19 Oct 2025, dim

Entretien avec le Conseiller pour les Missions, Don Jorge Mario CRISAFULLI

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Peux-tu te présenter brièvement ?
Je suis né à Bahía Blanca, en Argentine, le 19 mars 1961, qui est comme la « porte de la Patagonie », la terre des rêves missionnaires de Don Bosco. Mes parents ne m’ont pas appelé José, mais Jorge Mario, sans savoir qu’un jour nous aurions un Pape argentin portant le même nom. J’ai fait ma première profession en 1980, ma profession perpétuelle en 1986 et j’ai été ordonné prêtre en 1990, précisément pour le centenaire du Collège Don Bosco, où j’avais fait mes études secondaires. En 1995, je suis parti en mission, pour ma nouvelle « terre promise », en Afrique de l’Ouest (Ghana, Nigeria, Niger, Libéria et Sierra Leone), où j’allais passer 30 ans de ma vie à servir dans différentes responsabilités : j’ai servi comme missionnaire au Ghana, en Sierra Leone et au Nigeria. J’ai été responsable des Provinces AFW et ANN jusqu’à ce que, lors du dernier Chapitre Général 29, je sois élu Conseiller pour les Missions.

Comment as-tu découvert ta vocation salésienne et qu’est-ce qui t’a attiré dans le charisme de Don Bosco ?
Ce fut un processus graduel. Dieu se manifeste à travers tes talents, tes intérêts, les événements et les personnes. Chaque vocation est un entrelacement d’amour. Il suffit de tout lire avec des yeux de foi et alors on découvre une magnifique tapisserie qui révèle combien Dieu t’a aimé et guidé dans la vie. J’ai connu Don Bosco grâce aux Filles de Marie Auxiliatrice qui m’ont préparé à la Première Communion, quand j’avais à peine huit ans. À neuf ans, je suis entré chez les Scouts de Don Bosco, où j’ai appris l’une des plus belles vérités de la vie : « celui qui ne vit pas pour servir, ne sert pas pour vivre ». À 15 ans, j’ai vécu ma première expérience missionnaire dans la Ligne Sud de Río Negro, à Sierra Colorada, au milieu du peuple mapuche. Ce fut mon premier bain de réalité : une chose était de voir la pauvreté dans les documentaires ou les magazines ; une autre, très différente, était de la sentir, de la toucher, de l’écouter. Là, j’ai senti l’appel à la vie missionnaire : tout quitter pour tout donner aux plus pauvres, sans calculs ni limites. À cette époque, je lisais Saint Paul et diverses vies de saints. Tous me semblaient géniaux, mais très grands et inimitables ; en lisant Don Bosco, il me paraissait proche, sympathique, accessible. « Je veux être comme lui », me suis-je dit. À 17 ans, avec le rêve d’être salésien et missionnaire, je suis parti pour le noviciat, même contre la volonté de mes parents. Au début, ils ont eu beaucoup de mal à l’accepter, surtout quand je suis parti définitivement en mission. Je crois qu’à ce moment-là, ils ont pensé que j’étais un peu fou. Mais avec le temps, ils ont découvert que c’était une « folie » différente, qu’il était inutile de s’y opposer, que Dieu lui-même était derrière tout cela, inspirant, appelant et accompagnant.

Quelles personnes t’ont inspiré dans ton choix vocationnel ?
Une authentique pléthore de témoins a marqué mon chemin : mes parents, qui m’ont laissé « voler » hors du nid si jeune ; le premier salésien que j’ai connu, le P. Renato Razza, aumônier des Scouts, véritable incarnation de la Lettre de Rome de 1884, toujours « assistant » les jeunes dans la cour et organisant des « balades à vélo » ; le frère coadjuteur Juan Spinardi, toujours souriant, disponible et priant. De grands missionnaires pionniers de la première heure dans la Patagonie d’hier : Cagliero, Costamagna, Fagnano, Milanesio (j’ai grandi en lisant leurs biographies !). Et les missionnaires plus récents que j’ai connus pendant ma formation initiale : les pères Francisco Calendino, Lucio Sabatti, Hermes Grasso et Antonio Mateos. Ils étaient l’Évangile vivant. Ils parlaient peu, témoignaient beaucoup. Ils ne gardaient rien : ils donnaient tout. Leur exemple de vie était comme un aimant, une invitation à les suivre.

Te souviens-tu d’un éducateur ou d’un formateur en particulier ?
Oui, Mgr Jaime Francisco de Nevares, évêque salésien de Neuquén, qui m’a ordonné prêtre. Il éduquait par sa vie et sa parole. Véritable prophète qui annonçait et dénonçait. L’un des rares à avoir affronté la dictature militaire et ses abus ; il a défendu les droits de l’homme et sauvé des vies. Il aimait Dieu et les pauvres avec passion. Un évêque salésien et missionnaire qui a parcouru à cheval toute la province de Neuquén pour visiter les paysans, les Mapuches et les familles. Quel regard transparent. Il transmettait la paix et le courage. Quel modèle missionnaire !

Quelles ont été les plus grandes difficultés dans ta vocation et dans ta vie missionnaire ?
Les difficultés font partie de la vie et de chaque vocation. Au début, il y a eu l’opposition de mes parents. Il est difficile de mettre la main à la charrue et de ne pas regarder en arrière ; d’aimer moins papa, maman et toute la famille que Dieu et sa Volonté. Cela a signifié quitter des affections et des sécurités pour me lancer dans l’aventure de Dieu : signer une page blanche pour Dieu afin qu’il la remplisse comme il lui plaît. Aussi mes peurs, mes doutes et mes rébellions. Avec l’aide d’un bon directeur spirituel, elles se sont transformées en opportunités de grandir et de mûrir dans l’appel.
En mission, le plus grand défi a été les sauts culturels qui peuvent parfois être « choquants ». Être missionnaire, c’est ne faire qu’un avec ton nouveau peuple. Tu dois renoncer à ta vision du monde, à tes goûts personnels et à tes façons de penser et même de ressentir. Mais l’amour est toujours plus fort : l’Esprit Saint te fait renaître plus humble, plus pauvre, plus libre. Et tu te jettes à l’eau et tu apprends à nager, en nageant !
Peut-être la plus grande difficulté est de penser aller transformer, éduquer et évangéliser les autres… quand, finalement, après de nombreux coups, tu réalises que ce sont les jeunes, les enfants, les gens qui te transforment, t’éduquent et t’évangélisent.

Quel aspect du charisme salésien penses-tu avoir incarné le mieux ?
Peut-être que cette réponse devrait être donnée par les jeunes et les communautés que j’ai accompagnées et qui m’ont accompagné. Mais si je dois dire quelque chose, je dirais : la mission pour les jeunes les plus pauvres et les plus vulnérables. Leur souffrance m’a toujours fait mal, la souffrance qui est le fruit du mal et de l’injustice. J’ai toujours cherché à embrasser leur douleur et à la porter à Jésus dans l’Eucharistie pour lui demander de la transformer en sourire et en espérance. Tout n’a pas été rose. Il y a eu des épines, beaucoup. Il m’est arrivé de pleurer, littéralement de pleurer dans certains cas. Et, d’autre part, j’ai vu de vrais miracles : des cœurs brisés guéris, des vies reconstruites. Nous absorbons la douleur et nous rendons l’amour, le service et le dévouement. Et de nombreuses vies sont transformées parce que nous avons quelque chose que d’autres ONG n’ont pas : la Grâce ! À Dieu, rien n’est impossible.

Pourquoi as-tu choisi d’être missionnaire ?
Je ne saurais pas le dire ! En réalité, je crois que nous ne choisissons pas. Dieu nous choisit et nous appelle. C’est un appel intérieur, profond, « métaphysique », une force qui t’attire. Et Lui-même te guide en t’appelant à travers sa Parole, les personnes et les situations d’injustice dont souffre le monde. Le fait de se sentir profondément aimé par Dieu est à la racine de tout appel missionnaire, et cet amour te pousse à sortir, à partir, à entreprendre un exode différent dans ta vie. « Malheur à moi si je n’évangélise pas ! », disait Saint Paul. Comment ne pas annoncer Celui qui t’aime et l’Aimé ! Surtout à ceux qui ne l’ont pas encore expérimenté dans leur vie !

Pourrais-tu partager une expérience significative avec les jeunes ?
Il y a tant d’histoires et d’anecdotes. Nous pourrions écrire un livre. Je vais t’en raconter une. Une nuit, dans les rues de Freetown, j’ai dit à un groupe de jeunes de la rue — pendant une bonne nuit — de se regarder chaque matin dans un miroir et de répéter trois vérités : « Dieu m’a créé. S’il m’a créé, il m’aime. Et s’il m’aime, il prend soin de moi. »
Un enfant de huit ans s’est ensuite approché et m’a remercié : c’était la première fois que quelqu’un lui disait que Dieu l’aimait. Il croyait être dans la rue parce que Dieu l’avait maudit. Cette nuit-là, j’ai compris ce que signifie être salésien. La mission, ce ne sont pas les activités. Je suis une mission, comme le disait le Pape François. Je suis salésien et je suis mission : être des signes et des porteurs de l’amour de Dieu pour les jeunes les plus pauvres. Ce n’est qu’ainsi que nous transformons la douleur en espérance.

As-tu travaillé avec d’autres groupes de la Famille Salésienne en mission ?
Oui, et ce fut une immense richesse. Laïcs, FMA, Coopérateurs Salésiens, animateurs du MGS, volontaires… Grâce à eux, le charisme de Don Bosco s’est étendu et incarné en Afrique et dans le monde entier. Si aujourd’hui nous sommes présents dans 137 pays, c’est grâce à ce travail conjoint des salésiens, des laïcs, des jeunes et de la Famille Salésienne. Nous — surtout les salésiens — devons nous en convaincre. Il n’y a pas de retour en arrière. Ensemble, nous pouvons faire plus et mieux dans tout ce qui concerne la mission salésienne. Travailler de manière isolée est aujourd’hui une condamnation à mort à long terme.

Comment maintiens-tu ta spiritualité vivante ?
Par la prière, le silence, la contemplation, l’intimité quotidienne avec Jésus, la lecture, le service, la méditation et le chapelet. Ne pas vivre une vie désintégrée. Au contraire, chercher et trouver Dieu en tout : dans la chapelle, dans la cour, au travail, dans la rue, dans la lecture, dans l’étude, dans la récréation, dans les rencontres personnelles et avec des groupes, dans les voyages. Quand on vit ainsi, tout s’illumine ; même la croix et la souffrance deviennent un lieu de rencontre avec Dieu. En résumé, ce qui te maintient dans la course, persévérant et fidèle : la force de la foi, la prière et la communauté, l’esprit de famille.

Comment aider d’autres salésiens à découvrir la vocation missionnaire ?
La vocation missionnaire n’est pas le fruit d’un simple désir d’aventure. C’est un don de Dieu, un appel à sortir de soi-même pour annoncer la joie de l’Évangile. Elle se découvre dans la prière, dans l’écoute de la Parole, dans le discernement accompagné par le confesseur et le directeur spirituel, et dans la lecture des signes des temps, dans le service, dans une vie sacrifiée, simple et pauvre. Je l’ai toujours dit : Dieu ne joue pas à cache-cache. Il est direct. S’il pose ses yeux sur toi, il se manifeste. « Celui qui m’aime, je me manifesterai à lui » (Jn 14,21). Tout est question d’amour avec un grand A, un amour sincère et vrai. Il faut simplement avoir les yeux bien ouverts et le cœur inquiet pour ne pas le laisser passer ! « Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui et je souperai avec lui et lui avec moi » (Ap 3,20).

Quel message donnerais-tu aujourd’hui aux missionnaires salésiens ?
Nous célébrons 150 ans depuis le premier envoi missionnaire. Il est temps de remercier, de repenser et de relancer. Fixons notre regard sur Don Bosco et imitons-le en tout, surtout dans sa foi, sa patience et son ardeur apostolique. Rien ni personne ne doit nous voler la joie d’être missionnaires. Il n’y a rien à craindre. La mission continue parce que c’est l’Esprit Saint qui continue à pousser son Église. En des temps difficiles, que Marie Auxiliatrice et l’Eucharistie soient notre port sûr. Et souvenons-nous toujours : passionnés par Jésus-Christ, nous apportons aux jeunes la joie de l’Évangile.

Editor BSOL

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