Avec Don Bosco. Toujours

Il n’est pas indifférent de célébrer un Chapitre général dans un lieu ou un autre. Certes, à Valdocco, dans le « berceau du charisme », nous avons l’opportunité de redécouvrir la genèse de notre histoire et de retrouver l’originalité qui constitue le cœur de notre identité de consacrés et d’apôtres des jeunes.

Dans le cadre ancien de Valdocco, où tout parle de nos origines, je suis presque obligé de faire mémoire de ce mois de décembre 1859, où Don Bosco avait pris une décision incroyable, unique dans l’histoire : fonder une congrégation religieuse avec des jeunes.
Il les avait préparés, mais ils étaient encore très jeunes. « Depuis longtemps, je pensais fonder une congrégation. Le moment est venu de passer à la phase concrète », expliqua simplement Don Bosco. « En réalité, cette congrégation ne naît pas maintenant : elle existait déjà avec cet ensemble de règles que vous avez toujours observées par tradition… Il s’agit maintenant d’aller de l’avant, de constituer la congrégation en bonne et due forme et d’en accepter les règles. Sachez cependant que n’en feront partie que ceux qui, après y avoir sérieusement réfléchi, voudront prononcer en temps voulu les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance… Je vous laisse une semaine pour y réfléchir ».
À la sortie de la réunion, il y eut un silence inhabituel. Très vite, quand les bouches s’ouvrirent, on put constater que Don Bosco avait eu raison de procéder avec lenteur et prudence. Certains marmonnaient entre leurs dents que Don Bosco voulait faire d’eux des frati (des moines). Cagliero faisait les cent pas dans la cour, en proie à des sentiments contradictoires.
Mais le désir de « rester avec Don Bosco » l’emporta chez la majorité. Cagliero lâcha la phrase qui allait devenir historique : « Frate ou pas frate, je reste avec Don Bosco ».
À la « conférence d’adhésion », qui se tint le soir du 18 décembre, ils étaient 17.
Don Bosco convoqua le premier Chapitre général le 5 septembre 1877 à Lanzo près de Turin. Les participants étaient vingt-trois et le Chapitre dura trois jours entiers.
Aujourd’hui, pour le 29e Chapitre général, les capitulaires sont 227. Ils sont arrivés de toutes les parties du monde, comme représentants de tous les salésiens.
À l’ouverture du premier Chapitre général, voici comment Don Bosco parla à nos confrères : « Le Divin Sauveur dit dans le saint Évangile que là où deux ou trois sont rassemblés en son nom, il se trouve lui-même au milieu d’eux. Nous n’avons pas d’autre but dans ces réunions que la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes rachetées par le Sang précieux de Jésus-Christ ». Nous pouvons donc être certains que le Seigneur sera au milieu de nous et qu’il conduira les choses de telle manière que tous se sentent à l’aise.

Un changement d’époque
L’expression évangélique : « Jésus appela ceux qu’il voulait avec lui et il les envoya prêcher » (Mc 3, 14-15), dit que Jésus choisit et appelle ceux qu’il veut. Parmi eux, il y a nous aussi. Le Royaume de Dieu se rend présent et les Douze premiers sont un exemple et un modèle pour nous et pour nos communautés. Les Douze sont des personnes communes, avec des qualités et des défauts. Ils ne forment pas une communauté de purs et même pas un simple groupe d’amis.
Ils savent, comme l’a dit le Pape François, que « nous vivons un changement d’époque plus qu’une époque de changements ». À Valdocco, ces jours-ci, on respire le climat d’une grande prise de conscience. Tous les confrères sentent que c’est un moment de grande responsabilité.
Dans la vie de la majorité des confrères, des provinces et de la Congrégation, il y a beaucoup de choses positives, mais cela ne suffit pas et ne peut pas servir de « consolation », parce que le cri du monde, avec ses grandes et nouvelles pauvretés, avec la lutte quotidienne de tant de personnes – non seulement des pauvres mais aussi des gens simples et des travailleurs – s’élève avec force pour demander de l’aide. Ce sont toutes des questions qui doivent nous provoquer et nous secouer et ne pas nous laisser tranquilles.
Avec l’aide des provinces à travers la consultation, nous croyons avoir repéré d’un côté les principaux motifs de préoccupation et de l’autre les signes de vitalité de notre Congrégation, toujours avec les traits culturels spécifiques de chaque contexte local.
Durant le Chapitre, nous proposons de nous concentrer sur ce que signifie pour nous être vraiment des salésiens passionnés de Jésus-Christ, parce que sans cela nous offrirons de bons services, nous ferons du bien aux personnes, nous aiderons, mais nous ne laisserons pas une trace profonde.
La mission de Jésus continue et se rend visible aujourd’hui dans le monde à travers nous aussi, ses envoyés. Nous sommes consacrés pour construire de larges espaces de lumière pour le monde d’aujourd’hui, pour être des prophètes. Nous avons été consacrés par Dieu et placés à la suite de son Fils bien-aimé Jésus, pour vivre vraiment comme des êtres conquis par Dieu. C’est pourquoi encore une fois l’essentiel se joue tout dans la fidélité de la Congrégation à l’Esprit Saint, en vivant, avec l’esprit de Don Bosco, une vie consacrée salésienne centrée en Jésus-Christ.
La vitalité apostolique, comme vitalité spirituelle, est un engagement en faveur des jeunes, des enfants, dans les formes les plus diverses de pauvreté, et par conséquent nous ne pouvons pas nous contenter d’offrir seulement des services éducatifs. Le Seigneur nous appelle à éduquer en évangélisant, en portant sa présence et en accompagnant la vie avec des propositions d’avenir.
Nous sommes appelés à chercher de nouveaux modèles de présence, de nouvelles expressions du charisme salésien au nom de Dieu. Et que cela se fasse en communion avec les jeunes et avec le monde, à travers une « écologie intégrale », dans la formation d’une culture numérique, dans les mondes habités par les jeunes et les adultes.
Et on sent un fort désir et une forte attente que ce Chapitre général soit un Chapitre courageux, dans lequel les choses soient dites, sans se perdre dans des phrases correctes, bien confectionnées, mais qui ne touchent pas la vie.
Dans cette mission, nous ne sommes pas seuls. Nous savons et nous sentons que la Vierge Marie est un modèle de fidélité.
Il est beau de revenir avec l’esprit et avec le cœur au jour de la solennité de l’Immaculée Conception de 1887 quand, deux mois avant sa mort, Don Bosco dit à quelques Salésiens qui le regardaient et l’écoutaient avec émotion : « Jusqu’à présent, nous avons marché sur du solide. Nous ne pouvons pas nous tromper ; c’est Marie qui nous guide ».
Marie Auxiliatrice, la Madone de Don Bosco, nous guide. Elle est la Mère de nous tous et c’est elle qui répète, comme à Cana de Galilée à l’heure du CG29 : « Quoi qu’il vous dise, faites-le ».
Que notre Mère Auxiliatrice nous illumine et nous guide, comme elle le fit avec Don Bosco, pour être fidèles au Seigneur et ne jamais décevoir les jeunes, surtout ceux qui sont le plus dans le besoin.




Nous sommes Don Bosco, aujourd’hui

« Tu porteras à terme le travail que je commence ; je ferai l’esquisse, tu mettras les couleurs » (Don Bosco) 

Chers amis et lecteurs, membres de la Famille Salésienne, recevez mes plus cordiales salutations. Ce mois-ci, sur le Bulletin Salésien, je vais me concentrer sur un événement très important que vit la Congrégation Salésienne : le 29ème Chapitre Général. Dans le parcours de la Congrégation Salésienne, cette assemblée se tient tous les six ans, c’est la plus importante dans la vie de la Congrégation. 
Beaucoup de choses font partie de notre vie, et cette année jubilaire nous offre de nombreux événements importants. Je souhaite cependant me concentrer sur cela car, même si cela semble apparemment éloigné de nous, cela concerne chacun d’entre nous.  
Don Bosco, notre Fondateur, était conscient que tout ne se terminerait pas avec lui, mais que ce ne serait certainement que le début d’un long chemin à parcourir. À soixante ans, un jour de 1875, il dit à Don Barberis, l’un de ses plus proches collaborateurs : « Tu porteras à terme le travail que je commence ; je ferai l’esquisse, tu mettras les couleurs […] Je ferai une copie approximative de la Congrégation et je laisserai à ceux qui viendront après moi le soin de la rendre belle ». 
En employant cette heureuse et prophétique expression, Don Bosco dessinait le chemin que nous sommes tous appelés à parcourir, et que réalise au maximum le Chapitre Général des Salésiens de Don Bosco en ce moment à Valdocco. 

La prophétie des caramels 
Le monde d’aujourd’hui n’est pas celui de Don Bosco, mais il y a une caractéristique commune : c’est un temps de profondes mutations. L’humanisation complète, équilibrée et responsable dans ses composantes matérielles et spirituelles était le véritable objectif de Don Bosco. Il se souciait de remplir l’« espace intérieur » des jeunes, de former des « têtes bien faites », des « citoyens honnêtes ». En cela, il est plus que jamais d’actualité. Le monde a aujourd’hui besoin de Don Bosco. 
Au début, pour tous, il y a une question très simple : « Veux-tu une vie quelconque ou veux-tu changer le monde ? » Mais peut-on encore parler de buts et d’idéaux, aujourd’hui ? Quand le fleuve cesse de couler, il devient un marécage. L’homme aussi. 
Don Bosco n’a pas cessé de marcher. Aujourd’hui, il le fait avec nos pieds. 
Il avait une conviction concernant les jeunes : « Cette portion de la société humaine, celle qui est la plus délicate et la plus précieuse, et sur laquelle reposent les espoirs d’un avenir heureux, n’est pas mauvaise en elle-même… car s’il lui arrive parfois d’être déjà corrompue à cet âge, c’est plutôt par étourderie que par méchanceté voulue. Ces jeunes ont vraiment besoin d’une main bienveillante, qui prenne soin d’eux, les cultive, les guide… » 
En 1882, lors d’une conférence aux Coopérateurs à Gênes il s’exprimait ainsi : « En les retirant du milieu, en instruisant et en éduquant les jeunes en danger, on fait du bien à toute la société civile. Si la jeunesse est bien éduquée, nous aurons avec le temps une génération meilleure ». C’est comme dire que seule l’éducation peut changer le monde. 
Don Bosco avait une capacité de vision presque effrayante. Il ne dit jamais : « jusqu’à présent », mais toujours : « à partir de maintenant ». 
Guy Avanzini, éminent professeur d’Université, continue de répéter : « La pédagogie du XXIe siècle sera salésienne, ou ne sera pas ». 
Un soir de 1851, d’une fenêtre du premier étage, Don Bosco jeta une poignée de caramels au milieu des jeunes. Une grande joie explosa, et un garçon, le voyant sourire à la fenêtre, lui cria : « Oh si Don Bosco pouvait voir toutes les parties du monde, et en chacune d’elles tant d’oratoires ! » 
Don Bosco fixa en l’air son regard serein et répondit : « Qui sait si le jour viendra où l’on verra les fils de l’oratoire vraiment répandus dans le monde entier ». 

Regarder loin 
Mais qu’est-ce qu’un Chapitre Général ? Pourquoi occuper ces lignes sur un thème qui est celui de la Congrégation Salésienne ? 
Les Constitutions de vie des Salésiens de Don Bosco, à l’article 146, définissent ainsi le Chapitre Général : 
« Le Chapitre général est le principal signe de l’unité de la Congrégation dans sa diversité. C’est la rencontre fraternelle dans laquelle les salésiens effectuent une réflexion communautaire pour rester fidèles à l’Évangile et au charisme du Fondateur et sensibles aux besoins des temps et des lieux. 
Au cours du Chapitre général, l’ensemble de la Société, se laissant guider par l’Esprit du Seigneur, cherche à connaître, à un moment donné de l’histoire, la volonté de Dieu pour un meilleur service de l’Église ». 
Le Chapitre Général n’est donc pas un fait privé des salésiens consacrés, mais une assemblée très importante qui nous concerne tous, qui touche toute la Famille salésienne et tous ceux qui ont Don Bosco en eux, car au centre se trouvent les personnes, la mission, le Charisme de Don Bosco, l’Église et chacun de nous, de vous. 
Au centre se trouve la fidélité à Dieu et à Don Bosco, dans la capacité de voir les signes des temps et des différents lieux. Fidélité qui est un mouvement continu, un renouvellement, une capacité de regarder loin et de garder, en même temps, les pieds bien plantés sur terre. 
C’est pourquoi environ 250 confrères salésiens, venus de tous les coins du monde, se sont réunis pour prier, réfléchir, échanger et regarder loin… en fidélité à Don Bosco. 
Et puis, à partir de la construction de cette vision, il s’agit d’élire le nouveau Recteur Majeur, le successeur de Don Bosco et son Conseil Général. 
Ce n’est pas une chose extérieure à ta vie, cher ami(e) qui me lis, mais à l’intérieur de ton existence et dans ton « affection » pour Don Bosco. Pourquoi te dire cela ? Pour que tu accompagnes tout cela par ta prière. La prière à l’Esprit Saint pour aider tous les capitulaires à connaître la volonté de Dieu en vue d’un meilleur de l’Église. 
Je pense que le CG29, j’en suis certain, sera tout cela. Une expérience de Dieu pour nettoyer d’autres parties de l’esquisse que Don Bosco nous a laissée, comme cela a toujours été fait dans tous les Chapitres généraux de l’histoire de la Congrégation, toujours fidèles à son projet. 
Soyons sûrs qu’aujourd’hui encore, nous pouvons continuer à être éclairés pour être fidèles au Seigneur Jésus dans la fidélité au charisme original, avec les visages, la musique et les couleurs d’aujourd’hui. 
Nous ne sommes pas seuls dans cette mission et nous savons et nous sentons que Marie, la Mère Auxiliatrice des chrétiens, l’Auxiliatrice de l’Église, modèle de fidélité, soutiendra les pas de chacun d’entre nous.




Bons serviteurs, fidèles et courageux

En cette année jubilaire, dans ce monde difficile, nous sommes invités à nous lever, à repartir et à parcourir notre chemin d’hommes et de croyants dans la nouveauté de la vie.

            Le prophète Isaïe s’adresse à Jérusalem avec ces mots : « Lève-toi, revêts-toi de lumière, car ta lumière vient, la gloire du Seigneur brille sur toi » (Is 60,1). L’invitation du prophète à se lever, parce que la lumière vient, semble surprenante, car son cri est lancé au lendemain du dur exil et des nombreuses persécutions que le peuple a vécues.
            Cette invitation, aujourd’hui, résonne aussi pour nous qui célébrons cette année jubilaire. Dans ce monde difficile, nous sommes également invités à nous lever, à repartir et à parcourir notre chemin d’hommes et de croyants dans la nouveauté de la vie.
            D’autant plus maintenant que nous avons eu la grâce, oui car il s’agit d’une grâce, de célébrer dans le souvenir liturgique la sainteté de Jean Bosco. Ne nous habituons pas : Don Bosco est un grand homme de Dieu, génial et courageux, un apôtre infatigable parce que disciple profondément amoureux du Christ. Pour nous, un père !
            Dans la vie, avoir un père est très important. Dùàùàans la foi, à la suite du Christ, c’est pareil : avoir un père est un don inestimable. On le ressent en soi et son expérience de foi éveille notre vie. S’il en est ainsi pour Don Bosco, pourquoi cela ne pourrait-il pas être le cas aussi pour moi ?
            Question existentielle, qui nous met en mouvement et nous change, dans l’esprit du Jubilé, en devenant des personnes « renouvelées », « changées ». Pour nous tous c’est le sens profond de la fête de Don Bosco que nous venons de célébrer : imiter et non seulement admirer !
            Au cours de cette année jubilaire que nous sommes en train de vivre avec le thème de l’Espérance, présence de Dieu qui nous accompagne, Don Bosco est un repère clair et fort !
            En parlant de l’Espérance, Don Bosco écrit, comme je l’ai repris dans le texte de l’Étrenne pour cette année :
            « Le salésien – disait Don Bosco, et en parlant du salésien, il parle à chacun de nous qui le lisons – est prêt à supporter la chaleur et le froid, la soif et la faim, les fatigues et le mépris chaque fois qu’il s’agit de la gloire de Dieu et du salut des âmes ». Le soutien intérieur de cette exigence ascétique est la pensée du paradis comme un reflet de la bonne conscience avec laquelle il travaille et vit. « Dans chaque mission, dans chaque travail, peine ou chagrin, n’oublions jamais qu’Il tient un compte minutieux des plus petites choses que nous faisons pour son saint nom, et il est de foi qu’il nous accordera une récompensera abondante en son temps. À la fin de notre vie, lorsque nous nous présenterons devant son tribunal divin, il nous regardera avec un visage aimant et nous dira : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton Seigneur” (Mt 25,21) ».
            « Dans les fatigues et les souffrances, n’oublie jamais que nous avons une grande récompense préparée dans le ciel ». Et quand notre Père dit que le salésien épuisé par trop de travail représente une victoire pour toute la Congrégation, il semble même suggérer que la récompense a une dimension de communion fraternelle, presque un sens communautaire du paradis !
            Debout, les Salésiens ! C’est ce que nous demande Don Bosco.

« Salve, salvando salvati »
            Don Bosco a été l’un des grands saints de l’espérance. Il y a de nombreux éléments pour le prouver. Son esprit salésien est entièrement imprégné des certitudes et de l’ardeur caractéristiques de ce dynamisme audacieux de l’Esprit Saint.
            Don Bosco a su traduire dans sa vie l’énergie de l’espérance sur deux volets : l’effort de sanctification personnelle et la mission de salut pour les autres ; ou mieux – et c’est là que réside une caractéristique centrale de son esprit – la sanctification personnelle à travers le salut des autres. Rappelons la célèbre formule des trois « S » : « Salve, salvando salvati » (Salut, en sauvant les autres sauve-toi toi-même). Cela semble un simple jeu de mots mnémotechnique, un slogan pédagogique, mais c’est un enseignement profond qui indique comment les deux volets de la sanctification personnelle et du salut du prochain sont étroitement liés.
            Monseigneur Erik Varden affirme : « Ici et maintenant, l’espérance se manifeste comme une faible lueur. Cela ne veut pas dire qu’elle soit sans importance. L’espérance opère une sainte contagion qui lui permet de se répandre de cœur à cœur. Les pouvoirs totalitaires travaillent toujours à effacer l’espérance et à induire à la désespérance. S’éduquer à l’espérance signifie s’exercer à la liberté. Dans un poème, Péguy décrit l’espérance comme la flamme de la lampe du sanctuaire. Cette flamme, dit-il, “a traversé la profondeur des nuits”. Elle nous permet de voir ce qui est maintenant, mais aussi de prévoir ce qui pourrait être. Espérer signifie parier son existence sur la possibilité de devenir. C’est un art à pratiquer assidûment dans l’atmosphère fataliste et déterministe dans laquelle nous vivons ».
            Que Dieu nous donne de pouvoir vivre ainsi cette année jubilaire !
Puissions-nous tous marcher ce mois-ci avec cette vision qui “brille dans les ténèbres”, avec l’Espérance dans le cœur qui est la présence de Dieu.
            Je vous recommande, ce mois-ci, la prière pour notre Congrégation Salésienne, qui se réunit en Chapitre Général. Accompagnez-nous tous avec votre prière et votre pensée, afin que nous puissions être fidèles, en tant que Salésiens, à ce que voulait Don Bosco.




La dévotion mariale dans la perspective de Don Bosco

Saint Jean Bosco avait une profonde dévotion envers Marie Auxiliatrice, une dévotion qui prend racine dans les nombreuses expériences de son intervention maternelle, dont la première alors qu’il n’avait que 9 ans. Cette véritable dévotion ne pouvait rester seulement personnelle, et ainsi Don Bosco ressentit le besoin de la partager avec les autres. En 1869, il fonda l’Association de Marie Auxiliatrice (ADMA), qui continue encore aujourd’hui d’être une réalité spirituelle vivante. Tous les 5-6 ans, l’association organise des congrès internationaux en l’honneur de Marie Auxiliatrice. Le dernier, le IXe Congrès, s’est tenu à Fatima, au Portugal, du 29 août au 1er septembre 2024. Nous présentons l’intervention finale du Vicaire du Recteur Majeur, Don Stefano Martoglio.

Je prends la parole avec plaisir lors de ce Congrès Marial, après ce que nous avons écouté et vécu pour réaffirmer un acte de confiance personnelle et institutionnelle, selon le cœur de Don Bosco et la foi de l’Église. Nous clôturons ces journées en soulignant l’un des aspects spirituels que Don Bosco perçoit et vit comme important à un niveau personnel et qualifiant pour son œuvre : la dévotion mariale. Nous nous confions aux mains maternelles de Marie, ici et maintenant, en ce lieu Saint de la présence de Marie. C’est à elle que nous demandons de donner fécondité dans notre vie à tout ce que nous avons vécu, prié et écouté ici.
Après ce que nous avons écouté et vécu, mon but est de faire mémoire, en commençant par le début. Faire mémoire est important : cela signifie reconnaître qu’il y a quelque chose qui ne nous appartient pas, quelque chose qui nous a été confiée et que nous devrions transmettre aux autres générations.
Avec beaucoup de simplicité, je veux dire à moi-même et à chacun de nous quelques aspects centraux de la Présence de Marie chez Don Bosco, de sa dévotion et de notre dévotion.

1. Marie dans les écrits de Don Bosco, en commençant par le début
La femme « d’aspect majestueux, vêtue d’un manteau qui brillait de tous côtés », décrite dans le rêve des neuf ans que nous avons tant médité et approfondi en ce Bicentenaire du Rêve, est la Madone chère à la tradition populaire et à la dévotion commune. En elle, Don Bosco souligne surtout l’amabilité maternelle. Cette représentation est celle qui correspond le mieux à son âme, et qui l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle.

Dans les Mémoires de l’Oratoire, de nombreux aspects et dévotions typiques de la religion populaire sont évoqués : le rosaire en famille, l’Angélus, les neuvaines et les triduums, les invocations et les oraisons jaculatoires, les consécrations, les visites aux autels et aux sanctuaires, les fêtes mariales (Maternité, Nom de Marie, Notre-Dame du Rosaire, Notre-Dame des Douleurs, la Consolata, l’Immaculée, la Vierge des grâces…). Attention ! Lorsque nous disons que ce sont des aspects typiques de la religion populaire, nous ne parlons pas d’une chose facile ou « automatique ». La religion populaire est la quintessence, le distillat de l’expérience de siècles qui nous est offerte comme un don que nous devons nous approprier.

Pendant la période de ses études à Chieri, plusieurs éléments relient la dévotion mariale aux choix spirituels du jeune Bosco, surtout la maturation vocationnelle et le renforcement des vertus qui font le bon séminariste. La Vierge du séminaire est l’Immaculée (dans tous les séminaires piémontais, et dans ceux influencés par la tradition lazariste, la chapelle est dédiée à l’Immaculée depuis le XVIIe siècle).
C’est précisément cet aspect qui caractérise la piété mariale du jeune Don Bosco (formé à l’école de Saint Alphonse) : la véritable dévotion, qui s’exprime surtout dans une vie vertueuse, nous assure le patronage le plus puissant que l’on puisse avoir durant la vie et à l’heure de mort.

Il écrira cette conviction également dans le Giovane provveduto en 1847 : « Si vous devenez ses dévots, elle vous comblera de bénédictions dans ce monde et vous aurez le paradis dans l’autre vie ».

Mais c’est surtout dans son livre Le mois de mai consacré à Marie Immaculée à l’usage du peuple (1858), que le saint situe explicitement et instamment la dévotion mariale du peuple et de la jeunesse dans un engagement concret et sérieux de vie chrétienne, vécue avec ferveur et amour.

« Trois choses à pratiquer tout au long du mois : 1. Faire tout ce que nous pouvons pour ne commettre aucun péché au cours de ce mois ; qu’il soit entièrement consacré à Marie. 2. Accomplir avec grand soin les devoirs spirituels et temporels de notre état… 3. Inviter nos parents et amis et tous ceux qui dépendent de nous à participer aux pratiques de piété qui se font en l’honneur de Marie au cours du mois ».

L’autre thème, hérité d’une longue tradition dévote, est le lien entre la dévotion mariale et le salut éternel : « Puisque le plus bel ornement du christianisme est la Mère du Sauveur, la Vierge Marie, je m’adresse à Vous, ô Vierge Marie très clémente, sûr d’acquérir la grâce de Dieu, le droit au Paradis, et de retrouver ainsi ma dignité perdue, si Vous priez pour moi. Auxilium christianorum, ora pro nobis ». Don Bosco est convaincu que Marie intervient comme avocate très efficace et médiatrice puissante auprès de Dieu.
Dix ans plus tard (1868), pour l’inauguration de l’église Marie-Auxiliatrice, le saint écrit et diffuse un fascicule intitulé Merveilles de la Mère de Dieu invoquée sous le titre de Marie Auxiliatrice. Dans cette brochure, il souligne la dimension ecclésiale, qui attire de plus en plus le regard de Don Bosco et oriente ses préoccupations missionnaires et éducatives.

Dans le contexte ecclésial de l’époque, les titres d’Immaculée et d’Auxiliatrice évoquent des luttes et des triomphes, le « grand affrontement » entre l’Église et la société libérale. On fait une lecture religieuse des événements politiques et sociaux, dans la ligne de la réaction catholique à l’incroyance, au libéralisme, à la déchristianisation.
En pensant à ses garçons et aux salésiens, Don Bosco continue cependant à souligner principalement la dimension ascétique, spirituelle et apostolique de la piété mariale. Dans cette perspective, les pratiques du mois de Marie et des diverses dévotions vise à susciter chez les jeunes un effort plus grand dans leur devoir, la pratique des vertus, l’ardeur ascétique (mortifications en l’honneur de Marie), une charité active et une généreuse action apostolique parmi leurs camarades.
C’est dire que Don Bosco tend à assigner à l’Immaculée et à l’Auxiliatrice un rôle déterminant dans l’œuvre éducative et formatrice. Dans le climat de ferveur mariale de l’époque, il valorise les exercices vertueux et les pratiques dévotes en vue de la purification du péché et de l’affection au péché et pour une croissance dans le don de soi à Dieu.

C’est dans ce sens que vont la lutte contre le péché et l’orientation vers Dieu, la sanctification de soi et du prochain, le service de la charité, la force pour porter la croix et l’engagement missionnaire. Tels sont les traits saillants d’une dévotion mariale qui a peu de dévotionnel et de sentimental (malgré le climat de l’époque et les goûts populaires que Don Bosco valorise de toute façon).
Quel chemin en Don Bosco et de l’homme de foi Don Bosco ! Sur tout ce que vous avez dans le cœur, je voudrais mettre un accent : moi aussi, nous aussi, nous devons marcher dans la dévotion. On ne peut pas rester immobile, si on n’avance pas on recule… et personne ne peut le faire à ma place !

2. Marie dans la vie de Don Bosco, expressions quotidiennes de la dévotion de Don Bosco et de notre dévotion

2.1. Le sens d’une présence
Dans la vie de Don Bosco Marie est une présence perçue, aimée, active et stimulante, orientée vers le grand enjeu du salut éternel et de la sainteté. Il la sent proche et se confie à elle, se laissant guider et conduire sur les chemins de sa vocation (il la rêve, il la « voit »).

À Nizza Monferrato en juin 1885, Don Bosco s’entretenait dans le parloir avec les mères capitulaires des Filles de Marie Auxiliatrice. Il parlait d’une voix faible, avec une grande fatigue. Elles lui demandèrent de leur laisser un dernier souvenir. « Oh ! vous voulez que je vous dise quelque chose. Si je pouvais parler, combien de choses je voudrais vous dire ! Mais je suis vieux, vieux et chancelant, comme vous le voyez ; j’ai même du mal à parler. Je veux juste vous dire que la Vierge vous veut du bien, beaucoup, beaucoup de bien. Et, savez-vous, elle se trouve ici parmi vous. Alors Don Bonetti, le voyant ému, l’interrompit et commença à dire, uniquement pour le distraire :
– Oui, c’est cela, c’est cela ! Don Bosco veut dire que la Vierge est votre Mère et qu’elle vous garde et vous protège.
– Non, non, reprit le Saint, je veux dire que la Vierge est vraiment ici, dans cette maison et qu’elle est contente de vous, et que si vous continuez avec l’esprit d’aujourd’hui, qui est celui désiré par la Vierge… Le bon Père s’émouvait encore plus et Don Bonetti reprit la parole :
– Oui, c’est cela, c’est cela ! Don Bosco veut vous dire que, si vous êtes toujours bonnes, la Madone sera contente de vous.
– Mais non, mais non, s’efforçait d’expliquer Don Bosco, cherchant à dominer sa propre émotion. Je veux dire que la Vierge est vraiment ici, ici parmi vous ! La Vierge se promène dans cette maison et la couvre de son manteau. – En disant cela, il étendait les bras, levait les yeux en larmes vers le ciel et semblait vouloir persuader les sœurs qu’il voyait la Madone aller ici et là comme chez elle ».

Elle est une présence active, qui accompagne, soutient, guide, encourage ; c’est celle qui lui a été donnée : « Je te donnerai la Maîtresse qui t’enseignera à devenir sage, car sans elle toute sagesse devient folie ». Une présence qui stimule à vivre consciemment en présence de Dieu dans une recherche de totalité : « En pensant à la présence de Dieu / fais que les lèvres, le cœur, l’esprit / suivent le chemin de la vertu / ô grande Vierge Marie. / Jean Bosco, prêtre » (prière écrite par le saint au bas d’une de ses photographies).

Splendide et essentiel. Ce qui n’est pas présence vivante dans ma vie est absence ! Le sens de la Présence, de la Providence de Dieu, de l’action de Marie. Un chemin continuel pour chacun de nous et pour nous tous ensemble, Famille Salésienne.

2.2. L’énergie de la mission
Don Bosco lie étroitement Marie à sa vocation et à son ministère. Il est bon ici de reprendre la présentation que Don Bosco fait du rêve des neuf ans : « Me prenant avec bonté par la main, regarde, me dit-elle, voici ton champ, voici où tu dois travailler. Rends-toi humble, fort, robuste ; et ce que tu vois en ce moment se réaliser avec ces animaux, tu devras le faire pour mes fils ». C’est la mission de salut/transformation/formation des jeunes, à travers la prévention, l’éducation, l’instruction, l’évangélisation, et un solide bagage de vertus chez l’éducateur.
Le Fils de Marie nous enseigne la méthode et l’objectif : « Non pas avec des coups, mais avec la douceur et la charité, tu devras gagner ces amis. Mets-toi donc immédiatement à leur faire une instruction sur la laideur du péché et sur la beauté de la vertu ».
Le récit fait en 1873-1874 du vieux rêve inspirateur, se relie à tant d’autres récits interventions et inspirations intérieures (les rêves) dans lesquels notre saint a attribué à Marie un rôle d’animation, de guide et de soutien de ses aspirations et de son zèle pour la mission de salut de la jeunesse.
C’est dans ce contexte qu’il faut placer et interpréter les faits que Don Bosco reconnaît comme des interventions prodigieuses de Marie : les « grâces » accordées aux personnes (spirituelles et corporelles), sa puissante protection sur l’Oratoire et sur la naissante Famille salésienne et sur leur développement prodigieux au profit des âmes.
Les grâces personnelles, la prise de conscience de la présence particulière de Dieu, par l’intercession de Marie, qui guide providentiellement l’existence personnelle et institutionnelle. Si tu ne perçois pas la Présence, tu es à la merci du hasard.

2.3. Un stimulant pour la sainteté
Don Bosco a vécu la dévotion mariale comme un stimulant et un soutien sur le chemin vers la perfection chrétienne. Dans la même perspective, il l’inculque habilement aux jeunes pour promouvoir en eux la vie chrétienne et stimuler en eux le désir de la sainteté.
Valorisant la sensibilité de ses garçons et les goûts populaires de leur piété, Don Bosco sut transformer une tendance dévotionnelle, teintée de sentiment romantique, en un puissant instrument de formation spirituelle qui encourage, corrige et oriente.
Marie ne nous laisse jamais là où elle nous trouve. Comme au début des Signes de l’Évangile de Jean, elle sait que nous devons être guidés, accompagnés… pour un itinéraire précis : faites ce qu’elle vous dira et vous arriverez là où JE vous attends, nous dit Don Bosco. Voir l’invisible.

3. Identité salésienne et dévotion mariale 
Pour conclure, je vous partage, avec simplicité, ce dont nous vivons en tant que confrères, et qui est au centre de notre vocation. J’aime conclure avec ce partage, car c’est l’ossature de ma vie et de notre vie. Si cela me fait tant de bien, à moi et à nous, cela fera sûrement du bien à tous.

Tout d’abord, les Constitutions, qui dessinent les traits caractéristiques de notre dévotion mariale. L’article 8 (situé dans le premier chapitre, relatif aux éléments qui assurent l’identité de la Congrégation Salésienne) synthétise le sens de la présence de Marie dans notre Société : elle a indiqué à Don Bosco son champ d’action, l’a constamment guidé et soutenu, elle continue parmi nous sa mission de Mère et d’Auxiliatrice : « nous nous confions à elle, humble servante en qui le Seigneur a fait de grandes choses, pour devenir parmi les jeunes témoins de l’amour inépuisable de son Fils ».

L’article 92 présente le rôle de Marie dans la vie et la piété du salésien : modèle de prière et de charité pastorale ; maîtresse de sagesse et guide de notre famille ; exemple de foi, de sollicitude pour les nécessiteux, de fidélité à l’heure de la croix, de joie spirituelle ; notre éducatrice qui nous apprend à nous donner entièrement au Seigneur et à servir courageusement nos frères. De là découle une dévotion filiale et forte, qui s’exprime dans la prière (chapelet quotidien et célébration de ses fêtes) et dans l’imitation convaincue et personnelle.

Mais la meilleure synthèse se trouve, à mon avis, dans la Prière à Marie Auxiliatrice récitée quotidiennement dans chacune de nos communautés après la méditation. C’est Don Rua qui l’a composée en 1894, comme expression de consécration quotidienne dans l’engagement de fidélité et de générosité. Aujourd’hui, elle a été révisée, mais en conservant la même structure que celle d’autrefois et les mêmes contenus. Voici le texte primitif :

« Très Sainte et immaculée Vierge Auxiliatrice, nous nous consacrons entièrement à vous et nous vous promettons de travailler toujours pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes.

Nous vous prions de tourner votre regard miséricordieux sur l’Église et son auguste Chef, sur les Prêtres et les Missionnaires, sur la Famille Salésienne, nos parents et bienfaiteurs et sur la jeunesse qui nous est confiée, sur les pauvres pécheurs, les mourants et les âmes du purgatoire.

Enseignez-nous, ô Mère très tendre, à reproduire en nous les vertus de notre Fondateur, en particulier son angélique modestie, sa profonde humilité et son ardente charité.

Faites, ô Marie Auxiliatrice, que votre puissante intercession nous rende victorieux contre les ennemis de notre âme en cette vie et au moment de notre mort, afin que nous puissions venir vous rendre hommage avec Don Bosco au Paradis. Ainsi soit-il. »

Comme on peut le voir, la version actuelle ne fait que reprendre, avec quelques développements, le texte de Don Rua. Je crois qu’il est bon, de temps en temps, de le reprendre et de le méditer. Elle est structurée en quatre parties : promesse, intercession, docilité et confiance.

Dans la première partie (Ô très sainte), on rappelle le but ultime de notre consécration en promettant d’orienter chaque action uniquement au service de Dieu et au salut du prochain, dans la fidélité à l’essence de la vocation salésienne.

La deuxième partie (Nous te prions) réunit le sens ecclésial, salésien et missionnaire de notre consécration, en confiant à l’intercession de Marie l’Église, la Congrégation et la Famille Salésienne, les jeunes, surtout les plus pauvres, tous les hommes rachetés par le Christ. Ici, la passion qui doit alimenter et caractériser la prière salésienne est bien décrite : son caractère universel, ecclésial et missionnaire au service des jeunes.

Dans la troisième partie (Apprends-nous), sont concentrées les vertus qui caractérisent la physionomie typique du salésien disciple de Don Bosco : on se met à l’école de Marie pour grandir dans l’union à Dieu, dans la chasteté, dans l’humilité et dans la pauvreté, dans l’amour du travail et de la tempérance, dans la charité ardente et aimante (bonté et don illimité à nos frères), dans la fidélité à l’Église et à son magistère.

Dans la dernière partie (Fais, ô Marie Auxiliatrice), on se confie à l’intercession de la Vierge Auxiliatrice pour obtenir la fidélité et la générosité dans le service de Dieu jusqu’à la mort et à l’admission dans la communion éternelle des saints.

Cette excellente synthèse, qui contient un programme complet de vie spirituelle et dessine la physionomie de notre identité, peut nous servir aujourd’hui de référence et de schéma concret pour la vérification et la programmation spirituelles. Qu’il en soit ainsi pour chacun de nous !




Étrenne 2025. Ancrés dans l’espérance, pèlerins avec les jeunes

INTRODUCTION. ANCRÉS DANS L’ESPÉRANCE, PÈLERINS AVEC LES JEUNES
1. À LA RENCONTRE DU CHRIST, NOTRE ESPÉRANCE, POUR RENOUVELER LE RÊVE DE DON BOSCO
1.1 Le Jubilé
1.2 L’anniversaire de la première Expédition Missionnaire Salésienne
2. LE JUBILÉ : LE CHRIST NOTRE ESPÉRANCE
2.1 Pèlerins, ancrés dans l’espérance chrétienne
2.2 L’espérance comme chemin vers le Christ, chemin vers la vie éternelle
2.3 Caractéristiques de l’Espérance
2.3.1 L’espérance, une tension continue, prête, visionnaire et prophétique
2.3.2 L’espérance est un pari sur l’avenir
2.3.3 L’espérance n’est pas une affaire privée
3. L’ESPÉRANCE COMME FONDEMENT DE LA MISSION
3.1 L’espérance est une invitation à la responsabilité
3.2 L’espérance exige du courage de la part de la communauté chrétienne dans l’évangélisation
3.3 « Da mihi animas » : « l’esprit » de la mission »
3.3.1 Les comportements de l’envoyé
3.3.2 Reconnaître, Repenser et Relancer
4. UNE ESPÉRANCE JUBILAIRE ET MISSIONNAIRE QUI SE TRADUIT EN VIE CONCRÈTE ET QUOTIDIENNE
4.1 L’espérance est une force dans la vie quotidienne qui exige le témoignage
4.2 L’espérance est l’art de la patience et de l’attente
5. L’ORIGINE DE NOTRE ESPÉRANCE : EN DIEU AVEC DON BOSCO
5.1 Dieu fidèle à l’origine de notre espérance
5.1.1 Bref rappel du rêve
5.1.2 Don Bosco « géant » de l’espérance
5.1.3 Caractéristiques de l’espérance chez Don Bosco
5.1.4 Les « fruits » de l’espérance chez Don Bosco
5.2 La fidélité de Dieu : jusqu’à la fin
6. AVEC MARIE, ESPÉRANCE ET PRÉSENCE MATERNELLE

INTRODUCTION. ANCRÉS DANS L’ESPÉRANCE, PÈLERINS AVEC LES JEUNES

Bien chers frères et sœurs appartenant aux différents Groupes de la Famille Salésienne de Don Bosco, permettez-moi de vous adresser le salut le plus cordial au début de cette nouvelle année 2025 !

Ce n’est pas sans émotion que je m’adresse à chacun et à chacune d’entre vous en ce temps de grâce marqué par deux événements importants pour la vie de l’Église et pour celle de notre Famille : le Jubilé de l’Année 2025, qui a débuté solennellement le 24 décembre avec l’ouverture de la Porte Sainte de la Basilique Saint-Pierre au Vatican, et le 150ème anniversaire de la Première Expédition Missionnaire voulue par notre Père Don Bosco,  partie le 11 novembre 1875 pour l’Argentine et d’autres pays du continent américain.

Ce sont deux événements importants qui trouvent leur point de rencontre dans l’espérance. En effet, le Pape François a indiqué exactement cette vertu comme perspective en proclamant le Jubilé. De la même manière, l’expérience missionnaire est un signe d’espérance pour tous : pour ceux qui sont partis (et qui partent) et pour ceux qui ont été rejoints par les missionnaires.

L’année qui nous est donnée est donc riche en idées pour notre croissance concrète et quotidienne, afin que notre humanité devienne féconde dans l’attention aux autres. Cela ne se produira que dans les cœurs qui mettent Dieu au centre et qui peuvent dire : « C’est Toi que j’ai mis avant moi ».

Dans ce commentaire, je vais essayer de mettre en évidence ces éléments afin d’approfondir, en clé charismatique, ce que l’Église est invitée à vivre tout au long de cette année, et de souligner ce qui pour nous, Famille de Don Bosco, doit nous guider vers de nouveaux horizons.

1. À LA RENCONTRE DU CHRIST, NOTRE ESPÉRANCE, POUR RENOUVELER LE RÊVE DE DON BOSCO

Le titre de l’Étrenne implique l’entrelacement de deux événements : le Jubilé Ordinaire de l’année 2025 et le 150ème anniversaire de la première Expédition Missionnaire envoyée par Don Bosco en Argentine.

La concomitance, que j’ose qualifier de « providentielle », des deux événements fait de 2025 une année décidément extraordinaire pour nous tous et pour les Salésiens de Don Bosco encore plus. En effet, au cours des mois de février, mars et avril 2025, il y aura la célébration du 29ème Chapitre Général qui aboutira, entre autres, à l’élection du nouveau Recteur Majeur et du nouveau Conseil Général.

Des événements mondiaux et particuliers qui nous impliquent donc de différentes manières et que nous voulons vivre avec profondeur et intensité. Parce que c’est précisément grâce à ces événements que nous pouvons faire l’expérience de la joie d’aller à la rencontre du Christ et de l’importance de rester ancrés dans l’espérance.

1.1 Le Jubilé

« Spes non confundit ! L’espérance ne déçoit pas ! » (Rm 5,5)[1]

C’est ainsi que le Pape François nous présente le Jubilé. Comme c’est merveilleux ! Quelle indication « prophétique » ! Le Jubilé est un pèlerinage pour remettre Jésus-Christ au centre de notre vie et de la vie du monde. Parce qu’Il est notre Espérance. Il est l’Espérance de l’Église et du monde entier !

Nous sommes tous conscients qu’aujourd’hui le monde a besoin de cette espérance qui nous met en relation avec Jésus-Christ et avec les autres frères et sœurs. Nous avons besoin de cette espérance qui fait de nous des pèlerins, qui nous met en mouvement et qui nous fait marcher.

Nous parlons de l’espérance comme de la redécouverte de la présence de Dieu. Le Pape François écrit : « Puisse l’espérance remplir le cœur ! »,[2] non seulement qu’elle réchauffe le cœur, mais qu’elle le remplisse, et à ras bord !

1.2 L’anniversaire de la première Expédition Missionnaire Salésienne

C’est de cette espérance débordante qu’étaient remplis les cœurs des participants à la première Expédition Missionnaire Salésienne en Argentine, il y a 150 ans.

Du Valdocco, Don Bosco lance son cœur au-delà de toutes frontières, envoyant ses fils à l’autre bout du monde ! Il les envoie au-delà de toute sécurité humaine, il les envoie pour poursuivre ce qu’il avait commencé lui-même. Il se met en chemin avec les autres, en espérant et en insufflant de l’espérance. Il les envoie, tout simplement ; et les premiers (jeunes) confrères partent et s’en vont. Où ? Ils ne le savent pas eux-mêmes ! Mais ils s’appuient sur l’espérance et ils obéissent. Parce que c’est la présence de Dieu qui nous guide.

Dans cette obéissance pleine d’enthousiasme, notre espérance actuelle trouve aussi de nouvelles énergies et nous pousse à nous mettre en route comme des pèlerins.

C’est pourquoi cet anniversaire doit être célébré : parce qu’il nous aide à reconnaître un don (non pas une conquête personnelle mais un don gratuit du Seigneur), il nous permet de nous souvenir et, à partir du souvenir, de trouver la force d’affronter et de construire l’avenir.

Vivons donc, aujourd’hui, pour rendre cet avenir possible et faisons-le de la seule manière que nous considérons comme grande : en partageant avec les jeunes et avec toutes les personnes de nos milieux (à commencer par les plus pauvres et les oubliés) le chemin pour aller à la rencontre du Christ, notre unique Espérance.

2. LE JUBILÉ : LE CHRIST NOTRE ESPÉRANCE

Le Jubilé, c’est marcher ensemble, ancrés dans le Christ, notre Espérance. Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Je reprends les éléments de la Bulle d’Indiction du Jubilé 2025 qui mettent en évidence certaines caractéristiques de l’espérance.

2.1 Pèlerins, ancrés dans l’espérance chrétienne

Nous sommes convaincus que rien ni personne ne peut nous séparer du Christ.[3] Parce que c’est à Lui que nous voulons et devons rester accrochés, ancrés. Nous ne pouvons pas marcher sans notre ancre.

L’ancre de l’espérance est donc le Christ lui-même qui porte sur la croix les souffrances et les blessures de l’humanité, en présence du Père. L’ancre, en effet, a la forme d’une croix et, pour cette raison, elle a également été représentée dans les catacombes pour symboliser l’appartenance des fidèles défunts au Christ Sauveur. Cette ancre est déjà solidement attachée au port du salut. Notre tâche est d’y attacher notre vie, la corde qui lie notre bateau à l’ancre du Christ.

Nous naviguons sur les vagues agitées de la mer et nous avons besoin de nous ancrer à quelque chose de solide. Mais il ne s’agit plus de jeter l’ancre et de la fixer au fond de la mer. Il s’agit d’attacher notre bateau à la corde qui, pour ainsi dire, pend du Ciel, là où l’ancre du Christ est solidement fixée. En nous accrochant à cette corde, nous nous accrochons à l’ancre du salut et rendons notre espérance certaine.

L’espérance est certaine lorsque la barque de notre vie s’accroche à cette corde qui nous lie à l’ancre fixée dans le Christ crucifié qui est à la droite du Père, c’est-à-dire dans la communion éternelle du Père et dans l’amour de l’Esprit Saint.[4]

Tout est bien exprimé dans l’oraison liturgique de la Solennité de l’Ascension du Seigneur :

« Dieu qui élève le Christ au-dessus de tout, ouvre-nous à la joie et à l’action de grâce, car l’Ascension de ton Fils est déjà notre victoire : nous sommes les membres de son corps, il nous a précédés dans la gloire auprès de toi, et c’est là que nous vivons en espérance. »[5]

L’écrivain et homme politique tchèque Václav Havel définit l’espérance comme un état d’esprit, une dimension de l’âme. Elle ne dépend pas de l’observation préventive du monde, ce n’est pas une prédiction.

Le philosophe Byung-Chul Han ajoute : « L’espérance est une orientation du cœur qui transcende le monde immédiat de l’expérience ; c’est un ancrage quelque part au-delà de l’horizon. Les racines de l’espérance se trouvent dans le transcendant : c’est pourquoi avoir de l’espoir et être satisfait parce que les choses vont bien, ce n’est pas la même chose. On pourrait penser qu’espérer, c’est simplement vouloir sourire à la vie pour qu’elle vous sourie à son tour ; mais non, il faut aller plus loin, il faut marcher sur la corde qui nous mène à l’ancre.

L’espérance est la capacité de chacun d’entre nous à travailler pour quelque chose parce qu’il est juste de le faire, et non parce que ce quelque chose aura le succès garanti. Cela pourrait être un échec, cela pourrait mal tourner : nous n’espérons pas que cela se passe bien, nous ne sommes pas optimistes. Nous travaillons pour que cela se produise. Voilà pourquoi l’espérance n’est pas la même chose que l’optimisme. L’espérance n’est pas la conviction que quelque chose ira bien, mais la certitude que quelque chose a un sens indépendamment de son résultat. Faire quelque chose parce que cela a du sens : voilà en quoi consiste l’espérance qui présuppose des valeurs et présuppose la foi.

C’est ce qui donne la force pour vivre, et cela nous donne la force de ressentir quelque chose encore et encore, même dans le désespoir. »[6]

Mais comment peut-on marcher tout en restant ancré ? L’ancre vous alourdit, vous ralentit, vous fixe. Où mène donc ce chemin ? Il mène à l’éternité.

2.2 L’espérance comme chemin vers le Christ, chemin vers la vie éternelle

La promesse de la vie éternelle, telle qu’elle est faite à chacun de nous, ne contourne pas le chemin de la vie, ce n’est pas un saut vers le haut, elle ne propose pas de monter dans une fusée qui se détache du sol et s’envole dans l’espace, laissant la route, la poussière du chemin sur le sol, ni ne laisse le bateau dériver au milieu de la mer sans nous.

Cette promesse, c’est précisément une ancre fixée dans l’éternité, mais à laquelle nous restons attachés par une corde qui vient rendre ferme le bateau qui traverse la mer. Et c’est précisément le fait qu’il soit fixé dans le Ciel qui permet au bateau de ne pas rester immobile au milieu de la mer, mais d’avancer à travers les flots.

Si l’ancre du Christ fixait l’homme au fond de la mer, nous resterions tous immobiles là où nous sommes, peut-être tranquilles, sans problèmes, mais immobiles, sans voyager, sans avancer. Au contraire, c’est précisément l’ancrage de la vie au Ciel qui fait que la promesse qui suscite notre espérance n’arrête pas la route, ne nous donne pas la sécurité d’un refuge dans lequel nous enfermer et nous arrêter, mais nous donne la certitude de marcher et de continuer le chemin. La promesse d’un but certain, déjà atteint pour nous par le Christ, rend ferme et décisif chacun de nos pas sur le chemin de la vie.

Il est important de comprendre le Jubilé comme un pèlerinage, comme une invitation à se mettre en mouvement, à sortir de soi-même pour aller vers le Christ. Le Jubilé a toujours été synonyme de chemin. Si l’on désire vraiment Dieu, on doit bouger, on doit marcher. Parce que le désir de Dieu, la nostalgie de Dieu, nous pousse à le trouver et, en même temps, conduit à nous trouver nous-mêmes et à trouver les autres.

« Nous sommes nés et nous ne mourrons plus jamais. »[7] Le titre de la biographie de la servante de Dieu Chiara Corbella Petrillo est beau et significatif. Oui, parce que notre venue dans le monde est orientée vers la vie éternelle. La vie éternelle est une promesse qui brise la porte de la mort, nous ouvrant au « face à face avec Dieu » pour toujours. La mort est une porte qui se ferme et en même temps une porte qui s’ouvre toute grande à la rencontre définitive avec Dieu !

Nous savons combien le désir du Ciel était vivant chez Don Bosco, désir proposé et partagé avec joie avec les jeunes de l’Oratoire.

2.3 Caractéristiques de l’Espérance

2.3.1 L’espérance, une tension continue, prête, visionnaire et prophétique

Gabriel Marcel,[8] dit philosophe de l’espérance, nous enseigne que l’espérance se trouve dans le tissu d’une expérience continue, qu’espérer signifie donner du crédit à une réalité comme porteuse d’avenir. Éric Fromm[9] écrit que l’espérance n’est pas une attente passive mais une tension continue et constante. C’est comme un tigre accroupi qui ne saute que lorsque c’est le moment précis.

Avoir de l’espoir, c’est être vigilant en tout temps, pour tout ce qui n’est pas encore arrivé. Les vierges qui attendaient l’époux avec des lampes allumées espéraient ; Don Bosco espérait face aux difficultés et s’agenouillait pour prier. L’espérance est prête au moment où tout est sur le point de naître. Elle est alerte, attentive, à l’écoute, capable de guider dans la création de quelque chose de nouveau, de donner vie à l’avenir sur terre. C’est pourquoi elle est « visionnaire et prophétique ». Elle concentre notre attention sur ce qui n’est pas encore, c’est elle qui aide à donner naissance à quelque chose de nouveau.

2.3.2 L’espérance est un pari sur l’avenir

Sans espérance, il n’y a pas de révolution, pas d’avenir, il n’y a qu’un présent fait d’optimisme stérile. On pense souvent que ceux qui espèrent sont des optimistes tandis que les pessimistes sont essentiellement leur contraire. Il n’en est pas ainsi. Il est important de ne pas confondre espérance et optimisme. L’espérance est beaucoup plus profonde parce qu’elle ne dépend pas des humeurs, des sensations ou de la sentimentalité.

L’essence de l’optimisme est la positivité innée. L’optimiste vit convaincu que les choses vont s’améliorer d’une manière ou d’une autre. Pour un optimiste, le temps est clos, il ne contemple pas l’avenir : tout ira bien et c’est tout.

Paradoxalement, même pour le pessimiste, le temps est clos : il se retrouve piégé dans le présent comme dans une prison, il nie tout sans s’aventurer dans d’autres mondes possibles. Le pessimiste est aussi têtu que l’optimiste, tous deux sont aveugles aux possibilités parce que le possible leur est étranger, ils manquent de passion pour le possible.

Contrairement à tous les deux, l’espérance parie sur ce qui peut aller au-delà de ce qui pourrait être. Et, encore une fois, l’optimiste (comme le pessimiste) n’agit pas, parce que chaque action comporte un risque ; et puisqu’il ne veut pas prendre ce risque, il ne bouge pas, il ne veut pas connaître l’échec. L’espérance, quant à elle, se met à chercher, essaie de trouver une direction, se dirige vers ce qu’elle ne connaît pas, met le cap sur de nouvelles choses. C’est le pèlerinage d’un chrétien.

2.3.3 L’espérance n’est pas une affaire privée

Nous portons tous des espérances dans nos cœurs. Il n’est pas possible de ne pas espérer, mais il est vrai aussi que nous pouvons nous leurrer, en considérant des perspectives et des idéaux qui ne se réaliseront jamais, qui ne sont que des chimères et des leurres. Une grande partie de notre culture, en particulier la culture occidentale, est pleine de faux espoirs qui trompent et détruisent ou peuvent ruiner irrémédiablement l’existence d’individus et de sociétés entières.

Selon la pensée positive, il suffit de remplacer les pensées négatives par des pensées positives pour vivre plus heureux. Grâce à ce mécanisme simple, les aspects négatifs de la vie sont complètement omis, et le monde apparaît comme un marché Amazon qui nous fournira tout ce que nous voulons grâce à notre attitude positive.

En conclusion, si notre volonté de penser positivement était suffisante pour être heureux, alors chacun serait seul responsable de son propre bonheur. Paradoxalement, le culte de la positivité isole les gens, les rend égoïstes et détruit l’empathie, parce que les gens les gens sont de plus en plus préoccupés uniquement d’eux-mêmes et ne s’intéressent pas à la souffrance des autres.

L’Espérance, contrairement à la pensée positive, n’évite pas la négativité de la vie, elle n’isole pas mais unit et réconcilie, car le protagoniste de l’Espérance, ce n’est pas moi, centré sur mon ego, retranché exclusivement sur moi-même ; le secret de l’Espérance, c’est nous. C’est pour cela que les sœurs de l’Espérance sont l’Amour, la Foi et la Transcendance.

3. L’ESPÉRANCE COMME FONDEMENT DE LA MISSION

3.1 L’espérance est une invitation à la responsabilité

L’espérance est un don et, en tant que tel, elle doit être transmise à tous ceux que nous rencontrons sur notre chemin.

Saint Pierre le dit clairement : « Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. »[10] L’Apôtre nous invite à ne pas avoir peur, à agir dans la vie de tous les jours, à rendre raison – quel esprit salésien dans ce mot « raison » ! – de l’espérance. C’est une responsabilité pour le chrétien. Si nous sommes des femmes et des hommes d’espérance, ça se voit ! « Rendre raison de l’espérance qui est en nous » devient une annonce de la « Bonne Nouvelle » de Jésus et de son Évangile.

Mais pourquoi est-il nécessaire de répondre à quelqu’un qui nous interroge sur l’espérance qui est en nous ? Et pourquoi ressentons-nous le besoin de retrouver l’espérance ?

Dans la Bulle d’Indiction du Jubilé Spes non confundit, le Pape François rappelle que « chacun, en réalité, a besoin de retrouver la joie de vivre car l’être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, ne peut se contenter de survivre ou de vivoter, de se conformer au présent en se laissant satisfaire de réalités uniquement matérielles. Celles-ci enferment dans l’individualisme et érodent l’espérance, en générant une tristesse qui se niche dans le cœur et le rend aigre et intolérant. »[11]

Un constat qui est frappant parce qu’il décrit toute la tristesse que l’on respire dans nos sociétés et nos communautés. C’est une tristesse déguisée en fausse joie, celle qui nous est constamment annoncée, promise et assurée par les médias, par la publicité, par la propagande des politiciens, par tant de faux prophètes du bien-être. Se contenter du bien-être nous empêche de nous ouvrir à un bien beaucoup plus grand, beaucoup plus vrai, beaucoup plus éternel : ce que Jésus et les apôtres appellent « le salut de l’âme, le salut de la vie » ; un bien pour lequel Jésus nous invite à ne pas craindre de perdre la vie, les biens matériels, les fausses sécurités qui s’effondrent souvent en un instant.

Sur ces « questions », plus ou moins exprimées (même par les jeunes), nous avons le devoir de « rendre raison ». Qu’est-ce que je souhaite pour les jeunes et pour toutes les personnes que je rencontre sur mon chemin ? Qu’est-ce que je voudrais demander à Dieu pour eux ? Comment aimerais-je que cela change leur vie ?

Il n’y a qu’une seule réponse : la vie éternelle. Non seulement la vie éternelle comme état sublime que nous pouvons atteindre après la mort, mais la vie éternelle possible ici et maintenant, la vie éternelle telle que Jésus la définit : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ »,[12] c’est-à-dire une vie définie, illuminée par la communion avec le Christ et, par Lui, avec le Père.

Et c’est à nous d’accompagner les jeunes générations sur ce chemin vers la vie éternelle, dans l’action éducative qui nous distingue. Une action qui, pour nous, Famille Salésienne, est une mission. Et qu’est-ce qui motive cette mission qui est la nôtre ? Toujours le Christ, notre Espérance. La mission éducative, en effet, est centrée sur l’espérance.

En fin de compte, l’espérance de Dieu n’est jamais l’espérance pour soi-même . Elle est toujours espérance pour les autres : elle ne nous isole pas, elle nous soutient et nous stimule à nous éduquer les uns les autres à la vérité et à l’amour.

3.2 L’espérance exige du courage de la part de la communauté chrétienne dans l’évangélisation

Le courage et l’espérance forment une combinaison intéressante. En effet, s’il est vrai qu’il est impossible de ne pas espérer, il est tout aussi vrai que le courage est nécessaire pour espérer. Le courage vient du fait d’avoir le même regard que le Christ, capable d’espérer contre toute espérance,[13] de voir une solution même là où apparemment il semble qu’il n’y ait pas d’issue. Et combien « salésienne » est cette attitude !

Tout cela exige le courage d’être soi-même, de se reconnaître dans un don de Dieu et d’investir ses énergies dans une responsabilité précise, conscients du fait que ce qui nous a été confié n’est pas nôtre, et que nous avons la tâche de le transmettre aux générations futures. C’est le cœur de Dieu, c’est la vie de l’Église. Une attitude que l’on retrouve dans la première Expédition Missionnaire…

Je considère très utile la référence à l’art. 34 des Constitutions des Salésiens de Don Bosco : il met en évidence ce qui est au cœur de notre Mouvement charismatique et apostolique. Je suggère à chacun des Groupes de notre belle Famille, dans sa variété, de reprendre les mêmes éléments que je propose ici, en relisant ses Constitutions et Statuts respectifs.

L’article 34 des Constitutions SDB s’intitule « Évangélisation et catéchèse » et se lit comme suit :

« « Cette société, à ses débuts, était un simple catéchisme. » Pour nous aussi, l’évangélisation et la catéchèse sont la dimension fondamentale de notre mission. Comme Don Bosco, nous sommes appelés, tous et en toute occasion, à être des éducateurs de la foi. Notre science la plus éminente est donc de connaître Jésus-Christ, et notre joie la plus profonde est de révéler à tous les insondables richesses de son mystère. Nous cheminons avec les jeunes, pour les conduire à la personne du Seigneur ressuscité, afin que, découvrant en Lui et dans son Évangile le sens suprême de leur existence, ils grandissent en hommes nouveaux. La Vierge Marie est maternellement présente sur ce chemin. Nous la faisons connaître et aimer comme Celle qui a cru, qui vient en aide et qui infuse l’espérance. »

Cet article représente le cœur battant qui décrit bien, également pour cette Étrenne, quelles sont les énergies et les opportunités comme accomplissement et actualisation du « rêve mondial » que Dieu a inspiré à Don Bosco.

Si vivre le Jubilé signifie avant tout faire en sorte que Jésus soit et revienne à la première place, l’esprit missionnaire est la conséquence de cette primauté reconnue, qui renforce notre espérance et se traduit dans la charité éducative et pastorale qui fait que tous annoncent la personne de Jésus-Christ. C’est le cœur de l’évangélisation et cela caractérise la mission authentique.

Il est significatif de rappeler le début de la première Encyclique de Benoît XVI, Deus caritas est [Dieu est Amour] :

« À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive. »[14]

C’est pourquoi la rencontre avec le Christ est prioritaire et fondamentale ; non pas la « simple » diffusion d’une doctrine, mais une profonde expérience personnelle de Dieu qui nous pousse à Le communiquer, à Le faire connaître et à L’expérimenter, en devenant de véritables « mystagogues » de la vie des jeunes.

3.3 « Da mihi animas » : « l’esprit » de la mission »

Don Bosco gardait toujours devant les yeux une phrase que les jeunes pouvaient lire en passant devant sa chambre, une expression qui a particulièrement frappé Dominique Savio : « Da mihi animas cætera tolle » [Donne-moi des âmes et garde le reste] …

Il y a un équilibre fondamental qui unit, dans cette devise, les deux priorités qui ont guidé la vie de Don Bosco – et que nous appelons de manière significative « grâce d’unité » – qui nous permettent de sauvegarder toujours l’intériorité et l’action apostolique.

Si l’amour de Dieu manquait dans notre cœur, comment pourrait-il y avoir une véritable charité pastorale ? Et en même temps, si l’apôtre n’a pas découvert le visage de Dieu dans son prochain, comment pourrait-on dire qu’il aime Dieu ? Le secret de Don Bosco est d’avoir vécu personnellement « un unique mouvement de charité envers Dieu et envers nos frères »[15] qui caractérise l’esprit salésien.

3.3.1 Les comportements de l’envoyé

Il y a deux rêves-clés dans la vie de Don Bosco où sont évidents les comportements de l’apôtre, de celui qui est envoyé :

  • Le « rêve des neuf ans » où Jésus et Marie demandent à Jean de se rendre humble, fort et robuste par l’obéissance et l’acquisition de la science, en lui recommandant toujours la bonté pour gagner le cœur des jeunes et en gardant toujours Marie comme maîtresse de vie et guide.
  • Le « rêve de la tonnelle de roses » qui indique la « passion » dans la vie salésienne qui exige d’avoir les « bonnes chaussures » de la mortification et de la charité.

3.3.2 Reconnaître, Repenser et Relancer

Célébrer le 150ème anniversaire de la première Expédition Missionnaire de Don Bosco représente un grand cadeau pour

  • Reconnaître et remercier Dieu.

La reconnaissance rend claire la paternité de chaque belle réalisation. Sans reconnaissance, il n’y a pas de capacité d’accueil. Chaque fois que nous ne reconnaissons pas un don dans notre vie personnelle et institutionnelle, nous risquons sérieusement de l’annuler et de « nous en emparer ».

  • Repenser, car « rien n’est éternel ».

La fidélité implique la capacité de changer dans l’obéissance vers une vision qui vient de Dieu et de la lecture des « signes des temps ». Rien n’est éternel : d’un point de vue personnel et institutionnel, la vraie fidélité est la capacité de changer, en reconnaissant ce à quoi le Seigneur appelle chacun de nous.

Repenser devient alors un acte génératif dans lequel s’unissent la foi et la vie ; un moment où nous nous demandons : que veux-tu nous dire, Seigneur, avec cette personne, avec cette situation à la lumière des signes des temps qui, pour être lus, nous demandent d’avoir le cœur même de Dieu ?

  • Relancer, recommencer chaque jour.

La reconnaissance nous conduit à regarder loin devant nous et à accueillir de nouveaux défis, en relançant la mission avec espérance. La Mission est d’apporter l’espérance du Christ avec une conscience lucide et claire, liée à la foi, qui nous fait reconnaître que ce que je vois et je vis « n’est pas mon affaire à moi ».

4. UNE ESPÉRANCE JUBILAIRE ET MISSIONNAIRE QUI SE TRADUIT EN VIE CONCRÈTE ET QUOTIDIENNE

4.1 L’espérance est une force dans la vie quotidienne qui exige le témoignage

Saint Thomas d’Aquin écrit : « Spes introducit ad caritatem »,[16] l’espérance prépare et prédispose à la charité notre vie, notre humanité. Une charité qui est aussi justice, action sociale.

L’espérance a besoin du témoignage. Nous sommes au cœur de la mission parce que la mission, ce n’est pas d’abord et avant tout faire des choses, mais c’est le témoignage de celui qui a vécu une expérience et qui la raconte. Le témoin est porteur d’une mémoire, sollicite des questions chez ceux qui le rencontrent et suscite l’étonnement.

Le témoignage de l’espérance a besoin d’une communauté ; il est l’œuvre d’un sujet collectif et il est contagieux, comme notre humanité est contagieuse, parce que le témoignage est un lien avec le Seigneur.

L’espérance dans le témoignage de la mission doit se construire de génération en génération, entre les adultes et les jeunes : c’est la voie de l’avenir. Dans notre culture, le consumérisme mange l’avenir, l’idéologie de la consommation éteint tout dans l’« ici et maintenant », dans le « tout et tout de suite ». Cependant, on ne peut pas consommer l’avenir, on ne peut pas s’approprier ce qui est autre que soi, on ne peut pas s’approprier ce qui est de l’autre.[17]

Dans la construction de l’avenir, l’espérance, c’est la capacité de promettre et de tenir ses promesses… Une chose splendide et rare dans notre monde ! Promettre, c’est espérer, mettre en mouvement, c’est pourquoi, comme nous l’avons dit, l’espérance est cheminement, c’est l’énergie même du cheminement.

4.2 L’espérance est l’art de la patience et de l’attente

Chaque vie, chaque don, chaque chose a besoin de temps pour grandir. De même, les dons de Dieu mettent du temps à mûrir. C’est pourquoi, à notre époque du « tout et tout de suite », dans notre « consommation » du temps et de la vie, il nous est demandé de donner souffle et force à la vertu de patience : parce que l’espérance se réalise dans la patience.[18]

L’espérance et la patience, en effet, sont intimement liées. L’espérance implique la capacité de savoir attendre, d’attendre la croissance, comme pour dire que « une vertu en entraîne une autre » ! Pour que l’espérance devienne réalité, qu’elle se manifeste dans son intégralité, il faut de la patience. Rien ne se manifeste de manière miraculeuse, parce que tout est soumis à la loi du temps. La patience, c’est l’art de l’agriculteur qui sème et sait attendre que la graine semée pousse et porte ses fruits.

L’espérance commence en nous comme attente et s’exerce comme attente vécue consciemment dans notre humanité. L’attente est une dimension très importante de l’expérience humaine. L’homme sait attendre, l’homme est toujours dans une dimension d’attente, parce qu’il est une créature qui vit dans le temps de manière consciente.

L’attente humaine est la vraie mesure du temps, une mesure qui n’est pas numérique, elle n’est pas chronologique. Nous avons pris l’habitude de calculer l’attente, de dire que nous avons attendu une heure, que le train a cinq minutes de retard, qu’Internet nous a fait attendre quatorze secondes interminables avant de répondre à notre clic, mais quand nous la mesurons de cette façon, nous déformons l’attente, nous en faisons une chose, un phénomène détaché de nous-mêmes et de ce que nous attendons. C’est comme si l’attente était quelque chose en soi, sans relation. Au contraire, l’attente – nous sommes au point crucial – est relation, c’est une dimension du mystère de la relation.

Seuls ceux qui ont de l’espoir ont de la patience. Seuls ceux qui éprouvent de l’espérance deviennent capables d’« endurer », de « soutenir par le bas » les différentes situations que présente l’existence. Ceux qui endurent attendent, espèrent et réussissent à tout supporter, parce que leur fatigue a le sens de l’attente, elle a la tension de l’attente, l’énergie qui aime attendre.

Nous savons que l’appel à la patience et à l’attente implique parfois l’expérience de la fatigue, du travail, de la douleur et de la mort.[19] Eh bien, la fatigue, la douleur et la mort démasquent l’illusion de posséder le temps, le sens du temps, la valeur du temps, le sens et la valeur de notre vie. Ce sont des expériences négatives, mais aussi positives, car la fatigue, la douleur et la mort peuvent être des occasions de redécouvrir le vrai sens du temps de la vie.

Et, répétons-le, il nous est demandé de « rendre raison de l’espérance qui est en nous », en devenant une annonce de la « Bonne Nouvelle » de Jésus et de son Évangile.

5. L’ORIGINE DE NOTRE ESPÉRANCE : EN DIEU AVEC DON BOSCO

Le P. Egidio Viganò a offert à la Congrégation et à la Famille Salésienne une réflexion intéressante sur le thème de l’espérance, en s’appuyant sur notre très riche tradition et en mettant en évidence certaines caractéristiques spécifiques de l’esprit salésien lues à la lumière de cette vertu théologale. C’est d’une manière particulière qu’il l’a fait, en commentant, pour les participants au Chapitre Général des Filles de Marie Auxiliatrice, le « Rêve des dix diamants » de Don Bosco.[20]

Compte tenu de la profondeur des contenus proposés, il me semble utile de rappeler la contribution du VIIème Successeur de Don Bosco pour rappeler à notre mémoire ce que, toujours dans la perspective de l’espérance, nous sommes tous appelés à vivre.

5.1 Dieu fidèle à l’origine de notre espérance

5.1.1 Bref rappel du rêve

Le récit de ce rêve extraordinaire, que Don Bosco a fait à San Benigno Canavese dans la nuit du 10 au 11 septembre 1881, est connu de tous. J’en rappellerai brièvement la structure.[21]

Le Rêve se déroule en trois scènes. Dans la première, le Personnage incarne le profil du Salésien : sur la face avant de son manteau, il y a cinq diamants, trois sur la poitrine, qui sont « Foi », « Espérance » et « Charité », et deux sur les épaules, qui sont « Travail » et « Tempérance » ; sur la face arrière, il y a cinq autres diamants, qui indiquent « Obéissance », « Vœu de Pauvreté », « Récompense », « Vœu de Chasteté », « Jeûne ». Le P. Rinaldi définit ce Personnage aux dix diamants : « Le modèle du vrai Salésien ».

Dans la deuxième scène, le Personnage montre l’altération du modèle : son manteau « était devenu décoloré, vermoulu et effiloché. À l’endroit où les diamants étaient fixés, il y avait, en revanche, des dommages profonds causés par les mites et d’autres petits insectes. Cette scène si triste et déprimante montre « l’inverse du vrai Salésien », l’anti-Salésien.

Dans la troisième scène, apparaît « un beau jeune homme vêtu d’un habit blanc brodé de fils d’or et d’argent [… d’aspect] majestueux, mais doux et aimable ». Il est porteur d’un message. Il exhorte les Salésiens à « écouter », à « comprendre », à rester « forts et courageux », à « témoigner » avec leurs paroles et leur vie, à « être prudents » dans l’accueil et la formation des nouvelles générations, à faire grandir sainement leur Congrégation.

Les trois scènes du rêve sont vivantes et provocatrices ; elles nous présentent une synthèse agile, personnalisée et théâtralisée de la spiritualité salésienne. Le contenu du rêve comporte certainement, dans l’esprit de Don Bosco, un cadre de référence important pour notre identité vocationnelle.

Le Personnage du rêve – comme on le sait – porte le diamant de l’espérance sur le devant, ce qui indique la certitude de l’aide d’En-Haut dans une vie entièrement créative, c’est-à-dire engagée dans la planification d’activités pratiques quotidiennes pour le salut, en particulier des jeunes. Avec les autres symboles associés aux vertus théologales, se dessine la physionomie d’un personnage sage et optimiste en raison de la foi qui l’anime, dynamique et créative grâce à l’espérance qui le motive, toujours homme de prière et humainement bon en raison de la charité qui l’imprègne.

En correspondance avec le diamant de l’espérance, au dos de la figure, on trouve le diamant de la « récompense ». Si l’espérance met visiblement en évidence le dynamisme et l’activité du Salésien dans l’édification du Royaume, si la constance de ses efforts et l’enthousiasme de son engagement se fondent sur la certitude de l’aide de Dieu, rendue présente par la médiation et l’intercession du Christ et de Marie, le diamant de la « récompense » souligne plutôt une attitude constante de la conscience qui imprègne et anime tout l’effort ascétique, selon la maxime familière de Don Bosco : « Un morceau de paradis arrange tout ! ».[22]

5.1.2 Don Bosco « géant » de l’espérance

Le Salésien, a dit Don Bosco, « est prêt à supporter la chaleur et le froid, la soif et la faim, les fatigues et le mépris, chaque fois que sont en jeu la gloire de Dieu et le salut des âmes. »[23]  Le soutien intérieur de cette capacité ascétique exigeante est la pensée du paradis comme reflet de la bonne conscience avec laquelle il travaille et vit. « Dans toute notre tâche, dans tous nos travaux, peines ou chagrins, n’oublions jamais qu’ […] Il tient le plus petit compte de chaque plus petite chose faite pour son saint Nom ; et il est de foi qu’en temps voulu, Il nous dédommagera abondamment. À la fin de notre vie, lorsque nous nous présenterons à son tribunal divin, en nous regardant avec un visage aimant, Il nous dira :  » Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur. » (Mt 25, 2l) ».[24] « Dans la fatigue et la souffrance, n’oubliez jamais que nous avons une grande récompense qui nous attend au Ciel. »[25] Et quand notre Père dit que le Salésien épuisé par trop de travail représente une victoire pour toute la Congrégation, il semble même suggérer une dimension de communion fraternelle dans la récompense, presque un sens communautaire du Paradis !

La pensée et la conscience continuelles du Paradis sont l’une des idées souveraines et l’une des valeurs motrices de la spiritualité typique de Don Bosco, et aussi de sa pédagogie. C’est comme faire la lumière et approfondir l’instinct fondamental de l’âme qui tend vitalement vers son but ultime.

Dans un monde soumis à la sécularisation et à la perte progressive du sens de Dieu, notamment en raison du bien-être et de certains progrès, il est important de résister à la tentation – pour nous et pour les jeunes avec qui nous marchons – qui nous empêche d’élever notre regard vers le Paradis et ne nous fait pas ressentir le besoin de soutenir et de nourrir un engagement ascétique vécu dans le travail quotidien. À sa place, un regard temporel s’élève peu à peu, selon un horizontalisme plus ou moins élégant, qui croit savoir découvrir l’idéal de tout dans le devenir humain et dans la vie présente. Tout le contraire de l’espérance ! Don Bosco a été l’un des grands hommes de l’espérance. Beaucoup d’éléments le prouvent. Son esprit salésien est tout entier imprégné des certitudes et de l’assiduité caractéristiques du dynamisme audacieux de l’Esprit Saint.

Je m’arrête brièvement pour rappeler comment Don Bosco a su traduire dans sa vie l’énergie de l’espérance sur deux fronts : l’engagement pour sa sanctification personnelle et la mission de salut pour les autres. Ou plutôt – et c’est là une caractéristique centrale de son esprit – sa sanctification personnelle à travers le salut des autres. Retenons la fameuse formule des trois « S » : « Salve Salvando Sàlvati » (Salut, en Sauvant [les autres], tu te Sauves toi-même).[26] On dirait un jeu mnémotechnique, comme un slogan pédagogique, mais c’est profond et cela indique comment les deux versants de la sanctification personnelle et du salut du prochain sont étroitement liés l’un à l’autre.

Dans le binôme « travail » et « tempérance », on perçoit que l’espérance a été vécue par Don Bosco comme une planification pratique et quotidienne d’une inlassable ardeur de sanctification et de salut. Sa foi l’a conduit à préférer, dans la contemplation du mystère de Dieu, son ineffable dessein de salut. Il voit dans le Christ le Sauveur de l’homme et le Seigneur de l’Histoire ; en sa Mère, Marie, l’Auxiliatrice des chrétiens ; dans l’Église, le grand Sacrement du Salut ; dans sa propre maturité chrétienne et dans la jeunesse nécessiteuse, le vaste champ du « pas-encore ». C’est pourquoi son cœur éclate dans le cri « Da mihi animas », Seigneur, accorde-moi de sauver la jeunesse et garde donc tout le reste ! Marcher à la suite du Christ [sequela Christi] et la mission en faveur des jeunes se fondent, dans son esprit, dans un seul dynamisme théologique qui constitue l’épine dorsale de l’ensemble.

Nous savons bien que la dimension de l’espérance chrétienne combine la perspective du « déjà » et du « pas encore » : quelque chose de présent et quelque chose en devenir qui, cependant, à partir d’aujourd’hui, commence à se manifester en plénitude même si « pas encore ».

5.1.3 Caractéristiques de l’espérance chez Don Bosco

La certitude du « déjà »

Lorsque nous demandons à la théologie quel est l’objet formel de l’espérance, elle répond que c’est la conviction intime de la présence de Dieu qui aide, qui secourt et assiste, la certitude intérieure de la puissance de l’Esprit Saint, l’amitié avec le Christ victorieux qui nous fait dire avec saint Paul : « Je peux tout en celui qui me donne la force. » (Ph 4,13)

Le premier élément constitutif de l’espérance est donc la certitude du « déjà ». L’espérance stimule la foi à s’exercer dans la considération de la présence salvifique de Dieu dans les vicissitudes humaines, de la puissance de l’Esprit dans l’Église et dans le monde, de la royauté du Christ sur l’histoire, des valeurs baptismales qui ont commencé en nous la vie de la résurrection.

Le premier élément constitutif de l’espérance est donc l’exercice de la foi en l’essence de Dieu comme Père miséricordieux et Sauveur, en ce que Jésus-Christ a déjà fait pour nous, en la Pentecôte comme début de l’ère de l’Esprit Saint, en ce qui est déjà en nous par le Baptême, par les sacrements, par la vie dans l’Église, par l’appel personnel de notre vocation. Il est nécessaire de réfléchir que la foi et l’espérance s’échangent en nous, que leurs dynamismes se stimulent et se complètent mutuellement et nous font vivre dans le climat créatif et transcendant de la puissance de l’Esprit Saint.

La conscience claire du « pas-encore »

Le deuxième élément constitutif de l’espérance est la conscience du « pas-encore ». Il ne semble pas très difficile de l’avoir, mais l’espérance exige une conscience claire non pas tant de ce qui est mauvais et injuste, que de ce qui manque à la stature du Christ dans le temps et, par conséquent, de ce qui est injuste et péché, et aussi de ce qui est immature, partiel ou retardé dans l’édification du Royaume.

Cela présuppose, comme cadre de référence, une connaissance claire du dessein divin de salut, sur lequel se greffent la capacité critique et le discernement de celui qui espère. Ainsi, la critique de l’homme d’espérance n’est pas simplement psychologique ou sociologique, mais transcendante, selon l’orbite théologale de la « nouvelle créature » ; elle fait également appel aux apports des sciences humaines et les dépasse de loin.

Avec la conscience du « pas-encore », celui qui espère perçoit ce qui est mal, ce qui n’est pas encore mûr, ce qui est semence pour le Royaume de Dieu, et s’engage à faire grandir le bien et à combattre le péché dans la perspective historique du Christ. La capacité de discernement du « pas-encore » se mesure toujours à la certitude du « déjà ». C’est pourquoi, et je dirais surtout dans les moments difficiles, ceux qui espèrent poussent et stimulent leur foi à découvrir les signes de la présence de Dieu et les médiations qui nous guident dans l’orbite tracée par Lui. C’est une qualité très importante aujourd’hui : savoir identifier les graines pour les aider à éclore et à pousser.

Comment peut-on espérer s’il n’y a pas cette capacité de discernement ? Il ne suffit pas de pouvoir percevoir tout le poids du mal, il faut aussi être sensible à la source « qui brille autour de nous ». Ainsi, en ces temps que nous qualifions de difficiles (et ils le sont vraiment, en comparaison de ceux que nous vivions avant une certaine tranquillité), l’espérance nous aide à percevoir qu’il y a aussi tant de bien dans le monde et que quelque chose est en train de grandir.

L’assiduité salvifique

Un troisième élément constitutif de l’espérance est son exigence opérationnelle accompagnée de l’engagement concret de sanctification, d’inventivité et de sacrifice apostoliques. Il faut collaborer avec le « déjà » en croissance ; il est urgent d’avancer pour lutter contre le mal en nous-mêmes et chez les autres, en particulier chez les jeunes dans le besoin.

Le discernement du « déjà » et du « pas-encore » a besoin de se traduire dans la pratique de la vie, en s’ouvrant aux résolutions, aux projets, à la révision, à l’inventivité, à la patience et à la constance. Tout ne se passera pas « comme nous l’espérions » : il y aura des échecs, des déboires, des chutes, des malentendus. L’espérance chrétienne participe aussi naturellement aux ténèbres de la foi.

5.1.4 Les « fruits » de l’espérance chez Don Bosco

Des trois éléments constitutifs de l’espérance, que je viens d’indiquer, découlent des fruits particulièrement significatifs pour l’esprit salésien de Don Bosco.

La joie

Du premier élément constitutif – la certitude du « déjà » – découle la joie comme fruit le plus caractéristique. Toute véritable espérance explose en joie.

L’esprit salésien assume la joie de l’espérance à travers une affinité qui lui est propre. Même la biologie nous en suggère quelques exemples. La jeunesse, qui est l’espérance humaine (et qui suggère ainsi une certaine analogie avec le mystère de l’espérance chrétienne), est avide de joie. Et nous, nous voyons Don Bosco traduire l’espérance en un climat de joie pour les jeunes à sauver. Dominique Savio, qui a grandi à son école, disait : « Ici, nous faisons consister la sainteté à vivre toujours très joyeux. » Il ne s’agit pas d’une hilarité superficielle propre au monde, mais d’une joie intérieure, d’un substrat de victoire chrétienne, d’une harmonie vitale avec l’espérance, qui explose de joie. Une joie qui procède, en définitive, des profondeurs de la foi et de l’espérance.

Il n’y a rien à faire : si nous sommes tristes, c’est parce que nous sommes superficiels. Je comprends qu’il y ait une tristesse chrétienne : Jésus-Christ l’a vécue. À Gethsémani, son âme était triste à en mourir, il transpirait des gouttes de sang. C’est certainement une autre forme de tristesse.

Cependant, l’affliction ou la mélancolie par laquelle une religieuse a l’impression de n’être comprise de personne, que les autres ne la prennent pas en considération, qu’ils éprouvent de la jalousie ou ne comprennent pas ses qualités, etc., c’est une tristesse qui ne doit pas être alimentée. À cela il faut opposer la profondeur de l’espérance : Dieu est avec moi et m’aime ; qu’importe que les autres n’aient pas beaucoup de considération pour moi ?

La joie, dans l’esprit salésien, est une atmosphère quotidienne ; elle découle d’une foi qui espère et d’une espérance qui croit, c’est-à-dire de ce dynamisme de l’Esprit Saint qui annonce en nous la victoire sur le monde ! La joie est indispensable pour témoigner authentiquement de ce que nous croyons et espérons. L’esprit salésien est d’abord cela et non pas une réduction à de simples observances et mortifications. L’espérance nous conduira aussi à faire de nombreuses mortifications, mais comme des entraînements à l’envol et non comme des punitions de prison ! Donc l’espérance est source d’une grande joie !

Le monde essaie de surmonter ses limites et sa désorientation avec une vie remplie de sensations excitantes. Il cultive la promotion et la satisfaction des sens, le film inconvenant, l’érotisme, la drogue, etc. C’est une façon d’échapper à une situation passagère qui semble n’avoir aucun sens, de chercher quelque chose qui frise la « caricature de la transcendance ».

La patience

Un autre « fruit » de l’espérance – qui procède de la conscience du « pas-encore » – est la patience. Toute espérance implique une indispensable dose de patience. La patience est une attitude chrétienne intrinsèquement liée à l’espérance dans son long « pas-encore », avec ses troubles, ses difficultés et ses obscurités. Croire en la résurrection et travailler pour la victoire de la foi, alors que l’on est mortel et plongé dans le transitoire, exige une structure intérieure d’espérance qui conduit à la patience.

L’expression la plus sublime de patience chrétienne a été vécue par Jésus, surtout pendant sa Passion et sa mort. C’est une patience fructueuse, précisément à cause de l’espérance qui l’anime. Ici, dans la patience, plutôt que d’initiative et d’action, il s’agit d’acceptation consciente et de passivité vertueuse qu’Il supporte en vue de la réalisation du projet de Dieu.

L’esprit salésien de Don Bosco nous rappelle souvent la patience. Dans l’introduction des Constitutions, Don Bosco rappelle, en faisant allusion à saint Paul, que les peines que nous avons à endurer dans cette vie n’ont rien à voir avec la récompense qui nous attend : « Il avait l’habitude de dire :  » Courage ! Que l’espérance nous soutienne, quand la patience viendrait à manquer. » »[27] « Ce qui soutient la patience, ce doit être l’espérance de la récompense. »[28]

Mère Mazzarello insistait également sur ce point. L’un de ses premiers biographes, le P. Ferdinando Maccono, affirme que l’espérance l’a toujours réconfortée en la soutenant dans ses souffrances, dans ses infirmités, dans ses doutes, et l’a réjouie à l’heure de sa mort : « Son espérance était très vive et très active. Il me semble, a témoigné une religieuse, que l’espérance l’animait en tout et qu’elle cherchait à l’instiller chez les autres. Elle nous exhortait à bien porter les petites croix quotidiennes et à tout faire avec une grande pureté d’intention. »[29] L’espérance est la mère de la patience et la patience est la défense et le bouclier de l’espérance.

La sensibilité éducative

Du troisième élément constitutif de l’espérance – « l’assiduité salvifique » – procède un autre fruit : la sensibilité éducative. Il s’agit d’une initiative d’engagement approprié, à la fois dans le contexte de sa propre sanctification (à la suite du Christ – sequela Christi) et dans le contexte du salut des autres (mission). Elle comporte un engagement pratique, mesuré et constant, traduit par Don Bosco en une méthodologie concrète qui implique les attentions suivantes :

  • la perspicacité (ou « sainte » ruse) : lorsqu’il s’agit d’avoir des initiatives, de résoudre des problèmes, Don Bosco fait de son mieux sans prétention au perfectionnisme, mais avec un humble sens pratique ; il répétait souvent cette phrase: « Le mieux est l’ennemi du bien ».[30]

  • L’audace. Le mal est organisé, les enfants des ténèbres agissent avec intelligence. L’Évangile nous dit que les enfants de la lumière doivent être plus astucieux et plus courageux. C’est pourquoi, pour travailler dans le monde, il faut s’armer d’une prudence authentique – l’« auriga virtutum » – c’est-à-dire « la mère des vertus » qui nous rend agiles, opportuns et pénétrants dans l’application de la véritable intrépidité dans le bien.

  • La magnanimité. Nous ne devons pas limiter notre regard aux murs de la maison. Nous avons été appelés par le Seigneur à sauver le monde, nous avons une mission historique plus importante que celle des astronautes ou des hommes de science… Nous nous engageons pour la libération intégrale de l’homme. Notre esprit doit s’ouvrir à des visions très amples. Don Bosco voulait que nous soyons « à l’avant-garde du progrès » (et il s’agissait, quand il prononça cette phrase, des moyens de communication sociale).

Nous connaissons la magnanimité de Don Bosco dans l’initiation des jeunes aux responsabilités apostoliques ; pensons, par exemple, aux premiers missionnaires qui sont partis pour l’Amérique. Les Salésiens et les Filles de Marie Auxiliatrice n’étaient guère plus que de très jeunes garçons et filles !

Don Bosco se mouvait dans de vastes horizons. Ni le Valdocco ni Mornèse ne lui suffisaient ; il ne pouvait rester seulement dans les limites de Turin, du Piémont, de l’Italie ou de l’Europe. Son cœur battait au rythme de celui de l’Église universelle, parce qu’il se sentait comme investi de la responsabilité du salut de toute la jeunesse nécessiteuse du monde. Il voulait que les Salésiens sentent comme leurs tous les problèmes les plus importants et les plus urgents de l’Église concernant les jeunes, pour être disponibles partout. Et, tout en cultivant la magnanimité des projets et des initiatives, il était concret et pratique dans leur mise en œuvre, avec le sens de la gradualité et avec la modestie des débuts.

Sur le visage du Salésien, la magnanimité doit toujours briller comme une note de sympathie : il ne doit pas être une petite tête sans visions, mais avoir une grandeur d’âme parce qu’il a un cœur habité par l’espérance.

Charles Péguy, avec son acuité un peu violente, écrit : « Une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d’agir. Les lâches sont des gens qui regorgent d’explications. » Sur le visage salésien, doivent toujours briller comme une note de sympathie la mystique de la décision et l’humble audace du pragmatisme. Don Bosco était déterminé dans ses engagements à faire le bien, même s’il ne pouvait pas commencer par le meilleur ; il disait que ses œuvres commençaient sans doute dans le désordre pour tendre ensuite vers l’ordre !

À côté de la profondeur de la contemplation, de la joie de la filiation divine, de l’enthousiasme de la gratitude et de l’optimisme (qui viennent de la « foi »), l’espérance dessine aussi sur le visage du Salésien le courage de l’initiative, l’esprit de sacrifice de la patience, la sagesse de la gradualité pédagogique, l’utopie de la magnanimité, la modestie de la praticité, la prudence de la ruse et le sourire de la joie.

5.2 La fidélité de Dieu : jusqu’à la fin

Jusqu’à présent, nous avons jeté un coup d’œil sur ce que Don Bosco et nos saints et bienheureux ont clairement exprimé dans leur vie. Ce sont des éléments qui poussent chacun de nous, personnellement et en tant que Famille Salésienne, à faire ressortir ou – pour reprendre les paroles du P. Egidio Viganò – à faire resplendir cette espérance dont nous sommes appelés à « rendre raison », en particulier aux jeunes et, parmi eux, les plus pauvres.

Le temps est venu de « jeter un coup d’œil » un peu au-delà de ce qui est « immédiatement visible » et de chercher à savoir ce qui attend notre vie et nous donne le courage d’attendre avec ardeur alors que nous coopérons à la venue du « jour du Seigneur ». C’est pourquoi, en reprenant toujours l’analyse franche et intense du VIIème Successeur de Don Bosco, concentrons notre attention sur la perspective de la « récompense ».

Le diamant de la « récompense » est placé avec quatre autres à l’arrière du manteau du Personnage du rêve. C’est presque un secret, une force qui opère de l’intérieur, qui nous donne l’impulsion et nous aide à soutenir et à défendre les grandes valeurs vues sur la partie antérieure. Il est intéressant d’observer que le diamant de la « récompense » est placé sous celui de la « pauvreté », car il a certainement une relation avec les « privations » qui lui sont liées.

Sur ses rayons, on lit les paroles suivantes : « Si la grandeur des récompenses vous attire, ne vous effrayez pas de la quantité des peines à subir. » « Ceux qui souffrent avec Moi, avec Moi se réjouiront. » « Ce que nous souffrons sur la terre est momentané, ce qui fera la joie de mes amis du Ciel est éternel. »

Le vrai Salésien a dans son imagination, dans son cœur, dans ses désirs, dans ses horizons de vie la vision de la récompense, comme plénitude des valeurs proclamées par l’Évangile. Pour cette raison, « il est toujours joyeux. Il répand cette joie et sait éduquer au bonheur de la vie chrétienne et au sens de la fête ».[31]

Dans la maison de Don Bosco et dans nos maisons salésiennes, on parlait beaucoup du Paradis. C’était une idée permanente et omniprésente résumée dans quelques dictons célèbres : « Pain, travail et paradis » ;[32] « Un morceau de paradis arrange tout ».[33] Ce sont des phrases récurrentes au Valdocco et à Mornèse.

Certes, beaucoup de Filles de Marie Auxiliatrice se souviendront de la description donnée par Mère Enrichetta Sorbone de l’esprit de Mornèse : « Ici nous sommes au Paradis ; dans la maison il y a un air de Paradis ! ».[34] Et ce n’était certainement pas à cause des privations ou de l’absence de problèmes. C’était comme la traduction spontanée, jaillissant du cœur, de la pancarte que Don Bosco avait fait placer : « Servite Domino in lætitia » [Servez le Seigneur dans la joie].[35] Dominique Savio avait aussi perçu la même atmosphère chaleureuse et transcendante de la vie : « Ici, nous faisons consister la sainteté à vivre toujours très joyeux. »[36]

Dans les biographies de Dominique Savio, de François Besucco et de Michel Magon, Don Bosco, décrivant également leur agonie, tient à souligner cette joie ineffable, alliée à une véritable aspiration au Paradis. Bien plus que l’horreur de la mort, ses garçons ressentent l’attrait de Pâques.

La pensée de la récompense est l’un des fruits de la présence de l’Esprit Saint, c’est-à-dire de l’intensité de la foi, de l’espérance et de la charité, toutes les trois ensemble, même si cette pensée est plus étroitement liée à l’espérance. Elle instille dans le cœur une joie et une gaieté qui viennent d’en haut et trouvent une belle harmonie avec les mêmes tendances innées du cœur humain. Nous le voyons en vivant parmi les garçons et les filles : les jeunes ressentent avec une plus grande fraîcheur que l’homme est né pour le bonheur. Mais nous n’avons même pas besoin d’aller chercher cela parmi les jeunes. Prenons un miroir et regardons-nous : nous avons juste besoin d’écouter les battements de notre cœur. Nous sommes nés pour le bonheur, nous l’attendons même sans l’avouer.

L’idée du Paradis, toujours présente dans la maison de Don Bosco, n’est pas une utopie de tromperies naïves, ce n’est pas la carotte qui trompe le cheval pour qu’il avance plus vite, c’est l’angoisse substantielle de notre être. Et c’est surtout la réalité de l’amour de Dieu, de la résurrection de Jésus-Christ à l’œuvre dans l’histoire, et c’est la présence vivante de l’Esprit Saint qui poussent, en fait, vers la récompense.

Don Bosco ne méprise aucune joie des jeunes. Au contraire, il la suscite, l’augmente, la développe. La fameuse « joie » en laquelle il fait consister la sainteté n’est pas seulement une joie intime, cachée dans le cœur comme fruit de la Grâce. Celle-ci en est la racine. Elle s’exprime aussi à l’extérieur, dans la vie, dans la cour de récréation et dans le sens de la fête.

Quelle ardeur dans la célébration des solennités religieuses, des jours de fête à l’Oratoire ! Don Bosco prenait même soin à organiser la célébration de sa propre fête, non pas pour lui-même, mais pour créer une atmosphère de reconnaissance joyeuse dans la maison.

Pensons aux courageuses promenades d’automne : deux ou trois mois pour les préparer, 15 ou 20 jours pour les vivre. Puis les souvenirs prolongés et les commentaires : une joie très étendue dans le temps. Quelle imagination et quel courage ! De Turin aux Becchi, à Gênes, à Mornèse, à de nombreuses villes du Piémont, avec des dizaines et des dizaines de jeunes… La promenade, le jeu, la musique, le chant, le théâtre sont des éléments substantiels du Système Préventif qui, même en tant que méthode pédagogique, suppose une spiritualité appropriée et explosive, fruit d’une foi, d’une espérance et d’une charité convaincues, valeurs du ciel vécues ici même sur terre.

Le Paradis apparaissait toujours au ciel du Valdocco, de jour comme de nuit, avec ou sans nuages. Témoigner aujourd’hui des valeurs de la récompense est une prophétie urgente pour le monde et en particulier pour les jeunes. Qu’est-ce que la civilisation technico-industrielle a apporté à la société de consommation ? Une énorme possibilité de confort et de plaisir avec, pour conséquence, une grande tristesse.

Entre autres choses, nous lisons dans les Constitutions des Salésiens de Don Bosco – mais cela s’applique à chaque chrétien – que « le Salésien [est] un signe de la force de la résurrection » et que « dans la simplicité et le travail de la vie quotidienne », il est « un éducateur qui annonce aux jeunes « des cieux nouveaux et une terre nouvelle « , [en stimulant] en eux les engagements et la joie de l’espérance. »[37]

À Mornèse et au Valdocco, il n’y avait ni confort ni dictature et tout respirait la spontanéité et la joie. Le progrès technique a facilité beaucoup de choses aujourd’hui, mais la vraie joie de l’homme n’a pas augmenté. Au contraire, l’angoisse et les nausées ont augmenté, le manque de sens de l’existence s’est aggravé, ce que nous continuons malheureusement de constater – surtout dans les sociétés riches – avec les statistiques tragiques des suicides d’adolescents et de jeunes.

Aujourd’hui, en plus de la pauvreté matérielle qui afflige encore une très grande partie de l’humanité, il devient urgent de trouver un moyen de faire percevoir aux jeunes le sens de la vie, les idéaux supérieurs, l’originalité de Jésus-Christ. On recherche le bonheur, tendance humaine fondamentale, mais le bon chemin pour y parvenir n’est plus connu, et donc grandit une immense désillusion.

Les jeunes, également à cause du manque d’adultes significatifs, se sentent incapables d’affronter la souffrance, le devoir et l’engagement définitif. Le problème de la fidélité aux idéaux et à sa propre vocation est devenu crucial. Les jeunes se sentent incapables d’assumer souffrances et sacrifices. Ils vivent dans une atmosphère où triomphe le divorce entre amour et sacrifice, de telle sorte que la recherche et l’atteinte du bien-être finissent par asphyxier la capacité d’aimer et, par conséquent, de rêver l’avenir.

À juste titre, comme nous l’avons dit, le diamant de la récompense est placé sous celui de la pauvreté, comme pour indiquer que les deux se complètent et se soutiennent mutuellement. En effet, la pauvreté évangélique implique une vision concrète et transcendante de l’ensemble de la réalité, avec une perspective réaliste également en ce qui concerne le renoncement, la souffrance, les revers, les privations et les douleurs.

Quelle est l’énergie intérieure qui fait tout affronter avec confiance et un visage souriant, sans se décourager ? C’est, en fin de compte, le sens de la présence du Ciel sur la terre. Ce sens vient de la foi, de l’espérance et de la charité qui nous font relire toute notre existence dans la perspective de l’Esprit Saint.

Le monde a un besoin urgent de prophètes qui annonceraient par leur vie la grande vérité du Paradis. Non pas une évasion aliénante, mais une réalité intense et stimulante ! C’est pourquoi, dans l’esprit de Don Bosco, il y a un souci constant de cultiver la familiarité avec le Paradis, presque comme s’il constituait le firmament de l’esprit, l’horizon du cœur salésien : nous travaillons et luttons avec la certitude d’une récompense, en regardant vers la Patrie céleste, vers la maison de Dieu, vers la Terre Promise.

Il est important de souligner que la perspective de la récompense ne consiste pas de manière réductrice dans l’obtention d’une « gratification », d’une sorte de consolation pour une vie vécue au milieu de nombreux sacrifices, de souffrances… Rien de tout cela ! S’il ne s’agissait que d’une « récompense », cela ressemblerait à du chantage. Mais Dieu n’agit pas de cette façon. Dans son amour, il ne peut offrir que Lui-même à l’homme. C’est, comme le dit Jésus, la vie éternelle : la connaissance du Père. Où « connaître » signifie « aimer », devenir pleinement participants de Dieu, en continuité avec l’existence terrestre vécue « en grâce », c’est-à-dire dans l’amour pour Dieu et pour ses frères et sœurs.

Sur ce chemin, nous sommes invités à tourner notre regard vers Marie qui se rend présente comme une aide quotidienne, comme une Mère prévenante et Auxiliatrice des chrétiens. Don Bosco est sûr de la présence de Celle-ci parmi nous et veut des signes qui nous le rappellent. Pour Elle, il a construit une Basilique, Centre d’animation et de diffusion de la vocation salésienne. Il voulait Son image dans nos milieux de vie ; il liait toute initiative apostolique à Son intercession et en commentait avec émotion l’efficacité réelle et maternelle. Rappelons-nous, par exemple, ce qu’il a dit aux Filles de Marie Auxiliatrice dans la maison de Nice-Montferrat : « La Madone est vraiment ici, ici au milieu de vous ! La Madone déambule dans cette maison et la couvre de son manteau. »[38]

En plus d’Elle, nous cherchons aussi d’autres amis dans la maison de Dieu : nos Saints et Bienheureux, à commencer par les visages qui nous sont le plus familiers et qui font partie de ce que l’on appelle le « jardin salésien ».

Nous ne faisons pas ces choix pour diviser la grande maison de Dieu en petits appartements privés, mais plutôt pour nous y sentir plus facilement chez nous et pouvoir parler de Dieu, du Père, du Fils, de l’Esprit Saint, du Christ et de Marie, de la création et de l’histoire, non pas avec la trépidation de quelqu’un qui a écouté la prestigieuse leçon d’un grand penseur, difficile et même hermétique, mais avec le sentiment de familiarité et de simplicité joyeuse avec lequel nous conversons avec ceux qui ont été nos parents, nos frères et sœurs, nos collègues et nos compagnons de travail. Certains d’entre eux, nous ne les avons pas connus de leur vivant, mais nous les sentons proches de nous et il nous inspirent une confiance particulière. Parler avec saint Joseph, avec Don Bosco, avec Mère Mazzarello, avec Don Rua, avec Dominique Savio, avec Laura Vicuña, avec le P. Rinaldi, avec Mgr Versiglia et le P. Caravario, avec Sœur Thérèse Valsè, avec Sœur Eusebia Palomino, etc., c’est vraiment un dialogue « de maison », un dialogue familial.

C’est ce que nous suggère le diamant de la récompense : se sentir chez soi avec Dieu, avec le Christ, avec Marie, avec les Saints ; sentir leur présence dans sa propre maison, dans une atmosphère familiale qui donne un sentiment de Paradis à l’environnement quotidien de la vie.

6. AVEC MARIE, ESPÉRANCE ET PRÉSENCE MATERNELLE

Au terme de ce commentaire, nous ne pouvons que tourner notre cœur et notre regard vers la Vierge Marie, comme Don Bosco nous l’a enseigné. L’espérance requiert la confiance, la capacité de se donner et de se confier. Dans tout cela, nous avons une guide et une maîtresse de vie en la Très Sainte Vierge Marie. Elle nous témoigne qu’espérer, c’est se confier et se donner, et c’est vrai autant pour l’existence que pour la vie éternelle.

Sur ce chemin, la Vierge Marie nous prend par la main, nous apprend à faire confiance à Dieu et à nous donner librement à l’amour transmis par son Fils Jésus. L’indication et la « carte de navigation » qu’Elle nous présente sont toujours les mêmes : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »[39] Une invitation que nous assumons dans notre vie de tous les jours.

En Marie, nous voyons la réalisation de la Récompense. Marie incarne en elle-même l’attractivité et le caractère concret de la Récompense :

« Ayant accompli le cours de sa vie terrestre, Elle fut élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l’univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs, victorieux du péché et de la mort. »[40]

On peut lire sur ses lèvres de belles expressions de saint Paul. Comme ces expressions sont inspirées par l’Esprit Saint, Époux de Marie, Elle les partage certainement.

Voici ces belles expressions :

« Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous : alors, qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? (…)

Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. »[41]

Bien chers frères et sœurs, bien chers jeunes,

Marie Auxiliatrice, Don Bosco et tous nos Saints et Bienheureux sont proches de nous en cette année extraordinaire. Qu’ils nous accompagnent pour vivre en profondeur les exigences du Jubilé, en nous aidant à mettre au centre de notre vie la personne de Jésus-Christ, « le Sauveur annoncé dans l’Évangile, qui vit aujourd’hui dans l’Église et dans le monde ».[42]

Qu’ils nous exhortent, à l’exemple des premiers et des premières missionnaires envoyés par Don Bosco, à faire de notre vie toujours et partout un don gratuit pour les autres, en particulier pour les jeunes et parmi eux les plus pauvres.

Pour finir, un souhait : que cette année fasse grandir en nous la prière pour la paix, pour une humanité pacifiée. Invoquons le don de la paix – le shalom biblique – qui contient tous les autres dons et ne trouve son accomplissement que dans l’espérance.

Avec mon affection fraternelle

Père Stefano Martoglio, S.D.B.

Vicaire du Recteur Majeur Rome, le 31 décembre 2024


[1] Pape François, Spes non confundit. Bulle d’indiction du Jubilé Ordinaire de l’An 2025, Cité du Vatican, 9 mai 2024.

[2] Ibidem

[3] Cf. Rm 8,39.

[4] Cf. Rm 5,3-5

[5] Missel romain

[6] Byung-Chul Han, El espíritu de la esperanza [L’esprit de l’espérance], Herder, Barcelona 2024, p.18

[7] C. Paccini – S. Troisi, Siamo nati e non moriremo mai più. Storia di Chiara Corbella Petrillo,[Nous sommes nés et nous ne mourrons plus jamais. Histoire de Chiara Corbella Petrillo], Porziuncola, Assise (PG) 2001.

[8] Gabriel Marcel, Philosophie der Hoffnung [Philosophie de l’Espérance], Munich, List 1964.

[9] Erich Fromm, La revolución de la esperanza [La révolution de l’Espérance], Mexico 1970.

[10] 1P 3,15.

[11] Pape François, Spes non confundit, 9.

[12] Jn 17,3.

[13] Cf. Rm 4,18

[14] BenoÎt XVI, Encyclique Deus Caritas est, Cité du Vatican, 25 décembre 2005, n. 1.

[15] Constitutions SDB, 3.

[16] Thomas d’Aquin, Summa theologiae, IIª-IIae q. 17 a. 8 co.

[17] Cf. Emmanuel LÉvinas, La totalité et l’infini. Essai sur l’extériorité, Jaca Book, Milan 2023.

[18] Pour ces réflexions, je me suis inspiré de la riche réflexion de l’Abbé Général de l’Ordre des Cisterciens M. G. Lepori, Chapitres de l’Abbé Général OCist au CFM 2024. Espérer en Christ. Disponible en plusieurs langues à l’adresse suivante : www.ocist.org

[19] Cf. Rm 5,3-5

[20] Egidio ViganÒ, Un progetto evangelico di vita attiva [Un projet évangélique de vie active], Elle Di Ci, Leumann (TO) 1982, 68-84.

[21] Cf. Egidio ViganÒ, Profilo del Salesiano nel sogno del personaggio dai dieci diamanti [Profil du Salésien dans le rêve du personnage aux dix diamants], in ACS 300 (1981), 3-37. L’intégralité du récit du rêve se trouve dans ACS 300 (1981), 40-44 ; ou dans MB XV, 182-187.

[22] MB VIII, 444.

[23] Const. SDB, 18.

[24] Pietro Braido (sous la direction de), Don Bosco Fondatore “Ai Soci Salesiani”(1875-1885). Introduzione e testi critici [Don Bosco Fondateur « Aux Confrères Salésiens » (1875-1885). Introduction et textes critiques], LAS, Rome 1995, 159.

[25] MB VI, 442.

[26] MB VI, 409.

[27] MB XII, 458.

[28] Ibidem

[29] Ferdinando Maccono, Santa Maria Domenica Mazzarello. Co-fondatrice e prima Superiora Generale delle FMA [Sainte Marie-Dominique Mazzarello. Cofondatrice des FMA], Vol. I, FMA, Turin 1960, 398.

[30] MB X, 716.

[31] Const. SDB, 17.

[32] MB XII, 600.

[33] MB VIII, 444.

[34] Cité dans E. Viganò, Redécouvrir l’esprit de Mornèse, dans ACS (1981), 62.

[35] Salle 99.

[36] MB V, 356.

[37] Const. SDB, 63. Voir aussi E. ViganÒ, « Rendre raison de la joie et des engagements de l’espérance, en témoignant des richesses insondables du Christ ». Étrenne 1994. Commentaire du Recteur Majeur, Istituto Figlie di Maria Ausiliatrice, Rome 1993.

[38] G. Capetti, Il cammino dell’Istituto nel corso di un secolo [Le chemin de l’Institut au cours d’un siècle], Vol. I, FMA, Rome 1972-1976, 122.

[39] Jn 2,5.

[40] Lumen Gentium, 59.

[41] Rm 8,34-39.

[42] Const. SDB, 196.




Quel cadeau, le temps !

Le début de la nouvelle année, dans notre liturgie, est illuminé par la très ancienne bénédiction par laquelle les prêtres israélites bénissaient le peuple : « Que le Seigneur te bénisse et te garde. Que le Seigneur fasse briller son visage sur toi et te fasse grâce, que le Seigneur tourne son visage vers toi et te donne la paix. »

Chers amis et lecteurs du Bulletin Salésien, au début d’une nouvelle année présentons les uns aux autres nos meilleurs vœux pour le temps à venir, pour le temps qui vient : un cadeau qui contient tous les autres cadeaux pour tous les moments de notre vie.
Mais remplissons ces vœux de contenus qui les illuminent. Donnons la parole à Don Bosco qui, lorsqu’il est arrivé au séminaire de Chieri, s’est attardé sur le cadran solaire qui, encore aujourd’hui, trône sur le mur de la cour. Voici son récit : « En levant les yeux vers un cadran solaire, je lus ce vers : Afflictis lentae, celeres gaudentibus horae. Voilà, dis-je à mon ami, voilà notre programme : restons toujours joyeux et le temps passera vite » (Memorie Biografiche I, 374). Le premier souhait que nous échangeons, pour le vivre, est celui que Don Bosco nous rappelle : vis bien, vis serein et transmets la sérénité à ceux qui t’entourent, le temps aura une autre valeur ! Chaque moment du temps est un trésor, mais c’est un trésor qui passe vite. Le commentaire de Don Bosco était toujours le suivant : « Les trois ennemis de l’homme sont : la mort (qui le surprend) ; le temps (qui lui échappe), le démon (qui lui tend ses pièges) » (MB V, 926).
« Souviens-toi qu’être heureux ce n’est pas avoir un ciel sans tempêtes, une route sans accidents, un travail sans effort, des relations sans déceptions », disait-on autrefois en guise de souhait. « Être heureux ce n’est pas seulement célébrer les succès, mais apprendre les leçons de nos échecs. Être heureux c’est reconnaître qu’il vaut la peine de vivre la vie, malgré tous les défis, les incompréhensions et les périodes de crise. C’est remercier Dieu chaque matin pour le miracle de la vie. »
Un sage avait dans son bureau une énorme horloge à pendule qui, à chaque heure, sonnait avec une lenteur solennelle, mais aussi avec un grand retentissement. « Mais cela ne vous dérange pas ? » demanda un étudiant.
« Non, répondit le sage, car ainsi, à chaque heure, je suis contraint de me demander : qu’ai-je fait de l’heure qui vient de s’écouler ? »
Le temps est la seule ressource non renouvelable. Il s’écoule à une vitesse incroyable. Nous savons que nous n’aurons pas une autre chance. C’est pourquoi tout le bien que nous pouvons faire, l’amour, la bonté et la gentillesse dont nous sommes capables, nous devons les donner maintenant. Parce que nous ne reviendrons pas sur cette terre une autre fois. Avec un perpétuel voile de remords au plus intime de nous-mêmes, nous sentons que Quelqu’un nous demandera : « Qu’as-tu fait de tout ce temps que je t’ai donné ? »

Notre espérance s’appelle Jésus
Dans le nouveau temps que nous venons de commencer, les dates et les chiffres d’un calendrier sont des signes conventionnels, signes et chiffres inventés pour mesurer le temps. Dans le passage de l’année écoulée à la nouvelle année, très peu de choses ont changé, et pourtant la perception d’une année qui se termine nous oblige toujours à faire un bilan. Combien avons-nous aimé ? Combien avons-nous perdu ? Combien sommes-nous devenus meilleurs, ou combien sommes-nous devenus pires ? Le temps qui passe ne nous laisse jamais pareils.
Au lever de la nouvelle année, la liturgie a une manière particulière de nous faire faire un bilan. Elle le fait à travers les mots initiaux de l’Évangile de saint Jean, des mots qui peuvent sembler difficiles mais qui reflètent en réalité la profondeur de la vie : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait de tout ce qui existe. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, mais les ténèbres ne l’ont pas accueillie. » Au fond de chaque vie résonne une Parole plus grande que nous. C’est la raison pour laquelle nous existons, que le monde existe, que chaque chose existe. Cette Parole, ce Verbe, est Dieu lui-même, est le Fils, est Jésus. Le nom de la cause pour laquelle nous avons été créés s’appelle Jésus.
C’est Lui la véritable raison pour laquelle chaque chose existe, et c’est en Lui que nous pouvons comprendre ce qui existe. Notre vie ne doit pas être jugée en la confrontant à l’histoire, aux événements et aux mentalités. Notre vie ne peut pas être jugée en nous regardant nous-mêmes et notre seule expérience. Notre vie est compréhensible seulement si nous l’approchons de Jésus. En Lui, tout prend un sens et une signification, même ce qui nous est arrivé de contradictoire et d’injuste. C’est en regardant Jésus que nous comprenons quelque chose de nous-mêmes. Un psaume le dit bien quand il affirme : « À ta lumière, nous voyons la lumière. »
Telle est la façon de voir le Temps selon le Cœur de Dieu, et c’est ainsi que nous espérons vivre ce nouveau temps.
À nous tous, à la famille salésienne, à la Congrégation la nouvelle année apportera d’importants événements et nouveautés. Toutes dans la grâce du Jubilé que nous vivons dans l’Église.
Dans l’esprit du Jubilé, laissons-nous porter par l’Espérance qui est la présence de Dieu dans notre vie.
Le mois de janvier, premier mois de cette nouvelle année, est parsemé de fêtes salésiennes qui nous mènent à la Fête de Don Bosco. Remercions Dieu pour sa délicatesse qui nous permet de commencer ainsi la nouvelle année.
Laissons le mot de la fin à Don Bosco et fixons dans notre mémoire cette maxime, pour qu’elle façonne notre 2025 : Mes chers fils, gardez le temps et le temps vous gardera éternellement (MB XVIII 482, 864).




Appel Missionnaire 2025

Chers confrères,

Salutations fraternelles et cordiales depuis le “Sacro Cuore” de Rome.

Aujourd’hui, 18 décembre, comme chaque année, en souvenir de la fondation de notre Congrégation en 1859, je vous adresse cette lettre qui renouvelle l’esprit des origines, l’esprit missionnaire qui a fait de la Congrégation ce qu’elle est depuis le début.

Cette année particulièrement, c’est avec émotion que je m’adresse au cœur de la Congrégation, à l’occasion du 150ème anniversaire de la première Expédition Missionnaire. La célébration de cet anniversaire marque nos cœurs et nos âmes. Il nous demande de renouveler l’esprit missionnaire qui a toujours été au cœur du charisme, afin que, en rendant grâce pour la fidélité de Dieu, il puisse donner de l’énergie pour l’avenir à l’évangélisation et à la Congrégation.

Célébrer le 150ème anniversaire de la première Expédition Missionnaire de Don Bosco représente un grand cadeau pour :
– Remercier, reconnaître la Grâce de Dieu.
La reconnaissance rend évidente la paternité de chaque belle réalisation. Sans reconnaissance, il n’y a pas de capacité d’accueil. Chaque fois que nous ne reconnaissons pas un don dans notre vie personnelle et institutionnelle, nous risquons sérieusement de le rendre vain et de « nous en emparer ».
En parlant de l’esprit de mission, nous sommes au centre de la vie du disciple : quelque chose d’infiniment plus grand que nous-mêmes, qui est la dynamique fondatrice et originelle de l’Église, pour chaque génération.

Repenser, car « rien n’est éternel ».
La fidélité implique aussi la capacité de changer dans l’obéissance à une vision qui vient de Dieu et de la lecture des « signes des temps ». Rien n’est éternel : d’un point de vue personnel et institutionnel, la vraie fidélité est la capacité de changer, en reconnaissant ce à quoi le Seigneur appelle chacun de nous.
Repenser devient alors un acte générateur, dans lequel la foi et la vie se rejoignent ; un moment pour nous demander : que veux-tu nous dire Seigneur avec cette personne, avec cette situation à la lumière des signes des temps qui, pour être lus, exigent que nous ayons le cœur même de Dieu ?

Relancer, recommencer tous les jours.
La reconnaissance nous conduit à regarder loin devant et à accueillir de nouveaux défis, en relançant les missions avec espérance. L’activité missionnaire consiste à apporter l’espérance du Christ avec une conscience lucide et claire, liée à la foi, qui me fait reconnaître que ce que je vois et je vis « ne m’appartient pas », et me donne la force d’aller de l’avant, personnellement et institutionnellement.
Tout cela exige le courage d’être soi-même, de se reconnaître dans un don de Dieu et d’investir ses énergies dans une responsabilité précise, conscients du fait que ce qui nous a été confié n’est pas nôtre, et que nous avons la tâche de le transmettre aux générations futures.
Cela est le cœur de Dieu, et c’est la vie de l’Église.

Le Saint-Père nous a récemment offert l’Encyclique « Dilexit nos » sur l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ. Ce don du Pape François illumine notre cœur missionnaire.
Le Pape nous indique faction sociale et le monde entier comme destination naturelle de l’authentique dévotion au Sacré-Cœur. Dans le n° 205 de l’Encyclique, il dit : « Quel culte serait rendu au Christ si nous nous contentions d’une relation individuelle, sans nous intéresser à aider les autres à moins souffrir et à mieux vivre ? Peut-on plaire au Cœur qui a tant aimé en restant dans une expérience religieuse intime, sans conséquences fraternelles et sociales ? »

Le Pape François nous dit clairement que ceux qui sont intimes avec le cœur du Seigneur ne peuvent pas ne pas être dotés d’un esprit missionnaire qui embrasse le monde entier, parce que leur cœur s’est dilaté, élargi ! Il y a un rapport direct : plus nous habitons l’intimité du Cœur du Christ, plus nous serons en mesure d’atteindre les extrémités les plus éloignées de la terre.

Le cœur du Christ me pousse à être attentif aux blessures du cœur de l’humanité. En un mot : le cœur de la mission est le cœur de Dieu.
Quelle force et quelle énergie nous transmet le Saint-Père, en cette année qui nous introduit dans le 150ème anniversaire de la première Expédition Missionnaire !

L’histoire continue avec nous. Aujourd’hui, Don Bosco a besoin de Salésiens qui se rendent disponibles comme de « simples outils » pour réaliser le rêve missionnaire. C’est l’appel que je lance aux confrères qui ressentent au plus profond de leur cœur l’appel de Dieu, dans notre vocation salésienne commune, à se rendre disponibles comme missionnaires avec un engagement à vie (ad vitam), là où le Recteur Majeur les enverra.

En décembre 2023, 48 Salésiens ont répondu au dernier appel du P. Angel, dont 24 ont été choisis comme membres de la 155ème Expédition Missionnaire. En cette année qui prépare le 150ème anniversaire de la première Expédition Missionnaire, ma prière et mon espérance sont qu’il y en ait encore davantage.

Le dialogue avec le Conseiller Général pour les Missions et la réflexion au sein du Conseil Général, sur la base du projet missionnaire présenté au Conseil (ACG 437, p. 66) me permettent de préciser les urgences identifiées pour 2025, où je souhaiterais qu’un nombre significatif de confrères soient envoyés :
– Afrique du Nord (CNA), Afrique du Sud (AFM), Afrique du Nord-Ouest (AON), Mozambique ;
– la nouvelle présence que nous allons commencer au Vanuatu ;
– l’Albanie, la Roumanie, pour le « Projet Calabre-Basilicate » (IME) ;
– le Chili, la Mongolie, l’Uruguay et d’autres frontières et situations d’urgence éventuelles.
J’invite les Provinciaux, en union avec les Délégués Provinciaux pour l’Animation Missionnaire, à être les premiers à aider les confrères à faciliter leur discernement, en les invitant, après un dialogue personnel, à se mettre à la disposition du Recteur Majeur pour répondre aux besoins missionnaires de la Congrégation. Ensuite, le Conseiller Général pour les Missions poursuivra le discernement qui conduira au choix des missionnaires pour la prochaine 156ème Expédition Missionnaire qui aura lieu au Valdocco le 11 novembre 2025.

Que le Seigneur nous bénisse et que la Vierge Marie nous accompagne tous.

Joyeux et Saint Noël à tous ainsi qu’une Bonne et Heureuse Année avec, au cœur, une grande Espérance qui est présence de Dieu.

Rome, le 18 décembre 2024

P. Stefano Martoglio
Vicaire (ex. art. 143 cost. S.D.B.)
Prot. n. 24/0575




Un cœur grand comme les rivages de la mer

Un temps nouveau nous est donné : du Cœur de Dieu au cœur de l’humanité, dans le miroir du grand cœur de Don Bosco.

Chers amis et lecteurs ! Dans ce numéro de décembre, je vous adresse mes meilleurs vœux pour le Nouvel An. Vœux pour le temps nouveau qui nous est donné à vivre avec intensité et dans une « nouveauté de vie ». Et, comme vœu propice et opportun, je fais mien le don que le Saint-Père nous a fait ces derniers jours : la Lettre encyclique Dilexit Nos sur l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ.
Nous, salésiens, avons l’habitude de chanter : « Dieu t’a donné un cœur grand / comme le sable de la mer / Dieu t’a donné son esprit / il a libéré ton amour ».
Le pape Pie XI, qui l’a bien connu, disait de Don Bosco qu’il avait une « très belle particularité » : il était « un grand amoureux des âmes » ; il voyait les âmes « dans la pensée, dans le cœur, dans le sang de notre Seigneur Jésus-Christ ». Après tout, dans les armoiries de notre Congrégation, il y a un cœur enflammé.
Dans le numéro 2 de Dilexit nos le Pape François présente ainsi le thème de son encyclique : « Pour exprimer l’amour de Jésus, on utilise souvent le symbole du cœur. Certains se demandent s’il a encore un sens aujourd’hui. Mais quand nous sommes tentés de naviguer en surface, de vivre dans l’urgence sans savoir finalement pourquoi, de devenir des consommateurs insatiables et des esclaves des rouages d’un marché qui ne s’intéresse pas au sens de notre existence, nous avons besoin de retrouver l’importance du cœur ».
Combien forte est cette indication de notre Pape pour nous indiquer une nouvelle manière de vivre, dans le temps nouveau qui nous est donné, l’année à venir.
Au n° 21, le pape François écrit : « Le noyau de tout être humain, son centre le plus intime, n’est pas le noyau de l’âme mais de toute la personne dans son identité unique qui est à la fois âme et corps. Tout s’unifie dans le cœur qui peut être le siège de l’amour avec la totalité de ses composantes spirituelles, émotionnelles et même physiques. En définitive, si l’amour y règne, la personne réalise son identité de manière pleine et lumineuse, car tout être humain a été créé avant tout pour l’amour, il est fait dans ses fibres les plus profondes pour aimer et être aimé. »
Et il ajoute au numéro 27 de la même encyclique : « Devant le Cœur de Jésus vivant et présent, notre esprit comprend, éclairé par l’Esprit, les paroles de Jésus. Notre volonté se met donc en mouvement pour les mettre en pratique. Mais cela pourrait rester une forme de moralisme autosuffisant. Sentir et goûter le Seigneur, et l’honorer, est une affaire de cœur. Seul le cœur est capable de mettre les autres facultés et passions, et toute notre personne, dans une attitude de révérence et d’obéissance amoureuse au Seigneur. »
Je ne m’attarde pas davantage, espérant vous avoir mis en appétit pour lire cette splendide Lettre encyclique, qui n’est pas seulement un grand cadeau pour vivre de façon nouvelle le temps qui nous est donné – ce qui serait déjà suffisant – mais aussi une indication profondément « salésienne ».
Combien Don Bosco a écrit et travaillé pour diffuser précisément la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, comme amour divin qui accompagne notre réalité humaine !

Un magnifique encouragement
Dans les Mémoires biographiques au volume VIII, 243-244, nous trouvons cette affirmation concernant Don Bosco : « La dévotion au Sacré-Cœur, si ardente dans son cœur, animait toutes ses œuvres, donnait de l’efficacité à ses propos familiers, à ses sermons et à l’exercice de son ministère, de sorte que nous en étions tous enchantés et convaincus (témoignage de Don Bonetti). D’autre part, il nous semblait que le Sacré-Cœur coopérait avec lui dans l’accomplissement de sa difficile mission, y compris par des aides surnaturelles ».
Ce témoignage sur la dévotion de Don Bosco au Sacré-Cœur s’identifie « plastiquement » à la Basilique du même nom, construite par Don Bosco à Rome à la demande du Pape de l’époque.
L’édifice matériel rappelle et nous rappelle à tous la dévotion « monumentale » de Don Bosco au Sacré-Cœur. Comme pour la Vierge, comme pour le Sacré-Cœur, la dévotion de Don Bosco se manifeste dans les églises qu’il a construites. Car la dévotion au Sacré-Cœur, c’est l’Eucharistie, c’est le culte eucharistique.
Le cœur de Don Bosco, toujours amoureux de l’Eucharistie, est pour nous un magnifique encouragement personnel pour rendre tout cela vivant et vrai au cours de la nouvelle année. À vous tous mes souhaits sincères et profonds, pour que la nouvelle année soit vécue en plénitude. Comme le dit l’hymne : « Tu as formé des hommes / au cœur sain et fort : / tu les as envoyés dans le monde pour proclamer / l’Évangile de la joie ».
J’aime conclure ce bref message, en souhaitant à tous une bonne année, en citant l’image que le pape François évoque dans les premières pages de l’encyclique à propos des enseignements de sa grand-mère sur la signification du nom des biscuits de carnaval, les busie (mensonges) : lorsqu’ils sont cuits, la pâte gonfle et reste vide… il y a une apparence extérieure, mais qui correspond à un vide à l’intérieur ; ils ont l’air d’être vus de l’extérieur mais ils n’y a rien, ce sont des « mensonges ».
Que la nouvelle année soit pour nous tous pleine, riche de substance, et qu’elle se concrétise dans l’accueil de Dieu qui vient parmi nous.
Que Sa venue apporte la paix et la vérité, et que ce qui se voit de l’extérieur corresponde à ce qui est à l’intérieur !
À vous tous, de tout cœur, mes meilleurs vœux !




Le sentier des roses

« Oh ! Don Bosco marche toujours sur des roses.Il va de l’avant sans souci, tout lui réussit. Mais ils ne voyaient pas vu les épines qui déchiraient mes pauvres membres.Malgré tout, je suis allé de l’avant ».Chaque vie est semée d’épines et de roses, comme dans le célèbre rêve de la pergola de roses de Don Bosco.L’Espérance est la force qui nous fait avancer malgré les épines.

Chers lecteurs, amis de la famille salésienne et bienfaiteurs qui aidez l’œuvre de Don Bosco dans toutes les situations et dans tous les contextes. En vous adressant ce mot sur le Bulletin salésien, j’ai choisi de m’attarder encore un peu sur le thème de l’Espérance, comme nous l’avons fait le mois dernier.
Non seulement par souci de continuité, mais surtout parce que c’est un thème dont il faut parler, parce que nous en avons tous tellement besoin. C’est une déclinaison de la douceur de Dieu dans nos vies.
Mais quand nous parlons d’espérance, rappelons tout d’abord qu’elle est un élément de profonde humanité et un critère sûr pour interpréter la vie, dans toutes les religions.
L’espérance a beaucoup à voir avec la transcendance et la foi, l’amour et la vie éternelle, comme le souligne le philosophe coréen Byung-Chul Han. Nous travaillons, nous produisons et nous consommons, affirme ce philosophe dans ses écrits, mais dans ce mode de vie il n’y a pas d’ouverture à la transcendance, pas d’Espérance.
Nous vivons une époque privée de la dimension de la fête, même si nous sommes pleins de choses qui nous étourdissent ; une époque sans fête est une époque sans espoir. La société de consommation et de performance dans laquelle nous vivons risque de nous rendre incapables d’être heureux, de nous réjouir de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Même la situation la plus difficile a toujours des petits rayons de lumière !
L’espérance nous fait croire en l’avenir, car le lieu où l’espérance est vécue le plus intensément est la transcendance.
L’écrivain et homme politique tchèque Vaclay Havel, président de la Tchécoslovaquie à l’époque de la « révolution de velours », dont beaucoup d’entre nous se souviennent, a défini l’espérance comme un état d’esprit, une dimension de l’âme.
L’espérance est une orientation du cœur qui transcende le monde immédiat de l’expérience ; c’est un ancrage quelque part au-delà de l’horizon.
Les racines de l’espérance se trouvent quelque part dans le transcendant, c’est pourquoi avoir de l’espérance et être satisfait parce que les choses vont bien, ce n’est pas la même chose.
Lorsque nous parlons de l’avenir, nous l’entendons par rapport à ce qui se passera demain, le mois prochain, dans deux ans. L’avenir est ce que nous pouvons planifier, prédire, gérer et optimiser.
L’Espérance est la construction d’un avenir qui nous unit à l’avenir qui n’a pas de fin, à la transcendance, à Dieu. Cultiver l’espérance est bon pour le cœur, parce qu’elle met de l’énergie dans la construction de notre chemin vers le Paradis.

Le mot le plus fréquent de Don Bosco
Don Alberto Caviglia a écrit : « En parcourant les pages qui rapportent les paroles et les discours de Don Bosco, on s’aperçoit que le mot Paradis est le mot qu’il répète en toute circonstance ; c’est l’argument suprême qui anime toute activité dans le bien et toute résistance à l’adversité ».
« Un morceau de Paradis arrange tout », répétait Don Bosco au milieu des difficultés. Même dans les écoles de gestion modernes, on enseigne qu’une vision positive de l’avenir se transforme en force de vie.
Lorsqu’il était vieux et qu’il marchait d’un pas de fourmi dans la cour, ceux qui le croisaient lui adressaient l’habituelle salutation distraite : « Où allons-nous, Don Bosco ? ». En souriant, le saint répondait : « Au Paradis ».
Combien Don Bosco a insisté sur ce point : le Paradis ! Il a fait grandir ses jeunes en leur mettant la vision du Paradis dans le cœur et dans les yeux. Nous savons tous que l’on peut être chrétien, même convaincu, et ne pas croire au Paradis.
Don Bosco nous apprend à unir notre ici-bas à l’au-delà. Et il le fait avec la vertu de l’Espérance.
Portons cela dans nos cœurs, et ouvrons nos cœurs à la charité, à notre humanité qui incarne ce en quoi nous croyons profondément.
Si vous recevez ce petit mot au mois de novembre, vivez cette espérance avec nos Saints et avec vos défunts, tous unis dans la cordée qui part de notre quotidien en direction de l’infini.
Comme Don Bosco, vivons comme si nous voyions l’invisible, nourris de l’Espérance, c’est-à-dire de la présence de la Providence de Dieu. Seuls ceux qui sont profondément concrets, comme l’était Don Bosco, sont capables de vivre en fixant l’invisible.




Notre cadeau annuel

Traditionnellement, en tant que Famille salésienne, nous recevons chaque année l’Étrenne, un cadeau de début d’année. Dans ces quelques lignes, je souhaite regarder à l’intérieur de ce cadeau pour l’accueillir comme il le mérite, sans rien lui faire perdre de sa fraîcheur.

Un cadeau, parce qu’avant tout étrenne signifie : je te fais un cadeau ! Je te donne quelque chose d’important pour célébrer un temps nouveau, une nouvelle année. C’est ainsi que Don Bosco l’a pensée et l’a donnée à tous les jeunes et adultes qui l’accompagnaient.
Ce cadeau, l’étrenne, je veux te le donner pour le début de la nouvelle année, d’un nouveau temps.
Ce qui est beau et important, c’est cette nouvelle année, ce nouveau temps, c’est un contenant dans lequel tout le reste sera contenu. L’année qui vient n’est pas la même que celles que tu as vécues jusqu’à présent, la nouvelle année exige un nouveau regard pour la vivre pleinement ; parce que la nouvelle année ne reviendra pas ! Chaque fois, c’est un moment unique parce que nous sommes différents de l’année dernière, de la façon dont nous étions l’année dernière.
L’Étrenne consiste à se préparer à cette nouvelle période, à commencer à regarder à l’intérieur de cette nouvelle année, à mettre en lumière certaines choses qui constitueront une partie importante de cette année.

Le fil rouge
Le cadeau du temps, le cadeau de la vie. Dans la vie il y a le don de Dieu et tous les autres dons qui l’accompagnent : les personnes, les situations, les occasions, les relations humaines. Dans cette façon providentielle de voir le don du temps et de la vie, l’étrenne-cadeau que Don Bosco et après lui ses successeurs donnent chaque année à toute la famille salésienne, est un regard sur la nouvelle année, sur le nouveau temps, pour le voir avec des yeux nouveaux.
L’étrenne est une aide pour voir le temps à venir en se concentrant sur le fil rouge qui guide ce nouveau temps. Le fil rouge que l’étrenne nous donne est l’Espérance. Cela aussi est important ! La nouvelle année nous réserve certainement beaucoup de choses, mais ne te disperse pas ! Commence à penser à ce qui est important… ne te disperse pas, recueille !
L’étrenne que notre Don Angel nous a préparée, comme un nouvel habit, met en évidence les événements que nous vivrons tous, et elle les unit avec un fil rouge : l’Espérance !
Les événements que l’étrenne de 2025 met en lumière sont des événements généraux ou particuliers qui nous concernent, pour que nous les vivions bien :
Le jubilé ordinaire de l’année 2025. Un Jubilé est un événement d’Église que le Saint-Père nous offre selon la tradition catholique,. Vivre le Jubilé, c’est vivre ce pèlerinage que l’Église nous propose pour remettre la présence du Christ au centre de nos vies et de la vie du Monde. Le jubilé du Pape François a un thème générateur : Spes non confundit ! L’espérance ne déçoit pas ! Quel merveilleux thème générateur ! S’il y a une chose dont le monde a besoin en ces temps difficiles, c’est bien de l’Espérance, mais pas l’espoir de ce que nous croyons pouvoir faire par nous-mêmes, au risque de devenir une illusion. L’Espérance de la redécouverte de la Présence de Dieu. Le pape François souhaite que « l’Espérance réchauffe ton cœur ! » Non seulement qu’elle réchauffe ton cœur, mais qu’elle le remplisse. Qu’elle le remplisse jusqu’à déborder !
– L’Espérance fait de nous des pèlerins. Le Jubilé est pèlerinage ! Il te met en mouvement à l’intérieur de toi-même, sinon ce n’est pas un Jubilé. Dans le cadre de cet événement ecclésial qui nous fait sentir Église, nous avons un anniversaire important en tant que Congrégation salésienne et Famille salésienne. En effet, 2025 marquera
– le 150ème anniversaire de la première expédition missionnaire en Argentine.
Du Valdocco Don Bosco lance son cœur au-delà de toutes les frontières : il envoie ses fils à l’autre bout du monde ! Il les envoie, au-delà de toute sécurité humaine, il les envoie alors qu’il n’a même pas ce qu’il faut pour continuer ce qu’il a commencé.
Il les envoie, tout simplement ! On obéit à l’Espérance, parce que l’Espérance guide la Foi et met en mouvement la Charité. Il les envoie et les premiers confrères se sont mis en route et sont allés là où même eux ne savaient pas ! C’est de là que nous sommes tous nés, de l’Espérance qui nous met en route et fait de nous des pèlerins.
Cet anniversaire doit être célébré, comme tous les anniversaires, parce qu’il nous aide à reconnaître le Don (ce n’est pas ta propriété, il t’a été donné comme un cadeau), à nous souvenir et à donner du courage pour le temps à venir et l’énergie de la Mission.
L’Espérance fonde la Mission, parce que l’Espérance est une responsabilité que tu ne peux pas cacher ou garder pour toi ! Ne cache pas ce qui t’a été donné, reconnais le donateur et fais passer aux générations suivantes à travers ta vie ce qui t’a été donné! Telle est la vie de l’Église, la vie de chacun d’entre nous.
Saint Pierre, qui voyait loin, écrit dans sa première lettre : « Soyez toujours prêts à répondre à quiconque vous interroge sur l’espérance qui est en vous » (1 P 3,15). Nous devons penser que répondre ne consiste pas en paroles, c’est la vie qui répond !
Avec l’espérance qui est en toi, tu vis et tu prépares pour cette nouvelle année qui vient un voyage avec les jeunes, avec tes frères pour renouveler le rêve de Don Bosco et le rêve de Dieu.

Nos armoiries
« Sur mon étendard brille une étoile », chantait-on autrefois. Sur nos armoiries, outre l’étoile, il y a une grande ancre et un cœur brûlant.
Voici quelques images simples pour commencer à faire bouger nos cœurs vers le temps à venir, « Ancrés dans l’espérance, pèlerins avec les jeunes ». Ancrés est un terme très fort : l’ancre, qui est le salut du navire dans la tempête, nous appelle à être tenaces, forts, enracinés dans l’Espérance !
Ce thème générateur concerne toute notre vie quotidienne, les personnes, les situations, les décisions…, le « micro » de chacun de nous soudé au « macro » de ce que nous vivrons tous ensemble…, en remettant à Dieu le don du temps qui nous est donné. Car à l’Étrenne que nous recevrons tous, tu dois ajouter ta part, ton quotidien que tu sauras éclairer avec ce que nous avons écrit et ce que nous recevrons. Sinon ce n’est pas une Espérance, ce n’est pas ce qui fonde ta vie et cela ne te met pas en « mouvement » en faisant de toi un Pèlerin.
Nous confions ce voyage à la Mère du Seigneur, Mère de l’Eglise et notre Auxiliatrice, Pèlerine de l’Espérance avec nous.