Loteries : de véritables exploits

Don Bosco ne fut pas seulement un éducateur et un pasteur d’âmes infatigable, mais aussi un homme d’une extraordinaire ingéniosité, capable d’inventer des solutions nouvelles et courageuses pour soutenir ses œuvres. Les nécessités économiques de l’Oratoire de Valdocco, en constante expansion, le poussèrent à chercher des moyens toujours plus efficaces pour garantir le gîte, le couvert, l’école et le travail à des milliers de garçons. Parmi ceux-ci, les loteries représentèrent l’une des intuitions les plus ingénieuses : de véritables entreprises collectives, qui impliquaient nobles, prêtres, bienfaiteurs et simples citoyens. Ce n’était pas simple, car la législation piémontaise réglementait rigoureusement les loteries, n’en permettant l’organisation aux particuliers que dans des cas bien définis. Et il ne s’agissait pas seulement de collecter des fonds, mais de créer un réseau de solidarité qui unissait la société turinoise autour du projet éducatif et spirituel de l’Oratoire. La première, en 1851, fut une aventure mémorable, riche en imprévus et en succès.

L’argent qui arrivait entre les mains de Don Bosco y restait peu de temps, car il était immédiatement utilisé pour nourrir, loger, scolariser et faire travailler des dizaines de milliers de garçons ou pour construire des collèges, des orphelinats et des églises ou pour soutenir les missions d’Amérique du Sud. Ses comptes, on le sait, ont toujours été déficitaires ; les dettes l’ont accompagné tout au long de sa vie.
Or, parmi les moyens intelligemment adoptés par Don Bosco pour financer ses œuvres, on peut certainement placer les loteries : une quinzaine ont été organisées par lui, petites et grandes. La première, modeste, fut celle de Turin en 1851 en faveur de l’église Saint François de Sales de Valdocco et la dernière, grandiose, au milieu des années 1880, fut celle pour faire face aux immenses dépenses de l’église et de l’Hospice du Sacré-Cœur de la gare Termini à Rome.
Une véritable histoire de ces loteries reste à écrire, bien que les sources ne manquent pas à cet égard. Ce n’est que pour la première, celle de 1851, que nous avons retrouvé une douzaine d’inédits. Grâce à elles, nous reconstituons son histoire tourmentée en deux épisodes.

La demande d’autorisation
Selon la loi du 24 février 1820 – modifiée par les brevets royaux de janvier 1835 et par les instructions de la Compagnie générale des finances royales du 24 août 1835, puis par les brevets royaux du 17 juillet 1845 – toute loterie nationale (Royaume de Sardaigne) devait faire l’objet d’une autorisation gouvernementale préalable.
Pour Don Bosco, il s’agissait avant tout d’avoir la certitude morale de réussir le projet. Il l’a eue grâce au soutien économique et moral des tout premiers bienfaiteurs : les nobles familles Callori et Fassati et le chanoine Anglesio de Cottolengo. Il se lance donc dans ce qui s’avérera être une authentique entreprise. En peu de temps, il réussit à mettre en place une commission d’organisation, composée au départ de seize personnalités, puis de vingt. Parmi elles, de nombreuses autorités civiles officiellement reconnues, comme un sénateur (nommé trésorier), deux adjoints au maire, trois conseillers municipaux ; puis des prêtres prestigieux comme les théologiens Pietro Baricco, adjoint au maire et secrétaire de la Commission, Giovanni Borel, aumônier de la cour, Giuseppe Ortalda, directeur de l’Opera Pia di Propaganda Fide, Roberto Murialdo, cofondateur du Collegio degli Artigianelli et de l’Association de charité ; enfin, des hommes d’expérience comme un ingénieur, un orfèvre réputé, un négociant en gros, etc. Tous des gens, pour la plupart propriétaires terriens, connus de Don Bosco et « proches » de l’œuvre du Valdocco.
La Commission terminée, Don Bosco transmet, début décembre 1851, la demande formelle à l’Intendant Général des Finances, le Chevalier Alessandro Pernati di Momo (futur Sénateur et Ministre de l’Intérieur du Royaume) ainsi qu’à un « ami » de l’œuvre du Valdocco.

L’appel aux dons
Il joint à la demande d’autorisation une circulaire très intéressante dans laquelle, après avoir retracé l’histoire émouvante de l’Oratoire – apprécié par la famille royale, les autorités gouvernementales et communales – il signale que la nécessité constante d’agrandir l’Œuvre du Valdocco pour accueillir de plus en plus de jeunes consomme les ressources économiques de la bienfaisance privée. C’est pourquoi, pour payer les frais d’achèvement de la nouvelle chapelle en construction, il a été décidé de faire appel à la charité publique par le biais d’une loterie de dons à offrir spontanément : « Ce moyen consiste en une loterie d’objets, que le soussigné a eu l’idée d’entreprendre pour couvrir les frais d’achèvement de la nouvelle chapelle, et à laquelle votre seigneurie voudra sans doute prêter son concours, réfléchissant à l’excellence de l’œuvre à laquelle elle s’adresse. Quel que soit l’objet que Votre Seigneurie voudra offrir, qu’il soit de soie, de laine, de métal ou de bois, qu’il soit l’oeuvre d’un artiste réputé, d’un modeste ouvrier, d’un artisan laborieux ou d’une dame charitable, tout sera accepté avec reconnaissance, parce qu’en matière de charité, chaque petit secours est une grande chose, et parce que les offrandes, même petites, d’un grand nombre peuvent suffire à achever l’oeuvre désirée ».
La circulaire indiquait également les noms des promoteurs à qui les dons pouvaient être remis et des personnes de confiance qui les recueillaient et les gardaient. Les 46 promoteurs comprenaient diverses catégories de personnes : professionnels, professeurs, imprésarios, étudiants, clercs, commerçants, marchands, prêtres ; par contre, parmi les quelque 90 promoteurs, les femmes de la noblesse (baronne, marquise, comtesse et leurs accompagnatrices) semblaient prédominer.
Elle ne manqua pas de joindre à la demande le « plan de la loterie » dans ses multiples aspects formels : collecte des objets, récépissé de livraison des objets, leur évaluation, billets authentifiés à vendre en nombre proportionnel au nombre et à la valeur des objets, leur exposition au public, tirage au sort des gagnants, publication des numéros tirés, heure de la collecte des lots, etc. Une série de tâches exigeantes auxquelles Don Bosco ne s’est pas soustrait. La chapelle de Pinardi ne suffisait plus à ses jeunes : il leur faut une église plus grande, celle prévue de Saint François de Sales (une douzaine d’années plus tard, il leur en faudra une autre encore plus grande, celle de Marie Auxiliatrice !)

Une réponse positive
Compte tenu du sérieux de l’initiative et de la grande « qualité » des membres de la Commission de proposition, la réponse de l’Intendance ne pouvait être que positive et immédiate. Le 17 décembre, le député-maire Pietro Baricco a transmis à Don Bosco le décret correspondant, en l’invitant à transmettre des copies des futurs actes formels de la loterie à l’administration municipale, responsable de la régularité de toutes les exigences légales. A ce moment-là, avant Noël, Don Bosco envoya la circulaire susmentionnée à l’imprimerie, la fit circuler et commença à recueillir des dons.
Il disposait de deux mois pour le faire, car d’autres loteries avaient lieu au cours de l’année. Mais les dons arrivaient lentement et, à la mi-janvier, Don Bosco se vit contraint de réimprimer la circulaire et de demander la collaboration de tous les jeunes du Valdocco et de leurs amis pour écrire des adresses, rendre visite aux bienfaiteurs connus, faire connaître l’initiative et collecter les dons.
Mais le meilleur reste à venir.

La salle d’exposition
Le Valdocco n’ayant pas d’espace pour exposer les dons, Don Bosco demanda à l’adjoint au maire Baricco, trésorier de la commission de la loterie, de demander au ministère de la Guerre trois salles dans la partie du couvent Saint-Dominique mise à la disposition de l’armée. Les pères dominicains acceptaient. Le ministre Alfonso Lamarmora les leur accorda le 16 janvier. Mais Don Bosco se rendit vite compte qu’elles ne seraient pas assez grandes et demanda au roi, par l’intermédiaire de l’aumônier, l’abbé Stanislao Gazzelli, une chambre plus grande. Le surintendant royal Pamparà lui répondit que le roi ne disposait pas de locaux adéquats et proposa de louer à ses frais un local pour le jeu du Trincotto (ou pallacorda : une sorte de tennis à main ante litteram). Ce local ne serait cependant disponible que pour le mois de mars et sous certaines conditions. Don Bosco refusa la proposition mais accepta les 200 lires offertes par le roi pour la location du local. Il se mit alors à la recherche d’une autre salle et en trouva une convenable sur la recommandation de la mairie, derrière l’église Saint-Dominique, à quelques centaines de mètres du Valdocco.

Arrivée des dons
Entre-temps, Don Bosco avait demandé au ministre des Finances, le célèbre comte Camillo Cavour, une réduction ou une exonération des frais de port pour les lettres circulaires, les billets et les cadeaux eux-mêmes. Par l’intermédiaire du frère du comte, le très religieux marquis Gustavo di Cavour, il obtient l’approbation de diverses réductions postales.
Il s’agissait maintenant de trouver un expert pour évaluer le montant des cadeaux et le nombre de billets à vendre. Don Bosco s’adressa à l’intendant et lui proposa aussi le nom : un orfèvre membre de la Commission. L’intendant, cependant, répondit par l’intermédiaire du maire en lui demandant une double copie des cadeaux reçus afin de nommer son propre expert. Don Bosco exécuta immédiatement la demande et le 19 février, l’expert évalua les 700 objets collectés à 4124,20 lires. Au bout de trois mois, on arriva à 1000 dons, au bout de quatre mois à 2000, jusqu’à la conclusion de 3251 dons, grâce à la « quête » continue de Don Bosco auprès des particuliers, des prêtres et des évêques et à ses demandes formelles répétées à la Commune de prolonger le délai pour le tirage. Don Bosco ne manqua pas non plus de critiquer l’estimation faite par l’assesseur municipal des dons qui arrivaient continuellement, qu’il disait inférieure à leur valeur réelle ; et de fait, d’autres assesseurs s’ajoutèrent, en particulier un peintre pour les œuvres d’art.
Le chiffre final est tel que Don Bosco est autorisé à émettre 99.999 billets au prix de 50 centimes l’unité. Au catalogue déjà imprimé des dons numérotés avec le nom du donateur et des promoteurs, on ajouta un supplément avec les derniers dons arrivés. Parmi eux, ceux du Pape, du Roi, de la Reine Mère, de la Reine Consort, des députés, des sénateurs, des autorités municipales, mais aussi de nombreuses personnes modestes, surtout des femmes, qui ont offert des objets ménagers et mobiliers, même de faible valeur (verre, encrier, bougie, carafe, tire-bouchon, bouchon, dé à coudre, ciseaux, lampe, mètre, pipe, porte-clés, savon, taille-crayon, sucrier). Les cadeaux les plus fréquents sont les livres (629) et les tableaux (265). Même les garçons du Valdocco ont rivalisé pour offrir leur propre petit cadeau, peut-être un livret offert par Don Bosco lui-même.

Un travail énorme jusqu’au tirage au sort
À ce moment-là, il fallait imprimer les billets en série progressive sous deux formes (petit talon et billet), les faire signer par deux membres de la commission, envoyer le billet avec une note, documenter l’argent collecté. De nombreux bienfaiteurs ont reçu des dizaines de billets, avec une invitation à les conserver ou à les transmettre à des amis et connaissances.
La date du tirage au sort, initialement fixée au 30 avril, fut reportée au 31 mai, puis au 30 juin, pour se tenir à la mi-juillet. Ce dernier report est dû à l’explosion de la poudrière de Borgo Dora qui a dévasté la région du Valdocco.
Pendant deux après-midi, les 12 et 13 juillet 1852, des billets sont tirés au sort sur le balcon de l’hôtel de ville. Quatre urnes à roue de couleurs différentes contenaient 10 balles (de 0 à 9) identiques et de la même couleur que la roue. Introduites une à une par l’adjoint au maire dans les urnes, puis tournées, huit jeunes gens de l’Oratoire effectuent l’opération et le numéro tiré est proclamé à haute voix puis publié dans la presse. De nombreux cadeaux ont été déposés à l’Oratoire, où ils ont été réutilisés par la suite.

Le jeu en valait-il la chandelle ?
Pour les quelque 74 000 billets vendus, après déduction des frais, il reste à Don Bosco environ 26 000 lires, qu’il partage à parts égales avec l’œuvre voisine de Cottolengo. Un petit capital certes (la moitié du prix d’achat de la maison Pinardi l’année précédente), mais le plus grand résultat du travail exténuant qu’il effectua pour réaliser la loterie – documenté par des dizaines de lettres souvent inédites – fut l’implication directe et sincère de milliers de personnes de toutes les classes sociales dans son « projet naissant du Valdocco » : en le faisant connaître, apprécier et ensuite soutenir économiquement, socialement et politiquement.
Don Bosco a eu recours à plusieurs reprises à des loteries, toujours dans un double but : collecter des fonds pour ses œuvres en faveur des garçons pauvres, pour les missions, et offrir aux croyants (et aux non-croyants) des moyens de pratiquer la charité, le moyen le plus efficace, comme il le répétait continuellement, pour « obtenir le pardon des péchés et s’assurer la vie éternelle ».

« J’ai toujours eu besoin de tous » Don Bosco

Au sénateur Giuseppe Cotta

Giuseppe Cotta, banquier, était un grand bienfaiteur de Don Bosco. La déclaration suivante sur papier timbré, datée du 5 février 1849, est conservée dans les archives : « Les prêtres soussignés T. Borrelli Gioanni de Turin et D. Bosco Gio’ di Castelnuovo d’Asti se déclarent débiteurs de trois mille francs envers le malheureux Cavaliere Cotta qui les leur a prêtés pour une œuvre pieuse. Cette somme doit être remboursée par les soussignés dans un an avec les intérêts légaux ». Signé Prêtre Giovanni Borel, D. Bosco Gio.

Au bas de la même page et à la même date, don Joseph Cafasso écrit : « Le soussigné remercie vivement très Illustre Mr le Chev. Cotta pour ce qui précède et se porte garant auprès de lui pour la somme mentionnée ». Au bas de la page, Cotta signe qu’il a reçu 2 000 lires le 10 avril 1849, 500 lires le 21 juillet 1849 et le solde le 4 janvier 1851.




Don Bosco avec ses Salésiens

Si avec ses garçons Don Bosco plaisantait volontiers pour les voir gais et sereins, avec ses Salésiens il révélait aussi en plaisantant l’estime qu’il avait pour eux, le désir de les voir former avec lui une grande famille, pauvre certes, mais pleine de confiance en la Divine Providence, unie dans la foi et la charité.

Les fiefs de Don Bosco
En 1830, Marguerite Occhiena, veuve de François Bosco, fit le partage des biens hérités de son mari entre son beau-fils Antoine et ses deux fils Joseph et Jean. Il s’agissait, entre autres, de huit parcelles de terre en pré, champ et vigne. Nous ne savons rien de précis sur les critères suivis par Mamma Margherita pour répartir l’héritage paternel entre eux trois. Toutefois, parmi les terrains, il y avait un vignoble près des Becchi (à Bric dei Pin), un champ à Valcapone (ou Valcappone) et un autre à Bacajan (ou Bacaiau). Quoi qu’il en soit, ces trois terres constituaient les « fiefs » que Don Bosco appelait parfois, en plaisantant, sa propriété.
Les Becchi, comme nous le savons tous, est l’humble hameau où naquit Don Bosco ; Valcappone (ou Valcapone) était un lieu situé plus à l’est, sous la Serra di Capriglio, mais en bas de la vallée, dans la zone connue sous le nom de Sbaruau (= croquemitaine), parce qu’elle était très boisée avec quelques cabanes cachées parmi les branches qui servaient de lieu de stockage pour les blanchisseurs et de refuge pour les brigands. Bacajan (ou Bacaiau) était un champ situé entre les parcelles de Valcapone et de Morialdo. Voilà les « fiefs » de Don Bosco !
Les Mémoires biographiques racontent que Don Bosco avait l’habitude de conférer des titres de noblesse à ses collaborateurs laïcs. Il y avait donc le comte des Becchi, le marquis de Valcappone, le baron de Bacaiau, les trois terres qui faisaient partie de l’héritage de Don Bosco. « C’est avec ces titres qu’il appelait Rossi, Gastini, Enria, Pelazza, Buzzetti, non seulement à la maison mais aussi à l’extérieur, surtout lorsqu’il voyageait avec l’un d’entre eux » (MB VIII, 198-199).
Parmi ces « nobles » salésiens, nous savons avec certitude que le comte des Becchi (ou du Bricco del Pino) était Giuseppe Rossi, le premier salésien laïc, ou « coadjuteur », qui aima Don Bosco comme un fils très affectueux et lui resta fidèle pour toujours.
Un jour, Don Bosco se rendit à la gare de Porta Nuova et Giuseppe Rossi l’accompagnait en portant sa valise. Ils arrivèrent juste au moment où le train était sur le point de partir et où les wagons étaient bondés. Don Bosco, ne trouvant pas de place, se tourna vers Rossi et lui dit d’une voix forte : « Oh ! Monsieur le Comte, je regrette que vous ne puissiez pas vous asseoir !
– Oh ! Monsieur le Comte, je regrette que vous vous donniez tant de mal pour moi !
– N’y pensez pas, Don Bosco, c’est un honneur pour moi !
Des voyageurs aux fenêtres, entendant ces mots « Monsieur le Comte » et « Don Bosco », se regardèrent avec étonnement et l’un d’eux cria de la voiture :
– Don Bosco ! Monsieur le Comte ! Montez ici, il y a encore deux places !
– Mais je ne veux pas vous déranger, répondit Don Bosco.
– Montez donc ! C’est un honneur pour nous. Je vais enlever mes valises, vous aurez bien de la place !
Et c’est ainsi que le « Comte des Becchi » a pu monter dans le train avec Don Bosco et la valise.

Les pompes et une soupente
Don Bosco a vécu et est mort pauvre. Pour la nourriture, il se contentait de très peu. Même un verre de vin était déjà trop pour lui, et il l’édulcorait systématiquement avec de l’eau.
« Souvent, il oubliait de boire, absorbé par d’autres pensées, et c’était à ses voisins de table de verser le vin dans son verre. Et puis, si le vin était bon, il cherchait immédiatement de l’eau ‘pour le rendre meilleur’, disait-il. Et il ajoutait en souriant : « J’ai renoncé au monde et au diable, mais pas aux pompes », faisant allusion aux pompes qui tirent l’eau du puits (MB IV, 191-192).
Même pour l’hébergement, nous savons comment il a vécu. Le 12 septembre 1873, la Conférence générale des Salésiens se réunit pour réélire un économe et trois conseillers. À cette occasion, Don Bosco prononça des paroles mémorables et prophétiques sur le développement de la Congrégation. Puis, lorsqu’il en vint à parler du Chapitre Supérieur, qui semblait désormais avoir besoin d’une résidence convenable, il dit, au milieu de l’hilarité générale : « Si c’était possible, je voudrais faire une « soupente » au milieu de la cour, où le Chapitre pourrait être séparé de tous les autres mortels. Mais comme ses membres ont encore le droit d’être sur cette terre, ils peuvent rester ou ici, ou là, dans différentes maisons, selon ce qui leur semblera le mieux ! » (MB X, 1061-1062).

Otis, botis, pija tutis
Un jeune homme lui demanda un jour comment il connaissait l’avenir et devinait tant de choses secrètes. Il lui répondit :
– Écoute-moi. Le moyen est simple, et il s’explique par ces mots : Otis, botis, pija tutis. Sais-tu ce que ces mots signifient ?… Fais attention, ce sont des mots grecs et, en les épelant, il répétait : O-tis, bo-tis, pi-ja tu-tis. Tu comprends ?
– C’est une affaire sérieuse !
– Je le sais, moi aussi. Je n’ai jamais voulu manifester à qui que ce soit la signification de cette devise. Et personne ne le sait, et ne le saura jamais, parce qu’il ne me convient pas de le dire. C’est mon secret avec lequel je fais des choses extraordinaires, je lis dans les consciences, je connais les mystères. Mais si tu es malin, tu peux comprendre.
Et il répéta ces quatre mots, en pointant son index sur le front, la bouche, le menton, la poitrine du jeune homme. Il finit en lui donnant à l’improviste une petite gifle. Le jeune homme rit, mais insista :
– Traduisez-moi au moins ces quatre mots !
– Je peux les traduire, mais tu ne comprendras pas la traduction.
Et il lui dit en plaisantant, en dialecte piémontais :
– Quand ch’at dan ed bòte, pije tute (Quand on te donne des coups, prends-les tous) (MB VI, 424). Et il voulait dire par là que pour devenir saint, il faut accepter toutes les souffrances que la vie nous réserve.

Don Bosco, patron des rétameurs
Chaque année, les jeunes de l’Oratoire Saint-Léon de Marseille se rendaient à la villa de Monsieur Olive, généreux bienfaiteur des Salésiens. A cette occasion, le père et la mère servaient les supérieurs à table, et leurs enfants servaient les élèves.

En 1884, la sortie eut lieu pendant le séjour de Don Bosco à Marseille.
Alors que les élèves s’amusaient dans les jardins, la cuisinière toute préoccupée courut prévenir Madame Olive :
– Madame, la marmite de soupe des garçons fuit et il n’y a pas moyen d’y remédier. Ils devront se passer de soupe !
La patronne, qui avait une grande confiance en Don Bosco, eut une idée. Elle fit venir tous les jeunes :
– Ecoutez, leur dit-elle, si vous voulez manger la soupe, mettez-vous à genoux ici et récitez une prière à Don Bosco pour qu’il fasse rétamer la marmite.
Ils obéirent. La marmite cessa instantanément de fuir. Mais Don Bosco, entendant ce fait, rit de bon cœur en disant :
– Désormais, ils appelleront Don Bosco le patron des rétameurs (MB XVII, 55-56).




L’oratoire festif du Valdocco

En 1935, suite à la canonisation de Don Bosco en 1934, les Salésiens prirent soin de recueillir des témoignages à son sujet. Un certain Pietro Pons, qui avait fréquenté dans son enfance l’oratoire festif du Valdocco pendant une dizaine d’années (de 1871 à 1882), et qui avait également suivi deux années d’école primaire (avec des classes sous la Basilique de Marie Auxiliatrice), le 8 novembre, a donné un beau témoignage de ces années. Nous en extrayons quelques passages, presque tous inédits.

La figure de Don Bosco
Il était le centre d’attraction de tout l’Oratoire. Voici comment notre ancien oratorien Pietro Pons se souvient de lui à la fin des années 70 : « Il n’avait plus de vigueur, mais il était toujours calme et souriant. Il avait deux yeux qui perçaient et pénétraient l’esprit. Il apparaissait parmi nous : c’était une joie pour tout le monde. D. Rua, D. Lazzero étaient à ses côtés comme s’ils avaient le Seigneur au milieu d’eux. D. Barberis et tous les garçons couraient vers lui, l’entouraient, certains marchant sur le côté, d’autres derrière lui pour lui faire face. C’était une chance, un privilège convoité de pouvoir être près de lui, de lui parler. Il se promenait en parlant et en regardant tout le monde avec ces deux yeux qui tournaient dans tous les sens, électrisant les cœurs de joie ».
Parmi les épisodes qui lui sont restés en mémoire 60 ans plus tard, il en évoque deux en particulier : « Un jour… il est apparu seul devant la porte du sanctuaire. C’est alors qu’une bande de garçons se précipite pour l’écraser comme un coup de vent. Mais il tient à la main le parapluie, qui a un manche et une tige aussi épaisse que celle des paysans. Il le lève et, s’en servant comme d’une épée, jongle pour repousser cet assaut affectueux, tantôt à droite, tantôt à gauche, pour ouvrir le passage. Il touche l’un avec la pointe, l’autre sur le côté, mais entre-temps les autres s’approchent de l’autre côté. Le jeu, la plaisanterie se poursuit, réjouissant les cœurs, impatients de voir le bon Père revenir de son voyage. Il avait l’air d’un curé de village, mais d’un bon curé ».

Les jeux et le petit théâtre
Un oratoire salésien sans jeux est impensable. L’ancien élève âgé se souvient : « la cour était occupée par un bâtiment, l’église Maria A. et au bout d’un muret… une sorte de cabane reposait dans l’angle gauche, où il y avait toujours quelqu’un pour surveiller ceux qui entraient… Dès qu’on entrait à droite, il y avait une balançoire avec un seul siège, puis les barres parallèles et la barre fixe pour les plus grands, qui s’amusaient à faire des pirouettes et des sauts périlleux, et aussi le trapèze, et le simple tremplin, qui se trouvaient cependant près des sacristies, au-delà de la chapelle Saint-Joseph ». Et encore : « Cette cour était d’une belle longueur et se prêtait très bien à des courses de vitesse partant du côté de l’église et y revenant au retour. On y jouait aussi aux cercueils brisés, aux courses en sac et aux piñatas. Ces derniers jeux étaient annoncés dès le dimanche précédent. Il en était de même pour le mât de cocagne, mais l’arbre était planté avec la partie fine en bas pour qu’il soit plus difficile d’y monter. Il y avait des loteries, et le billet était payé un ou deux centimes. Dans la petite maison, il y avait une petite bibliothèque dans une armoire ».

Au jeu s’ajoutait le fameux « petit théâtre » sur lequel on jouait des drames authentiques comme « Le fils du croisé », on chantait les romances de Don Cagliero et on présentait des « comédies musicales » comme le Cordonnier incarné par le légendaire Carlo Gastini [brillant animateur des anciens élèves]. La pièce, à laquelle les parents assistaient gratuitement, se déroulait dans la salle située sous la nef de l’église Maria A., mais l’ancien oratoire rappelle également qu’ »une fois, elle a été jouée à la maison Moretta [l’actuelle église paroissiale située près de la place]. Les pauvres y vivaient dans la plus grande misère. Dans les caves que l’on aperçoit sous le balcon, il y avait une pauvre mère qui, à midi, portait sur ses épaules son Charles, dont le corps était raide à cause d’une maladie, pour qu’il prenne un bain de soleil ».

Offices religieux et réunions de formation
À l’oratoire festif, les offices religieux ne manquent pas le dimanche matin : messe avec communion, prières du bon chrétien ; l’après-midi, récréation, catéchisme et sermon de Don Giulio Barberis. D. Bosco n’est jamais venu dire la messe ou prêcher, mais seulement visiter et rester avec les garçons pendant la récréation… Les catéchistes et les assistants avaient leurs élèves avec eux dans l’église pendant les offices et leur enseignaient le catéchisme. La petite doctrine était donnée à tous. La leçon devait être apprise par cœur à chaque fête, ainsi que l’explication ». Les fêtes solennelles se terminaient par une procession et un goûter pour tous : « En sortant de l’église après la messe, il y avait un petit déjeuner. Un jeune homme à droite devant la porte donnait la miche de pain, un autre à gauche y mettait deux tranches de salami avec une fourchette ». Ces garçons se contentaient de peu, mais ils étaient ravis. Lorsque les garçons de l’intérieur se joignaient aux oratoriens pour chanter les vêpres, on pouvait entendre leurs voix dans la Rue Milano et la Rue Cours d’Appel !
Les réunions des groupes de formation se tenaient également à l’oratoire festif. Dans la petite maison près de l’église Saint-François, il y avait « une petite salle basse qui pouvait contenir une vingtaine de personnes… Dans la salle il y avait une petite table pour le conférencier, il y avait des bancs pour les réunions et les conférences des anciens en général, et de la Compagnie de Saint Louis, presque tous les dimanches ».

Qui étaient les Oratoriens ?
De ses quelque 200 compagnons – mais leur nombre diminuait en hiver en raison du retour des travailleurs saisonniers dans leurs familles – notre vieil homme plein d’entrain se souvient que beaucoup étaient originaires de Biella « presque tous « bic », c’est-à-dire qu’ils portaient le seau en bois plein de chaux et le panier en osier plein de briques aux maçons des bâtiments ». D’autres étaient « apprentis maçons, mécaniciens, ferblantiers ». Pauvres apprentis : ils travaillaient tous les jours du matin au soir et ce n’est que le dimanche qu’ils pouvaient s’offrir un peu de récréation « chez Don Bosco » (c’est ainsi que s’appelait son oratoire) : « Nous jouions à la mouche à âne, sous la direction de celui qui était alors M. Milanesio [futur prêtre qui fut un grand missionnaire en Patagonie]. M. Ponzano, devenu prêtre, était professeur de gymnastique. Il nous faisait faire des exercices libres, avec des bâtons, sur des appareils ».
Les souvenirs de Pietro Pons sont beaucoup plus vastes, aussi riches en suggestions lointaines qu’ils étaient imprégnés d’une ombre de nostalgie ; ils attendent d’être connus dans leur intégralité. Nous espérons le faire bientôt.




La dévotion de Don Bosco au Sacré-Cœur de Jésus

La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, chère à Don Bosco, naît des révélations faites à Sainte Marguerite-Marie Alacoque dans le monastère de Paray-le-Monial. En montrant son cœur transpercé et couronné d’épines, le Christ demanda une fête réparatrice le vendredi après l’octave de la Fête-Dieu. Malgré les oppositions, le culte s’est répandu parce que ce Cœur, siège de l’amour divin, rappelle la charité manifestée sur la croix et dans l’Eucharistie. Don Bosco invite les jeunes à l’honorer constamment, surtout pendant le mois de juin, en récitant le Rosaire et en accomplissant des actes de réparation qui obtiennent de nombreuses indulgences et les douze promesses de paix, de miséricorde et de sainteté.

                La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus grandit chaque jour davantage. Écoutez, chers jeunes, comment elle a pris naissance. Il y avait en France, dans le monastère de la Visitation de Paray-le-Monial, une humble jeune religieuse du nom de Marguerite Alacoque. Elle était chère à Dieu à cause de sa grande pureté. Un jour, pendant qu’elle adorait Jésus au Saint-Sacrement, elle vit son Époux céleste découvrir sa poitrine et lui montrer son Sacré-Cœur rayonnant de flammes, entouré d’épines, transpercé d’une blessure et surmonté d’une croix. En même temps, elle l’entendit se plaindre de l’ingratitude monstrueuse des hommes. Il lui ordonna de s’employer à ce que, le vendredi après l’octave de la Fête-Dieu, on rende un culte spécial à son Divin Cœur en réparation des offenses qu’Il reçoit dans la Sainte Eucharistie. Pleine de confusion, la pieuse jeune fille exposa à Jésus son incapacité à accomplir une si grande entreprise, mais elle fut réconfortée par le Seigneur qui l’encouragea à poursuivre son œuvre, et la fête du Sacré-Cœur de Jésus fut instituée malgré la vive opposition de ses adversaires.

                Les raisons de ce culte sont multiples : 1° Parce que Jésus-Christ nous a offert son Sacré-Cœur comme siège de ses affections ; 2° Parce qu’il est le symbole de l’immense charité dont Il a fait preuve en particulier en permettant que son Sacré-Cœur soit transpercé d’une lance ; 3° Parce que ce Cœur incite les fidèles à méditer les douleurs de Jésus-Christ et à lui professer leur reconnaissance.
                Honorons donc constamment ce Cœur divin qui mérite toute notre humble et tendre vénération en raison des nombreux et grands bienfaits qu’il nous a déjà accordés et qu’il nous accordera.

Mois de juin
                Celui qui consacre tout le mois de juin en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus par une prière quotidienne ou une dévotion, obtient 7 ans d’indulgences pour chaque jour et une indulgence plénière à la fin du mois.

Chapelet du Sacré-Cœur de Jésus
                Ayez l’intention de réciter ce chapelet au Divin Cœur de Jésus-Christ pour le dédommager des outrages qu’il reçoit dans la Sainte Eucharistie de la part des infidèles, des hérétiques et des mauvais chrétiens. Dites-le, seul ou avec d’autres personnes, si possible devant l’image du Divin Cœur ou devant le Saint-Sacrement :
                V. Deus, in adjutorium meum intende (Dieu, viens à mon aide).
                R. Domine ad adjuvandum me festina (Seigneur, viens vite à mon secours).
                Gloria Patri, etc.

                1. Ô Cœur très aimable de mon Jésus, j’adore humblement votre très douce amabilité, que vous manifestez d’une manière singulière dans le Saint-Sacrement envers les âmes encore pécheresses. Je regrette de vous voir ainsi ingratement récompensé, et j’ai l’intention de vous dédommager des nombreuses offenses que vous recevez dans la Sainte Eucharistie de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                2. Ô Cœur très humble de mon Jésus au Saint-Sacrement, j’adore votre profonde humilité dans la Divine Eucharistie, où vous vous cachez par amour pour nous sous les espèces du pain et du vin. Je vous en prie, mon Jésus, mettez dans mon cœur cette belle vertu. Quant à moi, je m’efforcerai de vous dédommager des offenses que vous recevez dans le Saint-Sacrement de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                3. Ô Cœur de mon Jésus, si désireux de souffrir, j’adore votre ardent désir d’aller à la rencontre de votre douloureuse Passion et de vous soumettre aux outrages que vous avez prévus au Saint-Sacrement. Ah, mon Jésus ! J’ai bien l’intention de vous en dédommager par ma propre vie ; je voudrais empêcher ces offenses que vous recevez malheureusement dans la Sainte Eucharistie de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                4. Ô Cœur très patient de mon Jésus, je vénère humblement votre patience invincible à supporter pour mon amour tant de souffrances sur la Croix et tant de tourments dans la Divine Eucharistie. Ô mon cher Jésus ! Puisque je ne peux laver de mon sang les lieux où vous avez été si maltraité dans l’un et l’autre Mystère, je vous promets, ô mon Bien Suprême, d’utiliser tous les moyens pour dédommager votre Cœur Divin des nombreux outrages que vous recevez dans la Sainte Eucharistie de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                5. Ô Cœur de mon Jésus, grand ami de nos âmes dans l’admirable institution de la Sainte Eucharistie, j’adore humblement cet amour immense que vous nous portez en nous donnant pour nourriture votre Corps divin et votre divin Sang. Quel cœur pourrait rester insensible à la vue d’une si immense charité ? Ô mon bon Jésus ! Donnez-moi des larmes abondantes pour pleurer et réparer tant d’offenses que vous recevez dans le Saint-Sacrement de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                6. Ô Cœur de mon Jésus assoiffé de notre salut, je vénère humblement cet amour ardent qui vous a poussé à accomplir le sacrifice ineffable de la Croix, le renouvelant chaque jour sur les autels dans la Sainte Messe. Est-il possible que le cœur humain ne brûle de gratitude devant un tel amour ? Oui, malheureusement, ô mon Dieu. Mais pour l’avenir, je vous promets de faire tout mon possible pour réparer les nombreux outrages que vous recevez dans ce Mystère d’amour de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                Quiconque récitera ne serait-ce que les 6 Pater, Ave et Gloria indiqués ci-dessus devant le Saint-Sacrement, dont le dernier Pater, Ave et Gloria sera dit selon l’intention du Souverain Pontife, aura 300 jours d’indulgence à chaque fois.

Promesses faites par Jésus-Christ
à la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque pour les dévots de son Divin Cœur
                Je leur donnerai toutes les grâces nécessaires à leur état.
                Je ferai régner la paix dans leurs familles.
                Je les consolerai dans toutes leurs afflictions.
                Je serai leur refuge sûr dans la vie, mais surtout à l’heure de la mort.
                Je comblerai de bénédictions toutes leurs entreprises.
                Les pécheurs trouveront dans mon Cœur la source et l’océan infini de la miséricorde.
                Les âmes tièdes deviendront ferventes.
                Les âmes ferventes s’élèveront rapidement à une grande perfection.
                Je bénirai la maison où l’image de mon Sacré-Cœur sera exposée et honorée.
                Je donnerai aux prêtres le don de toucher les cœurs les plus endurcis.
                Le nom des personnes qui propageront cette dévotion sera inscrit dans mon Cœur et n’en sera jamais effacé.

Acte de réparation contre les blasphèmes.
                Dieu soit béni.
                Béni soit son Saint Nom.
                Béni soit Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme.
                Béni soit le nom de Jésus.
                Béni soit Jésus au Très Saint Sacrement de l’Autel.
                Béni soit son Sacré Cœur.
                Bénie soit l’Auguste Mère de Dieu, la Très Sainte Vierge Marie.
                Béni soit le nom de Marie, Vierge et Mère.
                Bénie soit sa Sainte et Immaculée Conception.
                Béni soit Dieu dans ses Anges et dans ses Saints.
                Une indulgence d’un an est accordée chaque fois : l’indulgence plénière à celui qui la récite pendant un mois, le jour où il fera la confession et la communion.

Offrande au Sacré-Cœur de Jésus devant sa sainte Image
                Moi, NN., pour marquer ma reconnaissance et pour réparer mes infidélités, je vous donne mon cœur et je me consacre entièrement à vous, mon aimable Jésus, et avec votre aide, je me propose de ne plus pécher.

                Le Pape Pie VII a accordé cent jours d’indulgence, une fois par jour, à qui la récite avec un cœur contrit, et une indulgence plénière une fois par mois à qui la récitera tous les jours.

Prière au Sacré-Cœur de Marie
                Je vous salue, très auguste Reine de la paix, Mère de Dieu. Par le Sacré Cœur de votre Fils Jésus, Prince de la paix, faites que sa colère s’apaise et qu’il règne sur nous dans la paix. Souvenez-vous, ô très pieuse Vierge Marie, qu’on n’a jamais entendu dire que vous avez rejeté ou abandonné quelqu’un qui implorait vos faveurs. Animé de cette confiance, je me présente à vous : ne méprisez pas mes prières, ô Mère du Verbe Éternel, mais écoutez-les favorablement et exaucez-les, ô clémente, ô miséricordieuse, ô douce Vierge Marie.

                Pie IX a accordé une indulgence de 300 jours chaque fois qu’on récitera cette prière avec dévotion, et une indulgence plénière une fois par mois à ceux qui l’auront récitée chaque jour.

Ô Jésus, brûlant d’amour,
                Si seulement je ne t’avais jamais offensé !
                Ô mon doux et bon Jésus,
                Je ne veux plus t’offenser.

Sacré Cœur de Marie,
                Fais que je sauve mon âme.
                Sacré Cœur de mon Jésus,
                Fais que je t’aime toujours plus.

                Je vous donne mon cœur,
                Mère de mon Jésus – Mère de l’amour.

(Source: « Il Giovane Provveduto per la pratica de’ suoi doveri negli esercizi di cristiana pietà per la recita dell’Uffizio della b. Vergine dei vespri di tutto l’anno e dell’uffizio dei morti coll’aggiunta di una scelta di laudi sacre, pel sac. Giovanni Bosco, 101a edizione, Torino, 1885, Tipografia e Libreria Salesiana, S. Benigno Canavese – S. Pier d’Arena – Lucca – Nizza Marittima – Marsiglia – Montevideo – Buenos-Aires », pp. 119-124 [Opere Edite, pp. 247-253])

Photo : Statue du Sacré-Cœur en bronze doré sur le clocher de la Basilique du Sacré-Cœur à Rome, don des anciens élèves salésiens d’Argentine. Érigée en 1931, c’est une œuvre réalisée à Milan par Riccardo Politi d’après un projet du sculpteur Enrico Cattaneo de Turin.




Don Bosco et le Sacré-Cœur. Garder, réparer, aimer

En 1886, à la veille de la consécration de la nouvelle basilique du Sacré-Cœur au centre de Rome, le « Bulletin salésien » a voulu préparer ses lecteurs – coopérateurs, bienfaiteurs, jeunes, familles – à une rencontre vitale avec « le Cœur transpercé qui continue d’aimer ». Pendant une année entière, le Bulletin fit défiler sous les yeux du monde salésien un véritable « rosaire » de méditations. Chaque numéro reliait un aspect de la dévotion à une urgence pastorale, éducative ou sociale que Don Bosco – déjà épuisé mais lucide – considérait comme stratégique pour l’avenir de l’Église et de la société italienne. Près de cent quarante ans plus tard, cette série reste un petit traité de spiritualité du cœur, écrit dans un style simple mais plein d’ardeur, capable de conjuguer contemplation et pratique. Nous présentons ici une lecture unifiée de ce parcours mensuel, montrant comment l’intuition salésienne peut encore parler aujourd’hui.


Février – La garde d’honneur : veiller sur l’Amour blessé
            La nouvelle année liturgique s’ouvre, dans le Bulletin, sur une invitation surprenante : non seulement adorer Jésus présent dans le tabernacle, mais « faire l’heure de garde » – une heure choisie librement au cours de laquelle chaque chrétien, sans interrompre ses activités quotidiennes, se fait sentinelle aimante qui console le Cœur transpercé par l’indifférence des foules du carnaval. L’idée, née à Paray-le-Monial et adoptée dans de nombreux diocèses, devient un programme éducatif : transformer le temps en espace de réparation, enseigner aux jeunes que la fidélité naît de petits gestes constants, faire de la journée une liturgie diffuse. Le vœu qui y est lié – destiner le produit du Manuel de la Garde d’Honneur à la construction de la basilique romaine – révèle la logique salésienne : la contemplation qui se traduit immédiatement en briques, car la vraie prière édifie (littéralement) la maison de Dieu.

Mars – Charité créative : l’empreinte salésienne
            Lors de la grande conférence du 8 mai 1884, le cardinal Parocchi résuma la mission salésienne en un mot : « charité ». Le Bulletin reprend ce discours pour rappeler que l’Église conquiert le monde davantage par des gestes d’amour que par des disputes théoriques. Don Bosco ne fonde pas des écoles d’élite, mais des établissements populaires ; il ne retire pas les jeunes de leur milieu uniquement pour les protéger, mais pour les rendre à la société comme de bons citoyens. Telle est la charité « selon les exigences du siècle » : répondre au matérialisme non par des polémiques, mais par des œuvres qui montrent la force de l’Évangile. D’où l’urgence d’un grand sanctuaire dédié au Cœur de Jésus : faire resplendir au cœur de Rome un signe visible de cet amour qui éduque et transforme.

Avril – L’Eucharistie : « chef-d’œuvre du Cœur de Jésus »
            Pour Don Bosco, rien n’est plus urgent que de ramener les chrétiens à la communion fréquente. Le Bulletin rappelle qu’« il n’y a pas de catholicisme sans la Vierge Marie et sans l’Eucharistie ». La table eucharistique est « la genèse de la société chrétienne » : c’est de là que naissent la fraternité, la justice, la pureté. Si la foi languit, il faut raviver le désir du Pain vivant. Ce n’est pas un hasard si saint François de Sales a confié aux Visitandines la mission de garder le Cœur eucharistique : la dévotion au Sacré-Cœur n’est pas un sentiment abstrait, mais un chemin concret qui conduit au tabernacle et de là se répand dans les rues. Et c’est encore le chantier romain qui en est la preuve : chaque lire offerte pour la basilique devient une « brique spirituelle » qui consacre l’Italie au Cœur qui se donne.

Mai – Le Cœur de Jésus resplendit dans le Cœur de Marie
            Le mois de Marie amène le Bulletin à établir un lien entre les deux grandes dévotions. En effet, il existe entre les deux Cœurs une communion profonde, symbolisée par l’image biblique du « miroir ». Le Cœur immaculé de Marie reflète la lumière du Cœur divin, la rendant supportable aux yeux des hommes : ceux qui n’osent pas fixer le Soleil regardent sa lumière reflétée dans la Mère. Culte de latrie pour le Cœur de Jésus, « hyperdulie » pour celui de Marie : une distinction qui évite les malentendus des polémiques jansénistes d’hier et d’aujourd’hui. Le Bulletin réfute les accusations d’idolâtrie et invite les fidèles à un amour équilibré, où contemplation et mission se nourrissent mutuellement : Marie introduit au Fils et le Fils conduit à la Mère. En vue de la consécration du nouveau sanctuaire, il est demandé d’unir les deux invocations qui dominent les collines de Rome et de Turin : le Sacré-Cœur de Jésus et Marie Auxiliatrice.

Juin – Consolations surnaturelles : l’amour à l’œuvre dans l’histoire
            Deux cents ans après la première consécration publique au Sacré-Cœur (Paray-le-Monial, 1686), le Bulletin affirme que la dévotion répond au mal de l’époque : « refroidissement de la charité par surabondance d’iniquité ». Le Cœur de Jésus – Créateur, Rédempteur, Glorificateur – est présenté comme le centre de toute l’histoire : de la création à l’Église, de l’Eucharistie à l’eschatologie. Ceux qui adorent ce Cœur entrent dans un dynamisme qui transforme la culture et la politique. C’est pourquoi le pape Léon XIII a demandé à tous d’apporter leur contribution au sanctuaire romain, monument de réparation mais aussi « digue » contre le « flot immonde » de l’erreur moderne. C’est un appel qui semble actuel : sans charité ardente, la société se désagrège.

Juillet – Humilité : la physionomie du Christ et du chrétien
            La méditation estivale choisit la vertu la plus négligée : l’humilité, « gemme transplantée par la main de Dieu dans le jardin de l’Église ». Don Bosco, fils spirituel de saint François de Sales, sait que l’humilité est la porte des autres vertus et le sceau de tout véritable apostolat : celui qui sert les jeunes sans chercher la visibilité actualise « la vie cachée de Jésus pendant trente ans ». Le Bulletin démasque l’orgueil déguisé en fausse modestie et invite à cultiver une double humilité : celle de l’intelligence, qui s’ouvre au mystère, et celle de la volonté, qui obéit à la vérité reconnue. La dévotion au Sacré-Cœur n’est pas du sentimentalisme, elle est une école de pensée humble et d’action concrète, capable de construire la paix sociale parce qu’elle enlève du cœur le poison de l’orgueil.

Août – La douceur : la force qui désarme
            Après l’humilité, la douceur, une vertu qui n’est pas faiblesse mais maîtrise de soi, « le lion qui produit du miel », dit le texte en renvoyant à l’énigme de Samson. Le Cœur de Jésus apparaît doux dans l’accueil des pécheurs, ferme dans la défense du temple. Les lecteurs sont invités à imiter ce double mouvement : douceur envers les personnes, fermeté contre l’erreur. Saint François de Sales redevient un modèle : d’un ton apaisé, il a déversé des fleuves de charité dans la turbulente Genève, convertissant plus de cœurs que n’aurait pu le faire la victoire dans les polémiques pleines d’âpretés. Dans un siècle qui « pèche par manque de cœur », construire le sanctuaire du Sacré-Cœur signifie ériger un gymnase de douceur sociale – une réponse évangélique au mépris et à la violence verbale qui empoisonnaient déjà alors le débat public.

Septembre – Pauvreté et question sociale : le Cœur qui réconcilie riches et pauvres
            Le grondement du conflit social, prévient le Bulletin, menace de « réduire en miettes l’édifice civil ». Nous sommes en pleine « question ouvrière » ; les socialistes agitent les masses, les capitaux se concentrent. Don Bosco ne nie pas la légitimité de la richesse honnête, mais rappelle que la véritable révolution commence dans le cœur. Le Cœur de Jésus a proclamé bienheureux les pauvres et a lui-même vécu la pauvreté. Le remède passe par une solidarité évangélique nourrie par la prière et la générosité. Tant que le sanctuaire romain ne sera pas terminé, écrit le journal, le signe visible de la réconciliation fera défaut. Au cours des décennies suivantes, la doctrine sociale de l’Église développera ces intuitions, mais le germe est déjà là : la charité n’est pas l’aumône, c’est la justice qui naît d’un cœur transformé.

Octobre – L’enfance : sacrement de l’espérance
            « Malheur à celui qui scandalise un de ces petits ! » Sur les lèvres de Jésus, l’invitation devient un avertissement. Le Bulletin rappelle les horreurs du monde païen contre les enfants et montre comment le christianisme a changé l’histoire en confiant aux petits une place centrale. Pour Don Bosco, l’éducation est un acte religieux : c’est à l’école et à l’oratoire que l’on garde le trésor de l’Église future. La bénédiction de Jésus aux enfants, reproduite sur les premières pages du Bulletin, est la manifestation du Cœur qui « se serre comme un cœur de père » et annonce la vocation salésienne : faire de la jeunesse un « sacrement » qui rend Dieu présent dans la cité. Les écoles, les collèges, les ateliers ne sont pas facultatifs : ils sont la manière concrète d’honorer le Cœur de Jésus vivant dans les jeunes.

Novembre – Triomphes de l’Église : l’humilité qui vainc la mort
            La liturgie commémore les saints et les défunts. Le Bulletin médite sur le « triomphe doux » de Jésus entrant à Jérusalem. Cette image devient la clé de lecture de l’histoire de l’Église : succès et persécutions alternent, mais l’Église, comme le Maître, ressuscite toujours. Les lecteurs sont invités à ne pas se laisser paralyser par le pessimisme. Les ombres du moment (lois anticléricales, réduction des ordres religieux, propagande maçonnique) n’effacent pas le dynamisme de l’Évangile. Le temple du Sacré-Cœur, construit dans l’hostilité et la pauvreté, sera le signe tangible que « la pierre scellée a été renversée ». Collaborer à sa construction, c’est parier sur l’avenir de Dieu.

Décembre – La béatitude de la douleur : la Croix accueillie par le cœur
            L’année se termine par la plus paradoxale des béatitudes : « Heureux ceux qui pleurent ». La douleur, scandale pour la raison païenne, devient dans le Cœur de Jésus un chemin de rédemption et de fécondité. Le Bulletin voit dans cette logique la clé pour lire la crise contemporaine : les sociétés fondées sur le divertissement à tout prix produisent injustice et désespoir. Quand la souffrance est acceptée en union avec le Christ, elle transforme les cœurs, fortifie le caractère, stimule la solidarité, libère de la peur. Même les pierres du sanctuaire sont « des larmes transformées en espérance », petites offrandes, parfois fruit de sacrifices cachés, qui construiront un lieu d’où pleuvront, promet le journal, « des torrents de purs délices ».

Un héritage prophétique
            Dans le montage mensuel du Bulletin Salésien de 1886, la pédagogie du crescendo est frappante : on part de la petite heure de garde pour aboutir à la consécration de la douleur ; du fidèle individuel au chantier national ; du tabernacle fortifié de l’oratoire aux remparts de l’Esquilin. C’est un parcours qui s’articule autour de trois axes principaux :
            Contemplation – Le Cœur de Jésus est avant tout un mystère à adorer : veillée, Eucharistie, réparation.
            Formation – Chaque vertu (humilité, douceur, pauvreté) est proposée comme un remède social, capable de guérir les blessures collectives.
            Construction – La spiritualité devient architecture : la basilique n’est pas un ornement, mais un laboratoire de citoyenneté chrétienne.
            Sans forcer, on peut reconnaître ici une première annonce des thèmes que l’Église développera tout au long du XXe siècle : l’apostolat des laïcs, la doctrine sociale, la centralité de l’Eucharistie dans la mission, la protection des mineurs, la pastorale de la souffrance. Don Bosco et ses collaborateurs saisissent les signes des temps et y répondent avec le langage du cœur.

            Le 14 mai 1887, lorsque Léon XIII consacra la Basilique du Sacré-Cœur, par l’intermédiaire de son vicaire le Cardinal Lucido Maria Parocchi, Don Bosco – trop faible pour monter à l’autel – assista à la cérémonie caché parmi les fidèles. À ce moment-là, toutes les paroles du Bulletin de 1886 devinrent pierre vivante : la garde d’honneur, la charité éducative, l’Eucharistie centre du monde, la tendresse de Marie, la pauvreté qui réconcilie, la béatitude de la douleur. Aujourd’hui, ces pages demandent un nouveau souffle. C’est à nous, consacrés ou laïcs, jeunes ou âgés, de poursuivre la veillée, d’ériger des chantiers d’espérance, d’apprendre la géographie du cœur. Le programme reste le même, simple et audacieux : garder, réparer, aimer.




Don Bosco et les processions eucharistiques

Un aspect peu connu mais important du charisme de saint Jean Bosco est celui des processions eucharistiques. Pour le saint des jeunes, l’Eucharistie n’était pas seulement une dévotion personnelle, mais un instrument pédagogique et un témoignage public. Dans un Turin en pleine transformation, Don Bosco a vu dans les processions une occasion de renforcer la foi des jeunes et d’annoncer le Christ dans les rues. L’expérience salésienne, poursuivie dans le monde entier, montre comment la foi peut s’incarner dans la culture et répondre aux défis sociaux. Aujourd’hui encore, vécues dans un climat d’authenticité et d’ouverture, ces processions peuvent devenir des signes prophétiques de foi.

Quand on parle de saint Jean Bosco (1815-1888), on pense immédiatement à ses oratoires populaires, à sa passion éducative pour les jeunes et à la famille salésienne née de son charisme. Moins connu, mais non moins décisif, est le rôle que la dévotion eucharistique — et en particulier les processions eucharistiques — a joué dans son œuvre. Pour Don Bosco, l’Eucharistie n’était pas seulement le cœur de la vie intérieure ; elle constituait aussi un puissant instrument pédagogique et un signe public de renouveau social dans un Turin en rapide transformation industrielle. Retracer le lien entre le saint des jeunes et les processions du Saint-Sacrement, c’est entrer dans un laboratoire pastoral où liturgie, catéchèse, éducation civique et promotion humaine s’entremêlent de manière originale et, parfois, surprenante.

Les processions eucharistiques dans le contexte du XIXe siècle
Pour comprendre Don Bosco, il faut se rappeler que le XIXe siècle italien a connu un intense débat sur le rôle public de la religion. Après l’époque napoléonienne et le mouvement du Risorgimento, les manifestations religieuses dans les rues des villes n’étaient plus une évidence : dans de nombreuses régions se profilait un État libéral, qui regardait avec suspicion toute expression publique du catholicisme, craignant les rassemblements de masse ou les résurgences « réactionnaires ». Les processions eucharistiques, cependant, conservaient une force symbolique très puissante : elles rappelaient la seigneurie du Christ sur toute la réalité et, en même temps, faisaient émerger une Église populaire, visible et incarnée dans les quartiers. C’est sur ce fond que se détache l’obstination de Don Bosco, qui n’a jamais renoncé à accompagner ses jeunes pour témoigner de la foi en dehors des murs de l’oratoire, que ce soit dans les rues de Valdocco ou dans les campagnes environnantes.

Dès ses années de formation au séminaire de Chieri, Giovanni Bosco a développé une sensibilité eucharistique à saveur « missionnaire ». Les chroniques racontent qu’il s’arrêtait souvent à la chapelle, après les cours, pour une longue prière devant le tabernacle. Dans les « Mémoires de l’Oratoire », il reconnaît lui-même avoir appris de son directeur spirituel, Don Cafasso, la valeur de « se faire pain » pour les autres. Contempler Jésus qui se donne dans l’Hostie signifiait, pour lui, apprendre la logique de l’amour gratuit. Cette ligne traverse toute son existence. « Restez amis de Jésus au Saint-Sacrement et de Marie Auxiliatrice », répétera-t-il aux jeunes, indiquant la communion fréquente et l’adoration silencieuse comme les piliers d’un chemin de sainteté laïque et quotidienne.

L’oratoire de Valdocco et les premières processions internes
Dans les premières années 1840 du XIXe siècle, l’oratoire de Turin ne possédait pas encore de véritable église. Les célébrations avaient lieu dans des baraques en bois ou dans des cours aménagées. Don Bosco, cependant, ne renonçait pas à organiser de petites processions internes, presque des « répétitions générales » de ce qui allait devenir une pratique stable. Les jeunes portaient des cierges et des étendards, chantaient des louanges mariales et, à la fin, s’arrêtaient autour d’un autel improvisé pour la bénédiction eucharistique. Ces premières tentatives avaient une fonction éminemment pédagogique : habituer les jeunes à une participation dévote mais joyeuse, unissant discipline et spontanéité. Dans le Turin ouvrier, où la misère débouchait souvent sur la violence, défiler en ordre avec le foulard rouge au cou était déjà un signal à contre-courant : c’était montrer que la foi pouvait éduquer au respect de soi et des autres.

Don Bosco savait bien qu’une procession ne s’improvise pas : il faut des signes, des chants, des gestes qui parlent au cœur avant même de parler à l’esprit. C’est pourquoi il s’occupait personnellement de l’explication des symboles. Le dais devenait l’image de la tente de la rencontre, signe de la présence divine qui accompagne le peuple en chemin. Les fleurs éparpillées le long du parcours rappelaient la beauté des vertus chrétiennes qui doivent orner l’âme. Les lampions, indispensables lors des sorties nocturnes, faisaient allusion à la lumière de la foi qui éclaire les ténèbres du péché. Chaque élément faisait l’objet d’un petit « sermon » convivial au réfectoire ou pendant la récréation, de sorte que la préparation logistique se mêlait à la catéchèse systématique. Le résultat ? Pour les jeunes, la procession n’était pas une obligation rituelle mais une occasion de fête pleine de sens.

L’un des aspects les plus caractéristiques des processions salésiennes était la présence de la fanfare formée par les élèves eux-mêmes. Don Bosco considérait la musique comme un antidote contre l’oisiveté et, en même temps, un puissant instrument d’évangélisation. « Une marche joyeuse bien exécutée, écrivait-il, attire les gens comme l’aimant attire le fer ». La fanfare précédait le Saint-Sacrement, alternant des morceaux sacrés et des airs populaires adaptés avec des textes religieux. Ce « dialogue » entre foi et culture populaire réduisait les distances avec les passants et créait autour de la procession une aura de fête partagée. Nombreux sont les chroniqueurs laïcs qui témoigneront avoir été « intrigués » par ce groupe de très jeunes musiciens disciplinés, si différent des fanfares militaires ou philharmoniques de l’époque.

Les processions comme réponse aux crises sociales
Le Turin du XIXe siècle a connu des épidémies de choléra (1854 et 1865), des grèves, des famines et des tensions anticléricales. Don Bosco a souvent réagi en proposant des processions extraordinaires de réparation ou de supplication. Pendant le choléra de 1854, il emmena les jeunes dans les rues les plus touchées, récitant à haute voix les litanies pour les malades et distribuant du pain et des médicaments. C’est à ce moment-là qu’est née la promesse — qui sera maintenue par la suite — de construire l’église de Marie Auxiliatrice : « Si la Madone sauve mes jeunes, je lui élèverai un sanctuaire ». Les autorités civiles, initialement opposées aux cortèges religieux par crainte de contagion, ont dû reconnaître l’efficacité du réseau d’assistance salésien, alimenté spirituellement précisément par les processions. L’Eucharistie, portée auprès des malades, devenait ainsi un signe tangible de la compassion chrétienne.

Contrairement à certains modèles dévotionnels confinés dans les sacristies, les processions de Don Bosco revendiquaient pour la foi un droit de citoyenneté dans l’espace public. Il ne s’agissait pas d’« occuper » les rues, mais de les restituer à leur vocation communautaire. Passer sous les balcons, traverser les places et les arcades, c’était rappeler que la ville n’est pas seulement un lieu d’échanges économiques ou de conflits politiques, mais aussi de rencontre fraternelle. C’est pourquoi Don Bosco insistait sur un ordre impeccable : manteaux brossés, chaussures propres, rangs réguliers. Il voulait que l’image de la procession communique beauté et dignité, persuadant même les observateurs les plus sceptiques que la proposition chrétienne élevait la personne.

L’héritage salésien des processions
Après la mort de Don Bosco, ses fils spirituels ont diffusé la pratique des processions eucharistiques dans le monde entier, depuis les écoles agricoles de l’Émilie jusqu’aux missions de Patagonie, des collèges asiatiques aux quartiers ouvriers de Bruxelles. Ce qui importait n’était pas de répéter servilement un rite piémontais, mais de transmettre son noyau pédagogique : le protagonisme des jeunes, la catéchèse symbolique, l’ouverture à la société environnante. C’est ainsi qu’en Amérique latine, les salésiens ont inséré des danses traditionnelles au début du cortège ; en Inde, ils ont adopté des tapis de fleurs selon l’art local ; en Afrique subsaharienne, ils ont alterné des chants grégoriens et les rythmes polyphoniques des tribus. L’Eucharistie devenait un pont entre les cultures, réalisant le rêve de Don Bosco de « faire de tous les peuples une seule famille ».

Sur le plan théologique, les processions de Don Bosco incarnent une forte vision de la présence réelle du Christ. Porter le Saint-Sacrement « dehors » signifie proclamer que le Verbe ne s’est pas fait chair pour rester enfermé, mais pour « planter sa tente parmi nous » (cf. Jn 1,14). Cette présence demande à être annoncée sous des formes compréhensibles, sans se réduire à un geste intimiste. Chez Don Bosco, la dynamique centripète de l’adoration (rassembler les cœurs autour de l’Hostie) génère une dynamique centrifuge : les jeunes, nourris à l’autel, se sentent envoyés pour servir. De la procession découlent des micro-engagements : assister un camarade malade, pacifier une dispute, étudier avec plus de diligence. L’Eucharistie se prolonge dans les « processions invisibles » de la charité quotidienne.

Aujourd’hui, dans des contextes sécularisés ou multireligieux, les processions eucharistiques peuvent soulever des questions : sont-elles encore communicatives ? Ne risquent-elles pas d’apparaître comme un folklore nostalgique ? L’expérience de Don Bosco suggère que la clé réside dans la qualité relationnelle plus que dans la quantité d’encens ou de parements. Une procession qui implique les familles, explique les symboles, intègre des langages artistiques contemporains, et surtout comporte des gestes concrets de solidarité, conserve une force prophétique surprenante. Le récent Synode sur les jeunes (2018) a rappelé à plusieurs reprises l’importance de « sortir » et de « montrer la foi dans la chair ». La tradition salésienne, avec sa liturgie itinérante, offre un paradigme déjà éprouvé d’une « Église en sortie ».

Les processions eucharistiques n’étaient pas pour Don Bosco de simples traditions liturgiques, mais de véritables actes éducatifs, spirituels et sociaux. Elles représentaient une synthèse entre foi vécue, communauté éducatrice et témoignage public. À travers elles, Don Bosco formait des jeunes capables d’adorer, de respecter, de servir et de témoigner.
Aujourd’hui, dans un monde fragmenté et distrait, reproposer la valeur des processions eucharistiques à la lumière du charisme salésien peut être un moyen efficace de retrouver le sens de l’essentiel : le Christ présent au milieu de son peuple, qui marche avec lui, l’adore, le sert et l’annonce.
À une époque qui recherche l’authenticité, la visibilité et les relations, la procession eucharistique – si elle est vécue selon l’esprit de Don Bosco – peut être un signe puissant d’espérance et de renouveau.

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Don Bosco, promoteur de la « miséricorde divine »

Tout jeune prêtre, Don Bosco a publié un volume, en petit format, intitulé « Exercice de dévotion à la miséricorde de Dieu ».

Tout commença avec la Marquise de Barolo
            La marquise Giulia Colbert di Barolo (1785-1864), déclarée vénérable par le pape François le 12 mai 2015, cultivait personnellement une dévotion particulière pour la miséricorde divine, si bien qu’elle fit introduire la coutume d’une semaine de méditations et de prières sur le sujet dans les communautés religieuses et éducatives qu’elle avait fondées près du Valdocco. Mais elle n’était pas satisfaite. Elle voulait que cette pratique se répandît ailleurs, surtout dans les paroisses, parmi le peuple. Elle demanda le consentement du Saint-Siège, qui non seulement l’accorda, mais accorda également diverses indulgences à cette pratique dévotionnelle. Il s’agissait alors de faire une publication adaptée.
            Nous sommes à l’été 1846, lorsque Don Bosco, après avoir surmonté la grave crise d’épuisement qui l’avait conduit au bord de la tombe, s’était retiré chez Maman Marguerite aux Becchi pour se reposer et avait alors « démissionné » de son service très apprécié d’aumônier d’une des œuvres de Barolo, au grand dam de la Marquise elle-même. Mais « ses jeunes » l’appelaient à la maison Pinardi nouvellement louée.
            C’est alors qu’intervint le célèbre patriote Silvio Pellico, secrétaire-bibliothécaire de la marquise, admirateur et ami de Don Bosco, qui avait mis en musique certains de ses poèmes. Les mémoires salésiennes racontent que Pellico, avec une certaine audace, proposa à la marquise de confier à Don Bosco la publication qui l’intéressait. Que fit la marquise ? Elle accepta, mais sans grand enthousiasme. Qui sait ? Peut-être voulait-elle le mettre à l’épreuve. Et Don Bosco, lui aussi, a accepté.

Un thème qui lui tient à cœur
            Le thème de la miséricorde de Dieu faisait partie de ses intérêts spirituels, ceux auxquels il avait été formé au séminaire de Chieri et surtout au Convitto de Turin. Deux ans auparavant, il avait terminé de suivre les cours de son compatriote Saint Joseph Cafasso, de quatre ans son aîné, mais son directeur spirituel, dont il suivait les sermons lors des exercices spirituels pour les prêtres, mais aussi le formateur d’une demi-douzaine d’autres fondateurs, certains même des saints. Ainsi, Cafasso, bien qu’issu de la culture religieuse de son temps – faite de prescriptions et de la logique du « faire le bien pour échapper au châtiment divin et mériter le Paradis » – ne manquait pas une occasion, tant dans son enseignement que dans sa prédication, de parler de la miséricorde de Dieu. Et comment ne pas le faire alors qu’il se consacrait constamment au sacrement de la pénitence et à l’assistance aux condamnés à mort ? D’autant plus que cette dévotion indulgente constituait à l’époque une réaction pastorale contre le rigorisme du jansénisme qui prônait la prédestination des sauvés.
            Don Bosco, dès son retour de la campagne au début du mois de novembre, se mit donc au travail, suivant les pratiques pieuses approuvées par Rome et répandues dans tout le Piémont. A l’aide de quelques textes qu’il put trouver facilement dans la bibliothèque du Convitto qu’il connaissait bien, il publia à la fin de l’année, à ses frais, un petit livret de 111 pages, de format réduit, intitulé « Exercice de dévotion à la Miséricorde de Dieu« . Il le donna immédiatement aux jeunes filles, aux femmes et aux religieuses des fondations de Barolo. Ce n’est attesté par aucun document, mais la logique et la gratitude voudraient qu’il en ait également fait don à la Marquise Barolo, promotrice du projet : mais la même logique et la même gratitude voudraient que la Marquise se soit laissée aller à la générosité, en lui envoyant, peut-être anonymement comme en d’autres occasions, une contribution personnelle aux frais.
            Nous n’avons pas la place de présenter ici le contenu « classique » du livret de méditations et de prières de Don Bosco ; nous voudrions seulement rappeler que son principe de base est le suivant : « chacun doit invoquer la Miséricorde de Dieu pour lui-même et pour tous les hommes, parce que « nous sommes tous pécheurs » […] tous ayant besoin de pardon et de grâce […] tous appelés au salut éternel ».
            Il est donc significatif qu’à la fin de chaque jour de la semaine, Don Bosco, dans la logique du titre « exercices de dévotion », assignât une pratique de piété : inviter les autres à intervenir, pardonner à ceux qui nous ont offensés, faire une mortification immédiate pour obtenir la miséricorde de Dieu pour tous les pécheurs, faire quelques aumônes ou les remplacer par la récitation de prières ou d’oraisons jaculatoires, etc. Le dernier jour, la pratique est remplacée par une belle invitation, peut-être même allusive à la Marquise de Barolo, à réciter « au moins un Ave Maria pour la personne qui a promu cette dévotion ».

Une pratique éducative
            Mais au-delà des écrits à finalité édifiante et formatrice, on peut se demander comment Don Bosco a concrètement éduqué ses jeunes à la confiance en la miséricorde divine. La réponse n’est pas difficile et peut être documentée de multiples façons. Nous nous limiterons à trois expériences vitales vécues au Valdocco : les sacrements de la confession et de la communion et sa figure de « père plein de bonté et d’amour ».

La confession
            Don Bosco a initié des centaines de jeunes du Valdocco à la vie chrétienne adulte. Mais par quels moyens ? Deux en particulier : la confession et la communion.
            Don Bosco, comme nous le savons, est l’un des grands apôtres de la confession, avant tout parce qu’il a exercé pleinement ce ministère, tout comme d’ailleurs son maître et directeur spirituel Cafasso déjà cité, et la figure très admirée de son presque contemporain, le saint curé d’Ars (1876-1859). Si la vie de ce dernier, comme on l’a écrit, « s’est déroulée dans le confessionnal » et si le premier a pu offrir de nombreuses heures de la journée (« le temps nécessaire ») pour écouter se confesser « des évêques, des prêtres, des religieux, des laïcs éminents et des gens simples qui affluaient vers lui », celle de Don Bosco n’a pas pu en faire autant à cause des nombreuses occupations dans lesquelles il était plongé. Néanmoins, il se rendait disponible au confessionnal pour les jeunes (et les salésiens) chaque jour où des services religieux étaient célébrés au Valdocco ou dans les maisons salésiennes, ou lors d’occasions spéciales.
            Il avait commencé à le faire dès la fin de son « apprentissage sacerdotal » au Convitto (1841-1844), lorsque le dimanche il réunissait les jeunes dans l’oratoire itinérant de deux ans, lorsqu’il allait se confesser au sanctuaire de la Consolata ou dans les paroisses piémontaises où il était invité, lorsqu’il profitait des voyages en calèche ou en train pour entendre les confessions des cochers ou des passagers. Il ne cessa de le faire jusqu’à la fin, lorsqu’on lui demanda de ne pas s’épuiser en confessions, il répondit que c’était désormais la seule chose qu’il pouvait faire pour ses jeunes. Et quelle ne fut pas sa douleur lorsque, pour des raisons bureaucratiques et des malentendus, son permis de confesser ne fut pas renouvelé par l’archevêque ! Les témoignages sur Don Bosco en tant que confesseur sont innombrables et, de fait, la célèbre photographie le représentant en train de confesser un jeune garçon entouré de tant d’autres en attente de le faire, a dû plaire au saint lui-même, qui en a peut-être eu l’idée, et qui reste une icône significative et indélébile de sa figure dans l’imaginaire collectif.
            Mais au-delà de son expérience de confesseur, Don Bosco fut un infatigable promoteur du sacrement de la Réconciliation, il en divulgua la nécessité, l’importance, l’utilité de sa fréquence, il signala les dangers d’une célébration dépourvue des conditions nécessaires, il illustra les modalités classiques d’une approche fructueuse. Il le fit par des conférences, des bonsoirs, des devises spirituelles et des petits mots à l’oreille, des lettres circulaires aux jeunes des collèges, des lettres personnelles, et le récit de nombreux rêves qui avaient pour objet la confession, bien ou mal faite. Conformément à sa pratique catéchétique intelligente, il leur racontait des épisodes de conversions de grands pécheurs, ainsi que ses expériences personnelles en la matière.
            Don Bosco, profond connaisseur de l’âme juvénile, pour inciter tous les jeunes à un repentir sincère, utilisait l’amour et la gratitude envers Dieu, présenté dans son infinie bonté, générosité et miséricorde. Au contraire, pour secouer les cœurs les plus froids et les plus endurcis, il décrit les châtiments possibles du péché et impressionne salutairement leur esprit avec des descriptions vivantes du jugement divin et de l’enfer. Même dans ces cas, cependant, non content de conduire les garçons à la douleur pour leurs péchés, il essaie de les amener à la nécessité de la miséricorde divine, une disposition importante pour anticiper leur pardon même avant la confession sacramentelle. Don Bosco, comme d’habitude, n’entre pas dans des disputes doctrinales, il est seulement intéressé par une confession sincère, qui guérit thérapeutiquement la blessure du passé, recompose le tissu spirituel du présent pour un avenir de « vie de grâce ».
            Don Bosco croit au péché, il croit au péché grave, il croit à l’enfer et il parle de leur existence à ses lecteurs et à ses auditeurs. Mais il est aussi convaincu que Dieu est miséricorde en personne, c’est pourquoi il a donné à l’homme le sacrement de la réconciliation. Il insiste donc sur les conditions pour bien le recevoir et surtout sur le confesseur comme « père » et « médecin » et non pas comme « médecin et juge » : « Le confesseur sait combien plus grande que vos fautes est la miséricorde de Dieu qui vous accorde le pardon par son intervention » (Esquisse biographique du jeune Michel Magone, pp. 24-25).
            Selon les mémoires salésiennes, il suggérait souvent à ses jeunes d’invoquer la miséricorde divine, de ne pas se décourager après un péché, mais de revenir se confesser sans crainte, en faisant confiance à la bonté du Seigneur et en prenant ensuite de fermes résolutions pour le bien.
            En tant qu' »éducateur dans le domaine de la jeunesse », Don Bosco ressent la nécessité d’insister moins sur l’ex opere operato que sur l’ex opere operantis, c’est-à-dire sur les dispositions du pénitent. Au Valdocco, tous se sont sentis invités à faire une bonne confession, tous ont senti le risque des mauvaises confessions et l’importance de faire une bonne confession ; beaucoup se sont alors sentis vivre dans une terre bénie par le Seigneur. Ce n’est pas pour rien que la miséricorde divine a fait qu’un jeune homme décédé s’est réveillé après l’exposition des rideaux funéraires pour pouvoir confesser (à Don Bosco) ses péchés.
            En définitive, le sacrement de la confession, bien expliqué dans ses spécificités et fréquemment célébré, fut peut-être le moyen le plus̀ efficace par lequel le saint piémontais a amené ses jeunes à se confier à l’immense miséricorde de Dieu.

La Communion
            Mais la communion, deuxième pilier de la pédagogie religieuse de Don Bosco, avait aussi sa raison d’être.
            Don Bosco est certainement l’un des plus grands promoteurs de la pratique sacramentelle de la communion fréquente. Sa doctrine, calquée sur la pensée de la Contre-Réforme, donnait de l’importance à la Communion plutôt qu’à la célébration liturgique de l’Eucharistie, même s’il y eut une évolution dans la fréquence de celle-ci. Dans les vingt premières années de sa vie sacerdotale, dans le sillage de saint Alphonse, mais aussi du Concile de Trente et avant lui de Tertullien et de saint Augustin, il proposait une communion hebdomadaire, ou plusieurs fois par semaine, voire quotidienne selon la perfection des dispositions correspondant aux grâces du sacrement. Dominique Savio, qui au Valdocco avait commencé à se confesser et à communier tous les quinze jours, passa ensuite à la communion hebdomadaire, puis à trois fois par semaine, et enfin, après une année d’intense croissance spirituelle, à tous les jours, en suivant évidemment toujours les conseils de son confesseur, Don Bosco lui-même.
            Plus tard, dans la seconde moitié des années 60, Don Bosco, sur la base de ses expériences pédagogiques et d’un fort courant théologique en faveur de la communion fréquente, dont les chefs de file étaient l’évêque français de Ségur et le prieur de Gênes, don Giuseppe Frassinetti, passa à inviter ses jeunes à une communion plus fréquente, convaincu qu’elle permettait des pas décisifs dans la vie spirituelle et qu’elle favorisait la croissance dans l’amour de Dieu. Et dans le cas où la communion sacramentelle quotidienne ne serait pas possible, il suggéra la communion spirituelle, éventuellement au cours d’une visite au Saint-Sacrement, si appréciée par saint Alphonse. Toutefois, l’important était de maintenir la conscience en état de pouvoir communier tous les jours : la décision revenait en quelque sorte au confesseur.
            Pour Don Bosco, toute Communion dignement reçue – jeûne prescrit, état de grâce, volonté de se détacher du péché, belle action de grâce ensuite – annule les fautes quotidiennes, fortifie l’âme pour les éviter à l’avenir, augmente la confiance en Dieu et en son infinie bonté et miséricorde ; elle est en outre une source de grâce pour réussir à l’école et dans la vie, elle est une aide pour supporter les souffrances et vaincre les tentations.
            Don Bosco pense que la Communion est une nécessité pour que les « bons » se maintiennent comme tels et pour que les « mauvais » deviennent « bons ». Elle est pour ceux qui veulent devenir saints, et non pour les saints, comme les médicaments sont donnés aux malades. Il sait évidemment que l’assistance seule n’est pas un indice sûr de bonté, car il y a ceux qui la reçoivent avec beaucoup de tiédeur et par habitude, d’autant plus que la superficialité même des jeunes ne leur permet souvent pas de comprendre toute l’importance de ce qu’ils sont en train de faire.
            Avec la Communion, on peut donc implorer du Seigneur des grâces particulières pour soi et pour les autres. Les lettres de Don Bosco sont pleines de demandes à ses jeunes de prier et de communier selon son intention, afin que le Seigneur lui accorde un bon succès dans les « affaires » de chaque ordre dans lequel il se trouve plongé. Il faisait de même avec tous ses correspondants, qui étaient invités à s’approcher de ce sacrement pour obtenir les grâces demandées, tandis qu’il faisait de même lors de la célébration de la Sainte Messe.
            Don Bosco tenait beaucoup à ce que ses garçons grandissent nourris des sacrements, mais il voulait aussi le plus grand respect de leur liberté. Il a laissé des instructions précises à ses éducateurs dans son traité sur le système préventif : « Ne forcez jamais les jeunes à assister aux saints sacrements, mais encouragez-les et donnez-leur le confort d’en profiter ».
            En même temps, il reste fermement convaincu que les sacrements sont d’une importance capitale. Il écrivait de manière péremptoire : « Dites ce que vous voulez des divers systèmes d’éducation, mais je ne trouve aucune base sûre si ce n’est dans la fréquence de la confession et de la communion » (Il pastorello delle Alpi, ovvero vita del giovane Besucco Francesco d’Argentera, 1864. p. 100).

Une paternité et une miséricorde personnalisées
            La miséricorde de Dieu, à l’œuvre surtout au moment des sacrements de la Confession et de la Communion, trouve alors son expression extérieure non seulement dans un Don Bosco « père confesseur », mais aussi « père, frère, ami » des jeunes gens dans la vie quotidienne ordinaire. Avec une certaine exagération, on pourrait dire que leur confiance en Don Bosco était telle que beaucoup d’entre eux faisaient à peine la distinction entre Don Bosco « confesseur » et Don Bosco « ami » et « frère » ; d’autres pouvaient parfois échanger l’aveu sacramentel avec les sincères effusions d’un fils envers son père ; d’autre part, la connaissance que Don Bosco avait des jeunes était telle qu’avec des questions sobres, il leur inspirait une confiance extrême et savait souvent comment faire l’aveu à leur place.
            La figure de Dieu père, miséricordieux et prévoyant, qui tout au long de l’histoire a manifesté sa bonté depuis Adam envers les hommes, justes ou pécheurs, mais tous ayant besoin d’aide et faisant l’objet d’une attention paternelle, et en tout cas tous appelés au salut en Jésus-Christ, est ainsi modulée et reflétée dans la bonté de Don Bosco « Père de ses jeunes », qui ne veut que leur bien, qui ne les abandonne pas, toujours prêt à les comprendre, à compatir, à leur pardonner. Pour beaucoup d’entre eux, orphelins, pauvres et abandonnés, habitués dès leur plus jeune âge à un dur travail quotidien, objets de très modestes manifestations de tendresse, enfants d’une époque où prévalaient la soumission décisive et l’obéissance absolue à toute autorité constituée, Don Bosco a peut-être été la caresse jamais vécue par un père, la « tendresse » dont parle le Pape François.
            Sa lettre aux jeunes de la maison de Mirabello à la fin de l’année 1864 est encore émouvante : « Ces voix, ces acclamations, ces baisers et ces poignées de main, ce sourire cordial, cette conversation sur l’âme, cet encouragement à faire le bien sont des choses qui embaument mon cœur, et c’est pourquoi je ne peux pas y penser sans être ému aux larmes. Je vous dirai […] que vous êtes la prunelle de mes yeux » (Epistolario II édité par F. Motto II, lett. n° 792).
            Plus émouvante encore est sa lettre aux jeunes gens de Lanzo du 3 janvier 1876 : « Laissez-moi vous dire, et que personne ne s’en offusque, que vous êtes tous des voleurs ; je le dis et je le répète, vous m’avez tout pris. Quand j’étais à Lanzo, vous m’avez enchanté par votre bienveillance et votre bonté, vous avez lié les facultés de mon esprit par votre pitié ; il me restait encore ce pauvre cœur, dont vous m’aviez déjà entièrement dérobé les affections. Maintenant votre lettre marquée de 200 mains amicales et très chères ont pris possession de ce cœur tout entier, auquel il ne reste plus qu’un vif désir de vous aimer dans le Seigneur, de vous faire du bien et de sauver les âmes de tous » (Epistolario III, lett. no. 1389).
            L’amour bienveillant avec lequel il traitait et voulait que les Salésiens traitent les garçons avait un fondement divin. Il l’affirmait en citant une expression de saint Paul : « La charité est bienveillante et patiente ; elle souffre tout, mais elle espère tout, et elle supporte toutes les détresses ».
            L’amour bienveillant est donc un signe de miséricorde et d’amour divin qui échappe au sentimentalisme et aux formes de sensualité grâce à la charité théologale qui en est la source. Don Bosco communiquait cet amour à des garçons pris individuellement et aussi à des groupes de garçons : « Que je vous porte beaucoup d’affection, je n’ai pas besoin de vous le dire, je vous en ai donné la preuve évidente. Que vous m’aimiez aussi, je n’ai pas besoin de le dire, parce que vous me l’avez constamment montré. Mais sur quoi se fonde cette affection réciproque ? […] Le bien de nos âmes est donc le fondement de notre affection » (Epistolario II, n° 1148). L’amour de Dieu, primum théologique, est donc le fondement du primum pédagogique.
            L’amour bienveillant était aussi la traduction de l’amour divin en un amour vraiment humain, fait de sensibilité droite, de cordialité aimable, d’affection bienveillante et patiente tendant à une profonde communion de cœur. En somme, cet amour effectif et affectif qui se vit sous une forme privilégiée dans la relation entre l’éduqué et l’éducateur, lorsque des gestes d’amitié et de pardon de la part de l’éducateur amènent le jeune, en vertu de l’amour qui guide l’éducateur, à s’ouvrir à la confiance, à se sentir soutenu dans son effort de dépassement et d’engagement, à consentir et à adhérer en profondeur aux valeurs que l’éducateur vit personnellement et qu’il lui propose. Le jeune comprend que cette relation le reconstruit et le restructure en tant qu’homme. L’entreprise la plus ardue du système préventif est précisément de gagner le cœur du jeune, de jouir de son estime, de sa confiance, d’en faire un ami. Si le jeune n’aime pas l’éducateur, celui-ci ne peut pas faire grand-chose du jeune et pour le jeune.

Les œuvres de miséricorde
            Nous pourrions maintenant poursuivre avec les œuvres de miséricorde, que le Catéchisme distingue entre les œuvres corporelles et les œuvres spirituelles, en établissant deux groupes de sept. Il ne serait pas difficile de documenter comment Don Bosco a vécu, pratiqué et encouragé la pratique de ces œuvres de miséricorde et comment, par son « être et son travail », il a en effet constitué un signe et un témoignage visible, en actes et en paroles, de l’amour de Dieu pour l’humanité. Faute de place, nous nous contentons d’indiquer les possibilités de recherche. Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui elles semblent être abandonnées également à cause de la fausse opposition entre miséricorde et justice, comme si la miséricorde n’était pas une manière typique d’exprimer cet amour qui, en tant que tel, ne peut jamais contredire la justice.




L’inclusion sociale selon Don Bosco

La proposition clairvoyante de Don Bosco pour les « mineurs non accompagnés » de Rome.

L’histoire de l’église du Sacré-Cœur de Rome, aujourd’hui basilique, est bien connue et très fréquentée par les personnes qui se pressent à la gare Termini voisine. Une histoire pleine de problèmes et de difficultés de toutes sortes pour Don Bosco pendant la construction de l’église (1880-1887), mais aussi une source de joie et de satisfaction une fois l’église achevée (1887). On connaît moins, en revanche, l’histoire de l’origine de la « maison de charité et de bienfaisance capable d’accueillir au moins 500 jeunes » que Don Bosco voulait construire à côté de l’église. Une œuvre, une réflexion d’une grande actualité… d’il y a 140 ans ! Don Bosco lui-même nous la présente dans le numéro de janvier 1884 du Bulletin salésien : « Aujourd’hui, des centaines et des milliers d’enfants pauvres errent dans les rues et sur les places de Rome, mettant en péril la foi et la morale ». Comme il l’a déjà signalé en d’autres occasions, de nombreux jeunes, seuls ou en famille, viennent dans cette ville non seulement de diverses parties de l’Italie, mais aussi d’autres nations, dans l’espoir de trouver du travail et de l’argent ; mais, déçus dans leur attente, ils tombent bientôt dans la misère et le risque de mal faire, et par conséquent d’être conduits dans les prisons ».
L’analyse de la condition des jeunes dans la « ville éternelle » n’est pas difficile : la situation préoccupante des « enfants des rues », italiens ou non, est connue de tous, des autorités civiles et ecclésiastiques, des citoyens romains et de la multitude de « rustres » et d’étrangers arrivés dans la ville après qu’elle a été déclarée capitale du Royaume d’Italie (1871). La difficulté réside dans la solution à proposer et dans la capacité à la mettre en œuvre une fois identifiée.
Don Bosco, pas toujours très apprécié dans la ville en raison de son origine piémontaise, propose sa solution aux Coopérateurs : L’objectif de l’Hospice du Sacré-Cœur de Jésus serait d’accueillir les jeunes pauvres et abandonnés de n’importe quelle ville d’Italie ou de n’importe quel autre pays du monde, de les éduquer en science et en religion, de les former à un art ou à un métier, de les sortir ainsi de la prison, de les rendre à leur famille et à la société civile comme de bons chrétiens, d’honnêtes citoyens, capables de gagner honorablement leur vie par leur propre travail ».

En avance sur son temps
Accueil, éducation, formation au travail, intégration et insertion sociale : n’est-ce pas là l’objectif prioritaire de toutes les politiques de jeunesse en faveur des immigrés aujourd’hui ? Don Bosco avait de l’expérience en la matière : pendant 30 ans, le Valdocco a accueilli des jeunes de diverses régions d’Italie ; pendant quelques années, les maisons salésiennes de France ont accueilli des enfants d’immigrés italiens et autres ; depuis 1875, à Buenos Aires, les Salésiens se sont occupés spirituellement d’immigrés italiens de diverses régions d’Italie (des décennies plus tard, ils se sont également intéressés à Jorge Mario Bergoglio, le futur Pape François, fils d’immigrés piémontais).

La dimension religieuse
Naturellement, Don Bosco s’intéresse avant tout au salut de l’âme des jeunes, qui passe par la profession de la foi catholique : « Extra ecclesia nulla salus« , disait-on. En effet, il écrivait : « Les autres personnes de la ville et les étrangers, à cause de leur pauvreté, sont exposés chaque jour au danger de tomber entre les mains des protestants, qui ont, pour ainsi dire, envahi la ville de Saint-Pierre, et tendent surtout leurs embuscades aux jeunes pauvres et nécessiteux, et sous prétexte de leur fournir la nourriture et le vêtement pour leur corps, ils répandent dans leur âme le poison de l’erreur et de l’incrédulité ».
C’est pourquoi, dans son projet éducatif à Rome, nous aimerions dire dans son « pacte global pour l’éducation « , Don Bosco ne néglige pas la foi. Un chemin de véritable intégration dans une « nouvelle » société civile ne peut exclure la dimension religieuse de la population. Le soutien papal est utile : un stimulant supplémentaire « pour ceux qui aiment la religion et la société » : « Cet Hospice est très cher au cœur du Saint-Père Léon XIII, qui, tout en s’efforçant avec un zèle apostolique de répandre la foi et la morale dans toutes les parties du monde, ne néglige aucun effort en faveur des enfants les plus exposés au danger. Cet hospice doit donc être cher au coeur de tous ceux qui aiment la religion et la société ; il doit être particulièrement cher au coeur de nos coopérateurs, à qui le Vicaire de Jésus-Christ a confié d’une manière spéciale la noble tâche de l’hospice lui-même et de l’Eglise qui lui est attachée.
Enfin, dans son appel à la générosité des bienfaiteurs pour la construction de l’Hospice, Don Bosco ne pouvait manquer de faire une référence explicite au Sacré-Cœur de Jésus, auquel l’église attenante était dédiée :  » Nous pouvons aussi croire avec certitude que cet Hospice sera bien agréable au Cœur de Jésus… Dans l’église voisine, le divin Cœur sera le refuge des adultes, et dans l’Hospice attenant, il se montrera l’ami affectueux, le tendre père des enfants. Il aura à Rome chaque jour un groupe de 500 enfants pour le couronner divinement, le prier, lui chanter des hosannas, lui demander sa sainte bénédiction ».

Nouveaux temps, nouvelles périphéries
L’hospice salésien, construit comme une école d’arts et métiers et un oratoire à la périphérie de la ville – qui commençait à l’époque sur la Piazza della Repubblica – fut ensuite absorbé par l’expansion immobilière de la ville elle-même. L’école primitive pour les garçons pauvres et les orphelins a été déplacée dans un nouveau quartier en 1930 et a été remplacée successivement par différents types d’écoles (élémentaire, collège, lycée). Elle accueillit également pendant un certain temps les étudiants salésiens de l’Université Grégorienne et certaines facultés de l’Athénée Salésien. Elle est toujours restée une paroisse et un oratoire, ainsi que le siège de la Province romaine. Pendant longtemps, elle a abrité quelques bureaux nationaux et elle est aujourd’hui le siège de la Congrégation salésienne : des structures qui ont animé et animent les maisons salésiennes, nées et grandies pour la plupart à la périphérie de centaines de villes, ou dans les  » périphéries géographiques et existentielles  » du monde, comme l’a dit le pape François. Comme le Sacré-Cœur de Rome, qui conserve encore un petit signe du grand « rêve » de Don Bosco : il offre les premiers soins aux immigrés extracommunautaires et, avec la « Banque des talents » du Centre des jeunes, fournit de la nourriture, des vêtements et des produits de première nécessité aux sans-abris de la gare Termini.




Le Vicaire du Recteur Majeur. Don Stefano Martoglio

Nous avons la joie d’annoncer que Don Stefano Martoglio a été réélu Vicaire du Recteur Majeur.
Les capitulaires l’ont élu aujourd’hui à la majorité absolue et dès le premier tour de scrutin.

Nous souhaitons un apostolat fructueux à Don Stefano et nous lui assurons de nos prières.




Recteurs Majeurs de la Congrégation Salésienne

La Congrégation Salésienne, fondée en 1859 par Saint Jean Bosco, a eu à sa tête un supérieur général appelé, déjà du temps de Don Bosco, Recteur Majeur. La figure du Recteur Majeur est centrale dans le leadership de la congrégation, servant de guide spirituel et de centre d’unité non seulement des salésiens mais aussi de toute la Famille Salésienne. Chaque Recteur Majeur a contribué de manière unique à la mission salésienne, en affrontant les défis de son temps et en promouvant l’éducation et la vie spirituelle des jeunes. Faisons un bref résumé des Recteurs Majeurs et des défis qu’ils ont dû relever.

Saint Jean Bosco (1859-1888)
Saint Jean Bosco, fondateur de la Congrégation Salésienne, a incarné des qualités distinctives qui ont façonné l’identité et la mission de l’ordre. Sa foi profonde et sa confiance dans la Divine Providence ont fait de lui un leader charismatique, capable d’inspirer et de guider avec vision et détermination. Son dévouement infatigable à l’éducation des jeunes, en particulier des plus nécessiteux, s’est manifesté à travers le Système Préventif innovant, basé sur la raison, la religion et l’affection. Don Bosco a promu un climat familial dans les maisons salésiennes, favorisant des relations sincères et fraternelles. Sa capacité d’organisation et son esprit d’entreprise ont conduit à la création de nombreuses œuvres éducatives. Son ouverture missionnaire a poussé la Congrégation au-delà des frontières italiennes, diffusant le charisme salésien dans le monde. Son humilité et sa simplicité l’ont rendu proche de tous, gagnant la confiance et l’affection de ses collaborateurs et des jeunes.
Saint Jean Bosco a affronté de nombreuses difficultés. Il a dû surmonter l’incompréhension et l’hostilité des autorités civiles et ecclésiastiques, qui se méfiaient souvent de sa méthode éducative et de sa croissance rapide. Il a affronté de graves difficultés économiques pour soutenir les œuvres salésiennes, ne comptant souvent que sur la Providence. Gérer des jeunes difficiles et former des collaborateurs fiables a été une tâche ardue. De plus, sa santé, usée par le travail intense et les préoccupations constantes, a été une limite constante. Malgré tout, il a affronté chaque épreuve avec une foi inébranlable, un amour paternel pour les jeunes et une détermination infatigable, menant à bien la mission avec espoir.

1. Bienheureux Michel Rua (1888-1910)
Le ministère de Recteur Majeur du Bienheureux Michel Rua se caractérise par la fidélité au charisme de Don Bosco, la consolidation institutionnelle et l’expansion missionnaire. Il a été nommé par Don Bosco comme successeur sur ordre du pape Léon XIII, lors de l’audience du 24.10.1884. Après la confirmation du Pape, le 24.09.1885, Don Bosco a rendu public son choix devant le Chapitre Supérieur.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– il a agi comme « règle vivante » du système préventif, maintenant intact l’esprit éducatif de Don Bosco à travers la formation, la catéchèse et la direction spirituelle ; il a été un continuateur du fondateur ;
– il a dirigé la Congrégation en croissance exponentielle, gérant des centaines de maisons et des milliers de religieux, avec des visites pastorales dans le monde entier malgré des problèmes de santé ;
– il a affronté des calomnies et des crises (comme le scandale de 1907) en défendant l’image salésienne ;
– il a promu les Filles de Marie Auxiliatrice et les Coopérateurs, renforçant la structure tripartite voulue par Don Bosco ;
– sous sa direction, les Salésiens sont passés de 773 à 4 000 membres, et les maisons de 64 à 341, s’étendant dans 30 nations.

2. Don Paolo Albera (1910-1921)
Le ministère de Recteur Majeur de Don Paolo Albera se distingue par la fidélité au charisme de Don Bosco et l’expansion missionnaire globale. Élu au Chapitre Général 11.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– il a maintenu intact le système préventif, promouvant la formation spirituelle des jeunes salésiens et la diffusion du Bulletin Salésien comme instrument d’évangélisation ;
– il a affronté les défis de la Première Guerre Mondiale, avec des salésiens mobilisés (plus de 2 000 appelés sous les drapeaux, 80 d’entre eux morts à la guerre) et des maisons transformées en hôpitaux ou casernes, maintenant la cohésion dans la Congrégation ; ce conflit a causé la suspension du Chapitre Général prévu et a interrompu de nombreuses activités éducatives et pastorales ;
– il a affronté les conséquences de cette guerre qui a généré une augmentation de la pauvreté et du nombre d’orphelins, requérant un engagement extraordinaire pour accueillir et soutenir ces jeunes dans les maisons salésiennes ;
– il a ouvert de nouvelles frontières en Afrique, en Asie et en Amérique, envoyant 501 missionnaires en neuf expéditions ad gentes et fondant des œuvres au Congo, en Chine et en Inde.

3. Bienheureux Philippe Rinaldi (1922-1931)
Le ministère de Recteur Majeur du Bienheureux Philippe Rinaldi se caractérise par la fidélité au charisme de Don Bosco, l’expansion missionnaire et l’innovation spirituelle. Élu au Chapitre Général 12.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– il a maintenu intact le système préventif, promouvant la formation intérieure des salésiens ;
– il a envoyé plus de 1 800 salésiens dans le monde entier, a fondé des instituts missionnaires et des revues, ouvrant de nouvelles frontières en Afrique, en Asie et en Amérique ;
– il a institué l’association des Anciens élèves et le premier Institut séculier salésien (Volontaires de Don Bosco), adaptant l’esprit de Don Bosco aux exigences du début du XXe siècle ;
– il a ranimé la vie intérieure de la Congrégation, exhortant à une « confiance illimitée » en Marie Auxiliatrice, héritage central du charisme salésien ;
– il a souligné l’importance de la formation spirituelle et de l’assistance aux émigrés, promouvant des œuvres de prévoyance et des associations entre travailleurs ;
– durant son rectorat, les membres sont passés de 4 788 à 8 836 et les maisons de 404 à 644, mettant en évidence sa capacité d’organisation et son zèle missionnaire.

4. Don Pierre Ricaldone (1932-1951)
Le ministère de Recteur Majeur de Don Pierre Ricaldone se caractérise par la consolidation institutionnelle, l’engagement durant la Seconde Guerre Mondiale et la collaboration avec les autorités civiles. Élu au Chapitre Général 14.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– il a renforcé les maisons salésiennes et les centres de formation, a fondé l’Université Pontificale Salésienne (1940) et a soigné la canonisation de Don Bosco (1934) et de Mère Mazzarello (1951) ;
– il a affronté la Guerre Civile Espagnole (1936-1939) qui a représenté l’une des principales difficultés, avec des persécutions qui ont durement frappé les œuvres salésiennes dans le pays ;
– successivement, il a affronté la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945) qui a causé d’ultérieures souffrances : de nombreux salésiens ont été déportés ou privés de leur liberté, et les communications entre la Maison Générale de Turin et les communautés dispersées dans le monde ont été interrompues ; de plus, l’avènement de régimes totalitaires en Europe orientale a conduit à la suppression de diverses œuvres salésiennes ;
– durant la guerre, il a ouvert les structures salésiennes aux déplacés, aux juifs et aux partisans, négociant pour la libération de prisonniers et protégeant ceux qui étaient en danger ;
– il a promu la spiritualité salésienne à travers des œuvres éditoriales (ex. Corona patrum salesiana) et des initiatives en faveur des jeunes marginalisés.

5. Don Renato Ziggiotti (1952-1965)
Le ministère de Recteur Majeur de Don Renato Ziggiotti (1952-1965) se caractérise par l’expansion globale, la fidélité au charisme et l’engagement conciliaire. Élu au Chapitre Général 17.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– il a été le premier Recteur Majeur à ne pas avoir connu personnellement Don Bosco et à renoncer à sa charge avant sa mort, démontrant une grande humilité ;
– durant son mandat, les salésiens sont passés de 16 900 à plus de 22 000 membres, avec 73 provinces et presque 1 400 maisons dans le monde entier ;
– il a promu la construction de la Basilique de Saint Jean Bosco à Rome et du sanctuaire sur la Colline des Becchi (Colline Don Bosco), outre le transfert de l’Athénée Pontifical Salésien dans la capitale ;
– il a été le premier Recteur Majeur à participer activement aux trois premières sessions du Concile Vatican II, anticipant le renouvellement de la Congrégation et l’implication des laïcs ;
– il a accompli une entreprise sans précédent : il a visité presque toutes les maisons salésiennes et Filles de Marie Auxiliatrice, dialoguant avec des milliers de confrères, malgré les difficultés logistiques.

6. Don Luigi Ricceri (1965-1977)
Le ministère de Recteur Majeur de Don Luigi Ricceri se caractérise par le renouvellement conciliaire, la centralisation organisationnelle et la fidélité au charisme salésien. Élu au Chapitre Général 19.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– adaptation post-conciliaire : il a guidé la Congrégation dans la mise en œuvre des indications du Concile Vatican II, promouvant le Chapitre Général Spécial (1966) pour le renouvellement des Constitutions et la formation permanente des salésiens ;
– il a transféré la Direction Générale de Valdocco à Rome, la séparant de la « Maison Mère » pour mieux l’intégrer dans le contexte ecclésial ;
– la révision des Constitutions et des Règlements a été une tâche complexe, visant à garantir l’adaptation aux nouvelles directives ecclésiales sans perdre l’identité originelle ;
– il a renforcé le rôle des Coopérateurs et des Anciens élèves, renforçant la collaboration entre les différentes branches de la Famille salésienne.

7. Don Egidio Viganò (1977-1995)
Le ministère de Recteur Majeur de Don Egidio Viganò se caractérise par la fidélité au charisme salésien, l’engagement conciliaire et l’expansion missionnaire globale. Élu au Chapitre Général 21.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– sa participation en tant qu’expert au Concile Vatican II a influencé significativement son action, promouvant la mise à jour des Constitutions salésiennes en ligne avec les directives conciliaires et il a guidé la Congrégation dans la mise en œuvre des indications du Concile Vatican II ;
– il a collaboré activement avec le pape saint Jean-Paul II, devenant son confesseur personnel, et a participé à 6 synodes des évêques (1980-1994), renforçant le lien entre la Congrégation et l’Église universelle ;
– profondément lié à la culture latino-américaine (où il a passé 32 ans), il a élargi la présence salésienne dans le Tiers Monde, avec un focus sur la justice sociale et le dialogue interculturel ;
– il a été le premier recteur majeur élu pour trois mandats consécutifs (sur dispense papale) ;
– il a renforcé le rôle des Coopérateurs et des Anciens élèves, promouvant la collaboration entre les différentes branches de la Famille salésienne ;
– il a renforcé la dévotion à Marie Auxiliatrice, reconnaissant l’Association des Dévots de Marie Auxiliatrice comme partie intégrante de la Famille Salésienne ;
– son dévouement à la recherche scientifique et au dialogue interdisciplinaire l’a amené à être considéré comme le « second fondateur » de l’Université Pontificale Salésienne ;
– sous sa direction, la Congrégation a lancé le « Projet Afrique », étendant la présence salésienne sur le continent africain qui a donné de nombreux fruits.

8. Don Juan Edmundo Vecchi (1996-2002)
Le ministère de Recteur Majeur de Don Juan Edmundo Vecchi se distingue par la fidélité au charisme salésien, l’engagement dans la formation et l’ouverture aux défis du post-Concile. Élu au Chapitre Général 24.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– il est le premier Recteur Majeur non italien : fils d’immigrés italiens en Argentine, il a représenté un changement générationnel et géographique dans la direction de la Congrégation, s’ouvrant à une perspective plus globale ;
– il a promu la formation permanente des salésiens, soulignant l’importance de la spiritualité et de la préparation professionnelle pour répondre aux exigences des jeunes ;
– il a promu une attention renouvelée à l’éducation des jeunes, soulignant l’importance de la formation intégrale et de l’accompagnement personnel ;
– à travers les Lettres Circulaires, il a exhorté à vivre la sainteté dans le quotidien, la liant au service de la jeunesse et au témoignage de Don Bosco ;
– durant sa maladie, il a continué à témoigner de sa foi et de son dévouement, offrant des réflexions profondes sur l’expérience de la souffrance et de la vieillesse dans la vie salésienne.

9. Don Pascual Chávez Villanueva (2002-2014)
Le ministère de Recteur Majeur de Don Pascual Chávez Villanueva se distingue par la fidélité au charisme salésien, l’engagement dans la formation et l’engagement dans les défis de la mondialisation et des transformations ecclésiales. Élu au Chapitre Général 25.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– il a promu une attention renouvelée à la communauté salésienne comme sujet évangélisateur, avec priorité à la formation spirituelle et à l’inculturation du charisme dans les contextes régionaux ;
– il a relancé l’engagement envers les jeunes les plus vulnérables, héritant de l’approche de Don Bosco, avec une attention particulière aux oratoires de frontière et aux périphéries sociales ;
– il a soigné la formation permanente des salésiens, développant des études théologiques et pédagogiques liées à la spiritualité de Don Bosco, préparant le bicentenaire de sa naissance ;
– il a guidé la Congrégation avec une approche organisationnelle et dialoguante, impliquant les différentes régions et promouvant la collaboration entre les centres d’étude salésiens ;
– il a promu une plus grande collaboration avec les laïcs, encourageant la coresponsabilité dans la mission salésienne et affrontant les résistances internes au changement.

10. Don Ángel Fernández Artime (2014-2024)
Le ministère de Don Ángel Fernández Artime se distingue par sa fidélité au charisme salésien et à la papauté. Élu lors du Chapitre Général 27.
Quelques caractéristiques de son rectorat :
– a guidé la Congrégation avec une approche inclusive, visitant 120 pays et promouvant l’adaptation du charisme salésien aux différentes réalités culturelles, tout en maintenant un lien solide avec les racines de Don Bosco ;
– a renforcé l’engagement envers les jeunes les plus vulnérables, des périphéries, héritant de l’approche de Don Bosco ;
– a affronté les défis de la mondialisation et des transformations ecclésiales, en promouvant la collaboration entre les centres d’études et en renouvelant les instruments de gouvernement de la Congrégation ;
– a promu une plus grande collaboration avec les laïcs, encourageant la coresponsabilité dans la mission éducative et pastorale ;
– a dû faire face à la pandémie de COVID-19 qui a nécessité des adaptations dans les œuvres éducatives et d’assistance pour continuer à servir les jeunes et les communautés en difficulté ;
– a dû faire face à la gestion des ressources humaines et matérielles dans une période de crise vocationnelle et de changements démographiques ;
– a déplacé la Maison Généralice de la Pisana à l’œuvre fondée par Don Bosco, Sacré-Cœur de Rome ;
– son engagement a culminé avec sa nomination comme Cardinal (2023) et comme Pro-Préfet du Dicastère pour les Instituts de Vie Consacrée (2025), marquant une reconnaissance de son influence dans l’Église universelle.
 
Les Recteurs Majeurs de la Congrégation Salésienne ont joué un rôle fondamental dans la croissance et le développement de la congrégation. Chacun d’eux a apporté sa contribution unique, affrontant les défis de son temps et maintenant vivant le charisme de saint Jean Bosco. Leur héritage continue d’inspirer les générations futures de salésiens et de jeunes dans le monde entier, garantissant que la mission éducative de Don Bosco reste pertinente et vitale dans le contexte contemporain.
 
Nous présentons également ci-dessous une statistique de ces rectorats.

 Recteur Majeur Né le Début du mandat de Recteur Majeur Élu à … ans Fin du mandat de Recteur Majeur Recteur Majeur pour… A vécu pendant… ans
BOSCO Giovanni 16.08.1815 18.12.1859 44 31.01.1888 (†) 28 ans et 1 mois 72
RUA Michele 09.06.1837 31.01.1888 50 06.04.1910 (†) 22 ans et 2 mois 72
ALBERA Paolo 06.06.1845 16.08.1910 65 29.10.1921 (†) 11 ans et 2 mois 76
RINALDI Filippo 28.05.1856 24.04.1922 65 05.12.1931 (†) 9 ans et 7 mois 75
RICALDONE Pietro 27.07.1870 17.05.1932 61 25.11.1951 (†) 19 ans et 6 mois 81
ZIGGIOTTI Renato 09.10.1892 01.08.1952 59 27.04.1965 († 19.04.1983) 12 ans et 8 mois 90
RICCERI Luigi 08.05.1901 27.04.1965 63 15.12.1977 († 14.06.1989) 12 ans et 7 mois 88
VIGANO Egidio 29.06.1920 15.12.1977 57 23.06.1995 (†) 17 ans et 6 mois 74
VECCHI Juan Edmundo 23.06.1931 20.03.1996 64 23.01.2002 (†) 5 ans et 10 mois 70
VILLANUEVA Pasqual Chavez 20.12.1947 03.04.2002 54 25.03.2014 11 ans et 11 mois 76
ARTIME Angel Fernandez 21.08.1960 25.03.2014 53 31.07.2024 10 ans 4 mois 64