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Une lettre apparemment simple, mais riche de signification spirituelle et éducative : c’est celle que Don Bosco écrivit en 1858 au jeune séminariste Bartolomeo Alasia. Ce précieux document, jalousement conservé à travers les générations, a accompli un voyage extraordinaire avant de trouver sa place définitive dans les Archives Historiques de Nizza Monferrato. Son histoire nous raconte non seulement les vicissitudes d’une feuille de papier, mais révèle surtout l’âme d’un grand éducateur : Don Bosco, infatigable promoteur de vocations et maître de vie spirituelle, capable de transformer chaque occasion en une opportunité de croissance pour ses jeunes.
Un voyage de 50 km qui a duré 162 ans
Le 11 janvier 1911, le prieur de Sommariva Bosco (Cuneo), le théologien Celso Giulio Francese, après un rendez-vous, se présente à la curie archiépiscopale de Turin avec une lettre autographe de Don Bosco. Une sorte de tribunal l’attendait, composé d’un évêque, le vicaire général Monseigneur Costanzo Castrale, du promoteur fiscal, le théologien Carlo Franco et du secrétaire, le théologien Carlo Ferrero. On lui demande comment il est entré en possession de la prétendue lettre de Don Bosco. Le prieur a répondu qu’au cours d’une conversation avec Mlle Anna Betrone, enseignante à Sommariva del Bosco, il avait appris qu’elle possédait « un précieux souvenir du Vénérable Don Bosco ». Il s’agissait d’une lettre écrite au clerc Bartolomeo Alasia [de Sommariva], devenu prêtre par la suite, mais aujourd’hui décédé. L’enseignante l’avait reçue d’un de ses parents, également décédé, qui l’avait lui-même reçue directement du susdit Bartolomeo. Le prieur invite alors Mlle Betrone à remettre la lettre au « Supérieur ecclésiastique », comme cela est exigé dans les procès de béatification. Elle accepte immédiatement, « regrettant de ne pas l’avoir su plus tôt, car elle l’aurait remise immédiatement ».
En résumé, la lettre de 1859 était passée des mains de son destinataire, l’ancien séminariste devenu prêtre, à l’un de ses proches, puis à l’enseignante Betrone, et enfin au théologien Francese. Enfin, il est retourné à sa propriétaire légitime, Mlle Betrone. Il est aujourd’hui conservé dans les archives historiques de la maison fma de Nizza Monferrato. Un voyage de quelques dizaines de kilomètres seulement, mais qui a duré 162 ans.
Et la Curie de Turin ? Le secrétaire fit immédiatement deux copies conformes à l’original (l’une à conserver et l’autre envoyée le lendemain à la Sacrée Congrégation des Rites à Rome), rédigea le procès-verbal du petit interrogatoire qu’il fit signer aux personnes présentes et authentifia les papiers avec le sceau de la curie archiépiscopale elle-même. Tout cela pour une petite lettre… mais d’un saint !
Les précédents de la petite histoire
Quels sont les précédents de cette histoire ? Le jeune Bartolomeo Alasia, né en 1842 à Sommariva del Bosco et déjà étudiant au Valdocco du 22 octobre 1856 au 7 août 1959, était entré au séminaire diocésain de Chieri avec quelques-uns de ses compagnons, convaincu, sur la foi de Don Bosco lui-même, qu’il ne paierait pas sa pension. Mais quelques mois plus tard, il reçut, probablement de la part de l’économe du séminaire, une demande de paiement. Il écrit immédiatement à Don Bosco qui, le 6 avril 1858, demande au recteur du séminaire de Turin et premier responsable de celui de Chieri, le chanoine Alessandro Vogliotti, de transférer au jeune Alasia la pension gratuite du jeune Bonetti, qu’il a désormais dans sa maison du Valdocco. Il eut immédiatement (ou peut-être supposa-t-il avoir) le consentement de son ami le recteur, et le jour même il rassura le jeune homme en lui disant que le recteur l’informerait de la nouvelle directement au séminaire de Chieri.
Est-ce tout ? Non, ce n’est pas tout !
Don Bosco, éducateur clairvoyant, ne se contente pas d' »intercéder » pour que le jeune et pauvre Bartholomé obtienne une pension de séminaire, il en profite pour ajouter des recommandations spéciales d’ordre spirituel, à transmettre à ses camarades anciens élèves du Valdocco. Il avait déjà été informé de leur bonne conduite au séminaire. Il lui écrit donc :
« Pour jouir d’une telle faveur [la pension gratuite], il faut aussi une bonne conduite dans l’étude et la piété. Prenez donc courage. Suivez les conseils que je vous donne.
1. Évitez absolument les compagnons dissipés et ceux qui n’ont pas une bonne conduite
2. Fréquentez les saints sacrements de la confession et de la communion.
3. Fréquentation, familiarité, imitation de ceux qui sont les plus recommandés dans l’étude et la conduite morale.
4. Aller chaque jour faire une visite, ne serait-ce qu’une minute, au Saint-Sacrement.
Si vous et vos compagnons Vitrotti, Galleano, Piano, Sola pratiquez ces conseils, vous ferez du bien à votre âme, de l’honneur à votre état et au lieu où la Divine Providence a disposé que vous veniez pour l’étude de la latinité’ [en vue du sacerdoce].
Don Bosco termina sa lettre par un appel aux accents johanniques (1 Jn 2,7) : « Mes chers, aimez-vous les uns les autres, aidez-vous mutuellement par le bon exemple et le conseil, et tandis que je me recommande à vos prières, j’implore du Seigneur santé et grâce et je vous dis très affectionné prêtre Gio Bosco ».
Une authenticité assurée
Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une lettre de Don Bosco, même si l’autographe original a été perdu : l’authentification formelle par la curie de Turin, le style épistolaire propre à Don Bosco et surtout le contenu en sont des preuves convaincantes. En quelques lignes, il y a tout Don Bosco, à savoir un promoteur infatigable des vocations, un enseignant attentif de la vie spirituelle, un prêtre zélé, un cœur passionné pour les jeunes. Combien nous avons encore besoin aujourd’hui de tels éducateurs !
C’est alors que s’ouvre le chapitre intéressant et peu connu de la vie de Don Bosco sur les nombreuses vocations sacerdotales qui sont nées au Valdocco : des centaines et des centaines. Don Bosco les aurait très intelligemment utilisées pour « défendre » son œuvre et sa méthode éducative dans les disputes avec Monseigneur Gastaldi et avec les milieux ecclésiastiques de Turin et de Rome hostiles au Valdocco en général et à l’éducation qui y était donnée. Mais le sujet mérite un espace plus grand que celui dont nous disposons ici.

