11 Nov 2025, mar

Joseph-Auguste Arribat : un Juste parmi les Nations

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1. Profil biographique
            Le vénérable Joseph Auguste Arribat est né le 17 décembre 1879 à Trédou (Rouergue – France). La pauvreté de sa famille oblige le jeune Auguste à ne commencer ses études secondaires à l’oratoire salésien de Marseille qu’à l’âge de 18 ans. En raison de la situation politique du début du siècle, il commence la vie salésienne en Italie et reçoit la soutane des mains du bienheureux Michel Rua. De retour en France, il commence, comme tous ses confrères, la vie salésienne dans une semi-clandestinité, d’abord à Marseille puis à La Navarre, les deux maisons salésiennes fondées par Don Bosco en 1878.
            Ordonné prêtre en 1912, il est appelé sous les drapeaux pendant la Première Guerre mondiale et travaille comme infirmier brancardier. Après la guerre, le père Arribat a continué à travailler intensivement à La Navarre jusqu’en 1926, après quoi il est parti comme catéchiste à Nice où il est resté jusqu’en 1931. Il retourne à La Navarre en tant que directeur et en même temps responsable de la paroisse Saint-Isidore dans la vallée de Sauvebonne. Ses paroissiens l’appellent « le saint de la vallée ».
            À la fin de sa troisième année, il est envoyé à Morges, dans le canton de Vaud, en Suisse. Il reçoit ensuite trois mandats successifs de six ans chacun, d’abord à Millau, puis à Villemur et enfin à Thonon dans le diocèse d’Annecy. Sa période la plus dangereuse et la plus riche en grâces est sans doute son affectation à Villemur pendant la Seconde Guerre mondiale. De retour à La Navarre en 1953, le père Arribat y reste jusqu’à sa mort, le 19 mars 1963.

2. Profondément homme de Dieu
            Homme du devoir quotidien, rien n’était secondaire pour lui, et tout le monde savait qu’il se levait très tôt pour nettoyer les toilettes des élèves et la cour. Devenu directeur de la maison salésienne, et voulant faire son devoir jusqu’au bout et à la perfection, par respect et amour des autres, il finissait souvent ses journées très tard, écourtant ses heures de repos. Par contre, il était toujours disponible, accueillant pour tous, sachant s’adapter à chacun, qu’il s’agisse des bienfaiteurs et des grands propriétaires, ou des employés de la maison, gardant un souci permanent pour les novices et les confrères, et surtout pour les jeunes qui lui étaient confiés.
            Ce don total de soi s’est manifesté jusqu’à l’héroïsme. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il n’a pas hésité à accueillir des familles et des jeunes juifs, s’exposant ainsi au grave risque d’indiscrétion ou de dénonciation. Trente-trois ans après sa mort, ceux qui ont été directement témoins de son héroïsme ont reconnu la valeur de son courage et le sacrifice de sa vie. Son nom est inscrit à Jérusalem, où il a été officiellement reconnu comme un « Juste parmi les nations ».
            Il a été reconnu par tous comme un véritable homme de Dieu, qui a fait « tout par amour, et rien par force », comme le disait saint François de Sales. Voilà le secret d’un rayonnement dont il n’a peut-être pas lui-même mesuré toute l’ampleur.
            Tous les témoins ont noté la foi vivante de ce serviteur de Dieu, homme de prière, sans ostentation. Sa foi était la foi rayonnante d’un homme toujours uni à Dieu, d’un véritable homme de Dieu, et en particulier d’un homme de l’Eucharistie.
            Lorsqu’il célébrait la messe ou lorsqu’il priait, il émanait de sa personne une sorte de ferveur qui ne pouvait pas passer inaperçue. Un confrère a déclaré : « En le voyant faire son grand signe de croix, tout le monde ressentait un rappel opportun de la présence de Dieu. Son recueillement à l’autel était impressionnant ». Un autre salésien se souvient qu’ »il faisait ses génuflexions à la perfection avec un courage, une expression d’adoration qui conduisait à la dévotion ». Le même ajoutait : « Il a renforcé ma foi ».
            Sa vision de la foi transparaissait dans le confessionnal et dans les conversations spirituelles. Il communiquait sa foi. Homme d’espérance, il s’en remettait toujours à Dieu et à sa Providence, gardant le calme dans la tempête et répandant partout un sentiment de paix.
            Cette foi profonde s’est encore affinée en lui au cours des dix dernières années de sa vie. Il n’avait plus de responsabilités et ne pouvait plus lire facilement. Il ne vivait que de l’essentiel et en témoignait avec simplicité en accueillant tous ceux qui savaient bien que sa demi-cécité ne l’empêchait pas de voir clair dans leur cœur. Au fond de la chapelle, son confessionnal était un lieu assiégé par les jeunes et les voisins de la vallée.

3. « Je ne suis pas venu pour être servi… »
            L’image que les témoins ont conservée du Père Auguste est celle du serviteur de l’Évangile, mais au sens le plus humble. Balayer la cour, nettoyer les toilettes des élèves, faire la vaisselle, soigner et veiller les malades, bêcher le jardin, ratisser le parc, décorer la chapelle, attacher les chaussures des enfants, les coiffer, rien ne lui répugnait et il était impossible de le détourner de ces humbles exercices de charité. Le « bon père » Arribat, était plus généreux en actes concrets qu’en paroles : il donnait volontiers sa chambre au visiteur occasionnel, qui risquait d’être moins bien logé que lui. Sa disponibilité était permanente, de tous les instants. Son souci de propreté et de pauvreté digne ne le laissait pas tranquille, car la maison devait être accueillante. Homme de contact facile, il profitait de ses longues marches pour saluer tout le monde et dialoguer, même avec les « mangeurs de curés ».
            Le père Arribat a vécu plus de trente ans à Navarre, dans la maison que Don Bosco lui-même a voulu placer sous la protection de saint Joseph, chef et serviteur de la Sainte Famille, modèle de foi dans le silence et la discrétion. Par sa sollicitude pour les besoins matériels de la maison et par sa proximité avec toutes les personnes vouées au travail manuel, paysans, jardiniers, ouvriers, bricoleurs, gens de cuisine ou de buanderie, ce prêtre faisait penser à saint Joseph, dont il portait aussi le nom. Et n’est-il pas mort le 19 mars, jour de la fête de saint Joseph ?

4. Un authentique éducateur salésien
            « La Providence m’a confié de façon particulière le soin des enfants », disait-il pour résumer sa vocation spécifique de salésien, disciple de Don Bosco, au service des jeunes, notamment les plus démunis.
            Extérieurement, le père Arribat n’avait aucune des qualités particulières qui en imposent facilement aux jeunes. Ce n’était pas un grand sportif, ni un intellectuel brillant, ni un beau parleur qui attirait les foules, ni un musicien, ni un homme de théâtre ou de cinéma, rien de tout cela ! Comment expliquer l’influence qu’il exerçait sur les jeunes ? Son secret n’était autre que ce qu’il avait appris de Don Bosco, qui avait conquis son petit monde avec trois choses considérées comme fondamentales dans l’éducation de la jeunesse : la raison, la religion et l’amour bienveillant. En tant que « père et maître de la jeunesse », il savait parler le langage de la raison avec les jeunes, motiver, expliquer, persuader, convaincre ses élèves, en évitant les impulsions de la passion et de la colère. Il plaçait la religion au centre de sa vie et de son action, non pas dans le sens d’une imposition forcée, mais dans le témoignage lumineux de sa relation avec Dieu, Jésus et Marie. Quant à l’amour bienveillant avec lequel il a conquis le cœur des jeunes, il convient de rappeler à propos du serviteur de Dieu ce que saint François de Sales a dit : « On attrape plus de mouches avec une cuillerée de miel qu’avec un tonneau de vinaigre ».
            Le témoignage de Don Pietro Ricaldone, futur successeur de Don Bosco, qui écrivait après sa visite canonique en 1923-1924, fait particulièrement autorité : « Le père Arribat Augusto est catéchiste, confesseur et lit les notes de conduite ! C’est un saint confrère. Seule sa bonté peut rendre ses différents devoirs moins incompatibles ». Puis il répète son éloge : « C’est un excellent confrère, un peu fragile de santé. Grâce à ses bonnes manières, il jouit de la confiance des jeunes gens plus âgés qui vont presque tous vers lui ».
            Une chose frappante était le respect presque cérémonieux qu’il témoignait à tout le monde, mais surtout aux enfants. À un petit bonhomme de huit ans, il donnait le nom de « Monsieur ». Une dame témoigne : « Il respectait tellement l’autre que celui-ci était presque obligé de s’élever à la dignité qui lui était accordée en tant qu’enfant de Dieu, et tout cela sans même parler de religion ».
            Visage ouvert et souriant, ce fils de saint François de Sales et de Don Bosco ne gênait personne. Si la minceur de sa personne et son ascétisme rappelaient le saint curé d’Ars et Don Rua, son sourire et sa douceur étaient typiquement salésiens. Comme l’a dit un témoin : « C’était l’homme le plus naturel du monde, plein d’humour, spontané dans ses réactions, jeune de cœur ».
            Ses paroles, qui n’étaient pas celles d’un grand orateur, étaient efficaces parce qu’elles émanaient de la simplicité et de la ferveur de son âme.
            Un de ses anciens élèves témoigne : « Dans nos têtes d’enfants, dans nos conversations d’enfants, après avoir entendu les récits de la vie de Jean-Marie Vianney, nous nous représentions le Père Arribat comme s’il était pour nous le Saint Curé d’Ars. Les heures de catéchisme, présenté dans un langage simple mais vrai, étaient suivies avec beaucoup d’attention. Pendant la messe, les bancs du fond de la chapelle étaient toujours pleins. Nous avions l’impression de rencontrer Dieu dans sa bonté et cela a marqué notre jeunesse ».

5. Le père Arribat, un écologiste ?
            Voici un trait original qui vient compléter le portrait de ce personnage apparemment ordinaire. Il était considéré presque comme un écologiste avant la lettre. Petit agriculteur, il avait appris à aimer et à respecter profondément la nature. Ses compositions de jeunesse sont pleines de fraîcheur et d’observations très fines, avec une touche de poésie. Il partageait spontanément les travaux de ce monde rural, où il vécut une grande partie de sa longue vie.
            Parlant de son amour pour les animaux, combien de fois a-t-on vu « le bon père, une boîte sous le bras, pleine de mie de pain, faire laborieusement le chemin du réfectoire à ses colombes à petits pas très pénibles ». Fait incroyable pour ceux qui n’ont pas vu, raconte la personne qui a assisté à la scène, les colombes, dès qu’elles l’apercevaient, s’avançaient vers la grille comme pour lui souhaiter la bienvenue. Il ouvrait la cage et immédiatement elles venaient à lui, certaines se tenant sur ses épaules. « Il leur parlait avec des expressions dont je ne me souviens pas, c’était comme s’il les connaissait toutes. Lorsqu’un jeune garçon lui apporta un bébé moineau qu’il avait pris dans le nid, il lui dit : « Tu dois lui donner la liberté ». On raconte aussi l’histoire d’un chien-loup assez féroce, qu’il était le seul à pouvoir apprivoiser, et qui est venu se coucher à côté de son cercueil après sa mort.
            Ce rapide profil spirituel du Père Arribat nous a rappelé quelques traits des visages de saints dont il se sentait proche : la bonté aimante de Don Bosco, l’ascétisme de Don Rua, la douceur de saint François de Sales, la piété sacerdotale du saint curé d’Ars, l’amour de la nature de saint François d’Assise et le travail constant et fidèle de saint Joseph.

P. Wirth MORAND

Salésien de Don Bosco, professeur d'université, bibliste et historien salésien, membre émérite du Centre d'études Don Bosco, auteur de plusieurs ouvrages.