26 Sep 2025, ven

Patagonie : « La plus grande entreprise de notre Congrégation

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Dès leur arrivée en Patagonie, les Salésiens – sous la direction de Don Bosco – ont cherché à obtenir un Vicariat apostolique qui garantirait une autonomie pastorale et le soutien de la Propagande Fide. Entre 1880 et 1882, des demandes répétées à Rome, au président argentin Roca et à l’archevêque de Buenos Aires se sont heurtées à des troubles politiques et à des méfiances ecclésiastiques. Des missionnaires comme Rizzo, Fagnano, Costamagna et Beauvoir ont parcouru le Río Negro, le Colorado et jusqu’au lac Nahuel-Huapi, établissant des présences parmi les Indiens et les colons. Le tournant est survenu le 16 novembre 1883 : un décret a érigé le Vicariat de la Patagonie septentrionale, confié à Mgr Giovanni Cagliero, et la Préfecture méridionale, dirigée par Mgr Giuseppe Fagnano. À partir de ce moment, l’œuvre salésienne s’est enracinée « au bout du monde », préparant sa future floraison.


            Les Salésiens venaient à peine d’arriver en Patagonie, lorsque Don Bosco, le 22 mars 1880, s’adressa à nouveau aux différentes Congrégations romaines et au Pape Léon XIII lui-même
pour l’érection d’un Vicariat ou Préfecture de Patagonie dont le siège serait à Carmen et qui engloberait les colonies déjà établies ou en cours d’organisation sur les rives du Río Negro, du 36° au 50° degré de latitude sud. Carmen deviendrait ainsi « le centre des missions salésiennes parmi les Indiens ».
            Mais les troubles militaires au moment de l’élection du général Roca à la présidence de la République (mai-août 1880) et la mort de l’inspecteur salésien, le père Francesco Bodrato (août 1880), firent suspendre les projets. Don Bosco insista également auprès du Président en novembre, mais en vain. Le vicariat n’était ni voulu par l’archevêque, ni apprécié par l’autorité politique.
            Quelques mois plus tard, en janvier 1881, Don Bosco encouragea le nouvel inspecteur, le père Giacomo Costamagna, à s’occuper du vicariat de Patagonie et assurait le curé-directeur, le père Fagnano, qu’en ce qui concerne la Patagonie –  » la plus grande entreprise de notre Congrégation  » – une grande responsabilité lui incomberait bientôt. Mais l’impasse demeurait.
            Entre-temps, en Patagonie, le Père Emilio Rizzo, qui en 1880 avait accompagné le vicaire de Buenos Aires, Monseigneur Espinosa, le long du Río Negro jusqu’à Roca (50 km), se préparait avec d’autres salésiens à d’autres missions volantes le long du même fleuve. Le Père Fagnano put alors accompagner l’armée jusqu’à la Cordillère en 1881. Don Bosco s’inquiétait, impatient, et don Costamagna lui conseilla à nouveau en novembre 1881 de négocier directement avec Rome.
            Par chance, Monseigneur Espinosa arriva en Italie à la fin de l’année 1881. Don Bosco en profita pour informer par son intermédiaire l’archevêque de Buenos Aires qui, en avril 1882, semblait favorable au projet d’un vicariat confié aux Salésiens, plutôt sans doute à cause de l’impossibilité d’y pourvoir avec son clergé. Mais une fois de plus, rien ne se passa.         Au cours de l’été 1882, puis en 1883, don Beauvoir accompagna l’armée jusqu’au lac Nahuel-Huapi dans les Andes (880 km). D’autres salésiens avaient fait des expéditions apostoliques similaires en avril le long du Río Colorado, tandis que don Beauvoir retournait à Roca et qu’en août don Milanesio allait jusqu’à Ñorquín dans le Neuquén (900 km).
            Don Bosco était de plus en plus convaincu que sans leur propre Vicariat apostolique, les Salésiens n’auraient pas joui de la liberté d’action nécessaire, étant donné les rapports très difficiles qu’il avait eus avec son Archevêque de Turin et compte tenu aussi du fait que le Concile Vatican I lui-même n’avait rien décidé sur les rapports difficiles entre Ordinaires et Supérieurs des Congrégations religieuses dans les territoires de mission. En outre, et ce n’était pas rien, seul un Vicariat missionnaire pourrait bénéficier d’un soutien financier de la part de la Congrégation de Propaganda Fide.
            Don Bosco reprit donc ses efforts et proposa au Saint-Siège la subdivision administrative de la Patagonie et de la Terre de Feu en trois vicariats ou préfectures : du Río Colorado au Río Chubut, de ceux-ci au Río Santa Cruz, et de ceux-ci aux îles de la Terre de Feu, y compris les Malouines (Falkland).
            Le pape Léon XIII donna son accord quelques mois plus tard et lui demanda des noms. Don Bosco proposa alors au cardinal Simeoni d’ériger un seul vicariat pour la Patagonie septentrionale, qui aurait son siège à Carmen, et dont dépendrait une préfecture apostolique pour la Patagonie méridionale. Pour cette dernière, il proposa le Père Fagnano ; pour le Vicariat, le Père Cagliero ou le Père Costamagna.

Un rêve devenu réalité
            Le 16 novembre 1883, un décret de Propaganda Fide érigea le vicariat apostolique de Patagonie septentrionale et centrale, qui comprenait le sud de la province de Buenos Aires, les territoires nationaux de la Pampa centrale, de Río Negro, de Neuquén et de Chubut. Quatre jours plus tard, il le confia à don Cagliero en tant que Provicaire apostolique (et plus tard Vicaire apostolique). Le 2 décembre 1883, c’était au tour de Fagnano d’être nommé préfet apostolique de la Patagonie chilienne, du territoire chilien de Magallanes-Punta Arenas, du territoire argentin de Santa Cruz, des îles Malouines et des îles indéterminées qui s’étendent jusqu’au détroit de Magellan. Sur le plan ecclésiastique, la préfecture couvrait des zones appartenant au diocèse chilien de San Carlos de Ancud.
            Le rêve du fameux voyage en train de Cartagena en Colombie à Punta Arenas au Chili le 10 août 1883 commençait donc à se réaliser, d’autant plus que des salésiens de Montevideo en Uruguay étaient venus fonder la maison de Niteroi au Brésil au début de l’année 1883. Le long processus pour pouvoir gérer une mission en pleine liberté canonique était arrivé à son terme. En octobre 1884, le père Cagliero fut nommé vicaire apostolique de Patagonie, où il entra le 8 juillet, sept mois après sa consécration épiscopale au Valdocco, le 7 décembre 1884.

La suite
            Malgré les difficultés de toutes sortes que l’histoire rappelle – y compris les accusations et les calomnies – l’œuvre salésienne, à partir de ces débuts timides, s’est rapidement développée en Patagonie argentine et chilienne. Elle s’est surtout implantée dans de très petits centres d’Indiens et de colons, qui sont devenus aujourd’hui des villes. Monseigneur Fagnano s’installa à Punta Arenas (Chili) en 1887, d’où il commença peu après des missions dans les îles de la Terre de Feu. Des missionnaires généreux et compétents ont généreusement dépensé leur vie des deux côtés du détroit de Magellan « pour le salut des âmes » et même des corps (dans la mesure de leurs possibilités) des habitants de ces terres « là-bas, au bout du monde ». Beaucoup l’ont reconnu, parmi lesquels une personne qui en sait quelque chose, parce qu’elle vient elle-même « presque du bout du monde » : le pape François.


Photo d’époque : les trois Bororòs qui ont accompagné les missionnaires salesiens à Cuyabà (1904)

By P. Francesco MOTTO

Salésien de Don Bosco, expert de St Jean Bosco, auteur de plusieurs livres. Docteur en histoire et en théologie, conférencier invité à l'Université pontificale salésienne. Cofondateur et directeur pendant 20 ans de l'Institut historique salésien (ISS) et de la revue 'Recherches historiques salésiennes' (1992-2012), il est l'un des fondateurs de l'Association des chercheurs en histoire salésienne (ACSSA), dont il est actuellement le président (2015-2023). Il a été consultant auprès de la Congrégation pour les Causes des Saints (2009-2014).