulait pas consentir ; mais elle insista tellement qu’il dut accepter. Voici le fruit que produit la parole de Dieu, lorsqu’elle est bien écoutée. Elle engendre la foi ; mais elle doit être entendue et expliquée par les ministres sacrés, comme le disait lui-même Saint Paul : « Fides ex auditu, auditus autem per verbum Christi » (La foi vient de l’écoute, et l’écoute concerne la parole du Christ).

CHAPITRE X. Saint Paul libère une jeune fille du démon — Il est battu de verges — Il est mis en prison — Conversion du geôlier et de sa famille — An 51 ap. J.-C.

            Saint Paul et ses compagnons allaient ici et là semant la parole de Dieu dans la ville de Philippes. Un jour, en se rendant à la proseuchè, ils rencontrèrent une pythonisse, que nous appellerions magicienne ou sorcière. Elle avait en elle un démon qui parlait par sa bouche et devinait beaucoup de choses extraordinaires. Elle rapportait beaucoup à ses maîtres, car le peuple ignorant allait la consulter et pour se faire prédire l’avenir, il fallait bien payer les consultations. Elle se mit donc à suivre Saint Paul et ses compagnons en criant : « Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut ; ils vous montrent le chemin du salut. » Saint Paul la laissa parler sans rien dire, jusqu’à ce qu’ennuyé et indigné, il se tourna vers l’esprit malin qui parlait par sa bouche et dit d’un ton menaçant : « Au nom de Jésus-Christ, je te commande de sortir immédiatement de cette jeune fille. » Sitôt dit, sitôt fait ! Contraint par la puissante vertu du nom de Jésus-Christ, il dut sortir de ce corps, et son départ fit que la magicienne resta sans magie.
            Vous comprendrez, chers lecteurs, pour quelle raison le démon louait Saint Paul, et pourquoi ce saint Apôtre a refusé ses louanges. L’esprit malin voulait que Saint Paul le laisse en paix, et que les gens croient que la doctrine de Saint Paul était la même que les divinations de cette possédée. Le saint Apôtre voulut démontrer qu’il n’y avait aucun accord entre le Christ et le démon, et en refusant ses flatteries, il montra combien la puissance du nom de Jésus-Christ était grande sur tous les esprits de l’enfer.
            Quand les maîtres de cette jeune fille virent que toute espérance de gain était partie avec le démon, ils s’indignèrent fortement contre Saint Paul et, sans attendre aucun jugement, prirent lui et ses compagnons et les conduisirent au Palais de Justice. Arrivés devant les juges, ils dirent : « Ces hommes de race juive bouleversent notre ville pour introduire une nouvelle religion, qui est certainement un sacrilège. » En entendant que leur religion était offensée, le peuple se mit en fureur et se jeta contre eux de toutes parts.
            Les juges se montrèrent pleins d’indignation et, se déchirant les vêtements, sans faire aucun procès, sans examiner s’il y avait délit ou non, les firent battre sévèrement de verges. Quand ils furent satisfaits ou fatigués de les battre, ils ordonnèrent que Paul et Silas soient conduits en prison, en imposant au geôlier de les garder très attentivement. Celui-ci ne se contenta pas de les enfermer dans la prison, mais pour plus de sécurité, il leur mit les pieds dans les fers. Ces saints hommes, dans l’horreur de la prison, couverts de plaies, loin de se lamenter, jubilaient de joie et durant la nuit chantaient des louanges à Dieu. Les autres prisonniers en étaient émerveillés.
            Il était minuit et ils chantaient encore et bénissaient Dieu, quand tout à coup on entend un grand tremblement de terre, qui dans un horrible fracas fait trembler jusqu’aux fondations de ce bâtiment. Sous ce choc, les chaînes tombent aux prisonniers, leurs fers se brisent, les portes des prisons s’ouvrent et tous les détenus se trouvent en liberté. Le geôlier se réveilla et, courant pour savoir ce qui était arrivé, trouva les portes ouvertes. Convaincu que les prisonniers s’étaient échappés, et pensant donc qu’il devrait peut-être le payer de sa tête, dans un excès de désespoir, il court, sort une épée, la pointe contre sa poitrine et est déjà sur le point de se tuer. En voyant cet homme, à la clarté de la lune ou à la lumière d’une lampe, dans un tel état de désespoir, Paul lui cria : « Arrête, ne te fais aucun mal, nous sommes tous ici. » Rassuré par ces paroles, il se tranquillise un peu et, se faisant apporter une lumière, entra dans la prison et trouva les prisonniers chacun à sa place. Pris d’émerveillement et poussé par une lumière intérieure de la grâce de Dieu, il se jette tout tremblant aux pieds de Paul et de Silas en disant : « Seigneurs, que dois-je faire pour être sauvé ? »
            Chacun peut imaginer la joie que Paul éprouva dans son cœur à de telles paroles. Il se tourna vers lui et répondit : « Crois au Fils de Dieu Jésus-Christ, et tu seras sauvé, toi et toute ta famille. »
            Ce brave homme, sans délai, conduisit chez lui les saints prisonniers, leur lava les plaies avec l’amour et le respect qu’il aurait eus pour son père. Puis, lui et toute sa famille rassemblée furent instruits dans la vérité de la foi. Écoutant avec humilité de cœur la parole de Dieu, ils apprirent en peu de temps ce qui était nécessaire pour devenir chrétiens. Ainsi Saint Paul, les voyant pleins de foi et de la grâce de l’Esprit Saint, les baptisa tous. Ensuite, ils se mirent à remercier Dieu pour les bienfaits reçus. En voyant Paul et Silas épuisés et titubant à cause des coups reçus et du long jeûne, ces nouveaux fidèles coururent immédiatement préparer un repas pour les restaurer. Le meilleur réconfort pour les deux Apôtres fut d’avoir gagné des âmes à Jésus-Christ. C’est pourquoi, pleins de gratitude envers Dieu, ils retournèrent en prison en attendant les dispositions que la divine Providence ferait connaître à leur égard.
            Entre-temps, les magistrats se repentirent d’avoir fait battre et enfermer ceux en qui ils n’avaient pu trouver aucune faute, et envoyèrent quelques huissiers dire au geôlier de laisser en liberté les deux prisonniers. Très heureux de cette nouvelle, le geôlier courut immédiatement l’annoncer aux Apôtres. « Vous, leur dit-il, vous pouvez en toute sécurité partir en paix. » Mais Paul jugea qu’il fallait faire autrement. S’ils s’échappaient en cachette, on croira qu’ils étaient coupables d’un grave méfait, ce qui aurait été préjudiciable à l’Évangile. Il appela donc les huissiers et leur dit : « Vos magistrats, sans avoir connaissance de cette affaire, sans aucune forme de jugement, nous ont fait battre publiquement, nous qui sommes citoyens romains ; et maintenant ils veulent nous faire partir en cachette. Cela ne se fera certainement pas ainsi ; qu’ils viennent eux-mêmes et nous conduisent hors de la prison. » Les messagers apportèrent cette réponse aux magistrats. En entendant qu’ils étaient citoyens romains, ils furent pris d’une grande peur, car battre un citoyen romain était un délit capital. Pour cette raison, ils vinrent immédiatement à la prison et avec des paroles bienveillantes s’excusèrent de ce qu’ils avaient fait et, les tirant honorablement de là, ils les prièrent de bien vouloir sortir de la ville. Les Apôtres se rendirent immédiatement chez Lydie, où ils trouvèrent leurs compagnons plongés dans la consternation à cause d’eux, mais grandement consolés de les voir en liberté. Après cela, ils quittèrent la ville de Philippes. C’est ainsi que les citoyens de cette ville rejetèrent les grâces du Seigneur pour les grâces des hommes.

CHAPITRE XI. Saint Paul prêche à Thessalonique — L’affaire de Jason — Il va à Bérée où il est de nouveau contrecarré par les Juifs — An 52 ap. J.-C.

            Paul partit de Philippes avec ses compagnons, laissant là les deux familles de Lydia et du geôlier gagnées à Jésus-Christ. En passant par les villes d’Amphipolis et d’Apollonie, il arriva à Thessalonique, ville principale de la Macédoine, très célèbre pour son commerce et son port sur la mer Égée. Aujourd’hui, on l’appelle Salonique.
            Là, Dieu avait préparé pour le saint Apôtre de nombreuses souffrances et de nombreuses âmes à gagner au Christ. Il se mit à prêcher et pendant trois sabbats, il continua à prouver par les Saintes Écritures que Jésus-Christ était le Messie, le Fils de Dieu, que les événements qui lui étaient arrivés avaient été annoncés par les Prophètes, et qu’on devait par conséquent soit renoncer aux prophéties, soit croire à la venue du Messie. À cette prédication, certains crurent et embrassèrent la foi ; mais d’autres, en particulier des Juifs, se montrèrent obstinés et, pris d’une grande haine, se levèrent contre Saint Paul. Prenant la tête d’une troupe de malfaiteurs de la lie du peuple, ils se rassemblèrent et, par groupes, ameutèrent toute la ville. Et comme Silas et Paul avaient pris logement chez un certain Jason, ils coururent furieusement à sa maison pour les tirer dehors et les conduire devant le peuple. Les fidèles s’en aperçurent à temps et réussirent à les faire fuir. Ne pouvant plus les trouver, ils prirent Jason avec quelques fidèles et les traînèrent devant les magistrats de la ville, criant à haute voix : “Ces perturbateurs de l’humanité sont venus même ici de Philippes, et Jason les a accueillis chez lui ; mais ces gens-là transgressent les décrets et violent la majesté de César en affirmant qu’il y a un autre Roi, c’est-à-dire Jésus de Nazareth.” Ces paroles enflammèrent les Thessaloniciens et mirent en fureur les magistrats eux-mêmes. Mais quand Jason les assura qu’on ne voulait pas de troubles et que, s’ils demandaient ces étrangers, il les leur présenterait, ils se montrèrent satisfaits et le tumulte se calma. Voyant que tout effort était inutile dans cette ville, Silas et Paul suivirent les conseils des frères et se rendirent à Bérée, une autre ville de cette province.
            À Bérée, Paul se mit à prêcher dans la synagogue des Juifs, c’est-à-dire qu’il se mit dans le même danger dont il avait été presque miraculeusement libéré peu auparavant. Mais cette fois, son courage fut largement récompensé. Les gens de Bérée écoutèrent la parole de Dieu avec une grande avidité. Paul citait toujours les passages de la Bible qui concernaient Jésus-Christ, et les auditeurs couraient immédiatement les vérifier et confronter les textes qu’il citait. En trouvant qu’ils correspondaient avec exactitude, ils se pliaient à la vérité et croyaient à l’Évangile. Ainsi agissait le Sauveur avec les Juifs de Palestine lorsqu’il les invitait à lire attentivement les Saintes Écritures : Scrutamini Scripturas, et ipsae testimonium perhibent de me.
            Cependant, la nouvelle des conversions survenues à Bérée ne put rester cachée au point de ne pas parvenir à ceux de Thessalonique. Les Juifs obstinés de cette ville coururent en grand nombre à Bérée pour gâcher l’œuvre de Dieu et empêcher la conversion des Gentils. Saint Paul était principalement recherché comme celui qui soutenait le plus la prédication. En le voyant en danger, les frères le firent accompagner secrètement hors de la ville par des personnes de confiance et, par des voies sûres, le conduisirent à Athènes. Pendant ce temps, Silas et Timothée restèrent à Bérée. Paul congédia ceux qui l’avaient accompagné, en leur recommandant avec insistance de dire à Silas et à Timothée de le rejoindre le plus tôt possible. Dans l’obstination des Juifs de Thessalonique les saints Pères ont reconnu les Chrétiens qui, non contents de ne pas profiter eux-mêmes des bienfaits de la religion, cherchent à en éloigner les autres, ce qu’ils font soit en calomniant les ministres sacrés, soit en méprisant les choses de la religion. À eux le Sauveur dit : “Ma vigne (c’est-à-dire ma religion) vous sera ôtée, et sera donnée à d’autres peuples qui la cultiveront mieux que vous et porteront des fruits en son temps.” Menace terrible, mais qui malheureusement s’est déjà réalisée et se réalise dans de nombreux pays, où autrefois fleurissait la religion chrétienne, et que nous voyons actuellement plongés dans les épaisses ténèbres de l’erreur, du vice et du désordre. — Que Dieu nous préserve de ce fléau !

CHAPITRE XII. État religieux des Athéniens — Saint Paul à l’Aréopage — Conversion de Saint Denys — Année 52 ap. J.-C.

            Athènes était l’une des villes les plus anciennes, les plus riches, les plus commerçantes du monde. Là, la science, la valeur militaire, les philosophes, les orateurs, les poètes furent toujours les maîtres de l’humanité. Les Romains eux-mêmes avaient recueilli à Athènes des lois qu’ils apportèrent à Rome comme des oracles de sagesse. Il y avait en outre un sénat d’hommes considérés comme un miroir de vertu, de justice et de prudence ; on les appelait Aréopagites, du nom de l’Aréopage, lieu où ils avaient leur tribunal. Mais avec toute leur science, ils étaient plongés dans une honteuse ignorance des choses de la religion. Les sectes dominantes étaient celles des Épicuriens et des Stoïciens. Les Épicuriens niaient à Dieu la création du monde et la providence, et n’admettaient pas de récompense ou de punition dans l’autre vie, mettant le bonheur dans les plaisirs de la terre. Les Stoïciens mettaient le bien suprême dans la vertu et faisaient de l’homme en certaines choses un être supérieur à Dieu lui-même, car ils croyaient avoir la vertu et la sagesse par eux-mêmes. Tous adoraient plusieurs dieux, et il n’y avait pas de délit qui ne fût favorisé par quelque divinité insensée.
            C’est à eux que Saint Paul, homme obscur, tenu en mépris parce que Juif, devait prêcher Jésus-Christ, également Juif, mort sur la croix, et les amener à l’adorer comme vrai Dieu. C’est pourquoi seul Dieu pouvait faire que les paroles de Saint Paul puissent changer des cœurs si enracinés dans le vice et étrangers à la vraie vertu, et les amener à embrasser et à professer la sainte religion chrétienne.
            Pendant que Paul attendait Silas et Timothée, il éprouvait dans son cœur de la compassion pour ces pauvres victimes de l’erreur et, comme à son habitude, il se mettait à discuter avec les Juifs et avec tous ceux qu’ils rencontraient dans les synagogues ou sur les places. Les Épicuriens et les Stoïciens vinrent aussi à lui pour discuter et, ne pouvant résister aux raisons, ils disaient : “Que veut dire ce charlatan ?” D’autres disaient : “Il semble que celui-ci veuille nous montrer quelque nouveau Dieu.” Ils disaient cela parce qu’ils entendaient mentionner Jésus-Christ et la résurrection. D’autres, voulant agir avec plus de prudence, invitèrent Paul à se rendre à l’Aréopage. Lorsqu’il arriva dans ce magnifique sénat, ils lui dirent : “Pourrait-on savoir quelque chose de cette nouvelle doctrine ? Car tu mets dans nos oreilles des choses que nous n’avons jamais entendues. Nous désirons savoir la réalité de ce que tu enseignes.”
            À la nouvelle qu’un étranger devait parler à l’Aréopage, une grande foule de gens accourut.
            Il convient de noter ici qu’il était strictement interdit chez les Athéniens de dire la moindre parole contre leurs innombrables et stupides divinités, et on considérait comme un crime capital de recevoir ou d’ajouter parmi eux quelque dieu étranger, qui n’eût pas été soigneusement examiné et proposé par le sénat. Deux philosophes, l’un nommé Anaxagore, l’autre Socrate, perdirent la vie seulement pour avoir laissé entendre qu’ils ne pouvaient admettre tant de divinités ridicules. Ainsi, on comprend facilement le danger dans lequel se trouvait Saint Paul en prêchant le vrai Dieu à cette terrible assemblée et en cherchant à abattre tous leurs dieux.
            Quand donc il se vit dans cet auguste sénat pour parler aux plus sages des hommes, le saint Apôtre jugea bon d’adopter un style et un mode de raisonnement bien plus élégants que ceux dont il avait l’habitude. Et comme ces sénateurs n’admettaient pas l’argument des Écritures, il pensa se frayer un chemin en parlant avec la force de la raison. S’étant levé, tous firent silence autour de lui, et il commença :
            « Athéniens, je vois en vous des hommes religieux jusqu’au scrupule. Car, en passant par cette ville et en regardant vos simulacres, j’ai trouvé aussi un autel avec cette inscription : Au Dieu Inconnu. Je viens donc vous annoncer ce Dieu que vous adorez sans le connaître. Il est ce Dieu qui a fait le monde et toutes les choses qui existent en lui. Il est le maître du ciel et de la terre, c’est pourquoi il n’habite pas dans des temples faits par les hommes. Il n’est pas servi par les mains des mortels comme s’il avait besoin d’eux ; car c’est lui qui donne à tous la vie, le souffle et toutes les choses. Il fit en sorte que d’un seul homme descendent tous les autres, et sa descendance s’étendit pour habiter toute la terre ; Il fixa les temps et les limites de leur habitation, afin qu’ils cherchent Dieu, si jamais ils pouvaient le trouver, bien qu’il ne soit pas loin de nous.
            « Car en lui nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes, comme l’a dit aussi l’un de vos poètes (Aratos, poète célèbre de Cilicie) : “Car nous sommes nous aussi de sa descendance”. Étant donc descendance de Dieu, nous ne devons pas penser qu’il soit semblable à l’or ou à l’argent ou à la pierre sculptée par l’art ou par l’invention des hommes. Cependant, dans sa miséricorde Dieu ferma les yeux dans le passé sur cette ignorance ; mais maintenant il ordonne que nous fassions pénitence. Car il a fixé un jour où il jugera avec justice le monde entier par un homme établi par Lui, comme il l’a prouvé à tous en le ressuscitant des morts. »
            Jusqu’à ce moment, ces auditeurs légers, dont les vices et les erreurs avaient été attaqués avec beaucoup de finesse, avaient gardé une bonne contenance. Mais à la première annonce du dogme extraordinaire de la résurrection, les Épicuriens se levèrent et en grande partie sortirent en se moquant de cette doctrine qui leur inspirait certainement la terreur. D’autres plus discrets lui dirent que pour ce jour, cela suffisait, et qu’ils l’écouteraient une autre fois sur le même sujet. C’est ainsi que fut accueilli le plus éloquent des Apôtres par cette assemblée superbe. Ils ne profitèrent pas du moment pour accueillir la grâce de Dieu ; et cette grâce, nous ne lisons pas qu’elle leur ait été accordée par Dieu une autre fois.
            Cependant, Dieu ne laissa pas de consoler son serviteur par la conversion de quelques âmes privilégiées. Il y eut parmi d’autres Denys, l’un des juges de l’Aréopage, et une femme nommée Damaris, que l’on croit être sa femme. On raconte qu’à la mort du Sauveur, ce Denys s’écria en contemplant l’éclipse qui répandaient les ténèbres sur toute la terre : “Ou le monde se brise, ou l’auteur de la nature subit une violence.” Dès qu’il put connaître la cause de cet événement, il se rendit immédiatement aux arguments de Saint Paul. On raconte aussi que, étant allé visiter la Mère de Dieu, il fut tellement pris par sa beauté et sa majesté, qu’il se prosterna à terre pour la vénérer, affirmant qu’il l’aurait adorée comme une divinité si la foi ne l’avait pas assuré qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Il fut par la suite consacré évêque d’Athènes par Saint Paul et mourut avec la couronne du martyre.

CHAPITRE XIII. Saint Paul à Corinthe — Son séjour chez Aquilas — Baptême de Crispus et de Sosthène — Il écrit aux Thessaloniciens — Retour à Antioche — Années 53-54 ap. J.-C.

            Si Athènes était la ville la plus célèbre pour la science, Corinthe était considérée comme la première pour le commerce. Là convergeaient des marchands de toutes parts. Elle avait deux ports sur l’isthme du Péloponnèse : l’un appelé Cenchrées, qui faisait face à l’Égée, l’autre nommé Léchée, qui donnait sur l’Adriatique. Le désordre et l’immoralité y triomphaient. Malgré ces obstacles, Saint Paul, à peine arrivé dans cette ville, se mit à prêcher en public et en privé.
            Il prit logement chez un Juif nommé Aquilas. Celui-ci était un fervent chrétien qui, pour éviter la persécution décrétée par l’empereur Claude contre les chrétiens, avait fui d’Italie avec sa femme Priscille et était venu à Corinthe. Ils exerçaient le même métier que Paul avait appris jeune, c’est-à-dire qu’ils fabriquaient des tentes pour l’usage des soldats. Pour ne pas être à nouveau un poids pour ses hôtes, le saint Apôtre s’adonnait également au travail et passait dans l’atelier tout le temps qu’il pouvait dégager de son ministère sacré. Chaque samedi, cependant, il se rendait à la synagogue et s’efforçait de faire connaître aux Juifs que les prophéties concernant le Messie s’étaient accomplies en la personne de Jésus-Christ.
            Entre-temps, Silas et Timothée arrivèrent de Bérée. Ils étaient partis pour Athènes, où ils avaient appris que Paul était déjà parti, et ils le rejoignirent à Corinthe. À leur arrivée, Paul se mit avec plus de courage à prêcher aux Juifs ; mais comme leur obstination croissait chaque jour, et que Paul ne pouvait plus supporter tant de blasphèmes et un tel abus de grâces, il leur annonça de la part de Dieu des fléaux imminents en leur disant : « Que votre sang retombe sur vous ; je suis innocent. Voici que je m’adresse aux Gentils, et à l’avenir je serai tout pour eux ».
            Parmi les Juifs qui blasphémaient Jésus-Christ, il y en avait peut-être quelques-uns qui travaillaient dans l’atelier d’Aquilas ; c’est pourquoi l’Apôtre, afin d’éviter la compagnie des méchants, quitta sa maison et se rendit chez un certain Titius Justus, récemment converti du paganisme à la foi. Près de Titius demeurait un certain Crispus, chef de la synagogue. Celui-ci, instruit par l’Apôtre, embrassa la foi avec toute sa famille.
            Les grandes occupations de Paul à Corinthe ne lui firent pas oublier ses chers fidèles de Thessalonique. Lorsque Timothée arriva de là, il lui raconta de grandes choses sur le zèle de ces chrétiens, leur grande charité, le bon souvenir qu’ils avaient gardé de lui et le désir ardent de le revoir. Ne pouvant se rendre sur place, comme il le souhaitait, il leur écrivit une lettre, que l’on croit être la première lettre écrite par Saint Paul.
            Dans cette lettre, il félicite les Thessaloniciens pour leur foi et leur charité, puis les exhorte à se garder des désordres sensuels et de toute fraude. Et comme l’oisiveté est la source de tous les vices, il les encourage à se consacrer sérieusement au travail, considérant comme indigne de manger celui qui ne veut pas travailler : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus ». Il conclut en leur rappelant la grande récompense que Dieu a préparée au ciel pour le moindre effort supporté dans la vie présente pour son amour.
            Peu après cette lettre, il eut d’autres nouvelles des fidèles de Thessalonique. Ils étaient très inquiets à cause de certains imposteurs qui prêchaient l’imminence du jugement universel. L’Apôtre leur écrivit une seconde lettre, les avertissant de ne pas se laisser tromper par leurs discours fallacieux. Il note que le jour du jugement universel est certain, mais qu’auparavant doivent apparaître de nombreux signes, parmi lesquels la prédication de l’Évangile sur toute la terre. Il les exhorte à rester fermement attachés aux traditions qu’il leur avait communiquées par lettre et de vive voix. Enfin, il se recommande à leurs prières et insiste beaucoup sur le fait de fuir les curieux et les oisifs, qui sont considérés comme la peste de la religion et de la société.
            Pendant que Saint Paul réconfortait les fidèles de Thessalonique, des persécutions si violentes éclatèrent contre lui qu’il aurait été amené à fuir cette ville s’il n’avait été réconforté par Dieu au cours d’une vision. Jésus-Christ lui apparut et lui dit : « N’aie pas peur, je suis avec toi, personne ne pourra te faire de mal ; dans cette ville, le nombre de ceux qui se convertiront à la foi par ton intermédiaire est grand ». Encouragé par de telles paroles, l’Apôtre demeura à Corinthe dix-huit mois.
            La conversion de Sosthène fut parmi celles qui apportèrent une grande consolation à l’âme de Paul. Il avait succédé à Crispus dans la charge de chef de la synagogue. La conversion de ces deux principaux représentants de leur secte irrita fortement les Juifs, et dans leur fureur, ils prirent l’Apôtre et le conduisirent devant le proconsul, l’accusant d’enseigner une religion contraire à celle des Juifs. Mais Gallion – c’était le nom de ce gouverneur – ne voulut pas s’en mêler en tant que juge parce qu’il s’agissait de choses concernant la religion. Il se contenta de répondre ceci : « S’il s’agissait d’une injustice ou d’un délit public, je vous écouterais volontiers ; mais s’agissant de questions appartenant à la religion, pensez-y vous autres, je n’entends pas juger en ces matières ». Ce proconsul considérait que les questions et les différends concernant la religion devaient être discutés par les prêtres et non par les autorités civiles, et c’est pourquoi sa réponse fut sage.
            Indignés par un tel rejet, les Juifs se retournèrent contre Sosthène, excitèrent même les ministres du tribunal à s’unir à eux pour le frapper sous les yeux de ce Gallion, sans qu’il les en empêchât. Sosthène supporta avec une patience invincible cet affront et, à peine libéré, se joignit à Paul et devint son fidèle compagnon dans ses voyages.
            Quand il se vit comme par miracle libéré d’une si grave tempête, Paul fit à Dieu un vœu en signe de gratitude. Ce vœu était semblable à celui des Naziréens. Il consistait notamment à s’abstenir pendant un certain temps de vin et de toute autre boisson enivrante, et à laisser pousser les cheveux, ce qui chez les anciens était un signe de deuil et de pénitence. Lorsque le temps du vœu était sur le point de se terminer, il fallait faire un sacrifice au temple avec diverses cérémonies prescrites par la loi de Moïse.
            Ayant accompli une partie de son vœu, Saint Paul s’embarqua en compagnie d’Aquilas et de Priscille en direction d’Éphèse, ville d’Asie Mineure. Selon son habitude, Paul alla visiter la synagogue et discuta plusieurs fois avec les Juifs. Ces discussions furent pacifiques, et les Juifs l’invitèrent même à rester plus longtemps, mais Paul voulait poursuivre son voyage pour se trouver à Jérusalem et accomplir son vœu. Il promit cependant à ces fidèles de revenir, et presque comme garantie de son retour, il laissa chez eux Aquilas et Priscille. D’Éphèse, Saint Paul s’embarqua pour la Palestine et arriva à Césarée, où il débarqua et se mit en route à pied vers Jérusalem. Il alla visiter les fidèles de cette Église et, ayant accompli ce pourquoi il avait entrepris le voyage, il vint à Antioche, où il demeura quelque temps.
            Tout est digne d’admiration en ce grand Apôtre. Notons ici seulement une chose qu’il recommande chaleureusement aux fidèles de Corinthe. Pour leur donner un avis important sur la manière de se maintenir fermes dans la foi, il écrit : « Frères, pour ne pas tomber dans l’erreur, tenez-vous-en aux traditions apprises de mon discours et de ma lettre ». Par ces mots, Saint Paul commandait d’avoir la même révérence pour la parole de Dieu écrite et pour la parole de Dieu transmise par tradition, comme l’enseigne l’Église Catholique.

CHAPITRE XIV. Apollos à Éphèse — Le sacrement de la Confirmation — Saint Paul opère de nombreux miracles — Le fait de deux exorcistes juifs — An 55 ap. J.-C.

            Saint Paul demeura quelque temps à Antioche, mais voyant que ces fidèles étaient assez pourvus de pasteurs sacrés, il décida de partir pour visiter à nouveau les pays où il avait déjà prêché. C’est le cinquième voyage de notre saint Apôtre. Il alla en Galatie, en Pont, en Phrygie et en Bithynie ; puis, selon la promesse faite, il retourna à Éphèse où Aquilas et Priscille l’attendaient. Partout il fut accueilli, comme il l’écrit lui-même, comme un ange de paix.
            Entre le départ et le retour de Paul à Éphèse, un Juif nommé Apollos se rendit dans cette ville. C’était un homme éloquent et profondément instruit dans les Saintes Écritures. Il adorait le Sauveur et le prêchait aussi avec zèle, mais il ne connaissait pas d’autre baptême que celui prêché par Saint Jean-Baptiste. Aquilas et Priscille s’aperçurent qu’il avait une idée très confuse des Mystères de la Foi et, l’appelant à eux, l’instruisirent mieux sur la doctrine, la vie, la mort et la résurrection de Jésus-Christ.
            Désireux d’apporter la parole du salut à d’autres peuples, il décida de passer en Achaïe, c’est-à-dire en Grèce. Les Éphésiens, qui depuis quelque temps admiraient ses vertus et commençaient à l’aimer comme un père, voulurent l’accompagner avec une lettre dans laquelle ils louaient beaucoup son zèle et le recommandaient aux Corinthiens. En effet, il fit beaucoup de bien à ces chrétiens. Lorsque l’Apôtre arriva à Éphèse, il trouva un bon nombre de fidèles instruits par Apollos et, voulant connaître l’état de ces âmes, demanda s’ils avaient reçu l’Esprit Saint ; c’est-à-dire s’ils avaient reçu le sacrement de la Confirmation, qui se faisait à cette époque après le baptême, et dans lequel on conférait la plénitude des dons de l’Esprit Saint. Mais ces bonnes gens répondirent : « Nous ne savons même pas qu’il y ait un Esprit Saint ». Étonné de cette réponse, l’Apôtre comprit qu’ils n’avaient reçu que le baptême de Saint Jean-Baptiste et ordonna qu’ils soient à nouveau baptisés par le baptême de Jésus-Christ, c’est-à-dire au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Après cela, Paul, leur imposant les mains, leur administra le sacrement de la Confirmation, et ces nouveaux fidèles reçurent non seulement les effets invisibles de la grâce, mais aussi des signes particuliers et manifestes de l’omnipotence divine, ce qui les rendait capables de parler couramment des langues qu’ils ne comprenaient pas auparavant, de prédire des choses futures et d’interpréter les Saintes Écritures.
            Saint Paul prêcha pendant trois mois dans la synagogue, exhortant les Juifs à croire en Jésus-Christ. Beaucoup crurent, mais plusieurs, se montrant obstinés, blasphémaient même le saint nom de Jésus-Christ. Paul, pour l’honneur de l’Évangile ridiculisé par ces impies et pour fuir la compagnie des méchants, cessa de prêcher dans la synagogue, rompit toute communication avec eux et se retira chez un chrétien hospitalier nommé Tyrannus, qui était maître d’école. Saint Paul fit de cette école une Église de Jésus-Christ, où, prêchant et expliquant les vérités de la foi, il attirait des Gentils et des Juifs de toutes les parties de l’Asie.
            Dieu aidait son œuvre en confirmant par des prodiges inouïs la doctrine prêchée par son serviteur. Les linges, les mouchoirs et les bandes qui avaient touché le corps de Paul étaient portés ici et là et posés sur les malades et les possédés, et cela suffisait pour que les maladies et les esprits impurs s’enfuient immédiatement. Jamais on n’avait entendu une telle merveille, et Dieu voulut certainement que ce fait soit enregistré dans la Bible pour confondre ceux qui ont tant déclamé et déclament encore contre la vénération que les Catholiques portent aux saintes reliques. Peut-être veulent-ils accuser ces premiers chrétiens, qui appliquaient sur les malades les mouchoirs qui avaient touché le corps de Paul ? Jamais Saint Paul n’avait interdit de tels gestes et Dieu montrait qu’il les approuvait par des miracles. À propos de l’invocation du nom de Jésus-Christ pour faire des miracles, il se produisit un fait très curieux. Parmi les Éphésiens, il y en avait beaucoup qui prétendaient chasser les démons des corps avec certaines paroles magiques ou en utilisant des racines d’herbes ou des parfums. Mais leurs résultats étaient toujours peu favorables. Même certains exorcistes juifs, voyant que même les vêtements de Paul chassaient les démons, furent pris d’envie et essayèrent, comme le faisait Saint Paul, d’utiliser le nom de Jésus-Christ pour chasser le démon d’un homme. « Je te conjure, disaient-ils, et je te commande de sortir de ce corps par ce Jésus qui est prêché par Paul ». Le démon, qui savait les choses mieux qu’eux, répondit par la bouche du possédé : « Je connais Jésus et je sais aussi qui est Paul ; mais vous êtes des imposteurs. Quel droit avez-vous sur moi ? » Cela dit, il se jeta sur eux, les malmena et les frappa de telle manière que deux d’entre eux purent à peine fuir, blessés et avec les vêtements déchirés. Ce fait retentissant, s’étant répandu dans toute la ville, causa une grande peur, et plus personne n’osait nommer le saint nom de Jésus-Christ autrement qu’avec respect et vénération.

CHAPITRE XV. Sacrement de la Confession — Livres pervers brûlés — Lettre aux Corinthiens — Soulèvement pour la déesse Diane — Lettre aux Galates — Années 56-57 ap. J.-C.

            Dieu, toujours miséricordieux, sait tirer le bien même des péchés. Le fait des deux exorcistes si malmenés par ce possédé causa une grande peur parmi tous les Éphésiens, et tant les Juifs que les Gentils s’empressèrent de renoncer au démon et d’embrasser la foi. C’est alors que beaucoup de ceux qui avaient cru venaient en grand nombre pour confesser et déclarer le mal commis dans leur vie afin d’obtenir le pardon : « Ils venaient confessant et déclarant leurs actes ». C’est un témoignage clair du sacrement de la confession commandé par le Sauveur et pratiqué depuis les temps apostoliques.
            Le premier fruit de la confession et du repentir de ces fidèles fut d’éloigner de soi les occasions de péché. C’est pourquoi tous ceux qui possédaient des livres pervers, c’est-à-dire contraires aux bonnes mœurs ou à la religion, les remettaient pour qu’ils soient brûlés. Tant d’entre eux en apportèrent qu’ils en firent un tas sur la place et en firent un bûcher devant tout le peuple, considérant qu’il valait mieux brûler ces livres dans cette vie pour éviter le feu éternel de l’enfer. La valeur de ces livres formait une somme qui correspondait presque à cent mille francs. Personne cependant ne chercha à les vendre, car cela aurait été donner à d’autres l’occasion de mal faire, ce qui n’est jamais permis. Pendant que ces choses se passaient, Apollos arriva de Corinthe à Éphèse avec d’autres, annonçant qu’il y avait des discordes parmi ces fidèles. Le saint Apôtre s’efforça d’y remédier par une lettre, dans laquelle il leur recommande l’unité de foi, l’obéissance à leurs pasteurs, la charité réciproque et spécialement envers les pauvres ; il inculque aux riches de ne pas dresser de somptueux banquets et d’abandonner les pauvres dans la misère. Il insiste ensuite pour que chacun purifie sa conscience avant de s’approcher du Corps et du Sang de Jésus-Christ, disant : « Celui qui mange ce Corps et boit ce Sang indignement, mange son propre jugement et sa propre condamnation ». Il était également arrivé qu’un jeune homme avait commis un grave péché avec sa belle-mère. Le saint, pour faire comprendre l’horreur qui s’imposait, ordonna qu’il soit séparé des autres fidèles pendant quelque temps afin qu’il revienne à lui-même. C’est un véritable exemple d’excommunication, comme la pratique encore l’Église catholique, lorsque pour de graves délits elle excommunie, c’est-à-dire déclare séparés des autres les chrétiens qui en sont coupables. Paul envoya son disciple Tite porter cette lettre à Corinthe. Le fruit semble en avoir été très abondant.
            Il était à Éphèse lorsque se déchaîna contre lui une terrible persécution à l’instigation d’un orfèvre nommé Démétrius. Celui-ci fabriquait de petits temples en argent dans lesquels était placée une statuette de la déesse Diane, divinité vénérée à Éphèse et dans toute l’Asie. Cela lui rapportait du commerce et de grands bénéfices, car la plupart des étrangers qui venaient aux fêtes de Diane emportaient avec eux ces signes de dévotion. Démétrius en était le principal artisan et cela fournissait du travail et un soutien aux familles de nombreux ouvriers.
            Au fur et à mesure que le nombre de chrétiens augmentait, celui des acheteurs de statuettes de Diane diminuait. Un jour, Démétrius rassembla un grand nombre de citoyens et leur montra que lorsqu’ils n’auront plus d’autres moyens de vivre, Paul les ferait tous mourir de faim. « Si au moins, ajoutait-il, il ne s’agissait que de notre intérêt privé, mais c’est le temple de notre grande déesse, si célèbre dans le monde entier, qui est sur le point d’être abandonné ». À ces mots, il fut interrompu par mille voix différentes qui criaient dans la plus furieuse confusion : « La grande Diane des Éphésiens ! La grande Diane des Éphésiens ! » Toute la ville se mit sens dessus dessous ; ils coururent en criant à la recherche de Paul et, ne pouvant le trouver immédiatement, ils entraînèrent avec eux deux de ses compagnons nommés Gaïus et Aristarque. Un Juif nommé Alexandre voulut parler. Mais à peine put-il ouvrir la bouche, que de toutes parts on se mit à crier d’une voix encore plus forte : « La grande Diane des Éphésiens ! Comme elle est grande, la Diane des Éphésiens ! » Ce cri fut répété pendant deux heures entières.
            Paul voulait s’avancer au milieu du tumulte pour parler, mais certains frères, sachant qu’il s’exposerait à une mort certaine, l’en empêchèrent. Dieu cependant, qui a entre ses mains le cœur des hommes, rétablit un grand calme parmi ce peuple d’une manière inattendue. Un homme sage, un simple secrétaire et, à ce qu’il semble, ami de Paul, réussit à calmer cette fureur. Dès qu’il put parler, il dit : « Et qui ne sait pas que la ville d’Éphèse a une dévotion et un culte particulier envers la grande Diane, fille de Jupiter ? Comme c’est un fait cru par tous, vous ne devez pas vous troubler ni vous accrocher à un remède si téméraire, comme si cette dévotion établie depuis tous les siècles pouvait tomber en doute. Quant à Gaïus et à Aristarque, je vous dirai qu’ils ne sont convaincus d’aucun blasphème contre Diane. Si Démétrius et ses compagnons ont quelque chose contre eux, qu’ils portent la cause devant le tribunal. Si nous continuons ces démonstrations publiques, nous serons accusés de sédition ». À ces mots, le tumulte se calma et chacun retourna à ses occupations.
            Après cette émeute, Paul voulait immédiatement partir pour la Macédoine, mais il dut encore suspendre son départ à cause de certains désordres survenus parmi les fidèles de Galatie. Certains faux prédicateurs se mirent à discréditer Saint Paul et ses prédications, affirmant que sa doctrine était différente de celle des autres Apôtres et que la circoncision et les cérémonies de la loi de Moïse étaient absolument nécessaires.
            Le saint Apôtre écrivit une lettre dans laquelle il démontre la conformité de doctrine entre lui et les Apôtres ; il prouve que beaucoup de choses de la loi de Moïse n’étaient plus nécessaires pour se sauver ; il recommande de se garder des faux prédicateurs et de se glorifier seulement en Jésus, et en son nom il souhaite paix et bénédictions.
            Ayant expédié la lettre aux fidèles de Galatie, il partit pour la Macédoine après avoir passé trois ans à Éphèse, c’est-à-dire de l’an 54 à l’an 57 après Jésus-Christ. Pendant le séjour de Saint Paul à Éphèse, Dieu lui fit connaître en esprit qu’il l’appelait en Macédoine, en Grèce, à Jérusalem et à Rome.

CHAPITRE XVI. Saint Paul retourne à Philippes — Deuxième Lettre aux fidèles de Corinthe — Il va dans cette ville — Lettre aux Romains — Son sermon prolongé à Troas — Il ressuscite un mort — An 58 ap. J.-C.

            Avant de partir d’Éphèse, Paul convoqua les disciples et, leur faisant une exhortation paternelle, les embrassa tendrement ; puis il se mit en route vers la Macédoine. Il désirait s’arrêter quelque temps à Troas, où il espérait rencontrer son disciple Tite ; mais, ne l’ayant pas trouvé et désirant savoir rapidement l’état de l’Église de Corinthe, il partit de Troas, traversa l’Hellespont, qui s’appelle aujourd’hui le détroit des Dardanelles, et passa en Macédoine, où il dut beaucoup souffrir pour la foi.
            Mais Dieu lui prépara une grande consolation avec l’arrivée de Tite, qui le rejoignit dans la ville de Philippes. Ce disciple exposa au saint Apôtre comment sa lettre avait produit des effets salutaires parmi les chrétiens de Corinthe, que le nom de Paul était très cher à tous et que chacun brûlait du désir de le revoir bientôt.
            Pour donner libre cours aux sentiments paternels de son cœur, l’Apôtre écrivit de Philippes une deuxième lettre dans laquelle il se montre tout en tendresse envers ceux qui demeuraient fidèles et reprend certains qui cherchaient à pervertir la doctrine de Jésus-Christ. Ayant ensuite entendu que ce jeune homme, excommunié dans sa première lettre, s’était sincèrement converti, en entendant même de Tite que la douleur l’avait presque poussé au désespoir, le saint Apôtre recommanda de faire attention à lui, l’absout de l’excommunication et le restitue à la communion des fidèles. Avec la lettre, il recommanda beaucoup de choses à dire de vive voix par l’intermédiaire de Tite, qui en était le porteur. D’autres disciples accompagnèrent Tite dans ce voyage, parmi lesquels Saint Luc, depuis quelques années évêque de Philippes. Saint Paul consacra Saint Épaphrodite évêque pour cette ville et ainsi Saint Luc devint à nouveau compagnon du saint maître dans les labeurs de l’apostolat.
            De la Macédoine, Paul se rendit à Corinthe, où il ordonna tout ce qui concernait la célébration des saints mystères, comme il l’avait promis dans sa première lettre, ce qui doit être entendu des rites qui sont communément observés dans toutes les Églises, comme le jeûne avant la Sainte Communion et d’autres choses similaires qui concernent l’administration des Sacrements.
            L’Apôtre passa l’hiver dans cette ville, s’efforçant de consoler ses enfants en Jésus-Christ, qui ne se lassaient pas de l’écouter et d’admirer en lui un pasteur zélé et un père tendre.
            De Corinthe, il étendit également ses sollicitudes à d’autres peuples et spécialement aux Romains, déjà convertis à la foi par Saint Pierre après des années de labeurs et de souffrances. Aquilas, avec d’autres de ses amis, ayant entendu que la persécution avait cessé, était de nouveau allé à Rome. Paul apprit d’eux que dans cette métropole de l’empire, des dissensions étaient survenues entre Gentils et Juifs. Les Gentils reprochaient aux Juifs de ne pas avoir répondu aux bienfaits reçus de Dieu, ayant ingratement crucifié le Sauveur ; les Juifs, de leur côté, faisaient des reproches aux Gentils parce qu’ils avaient suivi l’idolâtrie et vénéré les divinités les plus infâmes. Le saint Apôtre écrivit sa célèbre Lettre aux Romains, pleine de sujets sublimes, qu’il traite avec cette acuité d’esprit propre à un homme savant et saint, qui écrit inspiré par Dieu. Il n’est pas possible de l’abréger sans risque de varier son sens. C’est la plus longue, la plus élégante de toutes les autres et la plus pleine d’érudition. Je t’exhorte, ô lecteur, à la lire attentivement, mais avec les interprétations appropriées conformes à la Vulgate. C’est la sixième lettre de Saint Paul et elle fut écrite dans la ville de Corinthe en l’année 58 après Jésus-Christ. Mais, par le grand respect qu’on a toujours eu pour la dignité de l’Église de Rome, elle est considérée comme la première parmi les quatorze lettres de ce saint Apôtre. Dans cette lettre, Saint Paul ne parle pas de Saint Pierre, car il était occupé à fonder d’autres Églises. Elle fut portée par une diaconesse, ou plutôt moniale, nommée Phébée, que l’Apôtre recommande beaucoup auprès des frères de Rome.
            Comme Saint Paul souhaitait partir de Corinthe pour se rendre à Jérusalem, il apprit que les Juifs cherchaient à lui tendre des embûches en chemin ; c’est pourquoi, au lieu de s’embarquer au port de Cenchrées pour Jérusalem, Paul fit demi-tour et continua son voyage par la Macédoine. L’accompagnèrent Sosipatros, fils de Pyrrhus de Bérée, Aristarque et Secundus de Thessalonique, Gaïus de Derbé et Timothée de Lystres, Tychique et Trophime d’Asie. Ceux-ci l’accompagnèrent jusqu’à Philippes ; puis, à l’exception de Luc, ils passèrent à Troas avec ordre de l’y attendre, tant qu’il resterait dans cette ville jusqu’après les fêtes pascales. Passée cette solennité, Paul et Luc en cinq jours de navigation arrivèrent à Troas et y restèrent sept jours.
            Il arriva qu’à la veille du départ de Paul, c’était le premier jour de la semaine, c’est-à-dire le jour du dimanche, où les fidèles avaient l’habitude de se rassembler pour écouter la parole de Dieu et assister aux sacrifices divins. Parmi d’autres choses, ils faisaient la fraction du pain, c’est-à-dire célébraient la Sainte Messe, à laquelle participaient les fidèles, recevant le Corps du Seigneur sous l’espèce du pain. Déjà à cette époque, la Messe était considérée comme l’acte le plus sacré et le plus solennel pour la sanctification du jour de fête.
            Paul, qui était sur le point de partir le lendemain, prolongea son discours jusqu’à tard dans la nuit et, pour éclairer le cénacle, de nombreuses lampes avaient été allumées. Le jour du dimanche, l’heure nocturne, le cénacle au troisième étage de la maison, les nombreuses lampes allumées attirèrent une grande foule. Pendant que tous étaient attentifs au discours de Paul, un jeune garçon nommé Eutyque, soit par désir de voir l’Apôtre, soit pour mieux l’écouter, était monté sur une fenêtre et s’était assis sur le rebord. Or, à cause de la chaleur qu’il faisait, ou à cause de l’heure tardive ou peut-être à cause de la fatigue, il arriva que ce garçon s’endormit ; et dans son sommeil, se laissant aller au poids de son propre corps, il tomba sur le pavé de la rue. On entend un gémissement résonner dans l’assemblée ; on court et on trouve le jeune sans vie.
            Paul descend immédiatement en bas, et, se plaçant avec son corps sur le cadavre, le bénit, l’embrasse et, par son souffle ou plutôt par sa vive foi en Dieu, le restitue à la nouvelle vie. Après ce miracle, sans prêter attention aux applaudissements qui venaient de toutes parts, il remonta de nouveau dans le cénacle et continua à prêcher jusqu’au matin.
            La grande sollicitude des fidèles de Troas pour assister aux fonctions sacrées doit servir de stimulant à tous les chrétiens pour sanctifier les jours de fête par des œuvres de piété, spécialement en participant dévotement à la Sainte Messe et en écoutant la parole de Dieu même avec quelque inconvénient.

CHAPITRE XVII. Prédication de Saint Paul à Milet — Son voyage jusqu’à Césarée — Prophétie d’Agabus — Année 58 ap. J.-C.

            À la fin de ce rassemblement, qui avait duré environ vingt-quatre heures, l’infatigable Apôtre partit avec ses compagnons pour Mytilène, noble ville de l’île de Lesbos. De là, poursuivant son voyage, il arriva en quelques jours à Milet, ville de Carie, province d’Asie Mineure. L’Apôtre ne voulait pas s’arrêter à Éphèse pour ne pas être contraint par ces chrétiens qui l’aimaient tendrement à retarder trop son voyage. Il avait hâte d’arriver à Jérusalem pour la fête de la Pentecôte. De Milet, Paul envoya quelqu’un à Éphèse pour annoncer son arrivée aux évêques et aux prêtres de cette ville et des provinces voisines, les invitant à venir le voir et aussi à discuter avec lui des choses de la foi, si jamais cela était nécessaire. Ils vinrent en grand nombre.
            Lorsque Saint Paul se vit entouré de ces vénérables prédicateurs de l’Évangile, il commença à leur exposer les tribulations endurées jour et nuit à cause des pièges des Juifs. « Maintenant je vais à Jérusalem, disait-il, guidé par l’Esprit Saint, qui, dans tous les lieux où je passe, me fait connaître les chaînes et les tribulations qui m’attendent dans cette ville. Mais rien de cela ne m’effraie, et je ne considère pas ma vie comme plus précieuse que mon devoir. Il m’importe peu de vivre ou de mourir, pourvu que je termine ma course en rendant un témoignage glorieux à l’Évangile que Jésus-Christ m’a confié. Vous ne verrez plus mon visage, mais prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau, sur lequel l’Esprit Saint vous a établis évêques pour gouverner l’Église de Dieu, qu’il a acquise par son précieux sang ». Puis il voulut les avertir qu’après son départ, des loups rapaces et des hommes pervers surgiraient pour corrompre la doctrine de Jésus-Christ. Ayant dit ces mots, ils se mirent tous à genoux et firent ensemble une prière. Personne ne pouvait retenir ses larmes, et tous se jetaient au cou de Paul, lui imprimant mille baisers. Ils étaient particulièrement inconsolables parce qu’il leur avait dit qu’ils ne verraient plus son visage. Pour profiter encore de quelques instants de sa douce compagnie, ils l’accompagnèrent jusqu’au navire et non sans une sorte de violence se séparèrent de leur cher maître.
            Paul, avec ses compagnons, de Milet passa à l’île de Cos, très renommée pour un temple des Gentils dédié à Junon et à Esculape. Le lendemain, ils arrivèrent à Rhodes, île très célèbre surtout pour son Colosse, qui était une statue d’une hauteur et d’une grandeur extraordinaires. De là, ils vinrent à Patara, capitale de la Lycie, très renommée pour un grand temple dédié au dieu Apollon. De là, ils naviguèrent jusqu’à Tyr, où le navire devait décharger sa cargaison.
            Tyr est la ville principale de la Phénicie, maintenant appelée Sour, sur les rives de la Méditerranée. À peine débarqués, ils trouvèrent quelques prophètes qui annonçaient les maux qui menaçaient le saint Apôtre à Jérusalem, et ils voulaient le détourner de ce voyage. Mais lui, après sept jours, voulut partir. Ces bons chrétiens, avec leurs femmes et leurs enfants, l’accompagnèrent hors de la ville, où, ployant les genoux sur la plage, ils firent avec lui une prière. Puis, après avoir échangé les salutations les plus cordiales, ils s’embarquèrent et furent accompagnés des regards des Sidoniens jusqu’à ce que l’éloignement du navire les ôte de leur vue. Arrivés à Césarée, ils s’arrêtèrent un jour pour saluer et réconforter ces chrétiens dans la foi ; continuant ensuite leur chemin, ils arrivèrent à Césarée.
            Là, Paul fut accueilli avec joie par le diacre Philippe. Ce saint disciple, après avoir prêché aux Samaritains, à l’eunuque de la reine Candace et dans de nombreuses villes de Palestine, avait fixé sa résidence à Césarée pour s’occuper des âmes qu’il avait régénérées en Jésus-Christ.
            À cette époque, le prophète Agabus vint à Césarée et, étant allé rendre visite au saint Apôtre, lui ôta sa ceinture et dit après s’en être lié les pieds et les mains : « Voici ce que l’Esprit Saint me dit ouvertement : l’homme à qui appartient cette ceinture sera ainsi lié par les Juifs à Jérusalem ».
            La prophétie d’Agabus émut tous les présents, car les maux qui étaient préparés pour le saint Apôtre à Jérusalem devenaient de plus en plus manifestes ; c’est pourquoi les compagnons de Paul le priaient en pleurant de ne pas y aller. Mais Paul répondait courageusement : « Oh ! Je vous en prie, ne pleurez pas. Avec vos larmes, vous n’augmentez que l’affliction de mon cœur. Sachez que je suis prêt non seulement à souffrir les chaînes, mais à affronter aussi la mort pour le nom de Jésus-Christ ».
            Alors tous, reconnaissant la volonté de Dieu dans la fermeté du saint Apôtre, dirent d’une seule voix : « Que la volonté du Seigneur soit faite ». Cela dit, ils partirent en direction de Jérusalem avec un certain Mnason, qui avait été disciple et adepte de Jésus-Christ. Il avait une résidence fixe à Jérusalem et allait avec eux pour les accueillir chez lui.

CHAPITRE XVIII. Saint Paul se présente à Saint Jacques — Les Juifs lui tendent des pièges — Il parle au peuple — Il réprimande le grand prêtre — An 59 ap. J.-C.

            Nous nous apprêtons maintenant à raconter une longue série de souffrances et de persécutions que le saint Apôtre endura durant quatre ans de prison. Dieu voulut préparer son serviteur à ces combats en les lui faisant connaître bien à l’avance ; en effet, les maux prévus causent moins de frayeur, et l’homme est plus disposé à les supporter. À l’arrivée de Paul et de ses compagnons à Jérusalem, ils furent accueillis par les chrétiens de cette ville avec les signes de la plus grande bienveillance. Le lendemain, ils allèrent rendre visite à l’évêque de la ville, qui était Saint Jacques le Mineur, auprès de qui s’étaient également réunis les principaux prêtres du diocèse. Paul raconta les merveilles que Dieu avait opérées par son ministère auprès des Gentils, ce dont tous remercièrent de tout cœur le Seigneur.
            Ils se hâtèrent cependant d’avertir Paul du danger qui le menaçait. « Beaucoup de Juifs, lui dirent-ils, se sont convertis à la foi et plusieurs d’entre eux sont très attachés à la circoncision et aux cérémonies légales. Or, sachant que tu dispenses les Gentils de ces observances, il y a une terrible animosité contre toi. Il est donc nécessaire que tu montres que tu n’es pas ennemi des Juifs. Fais ceci : à l’occasion où quatre Juifs doivent accomplir un vœu ces jours-ci, tu participeras à la fonction et tu feras pour eux les dépenses nécessaires pour cette solennité ».
            Paul adhéra promptement au sage conseil et participa à cette œuvre de piété. Il se rendit au temple et la fonction était sur le point de se terminer, lorsque quelques Juifs venus d’Asie excitèrent le peuple contre lui en criant : « Au secours, Israélites, au secours ! Cet homme est celui qui va par tout le monde prêchant contre le peuple, contre la loi et contre ce temple. Il n’a pas hésité à violer sa sainteté en y introduisant des Gentils ».
            Bien que ces accusations fussent des calomnies, toute la ville se mit en émoi et, un grand concours de peuple s’étant formé, ils prirent Saint Paul, le traînèrent hors du temple pour le mettre à mort comme blasphémateur. Mais le bruit du tumulte étant parvenu au tribun romain, celui-ci accourut immédiatement avec les gardes. Les séditieux, voyant les gardes, cessèrent de frapper Paul et le remirent au tribun, qui, l’ayant fait lier, ordonna qu’il fût conduit à la tour Antonia, qui était une forteresse et un quartier de soldats près du temple. Lysis, tel était le nom du tribun, désirait savoir la cause de ce tumulte mais ne put rien savoir, car les cris et les clameurs du peuple étouffaient toute voix. Alors que Paul montait les marches de la forteresse, les soldats durent le porter sur leurs bras pour le retirer des mains des Juifs, qui, ne pouvant l’avoir en leur pouvoir, criaient : « Tue-le, ôte-le du monde ».
            Lorsqu’il fut sur le point d’entrer dans la tour, il parla en grec au tribun : « Puis-je te dire un mot ? » Le tribun s’étonna qu’il parlât grec et lui dit : « Sais-tu le grec ? N’es-tu pas cet Égyptien qui provoqua il y a peu de temps une rébellion et conduisit avec lui dans le désert quatre mille assassins ? » « Non certainement, répondit Paul, je suis Juif, citoyen de Tarse, ville de Cilicie. Mais, je te prie, me permets-tu de parler au peuple ? » Cela lui fut accordé, et Paul, depuis les marches de la tour, leva un peu la main alourdie par le poids des chaînes, fit signe au peuple de se taire et se mit à exposer ce qui concernait sa patrie, sa conversion et sa prédication, et comment Dieu l’avait destiné à porter la foi parmi les Gentils.
            Le peuple l’écoutait dans un profond silence jusqu’à ces dernières paroles ; mais lorsqu’il entendit parler des Gentils, comme agité de mille fureurs, il éclata en cris fous, et certains, avec colère, jetaient à terre leurs vêtements, d’autres jetaient de la poussière en l’air, et tous criaient : « Cet homme est indigne de vivre, qu’il soit ôté du monde ! »
            Le tribun, qui n’avait rien compris au discours de Saint Paul, parce qu’il avait parlé en langue hébraïque, craignant que le peuple ne commette de graves excès, ordonna à ses hommes de conduire Paul dans la forteresse, puis de le flageller et de le soumettre à la torture pour le contraindre ainsi à révéler la cause de la sédition. Mais Paul, sachant que l’heure n’était pas encore venue où il devait souffrir de tels maux pour Jésus-Christ, se tourna vers le centurion chargé d’exécuter cet ordre injuste et lui dit : « Crois-tu qu’il soit permis de flageller un citoyen romain, sans qu’il soit condamné ? » En entendant cela, le centurion courut vers le tribun en lui disant : « Que vas-tu faire ? Ne sais-tu pas que cet homme est citoyen romain ? »
            Le tribun eut peur, car il avait fait ligoter Paul, ce qui entraînait la peine de mort. Il se rendit lui-même auprès de Paul et lui dit : « Es-tu vraiment citoyen romain ? » Il répondit : « Je le suis vraiment ». « Moi, ajouta le tribun, j’ai acquis à grand prix ce droit de citoyenneté romaine ». « Et moi, répliqua Paul, j’en jouis depuis ma naissance ». Ayant appris cela, il fit suspendre l’ordre de soumettre Paul à la torture, et le tribun lui-même en fut inquiet, et chercha un autre moyen de savoir les accusations que les Juifs portaient contre lui. Il ordonna que le lendemain se réunissent le Sanhédrin et tous les prêtres juifs ; puis, ayant fait enlever les chaînes à Paul, il le fit venir au milieu du conseil.
            L’Apôtre, fixant les yeux sur cette assemblée, dit : « Moi, frères, jusqu’à ce jour j’ai marché devant Dieu avec une bonne conscience ». À peine ces mots furent-ils entendus, que le grand prêtre, nommé Ananie, ordonna à l’un des assistants de donner à Paul un grand coup. L’Apôtre ne jugea pas bon de tolérer une si grave injure et, avec la liberté et le zèle dont usaient les anciens prophètes, dit : « Muraille blanchie, Dieu te frappera, comme tu m’as fait frapper, parce qu’en feignant de juger selon la loi, tu me fais frapper contre la loi elle-même ». En entendant ces paroles, tous s’indignèrent : « Oh ! lui dirent-ils, tu as l’audace d’insulter le grand prêtre ? » « Pardonnez-moi, frères, répondit Paul, je ne savais pas que celui-ci fût le prince des prêtres, car je connais bien la loi qui interdit de maudire le prince du peuple ».
            Paul n’avait pas reconnu le grand prêtre, soit parce qu’il n’avait pas les insignes de son rang, soit parce qu’il ne parlait et n’agissait pas avec la dignité qui convenait à sa personne. Saint Paul ne maudissait pas Ananie, mais il prédisait les maux qui allaient s’abattre sur lui, comme cela arriva effectivement. Pour se tirer d’une manière ou d’une autre des mains de ses ennemis, Paul allia la simplicité de la colombe à la prudence du serpent et, sachant que l’assemblée était composée de Sadducéens et de Pharisiens, pensa à semer la division entre eux en s’écriant : « Moi, frères, je suis Pharisien, fils et élève de Pharisiens. La raison pour laquelle je suis appelé en jugement est mon espérance dans la résurrection des morts ». Ces paroles firent naître de graves dissensions parmi les auditeurs ; certains étaient contre Paul, d’autres en sa faveur.
            Entre-temps, un tumulte s’éleva qui faisait craindre de graves désordres. Le tribun, craignant que les plus furieux ne s’attaquent à Paul et ne le mettent en pièces, ordonna aux soldats de le retirer de leurs mains et de le ramener à la tour. Dieu cependant voulut consoler son serviteur pour ce qu’il avait souffert en ce jour. Dans la nuit, il lui apparut et lui dit : « Prends courage : après m’avoir rendu témoignage à Jérusalem, tu feras de même à Rome ».

CHAPITRE XIX. Quarante Juifs s’engagent par vœu à tuer Saint Paul — Un de ses neveux découvre le complot — Il est transféré à Césarée — An 59 ap. J.-C.

            Les Juifs, voyant leur plan échouer, passèrent la nuit suivante à élaborer divers projets. Quarante d’entre eux prirent la désespérée résolution de s’engager par vœu à ne manger ni boire avant d’avoir tué Paul. Ayant ourdi cette conspiration, ils se rendirent auprès des princes des prêtres et des anciens, leur racontant leur projet. « Pour avoir ce scélérat entre nos mains, ajoutèrent-ils, nous avons trouvé un moyen sûr ; il ne vous reste plus qu’à nous donner un coup de main. Faites savoir au tribun, au nom du Sanhédrin, que vous souhaitez examiner plus en profondeur certains points de la doctrine de Paul et qu’il vous le présente à nouveau demain. Il consentira certainement à la demande. Mais soyez certains que, avant que Paul ne soit conduit devant vous, nous le mettrons en pièces de nos propres mains ». Les anciens louèrent le projet et promirent de collaborer.
            Or, soit parce qu’un des conjurés n’a pas gardé le secret, soit parce qu’ils n’ont pas pris soin de fermer la porte lorsqu’ils ont ourdi leur plan, il est certain qu’ils furent découverts. Un fils de la sœur de Paul apprit tout et, courant à la tour, réussit à passer entre les gardes, se présenta à son oncle et lui raconta l’ensemble du complot. Paul instruisit bien son neveu sur la manière d’agir. Puis, ayant appelé un officier qui était de garde, il lui dit : « Je te prie de conduire ce jeune homme au capitaine ; il a quelque chose à lui communiquer ».
            Le centurion le conduisit au capitaine et lui dit : « Ce Paul qui est en prison m’a prié de te conduire ce jeune homme, car il a quelque chose à te dire ». Le capitaine prit le jeune par la main et, l’amenant à l’écart, lui demanda ce qu’il avait à rapporter. « Les Juifs, répondit-il, se sont accordés pour te demander demain de faire conduire Paul devant le Sanhédrin, sous prétexte de vouloir examiner plus à fond sa cause. Mais ne les écoute pas : sache qu’ils lui tendent un guet-apens et que quarante d’entre eux se sont engagés par un terrible vœu à ne manger ni boire tant qu’ils ne l’auront pas tué. Ils sont maintenant prêts à agir, attendant seulement ton consentement ». « Bravo, dit le capitaine, tu as bien fait de me dire ces choses. Maintenant, va, mais ne dis à personne que tu me les as révélées ».
            Face à cette désespérée résolution, Lysias comprit que retenir plus longtemps Paul à Jérusalem équivalait à le laisser en danger, dont il ne pourrait peut-être pas le sauver. Aussi, sans tarder, il appela deux centurions et leur dit : « Donnez ordre à deux cents soldats d’infanterie, à autant d’hommes armés de lances, et à soixante-dix hommes à cheval, d’accompagner Paul jusqu’à Césarée. Préparez aussi une monture pour lui afin qu’il soit conduit là sain et sauf et se présente au gouverneur Félix ». Le tribun accompagna Paul avec une lettre au gouverneur, qui disait :
            « Claudius Lysias à l’excellent gouverneur Félix, salut. Je t’envoie cet homme qui, pris par les Juifs, était sur le point d’être tué par eux. Arrivé avec mes soldats, je l’ai retiré de leurs mains, ayant appris qu’il est citoyen romain. Souhaitant ensuite m’informer du crime dont il était accusé, je l’ai conduit devant le Sanhédrin et j’ai trouvé qu’il était accusé pour des questions concernant leur loi, mais sans aucune faute qui mérite la mort ou la prison. Mais comme on m’a rapporté qu’un complot de mort lui est tendu, j’ai décidé de te l’envoyer, invitant en même temps ses accusateurs à se présenter devant ton tribunal pour exposer leurs accusations contre lui. Salut ».
            En exécution des ordres reçus, cette même nuit, les soldats partirent avec Paul et le conduisirent à Antipatris, ville située à mi-chemin entre Jérusalem et Césarée. À ce point du parcours, ne craignant plus d’être attaqués par les Juifs, ils renvoyèrent les quatre cents soldats à Jérusalem, et Paul, accompagné seulement de soixante-dix cavaliers, arriva le lendemain à Césarée.
            Ainsi Dieu, de la manière la plus simple, délivrait son Apôtre d’un grave danger et faisait connaître que les projets des hommes deviennent toujours vains lorsqu’ils sont contraires à la volonté divine.

CHAPITRE XX. Paul devant le gouverneur — Ses accusateurs et sa défense — An 59 ap. J.-C.

            Le lendemain, Paul arriva à Césarée et fut présenté au gouverneur avec la lettre du capitaine Lysias. Après avoir lu la lettre, le gouverneur appela Paul à part et, ayant appris qu’il était de Tarse, lui dit : « Je t’écouterai lorsque tes accusateurs seront arrivés ». En attendant, il le fit garder dans la prison de son palais.
            Les quarante conjurés, lorsqu’ils se virent échouer leur complot, restèrent stupéfaits. On peut croire que, sans tenir compte du vœu fait, ils se mirent à manger et à boire pour continuer leur complot. D’accord avec le grand prêtre, avec les anciens et avec un certain Tertullus, célèbre orateur, ils partirent pour Césarée, où ils arrivèrent cinq jours après l’arrivée de Paul. Venus tous devant le gouverneur, Tertullus commença à parler ainsi contre Paul : « Nous avons trouvé cet homme pestilentiel, qui suscite des révoltes parmi tous les Juifs du monde. Il est chef de la secte des Nazaréens. Il a même tenté de profaner notre temple, et nous l’avons arrêté. Nous voulions le juger selon notre loi, mais le capitaine Lysias intervint et nous l’enleva de force. Il a ordonné que ses accusateurs se présentent devant toi. Maintenant nous sommes ici. En l’examinant, tu pourras toi-même vérifier les fautes dont nous l’accusons ». Ce que Tertullus avait affirmé fut confirmé par les Juifs présents.
            Paul, ayant eu du gouverneur la possibilité de répondre, commença à se défendre ainsi : « Puisque tu gouvernes ce pays depuis de nombreuses années, excellent Félix, tu es certainement en mesure de connaître les choses qui s’y sont passées. Je me défends de bon gré devant toi. Comme tu peux le vérifier, cela ne fait pas plus de douze jours que je suis monté à Jérusalem pour adorer. En ce court laps de temps, personne ne peut dire m’avoir trouvé dans le temple ou dans les synagogues ou dans un autre lieu public ou privé à discuter avec quelqu’un, ni à rassembler des foules ou à fomenter des désordres. Ils ne peuvent prouver aucune des accusations portées contre moi. Mais je t’avoue que je suis la Voie qu’ils appellent secte, servant ainsi le Dieu de nos pères, croyant en tout ce qui est conforme à la Loi et écrit dans les Prophètes. J’ai en Dieu la même espérance qu’eux, qu’il y aura une résurrection des justes et des injustes. Pour cela, moi aussi je m’efforce d’avoir toujours une conscience irréprochable devant Dieu et devant les hommes. Après de nombreuses années, je suis venu apporter des aumônes à ma nation et à présenter des offrandes. Alors que j’étais occupé à ces rites de purification, sans foule ni tumulte, certains Juifs d’Asie m’ont trouvé dans le temple. Ils auraient dû comparaître devant toi pour m’accuser, s’ils avaient quelque chose contre moi. Ou bien que ces mêmes personnes disent si elles ont trouvé quelque faute en moi, lorsque j’ai comparu devant le Sanhédrin, à part cette seule déclaration que j’ai faite à haute voix au milieu d’eux : C’est à cause de la résurrection des morts que je suis jugé aujourd’hui devant vous ».
            Ses accusateurs restèrent confus et, se regardant les uns les autres, ne trouvaient pas de mots à prononcer. Quant au gouverneur, déjà enclin en faveur des chrétiens, il savait que, loin d’être séditieux, ils étaient les plus dociles et les plus fidèles parmi ses sujets. Mais il ne voulut pas prononcer de jugement et se réserva de l’entendre à nouveau lorsque le capitaine Lysias serait venu de Jérusalem à Césarée. En attendant, il ordonna que Paul soit gardé, mais en lui accordant une certaine liberté et en permettant à ses amis de le servir.
            Quelque temps après, le gouverneur, peut-être pour faire plaisir à sa femme, qui était Juive, fit venir Paul en sa présence pour l’entendre parler de religion. L’Apôtre exposa avec vivacité les vérités de la foi, la rigueur des jugements que Dieu réservera aux impies dans l’autre vie, au point que Félix, effrayé et troublé, dit : « Pour l’instant, cela suffit ; je t’écouterai de nouveau lorsque j’en aurai l’occasion ». En réalité, il le fit appeler plusieurs fois, mais non pour s’instruire dans la foi, mais en espérant que Paul lui offrirait de l’argent en échange de sa liberté. C’est pourquoi, tout en reconnaissant l’innocence de Paul, il le garda en prison à Césarée pendant deux ans. Ainsi font certains chrétiens : pour un gain temporel ou pour plaire aux hommes ils vendent la justice et violent les devoirs les plus sacrés de la conscience et de la religion.

CHAPITRE XXI. Paul devant Festus — Ses paroles au roi Agrippa — An 60 ap. J.-C.

            Cela faisait maintenant deux ans que le saint Apôtre était retenu prisonnier, lorsque Festus succéda à Félix en tant que gouverneur. Trois jours après avoir pris ses fonctions, le nouveau gouverneur se rendit à Jérusalem et immédiatement les chefs des prêtres et les principaux Juifs se présentèrent à lui pour renouveler les accusations contre le saint Apôtre. Ils lui demandèrent comme faveur particulière de faire conduire Paul à Jérusalem, pour être jugé par le Sanhédrin ; mais en réalité, ils avaient l’intention de l’assassiner en chemin. Festus, peut-être déjà averti de ne pas leur faire confiance, répondit qu’il retournerait bientôt à Césarée ; « Que ceux d’entre vous, dit-il, qui ont quelque chose contre Paul, viennent avec moi et j’écouterai leurs accusations ».
            Après quelques jours, Festus retourna à Césarée avec les Juifs accusateurs de Paul. Le lendemain, il fit venir le saint Apôtre devant son tribunal, et les Juifs lui firent de nombreuses accusations graves, sans toutefois pouvoir les prouver. Paul leur répondit par quelques mots, et ses accusateurs se turent. Cependant, Festus, désireux d’acquérir la bienveillance des Juifs, lui demanda s’il voulait aller à Jérusalem pour être jugé par le Sanhédrin, en sa présence. Se rendant compte que Festus avait l’intention de le remettre entre les mains des Juifs, Paul répondit : « Je suis devant le tribunal de César, où je dois être jugé. Je n’ai fait aucun tort aux Juifs, comme tu le sais bien. Si donc je suis coupable et que j’ai commis quelque chose qui mérite la mort, je ne refuse pas de mourir ; mais s’il n’y a rien de vrai dans les accusations que ceux-ci portent contre moi, personne n’a le droit de me livrer à eux. Je fais appel à César ». Cet appel de notre Apôtre était juste et conforme aux lois romaines, car le gouverneur se montrait disposé à livrer un citoyen romain, reconnu innocent, au pouvoir des Juifs qui voulaient sa mort à tout prix. Les saints Pères ont pensé que ce n’était pas le désir de la vie, mais le bien de l’Église qui le poussa à faire appel à Rome, où, par révélation divine, il savait combien il devrait travailler pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.
            Festus, après avoir consulté son conseil, répondit : « Tu as fait appel à César, à César tu iras ».
            Peu de jours après, le roi Agrippa, fils de cet Agrippa qui avait fait mourir Saint Jacques le Majeur et emprisonner Saint Pierre, vint à Césarée. Il était venu avec sa sœur Bérénice pour rendre les hommages dus au nouveau gouverneur de la Judée. Après s’être retenus plusieurs jours, Festus leur parla du procès de Paul. Agrippa manifesta le désir de l’entendre. Pour le satisfaire, Festus fit préparer une salle avec grande pompe et, invitant à l’audience les tribuns et les autres magistrats, fit conduire Paul en présence d’Agrippa et de Bérénice. « Voici l’homme, dit Festus, contre qui toute la multitude des Juifs s’est tournée vers moi, protestant avec de grands cris qu’il ne devait plus vivre. Or je n’ai trouvé en lui rien qui mérite la mort. Cependant, comme il a fait appel au tribunal de l’empereur, je dois l’envoyer à Rome. Mais comme je n’ai rien de certain à écrire à notre souverain, j’ai jugé opportun de le présenter devant vous et spécialement devant toi, ô roi Agrippa, afin qu’après l’avoir interrogé, vous me disiez ce que je dois écrire, car il ne me semble pas convenable d’envoyer un prisonnier sans spécifier les accusations contre lui ».
            Agrippa, s’adressant à Paul, dit : « Il t’est permis de parler en ta défense ». Paul commença à parler ainsi : « Je me considère heureux, ô roi Agrippa, de pouvoir aujourd’hui me défendre devant toi contre toutes les accusations des Juifs, surtout parce que tu es expert en toutes les coutumes et les questions qui les concernent. Je te prie donc de m’écouter avec patience. Tous les Juifs connaissent ma vie depuis ma jeunesse, passée parmi mon peuple et à Jérusalem. Ils savent que j’ai vécu selon la secte la plus stricte de notre religion, celle des Pharisiens. Et maintenant je suis appelé en jugement à cause de l’espérance dans la promesse faite par Dieu à nos pères, celle que nos douze tribus espèrent voir accomplie en servant Dieu nuit et jour. C’est pour cette espérance, ô roi, que je suis accusé par les Juifs. Pourquoi juge-t-on inconcevable parmi vous que Dieu ressuscite les morts ?
            Moi aussi, je pensais qu’il était de mon devoir de faire beaucoup de choses contre le nom de Jésus de Nazareth. C’est ce que je fis à Jérusalem : j’obtins des chefs des prêtres l’autorisation d’emprisonner de nombreux saints et, quand ils étaient mis à mort, j’exprimais mon accord. Souvent, allant de synagogue en synagogue, je cherchais à les contraindre à blasphémer ; et dans ma fureur acharnée, je les persécutais jusqu’aux villes étrangères.
            Dans de telles circonstances, alors que j’allais à Damas avec l’autorisation et le mandat des chefs des prêtres, à midi, ô roi, je vis sur le chemin une lumière venant du ciel, plus éclatante que le soleil, qui enveloppa moi et ceux qui étaient avec moi. Tous tombèrent à terre et j’entendis une voix qui me disait en langue hébraïque : “Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Il est dur pour toi de regimber contre l’aiguillon”. Je dis : “Qui es-tu, Seigneur ?” Et le Seigneur répondit : “Je suis Jésus, que tu persécutes. Mais lève-toi et tiens-toi debout ; car je t’ai apparu pour te constituer ministre et témoin de ce que tu as vu de moi et de ce que je te montrerai. Je te délivrerai du peuple et des païens, auxquels je t’envoie pour ouvrir leurs yeux, afin qu’ils se convertissent des ténèbres à la lumière et du pouvoir de Satan à Dieu, et qu’ils obtiennent, par la foi en moi, la rémission des péchés et leur part parmi les sanctifiés”.
            C’est pourquoi, ô roi Agrippa, je n’ai pas désobéi à la vision céleste ; mais d’abord à ceux de Damas, puis à Jérusalem et dans toute la Judée, et enfin aux païens, j’ai annoncé le devoir de se repentir et de se convertir à Dieu, en faisant des œuvres dignes de repentance. Pour cela, les Juifs, m’ayant saisi dans le temple, ont tenté de me tuer. Mais, grâce à l’aide de Dieu, jusqu’à ce jour je suis ici à témoigner devant les petits et les grands, ne disant rien d’autre que ce que les prophètes et Moïse ont déclaré devoir arriver : que le Christ souffrirait et que, comme premier parmi les ressuscités d’entre les morts, il annoncerait la lumière au peuple et aux païens ».
            Festus interrompit le discours de l’Apôtre et s’écria à haute voix : « Tu es fou, Paul ; ta trop grande science t’a tourné la tête ». À quoi Paul répondit : « Je ne suis pas fou, excellent Festus, mais je dis des paroles de vérité et de bon sens. Le roi, à qui je parle avec franchise, connaît ces choses ; je crois en effet que rien de cela ne lui est inconnu, car ce ne sont pas des faits qui se sont produits en secret. Crois-tu aux prophètes, ô roi Agrippa ? Je sais que tu y crois ». Agrippa dit à Paul : « Encore un peu et tu me convaincs de devenir chrétien ». Et Paul répliqua : « Qu’il plaise à Dieu que, tôt ou tard, non seulement toi, mais aussi tous ceux qui m’écoutent aujourd’hui deviennent tels que je suis, sauf ces chaînes ».
            Alors le roi, le gouverneur, Bérénice et les autres se levèrent et, s’étant retirés à l’écart, se dirent l’un à l’autre : « Cet homme n’a fait rien qui mérite la mort ou la prison ». Et Agrippa dit à Festus : « Cet homme aurait pu être libéré, s’il n’avait pas fait appel à César ».
            Mais le discours de Paul, qui aurait dû convertir tous ces juges, ne servit à rien, car ils fermèrent leur cœur aux grâces que Dieu voulait leur accorder. C’est une image de ces chrétiens qui écoutent la parole de Dieu, mais ne se résolvent pas à mettre en pratique les bonnes inspirations qu’ils sentent parfois naître dans leur cœur.

CHAPITRE XXII. Saint Paul est embarqué pour Rome — Il subit une terrible tempête, dont il est sauvé avec ses compagnons — An 60 ap. J.-C.

            Lorsque Festus décida que Paul serait conduit à Rome par mer, on le confia lui, avec de nombreux autres prisonniers, à un centurion nommé Julius. Avec lui se trouvaient ses deux fidèles disciples Aristarque et Luc. Ils s’embarquèrent sur un navire venant d’Adramyttium, ville maritime d’Afrique. Longeant la Palestine, ils arrivèrent à Sidon le jour suivant. Le centurion, qui les accompagnait, se rendit vite compte que Paul n’était pas un homme ordinaire et, admirant ses vertus, commença à le traiter avec égard. Débarqués à Sidon, il lui donna pleine liberté de visiter ses amis, de s’attarder avec eux et de recevoir quelque réconfort.
            De Sidon, ils naviguèrent le long des côtes de l’île de Chypre et, le vent étant plutôt contraire, traversèrent la mer de Cilicie et de Pamphylie, qui est une partie de la Méditerranée, et arrivèrent à Myre, ville de Lycie. Là, le centurion, ayant trouvé un navire qui allait d’Alexandrie en Italie avec un chargement de blé, transféra ses passagers à bord. Mais naviguant très lentement, ils peinèrent beaucoup pour atteindre l’île de Crète, aujourd’hui appelée Candie. Ils s’arrêtèrent dans un endroit appelé Bons-Ports, près de Salmoné, ville de cette île.
            La saison étant très avancée, Paul, certainement inspiré par Dieu, exhortait les marins à ne pas risquer de continuer la navigation en un temps si dangereux. Mais le pilote et le maître du navire, ne tenant pas compte des paroles de Paul, affirmaient qu’il n’y avait rien à craindre. Ils partirent donc avec l’intention d’atteindre un autre port de cette île appelé Phénix, espérant pouvoir y passer l’hiver en toute sécurité. Mais après un court trajet, le navire fut secoué par un fort vent, et ne pouvant y résister, les navigateurs se virent contraints d’abandonner eux-mêmes et le navire à la merci des vagues. Arrivés à Cauda, une petite île proche de Crète, ils se rendirent compte qu’ils étaient proches d’un banc de sable et, craignant de briser le navire contre celui-ci, ils s’efforcèrent de prendre une autre direction. Mais la tempête s’intensifiant et le navire s’agitant de plus en plus, ils se trouvèrent tous en grand danger. Ils jetèrent à la mer les marchandises, puis les meubles et les armements du navire pour l’alléger. Cependant, après plusieurs jours, ne voyant plus ni soleil ni étoiles et avec la tempête qui faisait rage de plus en plus, tout espoir de salut semblait perdu. À ces maux s’ajoutait que, soit à cause du mal de mer en tempête, soit par peur de la mort, personne ne pensait à manger, ce qui était nuisible à la santé car les marins manquaient de forces pour gouverner le navire. Ils se repentirent alors de ne pas avoir suivi le conseil de Paul, mais il était trop tard.
            Paul, voyant le découragement parmi les marins et les passagers, animé par la confiance en Dieu, les consola en disant : « Frères, vous auriez dû me croire et ne pas partir de Crète ; ainsi nous aurions évité ces pertes et ces malheurs. Cependant, ayez du courage ; croyez-moi, au nom de Dieu je vous assure que personne d’entre nous ne se perdra ; seul le navire sera détruit. Cette nuit, l’ange du Seigneur m’est apparu et m’a dit : “N’aie pas peur, Paul, tu dois comparaître devant César ; et voici, Dieu t’accorde la vie de tous ceux qui naviguent avec toi”. Par conséquent, ayez du courage, frères, tout se passera comme il m’a été dit ».
            Entre-temps, quatorze jours s’étaient déjà écoulés depuis qu’ils souffraient cette tempête, et chacun pensait être englouti par les vagues d’un moment à l’autre. Il était minuit lorsque, dans l’obscurité des ténèbres, il parut aux marins qu’ils s’approchaient de la terre. Pour s’en assurer, ils jetèrent l’ancre et trouvèrent l’eau profonde de vingt coudées, puis quinze. Craignant alors de finir contre un rocher, ils jetèrent quatre ancres pour arrêter le navire, attendant la lumière du jour qui leur montrerait où ils se trouvaient.
            À ce moment-là, les marins eurent l’idée de fuir le navire et d’essayer de se sauver sur cette terre qui semblait proche. Paul, toujours guidé par la lumière divine, s’adressa au centurion et aux soldats en disant : « Si ceux-ci ne restent pas à bord, vous ne pourrez être sauvés, car Dieu ne veut pas être tenté en lui demandant de faire des miracles ». À ces paroles, tous se turent et suivirent le conseil de Paul. À l’aube, le saint Apôtre jeta un coup d’œil à ceux qui étaient sur le navire et, les voyant tous épuisés par les fatigues et affamés par le jeûne, leur dit : « Frères, cela fait quatorze jours que, attendant une amélioration, vous n’avez rien mangé. Maintenant je vous prie de ne pas vous laisser mourir de faim. Je vous ai déjà assuré, et je vous assure encore, qu’aucun de vos cheveux ne périra. Courage donc ». Cela dit, Paul prit du pain, rendit grâce à Dieu, le rompit et, en présence de tous, se mit à manger. Alors tous reprirent des forces et mangèrent avec lui ; ils étaient au nombre de 276 personnes.
            Mais, comme les vents et les vagues continuaient à faire fureur, ils furent contraints de jeter à la mer aussi le blé qu’ils avaient conservé pour leur usage. Le jour se leva, et il leur sembla voir une anse ; ils s’efforcèrent de diriger le navire pour y chercher un refuge. Mais, poussé par la force des vents, le navire s’échoua sur un banc de sable, commençant à se briser et à se détruire. Voyant l’eau pénétrer par diverses fissures, les soldats voulurent prendre le cruel parti de tuer tous les prisonniers, tant pour alléger le navire que parce qu’ils craignaient qu’ils ne s’échappent après s’être sauvés à la nage.
            Mais le centurion, qui aimait Paul et voulait le sauver, n’approuva pas ce conseil, mais ordonna que ceux qui savaient nager se jettent à la mer pour atteindre la terre ; aux autres, il fut dit de s’agripper à des planches ou à des débris du navire ; et ainsi tous arrivèrent sains et saufs au rivage.

CHAPITRE XXIII. Saint Paul sur l’île de Malte — Il est libéré de la morsure d’une vipère — Il est accueilli chez Publius, dont il guérit le père — An 60 ap. J.-C.

            Ni Paul ni ses compagnons ne connaissaient la terre sur laquelle ils avaient accosté après être sortis des flots. Informés par les premiers habitants qu’ils rencontrèrent, ils apprirent que cet endroit s’appelait Mélita, aujourd’hui Malte, une île de la Méditerranée située entre l’Afrique et la Sicile. À la nouvelle de ce grand nombre de naufragés qui étaient sortis des flots comme autant de poissons, les insulaires accoururent et, bien qu’ils fussent des barbares, ils s’émurent de les voir si fatigués, épuisés et tremblants de froid. Pour les réchauffer, ils allumèrent un grand feu.
            Paul, toujours attentif à exercer des œuvres de charité, alla ramasser un faisceau de branches sèches. Alors qu’il les mettait sur le feu, une vipère qui était dedans, engourdie par le froid, réveillée par la chaleur, sauta et s’accrocha à la main de Paul. Les barbares, voyant le serpent pendu à sa main, pensèrent mal de lui et disaient les uns aux autres : « Cet homme doit être un assassin ou un grand scélérat ; il a échappé à la mer, mais la vengeance divine le frappe sur terre ». Comme nous devons nous garder de juger témérairement notre prochain !
            Paul, ravivant la foi en Jésus-Christ, qui avait assuré à ses Apôtres que ni serpents ni poisons ne leur feraient de mal, secoua la main, jeta la vipère dans le feu et ne subit aucun mal. Ces bonnes gens s’attendaient à ce que le poison entre dans le sang de Paul, le fasse enfler et tomber mort après quelques instants, comme cela arrivait à quiconque avait le malheur d’être mordu par ces serpents. Ils attendirent longtemps et, voyant qu’il ne lui arrivait rien, changèrent d’avis et disaient que Paul était un grand dieu descendu du ciel. Peut-être croyaient-ils qu’il était Hercule, considéré comme dieu et protecteur de Malte. Selon les légendes, Hercule, étant encore enfant, aurait tué un serpent, d’où son nom d’ophitocole, c’est-à-dire tueur de serpents.
            Dieu confirma ce premier prodige par un autre encore plus stupéfiant et permanent. En effet, toute force vénéneuse fut ôtée aux serpents de cette île, de sorte qu’à partir de cette époque, on n’eut plus à craindre la morsure des vipères. Que veut-on de plus ? On dit que la terre même de l’île de Malte, emportée ailleurs, est un remède sûr contre les morsures des vipères et des serpents.
            Quand le gouverneur de l’île, un prince nommé Publius, homme très riche, apprit la manière miraculeuse dont ces naufragés avaient été sauvés des eaux et fut informé, ou témoin, du miracle de la vipère, il envoya inviter Paul et ses compagnons, qui étaient arrivés au nombre de 276. Il les accueillit chez lui et les honora pendant trois jours, leur offrant logement et nourriture à ses frais. Dieu ne laissa pas sans récompense la générosité et la courtoisie de Publius. Il avait son père alité, affligé de fièvre et d’une grave dysenterie qui l’avaient conduit à l’agonie. Paul alla voir le malade et, après lui avoir adressé des paroles de charité et de consolation, se mit à prier. Puis, s’étant levé, il s’approcha du lit, imposa les mains sur l’infirme qui guérit immédiatement. Ainsi, le bon vieux, libre de tout mal et pleinement rétabli, courut embrasser son fils, bénissant Paul et le Dieu qu’il prêchait. Publius, son père et sa famille (au dire de saint Jean Chrysostome), pleins de gratitude envers le grand Apôtre, se firent instruire dans la foi et reçurent par la main de Paul le baptême.
            La nouvelle de la guérison miraculeuse du père de Publius se répandit, et tous ceux qui étaient malades ou avaient des maladies de toute sorte allaient ou se faisaient porter aux pieds de Paul. Il les bénissait au nom de Jésus-Christ, les renvoyait tous guéris, bénissant Dieu et croyant à l’Évangile. En peu de temps, toute cette île reçut le baptême. On abattit les temples des idoles et on en éleva d’autres consacrés au culte du vrai Dieu.

CHAPITRE XXIV. Voyage de Saint Paul de Malte à Syracuse — Il prêche à Rhegium — Son arrivée à Rome — An 60 ap. J.-C.

            Les Maltais étaient pleins d’enthousiasme pour Paul et pour la doctrine qu’il prêchait, au point qu’en plus d’embrasser massivement la foi, ils rivalisaient à lui fournir tout ce dont il avait besoin pour le temps qu’il demeura à Malte et pour le voyage jusqu’à Rome. Paul resta à Malte trois mois à cause de l’hiver où la mer n’est pas navigable. On croit communément que pendant ce temps, il a conduit Publius à la perfection chrétienne et que, avant de partir, il l’a ordonné évêque de cette île ; ce qui fut certainement une grande consolation pour ces fidèles.
            Quand vint le printemps, on décida de partir pour Rome. Le centurion Julius s’accorda avec un navire qui de la ville d’Alexandrie se dirigeait vers l’Italie et qui avait pour enseigne deux dieux appelés Castor et Pollux, que les idolâtres croyaient protecteurs de la navigation. Au grand chagrin des Maltais, ils s’embarquèrent vers la Sicile, une île très proche de l’Italie, et favorisés par le vent, arrivèrent rapidement à Syracuse, ville principale de cette île. Ici, l’Évangile avait déjà été prêché par Saint Pierre, qui y avait ordonné évêque Saint Marcien. Ce digne pasteur voulut accueillir chez lui le saint Apôtre et lui fit célébrer les saints mystères dans une grotte, ce qui causa une grande joie à lui et à ces fidèles. Une très ancienne église, qui subsiste encore aujourd’hui dans cette ville, est dédiée à notre saint Apôtre, et l’on croit qu’elle a été édifiée sur la grotte même où Saint Paul avait prêché la parole de Dieu et célébré les divins mystères.
            Partant de Syracuse, ils longèrent l’île de Sicile, passèrent le port de Messine et arrivèrent avec ses compagnons à Rhegium, ville et port de Calabre, très proche de la Sicile. Ils s’y arrêtèrent un jour.
            Des historiens accrédités de cette ville racontent les grandes merveilles opérées par Saint Paul lors de ce bref séjour ; parmi celles-ci, nous choisissons le fait suivant. Les habitants de Rhegium, qui étaient idolâtres, en apprenant qu’un navire portant l’enseigne de Castor et Pollux, très honorés par eux, avait accosté dans leur port, accoururent en masse pour le voir. Paul voulut profiter de cette affluence pour prêcher Jésus-Christ, mais ils ne voulaient pas l’écouter. Alors, poussé par la foi en ce Jésus qui par sa main avait opéré tant de merveilles, il tira un morceau de bougie et dit : « Je vous prie de me laisser parler au moins le temps que ce petit morceau de bougie mettra à se consumer ». Ils acceptèrent la condition en riant et se calmèrent.
            Paul posa cette mèche sur une colonne de pierre située sur le rivage. Immédiatement, toute la colonne prit feu et une grande flamme apparut, qui lui servit de torche ardente. Il eut amplement le temps de les instruire, car ces barbares, stupéfaits par un tel miracle, restèrent à écouter Paul docilement aussi longtemps qu’il voulut parler ; et personne n’osa le déranger. La foi fut accueillie, et sur le lieu du miracle fut érigée une magnifique église au vrai Dieu. Sur l’autel majeur fut placée cette colonne et, pour conserver la mémoire de ce prodige, une solennité avec office propre fut établie. Dans la messe, on lit une prière qui se traduit ainsi : « Ô Dieu, qui à la prédication de l’Apôtre Paul, faisant briller miraculeusement une colonne de pierre, avez daigné instruire les peuples de Rhegium par la lumière de la foi, accordez-nous, nous vous en prions, de mériter d’avoir au ciel comme intercesseur celui que nous avons eu comme prédicateur de l’Évangile sur terre » (Cesari, Actes des Apôtres, vol. 2).
            Après ce jour, invités par un temps favorable, Paul et ses compagnons s’embarquèrent pour Puteoli, ville de Campanie distante de neuf miles de Naples. Là, il fut grandement consolé par la rencontre de plusieurs qui avaient déjà embrassé la foi, que leur avait prêchée Saint Pierre quelques années auparavant.
            Ces bons chrétiens éprouvèrent également une grande consolation et prièrent Paul de rester avec eux sept jours. Paul, ayant obtenu la permission du centurion, s’attarda chez eux pendant ce temps et, un jour de fête, parla à une nombreuse assemblée de fidèles.
            Les nouvelles de l’arrivée du grand Apôtre en Italie étaient déjà parvenues à Rome, et les fidèles de cette ville, désireux de connaître en personne l’auteur de la célèbre lettre envoyée de Corinthe, vinrent à sa rencontre au Forum d’Appius, aujourd’hui appelé Fossa Nuova, qui est une ville distante d’environ 50 miles de Rome. Continuant le chemin, ils arrivèrent aux Trois-Tavernes, lieu distant d’environ 30 miles de Rome, où il trouva beaucoup d’autres qui étaient venus jusque-là pour lui faire un accueil festif.
            Accompagné de ce grand nombre de fidèles, qui ne se lassaient pas d’admirer ce grand ministre de Jésus-Christ, il arriva à Rome comme conduit en triomphe. Ici, la foi chrétienne, comme on l’a dit, avait déjà été prêchée par Saint Pierre, qui y tenait le siège pontifical depuis dix-huit ans.

CHAPITRE XXV. Paul parle aux Juifs et leur prêche Jésus-Christ — Progrès de l’Évangile à Rome — An 61 ap. J.-C.

            Arrivé à Rome, Paul fut remis au préfet du prétoire, c’est-à-dire au général des gardes prétoriennes, ainsi appelées parce qu’elles avaient la charge spéciale de garder la personne de l’empereur. Le nom de cet illustre romain était Afranius Burrus, dont l’histoire fait une mention très honorable.
            Le centurion Julius se préoccupa de recommander Paul à ce préfet, qui le traita avec une bienveillance singulière. Les lettres des gouverneurs Félix et Festus, qui devaient certainement avoir fait connaître l’innocence de Paul, et le bon témoignage rendu par le centurion Julius, le mirent en bonne lumière et en révérence auprès de Burrus, qui lui donna pleine liberté de vivre seul où bon lui semblait, à condition qu’il fût surveillé par un soldat lorsqu’il sortait de chez lui. Paul avait cependant toujours au bras une chaîne lorsqu’il était chez lui ; s’il sortait, la chaîne qui lui liait le bras passait derrière pour le tenir lié au soldat qui l’accompagnait, de sorte que ce soldat était toujours attaché à Paul par la chaîne. Le saint Apôtre loua une maison, dans laquelle il prit logement avec ses compagnons, parmi lesquels sont spécialement nommés Luc, Aristarque et Timothée, ce fidèle disciple de Lystres.
            Trois jours après son arrivée, il invita les principaux Juifs qui demeuraient à Rome, les priant de venir le voir dans son logement. Rassemblés en bon nombre, il leur parla ainsi : « Je ne voudrais pas que l’état dans lequel vous me voyez et les chaînes dont je suis lié vous donnent une mauvaise opinion de moi. Dieu sait que je n’ai rien fait contre mon peuple, ni contre les coutumes et les lois de ma patrie. J’ai été enchaîné à Jérusalem et ensuite remis aux Romains. Ceux-ci m’examinèrent et, n’ayant trouvé en moi rien qui mérite punition, voulaient me renvoyer libre ; mais comme les Juifs s’y opposaient fortement, j’ai été contraint d’en appeler à César.
           
             « C’est la seule raison pour laquelle j’ai été conduit à Rome. Je ne veux pas ici accuser mes frères, mais je désire vous faire savoir le motif de ma venue et, en même temps, vous parler du Messie et de la résurrection, qui est justement le motif de ces chaînes. Sur ce sujet, je désire beaucoup pouvoir vous ouvrir mon cœur ».
            À ces paroles, les Juifs répondirent : « En vérité, nous n’avons reçu aucune lettre de Judée, ni personne n’est venu nous rapporter quelque chose contre toi. Nous sommes aussi dans le vif désir de connaître tes sentiments, car nous savons que la secte des chrétiens est contestée dans le monde entier ».
            Paul accepta volontiers l’invitation et, leur assignant un jour, un grand nombre de Juifs se rassemblèrent chez lui. Il commença alors à exposer la doctrine de Jésus-Christ, la divinité de sa personne, la nécessité de la foi en lui, confirmant chaque chose par les paroles des Prophètes et de Moïse. Tel était le désir d’écouter et telle l’angoisse de prêcher, que le discours de Paul se prolongea du matin jusqu’au soir. Parmi les Juifs qui l’écoutaient, beaucoup crurent et embrassèrent la foi, mais plusieurs s’opposèrent fortement à lui.
            Le saint Apôtre, voyant tant d’acharnement de la part de ceux qui auraient dû être les premiers à croire, leur dit ces dures paroles : « De cette inflexible obstination que je vois ici parmi vous à Rome, comme je l’ai trouvée dans toutes les parties du monde, la faute est la vôtre. Cette dureté a déjà été prédite par le prophète Isaïe, lorsqu’il a dit : “Va vers ce peuple et dis : Vous entendrez avec vos oreilles, mais vous ne comprendrez pas ; vous verrez avec vos yeux, mais vous ne saisirez rien ; car le cœur de ce peuple s’est endurci, ils ont bouché leurs oreilles et fermé leurs yeux”.
            « Soyez bien certains, poursuivait Paul, que le salut que vous ne voulez pas, Dieu ne vous le donnera pas ; au contraire, il l’apportera aux Gentils, qui l’accueilleront ».
            Les paroles de Paul furent presque inutiles pour les Juifs. Ils partirent de chez lui en continuant les disputes et les vaines discussions sur ce qu’ils avaient entendu, sans ouvrir leur cœur à la grâce qui leur était offerte. C’est pourquoi, profondément affligé, Paul s’adressa aux Gentils, qui avec humilité de cœur venaient l’écouter et en grand nombre embrassaient la foi.
            Le saint Apôtre exprime lui-même la grande consolation pour le progrès que faisait l’Évangile durant sa prison, en écrivant aux fidèles de Philippes : « Lorsque vous avez su, mes frères, que j’étais retenu prisonnier à Rome, vous en avez éprouvé de la peine, non pas tant pour ma personne, que pour la prédication de l’Évangile. Sachez donc que c’est tout le contraire. Mes chaînes sont devenues un honneur pour Jésus-Christ et ont servi à le faire mieux connaître non seulement à ceux de la ville qui venaient à moi pour se faire instruire dans la foi, mais aussi dans la cour et au palais de l’empereur. De cela, vous devez vous réjouir avec moi et remercier Dieu ».

CHAPITRE XXVI. Saint Luc — Les Philippiens envoient de l’aide à Saint Paul — Maladie et guérison d’Épaphrodite — Lettre aux Philippiens — Conversion d’Onésime — An 61 ap. J.-C.

            Tout ce que nous avons dit jusqu’à présent des actions de Saint Paul a été presque littéralement tiré du livre des Actes des Apôtres, écrit par Saint Luc. Ce prédicateur de l’Évangile continua d’être le fidèle compagnon de Saint Paul ; il prêcha l’Évangile en Italie, en Dalmatie, en Macédoine et termina sa vie par le martyre à Patras, ville d’Achaïe. Il était médecin, peintre et sculpteur. Il existe de nombreuses statues et peintures de la Bienheureuse Vierge vénérées dans différents pays et attribuées à Saint Luc. Revenons à Saint Paul.
            Deux faits sont particulièrement mémorables dans la vie de ce saint Apôtre alors qu’il était emprisonné à Rome. L’un concerne les fidèles de Philippes, l’autre la conversion d’Onésime.
            Parmi les nombreux peuples auxquels le saint Apôtre prêcha l’Évangile, aucun ne lui témoigna plus d’affection que les Philippiens. Ils lui avaient déjà fourni de nombreuses aumônes lorsqu’il prêchait dans leur ville, à Thessalonique et à Corinthe.
            Lorsqu’ils apprirent que Paul était retenu prisonnier à Rome, ils imaginèrent qu’il était dans le besoin ; c’est pourquoi ils firent une collecte considérable et, afin qu’elle soit plus précieuse et honorable, ils l’envoyèrent par l’intermédiaire de Saint Épaphrodite, leur évêque.
            Ce saint prélat, arrivé à Rome, trouva Paul qui avait non seulement besoin d’aide financière, mais aussi d’assistance personnelle, car il était affligé par une grave maladie causée par la prison. Épaphrodite se mit à le servir avec tant de sollicitude, de charité et de ferveur, qu’il tomba lui-même malade et se trouva au bord de la mort. Mais Dieu voulut récompenser la charité du saint et faire en sorte qu’aucune affliction ne s’ajoute à celle de Paul, et lui rendit la santé.
            Les Philippiens, lorsqu’ils apprirent qu’Épaphrodite était mortellement malade, furent plongés dans la plus profonde consternation. C’est pourquoi Paul jugea bon de le renvoyer à Philippes avec une lettre, dans laquelle il explique la raison qui l’a poussé à leur renvoyer Épaphrodite, qu’il appelle son frère, son collaborateur, son collègue et leur apôtre. Il les exhorte donc à l’accueillir avec toute joie et à honorer toute personne de mérite similaire, qui, à son imitation, soit prête à donner sa vie pour le service du Christ. Il dit aussi aux Philippiens qu’il enverrait bientôt Timothée, afin qu’il leur apporte des nouvelles précises de cette communauté ; il affirme également qu’il espérait être libéré et pouvoir les voir encore une fois.
            Épaphrodite fut accueilli par les Philippiens comme un ange envoyé par le Seigneur, et la lettre de Paul remplit le cœur de ces fidèles de la plus grande consolation.
            L’autre fait qui rend célèbre l’emprisonnement de Saint Paul fut la conversion d’Onésime, serviteur de Philémon, riche citoyen de Colosses, ville de Phrygie. Ce Philémon avait été gagné à la foi par Saint Paul et avait si bien répondu à la grâce du Seigneur qu’il était considéré comme un modèle pour les chrétiens, et sa maison était appelée église car elle était toujours ouverte pour les pratiques de piété et pour l’exercice de la charité envers les pauvres. Il avait de nombreux esclaves qui le servaient, et parmi eux un nommé Onésime. Celui-ci, s’étant malheureusement adonné aux vices, attendit l’occasion de fuir, et en volant une grosse somme d’argent à son maître, s’enfuit à Rome. Là, se livrant à la débauche et à d’autres excès, il consuma l’argent volé et se trouva bientôt dans la plus grande misère. Par hasard, il entendit parler de Saint Paul, qu’il avait peut-être vu et servi chez son maître. La charité et la bienveillance du saint Apôtre lui inspirèrent confiance, et il décida de se présenter à lui. Il alla et se jeta à genoux à ses pieds, lui manifesta son erreur et l’état malheureux de son âme, et se confia complètement à lui. Paul reconnut en cet esclave un véritable fils prodigue. Il l’accueillit avec bonté, comme il le faisait avec tous, et après lui avoir fait connaître la gravité de sa faute et l’état malheureux de son âme, il se consacra à l’instruire dans la foi. Lorsqu’il vit en lui les dispositions nécessaires pour devenir un bon chrétien, il le baptisa dans la prison. Le bon Onésime, après avoir reçu la grâce du baptême, resta plein de gratitude et d’affection envers son père et maître, et commença à lui en donner la preuve en le servant loyalement dans les nécessités de sa prison. Paul désirait le garder près de lui, mais ne voulait pas le faire sans la permission de Philémon. Il pensa donc à envoyer Onésime lui-même chez son maître. Et comme il n’osait se présenter à lui, Paul voulut l’accompagner d’une lettre, lui disant : « Prends cette lettre et va chez ton maître, et sois sûr que tu obtiendras plus que ce que tu désires ».

CHAPITRE XXVII. Lettre de Saint Paul à Philémon — An 62 ap. J.-C.

            La lettre de Saint Paul à Philémon est la plus facile et la plus courte de ses lettres, et comme par la beauté des sentiments elle peut servir de modèle à tout chrétien, nous l’offrons en entier au bienveillant lecteur. Elle est de la teneur suivante :
            « Paul, prisonnier pour la foi de Jésus-Christ, et le frère Timothée à notre cher Philémon, notre collaborateur, à Apphia notre très chère sœur, à Archippe compagnon de nos labeurs et à tous les fidèles qui se rassemblent dans ta maison. Que Dieu le Père et Jésus-Christ notre Seigneur vous accordent grâce et paix.
            « Me souvenant continuellement de toi dans mes prières, ô Philémon, je rends grâce à mon Dieu en entendant parler de ta foi et de ta grande charité envers tous les fidèles. Je rends aussi grâce à Dieu en entendant la générosité provenant de ta foi, si manifeste aux yeux de tous, pour les bonnes œuvres qui se pratiquent dans ta maison par amour de Jésus-Christ. Nous avons été comblés de joie et de consolation, ô cher frère, en sachant que les fidèles ont trouvé tant de soulagement grâce à ta bonté. Aussi, bien que je puisse me prévaloir en Christ d’une pleine liberté de t’ordonner une chose qui est ton devoir, je veux plutôt, au nom de l’amour que je te porte, te présenter une requête, même si je suis ce que je suis à ton égard, c’est-à-dire, même si je suis Paul déjà vieux et actuellement prisonnier pour la foi de Jésus-Christ.
            « La prière que je te fais est pour Onésime, mon fils, que j’ai engendré dans mes chaînes, qui autrefois t’a été inutile, mais qui maintenant sera très utile aussi bien à toi qu’à moi. Je te le renvoie et je te prie de l’accueillir comme mes entrailles. J’aurais voulu le garder près de moi, afin qu’il me rende service à ta place, étant dans les chaînes que je porte par amour de l’Évangile ; mais je n’ai pas voulu faire quoi que ce soit sans ton consentement, car je désire que le bien que je te propose soit pleinement volontaire, non forcé. Peut-être a-t-il été séparé de toi pour un certain temps, afin que tu le retrouves pour toujours, non plus comme esclave, mais comme quelqu’un qui, d’esclave, est devenu l’un de nos frères bien-aimés. Si donc il m’est cher, combien plus le sera-t-il à toi, tant comme homme que comme frère dans le Seigneur.
            « Si donc tu me considères comme uni à toi, accueille-le comme tu m’accueillerais moi-même. S’il t’a causé quelque dommage ou te doit quelque chose, impute-le à moi. Moi, Paul, je l’écris de ma propre main : je te restituerai tout, pour ne pas te dire que tu me dois de toi-même. Oui, ô frère, je m’attends à recevoir de toi cette joie dans le Seigneur. Donne-moi cette consolation en Christ ! Je t’écris en ayant confiance en ton obéissance, sachant que tu feras même plus que ce que je te demande. Je te prie aussi de me préparer un logement, car j’espère que, grâce à vos prières, Dieu me permettra de revenir vers vous.
            « Épaphras, qui est prisonnier avec moi pour Christ Jésus, te salue ainsi que Marc, Aristarque, Démas et Luc, mes collaborateurs. Que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit. Amen ».
            Épaphras, dont parle ici Saint Paul, avait été converti à la foi par lui lorsqu’il prêchait en Phrygie. Devenu ensuite apôtre de sa patrie, il fut créé évêque de Colosses. Il alla à Rome pour visiter Saint Paul et fut emprisonné avec lui. Ayant ensuite été libéré, il retourna gouverner son Église de Colosses, où il termina sa vie avec la couronne du martyre.
            Marc, dont il est question ici, est Jean-Marc, qui, après avoir beaucoup peiné avec Saint Barnabé dans la prédication de l’Évangile, s’était ensuite joint à Saint Paul, réparant ainsi la faiblesse qu’il avait montrée en abandonnant Saint Paul et Saint Barnabé pour retourner chez lui.
            À l’arrivée d’Onésime à Colosses, il se présenta avec la lettre à son maître, qui l’accueillit avec le plus grand amour, content de retrouver non pas un esclave, mais un chrétien. Il lui donna son plein pardon et, ayant compris par la lettre du saint Apôtre qu’Onésime pourrait rendre quelque service, il le renvoya à lui avec mille salutations et bénédictions.
            Ce serviteur se montra vraiment fidèle à sa vocation de chrétien. Saint Paul, le voyant orné des vertus et de la science nécessaires pour être un prédicateur de l’Évangile, l’ordonna prêtre et plus tard le consacra évêque d’Éphèse. Il reçut la couronne du martyre, et l’Église catholique fait mémoire de lui le 16 février.

CHAPITRE XXVIII. Saint Paul écrit aux Colossiens, aux Éphésiens et aux Hébreux — An 62 ap. J.-C.

            Le zèle de notre Apôtre était infatigable et, puisque ses chaînes le retenaient à Rome, il s’efforçait d’envoyer ses disciples ou d’écrire des lettres partout où il en avait connu le besoin. Parmi d’autres choses, il lui fut rapporté qu’à Colosses, où habitait Philémon, des questions étaient survenues à cause de certains faux prédicateurs qui voulaient obliger à la circoncision et aux cérémonies légales tous les Gentils qui venaient à la foi. De plus, ils étaient parvenus à introduire un culte superstitieux des anges. Paul, en tant qu’Apôtre des Gentils, informé de ces nouveautés dangereuses, écrivit une lettre qu’il faudrait lire intégralement pour en goûter la beauté et la sublimité des sentiments. Cependant, les mots concernant la tradition méritent d’être notés : « Les choses, dit-il, qui me tiennent le plus à cœur, vous seront dites verbalement par Tychique et par Onésime, qui vous sont envoyés dans ce but ». Ces mots montrent que l’Apôtre avait des choses de grande importance non écrites, mais qu’il communiquait verbalement sous forme de tradition.
            Une chose qui causa une vive inquiétude à notre Apôtre furent les nouvelles d’Éphèse. Lorsqu’il se trouvait à Milet et convoqua les principaux pasteurs, il leur avait dit qu’à cause des maux qu’il devait supporter, il croyait qu’ils ne verraient plus son visage. Cela laissa ces fidèles si attachants dans la plus grande consternation. Le saint Apôtre, conscient de la tristesse qui tourmentait les Éphésiens, écrivit une lettre pour les consoler.
            Parmi d’autres choses, il recommande de considérer Jésus-Christ comme le chef de l’Église et de rester unis à lui par la personne de ses Apôtres. Il recommande chaudement de s’éloigner de certains péchés qui ne doivent même pas être nommés parmi les chrétiens : « La fornication, dit-il, l’impureté et l’avarice ne doivent pas même être nommées parmi vous » (chapitre 5, verset 5).
            S’adressant ensuite aux jeunes, il dit ces mots affectueux : « Enfants, je vous le recommande dans le Seigneur, soyez obéissants à vos parents, car c’est juste. Honore ton père et ta mère, dit le Seigneur. Si tu observes ce commandement, tu seras heureux et vivras longtemps sur la terre ».
            Puis il parle ainsi aux parents : « Et vous, pères, n’irritez pas vos enfants, mais élevez-les dans la discipline et l’instruction du Seigneur. Vous, serviteurs, obéissez à vos maîtres comme au Christ, non pour être vus des hommes, mais comme serviteurs du Christ, faisant la volonté de Dieu de tout cœur. Vous, maîtres, faites de même envers eux, évitant les menaces, sachant que le Seigneur, le leur et le vôtre, est dans les cieux, et qu’auprès de lui il n’y a pas de préférence de personnes ».
            Cette lettre fut portée à Éphèse par Tychique, le fidèle disciple qui, avec Onésime, avait apporté la lettre écrite aux Colossiens.
            De Rome, il écrivit aussi sa lettre aux Hébreux, c’est-à-dire aux Juifs de Palestine convertis à la foi. Son but était de les consoler et de les prémunir contre les séductions de certains autres Juifs. Il démontre comment les sacrifices, les prophéties et la loi ancienne se sont réalisés en Jésus-Christ et que c’est à lui seul qu’il faut rendre honneur et gloire pour tous les siècles. Il insiste pour qu’ils restent constamment unis au Sauveur par la foi, sans laquelle personne ne peut plaire à Dieu ; mais il souligne que cette foi ne justifie pas sans les œuvres.

CHAPITRE XXIX. Saint Paul est libéré — Martyre de Saint Jacques le Mineur — An 63 ap. J.-C.

            Quatre ans s’étaient déjà écoulés depuis que le saint Apôtre était retenu prisonnier : deux ans à Césarée et deux à Rome. Néron l’avait fait comparaître devant son tribunal et avait reconnu son innocence ; mais, par haine envers la religion chrétienne ou par l’indifférence de cet empereur cruel, il avait continué à renvoyer Paul en prison. Enfin, il se résolut à lui accorder la pleine liberté. On attribue généralement cette décision aux grands remords que ce tyran éprouvait pour les atrocités commises. Il était même allé jusqu’à faire assassiner sa mère. Après de tels méfaits, il ressentait les remords les plus aigus, car les hommes, aussi scélérats soient-ils, ne peuvent s’empêcher de sentir en eux les tourments de la conscience.
            Donc, pour apaiser d’une certaine manière son âme, Néron pensa à accomplir quelques bonnes œuvres et, entre autres, à donner la liberté à Paul. Devenu maître de lui-même, le grand Apôtre se servit de la liberté pour porter avec plus d’ardeur la lumière de l’Évangile à d’autres nations plus lointaines.
            Peut-être que quelqu’un se demandera ce que les Juifs de Jérusalem ont fait en voyant Paul soustrait à leurs mains. Je le dirai brièvement. Ils tournèrent toute leur fureur contre Saint Jacques, dit le Mineur, évêque de cette ville. Le gouverneur Festus était mort ; son successeur n’était pas encore entré en fonction. Les Juifs profitèrent de cette occasion pour se présenter en masse au grand prêtre, appelé Anan, fils de cet Anne et beau-frère de Caïphe, qui avaient fait condamner le Sauveur.
            Décidés à le faire condamner, ils craignaient grandement le peuple qui l’aimait comme un tendre père et se reflétait dans ses vertus ; il était appelé par tous le Juste. L’histoire nous dit qu’il priait avec une telle assiduité que la peau de ses genoux était devenue comme celle du chameau. Il ne buvait ni vin ni autres liquides enivrantes ; il était très strict dans le jeûne, sobre dans la nourriture, dans la boisson et dans l’habillement. Tout ce qui était superflu, il le donnait aux pauvres.
            Malgré ces belles qualités, ces obstinés trouvèrent moyen de donner à la sentence au moins une apparence de justice avec une ruse digne d’eux. D’accord avec le grand prêtre, les Sadducéens, les Pharisiens et les Scribes organisèrent un tumulte et coururent vers Jacques, disant parmi mille cris : « Tu dois immédiatement retirer de l’erreur ce peuple innombrable, qui croit que Jésus est le Messie promis. Puisque tu es appelé le Juste, tous croient en toi ; monte donc au sommet de ce temple, afin que chacun puisse te voir et t’entendre, et rends témoignage à la vérité ».
            Ils le conduisirent donc sur une haute loggia à l’extérieur du temple et, quand ils le virent là-haut, ils s’écrièrent avec ironie : « Ô homme juste, dis-nous ce que l’on doit croire de Jésus crucifié ». Le lieu ne pouvait être plus solennel. Il s’agissait soit de renier la foi, soit, en prononçant un mot en faveur de Jésus-Christ, être immédiatement mis à mort. Mais le zèle du saint Apôtre sut tirer tout profit de cette occasion.
            « Et pourquoi, s’écria-t-il à haute voix, pourquoi m’interrogez-vous sur Jésus, Fils de l’homme et en même temps Fils de Dieu ? En vain vous feignez de mettre en doute ma foi en ce véritable Rédempteur. Je déclare devant vous qu’il est au ciel, assis à la droite de Dieu Tout-Puissant, d’où il viendra juger le monde entier ». Beaucoup crurent en Jésus-Christ et, dans la simplicité de leur âme, commencèrent à s’écrier : « Gloire au Fils de David ! ».
            Les Juifs, déçus dans leurs attentes, se mirent à crier furieusement : « Il a blasphémé ! Qu’il soit immédiatement précipité et qu’on lui ôte la vie ». Ils coururent tout de suite et le poussèrent en bas sur les dalles de la place.
            Il ne mourut pas sur le coup mais, réussissant à se relever, il se mit à genoux et, à l’exemple du Sauveur, invoquait la divine miséricorde sur ses ennemis, en disant : « Pardonne-leur, Seigneur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ».
            Alors les ennemis furieux, incités par le pontife, lui lancèrent une pluie de pierres jusqu’à ce qu’un d’eux, lui assénant un coup de masse sur la tête, le mit à terre mort. Beaucoup de fidèles furent massacrés avec cet Apôtre, toujours pour la même cause, c’est-à-dire par haine du christianisme (cf. Eusèbe, Histoire Ecclésiastique).

CHAPITRE XXX. Autres voyages de Saint Paul — Il écrit à Timothée et à Tite — Son retour à Rome — An 68 ap. J.-C.

            Libéré des chaînes de la prison, Saint Paul se dirigea vers les lieux où il avait l’intention d’aller. Il se rendit donc en Judée pour visiter les Juifs, mais il s’y arrêta peu, car ces obstinés commençaient déjà à raviver la persécution primitive. Il alla à Colosses, selon la promesse faite à Philémon. Il se rendit en Crète, où il prêcha l’Évangile et où il ordonna Tite évêque de cette île. Il retourna en Asie pour visiter les Églises de Troas, Iconium, Lystres, Milet, Corinthe, Nicopolis et Philippes. De cette ville, il écrivit une lettre à son Timothée, qu’il avait ordonné évêque d’Éphèse.
            Dans cette lettre, l’Apôtre lui donne diverses règles pour la consécration des évêques et des prêtres et pour l’exercice de la discipline ecclésiastique. Presque en même temps, il écrivit une lettre à Tite, évêque de Crète, lui donnant presque les mêmes conseils que ceux donnés à Timothée et l’invitant à venir bientôt le voir.
            On croit communément qu’il est allé prêcher en Espagne et dans de nombreux autres lieux. Il passa cinq ans en missions et en travaux apostoliques. Mais les faits particuliers de ces voyages, les conversions opérées par ses soins dans les différents pays, ne nous sont pas connus. Disons seulement avec Saint Anselme que « le saint Apôtre courut de la Mer Rouge jusqu’à l’Océan, portant partout la lumière de la vérité. Il fut comme le soleil qui éclaire tout le monde d’Orient en Occident, si bien que ce fut plus le monde et les peuples qui manquèrent à Paul, que Paul à manquer à quelqu’un des hommes. Voilà la mesure de son zèle et de sa charité ».
            Alors que Paul était occupé dans les travaux de l’apostolat, il apprit qu’à Rome une persécution féroce avait éclaté sous l’empire de Néron. Paul imagina immédiatement le grave besoin de soutenir la foi en de telles occasions et prit immédiatement le chemin de Rome.
            Arrivé en Italie, il trouva partout publiés les édits de Néron contre les fidèles. Il entendait des crimes et des calomnies qui leur étaient imputés ; partout il voyait des croix, des bûchers et d’autres genres de supplices préparés pour les confesseurs de la foi, et cela doublait chez Paul le désir de se trouver bientôt parmi ces fidèles. À peine arrivé, comme celui qui s’offrait lui-même à Dieu, il se mit à prêcher dans les places publiques, dans les synagogues, tant aux Gentils qu’aux Juifs. À ces derniers, qui s’étaient presque toujours montrés obstinés, il prêchait l’imminente réalisation des prophéties du Sauveur, qui annonçaient la destruction de la ville et du temple de Jérusalem avec la dispersion de toute cette nation. Il suggérait cependant un moyen d’éviter les fléaux divins : se convertir de cœur et reconnaître leur Sauveur en ce Jésus qu’ils avaient crucifié.
            Aux Gentils, il prêchait la bonté et la miséricorde de Dieu, qui les invitait à la pénitence ; c’est pourquoi, il les exhortait à abandonner le péché, à mortifier les passions et à embrasser l’Évangile. À cette prédication, confirmée par des miracles continus, les auditeurs venaient en foule demander le baptême. Ainsi, l’Église, persécutée par le fer, le feu et mille terreurs, apparaissait plus belle et florissante et augmentait chaque jour le nombre de ses élus.
            Que dire de plus ? Saint Paul poussa tellement son zèle et sa charité qu’il réussit à gagner un certain Proclus, intendant du palais impérial, et même l’épouse de l’empereur. Ceux-ci embrassèrent avec ardeur la foi et moururent martyrs.

CHAPITRE XXXI. Saint Paul est de nouveau emprisonné — Il écrit la deuxième lettre à Timothée — Son martyre — Années 69-70 ap. J.-C.

            Avec Saint Paul était venu à Rome également Saint Pierre, qui y tenait depuis 25 ans le siège de la chrétienté. Il était également allé ailleurs prêcher la foi et, lorsqu’il fut informé de la persécution suscitée contre les chrétiens, il retourna immédiatement à Rome. Les deux princes des Apôtres travaillèrent de concert jusqu’à ce que Néron, irrité par les conversions qui s’étaient faites dans sa cour et plus encore par la mort ignominieuse du magicien Simon (comme c’est raconté dans la vie de Saint Pierre), ordonna qu’on recherchât avec le plus grand rigueur Saint Pierre et Saint Paul et qu’on les conduisît dans la prison Mamertine, au pied de la colline du Capitole. Néron avait l’intention de faire conduire les deux Apôtres au supplice immédiatement, mais il en fut détourné par des affaires politiques et par une conspiration tramée contre lui. De plus, il avait délibéré de rendre son nom glorieux en coupant l’isthme de Corinthe, une langue de terre large d’environ neuf miles. Cette entreprise ne put se réaliser, mais laissa un an à Paul pour gagner encore des âmes à Jésus-Christ.
            Il réussit à convertir de nombreux prisonniers, quelques gardes et d’autres personnages éminents, qui, par désir de s’instruire ou par curiosité, venaient l’écouter, car Saint Paul, pendant sa prison, pouvait être librement visité et écrivait des lettres où il en avait connu le besoin. C’est de la prison de Rome qu’il écrivit la deuxième lettre à Timothée.
            Dans cette lettre, l’Apôtre annonce que sa mort est proche, montre un vif désir que Timothée vienne le voir pour l’assister, étant presque abandonné de tous. Cette lettre peut être appelée le testament de Saint Paul ; et, entre autres choses, elle fournit aussi l’une des plus grandes preuves en faveur de la tradition. « Ce que tu as entendu de moi, lui dit-il, veille à le transmettre à des hommes fidèles et capables de l’enseigner à d’autres après toi ». Dans ces mots, nous apprenons que, outre la doctrine écrite, il existe d’autres vérités non moins utiles et certaines qui doivent être transmises oralement, sous forme de tradition, en une succession ininterrompue pour tous les temps futurs.
            Il donne ensuite de nombreux conseils utiles à Timothée pour la discipline de l’Église, pour reconnaître diverses hérésies qui se répandaient parmi les chrétiens. Et, pour atténuer la blessure que la nouvelle de sa mort imminente lui causerait, il l’encourage ainsi : « Ne t’attriste pas pour moi, au contraire, si tu m’aimes, réjouis-toi dans le Seigneur. J’ai combattu le bon combat, j’ai terminé ma course, j’ai gardé la foi. Maintenant, il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice que le Seigneur, juste juge, me remettra en ce jour, lorsque, ayant offert en sacrifice ma vie, je me présenterai à lui. Cette couronne, il ne la rendra pas seulement à moi, mais à tous ceux qui, par leurs bonnes œuvres, se préparent à la recevoir lors de sa venue ».
            Paul eut dans sa prison un réconfort d’un certain Onésiphore. Celui-ci, étant venu à Rome et ayant su que Paul, son ancien maître et père en Jésus-Christ, était en prison, alla le trouver et se proposa de le servir. L’Apôtre éprouva une grande consolation pour cette tendre charité et, en écrivant à Timothée, il lui fait de nombreux éloges et prie Dieu pour lui.
            « Que Dieu, lui écrit-il, fasse miséricorde à la famille d’Onésiphore, qui m’a souvent réconforté et n’a pas eu honte de mes chaînes ; au contraire, étant venu à Rome, il m’a cherché avec sollicitude et m’a trouvé. Que le Seigneur lui accorde de trouver miséricorde auprès de lui en ce jour. Et tu sais bien combien de services il m’a rendus à Éphèse ».
            Entre-temps, Néron était revenu de Corinthe tout irrité parce que l’entreprise de l’isthme n’avait pas réussi. Il se mit avec une plus grande colère à persécuter les chrétiens ; et son premier acte fut de faire exécuter la sentence de mort contre Saint Paul. D’abord, il fut battu avec des verges, et l’on montre encore à Rome la colonne à laquelle il était lié lorsqu’il subit cette flagellation. Il est vrai qu’avec cela il perdait le privilège de citoyen romain, mais il acquérait le droit de citoyen du ciel ; c’est pourquoi il éprouvait la plus grande joie de se voir assimilé à son divin Maître. Cette flagellation était le prélude à son décapitation.
            Paul était condamné à mort parce qu’il avait outragé les dieux ; pour ce seul titre, il était permis de couper la tête à un citoyen romain. Belle faute ! Être considéré comme impie parce que, au lieu d’adorer des pierres et des démons, on veut adorer le seul vrai Dieu et son Fils Jésus-Christ. Dieu lui avait déjà révélé le jour et l’heure de sa mort ; c’est pourquoi il éprouvait une joie déjà toute céleste. « Je désire, s’écriait-il, être délivré de ce corps pour être avec Christ ». Enfin, par une bande de sbires, il fut tiré de prison et conduit hors de Rome par la porte appelée porte d’Ostie ; le faisant marcher vers un marais le long du Tibre, ils arrivèrent à un endroit appelé Eaux Salviennes, à environ trois miles de Rome.
            On raconte qu’une matrone, appelée Plautilla, épouse d’un sénateur romain, voyant le saint Apôtre mal en point et conduit à la mort, se mit à pleurer de manière désespérée. Saint Paul la consola en lui disant : « Ne pleure pas, je te laisserai un souvenir de moi qui te sera très cher. Donne-moi ton voile ». Elle le lui donna. Avec ce voile, les yeux du saint furent bandés avant d’être décapités. Et, par ordre du saint, il fut restitué ensanglanté à Plautilla, qui le conserva comme relique.
            Arrivé au lieu du supplice, Paul plia les genoux et, le visage tourné vers le ciel, recommanda à Dieu son âme et l’Église ; puis il inclina la tête et reçut le coup de l’épée qui lui trancha la tête du tronc. Son âme s’envola pour rencontrer ce Jésus qu’il désirait tant voir.
            Les anges l’accueillirent et l’introduisirent dans une immense joie pour participer au bonheur du ciel. Il est certain que le premier à qui il dut rendre grâce fut Saint Étienne, à qui, après Jésus, il était redevable de sa conversion et de son salut.

CHAPITRE XXXII. Enterrement de Saint Paul — Merveilles opérées près de sa tombe — Basilique qui lui est dédiée

            Le jour où Saint Paul fut mis à mort hors de Rome, aux Eaux Salviennes, fut le jour où Saint Pierre obtint la palme du martyre au pied du mont Vatican, le 29 juin. Saint Paul avait 65 ans. L’historien Baronius, qui est appelé le père de l’histoire ecclésiastique, raconte comment la tête de Saint Paul, à peine coupée du corps, laissa couler du lait au lieu de sang. À la vue de ce miracle, deux soldats se convertirent à Jésus-Christ. Sa tête, tombant ensuite à terre, fit trois sauts, et là où elle toucha le sol jaillirent trois sources d’eau vive. Pour conserver la mémoire de cet événement glorieux, une église fut élevée dont les murs renferment ces fontaines, qui s’appellent encore aujourd’hui Fontaines de Saint Paul (cf. F. Baronius, année 69-70).
            De nombreux voyageurs (cf. Cesari et Tillemont) se rendirent sur les lieux pour être témoins de ce fait et nous assurent que ces trois sources qu’ils ont vues et goûtées ont un goût semblable à celui du lait. À cette époque, la sollicitude des chrétiens pour recueillir et enterrer les corps de ceux qui donnaient leur vie pour la foi était immense. Deux femmes, l’une appelée Basilissa et l’autre Anastasia, étudièrent le moyen et le moment de récupérer le cadavre du saint Apôtre et, de nuit, lui donnèrent sépulture à deux miles du lieu où il avait subi le martyre, à un mile de Rome. Néron, par l’intermédiaire de ses espions, apprit l’œuvre de ces pieuses femmes et cela suffit à les faire mourir, leur tranchant les mains, les pieds et ensuite la tête.
            Sachant que le corps de Paul avait été enterré par les fidèles, les Gentils ne purent jamais connaître le lieu exact. Cela n’était connu que des chrétiens, qui le gardaient secret comme le trésor le plus précieux et lui rendaient l’honneur le plus grand possible. Mais l’estime que les fidèles avaient pour ces reliques atteignit un tel point que certains marchands d’Orient, venus à Rome, tentèrent de les voler et de les emporter dans leur pays. Ils les déterrèrent secrètement dans les catacombes, à deux miles de Rome, attendant le moment propice pour les transporter. Mais au moment d’exécuter leur projet, un horrible orage se leva avec des éclairs et des tonnerres terribles, si bien qu’ils furent contraints d’abandonner l’entreprise. Apprenant cela, les chrétiens de Rome allèrent chercher le corps de Paul et le ramenèrent à son premier lieu le long de la voie d’Ostie.
            À l’époque de Constantin le Grand, une superbe basilique fut édifiée en l’honneur et au-dessus du sépulcre de notre Apôtre. En tout temps, rois et empereurs, oubliant leur grandeur, pleins de crainte et de vénération, se rendirent à ce sépulcre pour embrasser le cercueil qui renferme les os du saint Apôtre.
            Même les Pontifes Romains ne s’approchaient, ni ne s’approchent, du lieu de son enterrement que pleins de vénération, et n’ont jamais permis à quiconque de prélever une particule de ces os vénérables. Divers princes et rois en firent de vives demandes, mais aucun Pape ne jugea pouvoir les satisfaire. Cette grande révérence était beaucoup accrue par les miracles continus qui s’opéraient près de ce sépulcre. Saint Grégoire le Grand en rapporte beaucoup et assure que personne n’entrait dans ce temple pour prier sans trembler. Ceux qui auraient osé le profaner ou tenté d’en emporter même une petite parcelle étaient punis par Dieu avec une vengeance manifeste.
            Grégoire XI fut le premier qui, en cas de calamité publique, presque contraint par les prières et les instances du peuple de Rome, prit la tête du Saint, la leva haut, la montra à la multitude qui pleurait de tendresse et de dévotion et, immédiatement, la reposa là d’où il l’avait prélevée.
            Maintenant, la tête de ce grand Apôtre est dans l’église Saint-Jean de Latran ; le reste du corps a toujours été conservé dans la basilique Saint-Paul hors les murs, le long de la voie d’Ostie, à un mile de Rome.
            Ses chaînes furent également l’objet de dévotion auprès des fidèles chrétiens. Par le contact avec ces fers glorieux, de nombreux miracles furent opérés, et les plus grands personnages du monde considérèrent toujours comme une précieuse relique de pouvoir avoir un peu de limaille de celles-ci.

CHAPITRE XXXIII. Portrait de Saint Paul — Image de son esprit — Conclusion

            Pour que la dévotion envers ce prince des Apôtres reste mieux gravée dans l’esprit, il est utile de donner une idée de son apparence physique et de son esprit.
            Paul n’avait pas une apparence très avenante, comme il le dit lui-même. Il était de petite stature, de constitution forte et robuste, et il en donna des preuves par les longues et lourdes fatigues qu’il soutint dans sa carrière, sans jamais être malade, sauf pour les maux causés par les chaînes et la prison. Ce n’est qu’à la fin de ses jours qu’il marchait un peu courbé. Il avait le visage clair, la tête petite et presque entièrement chauve, ce qui dénotait un caractère sanguin et ardent. Il avait le front large, des sourcils noirs et bas, un nez aquilin, une barbe longue et fournie. Mais ses yeux étaient extrêmement vifs et brillants, avec une douceur qui tempérait l’impétuosité de ses regards. Voilà le portrait de son apparence physique.
            Mais que dire de son esprit ? Nous le connaissons par ses propres écrits. Il avait un esprit aigu et sublime, une âme noble, un cœur généreux. Tels étaient son courage et sa fermeté qu’il tirait force et vigueur même des difficultés et des dangers. Il était très expérimenté dans la science de la religion juive. Il était profondément érudit dans les Saintes Écritures et cette science, aidée par les lumières de l’Esprit Saint et par la charité de Jésus-Christ, fit de lui ce grand Apôtre qui fut surnommé le Docteur des Gentils. Saint Jean Chrysostome, dévot de notre saint, désirait ardemment pouvoir voir Saint Paul en chaire, car, disait-il, les plus grands orateurs de l’antiquité auraient paru languissants et froids par comparaison. Il n’est pas nécessaire de dire davantage sur ses vertus, car ce que nous avons exposé jusqu’à présent n’est autre qu’une trame des vertus héroïques qu’il fit briller en tout lieu, en tout temps et avec tout genre de personnes.
            Pour conclure ce qui a été dit sur ce grand saint, il convient de noter une vertu qu’il fit briller au-dessus de toutes les autres : la charité envers le prochain et l’amour envers Dieu. Il défiait toutes les créatures de le séparer de l’amour de son divin Maître. « Qui me séparera, s’exclamait-il, de l’amour de Jésus-Christ ? Les tribulations ou les angoisses, ou la faim, ou la nudité, ou les dangers, ou les persécutions ? Non, certainement. Je suis persuadé que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes ni futures, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu, qui est en Christ Jésus notre Seigneur ». Voilà le caractère du vrai chrétien : être prêt à tout perdre, à tout souffrir, plutôt que de dire ou de faire la moindre chose contraire à l’amour de Dieu.
            Saint Paul passa plus de trente ans de sa vie comme ennemi de Jésus-Christ ; mais à peine fut-il éclairé par sa grâce céleste, il se donna entièrement à lui, et ne se sépara plus jamais de lui. Il passa ensuite plus de trente-six ans dans les plus austères pénitences, dans les plus dures fatigues, et cela pour glorifier ce Jésus qu’il avait persécuté.
            Cher lecteur chrétien, toi qui lis et moi qui écris avons passé peut-être une partie de notre vie à offenser le Seigneur ! Mais ne perdons pas courage : il y a encore du temps pour nous ; la miséricorde de Dieu nous attend.
            Mais ne remettons pas la conversion, car si nous attendons demain pour régler les choses de l’âme, nous courons le grave risque de ne plus avoir de temps. Saint Paul travailla trente-six ans au service du Seigneur ; maintenant depuis 1800 ans, il jouit de l’immense gloire du ciel et en jouira pour tous les siècles. Le même bonheur est préparé aussi pour nous, à condition que nous nous donnions à Dieu tant que nous avons le temps et que nous persévérions dans le saint service jusqu’à la fin. Ce que l’on souffre dans ce monde n’est rien, mais ce que nous goûterons dans l’autre est éternel. Saint Paul lui-même nous en assure.

Troisième édition
Librairie Salésienne Éditrice
1899
Propriété de l’éditeur
S. Pier d’Arena, École Typographique Salésienne
Hospice S. Vincent de Paul
(N. 1267 — M)




Vie de saint Joseph, époux de Marie, père adoptif de Jésus-Christ (3/3)

(suite de l’article précédent)

Chap. XX. Mort de saint Joseph. – Son enterrement.
Nunc dimittis servum tuum Domine, secundum verbum tuum in pace, quia viderunt oculi mei salutare tuum. (Laisse maintenant ton serviteur s’en aller en paix, Seigneur, selon ta parole, car mes yeux ont vu le Sauveur donné par toi. – Lc 2,29)

            Le dernier moment étant venu, Joseph fit un effort suprême pour se lever et adorer celui que les hommes considéraient comme son fils, mais que Joseph savait être son Seigneur et son Dieu. Il voulait se jeter à ses pieds et demander la rémission de ses péchés. Mais Jésus ne lui permit pas de s’agenouiller et le reçut dans ses bras. C’est ainsi qu’appuyant sa tête vénérable sur la divine poitrine de Jésus, et ses lèvres près de ce cœur adorable, Joseph expira, donnant aux hommes un dernier exemple de foi et d’humilité. C’était le dix-neuvième jour du mois de mars de l’an de Rome 777, le vingt-cinquième depuis la naissance du Sauveur.
            Jésus et Marie versèrent des pleurs sur le corps froid de Joseph, et firent à ses côtés la veillée de deuil des morts. Jésus lui-même lava ce corps virginal, lui ferma les yeux et croisa les mains sur sa poitrine ; puis il le bénit pour le préserver de la corruption du tombeau, et plaça les anges du Paradis à sa garde.
            Les funérailles du pauvre ouvrier furent aussi modestes que l’avait été toute sa vie. Mais si elles semblaient telles à la face de la terre, elles lui rendirent plus d’honneur que celui qu’ont eu les plus glorieux empereurs du monde, puisque le Roi et la Reine du Ciel, Jésus et Marie, y étaient présents. Le corps de Joseph fut déposé dans le tombeau de ses pères, dans la vallée de Josaphat, entre la montagne de Sion et le mont des Oliviers.

Chap. XXI. Le pouvoir de saint Joseph au ciel. Raisons de notre confiance.
Ite ad Joseph. (Allez à Joseph et faites tout ce qu’il vous dira. – Gn 41,55)

            La gloire et la puissance des justes sur la terre ne sont pas toujours à la mesure de leur sainteté ; mais il n’en est pas de même de la gloire et de la puissance dont ils sont revêtus au ciel, où chacun est récompensé selon ses œuvres. Plus ils ont été saints aux yeux de Dieu, plus ils sont élevés à un degré sublime de pouvoir et d’autorité.
Une fois ce principe établi, ne devons-nous pas croire que, parmi les bienheureux qui font l’objet de notre culte religieux, saint Joseph est, après Marie, le plus puissant de tous auprès de Dieu, et celui qui mérite le plus notre confiance et nos hommages ? En effet, combien de glorieux privilèges le distinguent des autres saints, et doivent nous inspirer une profonde et tendre vénération à son égard !
            Le fils de Dieu qui a choisi Joseph pour père, pour récompenser tous ses services et lui donner en retour les démonstrations de l’amour le plus tendre au temps de sa vie mortelle, ne l’aime pas moins au ciel qu’il ne l’a aimé sur la terre. Heureux d’avoir toute l’éternité pour dédommager son père bien-aimé de tout ce qu’il a fait pour lui dans la vie présente, avec un zèle si ardent, une fidélité si inviolable et une humilité si profonde. C’est pourquoi le divin Sauveur est toujours disposé à écouter favorablement toutes ses prières et à exaucer tous ses souhaits.
            Nous trouvons dans les privilèges et les faveurs de l’ancien Joseph, qui n’était qu’une ombre de notre vrai Joseph, une figure du crédit exceptionnel dont jouit au ciel le saint époux de Marie.
            Quand Pharaon voulut récompenser les services qu’il avait reçus de Joseph, fils de Jacob, il l’établit comme intendant général de sa maison, maître de tous ses biens, désirant que tout soit fait selon ses ordres. Après l’avoir établi vice-roi d’Égypte, il lui donna le sceau de son autorité royale et lui conféra le plein pouvoir d’accorder toutes les grâces qu’il souhaitait. Il ordonna qu’on l’appelle le sauveur du monde, afin que ses sujets puissent reconnaître qu’ils lui devaient leur salut. En bref, il envoya à Joseph tous ceux qui venaient chercher une faveur quelconque, afin qu’ils l’obtiennent de son autorité et lui témoignent leur gratitude : Ite ad Ioseph, et quidquid dixerit vobis, facite – Gn 41,55 ; Allez à Joseph, faites tout ce qu’il vous dira et recevez de lui tout ce qu’il voudra vous donner.
            Mais combien plus merveilleux et plus capables de nous inspirer une confiance sans bornes sont les privilèges du chaste époux de Marie, le père nourricier du Sauveur ! Ce n’est pas un roi de la terre comme Pharaon, mais c’est Dieu tout-puissant qui a voulu combler de ses faveurs ce nouveau Joseph. Il commence par l’établir comme maître et vénérable chef de la Sainte Famille ; il veut que tout lui obéisse et lui soit soumis, même son propre fils égal à lui en toutes choses. Il fait de lui son vice-roi, voulant qu’il représente son adorable personne au point de lui donner le privilège de porter son nom et d’être appelé le père de son unique enfant. Il remet ce fils entre ses mains, pour nous faire savoir qu’il lui donne un pouvoir illimité d’accorder toute grâce. Observez comment il fait savoir dans l’Évangile, pour toute la terre et dans tous les âges, que saint Joseph est le père du roi des rois : Erant pater et mater eius mirantes – Lc 2,33. Il souhaite qu’il soit appelé le Sauveur du monde, puisqu’il a nourri et préservé celui qui est le salut de tous les hommes. Enfin, il nous avertit que si nous désirons des grâces et des faveurs, c’est vers Joseph que nous devons nous tourner : Ite ad Ioseph, car c’est lui qui a tout pouvoir auprès du Roi des rois pour obtenir tout ce qu’il demande.
            La sainte Église reconnaît ce pouvoir souverain de Joseph puisqu’elle demande par son intercession ce qu’elle ne pourrait obtenir par elle-même : Ut quod possibilitas nostra non obtinet, eius nobis intercessione donetur.
            Certains saints, dit le docteur angélique, ont reçu de Dieu le pouvoir de nous assister dans certains besoins particuliers ; mais le crédit dont jouit saint Joseph n’a pas de limite ; il s’étend à toutes les nécessités, et tous ceux qui recourent à lui avec confiance sont certains d’être promptement exaucés. Sainte Thérèse nous déclare qu’elle n’a jamais rien demandé à Dieu par l’intercession de saint Joseph qu’elle ne l’ait obtenu rapidement : et le témoignage de cette sainte en vaut mille autres, puisqu’il est fondé sur l’expérience quotidienne de ses faveurs. Les autres saints jouissent, il est vrai, d’un grand crédit au ciel ; mais ils intercèdent en serviteurs et ne commandent pas en maîtres. Joseph, qui a vu Jésus et Marie lui être soumis, peut sans doute obtenir tout ce qu’il veut du roi, son fils, et de la reine, son épouse. Il a un crédit illimité auprès de l’un et de l’autre, et, comme le dit Gerson, il commande plutôt qu’il ne supplie : Non impetrat, sed imperat. Jésus, dit saint Bernardin de Sienne, veut continuer au ciel à donner à saint Joseph la preuve de son respect filial en obéissant à toutes ses volontés : Dum pater orat natum, velut imperium reputatur.
            En effet, qu’est-ce que Jésus-Christ pourrait refuser à Joseph, lui qui ne lui a jamais rien refusé au temps de sa vie ? Moïse n’était par vocation que le chef et le conducteur du peuple d’Israël, et cependant il se comportait avec Dieu avec une telle autorité, que lorsqu’il le priait en faveur de ce peuple rebelle et incorrigible, sa prière semblait devenir un ordre, qui liait en quelque sorte les mains de la majesté divine, et la réduisait à être presque incapable de châtier les coupables, tant qu’il ne lui en avait rendu la liberté : Dimitte me, ut irascatur furor meus contra eos et deleam eos. (Ex 32).
            Mais quelle ne sera pas la puissance de la prière que Joseph adresse pour nous au souverain juge, dont il fut le guide et le père adoptif ? Car s’il est vrai, comme le dit saint Bernard, que Jésus-Christ, qui est notre avocat auprès du Père, lui présente ses plaies sacrées et le sang adorable qu’il a versé pour notre salut, si Marie, de son côté, présente à son Fils unique le sein qui l’a porté et nourri, ne pouvons-nous pas ajouter que saint Joseph montre au Fils et à la Mère les mains qui ont travaillé pour eux et les sueurs qu’il a répandues pour assurer leur subsistance sur la terre ? Et si Dieu le Père ne peut rien refuser à son Fils bien-aimé quand il le prie par ses plaies sacrées, ni le Fils rien refuser à sa très sainte Mère quand elle le supplie par les entrailles qui l’ont porté, ne devons-nous pas croire que ni le Fils ni la Mère, devenue la dispensatrice des grâces que Jésus-Christ méritait, ne peut rien refuser à saint Joseph quand il les prie pour tout ce qu’il a fait pour eux pendant les trente années de sa vie ?
            Imaginons que notre saint protecteur adresse pour nous cette émouvante prière à Jésus-Christ, son Fils adoptif : « Ô mon divin Fils, daigne répandre tes grâces les plus abondantes sur mes fidèles serviteurs ; je te le demande par le doux nom de Père dont tu m’as si souvent honoré, par ces bras qui t’ont reçu et réchauffé à ta naissance, qui t’ont porté en Égypte pour te sauver de la colère d’Hérode. Je te le demande par ces yeux dont j’ai essuyé les larmes, par ce sang précieux que j’ai recueilli à ta circoncision ; par les peines et les travaux que j’ai supportés avec tant de contentement pour nourrir ton enfance, pour t’élever durant ta jeunesse… » Comment Jésus, si plein de charité, pourrait-il résister à une telle prière ? Et s’il est écrit, dit saint Bernard, qu’il fait la volonté de ceux qui le craignent, comment pourrait-il refuser de faire celle de celui qui l’a servi et nourri avec tant de fidélité, avec tant d’amour ? Si voluntatem timentium se faciet, quomodo voluntatem nutrientis se non faciet?  » (Un pieux écrivain dans ses commentaires sur le Psaume 144,19).
            Mais ce qui doit redoubler notre confiance en saint Joseph, c’est son ineffable charité à notre égard. En devenant son fils, Jésus a mis dans son cœur un amour plus tendre que celui du meilleur des pères.
            Ne sommes-nous pas devenus ses fils, alors que Jésus-Christ est notre frère et que Marie, sa chaste épouse, est notre mère pleine de miséricorde ?
            Tournons-nous donc vers saint Joseph avec une vive et pleine confiance. Sa prière, unie à celle de Marie et présentée à Dieu au nom de l’adorable enfance de Jésus-Christ, ne peut essuyer un refus, mais doit obtenir tout ce qu’elle demande.
            La puissance de saint Joseph est illimitée, elle s’étend à tous les besoins de notre âme et de notre corps.
            Après trois ans d’une maladie violente et continue, qui ne lui laissait ni repos ni espoir de guérison, sainte Thérèse eut recours à saint Joseph, qui lui rendit bientôt la santé.
            C’est principalement à notre dernière heure, quand la vie est sur le point de nous quitter comme un faux ami, quand l’enfer va redoubler d’efforts pour enlever nos âmes pendant le passage vers l’éternité, c’est à ce moment décisif pour notre salut que saint Joseph nous assistera d’une manière toute particulière, si nous sommes fidèles à l’honorer et à le prier pendant la vie. Pour le récompenser d’avoir sauvé de la mort en le délivrant de la colère d’Hérode, le divin Sauveur lui a donné le privilège spécial de sauver des pièges du diable et de la mort éternelle les mourants qui se sont mis sous sa protection.
            C’est pourquoi il est invoqué avec Marie dans tout le monde catholique comme le saint patron de la bonne mort. Oh ! comme nous serions heureux, si nous pouvions mourir comme tant de fidèles serviteurs de Dieu, en prononçant les noms tout-puissants de Jésus, de Marie, et de Joseph. Le Fils de Dieu, dit le vénérable Bernard de Bustis, ayant les clefs du paradis, donna l’une à Marie, l’autre à Joseph, afin qu’ils introduisent tous leurs fidèles serviteurs dans le lieu du rafraîchissement, de la lumière et de la paix.

Chap. XXII. Propagation du culte et institution de la fête du 19 mars et du patronage de saint Joseph.
Qui custos est domini sui glorificabitur. (Celui qui garde son maître sera honoré – Pr 27,18).

            De même que la Providence divine a décrété que saint Joseph devait mourir avant que Jésus ne se manifeste publiquement comme le Sauveur de l’humanité, de même elle a décrété que le culte de ce saint ne devait pas se répandre avant que la foi catholique ne se soit universellement répandue dans le monde. En effet, l’exaltation de ce saint dans les premiers temps du christianisme semblait dangereuse pour la foi encore faible du peuple. Il convenait tout à fait à la dignité de Jésus-Christ d’inculquer qu’il était né d’une vierge par la puissance du Saint-Esprit. Or, mettre en avant la mémoire de saint Joseph, l’époux de Marie, aurait éclipsé cette croyance dogmatique dans certains esprits faibles, pas encore éclairés sur les miracles de la puissance divine. De plus, il était important, dans ces siècles de bataille, de vénérer avant tout les héros qui avaient versé leur sang par le martyre pour maintenir la foi.
            Mais quand la foi fut bien établie au sein du peuple et que de nombreux saints avaient édifié l’Église par la splendeur de leurs vertus sans passer par les tourments et furent élevés à l’honneur des autels, on jugea bon de ne plus laisser dans le silence un saint dont l’Évangile lui-même faisait si amplement l’éloge. C’est pourquoi les Grecs célébrèrent la fête des ancêtres du Christ (qui étaient justes) le dimanche précédant Noël, et consacrèrent le dimanche dans l’octave au culte de saint Joseph, l’époux de Marie, du saint prophète David et de saint Jacques, le cousin du Seigneur.
            Dans le calendrier copte, on fait mention de saint Joseph le 20 juillet, et certains pensent que le 4 juillet était le jour de la mort de notre saint.
            Dans l’Église latine, le culte de saint Joseph remonte aux origines des premiers siècles, comme le montrent le très ancien martyrologe du monastère de Saint-Maximin de Trèves et celui d’Eusèbe. L’ordre des frères mendiants fut le premier à célébrer l’office propre, comme en témoignent leurs bréviaires. Leur exemple a été suivi au XIVe siècle par les franciscains et les dominicains grâce à l’œuvre d’Albert le Grand, qui fut le maître de saint Thomas d’Aquin.
            Vers la fin du XVe siècle, les églises de Milan et de Tolède l’ont également introduite dans leur liturgie, jusqu’à ce que le Siège apostolique étende son culte à l’ensemble du monde catholique en 1522. Les papes Pie V, Urbain VIII et Sixte IV en ont perfectionné la célébration.
            La princesse Isabelle Clara Eugénie d’Espagne, héritière de l’esprit de sainte Thérèse, très dévote de saint Joseph, se rendit en Belgique et obtint qu’une fête soit célébrée le 19 mars dans la ville de Bruxelles en l’honneur de ce saint. Le culte se répandit dans les provinces voisines, où il fut proclamé et vénéré sous le titre de sauveur de la paix et protecteur de la Bohême. Cette fête a commencé en Bohême en 1655.
            Une partie du manteau avec lequel saint Joseph a enveloppé le saint enfant Jésus est conservée à Rome dans l’église Sainte-Cécile au Transtévère, où se trouve également le bâton que ce saint portait lors de ses déplacements. L’autre partie est conservée dans l’église Sainte-Anastasie dans la même ville.
            D’après ce que des témoins oculaires nous ont transmis, ce manteau est de couleur jaunâtre. Un petit morceau de celui-ci a été offert par le cardinal Ginetti aux carmes déchaux d’Anvers, et est conservé dans un magnifique reliquaire, sous trois clés, et exposé à la vénération du public chaque année durant les fêtes de Noël.
            Parmi les souverains pontifes qui ont contribué par leur autorité à promouvoir le culte de ce saint, on peut citer Sixte IV, qui fut le premier à instituer cette fête vers la fin du XVe siècle. Saint Pie V a introduit l’office dans le bréviaire romain. Grégoire XV et Urbain VIII se sont efforcés, par des décrets spéciaux, de raviver la ferveur envers ce saint qui semblait s’être émoussée chez certains peuples. Enfin, le souverain pontife Innocent X, cédant aux demandes de nombreuses églises de la chrétienté, également désireux de promouvoir la gloire du très saint époux de Marie et de rendre ainsi son patronage plus efficace pour la religion, étendit la solennité à l’ensemble du monde catholique.
            La fête de saint Joseph a donc été fixée au 19e jour du mois de mars, dont on croit pieusement qu’il s’agit du jour de sa mort glorieuse (contre l’avis de certains qui pensent que cela s’est produit le 4e jour de juillet).
            Comme cette fête tombe toujours dans le temps du carême, elle ne pouvait être célébrée un dimanche, puisque tous les dimanches du carême sont privilégiés. Elle serait donc souvent passée inaperçue si l’ingénieuse piété des fidèles n’avait trouvé le moyen d’y suppléer autrement.
            Depuis 1621, l’Ordre des Carmes Déchaux reconnaît solennellement saint Joseph comme patron et père universel de leur Institut et a consacré l’un des dimanches après Pâques à la célébration de sa solennité sous le titre de Patronage de S. Joseph. À la demande fervente de l’Ordre lui-même et de nombreuses Églises de la chrétienté, la Sacrée Congrégation des Rites, par décret de l’an 1680, fixa cette solennité au troisième dimanche après Pâques. De nombreuses Églises du monde catholique ont bientôt adopté spontanément cette fête. La Compagnie de Jésus, les Rédemptoristes, les Passionistes et la Société de Marie la célèbrent avec leur propre octave et office sous le rite double de première classe.
            La Sacrée Congrégation des Rites a finalement étendu cette fête à toute l’Église universelle afin d’encourager et d’animer de plus en plus la piété des fidèles envers ce grand saint par un décret du 10 septembre 1847 à la demande du cardinal Patrizi.
            En ces temps difficiles pour l’Église de Jésus-Christ, la foi catholique tourne ses prières vers le Ciel pour implorer un protecteur. Notre sainte religion, attaquée dans ses principes les plus sacrés, voit de nombreux enfants arrachés à son sein maternel au milieu d’une cruelle indifférence pour se donner follement à l’incrédulité et à l’impiété, et en devenant de scandaleux apôtres de l’impiété, capables d’égarer tant de leurs frères et de déchirer le cœur de cette mère aimante qui les a nourris. Or, la dévotion à saint Joseph pourrait attirer de copieuses bénédictions sur les familles de ses dévots, et procurer à l’épouse désolée de Jésus-Christ un patronage très efficace. De même que ce saint a su préserver la vie de Jésus au temps de la persécution d’Hérode, il saura préserver la foi de ses enfants de la persécution de l’enfer. Comme le premier Joseph, fils de Jacob, a su garantir une abondance de biens au peuple d’Égypte pendant sept années de famine, le vrai Joseph, le plus heureux intendant des trésors célestes, saura maintenir dans le peuple chrétien cette foi très sainte pour laquelle est descendu sur la terre ce Dieu, dont il fut pendant trente ans le précepteur et le gardien.

Les sept joies et les sept douleurs de saint Joseph.

Indulgence accordée par Pie IX aux fidèles qui réciteront cette prière pour la neuvaine du saint.

            Le pape Pie IX, voulant étendre les concessions de ses prédécesseurs, notamment celles de Grégoire XVI, accorde l’indulgence plénière aux fidèles des deux sexes qui, après avoir récité les prières communément appelées Les sept joies et lessept douleurs de saint Joseph, visiteront pendant sept dimanches consécutifs, en n’importe quelle époque de l’année, moyennant la confession et la communion, une église ou un oratoire public, et y prieront selon son intention. Cette indulgence plénière est applicable également aux âmes du Purgatoire, en chacun desdits dimanches.
            À ceux qui ne savent pas lire, ou qui ne peuvent se rendre dans aucune église où ces prières sont dites publiquement, le Pontife a accordé la même indulgence plénière à condition qu’en visitant ladite église et en priant comme ci-dessus, ils récitent, au lieu des prières indiquées, sept Pater, Ave et Gloria en l’honneur du saint Patriarche.

Prière des sept douleurs et joies de saint Joseph.

            1. Glorieux saint Joseph, chaste époux de Marie, tu as éprouvé dans ton cœur la douleur et l’angoisse à l’idée d’abandonner ton épouse immaculée, mais tu as connu aussi une joie inexplicable lorsque l’ange te révéla le souverain mystère de l’Incarnation.
            Pour cette douleur et pour cette joie, nous te prions de consoler notre âme maintenant et dans nos douleurs finales par la joie d’une bonne vie et d’une sainte mort semblable à la tienne, en compagnie de Jésus et de Marie.
Pater, Ave et Gloria.

            2. Glorieux saint Joseph, heureux patriarche, choisi pour être le Père adoptif du Verbe humain, quelle douleur tu as dû ressentir en voyant l’enfant Jésus naître dans une telle pauvreté ! Mais celle-ci s’est immédiatement transformée en jubilation céleste quand tu entendis l’harmonie angélique et les gloires de cette heureuse nuit.
            Pour cette douleur et pour cette joie, fais, nous t’en supplions, qu’après le voyage de cette vie, nous puissions passer à l’écoute des louanges angéliques, et jouir des splendeurs de la gloire céleste.
Pater, Ave et Gloria.

            3. Glorieux saint Joseph, exécuteur des lois divines, le sang très précieux que l’Enfant Rédempteur a versé à la circoncision a transpercé ton cœur, mais le nom de Jésus l’a ravivé, le remplissant de joie.
            Pour cette douleur et pour cette joie, obtiens-nous d’éloigner tout vice de notre vie, afin que nous puissions en jubilant rendre le dernier soupir avec le saint nom de Jésus dans notre cœur et dans notre bouche.
Pater, Ave et Gloria.

            4. Glorieux saint Joseph, saint très fidèle, compagnon des Mystères de notre Rédemption, la prophétie de Siméon sur les souffrances de Jésus et de Marie t’a causé les affres de la mort, mais sa prédiction concernant le salut et la glorieuse résurrection d’âmes innombrables t’a aussi rempli d’une joie ineffable.
            Pour cette douleur et pour cette joie, obtiens-nous de faire partie du nombre de ceux qui, par les mérites de Jésus et l’intercession de la Vierge sa Mère, seront appelés à ressusciter dans la gloire.
Pater, Ave et Gloria.

            5. Glorieux saint Joseph, gardien vigilant, membre de la famille du Fils de Dieu incarné, combien tu as souffert en soutenant et en servant le Fils du Très-Haut, surtout lors de la fuite en Égypte ! Mais combien plus tu t’es réjoui en ayant toujours ce Dieu avec toi, et en voyant tomber à terre les idoles égyptiennes.
            Pour cette douleur et cette joie, fais qu’en éloignant de nous le tyran infernal, surtout par la fuite des occasions dangereuses, nous renversions toutes les idoles des affections terrestres de notre cœur, et nous mettant au service de Jésus et de Marie, nous vivions et mourions heureux pour leur seul amour.
Pater, Ave et Gloria.

            6. Glorieux saint Joseph, ange de la terre, toi qui admiras l’obéissance du roi du ciel à tes commandements, je sais qu’au retour de l’Égypte ta consolation fut troublée par la crainte d’Archélaüs. Mais je sais aussi que, rassuré par l’Ange et heureux d’être avec Jésus et Marie, tu demeuras à Nazareth.
            Pour cette douleur et pour cette joie, fais que les craintes néfastes de notre cœur soient dissipées, afin que nous puissions jouir de la paix de la conscience et vivre en toute sécurité avec Jésus et Marie et mourir en leur compagnie.
Pater, Ave et Gloria.

            7. Glorieux saint Joseph, modèle de toute sainteté, quand tu perdis l’enfant Jésus sans faute de ta part, tu l’as cherché pendant trois jours dans la plus grande tristesse, jusqu’à ce que tu retrouves avec une immense joie, au temple au milieu des docteurs, celui qui était toute ta Vie.
            Pour cette douleur et pour cette joie, nous te supplions, le cœur sur les lèvres, d’intercéder afin qu’il ne nous arrive jamais de perdre Jésus par négligence grave. Que si par un grand malheur nous le perdions, fais que nous le cherchions inlassablement, jusqu’à ce que nous le trouvions, en particulier au moment de la mort, pour nous réjouir avec lui au Ciel, et chanter là avec toi et pour toujours ses divines miséricordes.
Pater, Ave et Gloria.

Antienne. Jésus allait avoir trente ans et on croyait qu’il était le fils de Joseph.
            V. Prie pour nous, saint Joseph.
            R. Et nous serons dignes des promesses du Christ.

Oremus.

            Ô Dieu, qui dans ton ineffable providence as voulu choisir le bienheureux Joseph comme époux de ta très sainte Mère, accorde-nous, à nous qui le vénérons comme protecteur sur la terre, de mériter de l’avoir comme intercesseur dans le Ciel. Par le Christ notre Seigneur.
            R. Amen.

Autre prière à saint Joseph.
            Je te salue, Joseph, plein de grâce, Jésus et Marie sont avec toi. Tu es béni entre tous les hommes, et béni est le fruit des entrailles de ton épouse, Marie. Saint Joseph, père adoptif de Jésus, chaste époux de Marie, prie pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il.

Recueillie auprès des auteurs les plus accrédités, avec neuvaine préparatoire à la fête du Saint.
Typographie de l’Oratoire Saint François de Sales, Turin 1867.
BOSCO GIOVANNI, prêtre.

Avec permission ecclésiastique.

***

Aujourd’hui, l’Église accorde des indulgences (Enchiridion Indulgentiarum n.19) pour les prières en l’honneur de saint Joseph :
« Une indulgence partielle est accordée aux fidèles qui invoquent saint Joseph, Époux de la Bienheureuse Vierge Marie, selon une prière légitimement approuvée (par exemple : C’est à vous, bienheureux Joseph).

C’est à vous, bienheureux Joseph, que nous recourons dans notre tribulation et, après avoir imploré le secours de votre très sainte Épouse, nous sollicitons aussi avec confiance votre patronage.
Par l’affection qui vous a uni à la Vierge immaculée Mère de Dieu, par l’amour paternel dont vous avez entouré l’Enfant Jésus, nous vous supplions de regarder d’un œil propice l’héritage que Jésus-Christ a conquis au prix de son sang, et de nous assister de votre puissance et de votre secours dans nos besoins.
Protégez, ô très sage gardien de la divine Famille, la race élue de Jésus-Christ. Préservez-nous, ô Père très aimant, de toute souillure d’erreur et de corruption ; soyez-nous propice, ô notre très puissant libérateur, du haut du ciel assistez-nous dans le combat que nous livrons à la puissance des ténèbres ; et de même que vous avez arraché autrefois l’Enfant Jésus au péril de la mort, défendez aujourd’hui la Sainte Église de Dieu contre les embûches de l’ennemi et contre toute adversité.
Gardez toujours chacun de nous sous votre protection, afin que, à votre exemple et soutenus par votre secours, nous puissions vivre saintement, pieusement mourir et obtenir la béatitude éternelle dans les cieux.
Amen.

(Pape Léon XIII, Oraison à Saint Joseph, encyclique Quamquam pluries)




Vie de saint Joseph, époux de Marie, père adoptif de Jésus-Christ (2/3)

(suite de l’article précédent)

Chap. IX. La circoncision.
Et vocavit nomen eius Iesum. (Et il lui donna le nom de Jésus. – Mt 1,25)

            Le huitième jour après la naissance, les enfants d’Israël devaient être circoncis selon le commandement de Dieu donné à Abraham, afin qu’il y ait un signe pour rappeler au peuple l’alliance que Dieu avait conclue avec lui.
            Marie et Joseph comprenaient très bien qu’un tel signe n’était pas du tout nécessaire pour Jésus. Cette opération douloureuse était une peine qui convenait aux pécheurs, et son but était d’effacer le péché originel. Jésus, étant le saint par excellence et la source de toute sainteté, ne portait avec lui aucun péché et n’avait besoin d’aucune rémission. En outre, il était venu au monde à la suite d’une conception miraculeuse et n’avait à se soumettre à aucune des lois qui s’appliquaient aux hommes. Cependant, Marie et Joseph n’hésitèrent pas à accomplir la douloureuse cérémonie sur l’enfant divin, sachant que Jésus n’était pas venu pour enfreindre la loi, mais pour l’accomplir, et pour donner aux hommes l’exemple d’une obéissance parfaite, prêt à souffrir tout ce que la gloire du Père céleste et le salut de l’humanité exigeraient de lui.
            Joseph, le saint patriarche, fut le ministre et le prêtre de ce rite sacré. Le voici qui, les yeux pleins de larmes, dit à Marie : « Marie, le moment est venu où nous allons accomplir sur ton fils béni le signe de notre père Abraham. Je sens que je perds cœur en y pensant. Moi, mettre le fer dans cette chair immaculée ! Tirer le premier sang de cet agneau de Dieu ! Oh si tu ouvrais la bouche, mon enfant, pour me dire que tu ne veux pas cette blessure, oh comme je jetterais ce couteau loin de moi, et je me réjouirais que tu ne la veuilles pas ! Mais je vois que tu me demandes ce sacrifice ; que tu veux souffrir. Oui, mon cher enfant, nous souffrirons : toi dans ta chair très pure ; Marie et moi dans notre cœur. »
            Joseph accomplit l’office douloureux en offrant à Dieu ce premier sang en expiation des péchés des hommes. Puis, avec Marie en larmes et pleine d’angoisse devant l’affliction de son Fils, il répéta : « Jésus est son nom, car il doit sauver son peuple de ses péchés : Vocabis nomen eius Iesum; ipse enim salvum faciet populum suum a peccatis eorum« . – Mt 1,25 » « Ô nom très saint, ô nom au-dessus de tout nom, comme il est juste qu’en ce moment tu sois prononcé pour la première fois ! Dieu a voulu que l’enfant soit appelé Jésus à partir du moment où il commença à verser du sang. Car s’il était et devait être le Sauveur, c’était précisément en vertu et à cause de son sang, par lequel il entra une seule fois dans le saint des saints et accomplit par le sacrifice de tout son être la Rédemption d’Israël et du monde entier.
            Joseph fut le grand et noble ministre de la Circoncision par laquelle le Fils de Dieu reçut son nom. Joseph l’avait reçu de l’ange, Joseph le prononça le premier parmi les hommes, et en le prononçant, il fit que tous les anges se prosternèrent, et que les démons saisis d’une frayeur extraordinaire, même sans comprendre pourquoi, tombèrent en adoration et se cachèrent dans les profondeurs de l’enfer. Grande dignité de Joseph ! Grande obligation de révérence envers lui ! C’est lui en effet qui fut le premier à avoir donné au Fils de Dieu le nom de Rédempteur, et le premier à avoir coopéré pour faire de lui notre Rédempteur grâce au saint ministère de la circoncision.

Chap. X. Jésus adoré par les mages. La Purification.
Reges Tharsis et insulae munera offerent, Reges Arabum et Saba dona adducent (Les rois de Tharsis et des îles lui feront leurs offrandes, les rois des Arabes et de Saba lui apporteront leurs présents. – Ps 71,10)

            Ce Dieu, qui était descendu sur terre pour faire de la maison d’Israël et des peuples dispersés une seule famille, voulait autour de son berceau les représentants des uns et des autres. Les simples et les humbles avaient la préférence pour être autour de Jésus, mais les grands et les sages de la terre ne devaient pas être exclus. Après les bergers tout proches, au fond de sa grotte silencieuse de Bethléem, Jésus mit en marche une étoile du Ciel pour y amener des adorateurs lointains.
            Une tradition, très populaire dans tout l’Orient et consignée dans la Bible, annonçait qu’un enfant naîtrait en Occident, qui changerait la face du monde, et qu’une nouvelle étoile devrait au même moment apparaître et signaler cet événement. Or, à l’époque de la naissance du Sauveur, il y avait en Orient des princes, communément appelés les trois Rois Mages, dotés d’une science extraordinaire.
            Très versés dans les sciences astronomiques, ces trois mages attendaient avec impatience l’apparition de la nouvelle étoile qui devait leur annoncer la naissance de l’enfant merveilleux.
            Une nuit, alors qu’ils observaient attentivement le ciel, une étoile d’une grandeur inhabituelle sembla se détacher de la voûte céleste, comme si elle voulait descendre sur la terre.
            Reconnaissant à ce signal que le moment était venu, ils partirent en hâte et, toujours guidés par l’étoile, ils arrivèrent à Jérusalem. La renommée de leur arrivée et surtout le but de leur voyage troublèrent le cœur de l’envieux Hérode. Ce prince cruel fit venir les mages auprès de lui et leur dit : « Prenez des renseignements exacts sur cet enfant, et dès que vous l’aurez trouvé, revenez me prévenir pour que j’aille aussi l’adorer. » Les docteurs de la loi ayant indiqué que le Christ devait naître à Bethléem, les mages partirent de Jérusalem toujours précédés par l’étoile mystérieuse et ne tardèrent pas à arriver à Bethléem. L’étoile s’arrêta au-dessus de la grotte où était le Messie. Les mages entrèrent, se prosternèrent aux pieds de l’enfant et l’adorèrent.
            Puis, ouvrant les coffrets de bois précieux qu’ils avaient apportés avec eux, ils lui offrirent de l’or comme pour le reconnaître en tant que roi, de l’encens en tant que Dieu et de la myrrhe en tant qu’homme mortel.
            Avertis alors par un ange des véritables desseins d’Hérode, ils ne passèrent pas par Jérusalem, mais retournèrent directement dans leurs pays.
            Voici qu’approchait le quarantième jour de la naissance du Saint Enfant. La loi de Moïse prescrivait que tout premier-né soit porté au temple pour être offert à Dieu et consacré, et que la mère soit purifiée. Joseph se dirigea vers Jérusalem en compagnie de Jésus et de Marie pour accomplir la cérémonie prescrite. Il offrit deux tourterelles en sacrifice et paya cinq sicles d’argent. Puis ayant fait inscrire leur fils sur les tables de recensement et payé le tribut, le saint couple retourna en Galilée, à Nazareth, leur ville.

Chap. XI. La triste annonce. – Le massacre des innocents. – La sainte famille part pour l’Égypte.
Surge, accipe puerum et matrem eius et fuge in Aegyptum et esto ibi usque dum dicam tibi. (L’ange du Seigneur dit à Joseph : Lève-toi, prends l’enfant et sa mère et fuis en Égypte et restes-y jusqu’à ce que je te le dise. – Mt 2,13)

Vox in excelso audita est lamentationis, luctus, et fletus Rachel plorantis filios suos, et nolentis consolari super eis quia non sunt. (On entend des cris de lamentation et de deuil et des gémissements : c’est Rachel qui pleure ses enfants, et pour eux elle ne veut aucune consolation parce qu’ils ne sont plus. – Jr 31,15)

            La tranquillité de la sainte famille ne devait pas durer longtemps. À peine Joseph était-il retourné à la pauvre maison de Nazareth qu’un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, fuis en Égypte, et restes-y jusqu’à ce que je t’ordonne de revenir. Car Hérode cherchera l’enfant pour le faire mourir. »
            Ce n’était que trop vrai. Le cruel Hérode, trompé par les mages et furieux d’avoir manqué une si belle occasion de se débarrasser de celui qu’il considérait comme un concurrent au trône, avait conçu le projet infernal de faire massacrer tous les enfants mâles de moins de deux ans. Cet ordre abominable fut exécuté.
            Un grand fleuve de sang coula à travers la Galilée. C’est alors que se réalisa ce que Jérémie avait prédit : « Une voix se fit entendre à Rama, une voix mêlée de larmes et de lamentations. C’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, car ils ne sont plus. » Ces pauvres innocents, si cruellement tués, furent les premiers martyrs de la divinité de Jésus-Christ.
            Joseph avait reconnu la voix de l’Ange ; il ne se permit aucune réflexion sur le départ précipité auquel ils devaient se résoudre ; sur les difficultés d’un voyage si long et si dangereux. Il devait regretter d’avoir quitté son pauvre foyer pour aller à travers les déserts demander asile à un pays qu’il ne connaissait pas. Sans même attendre le lendemain, à l’instant où l’ange disparut, il se leva et courut réveiller Marie. Marie prépara à la hâte une petite provision de vêtements et de vivres qu’ils emportèrent avec eux. Pendant ce temps, Joseph prépara la jument, et ils partirent sans regret de leur ville pour obéir à l’ordre de Dieu. Voici donc un pauvre vieillard qui rend vains les horribles complots du tyran de Galilée ; c’est à lui que Dieu confie la garde de Jésus et de Marie.

Chap. XII. Un voyage désastreux – Une tradition.
Si persequentur vos in civitate ista, fugite in aliam. (Quand on vous persécutera dans cette ville, fuyez dans une autre. – Mt 10,23).

            Deux routes se présentaient au voyageur qui voulait se rendre en Égypte par voie terrestre. L’une traversait des déserts peuplés de bêtes sauvages, où les chemins étaient rudes, longs et peu fréquentés. L’autre traversait un pays peu visité, mais les habitants du district étaient très hostiles aux Juifs. Joseph, qui avait surtout à craindre les hommes dans cette fuite précipitée, choisit le premier de ces deux chemins comme étant le plus caché.
            Partis de Nazareth à la faveur de la nuit, les voyageurs prudents empruntèrent pendant quelque temps les chemins les plus difficiles et les plus tortueux, quand l’itinéraire les obligeait à passer près de Jérusalem. Lorsqu’il fallait traverser une grande route, Joseph laissait Jésus et sa Mère à l’abri d’un rocher et partait en éclaireur, pour s’assurer que la sortie n’était pas gardée par les soldats d’Hérode. Rassuré par cette précaution, il revenait chercher son précieux trésor, et la sainte famille poursuivait sa route, entre ravins et collines. De temps en temps, ils faisaient une brève halte au bord d’un ruisseau limpide, et après un repas frugal, ils se reposaient un peu des fatigues du voyage. Le soir venu, il était temps de se résigner à dormir à la belle étoile. Joseph se dépouillait de son manteau et en couvrait Jésus et Marie pour les préserver de l’humidité de la nuit. Le lendemain, au lever du jour, on reprenait le pénible voyage. Après la petite ville d’Anata, les saints voyageurs se dirigèrent du côté de Ramla pour descendre dans les plaines de Syrie, où ils allaient désormais être libérés des pièges de leurs féroces persécuteurs. Contre leur habitude, ils avaient continué à marcher alors que la nuit était déjà tombée, afin de se mettre plus vite à l’abri. Joseph tâtait le terrain devant les autres. Marie, toute tremblante en cette course nocturne, tournait son regard inquiet vers les profondeurs des vallées et les sinuosités des rochers. Soudain, à un tournant, une nuée d’hommes armés apparut pour leur couper la route. C’était une bande de scélérats qui ravageait la contrée, et dont l’effroyable renommée s’étendait au loin. Joseph arrêta la monture de Marie et priait le Seigneur en silence, car toute résistance était impossible. Tout au plus pouvait-on espérer sauver sa vie. Le chef des brigands se détacha de ses compagnons et s’avança vers Joseph pour voir à qui il avait affaire. À la vue de ce vieillard sans armes, de ce petit enfant endormi sur le sein de sa mère, le cœur sanguinaire du bandit fut touché. Loin de leur vouloir du mal, il tendit la main à Joseph, lui offrant l’hospitalité ainsi qu’à sa famille. Ce chef s’appelait Disma. La tradition raconte que trente ans plus tard, il fut emmené par des soldats et condamné à être crucifié. Mis en croix sur le Calvaire aux côtés de Jésus, c’est celui-là même que nous connaissons comme étant le bon larron.

Chap. XIII. Arrivée en Égypte – Prodiges survenus lors de leur entrée dans ce pays – Village de Matarié – Habitation de la Sainte Famille.
Ecce ascendet Dominus super nubem levem et commovebuntur simulacra Aegypti (Voici que le Seigneur montera au-dessus d’une nuée légère et entrera en Égypte, et en sa présence les idoles de l’Égypte seront ébranlées. – Is 19,1)

             Dès que le jour parut, les fugitifs remercièrent les brigands qui étaient devenus leurs hôtes, et reprirent leur voyage plein de dangers. On raconte que Marie, en se mettant en route, dit ces mots au chef de ces bandits : « Ce que tu as fait pour cet enfant, tu en seras un jour amplement récompensé. » Après avoir traversé Bethléem et Gaza, Joseph et Marie descendirent en Syrie. Ayant rencontré une caravane en partance pour l’Égypte, ils se joignirent à elle. À partir de ce moment et jusqu’à la fin de leur voyage, ils ne virent plus devant eux qu’un immense désert de sable, dont l’aridité n’était interrompue qu’à de rares intervalles par quelques oasis, c’est-à-dire quelques étendues de terre fertile et verdoyante. Leurs fatigues redoublèrent pendant cette course à travers ces plaines brûlées par le soleil. La nourriture était rare, et l’eau manquait souvent. Que de fois Joseph, qui était âgé et pauvre, se trouva repoussé, lorsqu’il essayait pendant la nuit de s’approcher de la source, auprès de laquelle la caravane s’était arrêtée pour se désaltérer !
            Finalement, après deux mois d’un voyage très pénible, les voyageurs entrèrent en Égypte. Selon Sozomène, dès que la Sainte Famille toucha cette terre antique, les arbres abaissèrent leurs branches pour adorer le Fils de Dieu, les bêtes sauvages accoururent en oubliant leurs instincts, et les oiseaux chantèrent en chœur les louanges du Messie. En effet, si l’on en croit ce que nous racontent des auteurs dignes de foi, toutes les idoles de la province, reconnaissant le vainqueur du paganisme, tombèrent en pièces. C’est ainsi que s’accomplirent littéralement les paroles du prophète Isaïe : « Voici que le Seigneur montera sur une nuée légère et entrera en Égypte, et en sa présence, les idoles de l’Égypte seront ébranlées. »
            Joseph et Marie, désireux d’arriver rapidement au terme de leur voyage, ne firent que passer par Héliopolis, consacrée au culte du soleil, pour se rendre à Matarié où ils comptaient se reposer de leurs fatigues.
            Matarié est un beau village ombragé par des sycomores, à environ deux lieues du Caire, la capitale de l’Égypte. C’est là que Joseph avait l’intention de s’installer. Mais ce n’était pas encore la fin de ses ennuis. Il devait chercher à se loger. Les Égyptiens n’étant pas du tout hospitaliers, la sainte famille fut obligée de s’abriter pendant quelques jours dans le tronc d’un grand vieil arbre. Finalement, après de longues recherches, Joseph trouva une modeste et petite pièce, dans laquelle il plaça Jésus et Marie.
            Cette maison, que l’on peut encore voir en Égypte, était une sorte de grotte de vingt pieds de long sur quinze pieds de large. Elle n’avait pas de fenêtres ; la lumière devait pénétrer par la porte. Les murs étaient faits d’une sorte d’argile noire et crasseuse ; sa vétusté portait l’empreinte de la misère. À droite se trouvait une petite citerne, dans laquelle Joseph puisait de l’eau pour la famille.

Chap. XIV. Souffrances. – Consolation et fin de l’exil.
Cum ipso sum in tribulatione. (Avec lui je suis dans la tribulation. – Ps 90,15).

            À peine entré dans cette nouvelle demeure, Joseph reprit son travail ordinaire. Il commença à meubler sa maison : une petite table, quelques chaises, un banc, le tout fait de ses mains. Puis il alla de porte en porte à la recherche d’un travail pour gagner la vie de sa petite famille. Il essuya sans doute de nombreux refus et endura bien des mépris humiliants ! Il était pauvre et inconnu, et cela suffisait pour que son travail soit refusé. Quant à Marie, qui avait mille soins pour son Fils, elle se mit courageusement au travail, y occupant une partie de la nuit pour compenser les faibles et insuffisants revenus de son époux. Pourtant, au milieu de ses peines, que de consolations pour Joseph ! C’était pour Jésus qu’il travaillait, et le pain que le divin enfant mangeait, c’était lui qui l’avait gagné à la sueur de son front. Et puis quand il rentrait le soir épuisé et oppressé par la chaleur, Jésus souriait à son arrivée, et le caressait de ses petites mains. Souvent, quand Joseph réussissait à faire quelques économies au prix de privations qu’il s’imposait, quelle joie il ressentait de pouvoir les utiliser pour adoucir la condition du divin enfant ! C’étaient tantôt quelques dattes, tantôt quelques jouets adaptés à son âge que le pieux charpentier apportait au Sauveur des hommes. Oh, comme les émotions du bon vieillard étaient douces quand il contemplait le visage radieux de Jésus ! Quand arrivait le sabbat, jour de repos consacré au Seigneur, Joseph prenait l’enfant par la main et guidait ses premiers pas avec une sollicitude vraiment paternelle.
            Arriva le moment où le tyran qui régnait sur Israël mourut. Dieu, dont le bras tout-puissant punit toujours les coupables, lui avait envoyé une cruelle maladie qui le conduisit rapidement au tombeau. Trahi par son propre fils, dévoré vivant par les vers, Hérode était mort, emportant dans sa tombe la haine des Juifs et la malédiction de la postérité.

Chap. XV. La nouvelle annonce. – Retour en Judée. – Une tradition rapportée par saint Bonaventure.
Ex Aegypto vocavi filium meum. (D’Égypte j’ai appelé mon fils. – Os 11,1)

            Cela faisait sept ans que Joseph était en Égypte, lorsque l’Ange du Seigneur, messager ordinaire de la volonté du Ciel, lui apparut à nouveau pendant son sommeil et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et retourne au pays d’Israël, car ceux qui cherchaient l’enfant pour le mettre à mort ne sont plus. » Toujours prêt à répondre à la voix de Dieu, Joseph vendit sa maison et ses meubles, et ordonna tout pour le départ. En vain les Égyptiens, gagnés par la bonté de Joseph et la douceur de Marie, s’efforcèrent de le retenir. En vain ils lui promirent une abondance de biens nécessaires à la vie. Joseph resta inébranlable. Les souvenirs de son enfance, les amis qu’il avait en Judée, l’atmosphère pure de sa patrie, parlaient beaucoup plus à son cœur que la beauté de l’Égypte. D’ailleurs, Dieu avait parlé, et il ne fallait rien d’autre pour décider Joseph à retourner dans la terre de ses ancêtres.
            Certains historiens pensent que la Sainte Famille a fait une partie du voyage par la mer, parce que cela prenait moins de temps et qu’ils avaient un grand désir de revoir bientôt leur patrie. À peine débarqués à Ascalon, Joseph apprit qu’Archélaüs avait succédé à son père Hérode sur le trône. Pour Joseph ce fut une nouvelle source d’inquiétude. L’ange ne lui avait pas dit dans quelle partie de la Judée il devait s’installer. Devait-il s’établir à Jérusalem, en Galilée ou en Samarie ? Plein d’incertitude, Joseph pria le Seigneur de lui envoyer son messager céleste pendant la nuit. L’ange lui ordonna de fuir Archélaüs et de se retirer en Galilée. N’ayant alors plus rien à craindre, Joseph prit tranquillement le chemin de Nazareth, qu’il avait abandonnée sept ans auparavant.
            Que nos bons lecteurs veuillent bien entendre sur ce point d’histoire saint Bonaventure, le docteur séraphique : « Ils étaient sur le point de partir. Joseph partit le premier avec les hommes, et la mère vint avec les femmes (hommes et femmes qui étaient venus en tant qu’amis de la sainte famille pour les accompagner un peu). Lorsqu’ils furent sortis de la porte, Joseph retint les hommes et ne se laissa plus accompagner. Alors l’un de ces hommes, plein de compassion devant la pauvreté de cette famille, appela l’Enfant et lui donna un peu d’argent pour les dépenses. L’Enfant eut honte de l’accepter ; mais, par amour de la pauvreté, il tendit la main et reçut l’argent honteusement et remercia. Et d’autres personnes firent de même. Les dames honorables l’appelèrent aussi et firent de même ; la mère n’était pas moins honteuse que l’enfant, mais elle les remercia toutefois bien humblement. »
            Après avoir pris congé de cette cordiale compagnie et renouvelé ses remerciements et ses salutations, la sainte famille se mit en route en direction de la Judée.

Chap. XVI. Arrivée de Joseph à Nazareth. – La vie de famille avec Jésus et Marie.
Constituit eum dominum domus suae. (Il le constitua maître de sa maison. – Ps 104,20)

            Les jours d’exil étaient enfin terminés. Joseph pouvait à nouveau voir sa terre natale tant désirée, qui lui rappelait les plus beaux souvenirs. Il faudrait aimer son pays comme les Juifs l’aimaient alors, pour comprendre les douces impressions qui remplissaient l’âme de Joseph lorsque Nazareth lui apparut au loin. L’humble patriarche accéléra le pas de la monture de Marie, et ils arrivèrent bientôt dans les rues étroites de leur cher village.
            Les Nazaréens, qui ignoraient la cause du départ du pieux ouvrier, virent son retour avec joie. Les chefs de famille vinrent accueillir Joseph et serrer la main du vieillard, dont la tête avait blanchi loin de sa patrie. Les jeunes filles saluèrent l’humble Vierge, dont la grâce était encore augmentée par les soins dont elle entourait son divin enfant. Le bien-aimé Jésus vit affluer vers lui les garçons de son âge et, pour la première fois, il entendit la langue de ses ancêtres au lieu de celle, amère, de l’exil.
            Mais le temps et l’abandon avaient réduit la pauvre demeure de Joseph dans un mauvais état. Des herbes sauvages avaient poussé sur les murs, et les mites avaient pris possession des vieux meubles de la sainte famille.
            On vendit une partie du terrain entourant la maison, et avec son prix on acheta les articles ménagers les plus nécessaires. Les maigres ressources du couple furent employées aux achats les plus indispensables. Joseph n’avait plus que son atelier et ses bras. Mais l’estime que tout le monde ressentait pour le saint homme, la confiance que l’on avait dans sa bonne foi comme dans son habileté, firent que peu à peu le travail et les clients lui revinrent ; et le courageux charpentier reprit bientôt son travail habituel. Il avait vieilli dans son labeur, mais son bras était encore fort, et son ardeur augmentait encore avec la charge de nourrir le Sauveur de l’humanité.
            Jésus grandissait en âge et en sagesse. De même que Joseph avait guidé ses premiers pas quand il n’était encore qu’un petit enfant, il donna aussi à Jésus les premières notions concernant son travail. Il tenait sa petite main et la guidait en lui apprenant à tracer des lignes et à manier le rabot. Il enseignait à Jésus les difficultés et la pratique du métier. Et le Créateur du monde se laissait guider par son fidèle serviteur, qu’il avait choisi pour père !
            Joseph, qui était assidu aux offices religieux aussi bien qu’aux devoirs de son travail, observait strictement la loi de Moïse et la religion de ses ancêtres. On ne le voyait jamais travailler un jour férié, il avait compris combien un jour par semaine n’est pas de trop pour prier le Seigneur et le remercier de ses faveurs. Chaque année, lors des trois grandes fêtes juives (Pâque, Pentecôte et les Tabernacles), il se rendait au temple de Jérusalem en compagnie de Marie. D’ordinaire, il laissait Jésus à Nazareth, car le long voyage l’aurait excessivement fatigué, et il priait toujours l’un de ses voisins de prendre en charge l’enfant en l’absence de ses parents.

Chap. XVII. Jésus part avec Marie, sa mère, et saint Joseph pour fêter Pâque à Jérusalem. – Il est perdu et retrouvé au bout de trois jours.
Fili, quid fecisti nobis sic? Ecce pater tuus et ego dolentes quaerebamus te. Quid est quod me quaerebatis? Nesciebatis quia in his quae Patris mei sunt oportet me esse? (Fils, pourquoi nous as-tu fait cela ? Voici que votre père et moi nous sommes affligés et sommes allés à ta recherche ; [et il leur dit] : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pasque je dois m’occuper des affaires de mon Père ? – (Lc 2,48-49)

            Lorsque Jésus eut atteint l’âge de douze ans et que la fête de la Pâque approchait, Joseph et Marie le jugèrent assez fort pour supporter le voyage et l’emmenèrent avec eux à Jérusalem. Ils restèrent environ sept jours dans la ville sainte pour célébrer la Pâque et accomplir les sacrifices prescrits par la loi.
            Lorsque les fêtes de la Pâque furent terminées, ils prirent le chemin du retour vers Nazareth au milieu de leurs parents et amis. La caravane était très nombreuse. Dans la simplicité de leurs coutumes, les familles d’une même ville ou d’un même village retournaient chez elles en joyeuses compagnies, dans lesquelles les vieillards parlaient sérieusement avec les vieillards, les femmes avec les femmes, tandis que les garçons couraient et jouaient ensemble en chemin. C’est ainsi que Joseph, ne voyant pas Jésus près de lui, le croyait, comme il était naturel, avec sa mère ou avec les garçons de son âge. Marie marchait également avec ses compagnes, tout aussi convaincue que l’enfant était avec les autres. Le soir venu, la caravane s’arrêta dans la petite ville de Machmas pour y passer la nuit. Joseph vint trouver Marie. Mais quelle ne fut pas leur surprise et leur chagrin lorsqu’ils se demandèrent l’un à l’autre où se trouvait Jésus. Ni l’un ni l’autre ne l’avait vu après avoir quitté le temple ; les garçons, eux, ne pouvaient donner aucune nouvelle de lui. Il n’était pas avec eux.
            Immédiatement, Joseph et Marie reprirent le chemin de Jérusalem malgré leur fatigue. Pâles et inquiets, ils refirent le chemin qu’ils avaient déjà parcouru le jour même. Les environs résonnaient de leurs cris de détresse ; Joseph appelait Jésus, mais celui-ci ne répondait pas. À l’aube, ils arrivèrent à Jérusalem où, selon l’Évangile, ils passèrent trois jours entiers à chercher leur fils bien-aimé. Quelle douleur pour le cœur de Joseph ! Et combien il devait se reprocher un seul instant de distraction ! Enfin, vers la fin du troisième jour, ces parents désolés entrèrent dans le temple, plutôt pour invoquer la lumière d’En-haut que dans l’espoir d’y trouver Jésus. Mais quelle ne fut pas leur surprise et leur admiration en voyant le divin enfant au milieu des docteurs émerveillés par la sagesse de ses discours, les questions et les réponses qu’il leur donnait ! Marie, pleine de joie parce qu’elle avait retrouvé son fils, ne put cependant s’empêcher de lui exprimer l’inquiétude qui l’avait affligée : « Mon fils, lui dit-elle, pourquoi nous as-tu fait cela ? Il y a trois jours que nous te cherchons avec angoisse. » Jésus répondit : « Pourquoi me cherchiez-vous ainsi ? Ne saviez-vous pas que je dois m’occuper des choses de mon père ? » L’Évangile ajoute que Joseph et Marie n’ont pas tout de suite compris cette réponse. Heureux d’avoir retrouvé Jésus, ils retournèrent tranquillement dans leur petite maison de Nazareth.

Chap. XVIII. Suite de la vie de la sainte famille.
Et erat subditus illis. (Et Jésus leur était soumis. – Lc 2,51)

            Le saint Évangile, après avoir raconté les principaux événements de la vie de Jésus jusqu’à l’âge de douze ans, conclut ici toute la vie privée de Jésus jusqu’à l’âge de trente ans par ces quelques mots : « Jésus était soumis à Marie et à Joseph, et erat subditus illis. » Ces mots cachent à nos yeux la gloire de Jésus, mais révèlent sous un aspect magnifique la grandeur de Joseph. Si l’éducateur d’un prince occupe une dignité honorable dans l’État, quelle doit être celle de Joseph, à qui fut confiée l’éducation du Fils de Dieu ! Jésus, dont la force avait grandi avec les années, devint l’élève de Joseph. Il le suivait dans ses journées de travail et apprenait sous sa direction le métier de charpentier. Saint Cyprien, évêque de Carthage, écrivait vers l’an 250 de l’ère chrétienne qu’on conservait encore avec vénération e les charrues fabriquées par la main du Sauveur. C’est sans aucun doute Joseph qui avait fourni le modèle et qui, dans son atelier, avait dirigé la main du Créateur de toutes choses.
            Jésus voulait donner aux hommes l’exemple de l’obéissance, même dans les plus petites circonstances de la vie. C’est ainsi qu’on peut encore voir un puits près de Nazareth, où Joseph envoyait le divin enfant puiser de l’eau pour les besoins de la famille.
            Nous manquons de détails sur ces années laborieuses que Joseph a passées à Nazareth avec Jésus et Marie. Ce que nous pouvons dire sans craindre de nous tromper, c’est que Joseph travaillait sans relâche pour gagner son pain. La seule distraction qu’il se permettait était de converser bien souvent avec le Sauveur, dont les paroles restaient profondément gravées dans son cœur.
            Aux yeux des hommes, Jésus passait pour le fils de Joseph. Et celui-ci, dont l’humilité était aussi grande que son obéissance, gardait en lui le mystère qu’il était chargé de protéger par sa présence. « Joseph, dit Bossuet, voyait Jésus et se taisait ; sa vue lui suffisait et il n’en parlait pas ; il se contentait de Dieu seul sans partager sa gloire avec les hommes. Il remplissait sa vocation, car comme les apôtres étaient les ministres de Jésus-Christ dans sa vie publique, Joseph était le ministre et le compagnon de sa vie cachée. »

Chap. XIX. Derniers jours de saint Joseph. Sa précieuse agonie.
O nimis felix, nimis o beatus Cuius extremam vigiles ad horam Christus et Virgo simul astiteruntOre sereno ! (Ô âme heureuse et trop heureuse, à ta dernière heure le Christ et Marie ensemble t’ont assisté et veillé, le visage serein. – La Sainte Église à l’office de saint Joseph).

            Joseph atteignait sa quatre-vingtième année, et Jésus ne devait pas tarder à quitter sa maison pour recevoir le baptême de Jean-Baptiste, lorsque Dieu appela à lui son fidèle serviteur. Les travaux et les fatigues de toutes sortes avaient usé la robuste fibre de Joseph, et il sentait lui-même que sa fin était proche. Après tout, sa mission sur terre était terminée et il était juste qu’il reçoive enfin la récompense que méritaient ses vertus.
            Par une faveur toute particulière, un ange vint l’avertir de l’approche de sa mort. Lui-même était prêt à comparaître devant Dieu. Toute sa vie avait été une série d’actes d’obéissance à la volonté divine et il se souciait peu de la vie, car il s’agissait d’obéir à Dieu qui l’appelait à la vie bienheureuse. Selon le témoignage unanime de la tradition, Joseph n’est pas mort dans les souffrances aiguës de la maladie. Il est mort doucement, comme une flamme qui n’est plus alimentée.
            Allongé sur son lit de mort, avec Jésus et Marie à ses côtés, Joseph fut ravi en extase pendant vingt-quatre heures. Ses yeux virent alors clairement les vérités que sa foi avait jusqu’alors cru sans comprendre. Il pénétra le mystère du Dieu fait homme et la grandeur de la mission que Dieu lui avait confiée, à lui, pauvre mortel. Il assista en esprit aux douleurs de la passion du Sauveur. Quand il se réveilla, son visage parut illuminé et comme transfiguré d’une beauté toute céleste. Un parfum délicieux emplissait la pièce dans laquelle il reposait et se répandait également à l’extérieur, annonçant aux voisins du saint homme que son âme pure et belle était sur le point de passer dans un monde meilleur.
            Dans une famille d’âmes pauvres et simples qui s’aiment de cet amour pur et cordial qu’on ne trouve guère au sein de la grandeur et de l’abondance, ces personnes vivent les années de leur pèlerinage sur la terre dans une sainte union. De même qu’elles ont partagé les joies familiales, de même elles partagent leurs peines sanctifiées par les consolations de la religion. Mais quand il arrive que cette belle paix est assombrie par la séparation d’un membre cher, oh combien le cœur sent l’angoisse de la séparation !
            Comme Dieu, Jésus avait dans les cieux un Père qui lui communiquait de toute éternité sa substance et sa nature divines, et donnait à sa personne sur terre la gloire céleste (bien que voilée par son humanité mortelle). Sur terre, Marie avait Jésus qui remplissait son cœur de paradis. Cependant, qui peut nier que Jésus et Marie, se trouvant maintenant près du patriarche mourant et donnant libre cours à leurs sentiments naturels, ont souffert d’avoir à se séparer temporairement de leur fidèle compagnon sur la terre ? Marie ne pouvait pas oublier les sacrifices, les douleurs, les épreuves, que Joseph avait dû subir pour elle lors des pénibles voyages à Bethléem et en Égypte. Il est vrai qu’en étant continuellement en sa compagnie, Joseph était dédommagé de ce qu’il avait souffert, mais si c’était une source de réconfort pour lui, ce n’était pas une raison qui dispensait le cœur tendre de Marie d’un sentiment de gratitude. Joseph l’avait servie non seulement avec toute l’affection d’un époux, mais aussi avec toute la fidélité d’un serviteur et l’humilité d’un disciple, vénérant en elle la Reine du ciel, la Mère de Dieu. Or Marie n’avait certainement pas oublié tant de signes de vénération, d’obéissance et d’estime, et elle ne pouvait manquer d’éprouver pour Joseph une profonde et exceptionnelle reconnaissance.
            Quant à Jésus, il n’était certainement inférieur en matière d’amour ni à Joseph ni à Marie, puisqu’il avait décidé dans les décrets de sa divine Providence que Joseph serait son tuteur et son protecteur sur terre. Si cette protection avait coûté à Joseph tant de souffrances et de labeurs, Jésus a dû garder lui aussi dans son cœur très aimant un extrême souvenir reconnaissant. En contemplant ces bras sans force disposés en croix sur sa poitrine fatiguée, il se rappelait combien de fois ils s’étaient ouverts pour le serrer contre sa poitrine lorsqu’il gémissait à Bethléem, combien ils avaient peiné pour le porter en Égypte, combien ils s’étaient épuisés au travail pour lui procurer le pain de la vie. Combien de fois ces lèvres s’étaient approchées avec respect pour lui imprimer des baisers affectueux ou pour réchauffer ses membres engourdis en hiver. Et ces yeux, qui étaient alors sur le point de se fermer à la lumière du jour, combien de fois ils s’étaient ouverts pour pleurer, pour partager ses souffrances et celles de Marie, lorsqu’elle avait dû contempler sa fuite en Égypte, mais surtout lorsqu’elle avait pleuré sa perte pendant trois jours à Jérusalem. Ces preuves d’amour indéfectible n’ont certainement pas été oubliées par Jésus durant ces derniers moments de la vie de Joseph. Alors j’imagine qu’en répandant un air de paradis sur les dernières heures de la vie de Joseph, Marie et Jésus auront aussi honoré de leurs larmes les plus pures ce dernier adieu solennel, comme le fit Jésus sur la tombe de son ami Lazare. Oui vraiment, Joseph avait le paradis devant les yeux ! Il tournait son regard d’un côté et voyait le visage de Marie ; il serrait ses mains très saintes dans les siennes, recevait ses derniers soins, et entendait ses paroles de consolation. Il tournait les yeux de l’autre côté et rencontrait le regard majestueux et tout-puissant de Jésus, et sentait ses mains divines lui soutenir la tête, essuyer ses sueurs, et il recueillait de ses lèvres réconfort, remerciements, bénédictions et promesses. Et il me semble que Marie disait : « Joseph, tu nous quittes ; tu as terminé le pèlerinage de l’exil, tu me précèderas dans ta paix, descendant le premier dans le sein de notre père Abraham. Oh ! Joseph, combien je te suis reconnaissante de la douce compagnie que tu m’as tenue, des bons exemples que tu m’as donnés, du soin que tu as pris de moi et de mes affaires, des douleurs les plus vives que tu as endurées pour moi ! Oh ! tu me quittes, mais tu vivras toujours dans ma mémoire et dans mon cœur ! Prends courage, Joseph, quoniam appropinquat redemptio nostra. » Et il me semble que Jésus disait : « Mon Joseph, tu meurs, mais moi aussi je mourrai, et si je meurs, tu dois estimer la mort et l’aimer comme une récompense. Il est court, Joseph, le temps des ténèbres et de l’attente. Va auprès d’Abraham et d’Isaac, qui désiraient ardemment me voir et n’en furent pas dignes ; dis-leur, à eux qui ont attendu si longtemps ma venue dans ces ténèbres, et annonce-leur la délivrance à venir ; dis-le à Noé, à Joseph, à David, à Judith, à Jérémie, à Ezéchiel, à tous ces Pères qui doivent attendre encore trois ans, jusqu’à ce que l’Hostie et le Sacrifice soient consommés et l’iniquité du monde anéantie. En attendant, après ce court laps de temps, tu seras ranimé, glorieux et beau, et avec moi, tu t’élèveras plus glorieux et plus beau dans l’ivresse du triomphe. Réjouis-toi, cher gardien de ma vie, tu as été bon et généreux avec moi, mais personne ne peut me vaincre en reconnaissance. » La sainte Église exprime les derniers soins affectueux de Jésus et de Marie envers saint Joseph en ces termes : « Cuius extremas vigiles ad horas Christus et Mater simul astiterunt ore sereno. » À la dernière heure de saint Joseph, le Christ et Marie l’ont assisté et veillé avec amour, le visage serein.

(suite)




Vie de saint Joseph, époux de Marie, père adoptif de Jésus-Christ (1/3)

Saint Joseph est le patron de l’Église et aussi le co-patron de la congrégation salésienne. Dès le début, Don Bosco a voulu l’associer comme protecteur de l’œuvre naissante en faveur des jeunes. Sûr de sa puissante intercession, il voulut répandre son culte et écrivit à cet effet une biographie destinée à l’enseignement plus qu’à la méditation. Nous voulons la présenter ici comme suit.

Préface

            À une époque où se répand partout la dévotion au glorieux père adoptif de Jésus, saint Joseph, nous pensons que nos lecteurs sauront apprécier un fascicule sur la vie de ce saint.
            Les difficultés rencontrées pour trouver les faits particuliers de la vie de ce saint dans les écrits anciens ne devraient pas diminuer le moins du monde notre estime et notre vénération pour lui. Au contraire, dans le silence plein de vénération qui entoure sa personne, nous trouvons quelque chose de mystérieux et de grand. Saint Joseph avait reçu de Dieu une mission tout à fait opposée à celle des apôtres (Bossuet). Ces derniers devaient faire connaître Jésus ; Joseph devait le tenir caché ; ils devaient être des flambeaux qui le montraient au monde, celui-ci un voile qui le recouvrait. Joseph n’existait pas pour lui-même, mais pour Jésus-Christ.
            Conformément aux plans de la divine Providence, saint Joseph se tint dans l’obscurité, ne se montrant que lorsqu’il était nécessaire d’authentifier la légitimité de son mariage avec Marie, et pour écarter tout soupçon sur celle de Jésus. Mais si nous ne pouvons pas pénétrer dans le sanctuaire du cœur de Joseph et admirer les merveilles que Dieu y a opérées, nous affirmons cependant que pour la gloire de son divin protégé, et pour la gloire de son épouse céleste, Joseph devait réunir dans sa personne une grande quantité de grâces et de dons célestes.
            Puisque la véritable perfection chrétienne consiste à paraître grand devant Dieu dans la mesure où on est le plus petit devant les hommes, saint Joseph, qui a passé sa vie dans l’obscurité la plus humble, est en mesure de fournir le modèle de ces vertus qui sont comme la fleur de la sainteté, la sainteté intérieure. Ce que David a écrit de l’épouse sacrée peut très bien s’appliquer à saint Joseph : Omnis gloria eius filiae Regis ab intus (Ps 44).
            Saint Joseph est universellement reconnu et invoqué comme le protecteur des mourants, et cela pour trois raisons : 1° à cause de la puissance de son amour sur le Cœur de Jésus, juge des vivants et des morts et son fils adoptif ; 2° à cause du pouvoir extraordinaire que Jésus-Christ lui a conféré pour vaincre les démons qui assaillent les mourants, et cela en récompense du fait que le saint l’avait autrefois sauvé des pièges d’Hérode ; 3° à cause de l’honneur sublime pour Joseph d’avoir été assisté à l’approche de la mort par Jésus et par Marie. Quelle autre raison importante aurons-nous pour être enflammés de dévotion envers lui ?
            Désireux de fournir à nos lecteurs les principaux traits de la vie de saint Joseph, nous avons cherché parmi les ouvrages déjà publiés ceux qui pouvaient servir à cette fin. Beaucoup d’entre eux ont été publiés il y a quelques années, mais ils ne convenaient pas à notre propos, soit parce que trop volumineux ou écrits dans un style sublime loin du style populaire, soit parce qu’ils manquaient de données historiques et étaient écrits dans le but de servir à la méditation plutôt qu’à l’instruction. Nous avons donc rassemblé ici les principales informations sur la vie de ce saint à partir de l’Évangile et de quelques-uns des auteurs les plus accrédités, en y ajoutant quelques réflexions des saints Pères.
            Nous espérons que la véracité du récit, la simplicité du style et l’authenticité des informations rendront profitables nos humbles efforts. Si la lecture de ce livret sert à procurer au chaste époux de Marie ne serait-ce qu’un dévot de plus, nous serons déjà abondamment satisfaits.

Chap. I. Naissance de saint Joseph. Son lieu d’origine.
Ioseph, autem, cum esset iustus. (S. Joseph était un homme juste – Mt. 1,19).

            À environ deux lieues [9,7 km] de Jérusalem, au sommet d’une colline dont le sol rougeâtre est parsemé d’oliviers, se trouve une petite ville célèbre à jamais à cause de la naissance de l’enfant Jésus : la ville de Bethléem, d’où la famille de David a tiré son origine. C’est dans cette petite ville que naquit, vers l’an 3950, celui qui, dans les nobles desseins de Dieu, devait devenir le gardien de la virginité de Marie et le père adoptif du Sauveur des hommes.
            Ses parents lui donnèrent le nom de Joseph, qui signifie augmentation, comme pour nous faire comprendre que Dieu avait augmenté en lui ses dons et l’avait abondamment rempli de toutes les vertus dès sa naissance.
            Deux évangélistes ont transmis la généalogie de Joseph. Son père s’appelait Jacob selon saint Matthieu (Mt 1,16), et selon saint Luc il s’appelait Éli (Lc 3,23). Mais l’opinion la plus courante et la plus ancienne est celle qui nous a été transmise par Jules l’Africain, qui écrivait à la fin du IIe siècle de l’ère chrétienne. Fidèle à ce que lui ont raconté les proches du Sauveur, il nous dit que Jacob et Éli étaient deux frères, et qu’Éli étant mort sans enfant, Jacob avait épousé sa veuve comme le prescrivait la loi de Moïse, et c’est de ce mariage que naquit Joseph.
            Étant de la lignée royale de David, et descendants de Zorobabel qui ramena le peuple de Dieu de la captivité de Babylone, les parents de Joseph avaient perdu l’ancienne splendeur de leurs ancêtres au plan temporel. Selon la tradition, son père était un pauvre ouvrier qui gagnait sa subsistance quotidienne à la sueur de son front. Mais Dieu, qui ne regarde pas la gloire qui reluit aux yeux des hommes, mais le mérite de la vertu à ses propres yeux, le choisit pour être le gardien du Verbe descendu sur la terre. D’ailleurs, le métier d’artisan, qui en soi n’a rien d’abject, était en grand honneur au sein du peuple d’Israël. En effet, tout Israélite était artisan, car tout père de famille, quelles que fussent sa fortune et la hauteur de son rang, était tenu de faire apprendre un métier à son fils, à moins, disait la loi, qu’il ne veuille en faire un voleur.
            Nous savons peu de choses sur l’enfance et la jeunesse de Joseph. De même que l’Indien, pour trouver l’or qui fera sa fortune, est obligé de laver le sable de la rivière pour en extraire le précieux métal qui ne se trouve qu’en très petites particules, de même nous sommes obligés de chercher dans l’Évangile les quelques mots que l’Esprit Saint a laissés épars ici et là à propos de Joseph. Mais de même que l’Indien en lavant son or lui donne toute sa splendeur, de même en réfléchissant aux paroles de l’Évangile, nous y trouvons le plus bel éloge que l’on puisse faire d’une créature. Le livre saint se contente de nous dire que Joseph était un homme juste. Ô mot admirable qui, à lui seul, exprime bien plus que de nombreux discours ! Joseph était un homme juste, et c’est grâce à cette justice qu’il devait être jugé digne du sublime ministère de père adoptif de Jésus.
            Ses pieux parents prirent soin de l’éduquer dans la pratique austère des devoirs de la religion juive. Sachant combien l’éducation première influe sur l’avenir des enfants, ils s’efforcèrent de lui faire aimer et pratiquer la vertu dès que sa jeune intelligence fut capable de l’apprécier. D’ailleurs, s’il est vrai que la beauté morale se reflète même extérieurement, il suffisait de jeter un coup d’œil sur la chère personne de Joseph pour lire sur ses traits la candeur de son âme. Selon des auteurs faisant autorité, son visage, son front, ses yeux, tout son corps respirait la plus gracieuse pureté et le faisait ressembler à un ange descendu sur la terre.

(« Il y avait en Joseph une modestie sublime, une pudeur, une prudence suprême, il excellait dans la piété envers Dieu et son corpsbrillait d’une merveilleuse beauté. » Eusèbe de Césarée, lib. 7 De praep. Evang. apud Engelgr. in Serm. s. Joseph).

Chap. II. La jeunesse de Joseph – Le déménagement à Jérusalem – Le vœu de chasteté.
Bonum est viro cum portaverit iugum ab adolescentia sua. (Il est bon pour un homme d’avoir porté le joug dès son adolescence. – Lam 3,27)

            Dès que ses forces le lui permirent, Joseph aida son père dans son travail. Il apprit le métier de menuisier, qui, selon la tradition, était aussi celui de son père. Que d’application, que de docilité il devait mettre en œuvre dans toutes les leçons qu’il recevait de son père !
            Son apprentissage se termina précisément au moment où Dieu permit que la mort lui enlève ses parents. Il pleura ceux qui avaient pris soin de son enfance ; mais il supporta cette dure épreuve avec la résignation d’un homme qui sait que tout ne finit pas avec cette vie mortelle et que les justes sont récompensés dans un monde meilleur. Maintenant qu’il n’était plus du tout retenu à Bethléem, il vendit sa petite propriété, et alla s’installer à Jérusalem. Il espérait y trouver plus de travail que dans sa ville natale. D’autre part, il se rapprochait du temple où sa piété l’attirait continuellement.
            C’est là que Joseph passa les meilleures années de sa vie entre le travail et la prière. Doué d’une parfaite probité, il ne cherchait pas à gagner plus que son travail ne le méritait, il fixait lui-même le prix avec une admirable bonne foi, et ses clients n’étaient jamais tentés de lui rabattre quelque prix que ce soit, car ils connaissaient son honnêteté. Bien que tout entier à son travail, il ne laissait jamais ses pensées s’éloigner de Dieu. Ah ! si l’on pouvait apprendre de Joseph cet art précieux de travailler et de prier en même temps, on ferait sans faute un double profit : on s’assurerait ainsi la vie éternelle en gagnant son pain quotidien avec beaucoup plus de satisfaction et de profit !
            Selon les traditions les plus respectables, Joseph appartenait à la secte des Esséniens, une secte religieuse qui existait en Judée à l’époque de sa conquête par les Romains. Les Esséniens professaient une austérité plus grande que celle des autres juifs. Leurs principales occupations étaient l’étude de la loi divine et la pratique du travail et de la charité, et en général, ils étaient admirés pour la sainteté de leur vie. Joseph, dont l’âme pure abhorrait la plus légère impureté, avait rejoint une classe du peuple dont les règles correspondaient si bien aux aspirations de son cœur ; il avait même, comme le dit le vénérable Bède, fait un vœu formel de chasteté perpétuelle. Et ce qui nous confirme dans cette croyance, c’est l’affirmation de saint Jérôme, qui nous dit que Joseph ne s’était jamais soucié du mariage avant de devenir l’époux de Marie.
            Par cette voie obscure et cachée, Joseph se préparait, à son insu, à la sublime mission que Dieu lui avait réservée. Sans autre ambition que d’accomplir fidèlement la volonté divine, il vivait loin des bruits du monde, partageant son temps entre le travail et la prière. Telle avait été sa jeunesse, tel aussi était son désir de passer sa vieillesse. Mais Dieu, qui aime les humbles, avait d’autres projets pour son fidèle serviteur.

Chap. III. Le mariage de saint Joseph.
Faciamus ei adiutorium simile sibi. (Faisons à l’homme une aide semblable à lui – Gen. 2,18).

            Joseph entrait dans sa cinquantième année lorsque Dieu l’arracha à l’existence paisible qu’il menait à Jérusalem. Il y avait dans le temple une jeune Vierge consacrée au Seigneur par ses parents depuis son enfance.
            De la lignée de David, elle était la fille des deux saints vieillards Joachim et Anne, et elle s’appelait Marie. Son père et sa mère étaient morts depuis de nombreuses années, et la charge de son éducation fut entièrement laissée aux prêtres d’Israël. Lorsqu’elle eut atteint l’âge de quatorze ans, âge fixé par la loi pour le mariage des jeunes filles, le grand-prêtre prit soin de procurer à Marie un époux digne de sa naissance et de sa haute vertu. Mais un obstacle se présentait : Marie avait fait au Seigneur le vœu de virginité.
            Elle répondit respectueusement que puisqu’elle avait fait le vœu de virginité, elle ne pouvait pas rompre ses promesses pour se marier. Cette réponse perturba fortement les plans du grand-prêtre.
            Ne sachant comment concilier le respect dû aux vœux faits à Dieu et la coutume mosaïque qui imposait le mariage à toutes les jeunes filles d’Israël, il réunit les anciens et consulta le Seigneur au pied du tabernacle de l’alliance. Ayant reçu les inspirations du Ciel et convaincu que quelque chose d’extraordinaire se cachait dans cette affaire, le grand-prêtre résolut de convoquer les nombreux parents de Marie, afin de choisir parmi eux celui qui devait être l’heureux époux de la Vierge bénie.
            Tous les membres non mariés de la famille de David furent donc convoqués au temple. Joseph, bien que plus âgé, était avec eux. Le grand-prêtre leur ayant annoncé qu’il s’agissait de tirer au sort un époux pour Marie, et que le choix serait fait par le Seigneur, ordonna que tous se présentent le lendemain au saint temple avec un rameau d’amandier. Le rameau serait déposé sur l’autel, et celui dont le rameau aurait fleuri serait le favori du Très-Haut pour être l’époux de la Vierge.
            Le lendemain, un grand groupe de jeunes gens se rendit au temple, chacun avec son rameau d’amandier, et Joseph avec eux. Mais celui-ci, par esprit d’humilité ou à cause du vœu de virginité qu’il avait fait, cacha son rameau sous son manteau au lieu de le présenter. Tous les autres rameaux furent placés sur la table, les jeunes gens sortirent le cœur plein d’espoir, et Joseph avec eux, silencieux et recueilli. Le temple fut fermé et le grand prêtre remit la rencontre au lendemain. Dès que le soleil fut levé, les jeunes étaient impatients de connaître leur sort.
            Lorsque l’heure fixée arriva, les portes sacrées s’ouvrirent et le pontife apparut. Tous se pressèrent pour voir le résultat. Aucun rameau n’avait fleuri.
            Le grand-prêtre se prosterna la face contre terre devant le Seigneur, et l’interrogea sur sa volonté, et si le signe promis n’était pas apparu dans les rameaux par manque de foi, ou parce qu’il n’avait pas compris sa voix. Et Dieu lui répondit que le signe promis ne s’était pas réalisé parce que parmi ces tendres rameaux, il manquait celui de l’élu du Ciel ; qu’il cherche et il verra le signe s’accomplir. Sans tarder on se mit à la recherche de celui qui avait soustrait son rameau.
            Le silence et la rougeur pudique apparue sur les joues de Joseph trahirent rapidement son secret. Conduit devant le saint pontife, il avoua la vérité : mais le prêtre entrevit le mystère et, prenant Joseph à part, lui demanda pourquoi il avait désobéi.
            Joseph répondit humblement qu’il avait depuis longtemps l’intention d’éloigner de lui ce danger, qu’il avait depuis longtemps résolu dans son cœur de n’épouser aucune jeune fille, qu’il lui semblait que Dieu lui-même l’avait conforté dans cette intention, et qu’il était lui-même trop indigne d’une jeune fille aussi sainte que Marie ; c’est pourquoi elle devait être accordée à un autre, plus saint et plus riche que lui.
            Le prêtre commença alors à admirer le projet divin, et il dit sans plus à Joseph : « Prends courage, mon fils, dépose ton rameau comme les autres et attends le jugement de Dieu. S’il te choisit, tu trouveras en Marie tant de sainteté et de perfection supérieure à celle de toutes les autres jeunes filles que tu n’auras pas besoin de la prier pour la persuader de ton dessein. Au contraire, elle te priera elle-même pour obtenir ce que tu veux, et t’appellera frère, gardien, témoin, époux, mais jamais mari.
            Rassuré sur la volonté du Seigneur par les paroles du souverain pontife, Joseph déposa son rameau avec les autres et se retira dans la prière.
            Le lendemain, l’assemblée se réunit à nouveau autour du Grand-Prêtre, et voici que sur le rameau de Joseph étaient écloses des fleurs blanches et épaisses, avec des feuilles douces et tendres.
            Le grand-prêtre montra le tout aux jeunes gens assemblés et leur annonça que Dieu avait choisi pour époux de Marie, fille de Joachim, Joseph, fils de Jacob, tous deux de la maison et de la famille de David. En même temps, on entendit une voix qui disait : « Joseph, mon fidèle serviteur, c’est à toi qu’est réservé l’honneur d’épouser Marie, la plus pure de toutes les créatures ; conforme-toi à tout ce qu’elle te dira. »
            Joseph et Marie, reconnaissant la voix du Saint-Esprit, acceptèrent cette décision et consentirent à un mariage qui ne devait pas porter atteinte à leur virginité.
            Selon saint Jérôme, le mariage fut célébré le jour même dans la plus grande simplicité.

Une tradition de l’Histoire du Carmel nous apprend que, parmi les jeunes rassemblés à cette occasion, se trouvait un beau jeune homme plein de vie qui aspirait ardemment à la main de Marie. Lorsqu’il vit le rameau de Joseph s’épanouir et ses espoirs s’évanouir, il resta stupéfait et sans parole. Mais dans ce tumulte de sentiments, le Saint-Esprit descendit en lui et changea soudain son cœur. Il leva le visage, secoua la branche inutile et avec un feu inhabituel :  » Moi, dit-il, je n’étais pas pour elle. Elle n’était pas pour moi. Et je ne serai jamais d’un autre. Je serai à Dieu. » Il cassa la branche et la jeta loin de lui, en disant : « Emporte avec toi toute pensée de mariage. Au Carmel, au Carmel avec les fils d’Élie ! Là, j’aurai la paix qui, à présent, me serait impossible dans la ville. Cela dit, il se rendit au Carmel et demanda à être accepté parmi les fils des prophètes. Il fut accepté, y progressa rapidement en esprit et en vertu, et devint prophète. Il est cet Agabus qui a prédit à l’apôtre saint Paul des chaînes et un emprisonnement. Le premier de tous, il fonda un sanctuaire en l’honneur de Marie sur le mont Carmel. La sainte Église célèbre avec joie sa mémoire et les fils du Carmel le considèrent comme leur frère.

            Joseph prit l’humble Vierge par la main et se présenta devant les prêtres, accompagné de quelques témoins. Le modeste artisan offrit à Marie un anneau d’or, orné d’une améthyste, symbole de fidélité virginale, et lui adressa en même temps ces paroles sacramentelles : « Si tu consens à devenir mon épouse, accepte ce gage. » En l’acceptant, Marie fut solennellement liée à Joseph, même si les cérémonies du mariage n’avaient pas encore été célébrées.
            Cet anneau offert par Joseph à Marie est conservé à Pérouse, en Italie. C’est à cette ville qu’après de nombreuses vicissitudes et controverses, la relique fut définitivement accordée   par le pape Innocent VIII en 1486.

Chap. IV. Joseph retourne à Nazareth avec son épouse.
Erant cor unum et anima una. (Ils n’avaient qu’un cœur et qu’une âme – Actes 4,32).

            Après avoir célébré le mariage, Marie retourna à Nazareth, sa ville natale, avec sept vierges que le grand prêtre lui avait accordées comme compagnes.
            Elle devait attendre dans la prière la cérémonie du mariage, et constituer son modeste trousseau de noces. Saint Joseph resta à Jérusalem pour préparer son habitation et tout organiser pour la célébration du mariage.
            Après quelques mois, les cérémonies qui devaient suivre les épousailles furent célébrées selon les coutumes de la nation juive. Bien qu’ils fussent tous deux pauvres, Joseph et Marie donnèrent à cette célébration autant de faste que leurs faibles moyens le leur permettaient. Marie quitta ensuite sa maison de Nazareth et vint vivre avec son époux à Jérusalem, où les célébrations devaient avoir lieu.
            Une ancienne tradition raconte que Marie arriva à Jérusalem par une froide soirée d’hiver et que la lune brillait de ses rayons argentés au-dessus de la ville.
            Joseph se rendit à la rencontre de sa jeune compagne aux portes de la ville sainte, suivi d’un long cortège de parents et amis, chacun tenant dans sa main une torche. Le cortège nuptial conduisit le couple jusqu’à la maison de Joseph, où le repas de noces avait été préparé par ses soins.
            En entrant dans la salle du banquet et pendant que les invités prenaient place à table, le patriarche s’approcha de la sainte Vierge : « Tu seras comme ma mère, lui dit-il, et je te respecterai comme l’autel même du Dieu vivant. » Désormais, dit un auteur érudit, ils n’étaient plus, aux yeux de la loi religieuse, que frère et sœur dans le mariage, bien que leur union ait été intégralement conservée. Joseph ne resta pas longtemps à Jérusalem après les cérémonies du mariage ; les deux saints époux quittèrent la ville sainte pour se rendre à Nazareth, dans la modeste maison que Marie avait héritée de ses parents.
            Nazareth, dont le nom hébreu signifie fleur des champs, est une belle petite ville, pittoresquement perchée sur le versant d’une colline au fond de la vallée d’Esdrelon. C’est donc dans cette agréable ville que Joseph et Marie sont venus élire domicile.
            La maison de la Vierge se composait de deux pièces principales, dont l’une servait d’atelier à Joseph, et l’autre était destinée à Marie. L’atelier, où travaillait Joseph, consistait en une pièce basse de dix ou douze pieds de large sur autant de pieds de long. On y voyait les outils nécessaires à sa profession soigneusement rangés. Quant au bois dont il avait besoin, une partie restait dans l’atelier et l’autre à l’extérieur, le climat permettant au saint ouvrier de travailler en plein air une grande partie de l’année.
            À l’avant de la maison se trouvait, conformément à la coutume orientale, un banc de pierre ombragé par des nattes de palmier, où le voyageur pouvait reposer ses membres fatigués et s’abriter des rayons brûlants du soleil.
            La vie que menaient ces époux privilégiés était très simple. Marie veillait à la propreté de sa pauvre demeure, confectionnait ses vêtements de ses propres mains et réparait ceux de son mari. Quant à Joseph, il fabriquait tantôt une table pour les besoins de la maison, ou des chariots, ou des jougs pour les voisins dont il avait reçu la commande ; parfois, il allait dans la montagne et de son bras encore vigoureux, il coupait les grands sycomores et les térébinthes noirs qui devaient servir à la construction des cabanes qu’il érigeait dans la vallée.
            Toujours assidu au travail, il rentrait à la maison souvent quand le soleil était couché pour prendre le petit repas du soir que sa jeune et vertueuse compagne lui préparait sans attendre. Elle lui essuyait elle-même son front trempé de sueur, lui présentait l’eau tiède qu’elle avait fait chauffer pour lui laver les pieds, et lui servait le frugal souper qui devait lui redonner des forces. Celui-ci se composait essentiellement de petits pains d’orge, de produits laitiers, de fruits et de quelques légumes secs. Puis, à la tombée de la nuit, un sommeil réparateur préparait notre saint patriarche à reprendre le lendemain ses occupations journalières. Cette vie, laborieuse et douce à la fois, durait depuis deux mois environ, quand arriva l’heure marquée par la Providence pour l’incarnation du Verbe de Dieu.

Chap. V. L’Annonciation à Marie
Ecce ancilla Domini; fiat mihi secundum verbum tuum. (Voici la servante du Seigneur ; qu’il me soit fait selon ta parole. – Lc 1,38)

            Un jour, Joseph était parti travailler dans un village voisin. Marie était seule dans la maison et, selon sa coutume, priait tout en s’occupant à filer du lin. Soudain, un ange du Seigneur, l’archange Gabriel, descendit dans la pauvre maison tout resplendissant des rayons de la gloire céleste, et salua l’humble Vierge en lui disant : « Je te salue, pleine de grâce ; le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre toutes les femmes. » Cet éloge inattendu produisit un profond trouble dans l’âme de Marie. Pour la rassurer, l’Ange dit : « Ne crains pas, Marie, car tu as trouvé grâce aux yeux de Dieu. Voici que tu concevras et enfanteras un fils, dont le nom sera Jésus. Il sera grand et on l’appellera le Fils du Très-Haut. Le Seigneur lui donnera le trône de David, son père ; il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin. » « Comment cela sera-t-il possible, demanda l’humble Vierge, car je ne connais pas d’homme ? »
            Elle ne pouvait pas concilier sa promesse de virginité avec le titre de Mère de Dieu. Mais l’Ange lui répondit : « L’Esprit Saint descendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre ; le fruit saint qui naîtra de toi sera appelé fils de Dieu. » Et pour donner une preuve de la toute-puissance de Dieu, l’archange Gabriel ajouta : « Voici qu’Élisabeth, ta cousine, a conçu un fils dans sa vieillesse, et celle qui était stérile est déjà au sixième mois de sa grossesse. Car rien n’est impossible à Dieu. »
            À ces paroles divines, l’humble Marie ne trouva plus rien à dire : « Voici la servante du Seigneur, répondit-elle à l’Ange, qu’il me soit fait selon ta parole. » L’Ange disparut ; le mystère des mystères était accompli. Le Verbe de Dieu s’était incarné pour le salut de l’humanité.
            Vers le soir, lorsque Joseph revint à l’heure habituelle, ayant terminé son travail, Marie ne lui dit rien du miracle dont elle avait été l’objet.
            Elle se contenta de lui annoncer la grossesse de sa cousine Élisabeth : et comme elle souhaitait lui rendre visite, en épouse soumise, elle demanda à Joseph la permission d’entreprendre le voyage, qui était effectivement long et fatigant. Il n’avait rien à lui refuser et elle partit en compagnie de quelques proches. Il faut croire que Joseph ne pouvait pas l’accompagner chez sa cousine, car il avait ses occupations à Nazareth.

Chap. VI. L’inquiétude de Joseph – Il est rassuré par un Ange.
Ioseph, fili David, noli timere accipere Mariam coniugem tuam, quod enim in ea natum est, de Spiritu Sancto est. (Joseph, fils de David, ne crains pas de recevoir Marie ton épouse, car ce qui est conçu en elle l’est par l’Esprit Saint. – Mt 1,20)

            Sainte Élisabeth vivait dans les montagnes de Judée, dans une petite ville appelée Hébron, à soixante-dix milles [113 km] de Nazareth. Nous ne suivrons pas Marie dans son voyage ; il nous suffit de savoir qu’elle est restée environ trois mois chez sa cousine.
            Mais le retour de Marie prépara à Joseph une épreuve qui devait être le prélude à beaucoup d’autres. Il ne tarda pas à se rendre compte que Marie était enceinte et il fut tourmenté par des angoisses mortelles. La loi l’autorisait à accuser son épouse devant les prêtres et à la couvrir d’un déshonneur éternel ; mais une telle démarche répugnait à la bonté de son cœur et à la haute estime dans laquelle il avait tenu Marie jusqu’alors. Dans cette incertitude, il résolut de l’abandonner et de s’expatrier afin de rejeter sur lui seul toute la honte d’une telle séparation. En effet, il avait déjà fait ses préparatifs de départ, lorsqu’un ange descendit du Ciel pour le rassurer :
            « Joseph, fils de David, lui dit le messager céleste, ne crains pas de recevoir Marie pour compagne, car ce qui est conçu en elle l’est par le Saint-Esprit. Elle enfantera un fils que tu nommeras Jésus, car il délivrera son peuple de ses péchés. »
            Désormais Joseph, complètement rassuré, conçut la plus haute vénération pour sa chaste épouse ; il voyait en elle le tabernacle vivant du Très-Haut, et ses soins n’en étaient que plus tendres et plus respectueux.

Chap. VII. Édit de César Auguste. – Le recensement. – Voyage de Marie et Joseph à Bethléem.
Tamquam aurum in fornace probavit electos Dominus. (Dieu a éprouvé les élus comme l’or dans le creuset. – Sag. 3,6)

            Le temps approchait où le Messie promis aux nations devait enfin apparaître dans le monde. L’Empire romain avait alors atteint l’apogée de sa grandeur.
            En s’emparant du pouvoir suprême, César Auguste réalisa cette unité qui devait servir dans les desseins de la Providence à la propagation de l’Évangile. Sous son règne, toutes les guerres avaient cessé et le temple de Janus était fermé (il était d’usage à Rome à cette époque de garder le temple de Janus ouvert en temps de guerre et de le fermer en temps de paix). Dans son orgueil, l’empereur romain voulait connaître le nombre de ses sujets, et pour cela, il ordonna un recensement général dans tout l’empire.
            Chaque citoyen devait se faire inscrire avec toute sa famille dans sa ville natale. Joseph dut donc quitter sa pauvre maison pour obéir aux ordres de l’empereur ; et comme il était de la lignée de David, et que cette illustre famille venait de Bethléem, il dut s’y rendre pour se faire inscrire.
            C’est par un matin triste et brumeux du mois de décembre de l’an 752 de Rome que Joseph et Marie quittèrent leur pauvre habitation de Nazareth pour se rendre à Bethléem, où les appelait l’obéissance due aux ordres du souverain. Leurs préparatifs de départ ne furent pas longs. Joseph mit quelques vêtements dans un sac, prépara la bonne bête qui devait porter Marie, qui en était déjà au neuvième mois de sa grossesse, et s’enveloppa dans son grand manteau. Puis les deux saints voyageurs quittèrent Nazareth accompagnés des bons vœux de leurs parents et amis. Le saint patriarche, tenant d’une main son bâton de voyage, tenait de l’autre la bride de la jument sur laquelle son épouse était assise.
            Après quatre ou cinq jours de marche, ils aperçurent Bethléem de loin. Le jour commençait à se lever lorsqu’ils entrèrent dans la ville. La monture de Marie était fatiguée ; Marie, en outre, avait grand besoin de se reposer. Joseph se mit donc rapidement en quête d’un gîte. Il parcourut toutes les auberges de Bethléem, mais ses démarches furent inutiles. Le recensement général y avait attiré une foule extraordinaire et toutes les auberges débordaient d’étrangers. C’est en vain que Joseph alla de porte en porte demander un abri pour son épouse épuisée, mais les portes restèrent fermées.

Chap. VIII. Marie et Joseph se réfugient dans une pauvre grotte. – Naissance du Sauveur du monde. – Jésus adoré par les bergers.
Et Verbum caro factum est. (Et le Verbe s’est fait chair. – Jn 1,14)

            Quelque peu découragés par l’absence de toute hospitalité, Joseph et Marie quittèrent Bethléem dans l’espoir de trouver à la campagne l’asile que la ville leur avait refusé. Ils arrivèrent à une grotte abandonnée, qui offrait un abri aux bergers et à leurs troupeaux pendant la nuit et les jours de mauvais temps. Un peu de paille jonchait le sol, et un creux dans la roche servait également de banc pour se reposer et de mangeoire pour les animaux. Les deux voyageurs entrèrent dans la grotte afin de se reposer des fatigues du voyage et de réchauffer leurs membres engourdis par le froid de l’hiver. Dans cet abri misérable, loin du regard des hommes, Marie donnait au monde le Messie promis à nos premiers parents. Il était minuit. Joseph adora le divin enfant, l’enveloppa de langes et le déposa dans la mangeoire. Il était le premier des hommes à qui revenait l’honneur incomparable d’offrir l’hommage à ce Dieu qui était descendu sur terre pour racheter les péchés de l’humanité.
            Des bergers surveillaient leurs troupeaux dans la campagne voisine. Un ange du Seigneur leur apparut et leur annonça la bonne nouvelle de la naissance du Sauveur. Au même moment, on entendit des chœurs célestes répéter : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. » Ces hommes simples n’hésitèrent pas à suivre la voix de l’ange : « Allons à Bethléem, se dirent-ils, et voyons ce qui s’est passé. » Et sans plus attendre, ils entrèrent dans la grotte et adorèrent le divin enfant.

(suite)




Les prophéties de Don Bosco et les rois d’Italie

« La famille de ceux qui volent ce qui est à Dieu n’arrive pas à la quatrième génération. »

Il y a quelques jours, est décédé le prétendant au trône d’Italie, Victor Emmanuel de Savoie (né le 12.02.1937 – † 03.02.2024), cinquième descendant du premier roi d’Italie, Victor Emmanuel II de Savoie. Il a été inhumé dans la crypte de la basilique de Superga (Turin), où se trouvent des dizaines d’autres tombes de la Maison de Savoie. Cet événement nous rappelle d’autres rêves de Don Bosco qui se sont pleinement réalisés.

            En novembre 1854, on préparait une loi sur la confiscation des biens ecclésiastiques et la suppression des couvents. Pour être valide, elle devait être sanctionnée par le roi d’Italie, Victor Emmanuel II de Savoie. À la fin de ce mois de novembre, Don Bosco fit deux rêves qui se réalisèrent comme des prophéties concernant le roi et sa famille. Rappelons les faits avec Don Lemoyne.

Don Bosco désirait dissiper un nuage inquiétant qui étendait de plus en plus son ombre sur la Maison royale.
            Une nuit, vers la fin du mois de novembre, il fit un rêve. Il lui sembla qu’il se trouvait à l’emplacement du portique central de l’Oratoire, alors à moitié construit, près de la pompe à eau fixée au mur de la maison Pinardi. Il était entouré de prêtres et de jeunes abbés. Tout à coup, il vit s’avancer au milieu de la cour de récréation un valet de la Cour, dans son uniforme rouge, qui, à pas précipités, arrivait en sa présence et semblait crier :
            – Grande nouvelle !
             – Quelle nouvelle ? lui demanda Don Bosco.
             – Annonce : grandes funérailles à la Cour ! Grandes funérailles à la Cour !
            À cette apparition soudaine, à ce cri, Don Bosco resta stupéfait, et le valet répéta : – Grandes funérailles à la Cour ! – Don Bosco voulut alors lui demander l’explication de cette annonce funeste, mais il avait disparu. Réveillé de son sommeil, Don Bosco était comme hors de lui et, ayant compris le mystère de cette apparition, il prit sa plume et prépara immédiatement une lettre pour Victor Emmanuel, expliquant ce qui lui avait été annoncé et racontant simplement le rêve.
[…]
… ils voulaient savoir ce que Don Bosco avait écrit au Roi, d’autant plus qu’ils savaient ce qu’il pensait de l’usurpation des biens ecclésiastiques. Don Bosco ne les laissa pas dans l’expectative et leur dit ce qu’il avait écrit au roi, afin qu’il ne permette pas la présentation de cette loi néfaste. Il raconta ensuite son rêve et conclut : « Ce rêve m’a rendu presque malade et m’a beaucoup fatigué ». – Il était dans tous ses états et s’exclamait de temps en temps : Qui sait ?… Qui sait ?… Prions !
            Surpris, les abbés commencèrent alors à parler, se demandant les uns aux autres s’ils avaient entendu dire qu’il y avait un grand personnage malade au palais royal ; mais ils étaient tous d’accord pour dire qu’il n’en était rien. Don Bosco appela alors l’abbé Angelo Savio et lui remit la lettre : – Copie, dit-il, et annonce au roi : Grandes funérailles à la Cour ! – Et l’abbé Savio écrivit. Mais le roi, comme Don Bosco l’a appris de ses confidents employés au palais, lut ce papier avec indifférence et n’en tint pas compte.
            Cinq jours s’étaient écoulés depuis ce rêve, et Don Bosco fit de nouveau un rêve durant la nuit. Il pensait être dans sa chambre, à son bureau, en train d’écrire, lorsqu’il entendit le piaffement d’un cheval dans la cour. Soudain, il vit la porte s’ouvrir toute grande et apparaître le valet en livrée rouge, qui entra à moitié dans la chambre et s’écria :
            Annonce : pas de grandes funérailles à la Cour, mais plusieurs grandes funérailles à la Cour ! – Et il répéta ces mots deux fois. Puis il se retira d’un pas rapide et referma la porte derrière lui. Don Bosco voulut savoir, voulut l’interroger, voulut lui demander une explication ; il se leva de table, courut au balcon et vit dans la cour le valet de chambre qui montait à cheval. Il l’appela, lui demanda pourquoi il était venu répéter cette annonce ; mais le valet cria : – Plusieurs grandes funérailles à la Cour ! – et disparut. À l’aube, Don Bosco adressa lui-même une autre lettre au roi, dans laquelle il lui racontait le second rêve et concluait en disant à Sa Majesté « de penser à faire en sorte d’éviter les menaces de châtiments, en le suppliant d’empêcher cette loi à tout prix ».
Le soir, après le dîner, Don Bosco s’exclama au milieu de ses abbés : – Savez-vous que j’ai quelque chose d’encore plus étrange à vous raconter que l’autre jour ? – Et il raconta ce qu’il avait vu pendant la nuit. Alors les abbés, plus étonnés qu’auparavant, se demandèrent ce qu’indiquaient ces annonces de mort ; et l’on peut imaginer combien ils étaient anxieux de voir comment ces prédictions allaient se réaliser.
            À l’abbé Cagliero et à quelques autres il révéla ouvertement qu’il s’agissait de menaces de châtiments que le Seigneur faisait connaître à ceux qui avaient déjà fait le plus de mal et de dégâts à l’Église et qu’il y en avait d’autres qui se préparaient. En ces jours-là, il était très affligé et répétait souvent : « Cette loi apportera de graves malheurs à la maison du Souverain ». – Il disait cela à ses élèves pour les engager à prier pour le roi et à intercéder pour que le Seigneur dans sa miséricorde empêche la dispersion de tant de religieux et la perte de tant de vocations.
            Entre-temps, le roi avait confié ces lettres au marquis Fassati. Celui-ci, après les avoir lues, vint à l’Oratoire et dit à D. Bosco : – Oh ! Est-ce ainsi qu’on met toute la Cour sens dessus dessous ? Le roi fut plus qu’impressionné et troublé ! Il devint même furieux.
            Et Don Bosco lui répondit : – Mais si ce qui a été écrit est vrai ? Je regrette d’avoir causé un tel trouble à mon Souverain; mais enfin, il y va de son bien et de celui de l’Église.
            Les avertissements de Don Bosco ne furent pas écoutés. Le 28 novembre 1854, le ministre des Sceaux Urbano Rattazzi présente aux députés un projet de loi pour la suppression des couvents. Le comte Camillo di Cavour, ministre des Finances, est déterminé à le faire approuver à tout prix. Ces messieurs avaient décidé comme principe incontestable et incontesté qu’en dehors du grand corps civil, il n’y a et ne peut y avoir de société supérieure à lui et indépendante de lui ; que l’État est tout, et que par conséquent aucune entité morale, pas même l’Église catholique, ne peut légalement subsister sans le consentement et la reconnaissance de l’autorité civile. Comme cette autorité ne reconnaissait pas à l’Église universelle la propriété des biens ecclésiastiques, et attribuait cette propriété à chacune des corporations religieuses, on prétendit que celles-ci étaient la création de la souveraineté civile et que leur existence serait modifiée ou éteinte par la volonté du souverain, et que l’État, héritier de toute personnalité civile qui n’aurait pas de succession, deviendrait le propriétaire unique et absolu de tous leurs biens lorsqu’elles auraient été supprimées. Erreur grossière, car si pour quelque motif une Congrégation religieuse cessait d’exister, ces patrimoines ne resteraient pas sans propriétaires, puisqu’ils devaient être dévolus à l’Église de Jésus-Christ, représentée par le Souverain Pontife, quoique les adulateurs de l’État l’aient perfidement nié (MB V, 176-180).

            Le fait qu’il s’agissait d’avertissements du Ciel est également confirmé par une lettre écrite quatre ans plus tôt, le 9 avril 1850, par la mère du Roi, la reine-mère Marie-Thérèse, veuve de Charles-Albert, à son fils, le roi Victor-Emmanuel II de Savoie.

Dieu te dédommagera, il te bénira, mais qui sait combien de châtiments, combien de fléaux Dieu fera tomber sur toi, sur notre famille et sur le pays si tu la sanctionnes [la loi Siccardi sur l’abolition du for ecclésiastique]. Pense à la douleur que tu aurais si le Seigneur te rendait gravement malade ou même s’il t’enlevait ta chère Adèle que tu aimes tant et pour tant de saintes raisons, ou ta Chichina (Clotilde) ou ton Betto (Umberto). Et si tu pouvais voir dans mon cœur combien je suis affligée, angoissée, effrayée par la crainte que tu sanctionnes cette loi à cause des nombreux malheurs qu’elle nous apportera, j’en suis sûre, si elle est faite sans l’autorisation du Saint-Père, peut-être ton cœur, qui est vraiment bon et sensible, et qui a toujours tant aimé sa pauvre maman, se laisserait persuader. (Antonio Monti, Nuova Antologia, 1er janvier 1936, p. 65 ; MB XVII, 898).

            Mais le roi ne tint pas compte de ces avertissements et les conséquences ne se firent pas attendre. Les négociations pour l’approbation se poursuivirent et les prophéties se réalisèrent également :
            – le 12 janvier 1855, la reine-mère Marie-Thérèse mourut à l’âge de 53 ans ;
            – le 20 janvier 1855, la reine Marie-Adélaïde mourut à l’âge de 33 ans ;
            – le 11 février 1855, le prince Ferdinand, frère du roi, mourut à l’âge de 32 ans ;
            – le 17 mai 1855, le fils du roi, le prince Victor-Emmanuel-Léopold-Marie-Eugène, mourut à l’âge de 4 mois.

            Don Bosco continua ses mises en garde, en publiant la charte de fondation d’Hautecombe avec un exposé de toutes les malédictions destinées à ceux qui oseraient détruire ou usurper les biens de l’abbaye. Elles ont été insérées dans ce document par les anciens ducs de Savoie pour protéger ce lieu, où sont enterrés des dizaines d’illustres ancêtres de la Maison de Savoie.
Il poursuivit en publiant en avril 1855, dans ses Letture Cattoliche, une brochure écrite par le baron Nilinse et intitulée : Les biens de l’Église : comment on les vole et quelles sont les conséquences ; avec un bref appendice sur les affaires du Piémont. Sur le frontispice était écrit : Comment ! On ne peut violer la maison d’un particulier, et vous avez l’audace de mettre la main sur la maison du Seigneur ! Saint Ambroise. Cet écrit montrait que les spoliateurs de l’Église et des ordres religieux, mais aussi leurs familles subissaient presque toujours un châtiment, réalisant ainsi le terrible dicton : La famille de celui qui vole ce qui est à Dieu n’arrive pas à la quatrième génération ! (MB V, 233-234).

            Le 29 mai, Victor Emmanuel II signa la loi Rattazzi, qui confisquait les biens ecclésiastiques et supprimait les corporations religieuses, sans tenir compte de ce que Don Bosco avait prédit et des morts qui avaient endeuillé sa famille depuis janvier… sans savoir qu’ainsi il signait aussi le destin de la famille royale.

            En effet, là aussi la prophétie s’est réalisée, comme on le voit :
            – Le roi Victor-Emmanuel II de Savoie (né le 14.03.1820 – † 09.01.1878), a régné du 17.03.1861 – au 09.01.1878, est décédé à peine âgé de 58 ans ;
            – Le roi Humbert I (né le 14.03.1844 – † 29.07.1900), fils du roi Victor-Emmanuel II de Savoie, qui régna du 10.01.1878 – au 29.07.1900, fut tué à Monza à l’âge de 56 ans.
            – Le roi Victor-Emmanuel III (né le 11.11.1869 – † 28.12.1947), petit-fils du roi Victor Emmanuel II de Savoie, qui régna du 30.07.1900 – au 09.05.1946, fut contraint d’abdiquer le 9 mai 1946 et mourut un an plus tard.
            – Le roi Humbert II (né le 15.09.1904 – † 18.03.1983), dernier roi d’Italie, qui régna du 10.05.1946 au 18.06.1946, arrière-petit-fils de Victor Emmanuel II (quatrième génération), fut contraint d’abdiquer après seulement 35 jours de règne, à la suite du référendum institutionnel du 2 juin de la même année. Il mourut le 18 mars 1983 à Genève et fut enterré à l’abbaye d’Hautecombe…

            Certains interprètent ces événements comme de simples coïncidences, car ils ne peuvent nier les faits, mais ceux qui connaissent l’action de Dieu savent que, dans sa miséricorde, il avertit toujours les hommes, d’une manière ou d’une autre, sur les graves conséquences que peuvent avoir certaines décisions de grande importance, affectant le destin du monde et de l’Église.
            Rappelons seulement la fin de la vie du roi Salomon, l’homme le plus sage de la terre :
Lorsque Salomon fut vieux, ses femmes l’attirèrent vers des étrangers, et son cœur ne resta plus entièrement avec le Seigneur son Dieu comme le cœur de David son père.
Salomon suivit Astarté, la déesse des gens de Sidon, et Milcom, l’abomination des Ammonites.
Salomon fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur et ne fut pas fidèle au Seigneur comme l’avait été David, son père.
Salomon construisit un haut lieu en l’honneur de Camos, l’opprobre des Moabites, sur la montagne qui est en face de Jérusalem, et en l’honneur de Milcom, l’opprobre des Ammonites.
Il fit de même pour toutes ses femmes étrangères, qui offraient de l’encens et des sacrifices à leurs dieux.
Le Seigneur s’indigna contre Salomon, parce qu’il avait détourné son cœur du Seigneur, le Dieu d’Israël, qui lui était apparu deux fois et lui avait ordonné de ne pas suivre d’autres dieux, mais Salomon n’avait pas observé ce que le Seigneur lui avait ordonné.
Alors il dit à Salomon : « Parce que tu as agi de la sorte et que tu n’as pas respecté mon alliance ni les décrets que je t’avais donnés, je te priverai de ton royaume et je le remettrai à l’un de tes sujets. (1 Rois 11,4-11).

            Il suffit de lire attentivement l’histoire, qu’elle soit sacrée ou profane…




La sainte Famille de Nazareth

Chaque année, nous célébrons la Sainte Famille de Nazareth le dernier dimanche de l’année.    Mais nous oublions souvent que nous célébrons avec faste les événements les plus pénibles et les plus délicats de cette Famille. Obligée de donner naissance dans une grotte, aussitôt persécutée, contrainte d’émigrer au milieu de tant de dangers dans un pays étranger pour survivre, et ce avec un nouveau-né et sans ressources. Mais tout était un événement de grâce, permis par Dieu le Père, et annoncé dans les Écritures.
Lisons la belle histoire que Don Bosco lui-même racontait aux garçons de son temps.

La triste annonce. – Le massacre des innocents. – La sainte famille part pour l’Égypte.
L’ange du Seigneur dit à Joseph : Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, fuis en Égypte et restes-y jusqu’à ce que je t’avertisse (Matthieu II, 13).
Voix de plainte, de deuil et de gémissement, c’est Rachel qui pleure ses enfants, et elle n’admet pas de consolation à leur sujet, parce qu’ils ne sont plus (Jérémie XXXI, 15).

            La tranquillité de la sainte famille [après la naissance de Jésus] ne devait pas durer longtemps. À peine Joseph était-il retourné à la pauvre maison de Nazareth qu’un ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, fuis en Égypte, et restes-y jusqu’à ce que je t’ordonne de revenir. Car Hérode cherchera l’enfant pour le faire mourir. »
            Et ce n’était que trop vrai. Le cruel Hérode, trompé par les Mages et furieux d’avoir manqué une si belle occasion pour se débarrasser de celui qu’il considérait comme un concurrent au trône, avait conçu le projet infernal de faire massacrer tous les enfants mâles de moins de deux ans. Cet ordre abominable fut exécuté.
            Un grand fleuve de sang coula en Galilée. Alors se réalisa ce que Jérémie avait prédit : « On entend à Rama une voix mêlée de larmes et de lamentations. C’est Rachel qui pleure ses enfants et qui ne veut pas être consolée, car ils ne sont plus ». Ces pauvres innocents, cruellement tués, furent les premiers martyrs de la divinité de Jésus-Christ.
            Joseph avait reconnu la voix de l’Ange ; il ne se permit aucune réflexion sur le départ précipité auquel ils avaient dû se résoudre, et sur les difficultés d’un voyage si long et si dangereux. Il dut regretter de quitter sa pauvre maison pour aller à travers les déserts chercher un asile dans un pays qu’il ne connaissait pas. Sans même attendre le lendemain, dès que l’ange disparut, il se lève et court réveiller Marie. Marie prépare à la hâte une petite provision de vêtements et de vivres qu’ils emportent avec eux. Joseph, quant à lui, prépara l’ânesse et ils quittèrent sans regret leur ville pour obéir à l’ordre de Dieu. Voici donc un pauvre homme âgé qui rend vains les horribles complots du tyran de Galilée ; c’est à lui que Dieu confie la garde de Jésus et de Marie.

Voyage désastreux – Une tradition.
Quand on vous persécutera dans cette ville, fuyez dans une autre (Matthieu X, 23).
            Deux routes se présentaient au voyageur qui voulait se rendre en Égypte par voie terrestre. L’une traversait des déserts peuplés de bêtes féroces, où les chemins étaient inconfortables, longs et peu fréquentés. L’autre traversait un pays peu fréquenté, mais dont les habitants étaient très hostiles aux Juifs. Joseph, qui craignait surtout les hommes dans cette fuite précipitée, choisit le premier de ces deux chemins comme le plus caché.
            Partis de Nazareth à la faveur de la nuit, les voyageurs prudents, obligés de passer d’abord par Jérusalem, prirent pendant quelque temps les sentiers les plus tristes et les plus tortueux. Lorsqu’il fallait traverser une grande route, Joseph laissait Jésus et sa Mère à l’abri d’un rocher, partait en éclaireur, pour s’assurer que la sortie n’était pas gardée par les soldats d’Hérode. Rassuré par cette précaution, il revenait chercher son précieux trésor, et la sainte famille poursuivait sa route entre ravins et collines. De temps en temps, ils faisaient une brève halte au bord d’un ruisseau limpide, et après un repas frugal, ils se reposaient un peu des efforts du voyage. Le soir venu, il était temps de se résigner à dormir à la belle étoile. Joseph se dépouillait de son manteau et en couvrait Jésus et Marie pour les préserver de l’humidité de la nuit. Demain, à l’aube, le pénible voyage reprendra. Les saints voyageurs, après avoir traversé la petite ville d’Anata, se dirigèrent du côté de Ramla pour descendre dans les plaines de Syrie, où ils allaient désormais être libérés des pièges de leurs féroces persécuteurs. Contrairement à leur habitude, ils avaient continué à marcher malgré la tombée de la nuit, afin de se mettre plus vite à l’abri. Joseph allait devant comme pour tâter le sol. Marie, toute tremblante de cette course nocturne, jetait des regards inquiets dans les profondeurs des vallées et les sinuosités des rochers. Tout à coup, à un tournant, une nuée d’hommes armés parut intercepter leur chemin. C’était une bande de scélérats, qui ravageaient la contrée, et dont l’effrayante renommée s’étendait au loin. Joseph avait arrêté la monture de Marie et priait le Seigneur en silence, car toute résistance était impossible. Tout au plus pouvait-on espérer sauver sa vie. Le chef des brigands se détacha de ses compagnons et s’avança vers Joseph pour voir à qui il avait affaire. La vue de ce vieillard sans armes, de ce petit enfant endormi sur le sein de sa mère, toucha le cœur sanguinaire du brigand. Loin de leur vouloir du mal, il tendit la main à Joseph, lui offrant l’hospitalité ainsi qu’à sa famille. Ce chef s’appelait Disma. La tradition raconte que trente ans plus tard, il fut emmené par des soldats et condamné à être crucifié. Il fut mis en croix sur le Calvaire aux côtés de Jésus, et c’est lui que nous connaissons sous le nom du bon larron.


Arrivée en Égypte – Prodiges survenus lors de leur entrée dans ce pays – Village de Matarié – Habitation de la Sainte Famille.
Voici que le Seigneur montera sur une nuée légère et entrera en Égypte, et les idoles de l’Égypte seront perturbées en sa présence  (Isaïe XIX, 1).

            Dès que le jour parut, les fugitifs remercièrent les brigands qui étaient devenus leurs hôtes et reprirent leur voyage plein de dangers. On raconte que Marie, en se mettant en route, dit ces mots au chef de ces brigands : « Ce que tu as fait pour cet enfant, tu en seras un jour amplement récompensé. » Après avoir traversé Bethléem et Gaza, Joseph et Marie descendirent en Syrie et, ayant rencontré une caravane en partance pour l’Égypte, ils se joignirent à elle. À partir de ce moment et jusqu’à la fin de leur voyage, ils ne virent plus devant eux qu’un immense désert de sable, dont l’aridité n’était interrompue qu’à de rares intervalles par quelques oasis, c’est-à-dire quelques étendues de terre fertile et verdoyante. Leurs fatigues redoublèrent pendant cette course à travers ces plaines brûlées par le soleil. La nourriture était rare et l’eau manquait souvent. Combien de nuits Joseph, qui était un homme âgé et pauvre, se trouva-t-il repoussé, lorsqu’il essayait de s’approcher de la source à laquelle la caravane s’était arrêtée pour se désaltérer !
            Enfin, après deux mois d’un voyage très pénible, les voyageurs entrèrent en Égypte. Dès que la sainte Famille toucha cette terre antique, raconte Sozomène, les arbres abaissèrent leurs branches pour adorer le Fils de Dieu, les bêtes féroces y affluèrent en oubliant leurs instincts, et les oiseaux chantèrent en chœur les louanges du Messie. En effet, si l’on en croit certains auteurs dignes de foi, toutes les idoles de la province, reconnaissant le vainqueur du paganisme, tombèrent en morceaux. Ainsi s’accomplit littéralement la parole du prophète Isaïe qui a dit : « Voici que le Seigneur montera sur une nuée et entrera en Égypte, et les idoles de l’Égypte seront perturbées en sa présence. »
            Joseph et Marie, désireux d’arriver rapidement au terme de leur voyage, ne firent que traverser Héliopolis, consacrée au culte du soleil, pour se rendre à Matari où ils comptaient se reposer de leur labeur.
            Matari est un beau village ombragé de sycomores, à deux lieues environ du Caire, la capitale de l’Égypte. C’est là que Joseph avait l’intention de s’installer. Mais ce n’était pas encore la fin de ses ennuis. Il dut chercher à se loger. Les Égyptiens n’étant pas du tout accueillants, la sainte famille dut s’abriter pendant quelques jours dans le tronc d’un grand arbre. Enfin, après de longues recherches, Joseph trouva une misérable habitation, dans laquelle il installa Jésus et Marie.
            Cette maison, que l’on peut encore voir en Égypte, était une sorte de grotte de vingt pieds de long sur quinze de large. Elle n’avait pas non plus de fenêtres ; la lumière devait pénétrer par la porte. Les murs étaient faits d’une sorte d’argile noire et crasseuse, dont la vétusté portait l’empreinte de la misère. À droite, il y avait une petite citerne où Joseph puisait l’eau pour les besoins de la famille.

Douleurs. – Consolation et fin de l’exil.
Je suis avec lui dans la tribulation (Psaume XC, 15).

            Dès qu’il fut entré dans cette nouvelle demeure, Joseph reprit son travail ordinaire. Il commença à meubler sa maison : une petite table, quelques chaises, un banc, tout cela œuvre de ses mains. Puis il va de porte en porte à la recherche d’un travail pour faire vivre sa petite famille. Il a sans doute essuyé de nombreux refus et supporté bien des mépris humiliants ! Il était pauvre et inconnu, et cela a suffi pour qu’on refuse son travail. À son tour, Marie, tout en ayant mille soucis pour son Fils, se donne courageusement au travail, y occupant une partie de la nuit pour compenser les faibles et insuffisants revenus de son époux. Et pourtant, au milieu de ses peines, quelle consolation pour Joseph ! C’est pour Jésus qu’il travaillait, et le pain que mangeait le divin enfant, c’est lui qui l’avait acquis à la sueur de son front. Et puis, quand il rentrait le soir, épuisé et oppressé par la chaleur, Jésus souriait à son arrivée, et le caressait de ses petites mains. Souvent, au prix des privations qu’il s’imposait, Joseph avait pu se procurer quelques économies ; quelle joie il éprouvait alors de pouvoir les utiliser pour adoucir la condition du divin enfant ! Tantôt c’étaient des dattes, tantôt des jouets adaptés à son âge, que le pieux charpentier apportait au Sauveur des hommes. Oh ! comme les émotions du bon vieillard étaient douces alors qu’il contemplait le visage radieux de Jésus ! Quand arrivait le samedi, jour de repos et de consécration au Seigneur, Joseph prenait l’enfant par la main et guidait ses premiers pas avec une sollicitude toute paternelle.
            Entre-temps, le tyran qui régnait sur Israël était mort. Dieu, dont le bras tout-puissant punit toujours les coupables, lui avait envoyé une cruelle maladie, qui le conduisit rapidement au tombeau. Trahi par son propre fils, dévoré vivant par les vers, Hérode était mort, emportant avec lui la haine des Juifs et la malédiction de la postérité.

La nouvelle annonce. – Retour en Judée. – Tradition rapportée par saint Bonaventure.
D’Égypte j’ai rappelé mon fils (Osée XI, 1).

            Il y avait sept ans que Joseph était en Égypte, lorsque l’Ange du Seigneur, messager ordinaire de la volonté du Ciel, lui apparut de nouveau dans son sommeil et lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et retourne dans la terre d’Israël ; car ceux qui cherchaient l’enfant pour le faire mourir ne sont plus ». Toujours prêt à entendre la voix de Dieu, Joseph vendit sa maison et ses meubles, et prépara tout pour le départ. C’est en vain que les Égyptiens, séduits par la bonté de Joseph et la douceur de Marie, firent des instances pour le retenir. C’est en vain qu’ils lui promettaient l’abondance de tout ce qui est nécessaire à la vie. Joseph resta inflexible. Les souvenirs de son enfance, les amis qu’il avait eus en Judée, l’atmosphère pure de sa patrie, parlaient bien plus à son cœur que la beauté de l’Égypte. D’ailleurs, Dieu avait parlé, et il n’en fallait pas plus pour décider Joseph à retourner sur la terre de ses ancêtres.
            Certains historiens pensent que la sainte famille a fait une partie du voyage par la mer, parce que cela leur prenait moins de temps et qu’ils avaient un grand désir de revoir bientôt leur patrie. Dès leur arrivée à Ascalon, Joseph apprit qu’Archélaüs avait succédé à son père Hérode sur le trône. C’était une nouvelle source d’inquiétude pour Joseph. L’ange ne lui avait pas dit dans quelle partie de la Judée il devait s’installer. Devait-il le faire à Jérusalem, en Galilée ou en Samarie ? Joseph, rempli d’angoisse, pria le Seigneur de lui envoyer son messager céleste pendant la nuit. L’ange lui ordonna de fuir Archélaüs et de se retirer en Galilée. Joseph n’eut alors plus rien à craindre et prit tranquillement le chemin de Nazareth, qu’il avait abandonnée sept ans auparavant.
            Que nos pieux lecteurs ne regrettent pas d’entendre le docteur séraphique saint Bonaventure sur ce point d’histoire : « Ils se mirent en route ; Joseph partit le premier avec les hommes, et sa mère vint avec les femmes (qui étaient venues comme amies de la sainte famille pour l’accompagner un bout de chemin). Lorsqu’ils furent sortis de la porte, Joseph retint les hommes, et ne voulut plus les laisser accompagner. Alors l’un de ces hommes de bien, plein de compassion pour leur pauvreté, appela l’Enfant et lui donna un peu d’argent pour ses dépenses. L’Enfant avait honte de les recevoir ; mais, par amour de la pauvreté, il tendit la main, reçut l’argent honteusement et le remercia. D’autres personnes firent de même. Il fut rappelé par les honorables matrones qui firent de même ; la mère n’était pas moins honteuse que l’enfant, mais elle les remercia humblement. »
            Après avoir pris congé de cette cordiale compagnie et renouvelé ses remerciements et ses salutations, la sainte famille se mit en route vers la Judée.




L’horaire des trains

J’ai connu un homme qui connaissait par cœur l’horaire des trains, car la seule chose qui lui procurait de la joie était le chemin de fer. Il passait tout son temps à la gare, à regarder comment les trains arrivaient et comment ils repartaient. Il contemplait avec émerveillement les wagons, la force des locomotives, la taille des roues, il regardait avec étonnement les chefs de train sauter dans les wagons et le chef de gare.
Il connaissait chaque train, il savait d’où il venait, où il allait, quand il arriverait à un certain endroit et quels trains partaient de cet endroit et quand ils arriveraient.
Il connaissait les numéros des trains, il savait quel jour ils circulaient, s’ils avaient un wagon-restaurant, s’ils attendaient des correspondances ou non. Il savait quels trains ont des wagons postaux et combien coûte un billet pour Frauenfeld, pour Olten, pour Niederbipp ou ailleurs.
Il n’allait pas au bar, il n’allait pas au cinéma, il ne se promenait pas, il n’avait pas de bicyclette, de radio ou de télévision, il ne lisait pas de journaux ou de livres, et s’il recevait des lettres, il ne les lisait pas non plus. Pour faire ces choses, il n’avait pas le temps, car il passait ses journées à la gare, et ce n’est que lorsque l’horaire des chemins de fer changeait, en mai et en octobre, qu’on ne le voyait pas pendant quelques semaines.
Il s’asseyait donc chez lui, à sa table, et apprenait tout par cœur, lisait le nouvel horaire de la première à la dernière page, faisait attention aux changements et était heureux quand il n’y en avait pas. Il arrivait aussi que quelqu’un lui demandât l’heure de départ d’un train. Il devenait alors rayonnant et voulait savoir exactement quelle était la destination du voyage, et celui qui lui avait demandé le renseignement manquait certainement le train, car il ne le laissait pas passer, il ne se contentait pas de citer l’heure, il citait aussi le numéro du train, le nombre de wagons, les correspondances possibles, toutes les heures de départ ; il expliquait qu’on pouvait aller à Paris avec ce train, où il fallait descendre et à quelle heure on arriverait, et il ne comprenait pas que les gens ne s’intéressent pas à tout cela. Cependant, si quelqu’un le plantait là et partait avant d’avoir énuméré toutes ses connaissances, il se mettait en colère, l’insultait et lui criait dessus :
– Vous n’avez aucune idée des chemins de fer !
Personnellement, il n’est jamais monté dans un train.
Cela n’aurait eu aucun sens, disait-il, car il savait déjà à l’avance à quelle heure le train arrivait (Peter Bichsel).

De nombreuses personnes (parmi lesquelles de nombreux érudits distingués) savent tout de la Bible, même l’exégèse des versets les plus petits et les plus cachés, même le sens des mots les plus difficiles, et même ce que l’écrivain sacré a réellement voulu dire, même s’il semble en être autrement.
Mais ils ne transposent rien de ce qui est écrit dans la Bible dans leur vie personnelle.