26 Sep 2025, ven

Avec Nino Baglieri, pèlerin de l’Espérance, sur le chemin du Jubilé

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Le parcours du Jubilé 2025, dédié à l’Espérance, trouve un témoin lumineux dans l’histoire du Serviteur de Dieu Nino Baglieri. De la chute dramatique qui le rendit tétraplégique à dix-sept ans jusqu’à sa renaissance intérieure en 1978, Baglieri est passé de l’ombre du désespoir à la lumière d’une foi active, transformant son lit de douleur en chaire de joie. Son histoire tisse les cinq signes jubilaires – pèlerinage, porte, profession de foi, charité et réconciliation – montrant que l’espérance chrétienne n’est pas une fuite, mais une force qui ouvre l’avenir et soutient chaque chemin.


1. L’espérance comme attente
            L’espérance, selon le dictionnaire en ligne Treccani, est un sentiment d’« attente confiante dans la réalisation, présente ou future, de ce que l’on désire ». L’étymologie du substantif « espérance » vient du latin spes, lui-même dérivé de la racine sanskrite spa– qui signifie tendre vers un but. En espagnol, « espérer » et « attendre » se traduisent par le verbe esperar, qui rassemble en un seul terme les deux significations, comme si on ne pouvait attendre que ce que l’on espère. Cet état d’esprit nous permet d’affronter la vie et ses défis avec courage et une lumière toujours ardente dans le cœur. L’espérance s’exprime – en positif ou en négatif – aussi dans certains proverbes populaires : « L’espérance est la dernière à mourir », « Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », « Qui vit d’espérance meurt désespéré ».
            Comme s’il avait voulu recueillir ce sentiment universel concernant l’espérance, mais conscient de devoir aider à redécouvrir l’espérance dans sa dimension la plus pleine et vraie, le pape François a voulu consacrer le Jubilé ordinaire de 2025 à l’Espérance. Spes non confundit (L’espérance ne déçoit pas) est la bulle d’indiction de ce Jubilé. Mais déjà en 2014 il disait : « La résurrection de Jésus n’est pas la fin heureuse d’un beau conte, ce n’est pas le happy end d’un film ; mais c’est l’intervention de Dieu le Père là où l’espérance humaine s’effondre. Quand tout semble perdu, dans la douleur, où tant de personnes ressentent le besoin de descendre de la croix, c’est le moment le plus proche de la résurrection. La nuit devient plus sombre juste avant que le matin commence, avant que la lumière commence. Au moment le plus sombre, Dieu intervient et ressuscite » (cf. Audience du 16 avril 2014).
            C’est dans ce contexte que s’insère parfaitement l’histoire du Serviteur de Dieu Nino Baglieri (Modica, 1er mai 1951 – 2 mars 2007). Jeune maçon de dix-sept ans, tombé d’un échafaudage haut de dix-sept mètres à cause de la rupture soudaine d’une planche, il s’écrasa au sol et devint tétraplégique. Depuis cette chute, le 6 mai 1968, il ne pouvait bouger que la tête et le cou, dépendant à vie des autres pour tout, même pour les choses les plus simples et humbles. Nino ne pouvait même pas serrer la main d’un ami ou caresser sa mère… et voyait s’évanouir la possibilité de réaliser ses rêves. Quelle espérance de vie a maintenant ce jeune ? Dans quels sentiments peut-il affronter la situation ? Quel avenir l’attend ? La première réponse de Nino fut le désespoir, l’obscurité totale face à une quête de sens sans réponse. D’abord un long pèlerinage dans des hôpitaux de différentes régions italiennes, puis la compassion des amis et connaissances qui le conduisent à se rebeller et à s’enfermer dans dix longues années de solitude et de colère, tandis que le tunnel de la vie devient de plus en plus profond.
            Dans la mythologie grecque, Zeus confie à Pandore un vase contenant tous les maux du monde. Une fois ouvert, les hommes perdent l’immortalité et commencent une vie de souffrance. Pour les sauver, Pandore ouvre de nouveau le vase et libère elpis, l’espérance, restée au fond : c’était le seul antidote aux afflictions de la vie. En regardant plutôt vers le Donateur de tout bien, nous savons que « l’espérance ne déçoit pas » (Rm 5,5). Le pape François écrit dans Spes non confundit : « Sous le signe de cette espérance, l’apôtre Paul insuffle courage à la communauté chrétienne de Rome […]. Tous espèrent. Dans le cœur de chaque personne est enfermée l’espérance comme désir et attente du bien, sans savoir ce que demain apportera. L’imprévisibilité du futur suscite cependant des sentiments parfois opposés qui vont de la confiance à la crainte, de la sérénité au découragement, de la certitude au doute. Nous rencontrons souvent des personnes découragées, qui regardent l’avenir avec scepticisme et pessimisme, comme si rien ne pouvait leur offrir le bonheur. Que le Jubilé soit pour tous une occasion de raviver l’espérance » (ibid., 1).

2. Le Témoin du « désespoir » devient « ambassadeur » de l’espérance
            Revenons à l’histoire de notre Serviteur de Dieu, Nino Baglieri.
            Il faut dix longues années avant que Nino ne sorte du tunnel du désespoir, que les ténèbres épaisses se dissipent et que la Lumière entre. C’était l’après-midi du 24 mars, Vendredi saint 1978, lorsque le père Aldo Modica, avec un groupe de jeunes, se rendit chez Nino, sollicité par sa mère Peppina et par quelques personnes fréquentant le chemin du Renouveau dans l’Esprit, alors à ses débuts dans la paroisse salésienne voisine. Nino écrit : « Pendant qu’ils invoquaient l’Esprit Saint, j’ai ressenti une sensation étrange, une grande chaleur envahissait mon corps, un fort picotement dans toutes mes membres, comme si une nouvelle force entrait en moi et que quelque chose de vieux en sortait. À ce moment-là, j’ai dit mon “oui” au Seigneur, j’ai accepté ma croix et je suis né à une vie nouvelle, je suis devenu un homme nouveau. Dix ans de désespoir effacés en quelques instants, car une joie inconnue est entrée dans mon cœur. Je désirais la guérison de mon corps, mais le Seigneur me gratifiait d’une joie encore plus grande : la guérison spirituelle ».
            Commence alors pour Nino un nouveau chemin : de « témoin du désespoir » il devient « pèlerin de l’espérance ». Non plus isolé dans sa petite chambre, mais « ambassadeur » de cette espérance, il raconte son vécu à travers une émission diffusée par une radio locale et – grâce encore plus grande – le bon Dieu lui donne la joie de pouvoir écrire avec la bouche. Nino raconte : « En mars 1979, le Seigneur m’a fait un grand miracle : j’ai appris à écrire avec la bouche. Voici comment j’ai commencé. J’étais avec mes amis qui faisaient leurs devoirs, j’ai demandé qu’on me donne un crayon et un cahier, j’ai commencé à faire des signes et à dessiner quelque chose, puis j’ai découvert que je pouvais écrire et j’ai commencé à écrire ». Il commence alors à rédiger ses mémoires et à avoir des contacts par lettre avec des personnes de toutes catégories et de différentes parties du monde, des milliers de lettres encore conservées aujourd’hui. L’espérance retrouvée le rend créatif. Nino redécouvre le goût des relations et veut devenir – autant que possible – indépendant : avec l’aide d’une baguette qu’il utilise avec la bouche, et d’un élastique fixé au téléphone, il compose les numéros pour communiquer avec beaucoup de personnes malades, pour leur adresser un mot de réconfort. Il découvre une nouvelle manière d’affronter sa condition de souffrance, qui le fait sortir de l’isolement et le conduit à devenir témoin de l’Évangile de la joie et de l’espérance : « Maintenant, il y a beaucoup de joie dans mon cœur, en moi il n’y a plus de douleur, dans mon cœur il y a Ton amour. Merci Jésus mon Seigneur. De mon lit de douleur je veux te louer et de tout mon cœur te remercier parce que tu m’as appelé à connaître la vie, à connaître la vraie vie ».
            Nino a changé de perspective, il a opéré un virage à 360° – le Seigneur lui a offert la conversion – il a placé sa confiance en ce Dieu miséricordieux qui, à travers la « malchance », l’a appelé à travailler dans sa vigne, pour être signe et instrument de salut et d’espérance. Ainsi, beaucoup de personnes qui venaient le voir pour le consoler en ressortaient consolées, les larmes aux yeux. Elles ne trouvaient pas sur ce petit lit un homme triste et abattu, mais un visage souriant qui dégageait – malgré tant de souffrances, dont les plaies et les problèmes respiratoires – la joie de vivre : le sourire était une constante sur son visage et Nino se sentait « utile dans un lit de croix ». Nino Baglieri est l’opposé de beaucoup de personnes d’aujourd’hui, toujours à la recherche du sens de la vie, qui visent le succès facile et le bonheur des choses éphémères et sans valeur, vivent en ligne, consomment la vie en un clic, veulent tout et tout de suite mais ont les yeux tristes, éteints. Nino, en apparence, n’avait rien, pourtant il avait la paix et la joie dans le cœur. Il n’a pas vécu isolé, mais soutenu par l’amour de Dieu exprimé par l’étreinte et la présence de toute sa famille et de plus en plus de personnes qui le connaissent et entrent en relation avec lui.

3. Raviver l’espérance
            Construire l’espérance, c’est chaque fois que je ne me contente pas de ma vie et que je m’engage à la changer. Chaque fois que je ne me laisse pas endurcir par les expériences négatives et que j’empêche qu’elles me rendent méfiant. Chaque fois que je tombe et que j’essaie de me relever, que je ne permets pas aux peurs d’avoir le dernier mot. Chaque fois que, dans un monde marqué par les conflits, je choisis la confiance avec le désir de la relancer toujours, avec tous. Chaque fois que je ne fuis pas le rêve de Dieu qui me dit : « je veux que tu sois heureux », « je veux que tu aies une vie pleine… pleine aussi de sainteté ». Le sommet de la vertu de l’espérance est en effet un regard vers le Ciel pour bien habiter la terre ou, comme dirait Don Bosco, marcher avec les pieds sur la terre et le cœur au Ciel.
            Dans ce sillon d’espérance s’accomplit le jubilé qui, avec ses signes, nous demande de nous mettre en route, de franchir certaines frontières.
            Premier signe : le pèlerinage. Quand on se déplace d’un lieu à un autre, on est ouvert à la nouveauté, au changement. Toute la vie de Jésus a été « une mise en route », un chemin d’évangélisation qui s’accomplit dans le don de la vie puis au-delà, dans la Résurrection et l’Ascension.
            Deuxième signe : la porte. En Jn 10,9 Jésus affirme : « Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera et sortira et trouvera un pâturage ». Passer la porte, c’est se laisser accueillir, être communauté. Dans l’évangile, on parle aussi de la « porte étroite » : le Jubilé devient un chemin de conversion.
            Troisième signe : la profession de foi. Il s’agit d’exprimer l’appartenance au Christ et à l’Église en le déclarant publiquement.
            Quatrième signe : la charité. La charité est le mot de passe pour le ciel. En 1 P 4,8 nous lisons cette exhortation de l’apôtre Pierre : « Gardez entre vous une grande charité, car la charité couvre une multitude de péchés ».
            Cinquième signe :la réconciliation et l’indulgence jubilaire. Le jubilé est un « temps favorable » (cf. 2Co 6,2) qui nous permet d’expérimenter la grande miséricorde de Dieu et de parcourir des chemins de rapprochement et de pardon envers nos frères ; de vivre la prière du Notre Père où l’on demande : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». C’est devenir des créatures nouvelles.
            Dans la vie de Nino, il y a aussi des épisodes qui le rattachent – grâce au « fil » de l’espérance – à ces dimensions jubilaires. Par exemple, le repentir pour quelques bêtises de son enfance. Il raconte qu’à trois, « nous volions dans la sacristie les offrandes des messes, qui nous servaient à jouer au baby-foot. Quand on rencontre de mauvaises compagnies, elles te mènent sur de mauvais chemins. De plus, l’un de nous a pris le trousseau de clés de l’Oratoire et l’a caché dans mon sac d’école qui était dans le bureau ; ils ont trouvé les clés, ont appelé les parents, nous ont donné deux gifles et nous ont exclus de l’école. Quelle honte ! ». Mais surtout dans la vie de Nino, il y a la charité : aider le frère pauvre, celui qui est dans l’épreuve physique et morale, se rendre proche de ceux qui ont aussi des difficultés psychologiques et atteindre par écrit nos frères en prison pour leur témoigner la bonté et l’amour de Dieu. Nino, qui avant la chute avait été maçon, a dit : « J’aimais construire de mes mains quelque chose qui reste dans le temps. Même maintenant, écrit-il, je me sens un maçon qui travaille dans le Royaume de Dieu, pour laisser quelque chose qui dure dans le temps, pour voir les Œuvres Merveilleuses que Dieu accomplit dans notre Vie ». Il ajoute cette confidence : « Mon corps semble mort, mais dans ma poitrine mon cœur continue de battre. Mes jambes ne bougent pas, et pourtant, à travers le monde, je marche ».

4. Pèlerin en marche vers le ciel
            Nino, devenu coopérateur salésien de la grande Famille Salésienne, conclut son « pèlerinage » terrestre le vendredi 2 mars 2007 à 8h00 du matin, à seulement 55 ans, dont 39 passés comme tétraplégique entre le lit et le fauteuil roulant, après avoir demandé pardon à sa famille pour les difficultés qu’elle a dû affronter à cause de sa condition. Il quitte la scène du monde en survêtement et baskets, comme il l’avait expressément demandé, pour courir dans les prairies vertes fleuries et sautiller comme une biche le long des cours d’eau. Nous lisons dans son Testament spirituel : « Je ne finirai jamais de te remercier, ô Seigneur, de m’avoir appelé à Toi à travers la Croix le 6 mai 1968. Une croix lourde pour mes jeunes forces… ». Le 2 mars, la vie – don continu qui part des parents et est peu à peu nourri avec émerveillement et beauté – offre à Nino Baglieri son plus beau cadeau : l’étreinte de son Seigneur et Dieu, accompagné de la Vierge Marie.
            À l’annonce de son départ, un chœur unanime s’élève de tous côtés : « un saint est mort », un homme qui a fait de son lit de croix l’étendard de la vie pleine, un don pour tous. Donc un grand témoin de l’espérance.
            Cinq ans après sa mort, comme prévu par les Normae Servandae in Inquisitionibus ab Episcopis faciendis in Causis Sanctorum de 1983, l’évêque du diocèse de Noto, à la demande du Postulateur général de la Congrégation Salésienne, après avoir consulté la Conférence épiscopale sicilienne et obtenu le Nihil obstat du Saint-Siège, ouvre l’enquête diocésaine pour la cause de béatification et canonisation du Serviteur de Dieu Nino Baglieri.
            Le procès diocésain, qui a duré 12 ans, s’est déroulé selon deux axes principaux : le travail de la Commission historique qui a recherché, collecté, étudié et présenté de nombreuses sources, surtout des écrits « du » et « sur » le Serviteur de Dieu ; le Tribunal ecclésiastique, responsable de l’enquête, qui a également entendu sous serment les divers témoins.
            Ce parcours s’est achevé le 5 mai 2024 en présence de Mgr Salvatore Rumeo, évêque actuel du diocèse de Noto. Quelques jours plus tard, les actes du procès ont été remis au Dicastère pour les Causes des Saints qui les a ouverts le 21 juin 2024. Début 2025, ce même Dicastère a décrété leur « validité juridique », permettant à la phase romaine de la Cause d’entrer dans le vif du sujet.
            Actuellement, la contribution à la Cause continue en faisant connaître la figure de Nino. Celui-ci a laissé à la fin de son chemin terrestre la recommandation suivante : « Ne me laissez pas sans rien faire. Je continuerai ma mission depuis le ciel. Je vous écrirai du Paradis ».
            Le chemin de l’espérance en sa compagnie devient ainsi désir du Ciel, quand « nous nous rencontrerons face à face avec la beauté infinie de Dieu (cf. 1Co 13,12) et pourrons lire avec une joyeuse admiration le mystère de l’univers, qui participera avec nous à la plénitude sans fin […]. En attendant, nous nous unissons pour prendre soin de cette maison qui nous a été confiée, sachant que ce qu’il y a de bon en elle sera accueilli dans la fête du ciel. Avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu […]. Marchons en chantant ! » (cf. Laudato Si’, 243-244).


Roberto Chiaramonte

By Editor BSOL

Éditeur du site Web.