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Don Bosco propose un récit détaillé de l’ « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette », survenue le 19 septembre 1846, basé sur des documents officiels et les témoignages des voyants. Il reconstitue le contexte historique et géographique – deux jeunes bergers, Maximin et Mélanie, sur les hauteurs des Alpes – la rencontre prodigieuse avec la Vierge, son message d’avertissement contre le péché et la promesse de grâces et d’aides providentielles, ainsi que les signes surnaturels qui accompagnèrent leur manifestation. Il présente les circonstances de la diffusion du culte, l’influence spirituelle sur les habitants et sur le monde entier, et le secret révélé seulement à Pie IX pour revigorer la foi des chrétiens et témoigner de la présence continuelle des prodiges dans l’Église.
Protestation de l’Auteur
Pour obéir aux décrets d’Urbain VIII, je déclare que je n’entends attribuer qu’une autorité humaine à tout ce qui sera dit dans ce livre au sujet de miracles, de révélations ou d’autres faits ; et en donnant à quelqu’un le titre de Saint ou de Bienheureux, je n’entends le donner que selon l’opinion commune ; excepté les choses et les personnes qui ont déjà été approuvées par le Saint-Siège Apostolique.
Au lecteur
Un fait certain et merveilleux, attesté par des milliers de personnes, et que tous peuvent encore vérifier aujourd’hui, est l’apparition de la bienheureuse Vierge, survenue le 19 septembre 1846. (Sur ce fait extraordinaire, on peut consulter de nombreux livres et plusieurs journaux contemporains du fait, notamment : Notizia sull’apparizione di Maria SS. (Turin, 1847) ; Sunto officiale dell’apparizione, etc., 1848 ; le livret imprimé par les soins du P. Giuseppe Gonfalonieri, Novara, chez Enrico Grotti).
Notre bonne Mère est apparue sous la forme et la figure d’une grande Dame à deux petits bergers, un enfant de 11 ans et une jeune paysanne de 15 ans, là-haut sur une montagne de la chaîne des Alpes située dans la paroisse de La Salette en France. Elle est apparue non seulement pour le bien de la France, comme le dit l’évêque de Grenoble, mais pour le bien du monde entier. Elle est venue pour nous avertir de la grande colère de son Divin Fils, provoquée spécialement par trois péchés : le blasphème, la profanation des fêtes et le fait de manger gras les jours défendus.
À cela s’ajoutent d’autres faits prodigieux recueillis également par des documents publics, ou attestés par des personnes absolument dignes de foi.
Ces faits servent à confirmer les bons dans la religion, à réfuter ceux qui, peut-être par ignorance, voudraient mettre une limite à la puissance et à la miséricorde du Seigneur en disant : Nous ne sommes plus au temps des miracles.
Jésus a dit qu’il y aura dans son Église des miracles plus grands que ceux qu’il a accomplis, sans fixer le temps et le nombre. C’est pourquoi, tant qu’il y aura l’Église, nous verrons toujours la main du Seigneur manifester sa puissance par des événements prodigieux. Car hier et aujourd’hui et toujours, Jésus-Christ sera celui qui gouverne et assiste son Église jusqu’à la consommation des siècles.
Mais ces signes sensibles de la Toute-Puissance Divine sont toujours le présage d’événements graves qui manifestent la miséricorde et la bonté du Seigneur, ou bien sa justice et son indignation, mais en vue de sa plus grande gloire et pour le plus grand bien des âmes.
Faisons en sorte qu’ils soient pour nous une source de grâces et de bénédictions. Qu’ils servent d’incitation à une foi vive, à une foi laborieuse, à une foi qui nous pousse à faire le bien et à fuir le mal pour nous rendre dignes de sa miséricorde infinie dans le temps et dans l’éternité.
Apparition de la Vierge Marie sur les montagnes de la Salette
Maximin, fils de Pierre Giraud, menuisier du village de Corps, était un enfant de 11 ans. Françoise Mélanie, fille de parents pauvres, native de Corps, était une fille de 15 ans. Ils n’avaient rien de singulier : tous deux ignorants et frustes, tous deux occupés à garder le bétail sur les montagnes. Maximin ne savait que le Pater et l’Ave ; Mélanie en savait un peu plus, mais à cause de son ignorance, elle n’avait pas encore été admise à la sainte Communion.
Envoyés par leurs parents pour conduire le bétail dans les pâturages, ce fut par pur hasard que le 18 septembre, veille du grand événement, ils se rencontrèrent sur la montagne, tandis qu’ils abreuvaient leurs vaches à une fontaine.
Le soir de ce jour, en rentrant chez eux avec le bétail, Mélanie dit à Maximin : « Demain, qui sera le premier sur la Montagne ? » Et le lendemain, 19 septembre, qui était un samedi, ils y montèrent ensemble, chacun conduisant quatre vaches et une chèvre. La journée était belle et sereine, le soleil brillait. Vers midi, en entendant sonner la cloche de l’Angélus, ils firent une courte prière avec le signe de la sainte Croix. Puis ils prirent leurs provisions de bouche et allèrent manger près d’une petite source, qui était à gauche d’un ruisseau. Ayant fini de manger, ils traversèrent le ruisseau, déposèrent leurs sacs près d’une fontaine sèche, descendirent encore quelques pas, et, contrairement à leur habitude, s’endormirent à quelque distance l’un de l’autre.
Écoutons maintenant le récit des bergers eux-mêmes, tel qu’ils le firent le soir du 19 à leurs maîtres, puis mille fois à des milliers de personnes.
« Nous nous étions endormis, raconte Mélanie. Je me suis réveillée la première et, ne voyant pas mes vaches, j’ai réveillé Maximin en lui disant : Allons chercher nos vaches. Nous avons traversé le ruisseau, nous sommes montés un peu, et nous les avons vues couchées de l’autre côté. Elles n’étaient pas loin. Alors je suis redescendue quand tout à coup, à cinq ou six pas avant d’arriver au ruisseau, j’ai vu une clarté comme le Soleil, mais encore plus brillante et pas de la même couleur, et j’ai dit à Maximin : Viens, viens vite voir là-bas une clarté. (Il était entre deux et trois heures de l’après-midi).
Maximin descendit aussitôt en me disant : Où est cette clarté ? Et je la lui indiquai avec le doigt tourné vers la petite fontaine. Quand il la vit, il s’arrêta. C’est alors qu’au milieu de la lumière nous avons vu une Dame. Elle était assise sur un tas de pierres, le visage dans les mains. Prise de peur, j’ai laissé tomber mon bâton. Maximin me dit : tiens le bâton ; si elle nous fait quelque chose, je lui donnerai un bon coup de bâton.
Ensuite, la Dame se leva, croisa les bras et nous dit : « Avancez, mes enfants. N’ayez pas peur ; je suis ici pour vous donner une grande nouvelle. » Alors nous traversâmes le ruisseau, et elle s’avança jusqu’à l’endroit où nous nous étions endormis. Elle était au milieu de nous deux et elle pleurait tout le temps qu’elle nous parla (j’ai très bien vu ses larmes). Elle nous dit : « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis contrainte de laisser aller la main de mon Fils. Elle est si forte, si lourde, que je ne peux plus la retenir. »
« Il y a longtemps que je souffre pour vous ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je dois le prier constamment ; et vous autres n’en tenez pas compte. Vous aurez beau prier et agir, jamais vous ne pourrez compenser les préoccupations que j’ai pour vous. »
« Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me l’accorder. C’est ce qui rend la main de mon Fils si lourde. »
« Si les pommes de terre se gâtent, c’est entièrement de votre faute. Je vous l’ai fait voir l’année dernière (1845), et vous n’avez pas voulu en tenir compte, et en trouvant des pommes de terre gâtées, vous blasphémiez en y mêlant le nom de mon Fils. »
« Elles continueront à se gâter, et cette année pour Noël vous n’en aurez plus (1846). »
« Si vous avez du blé, vous ne devez pas le semer. Tout ce que vous sèmerez sera mangé par les vers, et ce qui naîtra ira en poussière, quand vous le battrez. »
« Il arrivera une grande famine. » (Il y eut en effet une grande famine en France, et sur les routes on trouvait des troupes de mendiants affamés, qui se rendaient par milliers dans les villes pour mendier. Pendant que chez nous en Italie le prix du blé augmentait au début du printemps 1847, en France, pendant tout l’hiver 1846-1847, on souffrit beaucoup de la faim. Mais la véritable pénurie d’aliments, la véritable famine eut lieu lors des désastres de la guerre de 1870-1871. À Paris, un grand personnage offrit à ses amis un somptueux repas gras le Vendredi Saint. Quelques mois plus tard, dans cette même ville, les citoyens les plus aisés furent contraints de se nourrir d’aliments grossiers et de viandes d’animaux parmi les plus répugnants. Nombreux furent ceux qui moururent de faim).
« Avant que la pénurie d’aliments n’arrive, les enfants de moins de sept ans seront pris d’un tremblement et mourront entre les mains des personnes qui les tiendront. Les autres feront pénitence pour la pénurie. »
« Les noix se gâteront, et les raisins pourriront… » (En 1849, les noix se gâtèrent partout ; quant au raisin, tous se plaignent encore des dommages et des pertes subies. Chacun se souvient de l’immense dommage que la cryptogame causa au raisin dans toute l’Europe pendant plus de vingt ans, de 1849 à 1869).
« S’ils se convertissent, les pierres et les rochers se changeront en tas de blé, et les pommes de terre seront produites par la terre elle-même. »
Puis elle nous dit :
« Dites-vous bien vos prières, mes enfants ? »
Nous répondîmes tous deux : « Pas très bien, Madame. »
« Ah ! mes enfants, vous devez bien les dire le soir et le matin. Quand vous n’avez pas le temps, dites au moins un Pater et un Ave Maria : et quand vous aurez le temps, dites-en plus. »
« À la Messe, il n’y a que quelques vieilles femmes, et les autres travaillent le dimanche tout l’été. En hiver les jeunes, quand ils ne savent que faire, vont à la Messe pour ridiculiser la religion. Pendant le carême, on va à la boucherie comme des chiens. »
Puis elle dit : « N’as-tu jamais vu, mon garçon, du blé gâté ? »
Maximin répondit : « Oh ! non, Madame. » Ne sachant à qui elle posait cette question, je répondis à voix basse :
« Non, Madame, je n’en ai pas encore vu. »
« Vous devez en avoir vu, mon garçon (s’adressant à Maximin), une fois vers la commune de Coin avec votre père. Le propriétaire du champ a dit à votre père d’aller voir son blé gâté ; vous y êtes allés tous les deux. Vous avez pris quelques épis dans vos mains ; en les frottant, ils sont tous tombés en poussière, et vous êtes revenus chez vous. Quand vous étiez encore à une demi-heure de Corps, votre père vous a donné un morceau de pain en vous disant : Prends, mon fils, mange encore du pain cette année ; je ne sais pas qui en mangera l’année prochaine, si le blé continue à se gâter ainsi. »
Maximin répondit : « Oh ! oui, Madame, maintenant je me souviens ; il y a quelque temps, je ne m’en souvenais plus. »
Après cela, la Dame nous dit : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Puis elle traversa le ruisseau, et à deux pas de distance, sans se tourner vers nous, elle nous dit de nouveau : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Elle monta ensuite une quinzaine de pas, jusqu’à l’endroit où nous étions allés chercher nos vaches. Mais en marchant sur l’herbe, ses pieds ne touchaient que le sommet. Nous l’avons suivie. Je suis passée devant la Dame et Maximin un peu de côté, à deux ou trois pas de distance. Et la belle Dame s’est élevée ainsi (Mélanie fait un geste en levant la main d’un mètre et plus). Elle resta suspendue dans l’air un moment. Ensuite Elle tourna son regard vers le Ciel, puis vers la terre. Après quoi nous ne vîmes plus la tête… plus les bras… plus les pieds… Elle semblait se fondre. On ne vit plus qu’une clarté dans l’air, et après cela la clarté disparut.
Je dis à Maximin : « C’est peut-être une grande sainte ? » Maximin me répondit : « Oh ! si nous avions su que c’était une grande sainte, nous lui aurions dit de nous emmener avec elle. » Et je lui dis : « Et si elle était encore là ? » Alors Maximin tendit vivement la main pour avoir un peu de cette clarté, mais tout avait disparu. Nous avons bien observé, pour savoir si nous ne la voyions plus.
Et je dis : « Elle ne veut pas se montrer pour ne pas nous faire savoir où elle va. Après cela, nous sommes allés derrière nos vaches. »
Tel est le récit de Mélanie, Quand on l’interrogea sur la façon dont cette Dame était vêtue, elle répondit :
« Elle avait des chaussures blanches avec des roses autour… Il y en avait de toutes les couleurs. Elle avait des bas jaunes, un tablier jaune, une robe blanche toute parsemée de perles, un fichu blanc au cou entouré de roses, un grand bonnet qui pendait un peu en avant avec une couronne de roses autour. Elle avait une chaînette, à laquelle était suspendue une croix avec son Christ : à droite une tenaille, à gauche un marteau. À l’extrémité de la Croix pendait une autre grande chaîne, comme les roses autour de son fichu au cou. Elle avait le visage blanc, allongé. Je ne pouvais pas la regarder longtemps, car elle nous éblouissait. »
Interrogé séparément, Maximin fait exactement le même récit, sans aucune variation, ni sur la substance ni même sur la forme, ce qui nous dispense de le répéter ici.
Infinies et extravagantes sont les questions insidieuses qui leur furent posées, surtout pendant deux ans, et au cours d’interrogatoires de 5, 6 ou 7 heures de suite, dans l’intention de les embarrasser, de les confondre, de les amener à se contredire. Il est certain que jamais peut-être aucun coupable n’a subi un interrogatoire aussi difficile devant les tribunaux de justice concernant le crime qui lui était imputé.
Secret des deux petits bergers
Immédiatement après l’apparition, Maximin et Mélanie, en rentrant chez eux, se sont interrogés mutuellement : pourquoi la grande Dame, après avoir dit que « les raisins pourriront », a tardé un peu à parler et ne faisait que bouger les lèvres, sans faire entendre ce qu’elle disait ?
En s’interrogeant à ce sujet l’un l’autre, Maximin dit à Mélanie : « Elle m’a dit quelque chose, mais elle m’a interdit de te le dire. » Ils se rendirent compte tous les deux qu’ils avaient reçu de la Dame, chacun séparément, un secret avec l’interdiction de le révéler à d’autres. Mais crois-tu, mon cher lecteur, que les enfants peuvent se taire ?
Il est impossible de dire combien d’efforts et de tentatives ont été faits pour leur arracher ce secret d’une manière ou d’une autre. Il est étonnant de lire les mille et une tentatives employées à cette fin par des centaines et des centaines de personnes pendant vingt ans. Prières, surprises, menaces, injures, cadeaux et séductions de toutes sortes, tout fut vain ; ils restent impénétrables.
L’évêque de Grenoble, un vieillard de quatre-vingts ans, crut de son devoir d’ordonner aux deux enfants privilégiés de faire au moins parvenir leur secret au Saint-Père Pie IX. Au nom du Vicaire de Jésus-Christ, les deux petits bergers obéirent promptement et décidèrent de révéler un secret que rien n’avait pu leur arracher jusqu’alors. Ils l’ont donc écrit eux-mêmes (à partir du jour de l’apparition, on les avait mis à l’école, et chacun séparément). Puis ils ont plié et scellé leur lettre, et tout cela en présence de personnes respectables, choisies par l’évêque lui-même comme témoins. Ensuite, l’évêque envoya deux prêtres porter cette mystérieuse dépêche à Rome.
Le 18 juillet 1851, ils remirent à Sa Sainteté Pie IX trois lettres : une de Monseigneur l’évêque de Grenoble, qui accréditait ses deux envoyés, et les deux autres qui contenaient le secret des deux enfants de La Salette. Chacun d’eux avait écrit et scellé sa lettre contenant son secret en présence de témoins qui avaient déclaré l’authenticité de celles-ci sur la couverture.
Sa Sainteté ouvrit les lettres, en commençant à lire celle de Maximin. « Il y a vraiment ici, dit-il, la candeur et la simplicité d’un enfant. » Pendant cette lecture, une certaine émotion se manifesta sur le visage du Saint-Père ; ses lèvres se contractèrent, ses joues se gonflèrent. « Il s’agit, dit le Pape aux deux prêtres, il s’agit de fléaux dont la France est menacée. Elle n’est pas la seule coupable. L’Allemagne, l’Italie, l’Europe entière le sont aussi, et elles méritent des châtiments. Je crains beaucoup l’indifférence religieuse et le respect humain. »
Concours de fidèles à La Salette
La fontaine, près de laquelle la Dame, c’est-à-dire la Vierge Marie, s’était reposée, était à sec, comme nous l’avons dit, et de l’avis de tous les bergers et habitants des environs, elle ne donnait de l’eau qu’après d’abondantes pluies et après la fonte des neiges. Or cette fontaine, qui était à sec le jour même de l’apparition, commença à jaillir le lendemain, et depuis cette époque, l’eau coule claire et limpide, sans interruption.
Cette montagne nue, escarpée, déserte, habitée par les bergers à peine quatre mois de l’année, est devenue le théâtre d’un immense rassemblement de foules. Des populations entières affluent de toutes parts vers cette montagne privilégiée. Pleurant de tendresse, et chantant des hymnes et des cantiques, on les voit s’incliner sur cette terre bénie où a résonné la voix de Marie. On les voit embrasser respectueusement le lieu sanctifié par les pieds de Marie, et ils en descendent remplis de joie, de confiance et de reconnaissance.
Chaque jour, un nombre immense de fidèles va visiter pieusement le lieu du prodige. Lors du premier anniversaire de l’apparition (19 septembre 1847), plus de soixante-dix mille pèlerins de tout âge, de tout sexe, de toute condition et même de toute nation occupaient la surface de ce terrain…
Mais ce qui fait sentir encore plus la puissance de cette voix venue du Ciel, c’est qu’il s’est produit un admirable changement de mœurs chez les habitants de Corps, de La Salette, de tout le canton et de tous les environs ; il se répand et se propage dans des régions lointaines… Les gens ont cessé de travailler le dimanche, ils ont abandonné le blasphème… Ils fréquentent l’Église, accourent à la voix de leurs Pasteurs, s’approchent des saints Sacrements, accomplissent avec édification le précepte de Pâques jusqu’alors généralement négligé. Je passe sous silence les nombreuses et éclatantes conversions, et les grâces extraordinaires d’ordre spirituel.
Au lieu de l’apparition s’élève maintenant une majestueuse Église avec un très vaste bâtiment, où les voyageurs peuvent se restaurer confortablement et même y passer la nuit à leur gré, après avoir satisfait leur dévotion.
Après l’événement de La Salette, Mélanie fut envoyée à l’école où elle fit des progrès merveilleux dans les connaissances et dans la vertu. Mais elle se sentit toujours si enflammée de dévotion envers la Bienheureuse Vierge Marie qu’elle décida de se consacrer entièrement à Elle. Elle entra de fait chez les Carmélites déchaussées parmi lesquelles, selon le journal Echo de Fourvière du 22 octobre 1870, elle sera appelée au ciel par la Sainte Vierge. Peu avant de mourir, elle écrivit la lettre suivante à sa mère.
11 septembre 1870.
Ma très chère mère bien-aimée,
Que Jésus soit aimé de tous les cœurs. – Cette lettre n’est pas seulement pour vous, mais pour tous les habitants de mon cher village de Corps. Un père de famille, plein d’amour pour ses enfants, voyant qu’ils oubliaient leurs devoirs, méprisaient la loi que Dieu leur avait imposée, et devenaient ingrats, résolut de les châtier sévèrement. L’épouse du Père de famille demandait grâce, et en même temps elle se rendait auprès des deux plus jeunes enfants du Père de famille, c’est-à-dire ceux qui étaient les plus faibles et les plus ignorants. L’épouse qui ne peut pleurer dans la maison de son époux (qui est le Ciel) trouve dans les champs de ces misérables enfants des larmes en abondance. Elle expose ses craintes et ses menaces si l’on ne revient pas en arrière, si l’on n’observe pas la loi du Maître de maison. Un très petit nombre de personnes embrasse la réforme du cœur, et se met à observer la sainte loi du Père de famille. Mais, hélas, la majorité reste dans le mal et s’y enfonce toujours plus. Alors le Père de famille envoie des châtiments pour les punir et pour les tirer de cet état d’endurcissement. Ces malheureux enfants, qui pensent pouvoir se soustraire au châtiment, saisissent et brisent les verges qui les frappent au lieu de tomber à genoux, de demander grâce et miséricorde, et surtout de promettre de changer de vie. Enfin le père de famille, encore plus irrité, prend une verge encore plus forte. Il frappe et frappera jusqu’à ce qu’on le reconnaisse, qu’on s’humilie et qu’on demande miséricorde à Celui qui règne sur la terre et dans les cieux.
Vous m’avez comprise, chère mère et chers habitants de Corps : ce Père de famille, c’est Dieu. Nous sommes tous ses enfants. Ni moi ni vous ne l’avons aimé comme nous aurions dû. Nous n’avons pas accompli, comme il convenait, ses commandements ; maintenant Dieu nous châtie. Un grand nombre de nos frères soldats meurent, des familles et des villes entières sont réduites à la misère, et si nous ne nous tournons pas vers Dieu, ce n’est pas fini. La ville de Paris est très coupable parce qu’elle a récompensé un homme mauvais qui a écrit contre la divinité de Jésus-Christ. Les hommes n’ont qu’un temps pour commettre des péchés, mais Dieu est éternel, et il châtie les pécheurs. Dieu est irrité par la multiplicité des péchés, et parce qu’il est presque inconnu et oublié. Or, qui pourra arrêter la guerre qui fait tant de mal en France, et qui recommencera bientôt en Italie ? etc. etc. Qui pourra arrêter ce fléau ?
Il faut 1° que la France reconnaisse que dans cette guerre il y a uniquement la main de Dieu ; 2° qu’elle s’humilie et demande avec l’esprit et le cœur le pardon de ses péchés ; qu’elle promette sincèrement de servir Dieu avec l’esprit et le cœur, et d’obéir à ses commandements sans respect humain. Certains prient, demandent à Dieu le triomphe pour nous, les Français. Non, ce n’est pas ce que veut le bon Dieu : il veut la conversion des Français. La Bienheureuse Vierge est venue en France, et celle-ci ne s’est pas convertie : elle est donc plus coupable que les autres nations. Si elle ne s’humilie pas, elle sera grandement humiliée. Paris, ce foyer de vanité et d’orgueil, qui pourra la sauver si des prières ferventes ne s’élèvent pas au cœur du bon Maître ?
Je me souviens, chère mère et chers habitants de mon cher village, je me souviens de ces pieuses processions que vous faisiez sur la sainte montagne de La Salette, afin que la colère de Dieu ne frappe pas votre pays ! La Sainte Vierge a écouté vos ferventes prières, vos pénitences et tout ce que vous avez fait par amour de Dieu. Je pense et j’espère qu’actuellement vous devez d’autant plus faire de belles processions pour le salut de la France, c’est-à-dire pour que la France revienne à Dieu, car Dieu n’attend que cela pour retirer la verge dont il se sert pour flageller son peuple rebelle. Prions donc beaucoup, oui, prions. Faites vos processions, comme vous les avez faites en 1846 et 1847. Croyez que Dieu écoute toujours les prières sincères des cœurs humbles. Prions beaucoup, prions toujours. Je n’ai jamais aimé Napoléon, car je me rappelle toute sa vie. Puisse le divin Sauveur lui pardonner tout le mal qu’il a fait, et qu’il fait encore !
Rappelons-nous que nous sommes créés pour aimer et servir Dieu, et qu’en dehors de cela il n’y a pas de vrai bonheur. Que les mères élèvent chrétiennement leurs enfants, car le temps des tribulations n’est pas fini. Si je vous révélais leur nombre et leur nature, vous en seriez horrifiés. Mais je ne veux pas vous effrayer. Ayez confiance en Dieu, qui nous aime infiniment plus que nous ne pouvons l’aimer. Prions, prions, et la bonne, la divine, la tendre Vierge Marie sera toujours avec nous. La prière désarme la colère de Dieu, la prière est la clé du Paradis.
Prions pour nos pauvres soldats, prions pour tant de mères désolées par la perte de leurs enfants, consacrons-nous à notre bonne Mère céleste, prions pour ces aveugles qui ne voient pas que c’est la main de Dieu qui frappe maintenant la France. Prions beaucoup et faisons pénitence. Restez tous attachés à la sainte Église, et à notre Saint-Père qui en est le Chef visible et le Vicaire de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la terre. Dans vos processions, dans vos pénitences, priez beaucoup pour lui. Enfin, maintenez-vous en paix, aimez-vous comme des frères, promettez à Dieu d’observer ses commandements et de les observer vraiment. Et par la miséricorde de Dieu vous serez heureux, et vous ferez une bonne et sainte mort, que je souhaite à tous en vous plaçant tous sous la protection de l’auguste Vierge Marie. J’embrasse de tout cœur (les parents). Mon salut est dans la Croix. Le cœur de Jésus veille sur moi.
Marie de la Croix, victime de Jésus
Première partie de la publication « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette avec d’autres faits prodigieux, recueillis de documents publics par le prêtre Giovanni Bosco », Turin, Typographie de l’Oratoire Saint François de Sales, 1871.