27 Déc 2025, sam

Saint François de Sales, accompagnateur personnel

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             « Mon esprit accompagne fort le vôtre », écrivait un jour François de Sales à Jeanne de Chantal, à un moment où celle-ci se voyait assaillie de ténèbres et de tentations. Il ajoutait : « Cheminez donc, ma chère fille, et avancez chemin parmi ces mauvais temps et de nuit. Soyez courageuse, ma chère fille ; nous ferons prou (beaucoup), Dieu aidant ».
            Accompagnement, direction spirituelle, conduite des âmes, direction de conscience, assistance spirituelle, ce sont là des expressions et des termes à peu près synonymes qui désignent cette forme particulière de formation qui s’exerce dans le domaine spirituel de la conscience individuelle. Mais est-il possible, est-il permis ou souhaitable de guider les autres dans le domaine secret de la conscience ? Jean Calvin était catégorique : « Dieu se réserve à lui seul et à sa Parole le gouvernement spirituel des âmes, afin qu’étant hors de la sujétion des hommes, elles ne regardent qu’à sa volonté ». Chez les catholiques, fidèles à une tradition qui remontait aux premiers temps du monachisme, on ne pensait pas de la même manière.

La formation d’un futur accompagnateur
            La formation de saint François de Sales l’avait préparé à devenir à son tour un directeur spirituel renommé. Étudiant chez les jésuites à Paris, il eut très probablement un père spirituel dont nous ignorons le nom. À Padoue son directeur fut le fameux jésuite Antoine Possevin, dont il se félicitera plus tard d’avoir été l’un des fils spirituels. Lors de son difficile passage à l’état clérical, c’est Amé Bouvard, un prêtre ami de sa famille, qui fut son confident et son soutien et qui le prépara aux ordinations.
            Au début de son épiscopat, il confia le soin de sa vie spirituelle au père Fourier, recteur des jésuites de Chambéry, « grand, docte et dévot religieux », avec qui il entretint « des rapports de très particulière amitié » et qui l’« assista grandement de ses conseils et de ses avis ».
            Le séjour qu’il fit à Paris en 1602 eut une influence profonde sur le développement de ses dons de directeur d’âmes. Envoyé par son évêque pour traiter à la cour des affaires du diocèse, il eut peu de chance sur le plan diplomatique, mais son séjour dans la capitale française lui permit d’entrer en contact avec l’élite spirituelle qui se réunissait chez madame Acarie, une femme exceptionnelle, à la fois mystique et maîtresse de maison. Devenu son confesseur, il observait ses extases et l’écoutait sans poser de questions. « Oh ! quelle faute je commis, dira-t-il plus tard, quand je ne profitai pas assez de sa très sainte conversation ! Car elle m’eût librement découvert toute son âme ; mais le très grand respect que je lui portais faisait que je n’osais pas m’enquérir de la moindre chose ».

Une activité absorbante « qui délasse et avive le cœur »
            Aider chaque personne en particulier, l’accompagner personnellement, la conseiller, corriger éventuellement ses erreurs, l’encourager, tout cela demande du temps, de la patience, et un effort constant de discernement. L’auteur de l’Introduction à la vie dévote parle d’expérience quand il affirme dans la Préface :

C’est une peine, je le confesse, mais une peine qui soulage, pareille à celle des moissonneurs et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contents que d’être fort embesognés et chargés ; c’est un travail qui délasse et avive le cœur par la suavité qui en revient à ceux qui l’entreprennent.

            C’est surtout par sa correspondance que nous connaissons cette part importante de son action de formation, tout en sachant que la direction spirituelle ne se fait pas seulement par l’écrit. Les entretiens personnels et surtout la confession individuelle en font partie, même s’il y a des distinctions à faire. Or nous savons que depuis son ordination en 1593, il confessait beaucoup de personnes, de toutes conditions, y compris celles de sa propre famille. Un jour qu’il se trouvait au château de Sales, il fut très édifié par les siens : « Hier, universellement, confiait-il à madame de Chantal, toute cette aimable famille vint à confesse à moi en notre petite chapelle ». Sa mère elle-même le considérait comme son directeur spirituel, au point que sur son lit de mort, elle dira en parlant de lui : « C’est mon fils et mon père celui-ci ».
            La correspondance qui débuta en 1593 entre François de Sales et Antoine Favre, si elle révèle une grande amitié humaine et une entente spirituelle qui dureront pendant toute la vie, ne relève pas de la direction spirituelle en tant que telle, mais plutôt du partage fraternel où bien souvent, c’était l’aîné Antoine qui soutenait François, notamment durant la dangereuse mission du Chablais. Il n’empêche que François exerça un ascendant spirituel sur Antoine et sur sa nombreuse famille, en particulier sur sa fille Jacqueline, sa « grande fille bien-aimée », qui se fera visitandine. Pendant la mission du Chablais, le prévôt de Sales devint le père spirituel d’un grand nombre de convertis, qui trouvèrent en lui la lumière et la force nécessaires pour faire leur entrée dans l’Église catholique.
            En 1603 il rencontra le duc de Bellegarde, grand personnage du royaume et grand pécheur, qui lui demandera, quelques années plus tard, de le guider sur les chemins de la conversion. Le carême qu’il prêcha à Dijon l’année suivante constitua un tournant dans sa « carrière » de directeur spirituel, puisqu’il y rencontra Jeanne Frémyot, veuve du baron de Chantal. À partir de 1605, la visite systématique de son vaste diocèse le mettra en contact avec un nombre infini de personnes de toutes conditions, des paysans surtout et des montagnards, illettrés pour la plupart, qui n’ont pas laissé de correspondance. En marge des rencontres et des célébrations publiques, il y avait place pour des rencontres plus personnelles car, d’après Georges Rolland, « il apportait les remèdes convenables par exhortations, colloques doux et familiers, réconciliations des inimitiés et pacification des différends et procès qu’il avait pu connaître ».
            Prêchant le carême à Annecy en 1607, il trouva dans ses « sacrés filets » une «dame» de vingt et un an, « mais toute d’or ». Née en Normandie en 1586, Louise du Chastel avait épousé le cousin de l’évêque, Henri de Charmoisy. Les lettres de direction qu’il enverra à madame de Charmoisy serviront de matériaux de base à la rédaction de la future Introduction à la vie dévote.
            Les prédications de Grenoble en 1616, en 1617 et en 1618 lui amenèrent un grand contingent de filles et de fils spirituels qui, après l’avoir entendu en chaire, cherchèrent à entrer en contact avec lui. Les femmes étaient les plus nombreuses, car, écrivait-il avec humour, « ici, comme partout ailleurs, les hommes laissent aux femmes le soin du ménage et de la dévotion ».
            De nouvelles Philothées s’attacheront à ses pas durant son dernier voyage à Paris en 1618-1619, où il faisait partie de la délégation de Savoie qui allait négocier le mariage du prince de Piémont avec Christine de France, sœur de Louis XIII. Quand le mariage princier sera conclu, celle-ci le choisira comme confesseur et grand aumônier. À Paris, il rencontra également le jeune Vincent de Paul, qui subira son ascendant ; il lui confiera la direction spirituelle des visitandines de la capitale, auxquelles il disait simplement en parlant de lui : « Monsieur Vincent vous conseille fort bien ». Il devint le conseiller de la célèbre mère Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal, qu’il assistera de son amitié pendant les dernières années de sa vie, tant au plan personnel que pour le gouvernement des religieuses. Jusqu’à la fin de sa vie, il restera en correspondance avec de nombreuses personnes qui l’avaient choisi comme guide.

Le directeur est père, frère, ami
            En tant que père spirituel, le directeur est celui qui dans certains cas, dit : je veux. François de Sales sait user de ce langage, mais en des circonstances très spéciales, comme lorsqu’il ordonne à la baronne de ne pas fuir la rencontre de l’assassin de son mari. Une fois il écrira à une angoissée : « Je vous l’ordonne comme cela au nom de Dieu », mais c’est pour lui enlever ses scrupules. Son autorité reste humble, bonne, tendre même. L’intimité qui s’établira entre lui et le duc de Bellegarde sera telle qu’à la demande du duc, François de Sales consentira non sans hésitation à l’appeler « mon fils » ou « monsieur mon fils », bien que celui-ci fût plus âgé que lui. L’aspect pédagogique de la direction spirituelle est souligné par une autre image significative ; après avoir évoqué la course rapide de la tigresse qui sauve son petit par la force de l’amour naturel, il continue :

Combien plus un cœur un cœur paternel prendra-t-il volontiers en charge une âme qu’il aura rencontrée au désir de la sainte perfection, la portant en son sein, comme une mère fait [pour] son petit enfant, sans se ressentir de ce faix bien-aimé.

            Il écrivait en effet à une « très chère fille » : « Vraiment, j’ai un certain cœur de père, mais qui tient un peu du cœur de mère ». Parfois, son langage prenait des accents mâles. Il disait : « Cette vie est une guerre continuelle » ; ou encore : « il faut fourrer notre cervelle entre les épines des difficultés et laisser transpercer notre cœur de la lance de la contradiction ; boire le fiel et avaler le vinaigre ». D’ordinaire cependant, c’est la paix et la tendresse qui débordent de son cœur. « Il me semble que quand vous avez du mal, je l’ai avec vous », écrit-il à une femme accablée de dettes à payer.
            François de Sales se comporte aussi à l’égard de ses dirigés, hommes et femmes, comme un frère et c’est en cette qualité qu’il se présente souvent aux personnes qui recourent à lui. Antoine Favre est constamment appelé « mon frère ». Après avoir donné à la baronne de Chantal le titre de Madame, il lui donne celui de sœur, « ce nom par lequel les apôtres et premiers chrétiens exprimaient l’intime amour qu’ils s’entreportaient ». Il en use de même avec l’épouse du président du parlement de Bourgogne, et c’est après avoir bien des fois assuré cette « très chère sœur » de son dévouement cordial qu’il peut se permettre « en esprit de liberté » de lui faire quelques remontrances. Un frère ne commande pas, il donne des conseils et pratique la correction fraternelle.
            Mais ce qui caractérise le mieux le style salésien, c’est le climat d’amitié et de réciprocité qui unit le directeur et le dirigé. Comme le dit justement André Ravier, « il n’y a, pour lui, de véritable direction spirituelle que s’il y a amitié, c’est-à-dire échange, communication, influence réciproque ». Il est étonnant de voir non pas que François de Sales aime ses correspondants, d’un amour qu’il leur témoigne de mille manières, mais qu’il désire également d’être aimé par eux. Au père de Jeanne de Chantal il écrit : « J’abuse de votre bonté à vous déployer si grossièrement mes affections ; mais, Monsieur, quiconque me provoque en la contention d’amitié, il faut qu’il soit bien ferme, car je ne l’épargne point ».
            À Jeanne de Chantal qui désirait qu’il lui parle un peu de lui-même il répond : « Je vous dirai quelque chose de moi, puisque vous le désirez tant et que vous me dites que cela vous sert ». Et même il lui obéit : « J’ai fait en partie ce que vous désiriez de moi ». Avec elle, la réciprocité devint si intense que les deux « moi » devenaient parfois un « nous ».
            L’amitié n’exclut pas la franchise, elle la rend possible et même désirable. À l’un de ses amis, qui avait publié un livre aux tendances gallicanes, il se permet de dire franchement son désaccord : « La matière me déplaît ; s’il faut dire le mot que j’ai dans le cœur, je dis : la matière me déplaît extrêmement » ; mais l’amitié restera sauve.

Climat de confiance et de liberté
            L’obéissance au directeur spirituel est une garantie contre les excès, les illusions et les faux pas suggérés la plupart du temps par l’amour-propre ; elle maintient dans la prudence et la sagesse. L’auteur de l’Introduction à la vie dévote la considère comme nécessaire et bienfaisante, sans s’y attarder ; c’est une tradition que cette « humble obéissance, tant recommandée et pratiquée par tous les anciens dévots ». François de Sales la recommande à la baronne de Chantal envers son premier directeur, mais en y mettant la forme :

Je loue infiniment le respect religieux que vous portez à votre directeur et vous exhorte de soigneusement y persévérer ; mais si faut-il que je vous dise encore ce mot. Ce respect vous doit sans doute contenir en la sainte conduite à laquelle vous vous êtes rangée, mais il ne vous doit gêner, ni étouffer la juste liberté que l’Esprit de Dieu donne à ceux qu’il possède.

            Cependant, il faut que le directeur possède trois qualités indispensables : « Il le faut plein de charité, de science et de prudence : si l’une de ces trois parties lui manque, il y a du danger ». Ce ne semblait guère être le cas du premier directeur de madame de Chantal. Au dire de sa biographe, la mère de Chaugy, celui-ci « l’attacha à sa direction » en lui défendant de ne jamais en changer ; c’étaient des « filets importuns qui tenaient son âme comme en piège, contrainte et sans liberté ». Quand elle voulut changer de directeur après sa rencontre avec François de Sales, elle tomba dans de grands scrupules. Celui-ci, pour la rassurer, lui indiqua une autre voie :

Voici la règle générale de notre obéissance écrite en grosses lettres : IL FAUT TOUT FAIRE PAR AMOUR ET RIEN PAR FORCE ; IL FAUT PLUS AIMER L’OBEISSANCE QUE CRAINDRE LA DESOBEISSANCE. Je vous laisse l’esprit de liberté, non pas celui qui forclôt (exclut) l’obéissance, car c’est la liberté de la chair ; mais celui qui forclôt la contrainte et le scrupule ou empressement.

            La manière salésienne est fondée sur le respect et l’obéissance dus au directeur, sans aucun doute, mais surtout sur la confiance : « Ayez en lui une extrême confiance mêlée d’une sacrée révérence, en sorte que la révérence ne diminue point la confiance, et que la confiance n’empêche point la révérence; confiez-vous en lui avec le respect d’une fille envers son père, respectez-le avec la confiance d’un fils envers sa mère ».
            Comment faut-il écrire à l’évêque de Genève ? « Écrivez-moi librement, sincèrement et naïvement, disait-il à une de ses correspondantes. Je n’ai pas autre chose à dire pour cela, sinon que vous ne devez pas mettre sur la lettre Monseigneur tout court, ni autrement ; il suffit d’y mettre Monsieur, et pour cause. Je suis homme sans cérémonie, et vous chéris et honore de tout mon cœur ». Souvent ce refrain revient au début d’une nouvelle relation épistolaire.
            L’affection, quand elle est sincère et surtout quand elle a la chance de jouir de la réciprocité, autorise la liberté et la plus grande franchise. « Écrivez-moi toujours quand il vous plaira, disait-il à une autre, avec entière confiance et sans cérémonie ; car en cette sorte d’amitié, il faut cheminer comme cela ». À un de ses correspondants il demandait : « Ne me faites point d’excuses à m’écrire bien ou mal, car il ne me faut nulle sorte d’autre cérémonie que de m’aimer ». L’amour pour Dieu comme l’amour pour le prochain nous fait aller « à la bonne foi et sans art » car, dit-il, « le vrai amour n’a guère de méthode ».
            Que de personnes ont besoin de pouvoir s’ouvrir à quelqu’un en toute confiance ! François de Sales raconte l’histoire d’un jeune homme de vingt ans, « brave comme le jour, vaillant comme l’épée » qui vint vers lui pour lui dire ses secrets ; la joie fut telle qu’il dira : « Il me mit hors de moi-même ; que de baisers de paix que je lui donnai » ! La confiance que saint François de Sales inspirait ne venait pas de lui : c’est Dieu, pensait-il, « qui incline tant de personnes à me remettre la clef de leurs cœurs, voire à en lever la serrure devant moi afin que je voie mieux tout ce qui est dedans ».

« Chaque fleur requiert son particulier soin »
            Si le but de la direction spirituelle est le même pour tous, à savoir la perfection de la vie chrétienne, les personnes ne se ressemblent pas et tout l’art du directeur consistera à leur indiquer le chemin particulier qui y conduit. En homme de son temps, pour qui les stratifications sociales étaient une réalité, François de Sales savait bien quelle différence il y avait entre le gentilhomme, l’artisan, le valet, le prince, la veuve, la fille et la mariée. Chacun, en effet, doit porter du fruit « selon sa qualité et vacation ». Mais le sens du groupe social se conjuguait chez lui avec le sens de l’individu : il faut « accommoder la pratique de la dévotion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier ». Il estimait d’ailleurs que « les moyens de parvenir à la perfection sont divers selon la diversité des vocations ».
            La diversité des tempéraments est une donnée de fait, dont il faut tenir compte. On dénote chez lui un flair psychologique antérieur aux découvertes modernes. Le sens du caractère unique de chaque personne est très fort chez lui et c’est la raison pour laquelle chaque personne mérite une attention spéciale de la part du père spirituel : « Chaque herbe et chaque fleur requiert son particulier soin en un jardin ». Comme un père ou une mère avec ses enfants, il s’adapte à l’individualité, au tempérament, aux situations particulières de chacune des personnes.
            À telle personne, impatiente avec elle-même, déçue de ne pas avancer assez vite, il recommande de s’aimer elle-même ; à telle autre, attirée par la vie religieuse mais dotée d’une individualité exceptionnelle, il conseille un mode de vie qui tienne compte de ces deux tendances ; à une troisième, qui oscillait entre l’exaltation et la dépression, il prêche la confiance et la paix du cœur au moyen de la lutte contre les imaginations angoissantes. À une femme révoltée par le caractère « dissipateur et léger » de son mari le directeur doit enseigner la « sainte médiocrité (juste milieu) et modération » et les moyens pour surmonter son aversion. Une autre, femme de tête, au caractère entier, pleine de tracas et de procès, avait besoin de la « sainte douceur et tranquillité ». Une autre encore est angoissée par la mort et souvent déprimée : son directeur lui inspire courage. Il y a des âmes qui ont mille désirs de perfection : il faut calmer leur impatience, fruit de l’amour-propre. La fameuse Angélique Arnauld, abbesse de Port-Royal, veut réformer son monastère par la rigidité : il faut lui recommander la souplesse et l’humilité.
            Quant au duc de Bellegarde, qui fut mêlé à toutes les intrigues politiques et amoureuses de la cour, il est appelé à « une dévotion mâle, courageuse, vaillante, invariable, pour servir de miroir à plusieurs en faveur de la vérité de l’amour céleste, digne réparation des fautes passées ». En 1613, il rédigea à son intention un Mémorial pour bien faire la confession, contenant huit avis généraux, puis les différentes sortes de péchés, un moyen pour discerner le péché mortel du péché véniel, et enfin « les moyens pour divertir les grands du péché de la chair ».
            Pour pouvoir exercer avec un certain profit la direction spirituelle, il faut la connaissance de la personne, ce qui requiert du temps. Le directeur n’est pas toujours certain de bien saisir la situation réelle de la personne, ce qui lui faisait faire par exemple cette demande : « Une autre fois, si vous m’écrivez sur quelque semblable sujet, donnez-moi exemple de l’action de laquelle vous me demandez l’avis ».

Méthode « régressive »
            L’art de la direction de conscience consiste bien souvent de la part du directeur à savoir se retirer, à laisser l’initiative au destinataire, ou à Dieu, surtout dans les décisions qui exigent une grande « résolution ». « Ne prenez point mes paroles ric à ric, écrit-il à la baronne de Chantal, car je ne veux point qu’elles vous serrent, mais que vous ayez liberté de faire ce que vous croirez être meilleur ».
            Le directeur n’est pas un despote, mais quelqu’un qui « guide nos actions par ses avis et conseils ». Il se défend de vouloir commander quand il écrit à madame de Chantal : « Ce sont avis bons et propres pour vous, non point commandements ». Celle-ci d’ailleurs dira au procès de canonisation qu’elle regrettait parfois qu’il ne commandait pas assez. En fait, le rôle du directeur est défini par cette réponse de Socrate à l’un de ses disciples : « J’aurai donc soin de te restituer à toi-même meilleur que tu n’es ». Comme il le déclarait à madame de Chantal, il s’était « voué », mis au service de « la très sainte liberté chrétienne ». Il combat pour la liberté : « Vous verrez que je dis vrai, et que je combats pour une bonne cause, quand je défends la sainte et charitable liberté d’esprit, laquelle, comme vous savez, j’honore singulièrement ».

P. Wirth MORAND

Salésien de Don Bosco, professeur d'université, bibliste et historien salésien, membre émérite du Centre d'études Don Bosco, auteur de plusieurs ouvrages.