26 Sep 2025, ven

L’histoire des missions salésiennes (1/5)

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Le 150e anniversaire des missions salésiennes se tiendra le 11 novembre 2025. Nous pensons qu’il est intéressant de raconter à nos lecteurs une brève histoire des précédents et des premières étapes de ce qui allait devenir une sorte d’épopée missionnaire salésienne en Patagonie. Nous le faisons en cinq épisodes, avec l’aide de sources inédites qui nous permettent de corriger les nombreuses inexactitudes qui sont passées dans l’histoire.


            Dégageons tout de suite le terrain : on dit et on écrit que Don Bosco voulait partir en mission aussi bien comme séminariste que comme jeune prêtre. Ceci n’est pas documenté. Si, en tant qu’étudiant de 17 ans (1834), il a demandé à rejoindre les frères réformés franciscains du couvent des Anges à Chieri qui avaient des missions, la demande a apparemment été faite principalement pour des raisons financières. Si dix ans plus tard (1844), en quittant le « Pensionnat ecclésiastique » de Turin, il est tenté d’entrer dans la Congrégation des Oblats de la Vierge Marie, qui venait d’être chargée de missions en Birmanie (Myanmar), il est cependant vrai que la mission, pour laquelle il a peut-être aussi entrepris l’étude des langues étrangères, n’était pour le jeune prêtre Bosco qu’une des possibilités d’apostolat qui s’ouvraient à lui. Dans les deux cas, Don Bosco suivit immédiatement le conseil du Père Comollo d’entrer au séminaire diocésain et, plus tard, celui du Père Cafasso de continuer à se consacrer aux jeunes de Turin. Même dans les vingt années qui vont de 1850 à 1870, occupé à planifier la continuité de son « œuvre des Oratoires », à donner une base juridique à la société salésienne qu’il était en train de constituer, à la formation spirituelle et pédagogique des premiers salésiens, tous jeunes de son Oratoire, il n’était certainement pas en mesure de donner suite à ses aspirations missionnaires personnelles ou à celles de ses « fils » eux-mêmes. Il n’y a même pas une ombre de lui ou des salésiens allant en Patagonie, même si c’est écrit sur le papier ou sur le web.

Une sensibilité missionnaire accrue
            Cela n’enlève rien au fait que la sensibilité missionnaire de Don Bosco, probablement réduite à de faibles indices et à de vagues aspirations dans les années de sa formation sacerdotale et de son premier sacerdoce, s’est considérablement aiguisée au fil des ans. La lecture des Annales de la Propagation de la Foi lui fournit de bonnes informations sur le monde missionnaire, à tel point qu’il en a tiré des épisodes pour certains de ses livres et qu’il a fait l’éloge du Pape Grégoire XVI qui encourageait la diffusion de l’Évangile aux quatre coins du monde et approuvait de nouveaux Ordres religieux à finalité missionnaire. Don Bosco a pu bénéficier de l’influence considérable du chanoine G. Ortalda, directeur du Conseil diocésain de l’Association Propaganda Fide pendant 30 ans (1851-1880) et promoteur des « Ecoles Apostoliques » (sorte de petit séminaire pour les vocations missionnaires). En décembre 1857, il avait également lancé le projet d’une exposition en faveur des missions catholiques confiées aux six cents missionnaires sardes. Don Bosco en était bien informé.
            L’intérêt missionnaire grandit en lui en 1862 lors de la canonisation solennelle à Rome des 26 protomartyrs japonais et en 1867 à l’occasion de la béatification de plus de deux cents martyrs japonais, célébrée elle aussi avec solennité au Valdocco. Dans la ville papale, pendant ses longs séjours en 1867, 1869 et 1870, il a pu voir d’autres initiatives missionnaires locales, comme la fondation du Séminaire pontifical des Saints Apôtres Pierre et Paul pour les missions à l’étranger.
            Le Piémont, avec près de 50% des missionnaires italiens (1500 avec 39 évêques), était à l’avant-garde dans ce domaine et le franciscain Monseigneur Luigi Celestino Spelta, vicaire apostolique de Hupei, se rendit à Turin en novembre 1859. Il ne visita pas l’Oratoire, ce que fit par contre Don Daniele Comboni en décembre 1864, qui publia à Turin son Plan de Régénération pour l’Afrique avec le projet intrigant d’évangéliser l’Afrique à travers les Africains.
            Don Bosco eut un échange d’idées avec lui, qui en 1869 essaya, sans succès, de l’associer à son projet et l’année suivante l’invita à envoyer quelques prêtres et laïcs pour diriger un institut au Caire et le préparer ainsi aux missions en Afrique, au centre desquelles il comptait confier aux salésiens un vicariat apostolique. Au Valdocco, la demande, qui n’est pas accordée, est remplacée par la volonté d’accueillir des garçons à éduquer pour les missions. Là, cependant, le groupe d’Algériens recommandé par Monseigneur Charles Martial Lavigerie rencontra des difficultés et fut envoyé à Nice Maritime, en France. En 1869, la demande du même archevêque d’avoir des auxiliaires salésiens dans un orphelinat d’Alger dans un moment d’urgence n’a pas été acceptée. De même, la demande du missionnaire brescien Giovanni Bettazzi d’envoyer des salésiens pour diriger un institut d’art et d’artisanat en plein essor, ainsi qu’un petit séminaire, dans le diocèse de Savannah (Géorgie, USA) était suspendue à partir de 1868. Les propositions des autres, qu’il s’agisse de diriger des œuvres éducatives dans les « territoires de mission » ou d’agir directement in partibus infidelium, pouvaient également être attrayantes, mais Don Bosco ne renoncerait jamais ni à sa pleine liberté d’action – qu’il voyait peut-être compromise par les propositions qu’il avait reçues des autres – ni surtout à son travail particulier auprès des jeunes, pour lesquels il était à l’époque très occupé à développer la société salésienne nouvellement approuvée (1869) au-delà des frontières de Turin et du Piémont. Bref, jusqu’en 1870, Don Bosco, bien que théoriquement sensible aux besoins missionnaires, cultive d’autres projets au niveau national.

Quatre années de demandes non satisfaites (1870-1874)
            Le thème missionnaire et les questions importantes qui s’y rapportent font l’objet d’une attention particulière lors du Concile Vatican I (1868-1870). Si le document Super Missionibus Catholicis ne fut jamais présenté à l’assemblée générale, la présence à Rome de 180 évêques provenant de  » terres de mission  » et l’information positive sur le modèle salésien de vie religieuse, diffusée parmi eux par quelques évêques piémontais, donnèrent à Don Bosco l’occasion de rencontrer beaucoup d’entre eux et d’être contacté par eux, aussi bien à Rome qu’à Turin.
            C’est là que fut reçue, le 17 novembre 1869, la délégation chilienne composée de l’archevêque de Santiago et de l’évêque de Concepción. En 1870, c’est au tour de Mgr D. Barbero, vicaire apostolique à Hyderabad (Inde), déjà connu de Don Bosco, de solliciter des soeurs disponibles pour l’Inde. En juillet 1870, le dominicain Mgr G. Sadoc Alemany, archevêque de San Francisco en Californie (USA), se rendit au Valdocco et demanda et obtint des salésiens un hospice avec une école professionnelle (qui ne fut jamais construite). Le franciscain Mgr L. Moccagatta, Vicaire Apostolique de Shantung (Chine) et son confrère Mgr Eligio Cosi, plus tard son successeur, visitèrent également le Valdocco. En 1873, c’est au tour de Mgr T. Raimondi de Milan d’offrir à Don Bosco la possibilité d’aller diriger les écoles catholiques dans la Préfecture Apostolique de Hong Kong. Les négociations, qui durèrent plus d’un an, s’arrêtèrent pour diverses raisons, tout comme, en 1874, un projet de nouveau séminaire du Père Bertazzi pour Savannah (USA) resta également sur le papier. Il en fut de même pour les fondations missionnaires en Australie et en Inde, pour lesquelles Don Bosco entama des négociations avec des évêques individuels, qu’il donna parfois comme conclues au Saint-Siège, alors qu’il ne s’agissait en réalité que de projets en cours de réalisation.
            Au début des années soixante-dix, avec un personnel composé d’un peu plus de deux douzaines de personnes (prêtres, clercs et coadjuteurs), dont un tiers de vœux temporaires, réparties dans six maisons, il aurait été difficile pour Don Bosco d’envoyer certains d’entre eux en terre de mission. D’autant plus que les missions étrangères qui lui étaient proposées jusqu’alors en dehors de l’Europe présentaient de sérieuses difficultés de langue, de culture et de traditions non autochtones, et que la tentative de longue date de disposer de jeunes anglophones, même avec l’aide du recteur du collège irlandais de Rome, Mgr Toby Kirby, s’était soldée par un échec.


(suite)

Photo d’époque : le port de Gênes, 14 novembre 1877.

By P. Francesco MOTTO

Salésien de Don Bosco, expert de St Jean Bosco, auteur de plusieurs livres. Docteur en histoire et en théologie, conférencier invité à l'Université pontificale salésienne. Cofondateur et directeur pendant 20 ans de l'Institut historique salésien (ISS) et de la revue 'Recherches historiques salésiennes' (1992-2012), il est l'un des fondateurs de l'Association des chercheurs en histoire salésienne (ACSSA), dont il est actuellement le président (2015-2023). Il a été consultant auprès de la Congrégation pour les Causes des Saints (2009-2014).