Devenir un signe d’espérance en eSwatini – Lesotho – Afrique du Sud après 130 ans

Au cœur de l’Afrique australe, entre les beautés naturelles et les défis sociaux d’eSwatini, du Lesotho et de l’Afrique du Sud, les Salésiens célèbrent 130 ans de présence missionnaire. En ce temps de Jubilé, de Chapitre Général et d’anniversaires historiques, la Province d’Afrique du Sud partage ses signes d’espérance : la fidélité au charisme de Don Bosco, l’engagement éducatif et pastoral auprès des jeunes et la force d’une communauté internationale qui témoigne de la fraternité et de la résilience. Malgré les difficultés, l’enthousiasme des jeunes, la richesse des cultures locales et la spiritualité de l’Ubuntu continuent d’indiquer des chemins d’avenir et de communion.

Salutations fraternelles des Salésiens de la plus petite Visitatoria et de la plus ancienne présence dans la Région Afrique-Madagascar (les 5 premiers confrères ont été envoyés par Don Rua en 1896). Cette année, nous remercions les 130 SDB qui ont travaillé dans nos 3 pays et qui intercèdent maintenant pour nous au ciel. « Petit, c’est beau » !

Sur le territoire de l’AFM vivent 65 millions de personnes qui communiquent dans 12 langues officielles, parmi tant de merveilles de la nature et de grandes ressources du sous-sol. Nous sommes parmi les rares pays d’Afrique subsaharienne où les catholiques sont une petite minorité par rapport aux autres Églises chrétiennes, avec seulement 5 millions de fidèles.

Quels sont les signes d’espérance que nos jeunes et la société recherchent ?
En premier lieu, nous cherchons à dépasser les records mondiaux tristement célèbres du fossé croissant entre riches et pauvres (100 000 millionnaires contre 15 millions de jeunes chômeurs), du manque de sécurité et de la violence croissante dans la vie quotidienne, de l’effondrement du système éducatif, qui a produit une nouvelle génération de millions d’analphabètes, aux prises avec diverses dépendances (alcool, drogue…). De plus, 30 ans après la fin du régime d’apartheid en 1994, la société et l’Église sont encore divisées entre les différentes communautés en termes d’économie, d’opportunités et de nombreuses blessures non encore cicatrisées. En effet, la communauté du « Pays de l’Arc-en-ciel » est aux prises avec de nombreuses « lacunes » qui ne peuvent être « comblées » qu’avec les valeurs de l’Évangile.

Quels sont les signes d’espérance que cherche l’Église catholique en Afrique du Sud ?
En participant à la rencontre triennale « Joint Witness » des supérieurs religieux et des évêques en 2024, nous avons constaté de nombreux signes de déclin : moins de fidèles, manque de vocations sacerdotales et religieuses, vieillissement et diminution du nombre de religieux, certains diocèses en faillite, perte/diminution continue d’institutions catholiques (assistance médicale, éducation, œuvres sociales ou médias) en raison de la forte baisse des religieux et des laïcs engagés. La Conférence épiscopale catholique (SACBC – qui comprend le Botswana, l’eSwatini et l’Afrique du Sud) indique comme priorité l’assistance aux jeunes dépendants de l’alcool et d’autres substances diverses.

Quels sont les signes d’espérance que cherchent les Salésiens d’Afrique australe ?
Nous prions chaque jour pour de nouvelles vocations salésiennes, afin de pouvoir accueillir de nouveaux missionnaires. En effet, l’époque de la Province anglo-irlandaise (jusqu’en 1988) est révolue et le Projet Afrique ne comprenait pas la pointe sud du continent. Après 70 ans en eSwatini (Swaziland) et 45 ans au Lesotho, nous n’avons que 4 vocations locales de chaque Royaume. Aujourd’hui, nous n’avons que 5 jeunes confrères et 4 novices en formation initiale. Cependant, la plus petite Visitatoria d’Afrique-Madagascar, avec ses 7 communautés locales, est chargée de l’éducation et de la pastorale dans 6 grandes paroisses, 18 écoles primaires et secondaires, 3 centres de formation professionnelle (TVET) et divers programmes d’aide sociale. Notre communauté provinciale, avec ses 18 nationalités différentes parmi les 35 SDB qui vivent dans les 7 communautés, est un grand don et un défi à relever.

En tant que communauté catholique minoritaire et fragile d’Afrique australe
Nous croyons que la seule voie pour l’avenir est de construire plus de ponts et de communion entre les religieux et les diocèses. Plus nous sommes faibles, plus nous nous efforçons de travailler ensemble. Puisque toute l’Église catholique cherche à se concentrer sur les jeunes, Don Bosco a été choisi par les évêques comme Patron de la Pastorale des Jeunes et sa Neuvaine est célébrée avec ferveur dans la plupart des diocèses et des paroisses au début de l’année pastorale.

En tant que Salésiens et Famille Salésienne, nous nous encourageons constamment les uns les autres : « work in progress » (un travail constant)
Au cours des deux dernières années, après l’invitation du Recteur Majeur, nous avons cherché à relancer notre charisme salésien, avec la sagesse d’une vision et d’une direction commune (à partir de l’assemblée annuelle provinciale), avec une série de petits pas quotidiens dans la bonne direction et avec la sagesse de la conversion personnelle et communautaire.
Nous sommes reconnaissants pour l’encouragement de Don Pascual Chávez lors de notre récent Chapitre Provincial de 2024 : « Vous savez bien qu’il est plus difficile, mais non impossible, de « refonder » que de fonder [le charisme], car il y a des habitudes, des attitudes ou des comportements qui ne correspondent pas à l’esprit de notre Saint Fondateur, Don Bosco, et à son Projet de Vie, et qui ont « droit de cité » [dans la Province]. Il y a vraiment besoin d’une vraie conversion de chaque confrère à Dieu, en tenant l’Évangile comme règle suprême de vie, et de toute la Province à Don Bosco, en assumant les Constitutions comme véritable projet de vie. »

Le conseil de Don Pascual a été voté et l’engagement a été pris : « Devenir plus passionnés de Jésus et plus dédiés aux jeunes », en investissant dans la conversion personnelle (en créant un espace sacré dans notre vie, pour permettre à Jésus de la transformer), dans la conversion communautaire (en investissant dans la formation permanente systématique avec un thème mensuel) et dans la conversion provinciale (en promouvant la mentalité provinciale à travers « One Heart One Soul » – fruit de notre assemblée provinciale) et avec des rencontres mensuelles des directeurs en ligne.

Sur l’image-souvenir de notre Visitatoria « Bienheureux Michel Rua » on voit le visage de tous les 46 confrères et des 4 novices : 35 vivent dans nos 7 communautés, 7 sont en formation à l’étranger et 5 SDB sont en attente de visa : un aux Catacombes San Callisto et un missionnaire qui fait de la chimiothérapie en Pologne. Une bénédiction pour nous est le nombre croissant de confrères missionnaires qui sont envoyés par le Recteur Majeur ou pour une période spécifique par d’autres Provinces africaines pour nous aider (AFC, ACC, ANN, ATE, MDG et ZMB). Nous sommes très reconnaissants à chacun de ces jeunes confrères. Nous croyons qu’avec leur aide, notre espérance de relance charismatique devient tangible. Notre Visitatoria, la plus petite d’Afrique-Madagascar, après presque 40 ans de fondation, n’a pas encore de véritable maison provinciale. La construction a commencé, avec l’aide du Recteur Majeur, seulement l’année dernière. Ici aussi, nous disons : « travaux en cours » …

Nous voulons également partager nos humbles signes d’espérance avec toutes les 92 autres Provinces en cette période précieuse du Chapitre Général. L’AFM a une expérience unique de 31 ans de volontaires missionnaires locaux (impliqués dans la Pastorale des Jeunes du Centre des Jeunes Don Bosco de Johannesburg depuis 1994), et un programme Love Matters pour une croissance sexuelle saine des adolescents depuis 2001. Nos volontaires, engagés pendant une année entière dans la vie de notre communauté, sont des membres précieux de notre Mission et des nouveaux groupes de la Famille Salésienne qui se développent lentement (VDB, Salésiens Coopérateurs et Anciens Élèves de Don Bosco).

Notre maison-mère du Cap célébrera l’année prochaine son cent trentième (130e) anniversaire et, grâce au cent cinquantième (150e) anniversaire des Missions Salésiennes, nous avons réalisé, avec l’aide de la Province de Chine, une « Chambre à la Mémoire de Saint Louis Versiglia », où notre Protomartyr a passé une journée lors de son retour d’Italie en Chine-Macao en mai 1917.

Don Bosco « Ubuntu » – chemin synodal
« Nous sommes ici grâce à vous ! » – Ubuntu est l’une des contributions des cultures d’Afrique du Sud à la communauté mondiale. Le mot en langue Nguni signifie « Je suis parce que vous êtes » (« I’m because you are ! »). Autres traductions possibles : « J’existe parce que vous existez »). L’année dernière, nous avons entrepris le projet « Eco Ubuntu », unprojet de sensibilisation environnementale d’une durée de 3 ans qui implique environ 15 000 jeunes de nos 7 communautés en eSwatini, au Lesotho et en Afrique du Sud. Outre la splendide célébration et le partage du Synode des Jeunes 2024, nos 300 jeunes [qui ont participé] gardent surtout Ubuntu dans leurs souvenirs. Leur enthousiasme est une source d’inspiration. L’AFM a besoin de vous : Nous y sommes grâce à vous !

Marco Fulgaro




Le volontariat missionnaire change la vie des jeunes au Mexique

Le volontariat missionnaire représente une expérience qui transforme profondément la vie des jeunes. Au Mexique, la Province Salésienne de Guadalajara a mis sur pied depuis des décennies un parcours organique de Volontariat Missionnaire Salésien (VMS) qui continue d’avoir un impact durable dans le cœur de beaucoup de garçons et de filles. Grâce aux réflexions de Margarita Aguilar, coordinatrice du volontariat missionnaire à Guadalajara, nous partagerons le chemin concernant les origines, l’évolution, les phases de formation et les motivations qui poussent les jeunes à s’engager pour servir les communautés au Mexique.

Origines
Le volontariat, compris comme un engagement en faveur des autres et né du besoin d’aider son prochain tant sur le plan social que spirituel, s’est renforcé au fil du temps avec la contribution des gouvernements et des ONG pour sensibiliser aux thèmes de la santé, de l’éducation, de la religion, de l’environnement et de bien d’autres encore. Dans la Congrégation Salésienne, l’esprit du volontariat est présent depuis les origines. Maman Marguerite a été, aux côtés de Don Bosco, parmi les premiers « volontaires » à l’Oratoire ; elle s’est engagée à aider les jeunes à accomplir la volonté de Dieu et à contribuer au salut de leurs âmes. C’est le Chapitre Général XXII (1984) qui commença à parler explicitement de volontariat, et les chapitres suivants insistèrent sur cet engagement comme une dimension inséparable de la mission salésienne.

Au Mexique, les Salésiens sont répartis en deux Provinces : Mexico (MEM) et Guadalajara (MEG). C’est précisément dans cette dernière qu’à partir du milieu des années 1980, un projet de volontariat des jeunes a pris forme. La Province de Guadalajara, fondée il y a 62 ans, offre depuis près de 40 ans la possibilité à des jeunes désireux d’expérimenter le charisme salésien de consacrer une période de leur vie au service des communautés, surtout dans les zones frontalières.

Le 24 octobre 1987, le provincial envoya un groupe de quatre jeunes avec des salésiens dans la ville de Tijuana, dans une zone frontalière en forte expansion salésienne. Ce fut le début du Volontariat Juvénile Salésien (VJS), qui se développa progressivement et s’organisa de manière de plus en plus structurée.

L’objectif initial était proposé aux jeunes d’environ 20 ans, disponibles pour consacrer un à deux ans à la construction des premiers oratoires dans les communautés de Tijuana, Ciudad Juárez, Los Mochis et d’autres localités du nord. Beaucoup se souviennent des premiers jours : pelle et marteau à la main, vie en commun dans des maisons simples avec d’autres volontaires, après-midis passés avec les enfants, adolescents et jeunes du quartier à jouer sur le terrain où allait naître l’oratoire. Il manquait parfois le toit, mais ne manquaient ni la joie, ni l’esprit de famille ni la rencontre avec l’Eucharistie.

Ces premières communautés de salésiens et de volontaires portèrent dans les cœurs l’amour pour Dieu, pour Marie Auxiliatrice et pour Don Bosco. Elles manifestaient un esprit pionnier, un ardent zèle missionnaire et un dévouement total au service des autres.

Évolution
Avec la croissance de la Province et de la Pastorale des Jeunes, on sentit la nécessité de parcours de formation clairs pour les volontaires. L’organisation s’est renforcée grâce à certains outils :
Questionnaire de candidature : chaque aspirant volontaire remplissait une fiche et répondait à un questionnaire qui décrivait ses caractéristiques humaines, spirituelles et salésiennes en vue d’une croissance de la personne.

Cours de formation initiale : ateliers de théâtre, jeux et dynamiques de groupe, catéchèse et outils pratiques pour les activités sur le terrain. Avant le départ, les volontaires se réunissaient pour conclure la formation et recevoir l’envoi dans les communautés salésiennes.

Accompagnement spirituel : le candidat était invité à se faire accompagner par un salésien dans sa communauté d’origine. Pendant un certain temps, la préparation a été effectuée de concert avec les aspirants salésiens, renforçant ainsi l’aspect vocationnel, même si cette pratique a ensuite subi des modifications en fonction de l’animation vocationnelle de la Province.

Rencontre provinciale annuelle : chaque décembre, à l’approche de la Journée Internationale du Volontaire (5 décembre), les volontaires se rencontrent pour évaluer l’expérience, réfléchir sur le parcours de chacun et consolider les processus d’accompagnement.

Visites aux communautés : l’équipe de coordination visite régulièrement les communautés où opèrent les volontaires, pour soutenir non seulement les jeunes eux-mêmes, mais aussi les salésiens et les laïcs de la communauté éducative-pastorale, renforçant les réseaux de soutien.

Projet de vie personnelle : chaque candidat élabore, avec l’aide de l’accompagnateur spirituel, un projet de vie qui aide à intégrer les dimensions humaine, chrétienne, salésienne, vocationnelle et missionnaire. Une période minimale de six mois de préparation est prévue, avec des interventions en ligne sur les différentes dimensions.

Implication des familles : réunions d’information avec les parents sur les processus du VJS, pour faire comprendre le parcours et renforcer le soutien familial.

Formation continue pendant l’expérience : chaque mois, on aborde une dimension (humaine, spirituelle, apostolique, etc.) à l’aide de supports de lecture, de réflexions et de travaux d’approfondissement en cours d’exécution.

Post-volontariat : après la fin de l’expérience, une réunion de clôture est organisée pour évaluer l’expérience, planifier les étapes suivantes et accompagner le volontaire dans sa réinsertion dans sa communauté d’origine et sa famille, avec des phases en présentiel et en ligne.

Nouvelles étapes et renouvellements
Récemment, l’expérience a pris le nom de Volontariat Missionnaire Salésien (VMS), en lien avec l’accent mis par la Congrégation sur la dimension spirituelle et missionnaire. Quelques nouveautés ont été introduites :

Pré-volontariat court : pendant les vacances scolaires (décembre-janvier, Semaine Sainte et Pâques, et surtout l’été), les jeunes peuvent expérimenter pendant de courtes périodes la vie en communauté et l’engagement de service, pour avoir un premier « aperçu » de l’expérience.

Formation à l’expérience internationale : un processus spécifique a été mis en place pour préparer les volontaires à vivre l’expérience en dehors des frontières nationales.

Une plus grande insistance sur l’accompagnement spirituel : il ne s’agit plus seulement d’ »envoyer travailler », mais de placer au centre la rencontre avec Dieu, afin que le volontaire découvre sa propre vocation et mission.

Comme le souligne Margarita Aguilar, coordinatrice du VMS à Guadalajara, « un volontaire a besoin d’avoir les mains vides pour pouvoir embrasser sa mission avec foi et espérance en Dieu. »

Motivations des jeunes
À la base de l’expérience VMS, il y a toujours la question : « Quelle est ta motivation pour devenir volontaire ? » On peut identifier trois types de motivations principales :

Motivation opérationnelle/pratique : vouloir effectuer des activités concrètes liées aux compétences personnelles (enseigner dans une école, servir à la cantine, animer un oratoire). En découvrant que le volontariat n’est pas seulement un travail manuel ou didactique, certains peuvent être déçus s’ils s’attendaient à une expérience purement opérationnelle.

Motivation liée au charisme salésien : d’anciens bénéficiaires d’œuvres salésiennes souhaitent approfondir et vivre plus intensément le charisme, imaginant une expérience intense comme une longue rencontre festive du Mouvement Salésien des Jeunes, mais pour une période prolongée.

Motivation spirituelle : il s’agit de ceux qui ont l’intention de partager leur expérience de Dieu et de le découvrir chez les autres. Cependant, cette « fidélité » est parfois conditionnée par certaines attentes, Par exemple, « d’accord, mais seulement dans cette communauté » ou « d’accord, mais si je peux revenir pour un événement familial »… Il faut aider le volontaire à mûrir son « oui » de manière libre et généreuse.

Trois éléments clés du VMS
L’expérience de Volontariat Missionnaire Salésien s’articule autour de trois dimensions fondamentales :

Vie spirituelle : Dieu est le centre. Sans la prière, les sacrements et l’écoute de l’Esprit, l’expérience risque de se réduire à un simple engagement dans le travail qui va fatiguer le volontaire et le conduire à abandonner la partie.

Vie communautaire : la communion avec les salésiens et avec les autres membres de la communauté renforce la présence du volontaire auprès des enfants, adolescents et jeunes. Sans communauté, il n’y a pas de soutien dans les moments difficiles ni de milieu pour grandir ensemble.

Vie apostolique : le témoignage joyeux et la présence affective parmi les jeunes évangélisent plus que toute activité formelle. Il ne s’agit pas seulement de « faire », mais d’ »être » sel et lumière au quotidien.

Pour vivre pleinement ces trois dimensions, il faut un parcours de formation intégrale qui accompagne le volontaire du début à la fin, embrassant chaque aspect de la personne (humain, spirituel, vocationnel) selon la pédagogie salésienne et le mandat missionnaire.

Le rôle de la communauté d’accueil
Pour être un instrument authentique d’évangélisation, le volontaire a besoin d’une communauté qui le soutienne, lui serve d’exemple et de guide. De son côté, la communauté accueille le volontaire pour l’intégrer, le soutenir dans les moments de fragilité et l’aider à se libérer des liens qui entravent le dévouement total. Comme le souligne Margarita, « Dieu nous a appelés à être sel et lumière de la Terre et beaucoup de nos volontaires ont trouvé le courage de prendre l’avion en laissant derrière eux leur famille, leurs amis, leur culture, leur mode de vie pour adopter le style de vie du missionnaire. »

La communauté offre des espaces de discussion, de prière commune, d’accompagnement pratique et émotionnel, afin que le volontaire puisse rester solide dans son choix et porter du fruit dans le service.

L’histoire du volontariat missionnaire salésien à Guadalajara est un exemple de la façon dont une expérience peut grandir, se structurer et se renouveler en apprenant à partir des erreurs et des succès. En plaçant toujours au centre la motivation profonde du jeune, la dimension spirituelle et communautaire, il offre un chemin capable de transformer non seulement le milieu que l’on sert, mais aussi la vie des volontaires eux-mêmes.
Margarita Aguilar nous dit : « Un volontaire a besoin d’avoir les mains vides pour pouvoir embrasser sa mission avec foi et espérance en Dieu. »

Nous remercions Margarita pour ses précieuses réflexions. Son témoignage nous rappelle que le volontariat missionnaire n’est pas un simple service, mais un chemin de foi et de croissance qui touche la vie des jeunes et des communautés, renouvelant l’espérance et le désir de se donner par amour de Dieu et du prochain.




Patagonie : « La plus grande entreprise de notre Congrégation

Dès leur arrivée en Patagonie, les Salésiens – sous la direction de Don Bosco – ont cherché à obtenir un Vicariat apostolique qui garantirait une autonomie pastorale et le soutien de la Propagande Fide. Entre 1880 et 1882, des demandes répétées à Rome, au président argentin Roca et à l’archevêque de Buenos Aires se sont heurtées à des troubles politiques et à des méfiances ecclésiastiques. Des missionnaires comme Rizzo, Fagnano, Costamagna et Beauvoir ont parcouru le Río Negro, le Colorado et jusqu’au lac Nahuel-Huapi, établissant des présences parmi les Indiens et les colons. Le tournant est survenu le 16 novembre 1883 : un décret a érigé le Vicariat de la Patagonie septentrionale, confié à Mgr Giovanni Cagliero, et la Préfecture méridionale, dirigée par Mgr Giuseppe Fagnano. À partir de ce moment, l’œuvre salésienne s’est enracinée « au bout du monde », préparant sa future floraison.

            Les Salésiens venaient à peine d’arriver en Patagonie, lorsque Don Bosco, le 22 mars 1880, s’adressa à nouveau aux différentes Congrégations romaines et au Pape Léon XIII lui-même
pour l’érection d’un Vicariat ou Préfecture de Patagonie dont le siège serait à Carmen et qui engloberait les colonies déjà établies ou en cours d’organisation sur les rives du Río Negro, du 36° au 50° degré de latitude sud. Carmen deviendrait ainsi « le centre des missions salésiennes parmi les Indiens ».
            Mais les troubles militaires au moment de l’élection du général Roca à la présidence de la République (mai-août 1880) et la mort de l’inspecteur salésien, le père Francesco Bodrato (août 1880), firent suspendre les projets. Don Bosco insista également auprès du Président en novembre, mais en vain. Le vicariat n’était ni voulu par l’archevêque, ni apprécié par l’autorité politique.
            Quelques mois plus tard, en janvier 1881, Don Bosco encouragea le nouvel inspecteur, le père Giacomo Costamagna, à s’occuper du vicariat de Patagonie et assurait le curé-directeur, le père Fagnano, qu’en ce qui concerne la Patagonie –  » la plus grande entreprise de notre Congrégation  » – une grande responsabilité lui incomberait bientôt. Mais l’impasse demeurait.
            Entre-temps, en Patagonie, le Père Emilio Rizzo, qui en 1880 avait accompagné le vicaire de Buenos Aires, Monseigneur Espinosa, le long du Río Negro jusqu’à Roca (50 km), se préparait avec d’autres salésiens à d’autres missions volantes le long du même fleuve. Le Père Fagnano put alors accompagner l’armée jusqu’à la Cordillère en 1881. Don Bosco s’inquiétait, impatient, et don Costamagna lui conseilla à nouveau en novembre 1881 de négocier directement avec Rome.
            Par chance, Monseigneur Espinosa arriva en Italie à la fin de l’année 1881. Don Bosco en profita pour informer par son intermédiaire l’archevêque de Buenos Aires qui, en avril 1882, semblait favorable au projet d’un vicariat confié aux Salésiens, plutôt sans doute à cause de l’impossibilité d’y pourvoir avec son clergé. Mais une fois de plus, rien ne se passa.         Au cours de l’été 1882, puis en 1883, don Beauvoir accompagna l’armée jusqu’au lac Nahuel-Huapi dans les Andes (880 km). D’autres salésiens avaient fait des expéditions apostoliques similaires en avril le long du Río Colorado, tandis que don Beauvoir retournait à Roca et qu’en août don Milanesio allait jusqu’à Ñorquín dans le Neuquén (900 km).
            Don Bosco était de plus en plus convaincu que sans leur propre Vicariat apostolique, les Salésiens n’auraient pas joui de la liberté d’action nécessaire, étant donné les rapports très difficiles qu’il avait eus avec son Archevêque de Turin et compte tenu aussi du fait que le Concile Vatican I lui-même n’avait rien décidé sur les rapports difficiles entre Ordinaires et Supérieurs des Congrégations religieuses dans les territoires de mission. En outre, et ce n’était pas rien, seul un Vicariat missionnaire pourrait bénéficier d’un soutien financier de la part de la Congrégation de Propaganda Fide.
            Don Bosco reprit donc ses efforts et proposa au Saint-Siège la subdivision administrative de la Patagonie et de la Terre de Feu en trois vicariats ou préfectures : du Río Colorado au Río Chubut, de ceux-ci au Río Santa Cruz, et de ceux-ci aux îles de la Terre de Feu, y compris les Malouines (Falkland).
            Le pape Léon XIII donna son accord quelques mois plus tard et lui demanda des noms. Don Bosco proposa alors au cardinal Simeoni d’ériger un seul vicariat pour la Patagonie septentrionale, qui aurait son siège à Carmen, et dont dépendrait une préfecture apostolique pour la Patagonie méridionale. Pour cette dernière, il proposa le Père Fagnano ; pour le Vicariat, le Père Cagliero ou le Père Costamagna.

Un rêve devenu réalité
            Le 16 novembre 1883, un décret de Propaganda Fide érigea le vicariat apostolique de Patagonie septentrionale et centrale, qui comprenait le sud de la province de Buenos Aires, les territoires nationaux de la Pampa centrale, de Río Negro, de Neuquén et de Chubut. Quatre jours plus tard, il le confia à don Cagliero en tant que Provicaire apostolique (et plus tard Vicaire apostolique). Le 2 décembre 1883, c’était au tour de Fagnano d’être nommé préfet apostolique de la Patagonie chilienne, du territoire chilien de Magallanes-Punta Arenas, du territoire argentin de Santa Cruz, des îles Malouines et des îles indéterminées qui s’étendent jusqu’au détroit de Magellan. Sur le plan ecclésiastique, la préfecture couvrait des zones appartenant au diocèse chilien de San Carlos de Ancud.
            Le rêve du fameux voyage en train de Cartagena en Colombie à Punta Arenas au Chili le 10 août 1883 commençait donc à se réaliser, d’autant plus que des salésiens de Montevideo en Uruguay étaient venus fonder la maison de Niteroi au Brésil au début de l’année 1883. Le long processus pour pouvoir gérer une mission en pleine liberté canonique était arrivé à son terme. En octobre 1884, le père Cagliero fut nommé vicaire apostolique de Patagonie, où il entra le 8 juillet, sept mois après sa consécration épiscopale au Valdocco, le 7 décembre 1884.

La suite
            Malgré les difficultés de toutes sortes que l’histoire rappelle – y compris les accusations et les calomnies – l’œuvre salésienne, à partir de ces débuts timides, s’est rapidement développée en Patagonie argentine et chilienne. Elle s’est surtout implantée dans de très petits centres d’Indiens et de colons, qui sont devenus aujourd’hui des villes. Monseigneur Fagnano s’installa à Punta Arenas (Chili) en 1887, d’où il commença peu après des missions dans les îles de la Terre de Feu. Des missionnaires généreux et compétents ont généreusement dépensé leur vie des deux côtés du détroit de Magellan « pour le salut des âmes » et même des corps (dans la mesure de leurs possibilités) des habitants de ces terres « là-bas, au bout du monde ». Beaucoup l’ont reconnu, parmi lesquels une personne qui en sait quelque chose, parce qu’elle vient elle-même « presque du bout du monde » : le pape François.

Photo d’époque : les trois Bororòs qui ont accompagné les missionnaires salesiens à Cuyabà (1904)




Enfin en Patagonie !

Entre 1877 et 1880, la mission salésienne prend un tournant vers la Patagonie. Après la proposition du 12 mai 1877 de la paroisse de Carhué, don Bosco rêve d’évangéliser les terres australes, mais don Cagliero l’invite à la prudence face aux difficultés culturelles. Les premiers essais connaissent des retards, tandis que la « campagne du désert » du général Roca (1879) redéfinit les équilibres avec les Indiens. Le 15 août 1879, l’archevêque Aneiros confie aux Salésiens la mission patagonienne : « Le moment est enfin venu où je peux vous offrir la Mission de Patagonie, vers laquelle votre cœur a tant aspiré ». Le 15 janvier 1880, le premier groupe dirigé par don Giuseppe Fagnano part, inaugurant l’épopée salésienne dans le sud de l’Argentine.

            Ce qui poussa don Bosco et don Cagliero à suspendre, au moins temporairement, tout projet missionnaire en Asie fut la nouvelle du 12 mai 1877 : l’archevêque de Buenos Aires avait offert aux salésiens la mission de Caruhé (au sud-est de la province de Buenos Aires), lieu de garnison et de frontière entre de nombreuses tribus indigènes du vaste désert de la Pampa et la province de Buenos Aires.
            Les portes de la Patagonie s’ouvraient donc pour la première fois aux salésiens. Don Bosco est enthousiasmé, mais don Cagliero refroidit immédiatement son enthousiasme :  » Je répète qu’en ce qui concerne la Patagonie, nous ne devons pas courir à la vitesse électrique, ni y aller à vapeur, parce que les salésiens ne sont pas encore préparés à cette entreprise […] ; on a publié trop de choses et on a pu faire trop peu en ce qui concerne les Indiens. Il est facile de concevoir, difficile de réaliser, et il y a trop peu de temps que nous sommes ici ; nous devons travailler avec zèle et activité à cette fin, mais sans faire de bruit, pour ne pas exciter l’admiration des gens d’ici, en voulant aspirer, à peine arrivés, à la conquête d’un pays que nous ne connaissons pas encore et dont nous ne savons même pas la langue ».
            L’option de Carmen de Patagónes n’étant plus disponible, car la paroisse avait été confiée par l’archevêque à un prêtre lazariste, il restait aux salésiens la paroisse de Carhué, la plus septentrionale, et celle de Santa Cruz, la plus méridionale, pour laquelle Don Cagliero obtint au printemps un passage par mer, ce qui devait retarder de six mois son retour prévu en Italie.
            Quant à la décision concernant celui qui devait « entrer le premier en Patagonie », don Cagliero la laissait à don Bosco, qui avait justement l’intention de lui offrir cet honneur. Mais avant même d’en prendre connaissance, don Cagliero décidait de rentrer : « La Patagonie m’attend, ceux de Dolores, de Carhué, du Chaco nous réclament, et moi je les contente tous en prenant la fuite ! » (8 juillet 1877). Il revint en Italie pour assister au 1er Chapitre général de la Société salésienne qui se tiendrait à Lanzo Torinese en septembre. Par ailleurs, il était toujours membre du Chapitre Supérieur de la Congrégation, où il occupait l’importante fonction de Catéchiste général (troisième personnage de la Congrégation, après don Bosco et don Rua).
            L’année 1877 se termina avec la troisième expédition de 26 missionnaires conduite par don Giacomo Costamagna et avec la nouvelle demande de Don Bosco au Saint-Siège pour une Préfecture à Carhué et un Vicariat à Santa Cruz. Il faut dire cependant que, pendant toute l’année, l’évangélisation directe par les salésiens en dehors de la ville s’était limitée à la brève expérience de don Cagliero et du clerc Evasio Rabagliati dans la colonie italienne de Villa Libertad à Entre Ríos (avril 1877), aux confins du diocèse de Paranà, et à quelques expéditions dans la Pampa par les salésiens de Saint-Nicolas de los Arroyos.

Le rêve se réalise (1880)
            En mai 1878, la première tentative de don Costamagna et du clerc Rabagliati pour rejoindre Carhué échoua à cause d’une tempête. Entre-temps, don Bosco était déjà revenu à la charge auprès du nouveau préfet de Propaganda Fide, le cardinal Giovanni Simeoni, en proposant un vicariat ou une préfecture basée à Carmen, comme l’avait suggéré le père Fagnano lui-même, qui voyait là un point stratégique pour atteindre les indigènes.
            L’année suivante (1879), alors que le projet d’entrée des Salésiens au Paraguay ne put se réaliser, les portes de la Patagonie s’ouvraient enfin à eux. En avril, en effet, le général Julio A. Roca entamait la fameuse « campagne du désert » dans le but de soumettre les Indiens et d’obtenir la sécurité intérieure, en les repoussant au-delà des fleuves Río Negro et Neuquén. Ce fut le « coup de grâce » porté à leur extermination, après les nombreux massacres de l’année précédente.
            Le vicaire général de Buenos Aires, Monseigneur Espinosa, aumônier d’une armée de six mille hommes, se fit accompagner du clerc argentin Luigi Botta et de don Costamagna. Le futur évêque comprit immédiatement l’ambiguïté de leur position, écrivit aussitôt à don Bosco, mais ne vit pas d’autre moyen d’ouvrir la route de la Patagonie aux missionnaires salésiens. De fait, quand le gouvernement demanda à l’archevêque d’établir quelques missions sur les rives du Río Negro et en Patagonie, on pensa immédiatement aux salésiens.
            De leur côté, les salésiens avaient l’intention de demander au gouvernement la concession pour dix ans d’un territoire administré par eux afin d’y construire, avec des matériaux payés par le gouvernement et la main-d’œuvre des Indiens, les bâtiments nécessaires à une sorte de reducción : les indigènes échapperaient à la contamination des colons chrétiens « corrompus et vicieux » et les missionnaires y planteraient la croix du Christ et le drapeau argentin. Mais l’inspecteur salésien, le père Francesco Bodrato, ne voulut pas décider seul, et le père Lasagna lui déconseilla le projet en mai, estimant que le gouvernement Avellaneda était en fin de mandat et qu’il ne s’intéressait pas au problème religieux. Il était donc préférable de préserver l’indépendance et la liberté d’action des salésiens.
            Le 15 août 1879, Mgr Aneiros offrait officiellement à Don Bosco la mission de Patagonie :  » Le moment est enfin arrivé où je peux vous offrir la mission de Patagonie, à laquelle votre cœur a tant aspiré, avec le soin des âmes des Patagons, qui peut servir de centre à la mission « .
            Don Bosco l’accepta immédiatement et volontiers, même s’il ne s’agissait pas encore du consentement tant attendu à l’érection de circonscriptions ecclésiastiques autonomes par rapport à l’archidiocèse de Buenos Aires, une réalité à laquelle s’opposait constamment l’Ordinaire du diocèse.

Le départ
            Le groupe de missionnaires partit pour la Patagonie tant désirée le 15 janvier 1880. Il était composé de don Giuseppe Fagnano, directeur de la Mission et curé de Carmen de Patagónes (le Père Lazariste s’était retiré), de deux prêtres, dont l’un était chargé de la paroisse de Viedma sur l’autre rive du Río Negro, d’un laïc salésien (coadjuteur) et de quatre religieuses. En décembre, don Domenico Milanesio arriva pour prêter main forte, et quelques mois plus tard, don Joseph Beauvoir arriva avec un autre coadjuteur novice. Ce fut le début de l’épopée missionnaire salésienne en Patagonie.




Si la Patagonie doit attendre… allons en Asie

Le texte retrace l’expansion des missionnaires salésiens en Argentine dans la seconde moitié du XIXe siècle, dans un pays ouvert aux capitaux étrangers et caractérisé par une forte immigration italienne. Les réformes législatives et le manque d’écoles ont favorisé les projets éducatifs de Don Bosco et Don Cagliero, mais la réalité s’est avérée plus complexe que ce qui avait été imaginé en Europe. Un contexte politique instable et un nationalisme hostile à l’Église se sont mêlés à des tensions religieuses anticléricales et protestantes. S’ajoutait à cela la situation dramatique des populations indigènes, repoussées vers le sud par la force militaire. La riche correspondance entre les deux religieux montre comment ils ont dû adapter leurs objectifs et leurs stratégies face à de nouveaux défis sociaux et religieux, tout en gardant vivant le désir d’étendre la mission jusqu’en Asie.

Avec la missio juridique reçue du pape, avec le titre et les facultés spirituelles de missionnaires apostoliques accordés par la Congrégation de Propaganda Fide, avec une lettre de présentation de Don Bosco à l’archevêque de Buenos Aires, les dix missionnaires, après un mois de voyage à travers l’Océan Atlantique, à la mi-décembre 1875, arrivèrent en Argentine, un immense pays peuplé d’un peu moins de deux millions d’habitants (quatre millions en 1895, en 1914 il y en aura huit millions). Ils en connaissaient à peine la langue, la géographie et un peu d’histoire.
Accueillis par les autorités civiles, le clergé local et des bienfaiteurs, ils vécurent d’abord plusieurs mois heureux. La situation du pays était en effet favorable, tant sur le plan économique, avec d’importants investissements de capitaux étrangers, que sur le plan social avec l’ouverture légale (1875) à l’immigration, notamment italienne : 100 000 immigrants, dont 30 000 pour la seule ville de Buenos Aires. Au plan de l’éducation la situation était également favorable grâce à la nouvelle loi sur la liberté de l’enseignement (1876) et à l’absence d’écoles pour “enfants pauvres et abandonnés”, comme celles auxquelles les Salésiens voulaient se consacrer.
Les difficultés se situaient plutôt du côté religieux, dues à la forte présence d’anticléricaux, de francs-maçons, de libéraux hostiles, de protestants anglais (gallois) dans certaines régions, et du peu d’esprit religieux chez de nombreux clercs autochtones et immigrés. De même, sur le plan politique, il fallait compter avec les risques d’instabilité politique, économique et commerciale, un nationalisme hostile à l’Église catholique et sensible à toute influence extérieure, ainsi qu’avec le problème non résolu des peuples indigènes des Pampas et de la Patagonie. L’avancée continue de la ligne de démarcation méridionale poussait ceux-ci en effet de plus en plus au sud et vers la Cordillère, quand elle ne les éliminait pas carrément ou, capturés, les vendait comme esclaves. Don Cagliero, le chef de l’expédition, s’en est immédiatement rendu compte. Deux mois après son débarquement, il écrivat : “Les Indiens sont exaspérés contre le gouvernement national. Armés de Remingtons, on fait prisonniers hommes, femmes, enfants, chevaux et moutons […]. Il faut prier Dieu de leur envoyer des missionnaires pour les libérer de la mort de l’âme et du corps”.

De l’utopie du rêve au réalisme de la situation
En 1876-1877, une sorte de dialogue à distance s’instaura entre Don Bosco et Don Cagliero : en moins de vingt mois, pas moins de 62 lettres traversèrent l’Atlantique. Don Cagliero, sur place, s’engageait à suivre les directives de Don Bosco qui disposait de lectures lacuneuses et d’inspirations d’En Haut difficiles à déchiffrer. Don Bosco, à son tour, apprenait de son condottiere sur le terrain que la réalité argentine était différente de ce qu’il avait pensé en Italie. Le projet opérationnel élaboré à Turin pouvait en effet être adopté au niveau des objectifs et de la stratégie générale, mais pas dans les conditions géographiques, chronologiques et anthropologiques telles qu’elles avaient été prévues. Don Cagliero en était parfaitement conscient, contrairement à Don Bosco qui continuait inlassablement à élargir les espaces pour les missions salésiennes.
Le 27 avril 1876, il annonçait à Don Cagliero l’acceptation d’un vicariat apostolique en Inde, après en avoir refusé deux autres proposés par le Saint-Siège en Australie et en Chine, avec l’intention de le lui confier, ce qui l’obligeait de laisser à d’autres les missions de Patagonie. Mais deux semaines plus tard, Don Bosco présenta à Rome une demande d’érection d’un vicariat apostolique également pour les Pampas et la Patagonie, qu’il considérait, à tort, comme un territoire nullius [de personne] tant sur le plan civil que sur le plan ecclésiastique. Il la réitéra au mois d’août suivant en signant le long manuscrit La Patagonie et les terres australes du continent américain, rédigé avec l’aide de don Giulio Barberis. La situation se compliquait encore avec l’acquisition par le gouvernement argentin (en accord avec le gouvernement chilien) des terres habitées par les indigènes, que les autorités civiles de Buenos Aires avaient divisées en quatre gouvernorats et que l’archevêque de Buenos Aires considérait, à juste titre, comme relevant de sa juridiction ordinaire.
Mais les furieuses luttes gouvernementales contre les indigènes (septembre 1876) firent que le rêve salésien “À la Patagonie, à la Patagonie. Dieu le veut !” ne se réalisera pas pour le moment.

Les Italiens « indianisés »
Entre-temps, en octobre 1876, l’archevêque avait proposé aux missionnaires salésiens de prendre en charge la paroisse de La Boca à Buenos Aires pour servir des milliers d’Italiens “plus indianisés que les Indiens en ce qui concerne les coutumes et la religion” (aurait écrit Don Cagliero). Ils acceptèrent. Au cours de leur première année en Argentine, en effet, ils avaient déjà stabilisé leur position dans la capitale : acquisition formelle de la chapelle Mater misericordiae dans le centre-ville, création d’oratoires festifs pour les Italiens dans trois quartiers de la ville, internat avec les “ artes y officios ” et église de San Carlo à l’ouest – où ils resteront de mai 1877 à mars 1878 quand ils déménageront à Almagro – et maintenant la paroisse de La Boca au sud avec un oratoire en cours de réalisation. Ils envisageaient aussi un noviciat et, en attendant les Filles de Marie Auxiliatrice, un internat et un collège à Montevideo, en Uruguay.
À la fin de l’année 1876, le P. Cagliero était prêt à retourner en Italie, voyant que la possibilité d’entrer dans le Chubut et de fonder une colonie à Santa Cruz (à l’extrême sud du continent) se prolongeait excessivement à cause d’un gouvernement qui créait des obstacles pour les missionnaires et qui aurait préféré “ détruire les indigènes plutôt que de les réduire ”.
Mais avec l’arrivée en janvier 1877 de la deuxième expédition de 22 missionnaires, Don Cagliero envisagea de manière autonome une expédition à Carmen de Patagones, sur le Río Negro, en accord avec l’archevêque. Durant ce même mois, Don Bosco proposa au Saint-Siège d’ériger trois vicariats apostoliques (Carmen de Patagones, Santa Cruz, Punta Arenas) ou au moins un à Carmen de Patagones. D’autre part, il se disait prêt à accepter en 1878 le vicariat de Mangalor, en Inde, avec le Père Cagliero comme vicaire. En plus de tout cela, le 13 février, avec un immense courage, il se déclara disposé à accepter pendant la même année 1878 le vicariat apostolique de Ceylan, de préférence à celui d’Australie, tous deux proposés par le Pape (ou suggérés par lui au Pape ?). Bref Don Bosco ne se contentait pas de l’Amérique latine, à l’Ouest, il rêvait d’envoyer ses missionnaires en Asie, à l’Est.




150e anniversaire de la première expédition missionnaire. La Journée missionnaire

Le Secteur pour les Missions de la Congrégation salésienne a préparé le matériel habituel pour la Journée Missionnaire Salésienne 2025 “Remercier, Repenser, Relancer”, en rappelant l’année 1875, année de la première expédition missionnaire.

150 ans, c’est une longue période et la Famille Salésienne se prépare à la célébrer comme il se doit. Le livret de la Journée Missionnaire Salésienne 2025 est un outil riche et utile pour remercier, repenser et relancer les missions salésiennes, avec le poster, la prière et la vidéo (disponible au lien Youtube Settore per le Missioni Salesiane).

La première Journée Missionnaire Salésienne (JMS) a eu lieu en 1988 et, malgré les changements, elle continue d’être une opportunité qui s’offre aux communautés SDB, aux Communautés Éducatives et Pastorales (CEP), à tous les jeunes et aux membres de la Famille Salésienne pour bien vivre cet aspect du charisme salésien et diffuser la sensibilité missionnaire. Même si le nom peut prêter à confusion, il ne s’agit pas d’un jour particulier, il n’y a pas de date unique car chaque Province peut choisir la période qui convient le mieux à son rythme et à son calendrier pour vivre au mieux ce moment fort d’animation missionnaire. En outre, la JMS est le point culminant d’itinéraires éducatifs et pastoraux et non une activité déconnectée du reste.

Le livret commence par quelques mots du Père Stefano Martoglio SDB, vicaire : « Cette année, nous avons l’opportunité de célébrer le 150ème anniversaire de la première Expédition Missionnaire de la Congrégation, réalisée par Don Bosco en 1875. Célébrer cette Expédition signifie renouveler le même esprit et demander au Seigneur d’avoir le cœur missionnaire de Don Bosco. Cette Expédition, et toutes celles qui ont suivi, ne sont pas pour nous de simples éléments chronologiques. C’est la fidélité à l’esprit de Don Bosco, dans l’obéissance au Don de Dieu, qui a marqué et continue de marquer la croissance, dans la fidélité, de la Congrégation dans le sillage et le Rêve de Don Bosco. »

Le P. Alfred Maravilla SDB, Conseiller Général pour les Missions, partage une réflexion sur l’Option Missionnaire de Don Bosco. Même si Don Bosco n’est jamais parti comme missionnaire ad gentes, ad exteros, ad vitam, nous pouvons retrouver son esprit missionnaire depuis son enfance.
Don Bosco vivait dans le Piémont pendant un réveil missionnaire animé et dès 1848, il parlait à ses garçons d’envoyer des missionnaires dans des régions éloignées, parlant souvent de son désir d’évangéliser ceux qui n’ont pas connu le Christ en Afrique, en Amérique et en Asie. L’option missionnaire de Don Bosco a été la confluence de trois facteurs : premièrement, c’était la réalisation de son désir personnel de longue date d’« aller en mission », exprimé dans ses cinq « rêves missionnaires ». Deuxièmement, Don Bosco croyait que l’engagement missionnaire de sa Congrégation nouvellement approuvée empêcherait les membres de tomber dans le danger réel d’un mode de vie doux et facile. L’engagement missionnaire de ses Congrégations est avant tout l’expression la plus complète de son charisme, résumé dans sa devise et dans celle de la Congrégation : Da mihi animas, caetera tolle.

Certaines contributions sont venues de différentes perspectives : l’Étrenne 2025 « Ancrés dans l’espérance, pèlerins avec les jeunes », le Jubilé du Sacré-Cœur de Jésus avec quelques points de l’encyclique « Dilexit nos », écrite par le Pape François et, bien sûr, l’Année Sainte de l’Eglise, le Jubilé. Nous pouvons lire tous ces apports comme une invitation de l’Esprit Saint à devenir « plus missionnaires » dans notre vie quotidienne, avec foi et espérance.

Nous savons que, parmi les nombreux rendez-vous de 2025, l’un d’entre eux sera très spécial pour les Salésiens : le 29ème Chapitre Général de la Congrégation. Le P. Alphonse Owoudou SDB sera le Régulateur du CG XXIX et il fait une réflexion prophétique à la lumière du Chapitre Général.  « Le thème du 29ème Chapitre Général, Passionnés pour Jésus-Christ et consacrés aux jeunes, nous offre une perspective privilégiée pour réfléchir sur notre mission, en l’articulant autour des trois axes essentiels : la vocation et la fidélité prophétique (remercier), la communauté comme prophétie de fraternité (repenser), et la réorganisation institutionnelle de la Congrégation (relancer). La mission salésienne n’est pas seulement un héritage à préserver, mais un défi à relever avec un enthousiasme renouvelé et une vision prophétique. Avec reconnaissance pour le passé, avec discernement pour le présent et avec audace pour l’avenir, continuons à marcher ensemble, animés par le même zèle missionnaire qui a poussé les premiers missionnaires salésiens au-delà des frontières, motivés par le désir de rendre visible l’amour de Dieu parmi les jeunes. »
Ensuite, la présentation des membres de la première expédition de 1875, connus surtout grâce à la célèbre photo prise par Michele Schemboche, photographe professionnel : Giovanni Battista Allavena, le P. Giovanni Battista Baccino, le P.  Valentino Cassini, le P. Domenico Tomatis, Stefano Belmonte, Vincenzo Gioia, Bartolomeo Molinari, Bartolomeo Scavini, le P. Giuseppe Fagnano et le P. Giovanni Cagliero, le chef de la première Expédition Missionnaire.

Le 11 novembre 1875 fut une journée solennelle et très émouvante. Don Bosco a préparé un sermon pour accompagner ses fils qui seraient les premiers à traverser l’océan, vers l’Argentine. « Notre Divin Sauveur, lorsqu’il était sur cette terre, avant de retourner vers son Père, réunit ses Apôtres et leur dit : Ite in mundum universum… docete omnes gentes… Praedicate evangelium meum omni creaturae. Par ces paroles, le Sauveur a donné non pas un conseil, mais un commandement à ses apôtres afin qu’ils aillent apporter la lumière de l’Évangile dans le monde entier. »

Pour mieux comprendre le contexte des missionnaires salésiens, vous trouverez sur le livret un article sur la correspondance avec Don Bosco et une synthèse des cinq rêves missionnaires. Parmi les centaines de lettres de Don Bosco qui ont traversé l’Océan Atlantique de 1874 à 1887, la plupart sont adressées aux Salésiens : du P. Cagliero au P. Fagnano, du P. Bodrato au P. Vespignani, du P. Costamagna au P. Tomatis comme à beaucoup des Salésiens, prêtres, coadjuteurs, clercs (séminaristes), partis au cours des 12 Expéditions Missionnaires organisées depuis 1875.

Comme le disent les Constitutions de la Société de Saint François de Sales à l’article 138, « Le conseiller pour les missions a pour tâche de promouvoir dans toute la Société l’esprit et l’action missionnaires. Il coordonne les initiatives et oriente l’activité des missions afin qu’elles répondent dans un style salésien aux besoins urgents des peuples à évangéliser. Il lui incombe également d’assurer la préparation spécifique et la mise à jour des missionnaires ». Nous avons donc l’occasion de mieux connaître et de rappeler les huit Conseillers généraux pour les Missions jusqu’en 2025 : le P. Modesto Bellido Iñigo (1948-1965), le P. Bernard Tohill (1971-1983); le P. Luc Van Looy (1984-1990); le P. Luciano Odorico (1990-2002); le P. Francis Alencherry (2002-2008); le P. Václav Klement (2008-2014), le P. Guillermo Basañes (2014-2020) et le P. Alfred Maravilla (2020-2025).

En outre, nous voulons présenter quelques figures de Salésiens « pionniers » moins connu qui ont contribué à diffuser le charisme salésien à travers les cinq continents: le P. Francisque Dupont, l’initiateur de la mission salésienne au Vietnam, le P. Valeriano Barbero, le semeur du charisme salésien en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le P. Jacques Ntamitalizo, l’inspirateur du Projet Afrique, le P. Raffaele Piperni, le précurseur des Salésiens aux États-Unis, le P. Pascual Chavez, comme le créateur du Projet Europe, et le P. Bronisław Chodanionek, le pionnier inaperçu en Moldavie.

La croissance de la Famille salésienne est un signe de la fécondité du charisme salésien et, en particulier, de nombreux groupes de la Famille salésienne ont été fondés par des missionnaires salésiens : dans le livret, il y a une brève présentation de chacun d’entre eux. En outre, il est bon de constater la sainteté missionnaire de la Famille salésienne, avec un nombre croissant de personnes qui marchent sur le chemin de la sainteté. Un autre fruit tangible des missions salésiennes est la vie de quatre jeunes qui peuvent être considérés comme de jeunes témoins de l’espérance chrétienne : Zéphirin Namuncurá, Laura Vicuña, Simão Bororo et Akash Bashir.

Les nouvelles présences salésiennes, surtout dans les pays où les Salésiens ne sont pas encore présents, sont le signe de l’élan missionnaire de la Congrégation Salésienne qui vivifie la foi, donne un nouvel enthousiasme vocationnel et revitalise l’identité charismatique des Salésiens tant dans la Province qui se charge de la nouvelle présence que dans celle qui envoie ou qui reçoit les missionnaires. En outre, l’élan missionnaire de la Congrégation nous libère des dangers de l’embourgeoisement, de la superficialité spirituelle et du manque de spécificité salésienne, nous oblige à sortir de nos zones de confort et nous projette dans un avenir plein d’espoirs. C’est dans cet esprit que nous pouvons connaître les nouvelles frontières missionnaires salésiennes : Niger, Botswana, Algérie, Grèce et Vanuatu.

La richesse des missions salésiennes dépasse les frontières et atteint de nombreux domaines : les musées missionnaires salésiens, comme les gardiens du patrimoine culturel et salésien, les Volontaires Missionnaires Salésiens, qui donnent temps et vie aux autres, les cercles missionnaires, comme celles qui sont répandues en République Démocratique du Congo, dans la Province AFC.

Chaque JMS propose un projet, lié au thème de l’année, comme une occasion concrète de solidarité et d’animation missionnaire. Cette année, nous avons choisi l’ouverture d’un oratoire à Pagos, en Grèce, l’une des nouvelles frontières missionnaires salésiennes. L’ouverture d’un oratoire-patronage à Pagos, sur l’île de Syros, sera l’une des clés pour impliquer les jeunes gréco-catholiques et les migrants présents dans la région, et commencer l’œuvre salésienne avec eux. Tous les fonds récoltés serviront au démarrage des activités pastorales, à l’aménagement des salles et à l’achat de matériel d’animation. L’implication des Salésiens dans la Pastorale des Jeunes du Diocèse nous permettra de partager notre charisme pour enrichir l’Église locale, petite minorité qui a besoin d’être animée.

Le livret se termine par des jeux pour s’amuser et approfondir les connaissances sur les missions salésiennes, par la présentation des membres du Secteur Mission, qui aident le Conseiller général à remplir son rôle de promoteur de l’esprit et de l’engagement missionnaire dans la Congrégation salésienne, et par la prière finale.

Sois loué, Dieu notre Père,
pour l’esprit missionnaire
dont tu as imprégné le cœur de Don Bosco,
comme un élément essentiel de son charisme.

Nous te rendons grâce pour les 150 ans
des Missions Salésiennes,
et pour tant de missionnaires Salésiens
qui ont donné leur vie
en apportant l’Évangile et le Charisme Salésien
dans 137 pays du monde.

Envoie ton Esprit pour nous guider dans notre recherche
d’une vision renouvelée des missions salésiennes,
avec une inlassable créativité missionnaire.

Brûle nos cœurs du feu de ton amour
afin que, passionnés pour Jésus-Christ,
nous puissions l’annoncer à tous,
dans un enthousiasme missionnaire,
en particulier aux jeunes pauvres et abandonnés.

Tous les saints missionnaires Salésiens,
priez pour nous !

Le matériel de la JMS 2025 est disponible sur le lien suivant Journée Missionnaire Salésienne 2025.
Pour plus d’informations, écrivez à cagliero11@sdb.org

Marco Fulgaro




Partir en mission… en se fiant aux rêves

Les rêves missionnaires de Don Bosco, sans anticiper le cours des événements futurs, avaient en milieu salésien la saveur de prédictions.

            Les rêves missionnaires de 1870-1871 et surtout ceux des années 1880 ont contribué, dans une large mesure, à attirer l’attention de Don Bosco sur le problème missionnaire. En 1885 il invitait Monseigneur Giovanni Cagliero à la prudence :  » ne pas faire grand cas des rêves  » et  » seulement s’ils sont moralement utiles « . Le même Cagliero, chef de la première expédition missionnaire (1875) et futur cardinal, les jugeait comme de simples idéaux à poursuivre. D’autres salésiens, en revanche, et surtout Don Giacomo Costamagna, missionnaire de la troisième expédition (1877) et futur inspecteur et évêque, les comprenaient comme un itinéraire à suivre presque obligatoirement, au point de demander au secrétaire de Don Bosco, Don Jean-Baptiste Lemoyne, de lui envoyer les mises à jour « nécessaires ». À son tour, don Giuseppe Fagnano, missionnaire de la première heure et futur préfet apostolique, les voit comme l’expression d’un désir de toute la Congrégation, qui doit se sentir responsable de les réaliser en trouvant les moyens et le personnel. Enfin, don Luigi Lasagna, missionnaire parti avec la deuxième expédition en 1876, et lui aussi futur évêque, y voit une clé pour connaître l’avenir salésien en mission. Don Alberto Maria De Agostini, dans la première moitié du XXe siècle, se lancera personnellement dans de dangereuses et innombrables excursions en Amérique du Sud, dans le sillage des rêves de Don Bosco.
            Quelle que soit la manière dont on les comprend aujourd’hui, il n’en reste pas moins que dans le milieu salésien les rêves missionnaires de Don Bosco, même s’ils n’anticipaient pas le cours des événements futurs, avaient la saveur de prédictions. Dépourvus de significations symboliques et allégoriques, mais riches en références anthropologiques, géographiques, économiques et environnementales (on parle de tunnels, de trains, d’avions…), ils constituaient une incitation à l’action pour les missionnaires salésiens, d’autant plus que leur réalisation effective pouvait être vérifiée. En d’autres termes, les rêves missionnaires ont orienté l’histoire et dessiné un programme de travail missionnaire pour la société salésienne.

L’appel (1875) : un projet immédiatement révisé
            Dans les années 1870, une tentative d’évangélisation remarquable était en cours en Amérique latine, surtout grâce aux religieux, malgré les fortes tensions entre l’Église et les différents États libéraux. Grâce à des contacts avec le consul argentin à Savone, Giovanni Battista Gazzolo, Don Bosco proposa en décembre 1874 de fournir des prêtres à l’église de la Miséricorde (l’église des Italiens) à Buenos Aires, comme le demandait le vicaire général de Buenos Aires, Monseigneur Mariano Antonio Espinosa. Il accepta en outre l’invitation d’une commission intéressée par un internat à San Nicolás de los Arroyos, à 240 km au nord-ouest de la capitale argentine. En effet, la société salésienne – qui à l’époque comprenait également la branche féminine des Filles de Marie Auxiliatrice – avait pour premier objectif de s’occuper de la jeunesse pauvre (avec des catéchismes, des écoles, des internats, des oratoires festifs), mais n’excluait pas d’étendre ses services à toutes sortes de ministères sacrés. En cette fin d’année 1874, Don Bosco n’offrait donc rien de plus que ce qui se faisait déjà en Italie. D’ailleurs, les Constitutions salésiennes, finalement approuvées au mois d’avril précédent, ne contenaient aucune mention d’éventuelles missiones ad gentes, alors que les négociations pour des fondations salésiennes dans des « terres de mission » non européennes étaient en cours depuis des années.
            Les choses changèrent en l’espace de quelques mois. Le 28 janvier 1875, dans un discours adressé aux directeurs et, le lendemain, à toute la communauté salésienne, y compris les élèves, Don Bosco annonça que les deux demandes susmentionnées en Argentine ont été acceptées, alors qu’elles avaient été refusées sur d’autres continents. Il annonça également que « les missions en Amérique du Sud » (que personne n’avait proposées en ces termes) avaient été acceptées aux conditions demandées, sous la seule réserve de l’approbation du pape. C’est ainsi que Don Bosco, d’un coup de maître, présentait aux salésiens et aux jeunes un « projet missionnaire » passionnant, approuvé par Pie IX.
            Une préparation fébrile de l’expédition missionnaire commença immédiatement. Le 5 février, sa lettre circulaire invitait les salésiens à s’offrir librement pour de telles missions, où, en dehors de quelques zones civilisées, ils exerceraient leur ministère auprès des « peuples sauvages dispersés sur d’immenses territoires ». Même s’il avait identifié la Patagonie comme la terre de son premier rêve missionnaire – où des sauvages cruels venus de régions inconnues tuaient les missionnaires et accueillaient au contraire les salésiens – un tel projet d’évangélisation des « sauvages » allait bien au-delà des demandes reçues d’Amérique. L’archevêque de Buenos Aires, Monseigneur Federico Aneiros, n’en était certainement pas conscient, du moins à l’époque.
            Don Bosco se lança avec détermination dans l’organisation de l’expédition. Le 31 août, il communiquait au préfet de Propaganda Fide, le cardinal Alessandro Franchi, qu’il avait accepté la direction du collège de S. Nicolás comme « base pour les missions » et demandait pour cela les facultés spirituelles habituellement accordées dans de tels cas. Il en reçut quelques-unes, mais ne reçut aucune des subventions financières qu’il espérait, car l’Argentine ne dépendait pas de la Congrégation de Propaganda Fide et, avec un archevêque et quatre évêques, elle n’était pas considérée comme une « terre de mission ». Et la Patagonie ? Et la Terre de Feu ? Et les dizaines et dizaines de milliers d’Indiens qui y vivent, à deux ou trois mille kilomètres, « au bout du monde », sans aucune présence missionnaire ?
            Au Valdocco, dans l’église Marie-Auxiliatrice, lors de la célèbre cérémonie d’adieu aux missionnaires du 11 novembre, Don Bosco s’attarda sur la mission universelle de salut confiée par le Seigneur aux apôtres et donc à l’Église. Il parla du manque de prêtres en Argentine, des familles d’émigrants abandonnées et de l’œuvre missionnaire parmi les « grandes hordes de sauvages » dans les Pampas et en Patagonie, régions « entourant la partie civilisée » où « ni la religion de Jésus-Christ, ni la civilisation, ni le commerce n’ont encore pénétré, où les pieds des Européens n’ont jusqu’à présent laissé aucune trace ».
            Pastorale des émigrants italiens, puis plantatio ecclesiae en Patagonie : tel était le double objectif initial que Don Bosco indiquait à la première expédition. (Curieusement, il ne mentionna pas les deux centres missionnaires prévus de l’autre côté de l’Atlantique). Quelques mois plus tard, en avril 1876, il insistera auprès du Père Cagliero sur le fait que  » notre but est de tenter une expédition en Patagonie […] en prenant toujours comme base l’établissement de collèges et d’hospices […] dans le voisinage des tribus sauvages « . Il le répétera le 1er août : « En général, souvenez-vous toujours que Dieu veut que nos efforts soient dirigés vers la Pampa et le peuple patagon, et vers les pauvres et les enfants abandonnés ».
            À Gênes, au moment de l’embarquement, il remit à chacun des dix missionnaires – dont cinq prêtres – vingt souvenirs particuliers. Nous les reproduisons ici.

SOUVENIRS AUX MISSIONNAIRES

1. Cherchez les âmes, mais pas l’argent, ni les honneurs, ni les dignités.
2. Faites preuve de charité et de la plus grande courtoisie à l’égard de tous, mais évitez les conversations et les familiarités avec les personnes du sexe opposé ou de conduite suspecte.
3. Ne faites pas de visites, sauf pour des raisons de charité et de nécessité.
4. N’acceptez jamais d’invitations à déjeuner, sauf pour des raisons très sérieuses. Dans ce cas, allez-y à deux.
5. Prenez particulièrement soin des malades, des enfants, des personnes âgées et des pauvres, et vous gagnerez la bénédiction de Dieu et la bienveillance des hommes.
6. Rendez hommage à toutes les autorités civiles, religieuses, municipales et gouvernementales.
7. Si vous rencontrez une personne d’autorité dans la rue, prenez soin de la saluer avec grand respect.
8. Faites de même à l’égard des personnes ecclésiastiques ou appartenant à des instituts religieux.
9. Fuyez l’oisiveté et les affaires. Une grande sobriété dans la nourriture, la boisson et le repos.
10. Aimez, craignez et respectez les autres ordres religieux et dites-en toujours du bien. C’est le moyen de se faire estimer de tous et de promouvoir le bien de la congrégation.
11. Prenez soin de votre santé. Travaillez, mais seulement dans la mesure de vos forces.
12. Faites savoir au monde que vous êtes pauvres en vêtements, en nourriture, en habitations, et vous serez riches aux yeux de Dieu et deviendrez maîtres du cœur des hommes.
13. Aimez-vous les uns les autres, conseillez-vous, corrigez-vous, sans jamais vous porter envie ni rancune, mais en faisant en sorte que le bien de chacun soit le bien de tous ; que les peines et les souffrances de chacun soient considérées comme les peines et les souffrances de tous, et que chacun s’efforce de les éloigner ou du moins de les atténuer.
14. Observez vos Règles, et n’oubliez jamais l’exercice mensuel de la bonne mort.
15. Recommandez à Dieu chaque matin les occupations de la journée, notamment les confessions, les classes, les catéchismes et les sermons.
16. Recommandez constamment la dévotion à Marie Auxiliatrice et au Saint-Sacrement.
17. Recommandez aux jeunes la confession et la communion fréquentes.
18. Pour cultiver la vocation ecclésiastique, inculquez 1) l’amour de la chasteté, 2) l’horreur du vice opposé, 3) la séparation d’avec les mauvais, 4) la communion fréquente, 5) la charité manifestée par des gestes de bonté et de bienveillance.
19. Dans les affaires litigieuses, que les deux parties soient entendues avant de juger.
20. Dans nos travaux et nos souffrances, n’oublions pas que nous avons une grande récompense préparée pour nous dans le ciel.
Amen.




L’histoire des missions salésiennes (1/5)

Le 150e anniversaire des missions salésiennes se tiendra le 11 novembre 2025. Nous pensons qu’il est intéressant de raconter à nos lecteurs une brève histoire des précédents et des premières étapes de ce qui allait devenir une sorte d’épopée missionnaire salésienne en Patagonie. Nous le faisons en cinq épisodes, avec l’aide de sources inédites qui nous permettent de corriger les nombreuses inexactitudes qui sont passées dans l’histoire.

            Dégageons tout de suite le terrain : on dit et on écrit que Don Bosco voulait partir en mission aussi bien comme séminariste que comme jeune prêtre. Ceci n’est pas documenté. Si, en tant qu’étudiant de 17 ans (1834), il a demandé à rejoindre les frères réformés franciscains du couvent des Anges à Chieri qui avaient des missions, la demande a apparemment été faite principalement pour des raisons financières. Si dix ans plus tard (1844), en quittant le « Pensionnat ecclésiastique » de Turin, il est tenté d’entrer dans la Congrégation des Oblats de la Vierge Marie, qui venait d’être chargée de missions en Birmanie (Myanmar), il est cependant vrai que la mission, pour laquelle il a peut-être aussi entrepris l’étude des langues étrangères, n’était pour le jeune prêtre Bosco qu’une des possibilités d’apostolat qui s’ouvraient à lui. Dans les deux cas, Don Bosco suivit immédiatement le conseil du Père Comollo d’entrer au séminaire diocésain et, plus tard, celui du Père Cafasso de continuer à se consacrer aux jeunes de Turin. Même dans les vingt années qui vont de 1850 à 1870, occupé à planifier la continuité de son « œuvre des Oratoires », à donner une base juridique à la société salésienne qu’il était en train de constituer, à la formation spirituelle et pédagogique des premiers salésiens, tous jeunes de son Oratoire, il n’était certainement pas en mesure de donner suite à ses aspirations missionnaires personnelles ou à celles de ses « fils » eux-mêmes. Il n’y a même pas une ombre de lui ou des salésiens allant en Patagonie, même si c’est écrit sur le papier ou sur le web.

Une sensibilité missionnaire accrue
            Cela n’enlève rien au fait que la sensibilité missionnaire de Don Bosco, probablement réduite à de faibles indices et à de vagues aspirations dans les années de sa formation sacerdotale et de son premier sacerdoce, s’est considérablement aiguisée au fil des ans. La lecture des Annales de la Propagation de la Foi lui fournit de bonnes informations sur le monde missionnaire, à tel point qu’il en a tiré des épisodes pour certains de ses livres et qu’il a fait l’éloge du Pape Grégoire XVI qui encourageait la diffusion de l’Évangile aux quatre coins du monde et approuvait de nouveaux Ordres religieux à finalité missionnaire. Don Bosco a pu bénéficier de l’influence considérable du chanoine G. Ortalda, directeur du Conseil diocésain de l’Association Propaganda Fide pendant 30 ans (1851-1880) et promoteur des « Ecoles Apostoliques » (sorte de petit séminaire pour les vocations missionnaires). En décembre 1857, il avait également lancé le projet d’une exposition en faveur des missions catholiques confiées aux six cents missionnaires sardes. Don Bosco en était bien informé.
            L’intérêt missionnaire grandit en lui en 1862 lors de la canonisation solennelle à Rome des 26 protomartyrs japonais et en 1867 à l’occasion de la béatification de plus de deux cents martyrs japonais, célébrée elle aussi avec solennité au Valdocco. Dans la ville papale, pendant ses longs séjours en 1867, 1869 et 1870, il a pu voir d’autres initiatives missionnaires locales, comme la fondation du Séminaire pontifical des Saints Apôtres Pierre et Paul pour les missions à l’étranger.
            Le Piémont, avec près de 50% des missionnaires italiens (1500 avec 39 évêques), était à l’avant-garde dans ce domaine et le franciscain Monseigneur Luigi Celestino Spelta, vicaire apostolique de Hupei, se rendit à Turin en novembre 1859. Il ne visita pas l’Oratoire, ce que fit par contre Don Daniele Comboni en décembre 1864, qui publia à Turin son Plan de Régénération pour l’Afrique avec le projet intrigant d’évangéliser l’Afrique à travers les Africains.
            Don Bosco eut un échange d’idées avec lui, qui en 1869 essaya, sans succès, de l’associer à son projet et l’année suivante l’invita à envoyer quelques prêtres et laïcs pour diriger un institut au Caire et le préparer ainsi aux missions en Afrique, au centre desquelles il comptait confier aux salésiens un vicariat apostolique. Au Valdocco, la demande, qui n’est pas accordée, est remplacée par la volonté d’accueillir des garçons à éduquer pour les missions. Là, cependant, le groupe d’Algériens recommandé par Monseigneur Charles Martial Lavigerie rencontra des difficultés et fut envoyé à Nice Maritime, en France. En 1869, la demande du même archevêque d’avoir des auxiliaires salésiens dans un orphelinat d’Alger dans un moment d’urgence n’a pas été acceptée. De même, la demande du missionnaire brescien Giovanni Bettazzi d’envoyer des salésiens pour diriger un institut d’art et d’artisanat en plein essor, ainsi qu’un petit séminaire, dans le diocèse de Savannah (Géorgie, USA) était suspendue à partir de 1868. Les propositions des autres, qu’il s’agisse de diriger des œuvres éducatives dans les « territoires de mission » ou d’agir directement in partibus infidelium, pouvaient également être attrayantes, mais Don Bosco ne renoncerait jamais ni à sa pleine liberté d’action – qu’il voyait peut-être compromise par les propositions qu’il avait reçues des autres – ni surtout à son travail particulier auprès des jeunes, pour lesquels il était à l’époque très occupé à développer la société salésienne nouvellement approuvée (1869) au-delà des frontières de Turin et du Piémont. Bref, jusqu’en 1870, Don Bosco, bien que théoriquement sensible aux besoins missionnaires, cultive d’autres projets au niveau national.

Quatre années de demandes non satisfaites (1870-1874)
            Le thème missionnaire et les questions importantes qui s’y rapportent font l’objet d’une attention particulière lors du Concile Vatican I (1868-1870). Si le document Super Missionibus Catholicis ne fut jamais présenté à l’assemblée générale, la présence à Rome de 180 évêques provenant de  » terres de mission  » et l’information positive sur le modèle salésien de vie religieuse, diffusée parmi eux par quelques évêques piémontais, donnèrent à Don Bosco l’occasion de rencontrer beaucoup d’entre eux et d’être contacté par eux, aussi bien à Rome qu’à Turin.
            C’est là que fut reçue, le 17 novembre 1869, la délégation chilienne composée de l’archevêque de Santiago et de l’évêque de Concepción. En 1870, c’est au tour de Mgr D. Barbero, vicaire apostolique à Hyderabad (Inde), déjà connu de Don Bosco, de solliciter des soeurs disponibles pour l’Inde. En juillet 1870, le dominicain Mgr G. Sadoc Alemany, archevêque de San Francisco en Californie (USA), se rendit au Valdocco et demanda et obtint des salésiens un hospice avec une école professionnelle (qui ne fut jamais construite). Le franciscain Mgr L. Moccagatta, Vicaire Apostolique de Shantung (Chine) et son confrère Mgr Eligio Cosi, plus tard son successeur, visitèrent également le Valdocco. En 1873, c’est au tour de Mgr T. Raimondi de Milan d’offrir à Don Bosco la possibilité d’aller diriger les écoles catholiques dans la Préfecture Apostolique de Hong Kong. Les négociations, qui durèrent plus d’un an, s’arrêtèrent pour diverses raisons, tout comme, en 1874, un projet de nouveau séminaire du Père Bertazzi pour Savannah (USA) resta également sur le papier. Il en fut de même pour les fondations missionnaires en Australie et en Inde, pour lesquelles Don Bosco entama des négociations avec des évêques individuels, qu’il donna parfois comme conclues au Saint-Siège, alors qu’il ne s’agissait en réalité que de projets en cours de réalisation.
            Au début des années soixante-dix, avec un personnel composé d’un peu plus de deux douzaines de personnes (prêtres, clercs et coadjuteurs), dont un tiers de vœux temporaires, réparties dans six maisons, il aurait été difficile pour Don Bosco d’envoyer certains d’entre eux en terre de mission. D’autant plus que les missions étrangères qui lui étaient proposées jusqu’alors en dehors de l’Europe présentaient de sérieuses difficultés de langue, de culture et de traditions non autochtones, et que la tentative de longue date de disposer de jeunes anglophones, même avec l’aide du recteur du collège irlandais de Rome, Mgr Toby Kirby, s’était soldée par un échec.

(suite)

Photo d’époque : le port de Gênes, 14 novembre 1877.




Projet Missionnaire Basilicate – Calabre

Dans le cadre du « Projet Europe », l’Italie du Sud a lancé un nouveau projet missionnaire dans les régions de la Calabre et de la Basilicate en accueillant les premiers missionnaires « ad gentes », signe de générosité missionnaire et d’opportunité de croissance dans l’ouverture mondiale du charisme de Don Bosco.

L’Europe comme terre de mission : dans une nouvelle perspective missiologique salésienne, les missions prennent de moins en moins une connotation géographique, comme un mouvement vers « les terres de mission ». Aujourd’hui les missionnaires viennent des cinq continents et sont envoyés vers les cinq continents. Ce mouvement missionnaire multidirectionnel se produit déjà dans de nombreux diocèses et congrégations. Avec le « Projet Europe », les salésiens se sont confrontés à ce changement de paradigme missionnaire, pour lequel un chemin de conversion de l’esprit et du cœur est nécessaire. Le « Projet Europe », dans l’idée de Don Pascual Chávez, est un acte de courage apostolique et une opportunité de renaissance charismatique sur le continent européen à insérer dans le contexte plus large de la nouvelle évangélisation. L’objectif est d’engager toute la congrégation salésienne dans le renforcement du charisme salésien en Europe, surtout par un profond renouvellement spirituel et pastoral des confrères et des communautés, afin de continuer le projet de Don Bosco en faveur des jeunes, en particulier les plus pauvres.

Les provinces salésiennes sont appelées à repenser leurs présences salésiennes en vue d’une évangélisation plus efficace qui réponde au contexte actuel. Parmi elles, la province d’Italie Méridionale a élaboré un nouveau projet missionnaire qui concerne les régions de la Basilicate et de la Campanie. En partant d’une analyse du territoire, on peut constater que le Sud de l’Italie est caractérisé par une présence assez consistante de jeunes, une dénatalité moindre par rapport à d’autres régions italiennes, et une émigration très présente qui fait que de nombreux jeunes s’en vont pour étudier ou travailler ailleurs. Les traditions religieuses et familiales, qui ont toujours constitué un repère identitaire important pour la communauté, sont moins pertinentes qu’auparavant et de nombreux jeunes vivent la foi comme une réalité distante de leur vie, sans pour autant se montrer totalement opposés à celle-ci. Les Salésiens expérimentent une bonne adhésion aux expériences spirituelles des jeunes mais, en même temps, une faible réceptivité à des parcours systématiques et à des propositions de vie définitives. Parmi les autres problématiques touchant le monde des jeunes il y a l’analphabétisme émotionnel et affectif, les crises relationnelles des familles, le décrochage scolaire et le chômage. Tout cela alimente des phénomènes de pauvreté diffuse et la croissance d’organisations criminelles qui trouvent un terreau fertile pour y impliquer et détourner les jeunes. Dans ce contexte, de nombreux jeunes expriment un fort désir d’engagement social, en particulier dans les domaines politique et écologique et dans le monde du bénévolat.

La province salésienne a réfléchi ces dernières années sur la manière d’agir pour être pertinente sur le territoire et a fait plusieurs choix importants, parmi lesquels le développement des œuvres et des projets pour les jeunes les plus pauvres comme les maisons-familles et les centres de jour qui manifestent directement et clairement le choix en faveur des jeunes à risque. La prise en charge intégrale des jeunes doit viser à une formation intégrale, et pas seulement théorique, afin que le jeune puisse découvrir ou prendre conscience de ses propres capacités. De plus, une pratique missionnaire plus courageuse est requise pour réaliser des parcours d’éducation à la foi qui aident les jeunes à réaliser leur vocation chrétienne. Tout cela doit être réalisé avec l’engagement actif de tous : consacrés, laïcs, jeunes, familles, membres de la famille salésienne… dans un style pleinement synodal qui promeut la coresponsabilité et la participation.

La Basilicate et la Calabre ont été choisies comme des zones charismatiquement significatives et nécessitant un renforcement et un nouvel élan éducatif et pastoral. Il s’agit de territoires sur lesquels il faut parier en ouvrant de nouvelles frontières pastorales et en redimensionnant certaines déjà présentes. Les présences salésiennes sont au nombre de six : Potenza, Bova Marina, Corigliano Rossano, Locri, Soverato et Vibo Valentia. Quels sont les salésiens requis pour ce projet missionnaire ? Des salésiens disposés à travailler dans des contextes pauvres, populaires et peuplés, avec des difficultés économiques et parfois un manque de stimuli culturels, et attentifs en particulier à la première annonce. Des salésiens qui soient bien préparés, sur le plan spirituel, salésien, culturel et charismatique. Il est nécessaire d’avoir bien présent à l’esprit le motif pour lequel ce projet a été élaboré. Il s’agit de prendre soin de la Basilicate et de la Calabre, deux régions pauvres et avec peu de propositions pastorales systématiques en faveur des jeunes les plus nécessiteux, et où la première annonce devient de plus en plus une exigence, même dans des contextes de tradition catholique. Le travail éducatif-pastoral des salésiens cherche à donner de l’espoir à de nombreux jeunes qui sont souvent contraints de quitter leur famille pour se déplacer vers le Nord à la recherche d’une vie meilleure. Pour affronter cette réalité avec des offres pastorales et formatrices visionnaires, telles que la formation professionnelle et l’attention à la détresse juvénile, il devient de plus en plus urgent de travailler avec les institutions pour trouver des réponses. Aux côtés des salésiens consacrés, il y a sur ce territoire une bonne présence de laïcs et de membres de la Famille Salésienne. L’Église locale, tout comme la réalité sociale, nourrit un grand respect et une grande considération pour les fils de Don Bosco.

L’accueil de nouveaux missionnaires ad gentes est une bénédiction et un défi qui s’inscrivent dans ce projet pastoral. La province d’Italie Méridionale (IME) a reçu cette année quatre missionnaires envoyés lors de la 155e expédition missionnaire salésienne. Parmi eux, deux sont devenus membres de la nouvelle délégation provinciale AKM (Albanie, Kosovo, Monténégro), les deux autres ont été destinés au Sud de l’Italie et participeront au nouveau projet missionnaire de l’IME pour la Basilicate et la Campanie : Henri Mufele Ngankwini et Guy Roger Mutombo, de la République Démocratique du Congo (Province ACC). Pour accompagner au mieux les missionnaires qui arrivent, la Province IME veut faire en sorte qu’ils se sentent chez eux et aient une insertion progressive dans la nouvelle réalité communautaire et sociale. Les missionnaires sont progressivement intégrés dans l’histoire et la culture du lieu qui deviendra pour eux leur maison et, dès les premiers jours, ils suivent des cours de langue et de culture italiennes, pour une durée d’au moins deux ans, en vue d’une pleine inculturation. Parallèlement, ils sont introduits dans les processus de formation et font leurs premiers pas dans l’action éducative et pastorale de la Province avec les jeunes et les adolescents. Une dimension fondamentale est l’attention au chemin spirituel personnel : à chaque missionnaire sont garantis des moments adéquats de prière personnelle et communautaire, l’accompagnement et la direction spirituelle, la confession, si possible dans une langue qu’ils comprennent, et des temps de mise à jour et de formation. Par la suite, le missionnaire bénéficiera d’une formation continue pour une insertion encore plus complète dans les dynamiques de la Province, avec quelques points d’attention spécifiques. L’expérience missionnaire sera évaluée périodiquement pour identifier les points forts, les fragilités et les éventuels correctifs, dans un esprit fraternel.

Comme nous le rappelle Don Alfred Maravilla, Conseiller Général pour les Missions, « être missionnaires dans une Europe sécularisée pose d’importants défis internes et externes. La bonne volonté ne suffit pas. » « En regardant en arrière avec les yeux de la foi, nous réalisons qu’à travers le lancement du Projet Europe, l’Esprit préparait la Société Salésienne à affronter la nouvelle réalité de l’Europe, afin de pouvoir être plus conscients de nos ressources et aussi des défis, et avec l’espoir de relancer le charisme salésien sur le Continent. » Prions pour que dans les régions de Basilicate et de Calabre, la présence salésienne soit inspirée par l’Esprit pour le bien des jeunes les plus nécessiteux.

Marco Fulgaro




« Reprendre son souffle » 2024. Cours de renouvellement missionnaire salésien

Le Secteur Missionnaire de la Congrégation salésienne, dont le siège est à Rome, a organisé un cours de renouvellement missionnaire appelé Breath Course en anglais, pour les missionnaires qui sont déjà en mission depuis de nombreuses années et qui désirent un renouvellement spirituel et une mise à jour.Le cours, qui a commencé à Colle Don Bosco le 11 septembre 2024, s’est achevé avec succès à Rome le 26 octobre 2024.

Le cours « Reprendre son souffle » a été suivi par 24 personnes provenant de 14 pays : Azerbaïdjan, Botswana, Brésil, Cambodge, Érythrée, Inde, Japon, Nigeria, Pakistan, Philippines, Samoa, Soudan du Sud, Tanzanie et Turquie. Bien que les participants fussent originaires de pays différents avec des antécédents culturels différents et membres de différentes branches de la famille salésienne, nous avons rapidement établi un lien très fort entre nous et nous nous sommes tous sentis à l’aise comme en famille.

L’une des particularités du cours « Reprendre son souffle » a été qu’il s’agissait d’un cours missionnaire auquel participaient pour la première fois divers membres de la Famille salésienne : 16 Salésiens de Don Bosco (SDB), 3 Sœurs de la Charité de Jésus (SCG), 2 Sœurs Missionnaires de Marie Auxiliatrice (MSMHC), 2 Sœurs de la Visitation de Don Bosco (VSDB) et 1 Salésien Coopérateur. Un autre aspect positif a été l’expérience vécue en compagnie de certains membres moins connus et plus petits de la Famille salésienne.

Les sept semaines du Cours ont été un temps de renouveau spirituel qui nous a permis d’approfondir notre connaissance de Don Bosco, de son histoire, de son charisme, de son esprit et de la spiritualité salésienne, et de mieux connaître les autres membres de la Famille salésienne. Pour nous aider à personnaliser et à approfondir nos valeurs salésiennes et notre vocation missionnaire, nous avons pu profiter de beaucoup d’initiatives : la lectio divina salésienne, les pèlerinages sur les lieux liés à la vie et à l’apostolat de Don Bosco aux Becchi, à Castelnuovo Don Bosco, à Chieri et au Valdocco, les journées passées à Annecy et à Mornèse, le pèlerinage sur les pas de saint Paul Apôtre à Rome, la participation à l’audience générale du Pape François au Vatican, la visite à la Basilique du Sacré-Cœur construite par Don Bosco et à la Maison Généralice des Salésiens, le partage d’expériences missionnaires entre tous les participants au cours, la participation au solennel « Envoi missionnaire » dans la Basilique Marie-Auxiliatrice au Valdocco, les temps quotidiens de prière et de réflexion personnelle, la célébration eucharistique commune, etc. À tout cela s’ajoutent les journées passées à Rome qui ont permis de réfléchir sur les différents aspects de la théologie de la mission, les sessions sur la pastorale salésienne des jeunes, le discernement personnel, la formation permanente, la catéchèse missionnaire, la formation affective, le volontariat missionnaire, l’animation missionnaire de la Congrégation, etc. Le pèlerinage à Assise, lieu sanctifié par saint François d’Assise, sur le thème « rendre grâce », « repenser » et « relancer », a été l’occasion de remercier Dieu pour notre vocation missionnaire et de lui demander la grâce de retourner sur nos terres de mission avec un plus grand enthousiasme pour faire mieux à l’avenir. Une autre particularité de ce Cours était qu’il n’était pas de nature académique, avec des crédits, des thèses, des examens et des évaluations, mais qu’il mettait l’accent sur la Parole de Dieu, le partage d’expériences, la réflexion, la prière et la contemplation, avec un minimum d’apports théoriques.

En tant que participants au cours « Reprendre son souffle », nous avons eu le privilège spécial d’assister au 155e « Envoi missionnaire » dans la Basilique Marie-Auxiliatrice à Valdocco, Turin, le 29 septembre 2024. Un total de 27 salésiens, presque tous très jeunes, sont partis comme missionnaires pour différents pays après avoir reçu la croix missionnaire des mains du Père Stefano Martoglio, Vicaire du Recteur Majeur. Cet événement mémorable nous a rappelé notre propre réception de la croix missionnaire et notre départ en mission, il y a de nombreuses années. Nous avons également pris conscience de l’envoi missionnaire ininterrompu au Valdocco depuis 1875 et de l’engagement permanent de la Congrégation salésienne dans la ligne du charisme missionnaire de Don Bosco.

Un aspect très enrichissant du Breath Course a été le partage des histoires de vocation et des expériences missionnaires de tous les participants. Chacun s’est préparé à l’avance et a partagé l’histoire de sa vocation et ses expériences missionnaires d’une manière créative. Les uns ont partagé leurs expériences sous la forme de la simple narration, d’autres ont utilisé des photos, des vidéos et des présentations PowerPoint. Il y a eu beaucoup de temps pour interagir avec chacun des missionnaires afin de clarifier les doutes et de recueillir plus d’informations sur la vocation missionnaire de chacun, sur son pays et sa culture. Ce partage a été un excellent exercice spirituel, car chacun d’entre nous a eu l’occasion de réfléchir profondément à sa vocation missionnaire et de découvrir la main de Dieu à l’œuvre dans sa vie. Ce voyage intérieur a été très formateur et nous a permis de renforcer notre vocation missionnaire et de nous engager plus généreusement dans la Missio Dei (Mission de Dieu).

Pendant le Breath Course, à travers le partage de nos expériences missionnaires, nous avons été une fois de plus profondément convaincus que la vie d’un missionnaire n’est pas facile. La plupart des missionnaires travaillent dans des « périphéries » de différentes sortes (géographiques, existentielles, économiques, culturelles, spirituelles et psychologiques), et bon nombre d’entre eux dans des conditions très difficiles, dans des circonstances éprouvantes et avec de nombreuses privations. Dans de nombreux contextes, il n’y a pas de liberté religieuse permettant de prêcher ouvertement l’Évangile. Dans d’autres endroits, des gouvernements aux idéologies extrémistes s’opposent au christianisme et ont mis en place des lois anti-conversion. Dans certains pays, il est interdit de révéler son identité sacerdotale ou religieuse. Il y a aussi des endroits où ni l’institution catholique ni le personnel religieux ne peuvent exposer des symboles religieux chrétiens tels que la croix, la Bible, des statues du Christ ou de saints, ou des vêtements religieux. Il y a des territoires où les missionnaires ne peuvent pas se réunir pour des réunions ou des exercices spirituels, ni mener une vie communautaire. Il y a des nations qui n’autorisent aucun missionnaire chrétien étranger à entrer sur leur territoire et qui bloquent toute aide financière de l’étranger aux institutions chrétiennes. Il y a des terres de mission qui n’ont pas assez de vocations à la vie sacerdotale et religieuse et, par conséquent, le missionnaire est accablé par de nombreuses tâches et responsabilités. Il y a aussi des situations où les missionnaires doivent trouver les ressources financières nécessaires pour faire face aux dépenses ordinaires liées au fonctionnement d’institutions telles que les écoles, les internats, les instituts techniques, les centres de jeunes, les dispensaires, etc. Certaines missions ne disposent pas des ressources financières nécessaires pour construire les infrastructures indispensables ou pour recruter des personnes qualifiées pour enseigner dans les écoles et les instituts techniques ou pour fournir des soins de santé de base aux pauvres. Cette liste de problèmes rencontrés par les missionnaires n’est pas exhaustive. Mais ce qu’il y a de positif chez les missionnaires, c’est qu’ils sont profondément croyants et heureux de leur vocation missionnaire. Ils sont heureux d’être avec les gens et satisfaits de ce qu’ils ont. Confiants dans la Providence de Dieu, ils poursuivent leur travail missionnaire en dépit de nombreux défis et difficultés. Certains missionnaires sont des exemples lumineux de sainteté chrétienne et font de leur vie une puissante annonce de l’Évangile. Ces valeureux missionnaires méritent notre reconnaissance, nos encouragements et notre soutien spirituel et matériel pour poursuivre leur travail missionnaire.

Je tiens à remercier tout particulièrement tous les membres du secteur missionnaire qui ont beaucoup travaillé et consenti de nombreux sacrifices pour organiser le BreathCourse 2024. J’espère que le Secteur Mission continuera à offrir ce cours chaque année et, si possible, dans différentes langues et avec la participation d’un plus grand nombre de groupes de la Famille salésienne, en particulier les plus petits et les moins connus. Le cours donnera certainement aux missionnaires l’opportunité d’un renouveau spirituel, d’une mise à jour théologique, d’un repos physique et mental, qui sont essentiels pour offrir un service missionnaire et pastoral de meilleure qualité dans les missions et pour établir des liens plus étroits entre les membres de la Famille salésienne.

P. Jose Kuruvachira, sdb