Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette

Don Bosco propose un récit détaillé de l’ « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette », survenue le 19 septembre 1846, basé sur des documents officiels et les témoignages des voyants. Il reconstitue le contexte historique et géographique – deux jeunes bergers, Maximin et Mélanie, sur les hauteurs des Alpes – la rencontre prodigieuse avec la Vierge, son message d’avertissement contre le péché et la promesse de grâces et d’aides providentielles, ainsi que les signes surnaturels qui accompagnèrent leur manifestation. Il présente les circonstances de la diffusion du culte, l’influence spirituelle sur les habitants et sur le monde entier, et le secret révélé seulement à Pie IX pour revigorer la foi des chrétiens et témoigner de la présence continuelle des prodiges dans l’Église.

Protestation de l’Auteur
            Pour obéir aux décrets d’Urbain VIII, je déclare que je n’entends attribuer qu’une autorité humaine à tout ce qui sera dit dans ce livre au sujet de miracles, de révélations ou d’autres faits ; et en donnant à quelqu’un le titre de Saint ou de Bienheureux, je n’entends le donner que selon l’opinion commune ; excepté les choses et les personnes qui ont déjà été approuvées par le Saint-Siège Apostolique.

Au lecteur
            Un fait certain et merveilleux, attesté par des milliers de personnes, et que tous peuvent encore vérifier aujourd’hui, est l’apparition de la bienheureuse Vierge, survenue le 19 septembre 1846. (Sur ce fait extraordinaire, on peut consulter de nombreux livres et plusieurs journaux contemporains du fait, notamment : Notizia sull’apparizione di Maria SS. (Turin, 1847) ; Sunto officiale dell’apparizione, etc., 1848 ; le livret imprimé par les soins du P. Giuseppe Gonfalonieri, Novara, chez Enrico Grotti).
Notre bonne Mère est apparue sous la forme et la figure d’une grande Dame à deux petits bergers, un enfant de 11 ans et une jeune paysanne de 15 ans, là-haut sur une montagne de la chaîne des Alpes située dans la paroisse de La Salette en France. Elle est apparue non seulement pour le bien de la France, comme le dit l’évêque de Grenoble, mais pour le bien du monde entier. Elle est venue pour nous avertir de la grande colère de son Divin Fils, provoquée spécialement par trois péchés : le blasphème, la profanation des fêtes et le fait de manger gras les jours défendus.
À cela s’ajoutent d’autres faits prodigieux recueillis également par des documents publics, ou attestés par des personnes absolument dignes de foi.
Ces faits servent à confirmer les bons dans la religion, à réfuter ceux qui, peut-être par ignorance, voudraient mettre une limite à la puissance et à la miséricorde du Seigneur en disant : Nous ne sommes plus au temps des miracles.
Jésus a dit qu’il y aura dans son Église des miracles plus grands que ceux qu’il a accomplis, sans fixer le temps et le nombre. C’est pourquoi, tant qu’il y aura l’Église, nous verrons toujours la main du Seigneur manifester sa puissance par des événements prodigieux. Car hier et aujourd’hui et toujours, Jésus-Christ sera celui qui gouverne et assiste son Église jusqu’à la consommation des siècles.
Mais ces signes sensibles de la Toute-Puissance Divine sont toujours le présage d’événements graves qui manifestent la miséricorde et la bonté du Seigneur, ou bien sa justice et son indignation, mais en vue de sa plus grande gloire et pour le plus grand bien des âmes.
Faisons en sorte qu’ils soient pour nous une source de grâces et de bénédictions. Qu’ils servent d’incitation à une foi vive, à une foi laborieuse, à une foi qui nous pousse à faire le bien et à fuir le mal pour nous rendre dignes de sa miséricorde infinie dans le temps et dans l’éternité.

Apparition de la Vierge Marie sur les montagnes de la Salette
            Maximin, fils de Pierre Giraud, menuisier du village de Corps, était un enfant de 11 ans. Françoise Mélanie, fille de parents pauvres, native de Corps, était une fille de 15 ans. Ils n’avaient rien de singulier : tous deux ignorants et frustes, tous deux occupés à garder le bétail sur les montagnes. Maximin ne savait que le Pater et l’Ave ; Mélanie en savait un peu plus, mais à cause de son ignorance, elle n’avait pas encore été admise à la sainte Communion.
Envoyés par leurs parents pour conduire le bétail dans les pâturages, ce fut par pur hasard que le 18 septembre, veille du grand événement, ils se rencontrèrent sur la montagne, tandis qu’ils abreuvaient leurs vaches à une fontaine.
Le soir de ce jour, en rentrant chez eux avec le bétail, Mélanie dit à Maximin : « Demain, qui sera le premier sur la Montagne ? » Et le lendemain, 19 septembre, qui était un samedi, ils y montèrent ensemble, chacun conduisant quatre vaches et une chèvre. La journée était belle et sereine, le soleil brillait. Vers midi, en entendant sonner la cloche de l’Angélus, ils firent une courte prière avec le signe de la sainte Croix. Puis ils prirent leurs provisions de bouche et allèrent manger près d’une petite source, qui était à gauche d’un ruisseau. Ayant fini de manger, ils traversèrent le ruisseau, déposèrent leurs sacs près d’une fontaine sèche, descendirent encore quelques pas, et, contrairement à leur habitude, s’endormirent à quelque distance l’un de l’autre.
Écoutons maintenant le récit des bergers eux-mêmes, tel qu’ils le firent le soir du 19 à leurs maîtres, puis mille fois à des milliers de personnes.
« Nous nous étions endormis, raconte Mélanie. Je me suis réveillée la première et, ne voyant pas mes vaches, j’ai réveillé Maximin en lui disant : Allons chercher nos vaches. Nous avons traversé le ruisseau, nous sommes montés un peu, et nous les avons vues couchées de l’autre côté. Elles n’étaient pas loin. Alors je suis redescendue quand tout à coup, à cinq ou six pas avant d’arriver au ruisseau, j’ai vu une clarté comme le Soleil, mais encore plus brillante et pas de la même couleur, et j’ai dit à Maximin : Viens, viens vite voir là-bas une clarté. (Il était entre deux et trois heures de l’après-midi).
Maximin descendit aussitôt en me disant : Où est cette clarté ? Et je la lui indiquai avec le doigt tourné vers la petite fontaine. Quand il la vit, il s’arrêta. C’est alors qu’au milieu de la lumière nous avons vu une Dame. Elle était assise sur un tas de pierres, le visage dans les mains. Prise de peur, j’ai laissé tomber mon bâton. Maximin me dit : tiens le bâton ; si elle nous fait quelque chose, je lui donnerai un bon coup de bâton.
Ensuite, la Dame se leva, croisa les bras et nous dit : « Avancez, mes enfants. N’ayez pas peur ; je suis ici pour vous donner une grande nouvelle. » Alors nous traversâmes le ruisseau, et elle s’avança jusqu’à l’endroit où nous nous étions endormis. Elle était au milieu de nous deux et elle pleurait tout le temps qu’elle nous parla (j’ai très bien vu ses larmes). Elle nous dit : « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis contrainte de laisser aller la main de mon Fils. Elle est si forte, si lourde, que je ne peux plus la retenir. »
« Il y a longtemps que je souffre pour vous ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je dois le prier constamment ; et vous autres n’en tenez pas compte. Vous aurez beau prier et agir, jamais vous ne pourrez compenser les préoccupations que j’ai pour vous. »
« Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me l’accorder. C’est ce qui rend la main de mon Fils si lourde. »
« Si les pommes de terre se gâtent, c’est entièrement de votre faute. Je vous l’ai fait voir l’année dernière (1845), et vous n’avez pas voulu en tenir compte, et en trouvant des pommes de terre gâtées, vous blasphémiez en y mêlant le nom de mon Fils. »
« Elles continueront à se gâter, et cette année pour Noël vous n’en aurez plus (1846). »
« Si vous avez du blé, vous ne devez pas le semer. Tout ce que vous sèmerez sera mangé par les vers, et ce qui naîtra ira en poussière, quand vous le battrez. »
« Il arrivera une grande famine. » (Il y eut en effet une grande famine en France, et sur les routes on trouvait des troupes de mendiants affamés, qui se rendaient par milliers dans les villes pour mendier. Pendant que chez nous en Italie le prix du blé augmentait au début du printemps 1847, en France, pendant tout l’hiver 1846-1847, on souffrit beaucoup de la faim. Mais la véritable pénurie d’aliments, la véritable famine eut lieu lors des désastres de la guerre de 1870-1871. À Paris, un grand personnage offrit à ses amis un somptueux repas gras le Vendredi Saint. Quelques mois plus tard, dans cette même ville, les citoyens les plus aisés furent contraints de se nourrir d’aliments grossiers et de viandes d’animaux parmi les plus répugnants. Nombreux furent ceux qui moururent de faim).
« Avant que la pénurie d’aliments n’arrive, les enfants de moins de sept ans seront pris d’un tremblement et mourront entre les mains des personnes qui les tiendront. Les autres feront pénitence pour la pénurie. »
« Les noix se gâteront, et les raisins pourriront… » (En 1849, les noix se gâtèrent partout ; quant au raisin, tous se plaignent encore des dommages et des pertes subies. Chacun se souvient de l’immense dommage que la cryptogame causa au raisin dans toute l’Europe pendant plus de vingt ans, de 1849 à 1869).
« S’ils se convertissent, les pierres et les rochers se changeront en tas de blé, et les pommes de terre seront produites par la terre elle-même. »
Puis elle nous dit :
« Dites-vous bien vos prières, mes enfants ? »
Nous répondîmes tous deux : « Pas très bien, Madame. »
« Ah ! mes enfants, vous devez bien les dire le soir et le matin. Quand vous n’avez pas le temps, dites au moins un Pater et un Ave Maria : et quand vous aurez le temps, dites-en plus. »
« À la Messe, il n’y a que quelques vieilles femmes, et les autres travaillent le dimanche tout l’été. En hiver les jeunes, quand ils ne savent que faire, vont à la Messe pour ridiculiser la religion. Pendant le carême, on va à la boucherie comme des chiens. »
Puis elle dit : « N’as-tu jamais vu, mon garçon, du blé gâté ? »
Maximin répondit : « Oh ! non, Madame. » Ne sachant à qui elle posait cette question, je répondis à voix basse :
« Non, Madame, je n’en ai pas encore vu. »
« Vous devez en avoir vu, mon garçon (s’adressant à Maximin), une fois vers la commune de Coin avec votre père. Le propriétaire du champ a dit à votre père d’aller voir son blé gâté ; vous y êtes allés tous les deux. Vous avez pris quelques épis dans vos mains ; en les frottant, ils sont tous tombés en poussière, et vous êtes revenus chez vous. Quand vous étiez encore à une demi-heure de Corps, votre père vous a donné un morceau de pain en vous disant : Prends, mon fils, mange encore du pain cette année ; je ne sais pas qui en mangera l’année prochaine, si le blé continue à se gâter ainsi. »
Maximin répondit : « Oh ! oui, Madame, maintenant je me souviens ; il y a quelque temps, je ne m’en souvenais plus. »
Après cela, la Dame nous dit : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Puis elle traversa le ruisseau, et à deux pas de distance, sans se tourner vers nous, elle nous dit de nouveau : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Elle monta ensuite une quinzaine de pas, jusqu’à l’endroit où nous étions allés chercher nos vaches. Mais en marchant sur l’herbe, ses pieds ne touchaient que le sommet. Nous l’avons suivie. Je suis passée devant la Dame et Maximin un peu de côté, à deux ou trois pas de distance. Et la belle Dame s’est élevée ainsi (Mélanie fait un geste en levant la main d’un mètre et plus). Elle resta suspendue dans l’air un moment. Ensuite Elle tourna son regard vers le Ciel, puis vers la terre. Après quoi nous ne vîmes plus la tête… plus les bras… plus les pieds… Elle semblait se fondre. On ne vit plus qu’une clarté dans l’air, et après cela la clarté disparut.
Je dis à Maximin : « C’est peut-être une grande sainte ? » Maximin me répondit : « Oh ! si nous avions su que c’était une grande sainte, nous lui aurions dit de nous emmener avec elle. » Et je lui dis : « Et si elle était encore là ? » Alors Maximin tendit vivement la main pour avoir un peu de cette clarté, mais tout avait disparu. Nous avons bien observé, pour savoir si nous ne la voyions plus.
Et je dis : « Elle ne veut pas se montrer pour ne pas nous faire savoir où elle va. Après cela, nous sommes allés derrière nos vaches. »
Tel est le récit de Mélanie, Quand on l’interrogea sur la façon dont cette Dame était vêtue, elle répondit :
« Elle avait des chaussures blanches avec des roses autour… Il y en avait de toutes les couleurs. Elle avait des bas jaunes, un tablier jaune, une robe blanche toute parsemée de perles, un fichu blanc au cou entouré de roses, un grand bonnet qui pendait un peu en avant avec une couronne de roses autour. Elle avait une chaînette, à laquelle était suspendue une croix avec son Christ : à droite une tenaille, à gauche un marteau. À l’extrémité de la Croix pendait une autre grande chaîne, comme les roses autour de son fichu au cou. Elle avait le visage blanc, allongé. Je ne pouvais pas la regarder longtemps, car elle nous éblouissait. »
Interrogé séparément, Maximin fait exactement le même récit, sans aucune variation, ni sur la substance ni même sur la forme, ce qui nous dispense de le répéter ici.
Infinies et extravagantes sont les questions insidieuses qui leur furent posées, surtout pendant deux ans, et au cours d’interrogatoires de 5, 6 ou 7 heures de suite, dans l’intention de les embarrasser, de les confondre, de les amener à se contredire. Il est certain que jamais peut-être aucun coupable n’a subi un interrogatoire aussi difficile devant les tribunaux de justice concernant le crime qui lui était imputé.

Secret des deux petits bergers
            Immédiatement après l’apparition, Maximin et Mélanie, en rentrant chez eux, se sont interrogés mutuellement : pourquoi la grande Dame, après avoir dit que « les raisins pourriront », a tardé un peu à parler et ne faisait que bouger les lèvres, sans faire entendre ce qu’elle disait ?
En s’interrogeant à ce sujet l’un l’autre, Maximin dit à Mélanie : « Elle m’a dit quelque chose, mais elle m’a interdit de te le dire. » Ils se rendirent compte tous les deux qu’ils avaient reçu de la Dame, chacun séparément, un secret avec l’interdiction de le révéler à d’autres. Mais crois-tu, mon cher lecteur, que les enfants peuvent se taire ?
Il est impossible de dire combien d’efforts et de tentatives ont été faits pour leur arracher ce secret d’une manière ou d’une autre. Il est étonnant de lire les mille et une tentatives employées à cette fin par des centaines et des centaines de personnes pendant vingt ans. Prières, surprises, menaces, injures, cadeaux et séductions de toutes sortes, tout fut vain ; ils restent impénétrables.
L’évêque de Grenoble, un vieillard de quatre-vingts ans, crut de son devoir d’ordonner aux deux enfants privilégiés de faire au moins parvenir leur secret au Saint-Père Pie IX. Au nom du Vicaire de Jésus-Christ, les deux petits bergers obéirent promptement et décidèrent de révéler un secret que rien n’avait pu leur arracher jusqu’alors. Ils l’ont donc écrit eux-mêmes (à partir du jour de l’apparition, on les avait mis à l’école, et chacun séparément). Puis ils ont plié et scellé leur lettre, et tout cela en présence de personnes respectables, choisies par l’évêque lui-même comme témoins. Ensuite, l’évêque envoya deux prêtres porter cette mystérieuse dépêche à Rome.
Le 18 juillet 1851, ils remirent à Sa Sainteté Pie IX trois lettres : une de Monseigneur l’évêque de Grenoble, qui accréditait ses deux envoyés, et les deux autres qui contenaient le secret des deux enfants de La Salette. Chacun d’eux avait écrit et scellé sa lettre contenant son secret en présence de témoins qui avaient déclaré l’authenticité de celles-ci sur la couverture.
Sa Sainteté ouvrit les lettres, en commençant à lire celle de Maximin. « Il y a vraiment ici, dit-il, la candeur et la simplicité d’un enfant. » Pendant cette lecture, une certaine émotion se manifesta sur le visage du Saint-Père ; ses lèvres se contractèrent, ses joues se gonflèrent. « Il s’agit, dit le Pape aux deux prêtres, il s’agit de fléaux dont la France est menacée. Elle n’est pas la seule coupable. L’Allemagne, l’Italie, l’Europe entière le sont aussi, et elles méritent des châtiments. Je crains beaucoup l’indifférence religieuse et le respect humain. »

Concours de fidèles à La Salette
            La fontaine, près de laquelle la Dame, c’est-à-dire la Vierge Marie, s’était reposée, était à sec, comme nous l’avons dit, et de l’avis de tous les bergers et habitants des environs, elle ne donnait de l’eau qu’après d’abondantes pluies et après la fonte des neiges. Or cette fontaine, qui était à sec le jour même de l’apparition, commença à jaillir le lendemain, et depuis cette époque, l’eau coule claire et limpide, sans interruption.
Cette montagne nue, escarpée, déserte, habitée par les bergers à peine quatre mois de l’année, est devenue le théâtre d’un immense rassemblement de foules. Des populations entières affluent de toutes parts vers cette montagne privilégiée. Pleurant de tendresse, et chantant des hymnes et des cantiques, on les voit s’incliner sur cette terre bénie où a résonné la voix de Marie. On les voit embrasser respectueusement le lieu sanctifié par les pieds de Marie, et ils en descendent remplis de joie, de confiance et de reconnaissance.
Chaque jour, un nombre immense de fidèles va visiter pieusement le lieu du prodige. Lors du premier anniversaire de l’apparition (19 septembre 1847), plus de soixante-dix mille pèlerins de tout âge, de tout sexe, de toute condition et même de toute nation occupaient la surface de ce terrain…
Mais ce qui fait sentir encore plus la puissance de cette voix venue du Ciel, c’est qu’il s’est produit un admirable changement de mœurs chez les habitants de Corps, de La Salette, de tout le canton et de tous les environs ; il se répand et se propage dans des régions lointaines… Les gens ont cessé de travailler le dimanche, ils ont abandonné le blasphème… Ils fréquentent l’Église, accourent à la voix de leurs Pasteurs, s’approchent des saints Sacrements, accomplissent avec édification le précepte de Pâques jusqu’alors généralement négligé. Je passe sous silence les nombreuses et éclatantes conversions, et les grâces extraordinaires d’ordre spirituel.
Au lieu de l’apparition s’élève maintenant une majestueuse Église avec un très vaste bâtiment, où les voyageurs peuvent se restaurer confortablement et même y passer la nuit à leur gré, après avoir satisfait leur dévotion.

Après l’événement de La Salette, Mélanie fut envoyée à l’école où elle fit des progrès merveilleux dans les connaissances et dans la vertu. Mais elle se sentit toujours si enflammée de dévotion envers la Bienheureuse Vierge Marie qu’elle décida de se consacrer entièrement à Elle. Elle entra de fait chez les Carmélites déchaussées parmi lesquelles, selon le journal Echo de Fourvière du 22 octobre 1870, elle sera appelée au ciel par la Sainte Vierge. Peu avant de mourir, elle écrivit la lettre suivante à sa mère.

11 septembre 1870.

Ma très chère mère bien-aimée,

Que Jésus soit aimé de tous les cœurs. – Cette lettre n’est pas seulement pour vous, mais pour tous les habitants de mon cher village de Corps. Un père de famille, plein d’amour pour ses enfants, voyant qu’ils oubliaient leurs devoirs, méprisaient la loi que Dieu leur avait imposée, et devenaient ingrats, résolut de les châtier sévèrement. L’épouse du Père de famille demandait grâce, et en même temps elle se rendait auprès des deux plus jeunes enfants du Père de famille, c’est-à-dire ceux qui étaient les plus faibles et les plus ignorants. L’épouse qui ne peut pleurer dans la maison de son époux (qui est le Ciel) trouve dans les champs de ces misérables enfants des larmes en abondance. Elle expose ses craintes et ses menaces si l’on ne revient pas en arrière, si l’on n’observe pas la loi du Maître de maison. Un très petit nombre de personnes embrasse la réforme du cœur, et se met à observer la sainte loi du Père de famille. Mais, hélas, la majorité reste dans le mal et s’y enfonce toujours plus. Alors le Père de famille envoie des châtiments pour les punir et pour les tirer de cet état d’endurcissement. Ces malheureux enfants, qui pensent pouvoir se soustraire au châtiment, saisissent et brisent les verges qui les frappent au lieu de tomber à genoux, de demander grâce et miséricorde, et surtout de promettre de changer de vie. Enfin le père de famille, encore plus irrité, prend une verge encore plus forte. Il frappe et frappera jusqu’à ce qu’on le reconnaisse, qu’on s’humilie et qu’on demande miséricorde à Celui qui règne sur la terre et dans les cieux.
Vous m’avez comprise, chère mère et chers habitants de Corps : ce Père de famille, c’est Dieu. Nous sommes tous ses enfants. Ni moi ni vous ne l’avons aimé comme nous aurions dû. Nous n’avons pas accompli, comme il convenait, ses commandements ; maintenant Dieu nous châtie. Un grand nombre de nos frères soldats meurent, des familles et des villes entières sont réduites à la misère, et si nous ne nous tournons pas vers Dieu, ce n’est pas fini. La ville de Paris est très coupable parce qu’elle a récompensé un homme mauvais qui a écrit contre la divinité de Jésus-Christ. Les hommes n’ont qu’un temps pour commettre des péchés, mais Dieu est éternel, et il châtie les pécheurs. Dieu est irrité par la multiplicité des péchés, et parce qu’il est presque inconnu et oublié. Or, qui pourra arrêter la guerre qui fait tant de mal en France, et qui recommencera bientôt en Italie ? etc. etc. Qui pourra arrêter ce fléau ?
Il faut 1° que la France reconnaisse que dans cette guerre il y a uniquement la main de Dieu ; 2° qu’elle s’humilie et demande avec l’esprit et le cœur le pardon de ses péchés ; qu’elle promette sincèrement de servir Dieu avec l’esprit et le cœur, et d’obéir à ses commandements sans respect humain. Certains prient, demandent à Dieu le triomphe pour nous, les Français. Non, ce n’est pas ce que veut le bon Dieu : il veut la conversion des Français. La Bienheureuse Vierge est venue en France, et celle-ci ne s’est pas convertie : elle est donc plus coupable que les autres nations. Si elle ne s’humilie pas, elle sera grandement humiliée. Paris, ce foyer de vanité et d’orgueil, qui pourra la sauver si des prières ferventes ne s’élèvent pas au cœur du bon Maître ?
Je me souviens, chère mère et chers habitants de mon cher village, je me souviens de ces pieuses processions que vous faisiez sur la sainte montagne de La Salette, afin que la colère de Dieu ne frappe pas votre pays ! La Sainte Vierge a écouté vos ferventes prières, vos pénitences et tout ce que vous avez fait par amour de Dieu. Je pense et j’espère qu’actuellement vous devez d’autant plus faire de belles processions pour le salut de la France, c’est-à-dire pour que la France revienne à Dieu, car Dieu n’attend que cela pour retirer la verge dont il se sert pour flageller son peuple rebelle. Prions donc beaucoup, oui, prions. Faites vos processions, comme vous les avez faites en 1846 et 1847. Croyez que Dieu écoute toujours les prières sincères des cœurs humbles. Prions beaucoup, prions toujours. Je n’ai jamais aimé Napoléon, car je me rappelle toute sa vie. Puisse le divin Sauveur lui pardonner tout le mal qu’il a fait, et qu’il fait encore !
Rappelons-nous que nous sommes créés pour aimer et servir Dieu, et qu’en dehors de cela il n’y a pas de vrai bonheur. Que les mères élèvent chrétiennement leurs enfants, car le temps des tribulations n’est pas fini. Si je vous révélais leur nombre et leur nature, vous en seriez horrifiés. Mais je ne veux pas vous effrayer. Ayez confiance en Dieu, qui nous aime infiniment plus que nous ne pouvons l’aimer. Prions, prions, et la bonne, la divine, la tendre Vierge Marie sera toujours avec nous. La prière désarme la colère de Dieu, la prière est la clé du Paradis.
Prions pour nos pauvres soldats, prions pour tant de mères désolées par la perte de leurs enfants, consacrons-nous à notre bonne Mère céleste, prions pour ces aveugles qui ne voient pas que c’est la main de Dieu qui frappe maintenant la France. Prions beaucoup et faisons pénitence. Restez tous attachés à la sainte Église, et à notre Saint-Père qui en est le Chef visible et le Vicaire de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la terre. Dans vos processions, dans vos pénitences, priez beaucoup pour lui. Enfin, maintenez-vous en paix, aimez-vous comme des frères, promettez à Dieu d’observer ses commandements et de les observer vraiment. Et par la miséricorde de Dieu vous serez heureux, et vous ferez une bonne et sainte mort, que je souhaite à tous en vous plaçant tous sous la protection de l’auguste Vierge Marie. J’embrasse de tout cœur (les parents). Mon salut est dans la Croix. Le cœur de Jésus veille sur moi.

Marie de la Croix, victime de Jésus

Première partie de la publication « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette avec d’autres faits prodigieux, recueillis de documents publics par le prêtre Giovanni Bosco », Turin, Typographie de l’Oratoire Saint François de Sales, 1871.




Chapelet des sept douleurs de Marie

La publication du « Chapelet des sept douleurs de Marie » représente une dévotion chère à saint Jean Bosco qui voulait l’inculquer à ses jeunes. Suivant la structure du « Chemin de Croix », on propose sept scènes douloureuses avec de brèves considérations et prières, pour aider à une participation plus vive aux souffrances de Marie et de son Fils. Riche en images affectives et en sentiments de contrition, le texte reflète le désir de s’unir à la Vierge des Douleurs dans la compassion rédemptrice. Les indulgences accordées par les Papes attestent la haute valeur pastorale du texte qui est un petit trésor de prière et de réflexion, pour alimenter l’amour envers la Mère des douleurs.

Préface
Le but principal de ce fascicule est de faciliter le souvenir et la méditation des Douleurs indicibles du tendre Cœur de Marie. Cette pratique Lui est très agréable, comme Elle l’a révélé plusieurs fois à ses dévots, et c’est un moyen très efficace pour obtenir sa protection.
Afin de faciliter cet exercice de Méditation, on le pratiquera comme un chapelet où l’on évoque les sept principales douleurs de Marie. Elles pourront ensuite être méditées individuellement en sept brèves considérations, comme on le fait habituellement pour le Chemin de Croix.
Que le Seigneur nous accompagne de sa grâce et de sa bénédiction céleste afin de réaliser l’intention désirée. Que l’âme de chacun se laisse pénétrer par le souvenir fréquent des douleurs de Marie, pour son bien spirituel et pour la plus grande gloire de Dieu.

Chapelet des sept douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie avec sept brèves considérations sur celles-ci exposées à la manière du Chemin de Croix

Préparation
Chers frères et sœurs en Jésus-Christ, nous faisons nos exercices habituels en méditant avec amour les grandes douleurs que la Bienheureuse Vierge Marie a endurées dans la vie et la mort de son Fils bien-aimé et notre Divin Sauveur. Imaginons que nous sommes devant Jésus suspendu à la croix, et que sa mère dit à chacun de nous : Venez, et voyez s’il y a une douleur pareille à la mienne.
Persuadés que cette Mère compatissante veut nous accorder une protection spéciale en méditant ses douleurs, invoquons l’aide Divine par les prières suivantes :

Antienne. Veni, Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende.

Emitte Spiritum tuum et creabuntur
Et renovabis faciem terrae.
Memento Congregationis tuae,
Quam possedisti ab initio.
Domine exaudi orationem meam.
Et clamor meus ad te veniat.

Prions.
Nous vous en supplions, Seigneur, illuminez nos esprits de la lumière de votre clarté, afin que nous puissions voir ce qui doit être fait, et que nous puissions faire ce qui est juste. Par le Christ notre Seigneur. Amen.

Première douleur. Prophétie de Syméon
La première douleur fut lorsque la Bienheureuse Vierge Mère de Dieu présenta son Fils unique au Temple dans les bras du saint vieillard Siméon qui lui dit : « Voici qu’une épée transpercera ton âme », ce qui signifiait la passion et la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Vierge des douleurs, par cette épée cruelle prophétisée par le saint vieillard Siméon qui allait transpercer votre âme dans la passion et la mort de votre cher Jésus, je vous supplie de m’obtenir la grâce de garder toujours la mémoire de votre cœur transpercé et des peines très amères endurées par votre Fils pour mon salut. Ainsi soit-il.

Deuxième douleur. Fuite en Égypte
La deuxième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’il lui fallut fuir en Égypte à cause de la persécution du cruel Hérode, qui cherchait impieusement à tuer son Fils bien-aimé.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Marie, océan d’amertume et de larmes, par cette douleur que vous avez éprouvée en fuyant en Égypte pour protéger votre Fils de la cruauté barbare d’Hérode, je vous supplie de bien vouloir être mon guide, afin que par vous je sois libéré des persécutions des ennemis visibles et invisibles de mon âme. Ainsi soit-il.

Troisième douleur. Perte de Jésus au temple
La troisième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’au temps de Pâques, après son séjour à Jérusalem avec son époux Joseph et son cher fils Jésus Sauveur, elle le perdit au moment de retourner dans sa pauvre maison, et soupira la perte de son unique Bien-aimé pendant trois jours continus.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Mère inconsolable, vous qui, ayant perdu la présence corporelle de votre Fils et l’avez cherché anxieusement pendant trois jours continus,  obtenez la grâce à tous les pécheurs afin qu’eux aussi le cherchent par des actes de contrition et le retrouvent. Ainsi soit-il.

Quatrième douleur. Rencontre de Jésus portant la Croix
La quatrième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’elle rencontra son Fils bien-aimé portant une lourde croix sur ses épaules délicates en direction du Mont Calvaire afin d’être crucifié pour notre salut.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Vierge marquée par la passion plus que toute autre, par ce spasme que vous avez éprouvé dans votre cœur en rencontrant votre Fils alors qu’il portait le bois de la Très Sainte Croix vers le Mont Calvaire, faites, je vous en prie, que je l’accompagne sans cesse moi aussi par la pensée, que je pleure mes fautes, cause manifeste de ses tourments et des vôtres. Ainsi soit-il.

Cinquième douleur. Crucifixion de Jésus
La cinquième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’elle vit son Fils élevé sur le bois dur de la Croix, et que son Corps Sacré versait du sang de toutes parts.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Rose parmi les épines, par ces douleurs amères qui transpercèrent votre sein en regardant de vos propres yeux votre Fils transpercé et élevé sur la Croix, obtenez-moi, je vous en prie, que par des méditations assidues je ne cherche que Jésus crucifié à cause de mes péchés. Ainsi soit-il.

Sixième douleur. Déposition de Jésus de la croix
La sixième Douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsque son Fils bien-aimé, blessé au côté après sa mort et déposé de la Croix, tué ainsi de manière impitoyable, fut déposé entre ses bras très saints.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Vierge tourmentée, qui avez accueilli sur votre sein votre Fils mort, vaincu sur la Croix, qui avez baisé ces Plaies sacrées et répandu sur lui une pluie de larmes, faites que moi aussi, par des larmes de vraie componction, je lave continuellement les blessures mortelles que mes péchés vous ont faites. Ainsi soit-il.

Septième douleur. Sépulture de Jésus.
La septième Douleur de la Vierge Marie, Dame et Avocate des serviteurs et misérables pécheurs que nous sommes, fut lorsqu’elle accompagna le Très Saint Corps de son Fils à la sépulture.
Un Pater et sept Ave Maria.

Prière
Ô Martyre des Martyrs, par ce tourment amer que vous avez souffert lorsqu’après la sépulture de votre Fils, il vous fallut vous éloigner de cette tombe aimée, obtenez, je vous en prie, la grâce à tous les pécheurs, afin qu’ils comprennent combien il est gravement dommageable pour l’âme d’être loin de son Dieu. Ainsi soit-il.

On récitera trois Ave Maria en signe de profond respect pour les larmes que la Bienheureuse Vierge a versées dans toutes ses Douleurs pour implorer par son intermédiaire des pleurs semblables pour nos péchés.
Ave Maria etc.

Le Chapelet terminé, on récite la complainte de la Bienheureuse Vierge, c’est-à-dire l’hymne Stabat Mater etc.

Hymne – Complainte de la Bienheureuse Vierge Marie

Stabat Mater dolorosa
Iuxta crucem lacrymosa,
Dum pendebat Filius.

Cuius animam gementem
Contristatam et dolentem
Pertransivit gladius.

O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater unigeniti!

Quae moerebat, et dolebat,
Pia Mater dum videbat.
Nati poenas inclyti.

Quis est homo, qui non fleret,
Matrem Christi si videret
In tanto supplicio?

Quis non posset contristari,
Christi Matrem contemplari
Dolentem cum filio?

Pro peccatis suae gentis
Vidit Iesum in tormentis
Et flagellis subditum.

Vidit suum dulcem natura
Moriendo desolatum,
Dum emisit spiritum.

Eia mater fons amoris,
Me sentire vim doloris
Fac, ut tecum lugeam.

Fac ut ardeat cor meum
In amando Christum Deum,
Ut sibi complaceam.

Sancta Mater istud agas,
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide.

Tui nati vulnerati
Tam dignati pro me pati
Poenas mecum divide.

Fac me tecum pie flere,
Crucifixo condolere,
Donec ego vixero.

Iuxta Crucem tecum stare,
Et me tibi sociare
In planctu desidero.

Virgo virginum praeclara,
Mihi iam non sia amara,
Fac me tecum plangere.

Fac ut portem Christi mortem,
Passionis fac consortem,
Et plagas recolere.

Fac me plagis vulnerari,
Fac me cruce inebriari,
Et cruore Filii.

Flammis ne urar succensus,
Per te, Virgo, sim defensus
In die Iudicii.

Christe, cum sit hine exire,
Da per matrem me venire
Ad palmam victoriae.

Quando corpus morietur,
Fac ut animae donetur
Paradisi gloria. Amen.

Debout, la mère des douleurs
Près de la croix était en pleurs
Quand son Fils pendait au bois.

Alors, son âme gémissante
Toute triste et toute dolente
Un glaive la transperça.

Qu’elle était triste, anéantie,
La femme entre toutes bénie,
La Mère du Fils de Dieu !

Dans le chagrin qui la poignait,
Cette tendre Mère pleurait
Son Fils mourant sous ses yeux.

Quel homme sans verser de pleurs
Verrait la Mère du Seigneur
Endurer si grand supplice ?

Qui pourrait dans l’indifférence
Contempler en cette souffrance
La Mère auprès de son Fils ?

Pour toutes les fautes humaines,
Elle vit Jésus dans la peine
Et sous les fouets meurtri.

Elle vit l’Enfant bien-aimé
Mourir tout seul, abandonné,
Et soudain rendre l’esprit.

O Mère, source de tendresse,
Fais-moi sentir grande tristesse
Pour que je pleure avec toi.

Fais que mon âme soit de feu
Dans l’amour du Seigneur mon Dieu :
Que je lui plaise avec toi.

Mère sainte, daigne imprimer
Les plaies de Jésus crucifié
En mon cœur très fortement.

Pour moi, ton Fils voulut mourir,
Aussi donne-moi de souffrir
Une part de ses tourments.

Pleurer en toute vérité
Comme toi près du crucifié
Au long de mon existence.

Je désire auprès de la croix
Me tenir, debout avec toi,
Dans ta plainte et ta souffrance.

Vierge des vierges, toute pure,
Ne sois pas envers moi trop dure,
Fais que je pleure avec toi.

Du Christ fais-moi porter la mort,
Revivre le douloureux sort
Et les plaies, au fond de moi.

Fais que ses plaies me blessent,
Que la croix me donne l’ivresse
Du sang versé par ton Fils.

Je crains les flammes éternelles ;
O Vierge, assure ma tutelle
À l’heure de la justice.

Ô Christ, à l’heure de partir,
Puisse ta Mère me conduire
À la palme de la victoire.

À l’heure où mon corps va mourir,
À mon âme fais obtenir
La gloire du paradis.

Le Souverain Pontife Innocent XI accorde une indulgence de 100 jours chaque fois que l’on récite le Stabat Mater. Benoît XIII a accordé une indulgence de sept ans à ceux qui réciteront le Chapelet des Sept Douleurs de Marie. De nombreuses autres indulgences ont été accordées par d’autres Souverains Pontifes, spécialement aux Confrères et Consœurs de la compagnie de Notre-Dame des Douleurs.

Les sept douleurs de Marie méditées à la manière du Chemin de Croix
Invoquer l’aide divine en disant :
Actiones nostras, quaesumus Domine, aspirando praeveni, et adiuvando prosequere, ut cuncta nostra oratio et operatio a te semper incipiat, et per te coepta finiatur. Per Christum Dominum Nostrum. Amen.

Acte de Contrition
Ô Vierge affligée entre toutes, combien j’ai été ingrat dans le temps passé envers mon Dieu, avec quelle ingratitude j’ai répondu à ses innombrables bienfaits ! Maintenant je m’en repens, et dans l’amertume de mon cœur et dans les larmes de mon âme, je Lui demande humblement pardon d’avoir outragé son infinie bonté, résolu à l’avenir, avec la grâce céleste, de ne plus jamais l’offenser. Ah ! par toutes les douleurs que vous avez supportées dans la terrible passion de votre bien-aimé Jésus, je vous prie en soupirant au plus profond de moi-même de m’obtenir de Lui, pitié et miséricorde pour mes péchés. Agréez ce saint exercice que je vais faire et recevez-le en union avec les peines et les douleurs que Vous avez souffertes pour votre Fils Jésus. Accordez-moi, oui, accordez-moi que les épées qui ont transpercé votre esprit, transpercent aussi le mien, et que je vive et meure dans l’amitié de mon Seigneur, pour participer éternellement à la gloire qu’il m’a acquise par son précieux Sang. Ainsi soit-il.

Première douleur
Dans cette première douleur, imaginons-nous au temple de Jérusalem, où la Très Sainte Vierge entendit la prophétie du vieillard Siméon.

Méditation
Ah ! quelles angoisses le cœur de Marie a-t-il dû éprouver en entendant les paroles douloureuses par lesquelles le Saint vieillard Siméon lui prédisait l’amère passion et l’atroce mort de son très doux Jésus ! Au même instant se présentaient à son esprit les affronts, les outrages et le massacre que les impies feraient du Rédempteur du monde. Mais sais-tu quelle fut l’épée la plus pénétrante qui la transperça en cette circonstance ? Ce fut de considérer l’ingratitude avec laquelle son cher Fils serait payé de retour par les hommes. En réfléchissant maintenant que tu es malheureusement au nombre de ceux-là cause de tes péchés, jette-toi aux pieds de cette Mère Douloureuse et dis-lui en pleurant (chacun s’agenouille) : Ô Vierge de pitié, qui avez éprouvé une grande douleur dans votre esprit en voyant l’abus que moi, créature indigne, je ferais du sang de votre aimable Fils, faites, oui faites par votre Cœur tellement affligé, qu’à l’avenir je réponde aux Divines Miséricordes, que je profite des grâces célestes, que je ne reçoive pas en vain les lumières et les inspirations que vous daignerez m’obtenir afin que j’aie le bonheur d’être au nombre de ceux à qui l’amère passion de Jésus procure un salut éternel. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Deuxième douleur
Dans cette deuxième douleur, considérons le voyage très pénible que la Vierge fit en Égypte pour délivrer Jésus de la cruelle persécution d’Hérode.

Méditation
Considère l’amère douleur que Marie a dû éprouver lorsqu’elle dut se mettre en chemin de nuit sur l’ordre de l’Ange afin de préserver son Fils du massacre ordonné par ce prince féroce. À chaque cri d’animal, à chaque souffle de vent, à chaque mouvement de feuille qu’elle entendait sur ces routes désertes, elle était remplie d’effroi, craignant quelque malheur pour l’enfant Jésus qu’elle portait avec elle. Tantôt elle se tournait d’un côté, tantôt de l’autre, tantôt elle pressait le pas, tantôt elle se cachait, croyant être rejointe par les soldats, qui, arrachant de ses bras son Fils bien-aimé, l’auraient traité barbarement sous ses yeux. Fixant son œil larmoyant sur son Jésus et le serrant fortement contre sa poitrine, elle lui donnait mille baisers en poussant des soupirs angoissés de son cœur. Et maintenant, réfléchis combien de fois tu as renouvelé cette amère douleur à Marie, forçant son Fils par tes graves péchés à fuir de ton âme. Maintenant que tu connais le grand mal commis, tourne-toi plein de repentir vers cette Mère compatissante en lui disant :
Ah, très douce Mère ! Une fois Hérode vous a contrainte, vous et votre Jésus, à prendre la fuite à cause de la persécution inhumaine qu’il avait ordonnée. Mais moi, oh ! combien de fois j’ai obligé mon Rédempteur, et par conséquent vous aussi, à partir rapidement de mon cœur, en y introduisant le péché maudit, votre ennemi impitoyable et celui de mon Dieu. Hélas ! tout affligé et contrit, je vous en demande humblement pardon.
Oui, miséricorde, ô ma chère Mère, miséricorde, et je vous promets à l’avenir, avec l’aide Divine, de toujours maintenir mon Sauveur et Vous en possession totale de mon âme. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Troisième douleur
Dans cette troisième douleur, considérons la Vierge angoissée qui, en larmes, cherche son Jésus égaré.

Méditation
Combien grande fut la peine de Marie, lorsqu’elle s’aperçut d’avoir perdu son aimable Fils ! Et comme sa douleur s’accrut lorsqu’après l’avoir diligemment cherché auprès de ses amis, parents et voisins, elle ne put avoir aucune nouvelle de Lui ! Elle erra trois jours entiers dans les contrées de la Judée, sans se soucier des inconvénients, de la fatigue, des dangers, répétant ces paroles de désolation : quelqu’un a-t-il vu celui que mon âme aime ? L’anxiété avec laquelle elle le cherchait lui faisait imaginer à chaque instant de le voir, ou d’entendre sa voix. Mais ensuite, se voyant déçue, comme elle frissonnait et éprouvait plus sensiblement le regret d’une si déplorable perte ! Quelle confusion pour toi, pécheur, qui as tant de fois égaré ton Jésus par les graves fautes que tu as commises ! Tu ne t’es donné aucune peine de le chercher, signe évident que tu fais peu ou pas de cas du précieux trésor de l’amitié Divine. Pleure donc ta cécité, tourne-toi vers cette Mère Douloureuse, et dis-lui en soupirant :
Notre-Dame des douleurs, faites que j’apprenne de vous la vraie manière de chercher Jésus que j’ai perdu pour suivre mes passions et les iniques suggestions du démon, afin que je réussisse à le retrouver, et quand je l’aurai retrouvé, je répéterai continuellement vos paroles : J’ai retrouvé celui que mon cœur aime ; je le garderai toujours avec moi, et je ne le laisserai plus jamais partir. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Quatrième douleur
Dans la quatrième douleur, considérons la rencontre que fit la Vierge affligée avec son Fils sur le chemin de la croix.

Méditation
Venez donc, cœurs endurcis, et voyez si vous pouvez supporter ce spectacle de désolation. C’est une mère, la plus tendre, la plus aimante des mères, qui rencontre son Fils, le plus doux, le plus aimable des fils. Et comment le rencontre-t-elle ? Ô Dieu ! au milieu de la plus impie populace qui le traîne cruellement à la mort, couvert de plaies, ruisselant de sang, déchiré par les blessures, avec une couronne d’épines sur la tête et un lourd tronc sur les épaules, haletant, essoufflé, languissant. À chaque pas, il semble vouloir rendre le dernier soupir.
Considère, ô mon âme, l’arrêt mortel que fait la Très Sainte Vierge au premier regard qu’elle fixe sur son Jésus tourmenté. Elle voudrait lui faire un dernier adieu, mais comment faire, si la douleur l’empêche de prononcer un seul mot ? Elle voudrait se jeter à son cou, mais elle reste immobile et pétrifiée par la force de l’affliction intérieure. Elle voudrait se soulager par les larmes, mais son cœur est tellement serré et opprimé qu’elle ne peut verser une larme. Oh ! qui peut retenir ses larmes en voyant une pauvre Mère plongée dans une si grande affliction ? Mais qui donc est la cause d’une si amère peine ? Ah, c’est moi, oui c’est moi avec mes péchés qui ai fait une si barbare blessure à votre tendre cœur, ô Vierge Douloureuse. Pourtant, qui le croirait ? Je reste insensible sans être le moins du monde ému. Mais si j’ai été ingrat par le passé, je ne le serai plus à l’avenir.
En attendant, prosterné à vos pieds, ô Très Sainte Vierge, je vous demande humblement pardon de tant de chagrin que je vous ai causé. Je le sais et je le confesse : je ne mérite pas de pitié, étant moi la vraie raison pour laquelle vous êtes tombée de douleur en rencontrant votre Jésus tout couvert de plaies. Mais souvenez-vous, oui souvenez-vous que vous êtes mère de miséricorde. Montrez-vous donc comme telle envers moi, car je vous promets à l’avenir d’être plus fidèle à mon Rédempteur, et de compenser ainsi tant de dégoûts que j’ai donnés à votre esprit tellement affligé. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Cinquième douleur
Dans cette cinquième douleur, imaginons que nous sommes au Mont Calvaire où la Vierge très affligée vit expirer son Fils bien-aimé sur la Croix.

Méditation
Nous voici au Calvaire où deux autels sont déjà dressés pour le sacrifice, l’un dans le corps de Jésus, l’autre dans le cœur de Marie. Ô funeste spectacle ! Nous voyons la Mère noyée dans un océan d’afflictions en voyant son cher et aimable fruit de ses entrailles arraché par une mort impitoyable. Chaque coup de marteau, chaque plaie, chaque lacération que le Sauveur reçoit sur sa chair, résonne profondément dans le cœur de la Vierge. Elle se tient au pied de la Croix, tellement pénétrée de peine et transpercée par le chagrin que l’on ne saurait décider qui sera le premier à expirer, Jésus ou Marie. Elle fixe son regard sur le visage de son Fils agonisant, considère ses pupilles languissantes, son visage pâle, ses lèvres livides, sa respiration difficile. Elle constate enfin qu’il ne vit plus et qu’il a déjà remis son esprit au sein de son Père éternel. Ah ! que son âme fait alors tout son possible pour se séparer de son corps et s’unir à celle de Jésus ! Et qui peut supporter une telle vue ?
Ô Mère, au lieu de vous retirer du Calvaire, afin de ne pas ressentir si vivement les angoisses, vous y restez immobile pour absorber jusqu’à la dernière goutte l’amer calice de vos afflictions. Quelle confusion ce doit être pour moi qui cherche tous les moyens d’éviter les croix et ces petites souffrances que le Seigneur daigne m’envoyer pour mon bien ! Vierge très douloureuse, je m’humilie devant vous, faites que je connaisse une fois clairement le prix et la grande valeur de la souffrance, afin que j’y prenne un tel attachement, que je ne me lasse jamais de m’écrier avec Saint François Xavier : Plus Domine, Plus Domine, plus de souffrance, mon Dieu. Ah oui, plus souffrir, ô mon Dieu. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Sixième douleur
Dans cette sixième douleur, imaginons-nous voir la Vierge inconsolable quand elle reçoit dans ses bras son Fils défunt descendu de la Croix.

Méditation
Considère l’amère douleur qui pénétra l’âme de Marie, lorsqu’elle vit sur son sein le corps défunt de son bien-aimé Jésus. En fixant son regard sur ses blessures et sur ses plaies, en le voyant rougi de son propre sang, son chagrin intérieur fut si grand que son cœur fut mortellement transpercé. Si elle ne mourut pas, ce fut la Toute-Puissance Divine qui la conserva en vie. Ô pauvre Mère, oui, pauvre mère, qui conduisez à la tombe le cher objet de vos plus tendres complaisances, qui d’un bouquet de roses est devenu un faisceau d’épines par les mauvais traitements et les lacérations que lui ont infligés les impies bourreaux. Qui n’aura pas compassion de vous ? Qui ne se sentira pas déchiré par la douleur en vous voyant dans un état d’affliction à émouvoir même le plus dur des rochers ? J’observe Jean inconsolable, Madeleine avec les autres Marie qui pleurent amèrement, Nicodème qui ne peut plus se tenir debout à cause de l’affliction. Et moi, moi seul qui ne verse pas une larme au milieu de tant de douleur ! Ingrat et oublieux que je suis !
Ô Mère très douce, me voici à vos pieds, recevez-moi sous votre puissante protection et faites que mon cœur reste transpercé par cette épée qui a traversé de part en part votre esprit affligé, afin qu’il s’attendrisse enfin et pleure vraiment mes graves péchés qui vous ont causé un si cruel martyre. Et qu’il en soit ainsi. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Septième douleur
Dans cette septième douleur, considérons la Vierge très affligée qui voit son Fils défunt enfermé dans le tombeau.

Méditation
Considère le soupir mortel que poussa le cœur affligé de Marie lorsqu’elle vit son aimable Jésus déposé dans la tombe ! Oh ! quelle peine, quel chagrin éprouva son esprit lorsque fut levée la pierre avec laquelle on devait fermer ce très sacré monument ! Il n’était pas possible de la détacher du bord du sépulcre, tant la douleur la rendait insensible et immobile, ne cessant jamais de contempler ces plaies et ces cruelles blessures. Quand ensuite la tombe fut fermée, c’est alors que la désolation intérieure fut si grande qu’elle se serait sans doute éteinte si Dieu ne l’avait conservée en vie. Ô mère très éprouvée ! Vous quitterez maintenant ce lieu avec votre corps, mais votre cœur restera sûrement ici, car c’est ici qu’est votre vrai trésor. Faites que toute notre affection reste en sa compagnie, tout notre amour. Comment se pourrait-il que nous ne soyons pas remplis de bienveillance envers le Sauveur, qui a donné tout son sang pour notre salut ? Comment se pourrait-il que nous ne vous aimions pas, vous qui avez tant souffert à cause de nous.
Maintenant, affligés et repentants pour avoir causé tant de douleurs à votre Fils et tant d’amertume à vous, nous nous prosternons à vos pieds et pour toutes ces peines que vous nous avez fait la grâce de méditer, accordez-nous cette faveur : que le souvenir de celles-ci reste toujours vivement imprimé dans notre esprit, que nos cœurs se consument d’amour pour notre bon Dieu, et pour Vous, notre très douce Mère, et que le dernier soupir de notre vie soit uni à ceux que vous avez exhalés du fond de votre âme dans la douloureuse passion de Jésus, à qui soient honneur, gloire et actions de grâces pour tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.

Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.

Ensuite, on dit le Stabat Mater, comme ci-dessus.

Antienne. Tuam ipsius animam (ait ad Mariam Simeon) pertransiet gladius.
Ora pro nobis Virgo Dolorosissima.
Ut digni efficiamur promissionibus Christi.

Oremus
Deus in cuius passionem secundum Simeonis prophetiam, dulcissimam animam Gloriosae Virginis et Matris Mariae doloris gladius pertransivit, concede propitius, ut qui dolorum eius memoriam recolimus, passionis tuae effectum felicem consequamur. 
Qui vivis etc.

Louange à Dieu et à la Vierge Douloureuse.

Avec la permission de la Révision Ecclésiastique

La Fête des Sept Douleurs de Marie Vierge Douloureuse, célébrée par la Pieuse Union et Société, tombe le troisième dimanche de septembre dans l’église Saint-François-d’Assise.

Texte de la 3e édition, Turin, Typographie de Giulio Speirani et fils, 1871




La bergère, les brebis et les agneaux (1867)

Dans le passage qui suit, Don Bosco, fondateur de l’Oratoire de Valdocco, raconte à ses jeunes un rêve qu’il a fait dans la nuit du 29 au 30 mai 1867 et qu’il a narré le soir du dimanche de la Sainte Trinité. Dans une plaine immense, les troupeaux et les agneaux deviennent l’allégorie du monde et des jeunes : les prairies luxuriantes ou les déserts arides figurent la grâce et le péché ; les cornes et les blessures dénoncent le scandale et le déshonneur ; le chiffre « 3 » annonce trois famines – spirituelle, morale, matérielle – qui menacent ceux qui s’éloignent de Dieu. De ce récit jaillit l’appel pressant du saint : préserver l’innocence, revenir à la grâce par la pénitence, afin que chaque jeune puisse se revêtir des fleurs de la pureté et participer à la joie promise par le bon Pasteur.

Le dimanche de la Sainte Trinité, 16 juin, jour où vingt-six ans auparavant Don Bosco avait célébré sa première messe, les jeunes attendaient le rêve, dont le récit avait été annoncé par lui le 13. Son ardent désir était le bien de son troupeau spirituel, et sa norme étaient toujours les avertissements et les promesses du chapitre XXVII, v. 23-25 du livre des Proverbes : Diligenter agnosce vultum pecoris tui, tuosque greges considera : non enim habebis iugiter potestatem : sed corona tribuetur in generationem et generationem. Aperta sunt prata, et apparuerunt herbae virentes, et collecta sunt foena de montibus… (Préoccupe-toi de l’état de ton troupeau, prends soin de tes troupeaux, car les richesses ne sont pas éternelles et une couronne ne dure pas pour toujours. Quand le foin a été emporté, l’herbe nouvelle repousse et on recueille les fourrages dans les montagnes, Prov 27,23-25). Dans ses prières, il demandait d’acquérir une connaissance exacte de ses brebis, d’avoir la grâce de veiller sur elles attentivement, d’assurer leur protection même après sa mort et de les voir pourvues d’une bonne nourriture spirituelle et matérielle. Voici comment Don Bosco parla après les prières du soir.

Dans l’une des dernières nuits du mois de Marie, le 29 ou 30 mai, étant au lit et ne pouvant dormir, je pensais à mes chers jeunes et je me disais en moi-même :
– Oh si je pouvais rêver quelque chose qui leur soit profitable !
Je restai un moment à réfléchir et je me résolus :
– Oui ! maintenant je veux faire un rêve pour les jeunes !
Et voilà que je m’endormis. À peine pris par le sommeil, je me trouvai dans une immense plaine couverte d’un nombre infini de grosses brebis, réparties en troupeaux, qui broutaient dans des prairies à perte de vue. Je voulus m’approcher d’elles et je me mis à chercher le berger, m’étonnant qu’il puisse y avoir dans le monde quelqu’un qui possédait un si grand nombre de brebis. Je cherchai un bref moment, quand je vis devant moi un berger appuyé sur son bâton. Je m’approchai immédiatement pour l’interroger et lui demandai :
– À qui appartient ce grand troupeau ?
Le berger ne me répondit pas. Je répétai la question et alors il me dit :
– Que veux-tu savoir ?
– Et pourquoi, lui dis-je, me réponds-tu de cette manière ?
– Eh bien, ce troupeau appartient à son maître !
À son maître ? Je le savais déjà, me dis-je en moi-même. Puis je continuai à haute voix :
– Qui est ce maître ?
– Ne t’inquiète pas, me répondit le berger, tu le sauras.
Alors, parcourant avec lui cette vallée, je me mis à examiner le troupeau et toute cette région où il errait. La vallée était en certains endroits couverte d’une riche verdure avec des arbres étendant de larges frondaisons avec des ombres gracieuses et de l’herbe fraîche dont se nourrissaient de belles et florissantes brebis. Dans d’autres endroits, la plaine était stérile, sablonneuse, pleine de pierres avec des épineux sans feuilles, et des herbes jaunies, et il n’y avait pas un brin d’herbe fraîche ; et pourtant ici aussi il y avait beaucoup d’autres brebis qui paissaient, mais d’apparence misérable.
Je demandais diverses explications à mon guide concernant ce troupeau, et lui, sans donner aucune réponse à mes questions, me dit :
– Tu n’es pas destiné à eux. Tu ne dois pas penser à celles-là. Je te ferai voir le troupeau dont tu dois prendre soin.
– Mais qui es-tu ?
– Je suis le maître ; viens voir avec moi là-bas, de ce côté.
Et il me conduisit à un autre point de la plaine où se trouvaient des milliers et des milliers de petits agneaux. Ceux-ci étaient si nombreux qu’on ne pouvait les compter, mais si maigres qu’ils peinaient à marcher. La prairie était sèche et aride et sablonneuse et on n’y voyait pas un brin d’herbe fraîche, pas un ruisseau, mais seulement quelques buissons desséchés et des broussailles arides. Chaque pâturage avait été complètement détruit par les agneaux eux-mêmes.
On voyait à première vue que ces pauvres agneaux couverts de plaies avaient beaucoup souffert et souffraient encore beaucoup. Chose étrange ! Chacun avait deux cornes longues et grosses qui lui poussaient sur le front, comme s’ils étaient de vieux béliers, et à la pointe des cornes ils avaient un appendice en forme de « S ». Étonné, je restai perplexe en voyant cet étrange appendice d’un genre si nouveau, et je ne pouvais me résoudre à comprendre pourquoi ces agneaux avaient déjà des cornes si longues et si grosses, et avaient déjà détruit si tôt toute leur pâture.
– Comment cela se fait-il ? dis-je au berger. Ces agneaux sont encore si petits et ont déjà de telles cornes ?
– Regarde, me répondit-il ; observe.
En observant plus attentivement, je vis que ces agneaux portaient beaucoup de chiffres « 3 » imprimés sur toutes les parties du corps, sur le dos, sur la tête, sur le museau, sur les oreilles, sur le nez, sur les pattes, sur les ongles.
– Mais que signifie cela ? m’écriai-je. Je ne comprends rien.
– Comment, tu ne comprends pas ? dit le berger. Écoute donc et tu sauras tout. Cette vaste plaine est le grand monde. Les lieux pleins d’herbe, la parole de Dieu et la grâce. Les lieux stériles et arides sont les lieux où l’on n’écoute pas la parole de Dieu et où l’on cherche seulement à plaire au monde. Les brebis sont les hommes faits, les agneaux sont les jeunes et pour ceux-ci, Dieu a envoyé Don Bosco. Ce coin de la plaine que tu vois est l’Oratoire et les agneaux rassemblés ici sont tes enfants. Cet endroit si aride représente l’état de péché. Les cornes signifient le déshonneur. La lettre « S » signifie scandale. Ils vont à la ruine par le mauvais exemple. Parmi ces agneaux, il y en a quelques-uns qui ont les cornes cassées ; ils ont été scandaleux, mais maintenant ils ont cessé de donner du scandale. Le chiffre « 3 » signifie qu’ils portent les peines de leurs fautes, c’est-à-dire qu’ils souffriront trois grandes famines : une famine spirituelle, une famine morale et une famine matérielle : 1° Famine d’aides spirituelles : ils demanderont cette aide et ne l’auront pas. 2° Famine de la parole de Dieu. 3° Famine de pain matériel. Le fait que les agneaux ont tout mangé signifie qu’il ne leur reste plus rien d’autre que le déshonneur et le nombre « 3 », c’est-à-dire les famines. Ce spectacle montre aussi les souffrances actuelles de tant de jeunes au milieu du monde. À l’Oratoire, même ceux qui en seraient indignes ne manquent pas de pain matériel.
Pendant que j’écoutais et observais tout comme quelqu’un qui a perdu la mémoire, voilà une nouvelle merveille. Tous ces agneaux changèrent d’apparence !
Se levant sur leurs pattes arrière, ils devinrent grands et prirent tous la forme de jeunes garçons. Je m’approchai pour voir si j’en connaissais quelques-uns. C’étaient tous des jeunes de l’Oratoire. Il y en avait beaucoup que je n’avais jamais vus, mais tous se disaient fils de notre Oratoire. Et parmi ceux que je ne connaissais pas, il y en avait aussi quelques-uns qui se trouvent actuellement à l’Oratoire. Ce sont ceux qui ne se présentent jamais à Don Bosco, qui ne vont jamais chercher conseil auprès de lui, ceux qui l’évitent, en un mot, ceux que Don Bosco ne connaît pas encore ! L’immense majorité cependant des inconnus était composée de ceux qui n’ont pas été ou qui ne sont pas encore à l’Oratoire.
Pendant que j’observais avec peine cette multitude, celui qui m’accompagnait me prit par la main et me dit :
– Viens avec moi et tu verras autre chose ! – Et il me conduisit dans un endroit reculé de la vallée, entouré de petites collines, ceint d’une haie de plantes luxuriantes, où se trouvait une grande prairie verdoyante, la plus fertile qu’on puisse imaginer, remplie de toutes sortes d’herbes odorantes, parsemée de fleurs des champs, avec de frais bosquets et des ruisseaux d’eaux limpides. Ici, je trouvai un autre grand nombre de fils, tous joyeux, qui avec les fleurs de la prairie s’étaient confectionné ou allaient se confectionner un bel habit.
– Au moins, tu as là ceux qui te donnent de grandes consolations.
– Et qui sont-ils ? demandai-je.
– Ce sont ceux qui se trouvent en grâce de Dieu.
Ah ! je peux dire que je n’ai jamais vu de choses et de personnes aussi belles et éclatantes, ni jamais je n’aurais pu imaginer de telles splendeurs. Il est inutile que je me mette à les décrire, car ce serait gâcher ce qui est impossible à dire si on ne les voit pas. Il m’était cependant réservé un spectacle bien plus surprenant. Pendant que je regardais avec un immense plaisir ces jeunes garçons et que je contemplais beaucoup d’entre eux que je ne connaissais pas encore, mon guide me dit :
– Viens, viens avec moi et je te ferai voir une chose qui te donnera une joie et une consolation plus grandes. – Et il me conduisit dans une autre prairie toute parsemée de fleurs plus belles et plus odorantes que celles déjà vues. Elle avait l’aspect d’un jardin princier. Ici, on apercevait un nombre plus limité de jeunes, mais qui étaient d’une beauté et d’un éclat si extraordinaires qu’ils faisaient oublier ceux que je venais d’admirer. Certains d’entre eux sont déjà à l’Oratoire, d’autres y viendront plus tard.
Le berger me dit :
– Voici ceux qui conservent le beau lys de la pureté. Ils sont encore vêtus de l’étole de l’innocence.
Je regardais, extasié. Presque tous portaient sur la tête une couronne de fleurs d’une beauté indescriptible. Ces fleurs étaient composées d’autres petites fleurs d’une délicatesse surprenante, et leurs couleurs étaient d’une vivacité et d’une variété enchanteresses. Plus de mille couleurs dans une seule fleur, et dans une seule fleur on voyait plus de mille fleurs. Une robe d’une blancheur éclatante descendait à leurs pieds, elle aussi toute entrelacée de guirlandes de fleurs, semblables à celles de la couronne. La lumière charmante qui émanait de ces fleurs revêtait toute la personne et reflétait en elle sa propre gaieté. Les fleurs se reflétaient les unes dans les autres et celles des couronnes dans celles des guirlandes, réverbérant chacune les rayons émis par les autres. Un rayon d’une couleur contrastant avec un rayon d’une autre couleur formait de nouveaux rayons, différents, scintillants et donc à chaque rayon se reproduisaient toujours de nouveaux rayons, si bien que je n’aurais jamais pu croire qu’il y ait au paradis un enchantement si varié. Ce n’est pas tout. Les rayons et les fleurs de la couronne des uns se reflétaient dans les fleurs et dans les rayons de la couronne de tous les autres, comme aussi les guirlandes, et la richesse de la robe des uns se reflétait dans les guirlandes, dans les robes des autres. Les splendeurs ensuite du visage d’un jeune, en rebondissant, se fondaient avec celles du visage des compagnons et se réverbéraient multipliées sur toutes ces petites faces innocentes et rondes, produisant tant de lumière qu’elles éblouissaient la vue et empêchaient de fixer le regard.
Ainsi, en un seul s’accumulaient les beautés de tous les autres compagnons dans une harmonie de lumière ineffable ! C’était la gloire accidentelle des saints. Il n’y a aucune image humaine pour décrire même de loin combien chacun de ces jeunes devenait beau au milieu de cet océan de splendeurs. Parmi eux, j’en observai quelques-uns en particulier, qui sont maintenant ici à l’Oratoire et je suis certain que, s’ils pouvaient voir au moins le dixième de leur actuelle beauté, ils seraient prêts à souffrir le feu, à se laisser couper en morceaux, à subir en somme le plus atroce des martyrs plutôt que de la perdre.
Dès que je pus me remettre un peu de ce spectacle céleste, je me tournai vers le guide et lui dis :
– Mais parmi tant de mes jeunes, il y a donc si peu d’innocents ? Ils sont si peu nombreux ceux qui n’ont jamais perdu la grâce de Dieu ?
Le berger me répondit :
– Comment ? Tu penses que le nombre n’est pas assez grand ? Sache que ceux qui ont eu le malheur de perdre le beau lys de la pureté, et avec cela l’innocence, peuvent encore suivre leurs compagnons dans la pénitence. Regarde : dans cette prairie il y a encore beaucoup de fleurs ; eh bien, ils peuvent s’en servir pour tisser une couronne et une belle robe et même suivre les innocents dans la gloire.
– Suggère-moi encore quelque chose à dire à mes jeunes ! dis-je alors.
– Répète à tes jeunes que s’ils connaissaient combien l’innocence et la pureté sont précieuses et belles aux yeux de Dieu, ils seraient disposés à faire n’importe quel sacrifice pour la conserver. Dis-leur qu’ils se donnent du courage pour pratiquer cette vertu candide, qui surpasse les autres en beauté et en éclat. Car les chastes sont ceux qui crescunt tanquam lilia in conspectu Domini (ils croissent comme des lys devant le Seigneur).
Je voulus alors aller au milieu de mes chers fils, si bellement couronnés, mais je trébuchai sur le sol et, me réveillant, je me suis retrouvé dans mon lit.
Mes chers fils, êtes-vous tous innocents ? Peut-être y en a-t-il quelques-uns parmi vous et je veux m’adresser à eux. Par pitié, ne perdez pas un bien d’une valeur inestimable ! C’est une richesse qui vaut autant que vaut le Paradis, autant que vaut Dieu ! Si vous aviez pu voir comme ces jeunes étaient beaux avec leurs fleurs. L’ensemble de ce spectacle était tel que j’aurais donné n’importe quoi au monde pour jouir encore de cette vision. En fait, si j’étais peintre, je considérerais comme une grande grâce de pouvoir peindre d’une manière ou d’une autre ce que j’ai vu. Si vous connaissiez la beauté d’un innocent, vous vous soumettriez à n’importe quel effort le plus pénible, même à la mort, pour conserver le trésor de l’innocence.
Quant à ceux qui étaient revenus en grâce, bien que cela m’ait apporté une grande consolation, j’espérais cependant que leur nombre serait bien plus grand. Et je restai très étonné en voyant quelqu’un qui semble ici apparemment un bon jeune, mais qui avait là des cornes longues et grosses…
Don Bosco termina par une chaude exhortation à ceux qui ont perdu l’innocence, pour qu’ils s’efforcent volontiers de retrouver la grâce au moyen de la pénitence.
Deux jours plus tard, le 18 juin, Don Bosco remontait le soir sur l’estrade et donna quelques explications de son rêve.
Aucune explication ne serait plus nécessaire concernant le rêve, mais je répéterai ce que j’ai déjà dit. La grande plaine est le monde, et aussi les lieux et l’état d’où ont été appelés ici tous nos jeunes. Le lieu où se trouvaient les agneaux est l’Oratoire. Les agneaux sont tous les jeunes, qui ont été, sont actuellement, et seront à l’Oratoire. Les trois prairies de cet endroit, celle qui est aride, la verte, et celle qui est fleurie, indiquent l’état de péché, l’état de grâce et l’état d’innocence. Les cornes des agneaux sont les scandales qui ont été donnés dans le passé. Ceux qui avaient les cornes cassées ce sont ceux qui ont été scandaleux, mais qui maintenant ont cessé de donner du scandale. Tous ces chiffres « 3 », qu’on voyait imprimés sur chaque agneau, ce sont, comme je l’ai su du berger, trois châtiments que Dieu enverra sur les jeunes : 1° Famine par manque d’aides spirituelles. 2° Famine morale, c’est-à-dire manque d’instruction religieuse et de la parole de Dieu. 3° Famine matérielle, c’est-à-dire manque même de nourriture. Les jeunes resplendissants sont ceux qui se trouvent en grâce de Dieu, et surtout ceux qui conservent encore l’innocence baptismale et la belle vertu de la pureté. Comme elle est grande la gloire qui les attend !
Mettons-nous donc, chers jeunes, à pratiquer courageusement la vertu. Celui qui n’est pas en grâce de Dieu, qu’il s’y mette de bon cœur et donc avec toutes ses forces et avec l’aide de Dieu, qu’il persévère jusqu’à la mort. Que si nous ne pouvons tous être en compagnie des innocents et faire couronne à Jésus, l’Agneau immaculé, nous pouvons au moins le suivre après eux.
Un de vous m’a demandé s’il était parmi les innocents et je lui dis que non et qu’il avait des cornes, mais cassées. Il me demanda encore s’il avait des plaies et je lui dis oui.
– Et que signifient ces plaies ? ajouta-t-il.
Je répondis :
– N’aie pas peur. Elles sont cicatrisées, elles disparaîtront ; ces plaies ne sont plus déshonorantes, comme ne sont pas déshonorantes les cicatrices d’un combattant, qui malgré les nombreuses blessures et l’assaut et les efforts de l’ennemi, sut vaincre et remporter la victoire. Ce sont donc des cicatrices honorables !… Mais il est plus honorable celui qui, combattant vaillamment au milieu des ennemis, ne reçoit aucune blessure. Son intégrité suscite l’émerveillement de tous.
En expliquant ce rêve, Don Bosco dit aussi qu’il ne passera plus beaucoup de temps avant que ces trois maux ne se fassent sentir : – Peste, famine et donc manque de moyens pour faire le bien.
Il ajouta qu’avant trois mois il se passera quelque chose de particulier.
Ce rêve produisit chez les jeunes l’impression et les fruits qu’avaient obtenus très souvent des récits semblables.
(MB VIII 839-845)




Les sept allégresses de la Vierge Marie

Au cœur de l’œuvre éducative et spirituelle de Saint Jean Bosco, la figure de la Vierge Marie occupe une place privilégiée et lumineuse. Don Bosco ne fut pas seulement un grand éducateur et fondateur, mais aussi un fervent dévot de la Vierge Marie, qu’il vénérait avec une profonde affection et à laquelle il confiait chacun de ses projets pastoraux. L’une des expressions les plus caractéristiques de cette dévotion est la pratique des « Sept allégresses de la Vierge Marie », proposée de manière simple et accessible dans sa publication « Il giovane provveduto », l’un des textes les plus diffusés de sa pédagogie spirituelle.

Une œuvre pour l’âme des jeunes
En 1875, Don Bosco publiait une nouvelle édition de son livre « Il giovane provveduto per la pratica de’ suoi doveri negli esercizi di cristiana pietà », un manuel de prières, d’exercices spirituels et de règles de conduite chrétienne conçu pour les jeunes. Ce livre, rédigé dans un style sobre et paternel, visait à accompagner les jeunes dans leur formation morale et religieuse, en les introduisant à une vie chrétienne intégrale. Il y avait également une place pour la dévotion aux « Sept allégresses de la Très Sainte Vierge Marie », une prière simple mais intense, structurée en sept points. Contrairement aux « Sept douleurs de la Vierge Marie », beaucoup plus connues et répandues dans la piété populaire, les « Sept allégresses » de Don Bosco mettent l’accent sur les joies de la Très Sainte Vierge au Paradis, conséquence d’une vie terrestre vécue dans la plénitude de la grâce de Dieu.
Cette dévotion a des origines anciennes et fut particulièrement chère aux Franciscains, qui la diffusèrent à partir du XIIIe siècle, sous le nom de Rosaire des Sept Allégresses de la Bienheureuse Vierge Marie (ou Couronne Séraphique). Dans sa forme franciscaine traditionnelle, c’est une prière dévotionnelle composée de sept dizaines d’Ave Maria, chacune précédée d’un mystère joyeux (allégresse) et introduite par un Notre Père. À la fin de chaque dizaine, on récite un Gloire au Père. Les allégresses sont : 1. L’Annonciation de l’Ange ; 2. La Visitation à Sainte Élisabeth ; 3. La Naissance du Sauveur ; 4. L’Adoration des Mages ; 5. Le Recouvrement de Jésus au Temple ; 6. La Résurrection du Fils ; 7. L’Assomption et le Couronnement de Marie au ciel.
Don Bosco, s’inspirant de cette tradition, en offre une version simplifiée, adaptée à la sensibilité des jeunes.
Chacune de ces allégresses est méditée au cours de la récitation d’un Ave Maria et d’un Gloria.

La pédagogie de la joie
Le choix de cette dévotion proposée aux jeunes ne répond pas seulement à un goût personnel de Don Bosco, mais s’inscrit pleinement dans sa vision éducative. Il était convaincu que la foi devait être transmise par la joie, non par la peur ; par la beauté du bien, non par la crainte du mal. Les « Sept allégresses » deviennent ainsi une école de joie chrétienne, une invitation à reconnaître que, dans la vie de la Vierge, la grâce de Dieu se manifeste comme lumière, espérance et accomplissement.
Don Bosco connaissait bien les difficultés et les souffrances que beaucoup de ses jeunes affrontaient quotidiennement : la pauvreté, l’abandon familial, la précarité du travail. C’est pourquoi il leur offrait une dévotion mariale qui ne se limitait pas aux pleurs et à la douleur, mais qui était aussi une source de consolation et de joie. Méditer les allégresses de Marie signifiait s’ouvrir à une vision positive de la vie, apprendre à reconnaître la présence de Dieu même dans les moments difficiles, et se confier à la tendresse de la Mère céleste.
Dans la publication « Il giovane provveduto », Don Bosco écrit des mots touchants sur le rôle de Marie : il la présente comme une mère aimante, un guide sûr et un modèle de vie chrétienne. La dévotion à ses allégresses n’est pas une simple pratique dévotionnelle, mais un moyen d’entrer en relation personnelle avec la Vierge Marie, d’imiter ses vertus et de recevoir son aide maternelle dans les épreuves de la vie.
Pour le saint turinois, Marie n’est pas distante ou inaccessible, mais proche, présente et active dans la vie de ses enfants. Cette vision mariale, fortement relationnelle, traverse toute la spiritualité salésienne et se reflète également dans la vie quotidienne des oratoires : des lieux où la joie, la prière et la familiarité avec Marie vont de pair.

Un héritage vivant
Aujourd’hui encore, la dévotion aux « Sept allégresses de la Vierge Marie » conserve toute sa valeur spirituelle et éducative. Dans un monde marqué par les incertitudes, les peurs et les fragilités, elle offre un chemin simple mais profond pour découvrir que la foi chrétienne est, avant tout, une expérience de joie et de lumière. Don Bosco, prophète de la joie et de l’espérance, nous enseigne que l’authentique éducation chrétienne passe par la valorisation des affections, des émotions et de la beauté de l’Évangile.
Redécouvrir aujourd’hui les « Sept allégresses » signifie aussi retrouver un regard positif sur la vie, sur l’histoire et sur la présence de Dieu. La Vierge Marie, par son humilité et sa confiance, nous enseigne à garder et à méditer dans notre cœur les signes de la vraie joie, celle qui ne passe pas, car fondée sur l’amour de Dieu.
À une époque où les jeunes cherchent lumière et sens, les paroles de Don Bosco restent d’actualité : « Si vous voulez être heureux, pratiquez la dévotion à la Sainte Vierge ». Les « Sept allégresses » sont alors une petite échelle vers le ciel, un rosaire de lumière qui unit la terre au cœur de la Mère céleste.

Voici le texte original tiré de « Il giovane provveduto per la pratica de suoi doveri negli esercizi di cristiana pieta« , 1875 (pp. 141-142), avec nos titres.

Les sept allégresses de Marie au Ciel

1. Pureté cultivée
Réjouissez-vous, ô Épouse immaculée du Saint-Esprit, pour le contentement que vous goûtez maintenant au Paradis, car par votre pureté et votre virginité vous êtes exaltée au-dessus de tous les Anges et sublimée au-dessus de tous les saints.
Je vous salue et Gloire.

2. Sagesse recherchée
Réjouissez-vous, ô Mère de Dieu, pour le plaisir que vous éprouvez au Paradis, car de même que le soleil ici-bas illumine le monde entier, ainsi vous, par votre splendeur, ornez et faites resplendir tout le Paradis.
Je vous salue et Gloire.

3. Obéissance filiale
Réjouissez-vous, ô Fille de Dieu, pour la sublime dignité à laquelle vous avez été élevée au Paradis, car toutes les Hiérarchies des Anges, des Archanges, des Trônes, des Dominations et de tous les Esprits Bienheureux vous honorent, vous révèrent et vous reconnaissent comme Mère de leur Créateur, et vous obéissent au moindre signe.
Je vous salue et Gloire.

4. Prière continue
Réjouissez-vous, ô Servante de la Très Sainte Trinité, à cause du grand pouvoir que vous avez au Paradis, car toutes les grâces que vous demandez à votre Fils vous sont aussitôt accordées ; bien plus, comme le dit saint Bernard, aucune grâce n’est accordée ici-bas qui ne passe par vos très saintes mains.
Je vous salue et Gloire.

5. Humilité vécue
Réjouissez-vous, ô très auguste Reine, car vous seule avez mérité de siéger à la droite de votre très saint Fils, qui siège à la droite du Père Éternel.
Je vous salue et Gloire.

6. Miséricorde pratiquée
Réjouissez-vous, ô Espérance des pécheurs, Refuge des affligés, pour le grand plaisir que vous éprouvez au Paradis en voyant que tous ceux qui vous louent et vous révèrent en ce monde sont récompensés par le Père Éternel par sa sainte grâce sur terre, et par son immense gloire au ciel.
Je vous salue et Gloire.

7. Espérance récompensée
Réjouissez-vous, ô Mère, Fille et Épouse de Dieu, car toutes les grâces, toutes les joies, toutes les allégresses et toutes les faveurs que vous goûtez maintenant au Paradis ne diminueront jamais ; bien plus, elles augmenteront jusqu’au jour du jugement et dureront éternellement.
Je vous salue et Gloire.

Oraison à la très bienheureuse Vierge.
Ô glorieuse Vierge Marie, Mère de mon Seigneur, source de toute notre consolation, par ces allégresses dont j’ai fait mémoire avec la plus grande dévotion possible, je vous prie d’obtenir de Dieu le pardon de mes péchés, et l’aide continuelle de sa sainte grâce, afin que je ne me rende jamais indigne de votre protection, mais que j’aie la chance de recevoir toutes ces faveurs célestes que vous avez l’habitude d’obtenir et de partager avec vos serviteurs, qui font pieuse mémoire de ces allégresses dont déborde votre beau cœur, ô Reine immortelle du Ciel.

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Personne ne chassait les poules (1876)

Situé en janvier 1876, ce passage présente l’un des « rêves » les plus évocateurs de Don Bosco, un outil privilégié avec lequel le saint turinois secouait et guidait les jeunes de l’Oratoire. La vision s’ouvre sur une plaine immense où s’activent les semeurs : le blé, symbole de la Parole de Dieu, ne germera que s’il est protégé. Mais des poules voraces s’abattent sur la semence et, tandis que les paysans chantent des versets évangéliques, les clercs chargés de la garde restent muets ou distraits, laissant tout se perdre. La scène, animée par des dialogues spirituels et des citations bibliques, devient une parabole du murmure qui étouffe le fruit de la prédication et un avertissement à la vigilance active. Avec des tons à la fois paternels et sévères, Don Bosco transforme l’élément fantastique en une leçon morale incisive.

Dans la deuxième quinzaine de janvier, le Serviteur de Dieu fit un rêve symbolique dont il parla à quelques salésiens. Don Barberis lui demanda de le raconter en public, parce que les jeunes aimaient beaucoup ses rêves, qu’ils leur faisaient beaucoup de bien et qu’ils les affectionnaient à l’Oratoire.
– Oui, c’est vrai, répondit le Bienheureux, ils font du bien et sont écoutés avec empressement. Le seul qui en souffre, c’est moi, car je devrais avoir des poumons de fer. On peut dire qu’il n’y a personne dans l’Oratoire qui ne se sente ébranlé par de tels récits. Car la plupart du temps ces rêves concernent tout le monde, et chacun veut savoir dans quel état je l’ai vu, ce qu’il doit faire, ce que signifie ceci ou cela ; et moi, je suis tourmenté jour et nuit. Si donc je veux éveiller le désir de confessions générales, je n’ai rien d’autre à faire que de raconter un rêve… Ecoute, fais ce que je te dis : dimanche, j’irai parler aux jeunes, et toi, tu m’interrogeras en public ; alors je raconterai mon rêve.
Le 23 janvier, après la prière du soir, il monta sur son estrade. Son visage rayonnant de joie manifestait, comme toujours, son contentement d’être au milieu de ses fils. Après quelques instants de silence, Don Barberis demanda la parole et l’interrogea :
– Excusez-moi, Don Bosco, me permettez-vous de vous poser une question ?
– Parle.
– J’ai entendu dire que ces dernières nuits vous avez rêvé de semence, de semeur, de poulets, et que vous l’avez déjà raconté à l’abbé Calvi. Voulez-vous nous le raconter à nous aussi ? Cela nous ferait très plaisir.
– Tu es bien curieux, répondit Don Bosco d’un ton de reproche. Et là, ce fut un éclat de rire général.
– Peu importe, savez-vous, que vous me traitiez de curieux, pourvu que vous nous parliez du rêve. Et avec ma question, je pense que j’interprète les souhaits de tous les jeunes qui l’écouteront certainement très volontiers.
– Si c’est le cas, je vous le dirai. Je ne voulais rien dire, parce qu’il y a des choses qui concernent plusieurs d’entre vous en particulier, et quelques-unes aussi pour toi, qui vous brûlent un peu les oreilles ; mais puisque vous me le demandez, je vais les raconter.
– Mais, Don Bosco, si j’ai mérité une bastonnade, ne me la donnez pas ici en public.
– Je dirai les choses telles que je les ai rêvées, et que chacun prenne ce qui le concerne. Mais avant tout, chacun doit bien se rappeler que les rêves se font en dormant, et que dans le sommeil on ne raisonne pas. Par conséquent, s’il y a quelque chose de bon, un avertissement à recevoir, on le prend. Pour le reste, que personne n’ait d’appréhension. J’ai dit que je rêvais la nuit en dormant, car il y a des gens qui rêvent aussi le jour et quelquefois même tout éveillés, et cela dérange un peu les professeurs, pour qui ils sont des élèves ennuyeux.

Il me semblait que j’étais loin d’ici et que je me trouvais à Castelnuovo d’Asti, ma terre natale. J’avais devant moi une grande étendue de terre, située dans une vaste et belle plaine ; mais ce terrain n’était pas à nous et je ne savais pas à qui elle appartenait.
Dans ce champ, j’ai vu beaucoup de gens qui travaillaient avec des houes, des bêches, des râteaux et d’autres outils. Certains labouraient, d’autres semaient le blé, d’autres aplanissaient la terre, d’autres encore faisaient autre chose. Ici et là se trouvaient les responsables qui dirigeaient le travail, et parmi eux, il me semblait que j’y étais moi aussi. Ailleurs on entendait chanter des chœurs de paysans. J’observais tout cela avec étonnement sans pouvoir me donner la raison de cet endroit. Je me disais à moi-même : – Mais pourquoi ces gens font un travail si dur ? Et je me répondais à moi-même : – Pour donner du pain à mes jeunes. – Et j’étais vraiment émerveillé en voyant ces bons agriculteurs qui n’abandonnaient pas leur travail un seul instant et continuaient leur tâche avec la même constance et la même diligence. Seuls quelques-uns riaient et plaisantaient entre eux.
Pendant que je contemplais cette belle scène, je regarde autour de moi et je me vois entouré de quelques prêtres et beaucoup d’abbés, certains proches, d’autres à distance. Je me suis dit : – Mais je rêve, mes abbés sont à Turin, ici nous sommes à Castelnuovo. Comment cela se fait-il ? Je suis habillé pour l’hiver de la tête aux pieds, hier encore j’avais si froid, et maintenant ici on sème le blé. – Je me frottais les mains en me promenant et je disais : – Mais je ne rêve pas, c’est vraiment un champ ; cet abbé qui est ici est l’abbé A. en personne ; cet autre est l’abbé B. Et alors comment puis-je voir en rêve telle chose et telle autre ?
C’est alors que j’aperçus un vieil homme à l’air avenant et sage, qui m’observait attentivement, moi et les autres. Je m’approchai de lui et lui demandai :
– Dites-moi, brave homme, écoutez ! Qu’est-ce que je vois et que je ne comprends pas ? Où sommes-nous ? Qui sont ces travailleurs ? À qui appartient ce champ ?
– Oh ! me répond l’homme, voilà de bonnes questions à poser ! Vous êtes prêtre et vous ignorez ces choses ?
– Expliquez-moi donc ! Croyez-vous que je rêve, ou que je suis éveillé ? Car il me semble que je rêve, et les choses que je vois ne me paraissent pas possibles.
– Très possibles, voire réelles, et il me semble que vous êtes bien réveillé. Vous ne vous en rendez pas compte ? Il parle, il rit, il plaisante.
– Et pourtant, ai-je ajouté, il y a des gens qui ont l’impression de parler, d’écouter et d’agir dans leurs rêves comme s’ils étaient éveillés.
– Mais non, laissez tout cela de côté. Vous êtes ici en corps et en âme.
– Eh bien, soit. Mais si je suis éveillé, dites-moi à qui appartient ce champ.
– Vous avez étudié le latin : quel est le premier nom de la deuxième déclinaison que vous avez étudié dans le Donat ? Vous le savez encore ?
– Eh ! oui, je le sais ; mais quel rapport avec ce que je vous demande ?
– Il y a un grand rapport. Dites-moi donc quel est le premier substantif que l’on étudie dans la seconde déclinaison.
– C’est Dominus.
– Et comment se présente-t-il au génitif ?
– Domini !
– Très bien, Domini ; ce champ est donc Domini, du Seigneur.
– Ah ! je commence à comprendre quelque chose ! m’exclamai-je.
J’étais étonné par la leçon de ce bon vieillard. Pendant ce temps, je voyais plusieurs personnes venir avec des sacs de grain à semer, et un groupe de paysans qui chantait : Exit, qui seminat, seminare semen suum (Le semeur est sorti pour semer sa semence, Lc 8,5).
Je trouvais dommage qu’on jette cette semence et qu’on la laisse pourrir dans la terre. Ce grain était si beau ! – Ne vaudrait-il pas mieux, me disais-je, le moudre et en faire du pain ou des pâtes ? – Mais je me suis dit : Celui qui ne sème pas ne récolte pas ; si on ne jette pas la semence et si elle ne pourrit pas, que récoltera-t-on alors ?
À ce moment-là, j’ai vu sortir de tous côtés une multitude de poules qui parcouraient le champ ensemencé pour attraper tout le grain qu’on semait.
Et le groupe de chanteurs continuait à chanter : Venerunt aves caeli, sustulerunt frumentum et reliquerunt zizaniam (Les oiseaux du ciel sont venus, ont récolté le blé et ont laissé l’ivraie).
Je jette un coup d’œil autour de moi et j’observe les abbés qui étaient avec moi. L’un d’eux, les mains croisées, regardait avec une froide indifférence ; un autre discutait avec ses compagnons ; certains haussaient les épaules, d’autres regardaient le ciel, d’autres riaient du spectacle, d’autres poursuivaient tranquillement leur récréation et leurs jeux, d’autres vaquaient à leurs occupations ; mais personne n’effrayait les poules pour les chasser. Je me tourne vers eux très peiné, et les appelant tous par leur nom, je leur dis :
– Que faites-vous ? Ne voyez-vous pas que ces poules mangent tout le grain ? Ne voyez-vous pas qu’elles détruisent toutes les bonnes semences, qu’elles anéantissent les espoirs de ces bons paysans ? Que récolterons-nous ensuite ? Pourquoi restez-vous muets ? Pourquoi ne criez-vous pas, pourquoi ne les faites-vous pas partir ?
Mais les abbés haussaient les épaules, me regardaient sans rien dire. Certains d’entre eux ne se sont même pas retournés ; ils n’avaient pas fait attention à ce champ avant, et ils n’y ont pas fait attention après que j’ai crié.
– Sots que vous êtes ! continuai-je. Les poulets ont déjà le goitre plein. Vous ne pouviez pas taper des mains et faire comme ça ? – Et pendant ce temps, je frappais des mains, me trouvant dans une véritable impasse, car mes paroles ne servaient à rien. Certains ont alors commencé à chasser les poules, mais je me répétais à moi-même : Oh oui, maintenant que tout le grain a été mangé, vous chassez les poules.
C’est alors que j’ai été frappé par le chant du groupe de paysans qui chantaient : Canes muti nescientes latrare (chiens muets qui ne savent pas aboyer, Is 56,10).
Alors je me suis tourné vers le bon vieillard et, pris entre l’étonnement et l’indignation, je lui ai dit :
– Oh, expliquez-moi ce que je vois, je n’y comprends rien. Quelle est cette semence que l’on jette par terre ?
– Mais quoi ! Semen est verbum Dei (La semence est la parole de Dieu, Lc 8,11).
– Mais qu’est-ce que cela veut dire, quand je vois les poulets qui la mangent ?
Le vieillard, changeant de ton, reprit :
– Oh ! si vous voulez une explication plus complète, je vais vous la donner. Le champ, c’est la vigne du Seigneur, dont il est question dans l’Évangile, et qui peut aussi être comprise comme le cœur de l’homme. Les cultivateurs sont les ouvriers de l’Évangile qui sèment la parole de Dieu surtout par la prédication. Cette parole devrait produire beaucoup de fruits dans le cœur, comme dans un terrain bien préparé. Mais voilà ! Les oiseaux du ciel viennent et l’emportent.
– Que signifient ces oiseaux ?
– Dois-je vous dire ce qu’ils indiquent ? Ils indiquent les murmures. Après avoir entendu un bon sermon, on va trouver les camarades. L’un commente un geste, ou la voix, ou une parole du prédicateur, et tout le fruit du sermon est perdu. Un autre accuse le prédicateur lui-même de quelque défaut physique ou intellectuel ; un troisième se moque de son italien, et tout le fruit du sermon est perdu. Il en est de même d’une bonne lecture, qui devient inutile à cause des murmures. Les murmures sont d’autant plus mauvais qu’ils sont généralement secrets, cachés, et qu’ils vivent et croissent là où on ne les attend pas. Même si le blé se trouve dans un champ peu cultivé, il germe, croît, s’élève assez haut et porte du fruit. Lorsque, dans un champ fraîchement ensemencé, un orage survient, le champ est battu et ne porte plus autant de fruits, mais il en porte quand même. Même si la graine n’est pas très belle, elle poussera quand même : elle portera peu de fruits, mais elle en portera quand même. Par contre, lorsque les poules ou les oiseaux picorent la semence, il n’y a plus rien à faire : le champ ne donne ni beaucoup ni peu, il ne porte plus du tout de fruit. Si la prédication, les exhortations et les bonnes intentions sont suivis d’autres choses comme la distraction, la tentation, etc., les fruits seront moins nombreux. Quand il y a des murmures, des paroles mauvaises ou d’autres choses semblables, il n’y a plus d’espoir, tout est immédiatement perdu. Et qui a le devoir de frapper dans les mains, d’insister, de crier, de surveiller pour éviter ces murmures et ces mauvaises paroles ? Vous le savez !
– Mais que faisaient donc ces abbés ? demandai-je. Ne pouvaient-ils pas empêcher tout ce mal ?
– Ils n’ont rien empêché, a-t-il poursuivi. Certains sont restés muets comme des statues, d’autres n’ont pas fait attention, n’ont pas réfléchi, n’ont pas vu et sont restés les bras croisés ; d’autres n’ont pas eu le courage d’empêcher ce mal ; d’autres encore, un petit nombre, se sont joints aux murmurateurs, ont pris part à leurs calomnies en détruisant la parole de Dieu. Toi qui es prêtre, insiste sur ce point ; prêche, exhorte, parle, et n’aie jamais peur d’en dire trop. Fais savoir à tous le mal que l’on fait en critiquant ceux qui prêchent, qui exhortent, qui donnent de bons conseils. Se taire quand on voit un désordre et ne pas l’empêcher, surtout de la part de ceux qui le pourraient ou le devraient, c’est se rendre complice du mal d’autrui.
Impressionné par ces paroles, je voulais encore regarder, observer ceci et cela, réprimander les abbés, les inciter à faire leur devoir. Mais déjà ils s’activaient et tentaient de chasser les poules. Quant à moi, après avoir fait quelques pas, j’ai trébuché sur un râteau destiné à niveler la terre et abandonné dans le champ, et je me suis réveillé. Laissons maintenant tout cela de côté et venons-en à la morale. Don Barberis ! Que dis-tu de ce rêve ?
– Je dis, répondit Don Barberis, que c’est une bonne bastonnade, et que c’est bien fait pour celui qui la mérite.
– Eh bien sûr, reprit Don Bosco, c’est une leçon qui doit nous faire du bien ; ne l’oubliez pas, mes amis, pour éviter en tout point les murmures entre vous, comme un mal extraordinaire, en les fuyant comme on fuit la peste, et non seulement en les évitant vous-mêmes, mais en cherchant à tout prix à les faire éviter aux autres. Il y a parfois de bons conseils, des actions excellentes qui ne font pas autant de bien comme d’empêcher les murmures et toutes les paroles qui peuvent nuire à autrui. Armons-nous de courage et combattons-les franchement. Il n’y a pas de plus grand malheur que de faire perdre la parole de Dieu. Et pour cela il suffit d’une expression ou d’une plaisanterie.

Je vous ai raconté un rêve que j’ai fait il y a quelques nuits, mais la nuit dernière, j’ai fait un autre rêve, que je veux aussi vous raconter. L’heure n’est pas encore trop tardive, il n’est que neuf heures et je peux vous le raconter. Mais j’essaierai de ne pas être trop long.
Il me semblait que j’étais dans un lieu dont je ne me souviens plus. Je n’étais plus à Castelnuovo, mais il me semble que je n’étais pas non plus à l’Oratoire. Quelqu’un est venu en toute hâte m’appeler :
– Don Bosco, venez! Don Bosco, venez!
– Mais pourquoi un tel empressement ? répondis-je.
– Savez-vous ce qui s’est passé ?
– Je ne comprends pas ce que tu veux dire ; explique-toi clairement, répondis-je anxieusement.
– Ne savez-vous pas, Don Bosco, que ce jeune si bon, si plein de vie, est gravement malade, voire mourant ?
– Je crois que tu veux te moquer de moi, lui dis-je ; ce matin j’ai parlé et marché avec lui, et maintenant tu me dis qu’il est mourant.
– Ah, Don Bosco, je ne cherche pas à vous tromper et je crois devoir vous dire la pure vérité. Ce jeune a grand besoin de vous et souhaite vous voir et vous parler pour la dernière fois. Mais venez vite, sinon vous n’êtes plus à temps.
Sans savoir où, je me hâtai à sa suite. J’arrive dans un lieu et je vois des gens tristes, en pleurs, qui me disent : Faites vite, il arrive à la fin.
– Mais que s’est-il passé ? répondis-je. On me fait entrer dans une chambre, où je vois un jeune homme couché, le visage tout pâle, d’une couleur presque cadavérique, avec une toux et des râles qui l’étouffaient et lui permettaient à peine de parler.
– Mais n’es-tu pas un tel de ceux-là ? lui dis-je.
– Oui, c’est moi !
– Comment vas-tu ?
– Je vais mal.
– Et comment se fait-il que je te vois en cet état ? Hier et ce matin je te voyais encore en train de te promener tranquillement sous le préau.
– Oui, répondit le jeune homme, hier et ce matin je me promenais sous le préau ; mais maintenant dépêchez-vous, j’ai besoin de me confesser ; je vois qu’il me reste peu de temps.
– Ne t’inquiète pas, ne t’inquiète pas ; tu t’es confessé il n’y a pas longtemps.
– C’est vrai, et il me semble que je n’ai pas une grosse peine sur le cœur ; mais je désire recevoir la sainte absolution avant de me présenter au divin Juge.
J’ai écouté sa confession. Mais entre-temps, j’ai constaté que son état s’aggravait visiblement et qu’un catarrhe l’étouffait. – Il faut faire vite, me dis-je, si je veux qu’il reçoive aussi le saint viatique et l’extrême onction. En réalité, il ne pourra même plus recevoir le viatique, parce qu’il faut du temps pour les préparatifs, et parce que la toux risque de l’empêcher d’avaler. Vite l’huile sainte !
Sur ce, je sors de la pièce et j’envoie immédiatement un homme chercher les saintes huiles. Les jeunes qui se trouvaient dans la salle me demandaient :
– Mais est-il vraiment en danger, est-il vraiment en train de mourir, comme on le dit ?
– Hélas ! répondis-je. Ne voyez-vous pas qu’il respire de plus en plus mal et que le cathare est en train de l’étouffer ?
– Mais il vaut mieux lui apporter aussi le viatique et l’envoyer dans les bras de Marie avec ce fortifiant !
Pendant que je m’affairais à faire le nécessaire, j’entends une voix qui dit :
– Il a expiré !
Je rentre dans la chambre et je trouve le malade les yeux fermés ; il ne respire plus, il est mort.
– Je demande aux deux qui l’assistaient s’il est mort, et ils me répondent : il est mort !
– Mais comment, si vite ? Dites-moi : n’est-ce pas un tel ?
– Oui, c’est lui.
– Je n’en crois pas mes yeux ! Hier encore, il marchait avec moi sous le préau.
– Hier, il marchait et maintenant il est mort, répondirent-ils.
– Heureusement, c’était un bon garçon, ajoutai-je. Et je disais aux jeunes qui l’entouraient :
– Vous voyez, vous voyez ? Il n’a même pas pu recevoir le viatique et l’extrême-onction. Mais remercions le Seigneur, qui lui a donné le temps de se confesser. Ce jeune était bon, il fréquentait suffisamment les sacrements et nous espérons qu’il est allé vers une vie heureuse, ou au moins vers le purgatoire. Mais si le même sort était arrivé à d’autres, qu’en serait-il de certains aujourd’hui ?
Cela dit, nous nous mîmes tous à genoux et nous récitâmes un De profundis pour l’âme du pauvre défunt.
Alors je suis allé dans ma chambre, quand je vois arriver Ferraris de la librairie (le coadjuteur Giovanni Antonio Ferraris, libraire), qui me dit, tout agité :
– Don Bosco, savez-vous ce qui est arrivé ?
– Eh ! malheureusement je le sais ! Il est mort un tel, répondis-je.
– Ce n’est pas ça, il y en a deux autres qui sont morts.
– Quoi ? Qui ?
– Un tel et un tel.
– Mais quand ? Je ne comprends pas.
– Oui, deux autres, qui sont morts avant que vous veniez.
– Pourquoi alors vous ne m’avez-vous pas appelé ?
– On n’avait plus le temps. Mais pouvez-vous me dire quand celui-là est mort ?
– Il est mort maintenant, répondis-je.
– Savez-vous quel jour et quel mois nous sommes ? continua Ferraris.
– Oui, je sais, nous sommes le 22 janvier, le deuxième jour de la neuvaine de saint François de Sales.
– Non, dit Ferraris. Vous vous trompez, Don Bosco, regardez bien. – Je regarde le calendrier et je vois : 26 mai.
– Elle est bien bonne, celle-là ! m’exclamai-je. On est en janvier, et je vois bien à ma tenue qu’on ne s’habille pas comme ça en mai ; en mai, il n’y a pas de chauffage.
– Je ne sais pas quoi vous dire, ni quelle raison vous donner, mais nous sommes le 26 mai.
– Mais si notre camarade est mort seulement hier et nous étions en janvier.
– Vous vous trompez, insistait Ferraris, nous étions au temps pascal.
– Et en voilà encore une autre !
– Temps pascal, c’est sûr, nous étions pendant le temps pascal, et celui qui est mort pendant la Pâque a eu beaucoup plus de chance que les deux autres, qui sont morts au mois de Marie.
– Tu te moques de moi, lui dis-je. Explique-toi mieux, sinon je ne te comprends pas.
– Je ne me moque pas du tout. C’est ainsi. Si vous voulez en savoir plus, et que je m’explique mieux, faites attention !
Il ouvrit les bras, puis frappa les mains l’une contre l’autre bruyamment en faisant clac ! Et je me suis réveillé. Puis je me suis exclamé : – Oh, Dieu merci, ce n’était pas la réalité, mais un rêve. Comme j’ai eu peur !
Voilà le rêve que j’ai fait cette nuit. Donnez-lui l’importance que vous voulez. Moi-même, je ne veux pas y croire tout à fait. Aujourd’hui, cependant, j’ai voulu voir si ceux qui me semblaient morts dans mon rêve étaient encore en vie et je les ai vus en bonne santé et vigoureux. Il n’est certainement pas opportun que je vous dise leurs noms, et je ne vous le ferai pas. Cependant, je garderai un œil sur ces deux. S’ils ont besoin d’un bon conseil pour bien vivre, je le leur donnerai, et je les préparerai en douceur, sans qu’ils s’en rendent compte ; ainsi, s’il leur arrive de devoir mourir, la mort ne les prendra pas au dépourvu. Mais que personne n’aille dire : c’est celui-ci, c’est celui-là. Que chacun pense à lui-même.
Et n’ayez aucune appréhension à ce sujet. L’effet que cela doit produire en vous est simplement ce que le Divin Sauveur nous a suggéré dans l’Évangile : Estote parati, quia, qua hora non putatis, filius hominis veniet (Soyez prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne pensez pas, Lc 12, 40). C’est un grand avertissement, mes chers jeunes, que le Seigneur nous donne. Soyons toujours prêts, car à l’heure où nous nous y attendons le moins, la mort peut venir, et celui qui n’est pas préparé à bien mourir risque fort de mal mourir. Je me tiendrai prêt le mieux possible et vous ferez de même, afin qu’à l’heure où il plaira au Seigneur de nous appeler, nous soyons prêts à passer dans l’heureuse éternité. Bonne nuit.

Les paroles de Don Bosco étaient toujours écoutées dans un silence religieux, mais lorsqu’il racontait ces choses extraordinaires, on n’entendait pas le moindre toussement ni le moindre bruit des pieds parmi les centaines de garçons présents. L’impression vive durait des semaines et des mois, et elle s’accompagnait de changements radicaux dans la conduite de certains malappris. Puis il y avait un attroupement autour du confessionnal de Don Bosco. Il ne venait à l’esprit de personne de supposer qu’il avait inventé ces histoires pour effrayer et améliorer la vie des jeunes, parce que les annonces de morts imminentes se réalisaient toujours et certains états de conscience vus en rêve correspondaient à la réalité.
Mais la peur produite par ces sinistres prédictions n’était-elle pas un cauchemar oppressant ? Il semble que non. Il y avait trop de possibilités et de suppositions dans une foule de plus de huit cents jeunes pour que chacun en fût préoccupé. De plus, la persuasion très répandue que ceux qui mouraient à l’Oratoire allaient certainement au paradis, et que Don Bosco préparait les élus sans les effrayer, contribuait à bannir toute peur de leur esprit. D’autre part, on sait combien est grande l’inconstance de la jeunesse : sur le moment, l’imagination des jeunes est frappée et ébranlée, mais ensuite la mémoire se libère bientôt de toute appréhension et peur. C’est ce qu’attestent unanimement les survivants de l’époque.
Après le départ des jeunes au dortoir, quelques confrères qui entouraient le Bienheureux n’arrêtaient pas de lui poser des questions pour savoir si l’un d’entre eux était au nombre de ceux qui allaient mourir. Le Serviteur de Dieu répétait en souriant comme d’habitude et en secouant la tête :
– Oh ! bien sûr, je viendrai vous dire qui c’est, avec le risque de faire mourir quelqu’un avant l’heure !
Voyant que rien ne sortait, ils lui demandèrent si, dans le premier rêve, il y avait aussi des abbés qui se comportaient comme les poules, c’est-à-dire qui murmuraient. Don Bosco s’arrêta de marcher, tourna les yeux vers ses interlocuteurs et dit avec un fin sourire : – Eh ! quelques-uns oui, mais peu, et c’est tout ce que je dirai. – Ils lui demandèrent alors de dire au moins s’ils étaient parmi les chiens muets. Le Bienheureux s’en tint à des généralités, observant qu’il fallait prendre garde d’éviter et de faire éviter les murmures et en général tous les désordres, surtout les mauvaises conversations. – Malheur au prêtre et à l’abbé, dit-il, qui, chargé de veiller, voit des désordres et ne les empêche pas ! Je veux que l’on sache et que l’on croie qu’en disant « murmures », je n’entends pas seulement le fait de critiquer autrui, mais tout discours, toute expression, toute parole, qui peut empêcher la parole de Dieu de porter du fruit chez autrui. De façon générale, je veux dire que c’est un grand mal que de se taire quand on a connaissance d’un désordre, de ne pas l’empêcher ou de ne pas chercher à le faire cesser par les responsables.
Un des plus audacieux posa au Serviteur de Dieu une question plutôt délicate.
– Et Don Barberis, que fait-il dans le rêve ? Vous avez dit qu’il y en avait aussi pour lui, et Don Barberis lui-même semblait s’attendre à une bonne correction. – Don Barberis était présent. Don Bosco a d’abord laissé entendre qu’il ne voulait pas répondre. Puis, comme il ne restait plus que quelques prêtres à ses côtés et que Don Barberis était heureux qu’il révèle le secret, le Bienheureux dit :
– Eh ! Don Barberis ne prêche pas assez sur ce point, il n’insiste pas sur ce sujet autant qu’il le faudrait. Don Barberis confirma que ni l’année précédente, ni durant l’année en cours, il n’avait jamais insisté à dessein sur ces questions dans ses conférences aux novices. Il fut donc très heureux de la remarque, qu’il conserva avec soin pour l’avenir.
Cela dit, ils montèrent les escaliers et, après avoir baisé la main de Don Bosco, tous partirent se reposer. Tous, sauf Don Barberis qui, comme d’habitude, l’accompagna jusqu’à la porte de sa chambre. Don Bosco, voyant qu’il était encore tôt et se rendant compte qu’il ne pourrait pas dormir, parce qu’il était fortement impressionné par le rêve, fit entrer Don Barberis dans sa chambre contre son habitude, et lui dit :
– Puisque nous avons encore du temps, nous pouvons faire deux pas dans la chambre.
Il continua ainsi à parler pendant une demi-heure. Il dit entre autres choses :
– Dans le rêve, j’ai vu tout le monde, et j’ai vu l’état dans lequel chacun se trouvait : celui qui était une poule, celui qui était un chien muet, ceux qui s’étaient mis à l’œuvre après avoir été avertis et ceux qui n’avaient pas bougé. Je me sers de cette connaissance pour confesser, exhorter en public et en privé chaque fois que je vois que cela produit du bien. Au début, je n’accordais pas beaucoup d’attention à ces rêves, mais j’ai découvert qu’ils valent largement plusieurs sermons. Pour certains ils sont même plus efficaces qu’une retraite, et c’est pourquoi je m’en sers. Et pourquoi pas ? Nous lisons dans l’Ecriture Sainte : Probate spiritus (éprouvez les esprits, 1 Jn 4,1) ; quod bonum est tenete (retenez ce qui est bon, 1 Tes 5,21). Je vois qu’ils sont profitables, je vois qu’ils plaisent, pourquoi les garder en secret ? Je constate même qu’ils aident beaucoup à s’affectionner à la Congrégation.
– J’ai moi-même expérimenté, interrompit le Père Barberis, combien ces rêves étaient utiles et salutaires. Même racontés ailleurs, ils font du bien. Là où Don Bosco est connu, on peut dire que ce sont des rêves ; là où il n’est pas connu, on peut les présenter comme des similitudes. Ah ! si l’on pouvait en faire une collection en les présentant comme des similitudes. Ils seraient recherchés et lus par les petits et les grands, par les jeunes et les vieux, pour le plus grand bien de leurs âmes.
– Certainement ! Ils feraient du bien, j’en suis intimement convaincu.
– Mais peut-être, regretta Don Barberis, personne ne les a recueillis par écrit.
– Moi, reprit Don Bosco, je n’ai pas le temps, et je ne me souviens plus de beaucoup d’entre eux.
– Ceux dont je me souviens, reprit Don Barberis, ce sont les rêves qui parlaient des progrès de la Congrégation, de l’extension du manteau de la Vierge…
– Ah, oui ! s’exclama le Bienheureux. Et il mentionna plusieurs visions de ce genre. Il prit ensuite un air plus sérieux et il poursuivit non sans un certain trouble :
– Quand je pense à ma responsabilité dans la position où je me trouve, je tremble de tout mon être… Quel immense compte j’aurai à rendre à Dieu de toutes les grâces qu’il nous donne pour la bonne marche de notre Congrégation !
(MB XII, 40-51)

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La dixième colline (1864)

Le rêve de la « Dixième Colline », raconté par Don Bosco en octobre 1864, est l’une des pages les plus évocatrices de la tradition salésienne. Dans ce rêve, le saint se retrouve dans une immense vallée remplie de jeunes : certains sont déjà à l’Oratoire, d’autres sont encore à rencontrer. Guidé par une voix mystérieuse, il doit les conduire au-delà d’un escarpement abrupt, puis à travers dix collines, symboles des dix commandements, vers une lumière qui préfigure le Paradis. Le char de l’Innocence, les cohortes pénitentielles et la musique céleste dessinent une fresque éducative : elles montrent la difficulté de préserver la pureté, la valeur du repentir et le rôle irremplaçable des éducateurs. Avec cette vision prophétique, Don Bosco anticipe l’expansion mondiale de son œuvre et son engagement à accompagner chaque jeune sur le chemin du salut.

            Don Bosco avait rêvé la nuit précédente. Au même moment, un jeune de Casal Monferrato, un certain C. E., fit lui aussi le même rêve au cours duquel il avait l’impression d’être avec Don Bosco et de lui parler. En se levant le matin, il était tellement impressionné qu’il alla raconter son rêve à son professeur, qui le pressa d’aller en parler à Don Bosco. Le jeune alla aussitôt et tomba sur lui au moment où il descendait l’escalier pour le chercher et lui raconter la même chose.
            Don Bosco avait eu l’impression de se trouver dans une immense vallée remplie de milliers et de milliers de jeunes, mais tellement nombreux qu’il ne pensait pas pouvoir en trouver un si grand nombre dans le monde entier. Parmi ces jeunes, il distinguait tous ceux qui avaient été et ceux qui étaient dans la maison. Tous les autres étaient ceux qui viendraient peut-être plus tard. Au milieu des jeunes il y avait les prêtres et les clercs de la maison.
            Une côte très élevée fermait la vallée d’un côté. Tandis que Don Bosco réfléchissait à ce qu’il devait faire de tous ces jeunes, une voix lui dit :
            – Tu vois cette côte ? Eh bien, toi et tes jeunes, vous devez grimper jusqu’au sommet.
            Alors Don Bosco donna l’ordre à tous ces jeunes de se diriger vers le point indiqué. Les jeunes se mirent en marche et, au pas de course, gravirent la pente. Les prêtres de la maison coururent également vers le haut, poussant les jeunes pour les faire avancer, relevant ceux qui tombaient et portant sur leurs épaules ceux qui étaient fatigués et ne pouvaient pas marcher. Don Rua avait retroussé les manches de sa soutane et travaillait plus fort que tous les autres. Il prenait même les jeunes deux par deux et les lançait en l’air sur la côte, sur laquelle ils tombaient sur leurs pieds, puis couraient allègrement de-ci de-là. Don Cagliero et Don Francesia parcouraient les rangs en criant :
            – Courage ! En avant, en avant, courage !
            En peu de temps, ces troupes de jeunes atteignirent le sommet de la côte. Don Bosco était monté à son tour et dit :
            – Et maintenant, qu’allons-nous faire ?
            Et la voix ajouta :
            – Tu dois franchir avec tes jeunes ces dix collines que tu vois devant toi l’une après l’autre.
            – Mais comment tous ces jeunes, si petits et si délicats, pourront-ils supporter un si long voyage ?
            – On portera ceux qui ne pourront pas aller avec leurs jambes, lui répondit-on.
            Et voici qu’à l’une des extrémités de la colline on vit apparaître et monter un chariot magnifique. Il est impossible de le décrire, tant il était beau, mais on peut tout de même en dire quelque chose. Il était triangulaire et avait trois roues qui se déplaçaient dans toutes les directions. Des trois angles partaient trois perches qui se rejoignaient en un point au-dessus du char, formant une sorte de tonnelle. Sur ce point de jonction s’élevait un magnifique étendard sur lequel était écrit en grosses lettres : Innocentia. Il y avait aussi une bande qui faisait le tour du chariot, marquant le bord et portant l’inscription : Adjutorio Dei Altissimi Patris et Filii et Spiritus Sancti (sous la protection du Dieu Très-Haut, Père et Fils et Saint-Esprit).
            Le chariot, resplendissant d’or et de pierres précieuses, s’avança et s’arrêta au milieu des jeunes. Au commandement, beaucoup d’enfants montèrent dessus. Ils étaient 500. Cinq cents sur plusieurs milliers étaient encore innocents.
            Après les avoir placés sur le chariot, Don Bosco réfléchissait à la direction à prendre, lorsqu’il vit s’ouvrir devant lui une route large et facile, mais toute semée d’épines. Soudain apparurent six jeunes qui étaient morts à l’Oratoire ; Ils étaient vêtus de blanc et portaient une autre belle bannière sur laquelle était écrit : Poenitentia. Ils allèrent se placer à la tête de toutes ces phalanges de jeunes qui allaient commencer la marche à pied. On donna alors le signal du départ. Beaucoup de prêtres se mirent au timon du chariot qui, tiré par eux, se met en marche. Les six vêtus de blanc le suivent. Derrière eux, tout le reste de la multitude. Sur une musique magnifique et inexprimable, les jeunes qui se trouvaient sur le char entonnent le psaume Laudate pueri Dominum (Louez Dieu, vous les petits, Ps 113, 1).
            Don Bosco marchait, enivré par cette musique céleste, lorsqu’il se souvint de se retourner pour voir si tous les jeunes l’avaient suivi. Mais quel spectacle douloureux ! Beaucoup étaient restés dans la vallée, beaucoup avaient rebroussé chemin. Brisé par la douleur, il décida de reprendre le chemin parcouru pour essayer de persuader les jeunes qui s’étaient découragés et les aider à le suivre. Mais on le lui interdit d’une façon absolue. Il s’écria :
            – Mais ces pauvres petits sont en train de se perdre !
            On lui répondit :
            – Tant pis pour eux. Ils ont été appelés comme les autres, et ils n’ont pas voulu te suivre. Ils ont vu le chemin qu’ils devaient prendre, et cela suffit.
            Don Bosco voulut répondre, il pria, il supplia. Tout fut inutile.
            – L’obéissance est pour toi aussi ! – lui dit-on. Et il dut continuer son chemin.
            La douleur n’était pas encore apaisée qu’un autre triste incident se produisit. Beaucoup de jeunes parmi ceux qui se trouvaient sur le chariot étaient tombés à terre l’un après l’autre. Sur 500, il en restait à peine 150 sous la bannière de l’innocence.
            Le cœur de Don Bosco fut pris d’une détresse insupportable. Espérant que ce n’était là qu’un rêve, il fit tout son possible pour se réveiller, mais se rendit compte que c’était une terrible réalité. Il battait des mains et entendait le bruit ; il gémissait et entendait son gémissement se répercuter dans la pièce ; il voulait chasser ce terrible fantasme, mais il ne pouvait pas.
            – Ah, mes chers jeunes ! s’exclamait-il à cet instant, en racontant son rêve. J’ai connu et j’ai vu ceux qui sont restés dans la vallée, ceux qui ont fait demi-tour ou qui sont tombés du chariot ! Je vous ai tous connus. Mais ne doutez pas, je ferai tout mon possible pour vous sauver. Beaucoup d’entre vous, que j’ai invités à se confesser, n’ont pas répondu à l’appel ! Par pitié, sauvez vos âmes.
            Beaucoup de jeunes parmi ceux qui étaient tombés du chariot étaient allés se placer au fur et à mesure dans les rangs de ceux qui marchaient derrière la deuxième bannière. Pendant ce temps, la musique du chariot devenait si douce qu’elle finit par vaincre la douleur de Don Bosco. On avait déjà franchi sept collines et après avoir atteint la huitième, la troupe entra dans un endroit merveilleux où ils s’arrêtèrent pour se reposer un peu. Les maisons y étaient d’une richesse et d’une beauté indescriptibles.
            Don Bosco s’adressa aux jeunes de cette région en ajoutant :
            – Je vous dirai avec sainte Thérèse ce qu’elle a dit des choses du paradis : ce sont des choses qu’on dévalue quand on en parle, parce qu’elles sont si belles qu’il est inutile de s’efforcer de les décrire. Je me contenterai donc de remarquer que les montants des portes de ces maisons semblaient être faits à la fois d’or, de cristal et de diamant, provoquant la surprise, le plaisir de l’œil et la joie. Les champs étaient remplis d’arbres sur lesquels on voyait à la fois des fleurs, des boutons, des fruits mûrs et des fruits verts. C’était un magnifique enchantement.
            Les jeunes allèrent partout de-ci de-là, les uns pour une chose, les autres pour une autre, car ils avaient une grande curiosité ainsi qu’une grande envie des fruits.
            C’est dans ce village que le jeune de Casale rencontra Don Bosco et eut ne long dialogue avec lui. Don Bosco et le jeune se souvenaient parfaitement des questions posées et des réponses reçues. Singulière combinaison de deux rêves.
            Une autre surprise étrange attendait ici Don Bosco. Ses jeunes lui apparurent soudain devenus vieux, sans dents, le visage plein de rides, les cheveux blancs, courbés, boitant, appuyés sur leur bâton. Don Bosco s’étonnait de cette métamorphose, mais la voix lui dit :
            – Tu t’étonnes ? Mais tu dois savoir que ce n’est pas depuis quelques heures que tu as quitté la vallée, mais depuis des années et des années. C’est cette musique qui a fait que ton voyage t’a paru court. Comme preuve, regarde ta physionomie et tu sauras que je dis la vérité. – Et on lui présenta un miroir. Il se regarda dans le miroir et vit qu’il avait l’air d’un vieil homme, avec un visage ridé et des dents mauvaises et peu nombreuses.
            Entre-temps, le groupe se remit en route et les jeunes demandaient de temps en temps à s’arrêter pour voir des choses nouvelles. Mais Don Bosco leur disait :
            – Allez, allez. Nous n’avons besoin de rien, nous n’avons pas faim, nous n’avons pas soif, allons.
            (Au loin, sur la dixième colline apparut une lumière qui augmentait comme si elle sortait d’une porte merveilleuse). Puis le chant reprit, mais d’une beauté telle qu’on ne peut l’entendre et la goûter qu’au Paradis. Ce n’était pas une musique instrumentale et elle ne ressemblait pas à des voix humaines. C’était une musique impossible à décrire. La jubilation qui inonda l’âme de Don Bosco fut tel qu’il se réveilla et se retrouva dans son lit.
            Don Bosco expliqua son rêve de la manière suivante :
            – La vallée est le monde. La grande côte représente les obstacles pour s’en détacher. – Le chariot, vous le comprenez. – Les troupes de jeunes à pied sont les jeunes qui ont perdu leur innocence et se sont repentis de leurs fautes.
            Don Bosco ajouta que les 10 collines représentaient les 10 commandements de la loi de Dieu, dont l’observance conduit à la vie éternelle.
            Puis il ajouta que, s’il le fallait, il était prêt à dire confidentiellement à certains jeunes ce qu’ils faisaient dans le rêve, s’ils étaient restés dans la vallée ou s’ils étaient tombés du chariot.
            Quand il descendit du pupitre, l’élève Ferraris Antonio s’approcha de lui et lui raconta – nous étions présents et nous avons entendu parfaitement ses paroles – qu’il avait rêvé la veille au soir qu’il était en compagnie de sa mère, qui lui avait demandé s’il rentrerait à la maison à Pâques pour les vacances. Il lui avait répondu qu’il irait au paradis avant Pâques. Puis, en confidence, il dit encore quelques mots à l’oreille de Don Bosco. Ferraris Antonio mourut le 16 mars 1865.
            Quant à nous, nous avons immédiatement mis le rêve par écrit, et le soir même du 22 octobre 1864, nous avons ajouté à la fin la note suivante. « Je tiens pour certain que Don Bosco a tenté de dissimuler avec ses explications ce qui est le plus surprenant dans le rêve, du moins dans certains de ses détails. L’explication des dix commandements ne me satisfait pas. La huitième colline sur laquelle Don Bosco fait une halte, et où il se voit comme dans un miroir tellement vieilli, je crois que cela indique que la fin de sa vie arrivera après ses soixante-dix ans. L’avenir nous le dira ».
            Ce futur est donc maintenant du passé, et nous sommes confirmés dans notre opinion. Le rêve indiquait à Don Bosco la durée de sa vie. Comparons ce rêve avec celui de la Roue, que nous n’avons pu connaître que quelques années plus tard. Chaque tour de la Roue représente dix ans ; il en va de même, semble-t-il, dans les déplacements de colline en colline. Chacune des dix collines représente dix ans, et ensemble elles signifient cent ans, le maximum de la vie d’un homme. Or nous voyons Don Bosco encore enfant commencer sa mission parmi ses camarades des Becchi pendant la première décennie et entreprendre ainsi son voyage. Il parcourt entièrement les sept collines, c’est-à-dire les sept collines dans leur totalité, c’est-à-dire sept décennies, ce qui signifie qu’il atteindra soixante-dix ans. Il gravit la huitième colline et s’arrête ; il voit des maisons et des champs merveilleusement beaux, c’est-à-dire sa Pieuse Société rendue grande et féconde par l’infinie bonté de Dieu. Il a encore un long chemin à parcourir sur la huitième colline et il repart, mais il n’atteint pas la neuvième, parce qu’il se réveille. De fait, il n’acheva pas la huitième décennie en mourant à l’âge de 72 ans et 5 mois.
            Qu’en pense le lecteur ? Nous ajouterons que le lendemain soir, Don Bosco nous interrogea sur ce que nous pensions du rêve. Nous lui avons répondu qu’il ne concernait pas seulement les jeunes, mais qu’il indiquait aussi l’expansion de la Pieuse Société dans le monde entier.
            – Mais quoi ? répliqua un de nos confrères ; nous avons déjà les collèges de Mirabello et de Lanzo et on en ouvrira sans doute quelques autres dans le Piémont. Que veux-tu de plus ?
            – Non, l’avenir que le rêve nous annonce sera bien autre chose.
            Et Don Bosco, en souriant, approuva notre conviction.
(1864, MB VII, 796-802)




Les petits agneaux et l’orage d’été (1878)

Le récit onirique qui suit, raconté par Don Bosco le soir du 24 octobre 1878, est bien plus qu’un simple divertissement pour les jeunes de l’Oratoire. À travers l’image délicate des agneaux surpris par une violente tempête estivale, le saint éducateur dessine une allégorie vivante des vacances scolaires : un temps apparemment insouciant, mais chargé de dangers spirituels. La prairie accueillante représente le monde extérieur, la grêle symbolise les tentations, tandis que le jardin protégé fait allusion à la sécurité offerte par la vie de grâce, les sacrements et la communauté éducative. Dans ce rêve, qui devient catéchèse, Don Bosco rappelle à ses garçons — et à nous — l’urgence de veiller, de recourir à l’aide divine et de se soutenir mutuellement pour revenir intacts à la vie quotidienne.

            Du départ en vacances et du retour, pas de nouvelles cette année, si ce n’est un rêve sur les effets que produisent habituellement les vacances. Don Bosco l’a raconté dans la soirée du 24 octobre. Dès qu’il en fit l’annonce, tous manifestèrent leur contentement.

            Je suis heureux de revoir mon armée de soldats contra diabolum (contre le diable). Cette expression, bien que latine, est comprise même par Cottino. J’aurais beaucoup de choses à vous dire, car c’est la première fois que je vous parle après les vacances. Mais pour l’instant, je veux vous raconter un rêve. Vous savez que les rêves se font pendant le sommeil et qu’il ne faut pas y croire ; mais s’il n’y a pas de mal à ne pas y croire, parfois il n’y a pas de mal non plus à y croire, car ils peuvent même servir d’instruction, comme, par exemple, celui-ci.
            J’étais à Lanzo lors de notre première retraite spirituelle et je dormais, quand, comme je l’ai dit, j’ai fait un rêve. Je me trouvais dans un endroit dont je ne pouvais pas savoir quelle région c’était, mais c’était près d’un village où il y avait un jardin, et près de ce jardin une vaste prairie. J’étais en compagnie de quelques amis qui m’invitèrent à entrer dans le jardin. J’y suis entré et j’ai vu un grand nombre de petits agneaux qui sautaient, couraient, faisaient des cabrioles selon leur habitude. Et voilà qu’une porte s’ouvre sur le pré et que ces petits agneaux courent dehors pour brouter.
            Cependant beaucoup ne songent pas à sortir, mais restent dans le jardin, allant çà et là, broutant quelques brins d’herbe. Ils se nourrissaient ainsi, bien qu’il n’y eût pas d’herbe aussi abondante que dans le pré où le plus grand nombre était accouru. – Je veux voir ce que font ces petits agneaux dehors, me dis-je. Nous sommes allés dans le pré et nous les avons vus en train de brouter tranquillement. Mais voici que, presque aussitôt, le ciel s’est assombri, des éclairs et le tonnerre ont suivi, et l’orage s’est approché.
            – Qu’adviendra-t-il de ces petits agneaux s’ils sont pris dans l’orage ? disais-je. Mettons-les à l’abri. – Et je me mis à les appeler. Alors, moi d’un côté et mes compagnons dispersés çà et là, nous essayâmes de les pousser vers la porte du jardin. Mais ils n’avaient aucune envie d’y entrer ; s’échappant de-ci, courant de-là, les petits agneaux avaient de meilleures jambes que nous. Entre-temps, des grosses gouttes commencèrent à tomber, puis vint la pluie et je n’ai pas pu rassembler ce troupeau. Un ou deux entrèrent dans le jardin, mais tous les autres, et ils étaient nombreux, restèrent dans le pré. – Eh bien, s’ils ne veulent pas venir, tant pis pour eux ! En attendant, retirons-nous. – Et nous allâmes dans le jardin.
            Il y avait là une fontaine sur laquelle était écrit en grosses lettres : Fons signatus, fontaine scellée. Elle était couverte, et voici qu’elle s’ouvre, l’eau s’élève, se sépare en formant un arc-en-ciel, mais en guise de voûte comme ce portique.
            Entre-temps les éclairs devenaient plus fréquents, suivis de coups de tonnerre plus bruyants, et la grêle commença à tomber. Quant à nous, avec tous les petits agneaux qui étaient dans le jardin, nous nous réfugiâmes sous cette merveilleuse voûte, où l’eau et la grêle ne pénétraient pas.
            – Mais qu’est-ce que c’est ? demandais-je à mes amis. Que vont devenir les pauvres agneaux qui sont dehors ?
            – Tu verras, me répondaient-ils. Observe le front de ces agneaux, qu’y trouves-tu ? – Je regardai et je vis que sur le front de chacun de ces animaux était écrit le nom d’un jeune de l’Oratoire.
            – Qu’est-ce que cela ? demandai-je.
            – Tu verras, tu verras !
            À ce moment je ne tenais plus en place et j’ai voulu sortir pour voir ce que devenaient ces pauvres agneaux qui étaient restés dehors. – Je vais rassembler ceux qui ont été tués et les envoyer à l’Oratoire, me suis-je dit. En sortant de dessous la voûte, j’ai pris la pluie à mon tour, et j’ai vu ces pauvres petites bêtes qui se traînaient par terre, qui bougeaient les pattes en essayant de se lever et d’aller vers le jardin, mais elles ne pouvaient pas marcher. J’ouvris la porte, j’élevai la voix, mais leurs efforts étaient inutiles. La pluie et la grêle les avaient tellement malmenés et continuaient à les maltraiter qu’ils faisaient pitié à voir : l’un était frappé à la tête, l’autre à la mâchoire, celui-ci à un œil, celui-là à une patte, d’autres à d’autres parties du corps.
            Au bout de quelque temps, la tempête avait cessé.
            – Observe, dit celui qui se tenait près de moi, observe le front de ces agneaux.
            Je regardai et je lus sur chaque front le nom d’un jeune de l’Oratoire. – Mais, dis-je, je connais le jeune qui porte ce nom, et il ne me paraît pas être un petit agneau.
            – Tu verras, tu verras, me répondit-on. – Alors on me présenta un vase d’or avec un couvercle d’argent, en disant :
            – Trempe ta main dans cet onguent et touche les plaies de ces petites bêtes et elles guériront aussitôt.
            Je commence à les appeler :
            – Brrr, brrr ! Elles ne bougent pas. J’essaie de m’approcher de l’une d’elles et elle s’éloigne en traînant les pieds. – Elle ne veut pas ? Tant pis pour elle ! m’exclamé-je. Je vais vers une autre. J’y vais, mais celle-là aussi me fuit. Autant j’en approchais pour les oindre et les guérir, autant elles me fuyaient. Je les suivais, mais je répétais ce jeu en vain. Enfin, j’en atteignis une ; la pauvre avait les yeux sortis de leurs orbites et si abîmés qu’ils faisaient pitié. Je les touchai avec la main, elle guérit et alla dans le jardin.
            En voyant cela, beaucoup d’autres cessèrent leur résistance, se laissèrent toucher et guérir et entrèrent dans le jardin. Mais beaucoup restèrent dehors, en général les plus touchées, et je n’ai pas pu les approcher.
            – Si elles ne veulent pas être guéries, tant pis pour elles ! Mais je ne sais pas comment les faire revenir dans le jardin.
            – Sois tranquille, dit l’un des amis qui m’accompagnait, elles viendront, elles viendront.
            – Nous verrons, lui dis-je. Je rapportai le vase d’or à sa place et retournai dans le jardin. Tout était changé, et je lus à l’entrée : Oratoire. Dès que je fus entré, voici que les agneaux qui ne voulaient pas venir s’approchent, entrent en cachette et courent reprendre leur place çà et là. Mais même alors, je ne pus approcher aucun d’entre eux. Il y en avait aussi plusieurs qui ne voulaient pas recevoir la pommade, et celle-ci se transformait pour eux en poison, et au lieu de les guérir, elle aggravait leurs plaies.
            – Regarde ! Tu vois cette bannière ? me dit un ami.
            Je me suis retourné et j’ai vu une grande bannière qui flottait, sur laquelle était écrit en grosses lettres le mot : Vacances.
            – Oui, je vois, répondis-je.
            – C’est la conséquence des vacances, m’expliqua une personne qui m’accompagnait, alors que j’étais bouleversé par ce spectacle. Tes jeunes quittent l’Oratoire pour aller en vacances, avec la bonne volonté de se nourrir de la parole de Dieu et de se maintenir dans le bien ; mais vient l’orage – ce sont les tentations – puis la pluie – ce sont les assauts du démon – ; puis la grêle tombe et c’est alors que ces malheureux tombent dans le péché. Certains guérissent encore par la confession, mais d’autres n’utilisent pas bien ce sacrement, ou ne l’utilisent pas du tout. Garde cela dans ton esprit et ne te lasse pas de répéter à tes jeunes que les vacances sont une grande tempête pour leurs âmes.
            En observant ces agneaux, je voyais chez certains d’entre eux des blessures mortelles ; je cherchais un moyen de les guérir, lorsque Don Scappini, qui avait fait du bruit en se levant dans la pièce voisine, me réveilla.
            Voilà le rêve, et bien qu’il s’agisse d’un rêve, il a néanmoins une signification qui ne fera pas de mal à ceux qui voudront bien le croire. Je peux aussi dire que j’ai remarqué quelques noms parmi les nombreux agneaux du rêve, et en les comparant avec les jeunes, j’ai vu qu’ils se comportaient exactement comme dans le rêve. Quoi qu’il en soit, nous devons, durant cette neuvaine de la Toussaint, correspondre à la bonté de Dieu qui veut nous faire miséricorde et, par une bonne confession, purifier les blessures de notre conscience. Nous devons ensuite nous mettre tous d’accord pour combattre le diable et, avec l’aide de Dieu, nous sortirons victorieux de ce combat et irons recevoir le prix de la victoire au Paradis.
            Ce rêve a dû certainement contribuer au bon démarrage de la nouvelle année scolaire. En effet, pendant la neuvaine de l’Immaculée Conception, les choses allaient déjà tellement bien que Don Bosco exprima sa satisfaction en disant :
            – Les jeunes en sont déjà au point où, les années précédentes, ils arrivaient à peine en février. – Et en la fête de l’Immaculée Conception, ils ont vu se renouveler la belle célébration de l’adieu à la quatrième expédition des Missionnaires.
(MB XIII 761-764)




Visiter Rome avec Don Bosco. Chronique de son premier voyage à Rome

C’est en 1858, du 18 février au 16 avril, que Don Bosco se rendit pour la première fois à Rome, accompagné du séminariste de vingt et un ans, Michel Rua. Quatre ans auparavant, l’Église avait célébré un Jubilé extraordinaire de six mois à l’occasion de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception (8 décembre 1854). Don Bosco saisit l’opportunité de cette grande fête spirituelle pour publier le volume « Le Jubilé et Pratiques dévotes pour la visite des églises ».
Lors de cette visite à la Ville Éternelle, la première de vingt visites, Don Bosco se comporta comme un véritable pèlerin jubilaire, se consacrant avec ferveur aux visites et aux dévotions prévues, jusqu’à participer aux solennels rites pascals officiés par le Pape. Ce fut une expérience intense, qu’il ne garda pas pour lui, mais qu’il partagea avec ses jeunes avec l’enthousiasme et la passion éducative qui le caractérisaient.
En décrivant minutieusement le voyage, les étapes et les lieux saints, Don Bosco avait un clair objectif apostolique et éducatif : faire revivre à ceux qui l’écoutaient ou le lisaient la même profonde expérience de foi, leur transmettant l’amour pour l’Église et pour la tradition chrétienne.
Nous invitons maintenant les lecteurs à s’unir spirituellement à Don Bosco, en parcourant idéalement les routes de la Rome chrétienne, pour se laisser fasciner par son élan et son zèle et, ensemble, renouveler notre foi.

À Gênes en chemin de fer
Le départ pour Rome était fixé au 18 février 1858. Cette nuit-là, il tomba presque un pied de neige sur les deux qui couvraient déjà le sol. À huit heures et demie, alors qu’il neigeait encore, avec l’émotion d’un père qui quitte ses enfants, je saluais les jeunes pour commencer le voyage vers Rome. Bien que nous fussions un peu pressés d’arriver à temps au train, nous nous attardâmes encore un peu pour faire notre testament : je ne voulais en effet laisser aucune affaire en suspens à l’Oratoire au cas où la Providence voudrait nous donner en pâture aux poissons de la Méditerranée […] Puis, en courant, nous nous rendîmes à la gare et, en compagnie de Don Mentasti […], nous partîmes en train à dix heures du matin.
Un incident désagréable se produisit ici : les wagons étaient presque complets, si bien que je dus laisser Rua et Don Mentasti dans un compartiment et trouver une place dans un autre […]

L’enfant juif
Je tombai par hasard près d’un garçon de dix ans. Remarquant son apparence simple et son bon visage, je me mis à converser avec lui et […] je remarquai qu’il était juif. Le père, qui était assis à côté de lui, m’assura que son fils était en quatrième année de primaire, mais il m’a semblé que son instruction n’allait au-delà de la deuxième. Cependant, il était d’esprit vif. Le père était content que je l’interroge, et il m’invita même à le faire parler de la Bible. Ainsi, je commençai à l’interroger sur la création du monde et de l’homme, sur le Paradis terrestre, sur la chute des ancêtres. Il répondait assez bien, mais je fus étonné quand je compris qu’il n’avait aucune idée du péché originel et de la promesse d’un Rédempteur.
– N’y a-t-il pas dans ta Bible la promesse de Dieu à Adam quand il le chassa du Paradis ?
– Non, dites-le-moi, répondit-il.
– Tout de suite. Dieu dit au serpent : puisque tu as trompé la femme, tu seras maudit parmi tous les animaux, et Un qui naîtra d’une femme te brisera la tête.
– Qui est ce Un dont on parle ?
– C’est le Sauveur qui devait libérer l’humanité de l’esclavage du démon.
– Quand viendra-t-il ?
– Il est déjà venu et c’est celui que nous appelons… 
Ici le père nous interrompit en disant :
– Ces choses-là, nous ne les étudions pas car elles ne concernent pas notre loi.
– Vous feriez bien de les étudier, car elles se trouvent dans les livres de Moïse et des prophètes auxquels vous croyez.
– D’accord, dit l’autre, j’y penserai. Maintenant, demandez-lui quelque chose en arithmétique. 
Voyant qu’il ne souhaitait pas que je lui parle de religion, nous conversâmes de choses agréables, si bien que le père, le fils et même les autres voyageurs commencèrent à se divertir et à rire de bon cœur. À la gare d’Asti, le garçon devait descendre, mais il n’arrivait pas à se décider à me quitter. Il avait les larmes aux yeux, me tenait la main et, ému, réussit seulement à me dire :
– Je m’appelle Sacerdote Leone di Moncalvo ; souvenez-vous de moi. En venant à Turin, j’espère pouvoir vous rendre visite. Le père, pour alléger l’émotion, dit qu’il avait cherché à Turin l’ »Histoire d’Italie » [que j’avais écrite]. Ne l’ayant pas trouvée, il me priait de lui en envoyer une copie. Je promis d’envoyer celle imprimée spécialement pour la jeunesse, puis je descendis moi aussi pour chercher mes compagnons afin de voir s’il y avait de la place dans leur compartiment. Je trouvai Rua qui avait les mâchoires fatiguées à force de bâiller, car de Turin à Asti, il s’était beaucoup ennuyé, ne sachant avec qui engager la conversation : ses compagnons de voyage ne parlaient que de bals, de théâtre et d’autres choses peu intéressantes […]

Vers Gênes
Nous arrivâmes vers les Apennins. Ils se dressaient devant nous, très hauts et très raides. Comme le train voyageait à grande vitesse, nous avions l’impression d’aller heurter les rochers, jusqu’à ce qu’il fasse soudainement noir dans le train. Nous étions entrés dans les tunnels. Ce sont des « trous » qui, passant sous les montagnes, font économiser plusieurs dizaines de milles […] Sans tunnels, il serait impossible de les franchir, et comme il y a beaucoup de montagnes, il existe plusieurs tunnels. L’un d’eux est long comme la distance entre Turin et Moncalieri ; ici le convoi resta dans l’obscurité pendant huit minutes, le temps nécessaire pour parcourir le tronçon de tunnel.

Nous fûmes surpris de constater que la neige diminuait à mesure que nous nous rapprochions de la riviera de Gênes. Mais quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous aperçûmes les campagnes sans un fil de blanc, les rives verdoyantes, les jardins pleins de couleurs, les amandiers en fleurs et les pêchers avec des bourgeons prêts à s’ouvrir au soleil ! Alors, en faisant une comparaison entre Turin et Gênes, nous nous disions qu’en cette saison, Gênes est le printemps et Turin l’hiver le plus rude.

Les deux montagnards
J’oubliais de parler de deux montagnards qui montèrent dans notre compartiment à la gare de Busalla. L’un était pâle et maladif à faire pitié, l’autre avait un air sain et vif, et, bien qu’il approchât des soixante-dix ans, il montrait la vigueur d’un homme de vingt-cinq ans. Il portait des culottes courtes et des guêtres presque déboutonnées, si bien qu’il montrait ses jambes nues jusqu’au genou fouettées par le froid. Il était en manches de chemise avec seulement un pull et une veste de tissu grossier jetée sur les épaules. Après l’avoir fait parler de divers sujets, je lui dis :
– Pourquoi n’ajustez-vous pas vos vêtements pour vous protéger du froid ? Il répondit :
– Voyez-vous, cher Monsieur, nous sommes des montagnards, et nous sommes habitués au vent, à la pluie, à la neige et à la glace. Nous ne remarquons presque pas la saison hivernale. Nos garçons marchent pieds nus dans la neige, ils s’y amusent même sans se soucier du froid. Cela m’a fait comprendre que l’homme vit d’habitudes, et que le corps est capable de supporter selon les cas le froid ou la chaleur, et ceux qui voudraient se protéger de chaque petit inconfort risquent d’affaiblir leur condition physique au lieu de la renforcer.

L’arrêt à Gênes
Mais voici Gênes, voici la mer ! Rua s’agite pour la voir, allonge le cou : ici il remarque un navire, là quelques bateaux, plus loin la lanterne qui est un très haut phare. Nous arrivons entre-temps à la gare et descendons du train. Le beau-frère de l’abbé Montebruno nous attendait avec quelques jeunes, et à peine à terre, ils nous accueillirent avec joie, et portant nos bagages, ils nous conduisirent à l’œuvre des Artigianelli qui est une maison semblable à notre Oratoire. Les compliments furent brefs car nous avions tous une grande faim ; il était trois heures et demie de l’après-midi et je n’avais pris qu’une tasse de café. À table, il semblait que rien ne pouvait nous rassasier ; cependant, à force d’avaler, le sac se remplit.
Immédiatement après, nous avons visité la maison : écoles, dortoirs, ateliers. Il me semblait voir l’Oratoire d’il y a dix ans. Les pensionnaires étaient vingt ; vingt autres mangeaient et travaillaient sur place mais dormaient ailleurs. Quel est leur régime alimentaire ? À midi, un bon plat de soupe, puis… rien d’autre. Le soir, une petite miche de pain que l’on mange debout, puis au lit !
À la fin, nous sommes sortis pour une promenade en ville qui, à vrai dire, est peu attrayante, bien qu’elle ait de magnifiques palais et de grands magasins. Les rues sont étroites, tortueuses et raides. Mais la chose la plus agaçante était un vent désagréable ; soufflant presque sans interruption, il vous enlevait le plaisir d’admirer quoi que ce soit, même les plus belles […]

À Gênes, en somme, nos attentes furent déçues. Comme si cela ne suffisait pas, le vent contraire empêcha l’accostage du navire sur lequel nous devions embarquer, si bien que, malgré nous, nous dûmes attendre jusqu’au lendemain […] Le matin, j’ai dit la messe dans l’église des Dominicains à l’autel du Bienheureux Sébastien Maggi, un frère qui a vécu il y a environ trois cents ans. Son corps est un prodige continuel, car il se conserve tout entier, flexible et avec une couleur comme s’il était mort depuis quelques jours […] Puis nous allâmes faire valider, c’est-à-dire signer le passeport. Le consul pontifical nous accueillit avec beaucoup de courtoisie […] Il chercha aussi à nous obtenir une réduction sur le bateau, mais cela ne fut pas possible.

À Civitavecchia par mer. L’embarquement
À six heures et demie du soir, avant de nous diriger vers le bateau à vapeur Aventino, nous saluâmes plusieurs ecclésiastiques venus des Artigianelli pour nous souhaiter un bon voyage. Les garçons eux-mêmes, attirés par les bonnes paroles, mais surtout par quelques plats supplémentaires au repas du jour, étaient devenus nos amis et semblaient avoir du chagrin de nous voir partir. Plusieurs d’entre eux nous accompagnèrent jusqu’à la mer ; puis, sautant avec agilité dans une petite barque, voulurent nous escorter jusqu’au bateau. Le vent était très fort ; n’étant pas habitués à voyager par mer, nous craignions de chavirer et de sombrer à chaque mouvement de la barque, et nos accompagnateurs riaient de bon cœur. Après vingt minutes, nous arrivâmes enfin au navire.

À première vue, il nous semblait un palais entouré par les vagues. Nous montâmes à bord, et après avoir déposé nos bagages dans un logement assez spacieux, nous nous assîmes pour nous reposer et réfléchir. Chacun éprouvait des sensations particulières qu’il ne savait comment exprimer. Rua observait tout et tous en silence. Et voici le premier contretemps : à l’heure du déjeuner, nous ne sommes pas allés manger tout de suite, et quand nous l’avons demandé, tout était fini. Rua dut dîner avec une pomme, une petite miche de pain et un verre de Bordeaux ; quant à moi, je me contentai d’un morceau de pain et d’un peu de ce vin excellent. À noter que lorsque l’on voyage en bateau, les repas sont compris dans le billet, donc que l’on mange ou non, on paie de toute façon.

Après, nous sommes montés sur le pont pour nous rendre compte de ce qu’était cet « Aventino ». Nous avons ainsi appris que les navires prennent leur nom des lieux les plus célèbres des lieux vers lesquels ils se dirigent. L’un s’appelle Vatican, un autre Quirinal, un autre Aventin, comme le nôtre, pour rappeler les sept célèbres collines de Rome. Ce navire part de Marseille, touche Gênes, Livourne, Civitavecchia, puis continue vers Naples, Messine et Malte. Au retour, il répète le même parcours jusqu’à Marseille. On l’appelle aussi bateau postal car il transporte des lettres, des plis, etc. Qu’il fasse beau ou mauvais temps, il part de toute façon.

Le mal de mer
On nous avait assigné la couchette qui est une sorte d’armoire à étages où les passagers s’allongent sur un matelas dans chaque étage. À dix heures, on leva l’ancre et le bateau, poussé par la vapeur et un vent favorable, commença à filer à grande vitesse vers Livourne. Quand nous fûmes au large, je fus assailli par le mal de mer qui me tourmenta pendant deux jours. Ce désagrément consiste en des vomissements fréquents, et quand on n’a plus rien à rejeter, les efforts deviennent plus violents, si bien que la personne devient si épuisée qu’elle refuse tout aliment. La seule chose qui peut apporter un certain soulagement est de se mettre au lit et de rester le corps entièrement étendu, quand les vomissements le permettent.

Livourne
La nuit du 20 février fut une mauvaise nuit. Le danger ne venait pas de la mer agitée, mais le mal de mer m’avait tellement accablé que je ne pouvais rester ni couché, ni debout. Je sautai de ma couchette et allai voir si Rua était vivant ou mort. Cependant, il n’avait qu’un peu de fatigue, rien d’autre. Il se leva immédiatement, se mettant à ma disposition pour alléger les désagréments de la traversée. Quand Dieu le voulut, nous arrivâmes au port de Livourne. Par port, on entend une baie de la mer protégée de la fureur des vents par des barrières naturelles ou des bastions construits par l’homme. Ici, les navires sont à l’abri de tout danger, ici ils déchargent leurs marchandises et en chargent d’autres pour d’autres destinations, ici ils font leurs approvisionnements. Les passagers qui le désirent peuvent aussi descendre à terre pour faire un tour en ville à condition de revenir à l’heure […]

Je souhaitais descendre pour visiter la ville, dire la messe et saluer quelques amis, mais je ne pus le faire ; en fait je fus contraint de retourner dans ma couchette et d’y rester bien tranquille à jeun. Un serveur nommé Charles me regardait avec un œil de compassion et de temps en temps il s’approchait de moi en m’offrant ses services. Le voyant si bon et courtois, je commençai à converser avec lui, et parmi d’autres choses, je lui demandai s’il ne craignait pas d’être ridiculisé en assistant un prêtre sous le regard de tant de personnes.
– Non, me dit-il en français, comme vous voyez, personne ne s’étonne, au contraire, tout le monde vous regarde avec bonté et désire vous aider. D’autre part, ma mère m’a appris à avoir un grand respect pour les prêtres afin de gagner la bénédiction du Seigneur. Charles alla ensuite appeler un médecin : chaque navire a son médecin et les principaux remèdes pour tout besoin. Le médecin vint et ses manières affables me soulagèrent un peu.
– Comprenez-vous le français ? me dit-il. Je répondis :
– Je comprends toutes les langues du monde, même celles qui ne sont pas écrites, même le langage des sourds-muets. Je plaisantais pour me réveiller de la somnolence qui m’avait pris. L’autre comprit et se mit à rire.
– Peut-être, ce n’est pas impossible ! disait-il en m’examinant. À la fin, il m’annonça qu’au mal de mer s’était ajoutée la fièvre et qu’une boisson de thé me ferait du bien. Je le remerciai et lui demandai son nom.
– Mon nom, dit-il, est Jobert de Marseille, docteur en médecine et chirurgie. Charles, attentif aux ordres du médecin, me prépara rapidement une tasse de thé, puis une autre, puis encore une autre. Et cela me fit du bien, au point que je réussis à m’endormir.
À cinq heures [de l’après-midi], le bateau leva l’ancre. Quand nous fûmes en haute mer, j’eus de nouveau des nausées encore plus violentes, restant agité pendant environ quatre heures, puis, par épuisement – je n’avais plus rien dans l’estomac – et aidé par le roulis du navire, je m’endormis et reposai d’un sommeil tranquille jusqu’à notre arrivée à Civitavecchia.

Payer, payer, payer
Le repos de la nuit m’avait redonné des forces. Bien qu’épuisé par le long jeûne, je me levai et préparai mes bagages. Nous étions sur le point de descendre quand on nous informa d’une dette que nous ne savions pas avoir contractée. Le café n’était pas compris dans le prix des repas mais devait être payé séparément, et nous qui en avions pris quatre tasses, payâmes un supplément de deux francs, c’est-à-dire cinquante centimes par tasse. Le capitaine, après avoir fait viser les passeports, nous remit le permis de débarquement. C’est alors que commença la série des pourboires : un franc chacun aux bateliers, un demi-franc pour les bagages (que nous portions nous-mêmes), un demi-franc à la douane, un demi-franc à celui qui nous invitait dans la voiture, un demi-franc au porteur qui s’occupait des bagages, deux francs pour le visa sur le passeport, un franc et demi au consul pontifical. On n’avait pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il fallait déjà payer. En ajoutant que les pièces de monnaie changeaient de nom et de valeur et que nous devions nous fier à ceux qui nous faisaient le change […] À la douane, ils respectèrent un paquet adressé au cardinal Antonelli avec le sceau pontifical, dans lequel nous avions mis les choses les plus importantes […]

Après avoir terminé les opérations, je me rendis chez le barbier pour me raser une barbe de dix jours. Tout se passa bien, mais dans le salon, je ne pus détacher mon regard de deux cornes sur une table. Elles mesuraient environ un mètre et étaient ornées d’anneaux scintillants et de rubans. Je pensais qu’elles étaient destinées à un usage particulier, mais on me dit qu’elles étaient de génisse, que nous appelons bœuf, mises là seulement comme ornement […]

Vers Rome en diligence
Entre-temps, don Mentasti était en colère parce qu’il ne nous voyait pas arriver, tandis que la voiture nous attendait déjà. Nous nous étions mis à courir pour arriver à temps. Montés dans la voiture, nous partîmes pour Rome. La distance à parcourir était de 47 milles italiens, ce qui correspond à 36 milles piémontais. La route était très belle. Nous avions pris place dans le coupé d’où nous pouvions contempler les prairies verdoyantes et les haies fleuries. Une curiosité nous divertit beaucoup. Nous remarquâmes que tout allait par trois : les chevaux de notre voiture étaient attelés par trois ; nous rencontrâmes des patrouilles de soldats qui allaient par trois ; même certains paysans marchaient trois par trois, tout comme certaines vaches et certains ânes qui paissaient par trois. Nous riions de ces étranges coïncidences […]

Une pause pour les chevaux
À Palo, le cocher accorda aux voyageurs une heure de liberté pour avoir le temps de reposer les chevaux. Nous en profitâmes pour courir à la taverne voisine et apaiser notre faim. Les affaires nous avaient presque fait oublier de manger ; depuis vendredi midi, je n’avais pris qu’une tasse de café au lait. Nous nous sommes attaqués aux petits pains que nous avons mangés, ou plutôt dévorés complètement. En voyant ensuite le serveur tout épuisé et pâle, je lui demandai ce qu’il avait.
– J’ai des fièvres qui me tourmentent depuis des mois, répondit-il. Je fis alors le bon médecin :
– Laissez-moi faire, je vous prescris une recette qui chassera la fièvre pour toujours. Ayez seulement confiance en Dieu et en saint Louis. Prenant alors un morceau de papier avec un crayon, j’écrivis ma recette, lui recommandant de l’apporter à un pharmacien. Il était hors de lui, tout heureux, et, ne sachant comment exprimer sa gratitude, il n’arrêtait pas de me baiser la main, et voulait baiser aussi celle de Rua, qui, par modestie, ne le lui permit pas.

Parmi les rencontres sympathiques il y eut celle d’un gendarme pontifical. Il pensait me connaître, et je croyais le connaître, alors nous nous saluâmes tous les deux en grande fête. Et quand nous nous rendîmes compte de l’équivoque, l’amitié et les expressions de bienveillance et de respect continuèrent. Pour lui faire plaisir, je dus permettre qu’il me payât une tasse de café, et pour ma part, je lui offris un petit verre de rhum. Puis, m’ayant demandé de lui laisser un souvenir, je lui offris la médaille de saint Louis de Gonzague. Le nom de ce bon carabinier était Pedrocchi.

Dans la ville des papes
Remontés à nouveau dans la voiture et volant plus vite par le désir que par les pattes des chevaux, nous avions l’impression à chaque instant d’être arrivés à Rome. La nuit tombée, chaque fois que l’on apercevait au loin un buisson ou un arbre, Rua s’exclamait aussitôt :
– Voici la coupole de Saint-Pierre. Mais avant d’arriver, nous avons dû patienter jusqu’à dix heures et demie du soir, et comme il faisait déjà nuit noire, nous ne pouvions plus distinguer aucun détail. Un certain frisson cependant nous prit à la pensée que nous entrions dans la ville sainte. […] Arrivés enfin à destination, et n’ayant aucune connaissance des lieux, nous cherchâmes un guide qui, pour douze baiocchi, nous accompagna chez les De Maistre, via del Quirinale 49, aux Quatre Fontaines. Il était déjà onze heures. Nous fûmes accueillis avec bonté par le comte et la comtesse ; les autres étaient déjà au lit. Après nous être un peu restaurés, nous nous souhaitâmes bonne nuit et allâmes dormir.

San Carlino
La partie du Quirinal que nous habitons est appelée Quattro Fontane parce que quatre sources permanentes proviennent de quatre contrées et se rejoignent ici. En face de la maison où nous avions pris domicile se trouvait l’église des carmes. Ceux-ci étaient tous espagnols et appartenaient à l’ordre dit de la Rédemption des Esclaves. L’église fut construite en 1640 et dédiée à saint Charles ; mais pour la distinguer d’autres dédiées au même saint, on l’appela S. Carlino. Nous nous sommes rendus dans la sacristie, avons montré le Celebret (document pour pouvoir célébrer n.d.r.) et ainsi nous avons pu dire la messe. […] Nous passâmes presque toute la journée à mettre en ordre nos papiers, faire des commissions, porter des lettres […]

Le Panthéon
Profitant d’une heure qui nous restait avant la nuit, nous nous nous sommes rendus au Panthéon qui est l’un des monuments les plus anciens et les plus célèbres de Rome. Il fut construit par Marcus Agrippa, gendre de César Auguste, vingt-cinq ans avant l’ère vulgaire (av. J.-C. n.d.r.). On croit que cet édifice a été appelé Panthéon, qui signifie tous les dieux, parce qu’en fait il était dédié à toutes les divinités. La façade est vraiment superbe. Huit grosses colonnes soutiennent une élégante corniche. Juste après, voici un portique formé de seize colonnes faites d’un seul bloc de granit, puis le pronaos, ou avant-temple, constitué de quatre piliers cannelés, dans lesquels sont creusées des niches anciennement occupées par les statues d’Auguste et d’Agrippa.
À l’intérieur on découvre une haute coupole ouverte au milieu, par laquelle pénètre la lumière, mais aussi le vent, la pluie et la neige, quand elle tombe par ici. Les marbres les plus précieux servent ici de pavé ou d’ornement tout autour. Le diamètre est de cent trente-trois pieds, correspondant à dix-huit trabucchi (environ 55 m). Ce temple servit au culte des dieux jusqu’en 608 après Jésus-Christ, lorsque le pape Boniface IV, pour empêcher les désordres qui se commettaient pendant les sacrifices, le dédia au culte du vrai Dieu, c’est-à-dire à tous les saints.

Cette église a connu de nombreuses vicissitudes. Lorsque Boniface IV obtint ce monument de l’empereur Phocas, il le dédia au culte de Dieu et de la Vierge et fit transporter de divers cimetières vingt-huit chariots de reliques qu’il plaça sous l’autel majeur. Depuis lors, on commença à l’appeler Santa Maria ad Martyres. Parmi les choses que nous avons beaucoup appréciées, il y eut la visite de la tombe du grand Raphaël […] Maintenant, cette église porte aussi le nom de Rotonde, en raison de la forme de sa construction. Devant s’étend une place dont le centre est occupé par une grande fontaine en marbre, surmontée de quatre dauphins qui jettent continuellement de l’eau.

Saint-Pierre-aux-Liens
Le 23 février […] nous avons été très contents de la visite à Saint-Pierre-aux Liens, église située au sud de Rome à la limite de la ville. Ce fut une journée mémorable car elle coïncidait avec l’une des rares fois où l’on exposait les chaînes de saint Pierre, dont les clés sont gardées par le Saint-Père lui-même. Une tradition soutient que c’est saint Pierre lui-même qui a érigé ici la première église en la dédiant au Sauveur. Détruite par l’incendie de Néron, elle fut reconstruite par saint Léon le Grand en 442 et dédiée au premier Pape. On l’a appelée Saint-Pierre-aux-Liens, car le Pape y a placé la chaîne avec laquelle le Prince des Apôtres avait été enchaîné à Jérusalem sur l’ordre d’Hérode. Le patriarche Juvénal l’avait offerte à l’impératrice Eudoxie, qui à son tour l’envoya à Rome à sa fille Eudoxie junior, épouse de Valentinien III. À Rome, on conservait aussi la chaîne avec laquelle saint Pierre avait été enchaîné dans la prison Mamertine. Lorsque saint Léon voulut faire la comparaison entre celle-ci et celle de Jérusalem, les deux chaînes s’unirent l’une à l’autre de manière prodigieuse, de sorte qu’aujourd’hui elles forment une seule chaîne, qui est conservée dans un autel spécial à côté de la sacristie. Nous avons eu la consolation de toucher ces chaînes de nos propres mains, de les embrasser, de les mettre autour de notre cou et de les approcher de notre front. Nous avons également soigneusement vérifié pour essayer de discerner le point d’union des deux, mais cela ne nous a pas été possible. Nous avons seulement pu constater que la chaîne de Rome est plus petite que celle de Jérusalem.
À Saint-Pierre-aux-Liens se trouve le magnifique tombeau de Jules II […] C’est l’un des chefs-d’œuvre du célèbre Michel-Ange Buonarroti, qui est considéré comme l’un des plus grands artistes du marbre, l’auteur de la statue de Moïse placée près de l’urne. Le patriarche est représenté avec les tables de la loi sous son bras droit, en train de parler au peuple qu’il regarde fièrement, car il s’était rebellé. L’église est à trois nefs, séparées par vingt colonnes de marbre de Paros, et deux de granit bien conservé.

Saint-Louis des Français
Vers neuf heures, nous nous sommes rendus à Santa Maria sopra Minerva, où nous avons été reçus en audience privée par le cardinal Gaude pendant environ une heure et demie. Il parla avec nous en dialecte piémontais, s’intéressant à nos oratoires […] L’après-midi, nous sommes allés rendre visite au marquis Giovanni Patrizi […]. En face de son palais se trouve l’église Saint-Louis des Français qui donne son nom à la place et au quartier voisin. C’est une église bien entretenue et enrichie de nombreux marbres précieux. Sa singularité réside dans les sépultures des Français célèbres morts à Rome. En effet, le sol et les murs sont couverts d’épitaphes et de plaques. […]

Sainte-Marie-Majeure sur l’Esquilin
Du Quirinal part une route qui mène à l’Esquilin, ainsi nommé à cause des nombreux chênes qui couvraient autrefois la colline. Sur la partie haute s’élève Sainte-Marie-Majeure, dont tous les historiens sacrés ont raconté l’origine de la manière suivante. Un certain Giovanni, patricien romain, n’ayant pas d’enfants, désirait employer ses biens dans une œuvre de piété […] La nuit du 4 août 352, la Vierge lui apparut en rêve et lui ordonna de lui élever un sanctuaire à l’endroit où il trouverait le lendemain de la neige fraîche. La même vision se manifesta au pape de l’époque, Libère. Le jour suivant, comme la rumeur se répandit qu’une abondante neige était tombée sur la colline de l’Esquilin, Libère et Giovanni s’y rendirent, et, constatant le prodige, ils s’activèrent à mettre en pratique le commandement reçu dans la vision. Le Pape traça le plan du nouveau sanctuaire, qui fut rapidement achevé avec l’argent de Giovanni, et quelques années plus tard, Libère put procéder à la consécration […]

Devant l’église s’étend une vaste place au centre de laquelle se trouve l’ancienne colonne de marbre blanc, provenant du temple de la paix. Le pape Paul V, en 1614, la dota d’une base et d’un chapiteau, sur lequel il plaça la statue de la Vierge avec l’Enfant. L’architecture de la façade est majestueuse et est soutenue par de grosses colonnes de marbre qui forment un vaste vestibule. Au fond de celui-ci a été placée la statue de Philippe IV, roi d’Espagne, qui fit de nombreuses donations en faveur de cette église et voulut lui-même être inscrit parmi les chanoines. Le sol est en mosaïque précieuse travaillée avec des marbres de différents types, tous d’une valeur inestimable.
La chapelle à droite de l’autel majeur conserve la tombe de saint Jérôme, la crèche du Sauveur et l’autel du pape Libère. L’autel papal est recouvert de précieux marbres de porphyre, et soutenu par quatre angelots en bronze doré. En dessous s’ouvre la Confession, qui est une chapelle dédiée à saint Matthias. Nous sommes allés la visiter le jour de la station de carême, ainsi nous avons eu la chance de trouver exposé sur un riche autel la tête de saint Matthias. Nous l’avons observée attentivement, et nous avons remarqué que la peau restait attachée à la tête, qu’on apercevait même quelques cheveux attachés au crâne vénérable.

La Vierge et la peste
Dans la chapelle à gauche de l’autel, on peut observer un tableau de la Vierge attribué à saint Luc, très vénéré par le peuple. L’image a été tenue en grande considération par les papes. Saint Grégoire le Grand, lors de la terrible peste de 590, la porta en procession jusqu’au Vatican. C’était le 25 avril. Lorsque le cortège arriva près du mausolée d’Hadrien, on vit un ange qui remettait l’épée dans le fourreau, indiquant ainsi la cessation de la peste. En mémoire de ce prodige, le mausolée fut appelé Château Saint-Ange, et depuis lors, la procession se répète chaque année le jour de saint Marc Évangéliste. À Sainte-Marie-Majeure, tout est majestueux et grand ; mais la parole et l’écrit ne parviennent pas à la décrire en vérité. Qui la voit de ses propres yeux fixe son regard émerveillé dans chaque coin.

Aujourd’hui, mercredi de carême ici à Rome, on jeûne et cela signifie que sont interdits non seulement les aliments à base de viande, mais aussi toute soupe ou plat à base d’œufs, de beurre ou de lait. Les assaisonnements utilisés en ces mercredis sont l’huile, l’eau et le sel. La pratique est strictement observée par toutes les classes de personnes, tant et si bien que dans les marchés et les boutiques, ce jour-là, on ne trouve ni viande, ni œufs, ni beurre.

La légende de saint Galgan
Le soir, madame De Maistre nous raconta une histoire digne d’être retenue. Elle dit : L’année dernière, le vicaire général de Sienne est venu nous rendre visite. Parmi les nombreuses choses dont il avait l’habitude de nous parler, il nous raconta l’histoire de saint Galgan, soldat. Ce saint est mort depuis des siècles, et sa tête est conservée intacte ; mais la plus grande merveille est que chaque année, on lui coupe les cheveux, qui poussent insensiblement et retrouvent la même longueur l’année suivante. Un protestant, après avoir écouté ce prodige, se mit à rire en disant : laissez-moi sceller l’urne où est conservée la tête, et si les cheveux poussent malgré tout, je reconnaîtrai le miracle et deviendrai catholique. La chose fut rapportée à l’évêque qui répondit : je mettrai les sceaux épiscopaux pour garantir l’authenticité de la relique, qu’il mette les siens pour s’assurer du fait. Ainsi fut fait. Mais ce monsieur, impatient de voir si le prodige commençait à se produire, après quelques mois demanda à ouvrir l’urne. Imaginez sa surprise lorsqu’il vit que les cheveux de saint Galgan avaient déjà poussé comme ils l’auraient fait s’il avait été vivant ! Alors c’est vrai ! s’exclama-t-il. Je deviendrai catholique. En effet, l’année suivante, le jour de la fête du Saint, lui et sa famille renoncèrent au luthéranisme et embrassèrent la religion catholique, qu’il professe aujourd’hui d’une façon exemplaire.

Sainte-Pudentienne au Viminal
Partant des Quatre Fontaines, on monte au Viminal, ainsi nommé à cause des nombreux osiers ou joncs, qui le recouvraient autrefois. Au pied de cette colline, dans la maison de Pudens, sénateur romain, saint Pierre logea lorsqu’il vint à Rome. Le saint apôtre convertit son hôte à la foi et transforma sa maison en église. Saint Pie I, vers 160, à la demande des vierges Pudentienne et Praxède, filles du sénateur Pudens, consacra cette église, qui […] fut ensuite dédiée à Sainte Pudentienne parce qu’elle y avait habité et y était morte. De nombreux papes ont entrepris la restructuration de ce lieu qui contient de précieux témoignages chrétiens. Le puits de sainte Pudentienne mérite une attention particulière. On croit qu’elle y enterra les corps des martyrs. Au fond, on peut remarquer une grande quantité de reliques ; l’histoire dit qu’il contient les reliques de trois mille martyrs.

À côté de l’autel majeur, il y a une chapelle de forme oblongue avec un autel sur lequel on admire un groupe en marbre représentant Jésus qui remet les clés à saint Pierre. On croit que cet autel est celui sur lequel saint Pierre a célébré la messe, et sur lequel, à ma grande consolation, j’ai pu célébrer moi-même. On y conserve des morceaux d’éponge dont se servait Pudentienne pour recueillir le sang des plaies des martyrs, ou de la terre qui en était imprégnée.
En continuant vers la gauche, on arrive à une chapelle qui conserve le témoignage d’un grand miracle. Alors qu’il célébrait la messe, un prêtre douta de la possibilité de la présence réelle de Jésus dans l’hostie sainte. Après la consécration, l’hostie lui échappa des mains et, tombant sur le sol, rebondit d’abord sur une marche puis sur une autre. Là où elle frappa la première fois, le marbre resta presque perforé, et sur la deuxième marche se forma une cavité très profonde en forme d’hostie. Ces deux marches en marbre sont conservées en ce même lieu et soigneusement gardées.

Sainte-Praxède
Partant de Sainte-Pudentienne, en montant vers l’Esquilin, à peu de distance de Sainte-Marie-Majeure, on trouve l’église Sainte-Praxède. Vers l’an 162 après J.-C., au-dessus de l’endroit où se trouvaient les thermes, c’est-à-dire les bains de Novatus, saint Pie I éleva une église en l’honneur de cette vierge, sœur de Novatus, Pudentienne et Théotilus. L’endroit servit de refuge aux anciens chrétiens en temps de persécution. La Sainte, qui s’employait à fournir ce qui était nécessaire aux chrétiens persécutés, s’occupait également de recueillir les corps des martyrs qu’elle enterrait ensuite, versant leur sang dans le puits qui se trouve au milieu de l’église. Celle-ci est riche en ornements et en marbres précieux, comme presque toutes les églises de Rome.
Il y a aussi la chapelle des martyrs Zénon et Valentin, dont les corps, transportés par saint Pascal I en l’an 899, reposent sous l’autel. Ici se conserve également une colonne en jaspe, haute d’environ trois coudées, qu’un cardinal nommé Colonna fit transporter de Terre Sainte en l’an 1223. On pense que c’est celle à laquelle le Sauveur fut attaché pendant la flagellation.

Le Caelius
Depuis l’Esquilin, en regardant vers l’ouest, on voit la colline du Caelius. Autrefois, elle était appelée Querchetulano à cause des chênes qui la recouvraient. Plus tard, elle fut nommée Caelius d’après Caeles Vibenna, capitaine des Étrusques venus en aide à Rome, et que Tarquinius Priscus fit loger sur cette colline. La première chose que l’on remarque est le plus grand obélisque que l’on connaisse. Ramsès, pharaon d’Égypte, le fit ériger à Thèbes en le dédiant au soleil. Constantin le Grand le fit transporter à travers le Nil jusqu’à Alexandrie, mais, après sa mort, ce fut son fils Constance qui le transporta à Rome. Pour le voyage, on utilisa un vaisseau de trois cents rames, et à travers le Tibre, il fut conduit dans la ville et placé dans un endroit appelé Circus Maximus. Là, il tomba à terre et se brisa en trois parties. Le pape Sixte V le fit restaurer et ériger sur la place du Latran en 1588. L’obélisque atteint une hauteur de 153 pieds romains. Il est entièrement orné de hiéroglyphes et surmonté d’une haute croix.

À droite de la place se trouve le baptistère de Constantin avec l’église Saint-Jean in Fonte. On dit qu’elle a été construite par Constantin à l’occasion du baptême qu’il reçut du pape saint Sylvestre en l’an 324. Elle possède deux chapelles, l’une dédiée à saint Jean-Baptiste, l’autre à saint Jean l’Évangéliste, d’où son nom d’église S. Giovanni in Fonte. Le baptistère, qui est une cuve de grande largeur revêtue de marbres précieux, se trouve au milieu. La petite chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste est considérée comme une chambre de Constantin, transformée en oratoire et dédiée au saint Précurseur par le pape saint Hilaire.

Saint-Jean-de-Latran
En sortant du baptistère et en traversant la vaste place, on trouve la basilique Saint-Jean-de-Latran. Cette célèbre construction est la première et principale église du monde catholique. Sur la façade on peut lire : Ecclesiarum Urbis et Orbis Mater et Caput (mère et tête de toutes les églises de Rome et du monde). C’est le siège du Souverain Pontife en tant qu’évêque de Rome ; après son couronnement, il va en prendre solennellement possession. Elle fut également appelée Basilique constantinienne, car fondée par Constantin le Grand. Elle fut ensuite appelée Basilique du Latran parce qu’érigée là où se trouvait le palais d’un certain Plautius Lateranus, que Néron a fait tuer ; et aussi Basilique du Sauveur à la suite d’une apparition du Sauveur survenue pendant la construction. On l’appelle encore Basilique d’Or à cause des précieux dons dont elle a été enrichie, et Basilique San Giovanni parce qu’elle est dédiée à saint Jean-Baptiste et à saint Jean Évangéliste.
C’est Constantin le Grand qui la fit construire près de son palais, vers l’an 324. Agrandie ensuite avec de nouveaux corps de bâtiment, elle fut cédée au saint Pontife. C’est ici que les papes résidèrent jusqu’au temps de Grégoire XI. Lorsque celui-ci ramena le Saint-Siège d’Avignon à Rome, il transféra sa résidence au Vatican.
En 1308, un terrible incendie la détruisit, mais Clément V, qui était alors à Avignon, envoya immédiatement ses agents avec de grandes sommes d’argent, et en peu de temps, elle fut reconstruite. Le portique est soutenu par vingt-quatre gros piliers ; au fond se trouve la statue de Constantin trouvée dans ses thermes au Quirinal. La grande porte en bronze est d’une hauteur extraordinaire. Elle provient de l’église Saint-Adrien in Campo Vaccino et a été transportée ici. Elle constitue un rare exemple de portes anciennes dites Quadrifores, c’est-à-dire construites de manière à pouvoir s’ouvrir en quatre parties, une à la fois sans que l’une mette en danger la stabilité de l’autre. À droite, il y a une porte murée qui ne s’ouvre que pendant l’année du jubilé et qui est appelée Porte Sainte.

L’intérieur est à cinq nefs. La longueur, la hauteur, la richesse des pavements, des sculptures et des peintures sont un enchantement pour les yeux. Il faudrait en écrire de gros volumes pour en parler dignement. Parmi les reliques insignes de cette église il y a les têtes des deux princes des Apôtres Pierre et Paul. Elles sont conservées sous l’autel majeur et encastrées dans une autre tête d’or. Il y a aussi une relique insigne de saint Pancrace martyr, et on y conserve une table que l’on pense être celle même sur laquelle Jésus célébra la sainte cène avec ses Apôtres.

En sortant de l’église par la porte principale et en traversant la place, on trouve la Scala Santa, un bâtiment que le pape Sixte V fit ériger pour y conserver l’escalier, qui se trouvait auparavant en morceaux dans l’ancien palais papal du Latran. Il est formé de vingt-huit marches en marbre blanc provenant du prétoire de Pilate à Jérusalem et que Jésus monta et descendit plusieurs fois pendant sa passion. Sainte Hélène, mère de Constantin, les envoya à Rome avec beaucoup d’autres choses sanctifiées par le sang de Jésus-Christ. Ce célèbre escalier est tenu en grande vénération et c’est pourquoi on le monte à genoux, et on redescend par l’un des quatre escaliers latéraux. Ces marches se sont creusées à cause du grand afflux de chrétiens qui les ont montées, si bien qu’elles ont été recouvertes de planches de bois. Le même Sixte V fit placer en haut de l’escalier la célèbre chapelle privée des papes, qui est pleine des plus insignes reliques, et que l’on appelle Sancta Sanctorum.

Cité du Vatican. La construction
La colline du Vatican contient tout ce qui existe de plus excellent dans les arts, et de mémorable dans la religion ; c’est pourquoi nous en donnerons une description un peu plus précise. Elle a été appelée Vatican d’après Vagitanus, une divinité qui était censée surveiller le vagissement des enfants. En effet, la première syllabe Va (va n.d.r.) dont est composé le mot est aussi le premier cri des enfants. La colline acquit de la renommée lorsque Caligula y construisit le cirque auquel on donna ensuite le nom de Néron. Pour passer de la rive gauche à la rive droite du Tibre, Caligula construisit le pont du Vatican, dit aussi Triomphal, qui n’existe plus maintenant. Le cirque de Néron commençait là où se trouve aujourd’hui l’église Sainte-Marthe et s’étendait jusqu’aux marches de l’ancienne basilique vaticane. Dans ce cirque fut enterré le corps du Prince des Apôtres […]

Là furent également enterrées les ossements d’autres papes, dont Lin, Clément, Anaclet, Évariste et d’autres encore. Le Mémorial de S. Pierre, c’est-à-dire le petit temple construit sur sa tombe, dura jusqu’aux temps de Constantin qui, à la demande de saint Sylvestre, vers 319, entreprit la construction d’une église en l’honneur de l’Apôtre. Elle fut érigée précisément autour de ce petit temple, en utilisant des matériaux prélevés sur des édifices publics. La construction fut appelée Basilique constantinienne, et à cette époque, elle était considérée comme l’une des plus célèbres de la chrétienté. Au milieu de cette église, faite en forme de croix latine, se trouvait l’autel dédié à saint Pierre sous lequel son corps était enterré, protégé par des grilles ; cet espace était déjà appelé la Confession de saint Pierre. Une fois le temple achevé et doté de riches ornements, le pape Sylvestre le consacra le 18 novembre 324 […] Les pontifes qui vinrent par la suite l’ont embelli et l’agrandi. Pendant onze siècles, il fut l’objet de la dévotion et de l’admiration des chrétiens qui se rendaient à Rome.

Au XVe siècle, il commençait à se détériorer, c’est pourquoi Nicolas V pensa à le rénover, mais il n’eut que le mérite de commencer les travaux, car la mort lui fit suspendre tout. Jules II reprit la construction en changeant son nom, qui passa de Basilique constantinienne à Saint-Pierre du Vatican, et posa la première pierre le 18 avril 1506. Les architectes furent Bramante, puis Fra Giocondo Domenico et Raffaello Sanzio. Après eux travaillèrent les architectes les plus célèbres et les esprits les plus sublimes de l’époque.

La grande place
 […] Devant la basilique s’ouvre une vaste place dont la longueur dépasse la moitié d’un kilomètre. Elle est formée de 284 colonnes et de 64 piliers qui, disposés en demi-cercle de chaque côté en quatre rangées, forment trois voies dont la plus large, celle du centre, permet le passage de deux voitures. Au-dessus de la colonnade sont placées 96 statues de saints, en marbre, d’une hauteur d’environ 10 pieds. Au centre, s’élève l’obélisque égyptien. Il est d’une seule pièce, et c’est le seul qui soit resté entier. Il mesure 126 pieds de hauteur, y compris la croix et le piédestal. Il n’a pas de hiéroglyphes. Nucoreus, roi d’Égypte, l’avait érigé à Héliopolis, d’où il fut prélevé et transporté à Rome par Caligula l’an 3 de son règne. Il fut placé dans le cirque construit au pied de la colline du Vatican, comme le montrent les inscriptions qui y sont lues. Ce cirque fut appelé de Néron parce qu’il s’y rendait fréquemment ; c’est ici que ce cruel empereur fit un massacre de chrétiens, les accusant d’être les auteurs de l’incendie de Rome qu’il avait lui-même allumé.

En 1818, on construisit une horloge solaire sur la place. Sur le sol on dessina les douze signes du zodiaque. L’obélisque faisait office de gnomon, et son ombre indiquait les stations du soleil. Tout autour, on écrivit les noms des vents avec la direction dans laquelle chacun d’eux souffle. De chaque côté, deux fontaines semblables jettent perpétuellement de l’eau dont les jets peuvent monter jusqu’à soixante pieds. La reine d’Écosse, accueillie avec pompe en ce lieu, regarda avec émerveillement les deux fontaines, pensant qu’elles avaient été faites spécialement pour l’accueillir. Non, dit un monsieur qui était à ses côtés, ces jets sont perpétuels.

Visite à Saint-Pierre
En marchant vers la façade de la basilique, on arrive à un magnifique escalier flanqué de deux statues, l’une de saint Pierre et l’autre de saint Paul, installées là par le pape Pie IX. En montant les marches, on se trouve devant la façade qui porte cette inscription : En l’honneur du Prince des Apôtres Paul V, Souverain Pontife, en l’an 1612, 7e de son pontificat. Au-dessus du portique s’étend la grande Loggia des bénédictions. La façade est majestueuse et imposante. Le portique est entièrement orné de marbres, de peintures en mosaïque et d’autres travaux élégants. Au fond du vestibule à droite, on peut observer la magnifique statue équestre de Constantin en train de contempler la prodigieuse croix qui lui apparut dans le ciel avant la bataille finale contre Maxence.

Du portique, on entre dans la basilique par quatre portes, dont la dernière à droite ne s’ouvre que pour l’année sainte. La porte principale est en bronze, d’une grande hauteur, et il faut de nombreux bras forts pour l’ouvrir. L’intérieur se présente à cinq nefs en plus de la croisée qui se termine par la tribune. La curiosité et la surprise nous ont conduits au milieu de la nef principale. Ici, nous nous sommes arrêtés pour admirer et réfléchir sans dire un mot. Il nous sembla voir la Jérusalem céleste. La longueur de la basilique est de 837 coudées, sa largeur de 607. C’est la plus grande église de toute la chrétienté. Après Saint-Pierre, la plus vaste est celle de Saint-Paul à Londres. Si l’on ajoute à l’église Saint-Paul celle de notre Oratoire, on obtient la longueur précise de Saint-Pierre.

Après être restés immobiles pendant un certain temps, nous avons cherché le bénitier. Nous avons aperçu deux angelots, à première vue très petits, tenant une sorte de coquille dans le premier pilier de la basilique. Cela nous étonna qu’une église aussi vaste ait un bénitier si petit. Mais l’étonnement se transforma en surprise lorsque nous vîmes les angelots devenir de plus en plus grands à mesure que nous nous approchions. La coquille devint un vase d’environ six pieds de circonférence, et les angelots de chaque côté nous montraient leurs mains avec des doigts aussi gros que notre bras. C’est la preuve que les proportions de ce merveilleux édifice sont si bien réglées qu’elles rendent moins sensible son ampleur, que l’on découvre de mieux en mieux en examinant chaque détail. Autour des piliers de la nef principale, on voit les statues en marbre des fondateurs des ordres religieux.

Dans le dernier pilier à droite se trouve la statue en bronze de saint Pierre, tenue en grande vénération. C’est saint Léon le Grand qui la fit fondre avec le bronze de celle de Jupiter Capitolin. Elle rappelle la paix que ce Pontife obtint d’Attila qui faisait rage contre l’Italie. Le pied droit qui dépasse du piédestal est usé par les lèvres des fidèles qui ne passent jamais devant lui sans la baiser avec respect. Pendant que nous admirions la statue, l’ambassadeur autrichien à Rome passa en s’inclinant devant le prince des Apôtres et lui baisa le pied.

Nefs et chapelles
Disons maintenant quelques mots sur les nefs latérales et les chapelles qui s’y trouvent. À droite, on rencontre d’abord la chapelle de la Pietà. En plus des magnifiques mosaïques et des statues qui l’ornent, on admire au-dessus de l’autel le célèbre groupe sculpté par Michel-Ange en marbre blanc, alors qu’il n’avait que vingt-quatre ans. C’est peut-être la plus belle sculpture du monde. Le même Michel-Ange en était si satisfait qu’il la signa sur la ceinture de Marie.

À gauche de la chapelle de la Pietà se trouve celle dédiée au Crucifix et à Saint Nicolas. De là, on entre dans la petite Chapelle de la Sainte Colonne, où est conservée, protégée par une grille en fer, l’une des colonnes à vis qui se trouvaient autrefois devant l’autel de la Confession de Saint Pierre. C’est cette colonne sur laquelle Jésus-Christ s’appuya lorsqu’il prêcha dans le temple de Salomon. On s’émerveille devant la partie touchée par les épaules sacrées du Sauveur et jamais couverte de poussière, ce qui fait qu’on n’a pas besoin de la dépoussiérer comme le reste.

Après la chapelle de la Pietà, on rencontre le monument funéraire de Léon XII, érigé par Grégoire XVI. Le Pape est représenté en train de bénir le peuple depuis la loggia au-dessus du portique ; tout autour, on voit les têtes des cardinaux assistant à la cérémonie. En face de ce tombeau se trouve le cénotaphe de Christine Alexandra, reine de Suède, morte à Rome le 19 avril 1689. Celle-ci, protestante, convaincue de la faible consistance de sa religion, se fit instruire dans le catholicisme et fit la solennelle abjuration à Innsbruck le 3 novembre 1655. Divers bas-reliefs qui ornent le tombeau représentent cet événement.

Suit la chapelle de Saint Sébastien, elle aussi riche en peintures et en marbres. En sortant à droite, on trouve le dépôt funéraire d’Innocent XII des Pignatelli de Naples. En face se trouve le tombeau de la célèbre comtesse Mathilde, illustre bienfaitrice de l’Église et soutien de l’autorité pontificale. Urbain VIII fit transférer ici ses cendres, les retirant du monastère de Saint Benoît à Mantoue. Elle fut la première des femmes illustres qui ont mérité un tombeau dans la basilique vaticane. La comtesse est représentée debout ; le tombeau est orné d’un bas-relief représentant l’absolution donnée par Grégoire VII à Henri IV, empereur d’Allemagne, à la demande de Mathilde et d’autres personnages, le 25 janvier 1077 dans la forteresse de Canossa.

On arrive ensuite à la chapelle du Saint-Sacrement, riche en marbres et mosaïques. À côté de l’autel, un escalier mène au palais pontifical. Cet autel est dédié à Saint Maurice et à ses compagnons martyrs, patrons principaux du Piémont. Les deux colonnes torsadées d’un seul tenant qui ornent l’autel sont deux des douze qui sont censées avoir été amenées à Rome de l’ancien temple de Salomon. Sur le sol devant l’autel, on admire le tombeau en bronze de Sixte IV Della Rovere. Il fut exécuté sur ordre de Jules II, son neveu, et représente les vertus et la science propres au défunt. Il contient les cendres des deux papes.

En sortant de la chapelle, voici à droite le tombeau de Grégoire XIII Buoncompagni. Il est orné de deux statues, la Religion et la Force ; au centre un grand bas-relief représente la réforme du calendrier, dite grégorienne. Ici sont représentés une quantité de personnages illustres qui ont participé à cette œuvre, tous en train de vénérer le Pape. En face, dans une urne en stuc, reposent les ossements de Grégoire XIV de la famille Sfrondato. Ici se termine la nef latérale et on entre dans la croix grecque d’après le dessin de Michel-Ange.

En sortant de la nef, à droite se trouve la Chapelle Grégorienne. Au-dessus de l’autel est vénérée une ancienne image de la Vierge du temps de Pascal II. En dessous repose le corps de Saint Grégoire de Nazianze, transféré sur ordre de Grégoire XIII de l’église des moniales du Champ de Mars. En poursuivant le chemin, on arrive au monument funéraire de Benoît XIV Lambertini, érigé par les cardinaux qu’il avait créés. De chaque côté du tombeau s’élèvent deux magnifiques statues représentant le Désintéressement et la Sagesse, les deux vertus les plus lumineuses de ce pape. La statue du Pape, debout, bénit le peuple d’un geste majestueux. Ce travail est si bien exécuté que le simple regard sur le Pape nous fait reconnaître en lui la grandeur et l’élévation de son âme. En face, on reconnaît l’autel de Saint Basile le Grand avec au-dessus un précieux tableau en mosaïque de l’empereur Valens s’évanouissant en présence du Saint, tandis qu’il le regardait célébrer la messe.

On arrive ensuite à la tribune. Le premier autel à droite est dédié à Saint Venceslas martyr, roi de Bohême ; celui du milieu est consacré aux saints Processus et Martinien, gardes de la prison Mamertine, convertis à la foi par saint Pierre, lorsque l’Apôtre y était enfermé. Ces deux saints ont donné leur nom à l’emplacement ; leurs corps reposent sous l’autel. Trois précieux bas-reliefs représentent saint Pierre en prison libéré par l’Ange (celui du milieu), saint Paul prêchant à l’Aréopage (celui à droite), le troisième les saints Paul et Barnabé, pris pour des divinités par les habitants de Lystres. On rencontre ensuite le tombeau de Clément XIII Rezzonico, sculpture d’Antonio Canova. C’est un chef-d’œuvre. Le tableau de l’autel qui se trouve en face du monument représente saint Pierre en danger de se noyer, soutenu par le Rédempteur. Plus loin, voici l’autel de saint Michel, puis celui de sainte Pétronille, fille de saint Pierre. Cette sainte est représentée dans une mosaïque qui raconte le déterrage de son cadavre pour le montrer à Flaccus, noble Romain, qui l’avait demandée en mariage. Dans la partie supérieure est figurée son âme qui, par ses prières, obtint de mourir vierge et est accueillie par Jésus-Christ. Plus loin, on voit le sarcophage de Clément X Altieri ; le bas-relief représente l’ouverture de la porte sainte pour le Jubilé de 1675. L’autel est surmonté du tableau de saint Pierre qui, aux prières d’une foule de mendiants, ressuscite la veuve Tabitha.

En gravissant deux marches de porphyre qui faisaient partie de l’autel majeur de l’ancienne basilique, on monte à l’Autel de la Chaire. Un groupe surprenant de quatre statues en métal soutient le siège pontifical. Les deux de devant représentent deux Pères latins, Ambroise et Augustin ; les deux de derrière les Pères grecs, Athanase et Jean Chrysostome. Le poids de ces groupes s’élève à 219.161 livres de métal. La chaire en bronze recouvre, comme précieuse relique, celle en bois marqueté de divers bas-reliefs en ivoire. Cette chaise est celle du sénateur Pudens qui servit l’Apôtre Pierre et plusieurs papes après lui.

Au-dessus de l’autel de la Chaire, comme fond, est figuré sur toile le Saint-Esprit entre des vitraux colorés et rayonnants de sorte que celui qui le regarde semble voir une étoile d’or resplendissante. En dessous, à gauche de celui qui regarde, se trouve le magnifique tombeau de Paul III Farnèse, monument très précieux pour ses sculptures. La statue du Pape assis sur l’urne est en bronze, les deux autres statues, en marbre, représentent la Prudence et la Justice. En face est placé le tombeau du pape Urbain VIII dont la statue est en bronze. La Justice et la Charité sont de chaque côté, sculptées en marbre blanc. Sur l’urne on distingue l’image de la mort en train d’écrire dans un livre le nom du Pape. Ici nous avons interrompu la visite : nous étions fatigués, la visite avait duré de onze heures du matin à cinq heures de l’après-midi.

Rome. Sainte-Marie de la Victoire
Du Quirinal, en regardant vers le sud, on voit la rue de Porta Pia, ainsi nommée d’après le pape Pie IV qui, pour l’embellir, a réalisé de nombreux travaux. Le long de cette route, près de la fontaine de l’Acqua Felice, s’élève à gauche l’église de Sainte-Marie de la Victoire, édifiée par Paul V en 1605, et ainsi nommée à cause d’une image miraculeuse de la Vierge qui y fut transportée par le père Dominique des Carmes Déchaussés. C’est à cette image, ou plutôt à la protection de Marie que le duc Maximilien de Bavière dut la grande victoire remportée en quelques jours contre les protestants, qui avaient mis à mal le royaume d’Autriche avec une armée très nombreuse. L’image prodigieuse est conservée sur l’autel majeur. Aux corniches sont accrochées les bannières prises aux ennemis : glorieux monument à la protection de Marie.

En mémoire de la libération de Vienne, la fête du Nom de Marie a été instituée, célébrée par toute la chrétienté le dimanche dans l’octave de la naissance de Marie. Cela se produisit le 12 septembre 1683 sous le pontificat d’Innocent XI. Dans cette même église, une solennité spéciale est célébrée le deuxième dimanche de novembre en souvenir de la célèbre victoire remportée par les chrétiens contre les Turcs à Lépante le 7 octobre 1571, sous Pie V. Quelques bannières prises aux Turcs sont également accrochées comme trophées à la corniche de cette église.
Devant Sainte-Marie de la Victoire se trouve la fontaine de Termini, appelée fontaine de Moïse, car dans une niche est sculptée la statue de Moïse qui, avec le bâton à la main, fait jaillir l’eau de la pierre. Elle est également appelée Acqua Felice d’après le frère Félix, qui est le nom de Sixte V lorsqu’il était au couvent.

L’île Tibérine
Dans l’après-midi, nous avons décidé d’aller avec le comte De Maistre visiter la grande œuvre Saint-Michel de l’autre côté du Tibre. Nous devions donc traverser le fleuve à la hauteur d’une petite île appelée Tibérine ou aussi Lycaonienne, d’après un temple dédié à Jupiter Lycaonien. Voici l’origine de cette île. Lorsque Tarquin fut expulsé de Rome, le Tibre était presque à sec, laissant à découvert quelques bancs de sable. Les Romains, poussés par la haine contre ce roi, allèrent dans ses champs, coupèrent les blés et l’épeautre qui étaient proches de la maturité et jetèrent tout dans le Tibre. La paille alla s’arrêter sur le sable, et en se déposant, la boue de sable que l’eau faisait couler parvint à se consolider au point qu’on put y cultiver et y habiter. Sur cette île, les païens élevèrent un temple en l’honneur d’Esculape ; mais en 973, on y déposa le corps de saint Barthélemy qui repose dans l’urne sous l’autel majeur.

Après avoir traversé le Tibre et continuant vers l’hospice Saint-Michel, on rencontre à droite l’église Sainte-Cécile, édifiée à l’endroit où se trouvait sa maison. Urbain I, vers le milieu du troisième siècle, la consacra, et saint Grégoire le Grand l’enrichit de nombreux objets précieux. En entrant à droite on trouve la chapelle où était le bain de sainte Cécile, où on dit qu’elle a reçu le coup mortel. L’autel majeur, protégé par une grille en fer, garde le corps de la sainte. Au-dessus de l’urne une sculpture émouvante en marbre la représente allongée et vêtue comme on l’a retrouvée dans le tombeau.

Arrivés à l’hospice Saint-Michel, nous avons eu une audience du Cardinal Tosti qui nous raconta divers épisodes qui lui étaient arrivés à l’époque de la république. Lui aussi fut contraint de vivre un certain temps loin de l’hospice pour ne pas devenir la victime d’un attentat. Parmi les divers objets volés dans cette triste circonstance à ce pieux cardinal, il y avait trois tabatières très précieuses, surtout pour leur antiquité et leur provenance. Quand on les apporta aux membres du triumvirat, Mazzini pensa en garder une pour lui et offrir les deux autres à ses compagnons. Mais ceux-ci n’osèrent pas les prendre. Mazzini arrangea tout, et gracieusement se les mit toutes les trois dans la poche !

Le Capitole
Sur le chemin du retour, à mi-chemin, se dresse la colline la plus haute de Rome, le Capitole, ainsi nommée d’après caput Toli, tête de Tolus, qui fut découverte alors que Tarquin le Superbe faisait aplanir le sommet pour l’ériger en forteresse. Nous avons monté un long escalier au bout duquel se dressent deux statues colossales représentant Castor et Pollux. Le plan qui forme la place s’appelait autrefois inter duos lucos, car il se trouvait entre les bosquets qui recouvraient les deux sommets. C’est ici que Romulus avait créé un abri pour les peuples voisins qui souhaitaient s’y réfugier. Le Capitole d’aujourd’hui n’a plus l’imposante allure guerrière, mais c’est une place majestueuse entourée de palais qui abritent des musées, et où se traitent les affaires municipales. Dans une partie de cette place se trouvait le temple de Jupiter Feretrius, ainsi nommé d’après les armes des vaincus que les vainqueurs allaient accrocher à l’autel de ce temple.

Au milieu de la place s’élève la célèbre statue équestre de Marc-Aurèle en pacificateur. C’est la plus belle parmi les plus anciennes statues en bronze qui aient été conservées intactes. Une partie des grands bâtiments qui entourent la place constitue le palais sénatorial, fondé par Boniface IX en 1390 sur le terrain où se trouvait l’ancien sénat des Romains. Sur le côté se trouve la source de l’Acqua Felice, ornée de deux statues couchées du Nil et du Tibre. De là, par un petit escalier, on accède à la tour du Capitole, érigée sous forme de campanile à l’endroit même où autrefois montaient les observateurs pour admirer Rome et surveiller les ennemis qui tenteraient de s’approcher de la ville. […]
Dans la partie la plus élevée vers l’orient se trouvait le temple de Jupiter Capitolin, qui était appelé de Jupiter Optimus Maximus, et avait été érigé par Tarquin le Superbe sur les fondations préparées par Tarquin l’Ancien qui en avait fait vœu pendant la guerre contre les Sabins. C’était juste au moment où on effectuait les fouilles qu’on a découvert le caput Toli.

Sainte-Marie in Aracoeli
Là où se trouvait le temple de Jupiter Capitolin se dresse maintenant la majestueuse église de Santa Maria in Aracoeli, édifiée au VIe siècle de l’ère vulgaire. Pendant un certain temps, elle fut appelée Santa Maria in Campidoglio, à cause du lieu où elle se trouvait. Elle fut ensuite appelée Aracoeli en raison du fait suivant. La foudre ayant frappé le Capitole, Auguste, par crainte d’un malheur, envoya interroger l’oracle de Delphes […] Pour cette raison, et pour certains oracles des Sibylles concernant la naissance du Sauveur, Auguste fit élever un autel intitulé Ara primogeniti Dei, autel du premier-né de Dieu. C’est de là que dérive le nom de Santa Maria in Aracoeli, après qu’une église fut élevée en l’honneur de la Mère de Dieu. L’intérieur est à trois nefs divisées par 22 colonnes de marbre ayant appartenant au temple de Jupiter Feretrius. L’autel majeur mérite une attention particulière, car au-dessus de celui-ci on vénère une image de Marie, que l’on pense être de saint Luc. Celle-ci, aux temps de saint Grégoire le Grand, fut portée en procession à travers Rome pour obtenir la libération de la peste. Le fait est représenté dans une peinture sur le pilier à côté de l’autel. Au milieu de la croisée se trouve la chapelle de sainte Hélène, où fut érigée l’Ara Primogeniti. La table de l’autel est une grande urne de porphyre, dans laquelle ont été déposés les corps de sainte Hélène, mère de Constantin, et des saints Abbondio et Abbondanzio.

Dans une pièce près de la sacristie on conserve une effigie miraculeuse de l’Enfant Jésus. Les langes qui l’entourent sont ornés de pierres précieuses. Elle est exposée à la vénération pendant les fêtes de Noël, dans une belle crèche représentée dans l’église à l’intérieur d’une chapelle. Avec l’Enfant, on a placé également les figures d’Auguste et de la Sibylle en souvenir d’une tradition qui affirme que la Sibylle de Cumes avait prédit la naissance du Sauveur et c’est pourquoi Auguste y éleva un autel.

En sortant de l’Aracoeli et en se dirigeant vers la partie occidentale du Capitole, on rencontre la roche Tarpéienne qui occupait la partie vers le Tibre, et qui s’appelait ainsi d’après la Vierge Tarpeia, qui y fut tuée par trahison lors de la guerre des Sabins. Du haut de ce rocher, on précipitait les traîtres de la patrie. Ici, de nombreux chrétiens furent martyrisés et jetés en bas en haine de la foi. Non loin se trouvait la Curie, et la cabane de Romulus, où il aurait attendu la réponse des vautours […]

En descendant vers le bas, voici le temple de la Concorde, construit par Camille en l’an 387 de Rome. […] Près de ce temple, sur le côté gauche en descendant, se trouvait celui de Jupiter Tonnant, dont il reste trois colonnes de marbre. Il fut érigé par Auguste sur le flanc du Capitole et dédié à Jupiter en remerciement pour avoir échappé à la foudre qui tua le serviteur qui le précédait.

La prison Mamertine
Le matin du 2 mars, avec la famille De Maistre, nous sommes allés visiter la prison Mamertine, qui se trouve au pied du Capitole dans la partie occidentale. Cette prison est ainsi nommée d’après Mamertus, ou Ancus Martius, 4e roi de Rome, qui la fit construire pour répandre la terreur parmi le peuple, et ainsi empêcher les vols et les meurtres. Servius Tullius, 6e roi de Rome, ajouta en-dessous un autre cachot qui fut appelé Tullianus. Il a deux sous-sols, qui présentent dans la voûte une ouverture capable de laisser passer un homme. À travers celle-ci, on descendait les condamnés avec une corde […]

Ici jaillit une source d’eau que saint Pierre aurait miraculeusement fait jaillir lorsqu’il était emprisonné avec saint Paul. Le prince des Apôtres se servit de cette eau pour baptiser les saints Processus et Martinien, gardiens de la prison, ainsi que 47 autres compagnons tous morts martyrs. Cette eau présente des aspects miraculeux. Son goût est naturel. Elle n’augmente jamais, ni ne diminue jamais de volume, quelle que soit la quantité qu’on y puise. Deux gentlemen anglais, comme pour se moquer des catholiques, voulurent essayer de vider la petite fosse d’eau qui ressemble à un petit vase. Ils se fatiguèrent, eux et leurs amis, mais l’eau resta toujours au même niveau. On raconte de nombreuses guérisons miraculeuses obtenues par son usage. À côté de la source se trouve une colonne de pierre à laquelle furent liés les deux princes des Apôtres. À côté de la colonne se trouve un petit autel où, à ma grande consolation, j’ai célébré la messe, à laquelle ont assisté la famille De Maistre et d’autres personnes pieuses. Au-dessus de l’autel, un bas-relief représente Paul prêchant et Pierre baptisant les gardes […]

Dans un coin du 1er étage de la prison, on remarque sur le mur l’empreinte d’un visage humain. On dit que saint Pierre reçut une forte gifle d’un sbire, si bien qu’en frappant son visage contre le mur, il y laissa l’empreinte de son visage qui, de manière miraculeuse, s’est conservée. Au-dessus de cette figure est sculptée cette ancienne inscription : « Dans ce rocher, Pierre frappa la tête, poussé par un sbire et le prodige demeure« . Au-dessus de cette prison fut édifiée une église, et au-dessus de celle-ci une autre encore dédiée à saint Joseph. C’est ici que siège la confrérie des charpentiers. Les membres se réunissent les jours de fête, assistent aux fonctions sacrées et veillent à tout ce qui est nécessaire pour l’entretien de l’église et nécessaire pour le nettoyage de la prison. Autrefois, pour arriver à l’entrée de la prison, on descendait par un escalier au bout duquel se trouvait l’ouverture par laquelle on précipitait les condamnés. Ces escaliers furent appelés Gémonies, à cause des gémissements des condamnés […]

Cité du Vatican. Dévotions jubilaires
Le 3 mars était destiné à la visite à Saint-Pierre. Partis à six heures et demie de chez nous avec une fraîcheur qui réjouissait la vie et rendait nos pas rapides, nous prîmes la direction de la colline du Vatican. Arrivés au Pont Aelius, ou Pont Saint-Ange, par lequel on traverse le Tibre, nous avons récité le Credo. Les Papes accordent cinquante jours d’indulgence à ceux qui récitent le symbole des Apôtres en passant sur ce pont. Il est appelé Aelius d’après Hadrien Aelius qui l’a construit. Mais il est aussi appelé pont Saint-Ange à cause du Château Saint-Ange, qui est le premier édifice que l’on rencontre sur la rive opposée.

Nous dirons quelques mots de ce château. L’empereur Hadrien voulut ériger un grand sépulcre sur la rive droite du Tibre. En raison de sa largeur, de sa longueur et de sa hauteur, on l’appela Mole Adriana. Lorsque l’empereur Théodose fit prélever les colonnes du mausolée d’Hadrien pour en doter la basilique Saint-Paul, cette construction resta dépourvue de la moitié supérieure et sans colonnes. En l’an 537, les troupes de Bélisaire assaillirent les Goths pour les éloigner de Rome, et alors presque tous les vestiges de ce mausolée furent réduits en morceaux. Au Xe siècle, on l’appelait Castro et Torre di Crescenzio d’après un certain Cescenzio Nomentano qui s’en empara et le fortifia. Peu après, l’histoire lui donna le nom de Château Saint-Ange, peut-être à cause d’une église dédiée à l’ange Michel. […] Mais l’opinion la plus probable reste celle qui raconte une procession voulue par saint Grégoire le Grand pour obtenir de la Vierge la libération de la peste, au cours de laquelle un ange apparut au sommet du Mausolée remettant l’épée dans son fourreau, signe que le fléau était sur le point de cesser. Maintenant, le Château Saint-Ange est réduit à une forteresse et c’est la seule de Rome.

En poursuivant notre chemin, nous sommes arrivés sur la grande place Saint-Pierre. Passant devant l’obélisque, nous avons enlevé notre chapeau, car les papes ont accordé cinquante jours d’indulgence à ceux qui font une révérence ou se découvrent la tête en passant près de cet obélisque, au-dessus duquel a été appliquée une croix contenant un morceau du Saint Bois de la croix de Jésus.
Nous voici donc de nouveau dans la Basilique Vaticane. Nous avions déjà visité la moitié plus la tribune, qui forme comme le chœur de l’autel papal, situé au milieu de la croisée, en face de la chaire de Pierre. Ce chœur fut ordonné par Clément VIII et consacré par lui en 1594 ; il renferme l’autel qui avait déjà été édifié par saint Sylvestre. Étant l’autel papal, seul le Pape y célèbre, et lorsque quelqu’un d’autre veut l’utiliser, il faut pour cela un « Bref » apostolique. Aux quatre côtés s’élèvent quatre grandes colonnes torsadées qui soutiennent un baldaquin orné de frises entièrement en bronze. La hauteur de ce baldaquin depuis le sol égale celle des plus hauts palais de Turin.

La tombe de Pierre : curiosités d’un saint
Devant l’autel papal, par un double escalier en marbre, on descend au niveau de la Confession. À l’extrémité des escaliers se trouvent deux colonnes d’albâtre d’Orte, un matériau très rare, transparent comme un diamant. Cent douze lampes brûlent continuellement autour de ce lieu vénérable. Au fond, s’ouvre une niche, formée sur l’ancien oratoire érigé par saint Sylvestre, où saint Anaclet « érigea une mémoire à saint Pierre« . Ici repose le corps du Prince des Apôtres. Dans les parois latérales, deux portes munies d’un portail en fer mènent aux grottes sacrées. Juste en face de la niche, le 28 novembre 1822, fut placée la statue en marbre de Pie VI, qui, à genoux, est en fervente prière. C’est l’une des plus belles œuvres d’Antonio Canova. Pie VI avait l’habitude, de jour et parfois même de nuit, de se rendre près de la tombe de saint Pierre pour prier. De son vivant, il manifesta le vif désir d’y être enterré et, à sa mort, on voulut exaucer son souhait. Mais après un creusement peu profond, on découvrit une tombe sur laquelle était inscrit : Linus episcopus. Tout fut immédiatement remis en place, et le Pape fut enterré dans un autre coin de l’église. Dans celui qui fut choisi, on plaça, au lieu du corps, la statue dont nous avons parlé. Nous avons vu et touché de nos mains tout ce qu’il y a ici de précieux, mais nous n’avons pas pu voir le corps du premier pape, car depuis des siècles le sépulcre n’a plus été ouvert de peur que quelqu’un ne tente d’en briser quelque relique.

Au-dessus de cette tombe, on a construit un bel autel, sur lequel j’ai eu la consolation de célébrer la sainte messe. Cet autel, avec la chapelle attenante, reçoit la lumière de quelques hublots recouverts de grilles en métal. Pendant la construction de la basilique se produisit un fait prodigieux, rapporté par un témoin oculaire. Avant que le toit ne soit terminé, des pluies tombèrent si fort que les eaux inondèrent le sol de la basilique jusqu’à un pied de hauteur. Malgré cette abondance, l’eau n’osa s’approcher de l’autel de la Confession, et ne descendit pas non plus dans l’oratoire inférieur à travers les trois hublots susmentionnés ; arrivée à proximité, elle s’arrêta, restant suspendue de sorte qu’aucune goutte ne parvint à mouiller ce sanctuaire. Après avoir observé chaque objet, regardé chaque coin, les murs, les voûtes, le sol, nous demandâmes s’il n’y avait rien d’autre à voir.
– Rien d’autre, nous fut-il répondu.
– Mais la tombe du saint apôtre, où est-elle ?
– Ici en dessous. Elle est située au même endroit qu’elle occupait lorsque l’ancienne basilique était debout […]
– Mais nous aimerions voir jusque-là.
– Ce n’est pas possible […]
– Mais le pape a dit que nous pourrions tout voir. Si en revenant vers lui, il nous demandait si nous avons tout vu, je serais désolé de ne pas pouvoir répondre affirmativement.
Le monsignore [qui nous accompagnait] envoya chercher quelques clés et ouvrit une sorte d’armoire. Ici s’ouvrait une cavité qui descendait sous terre. Il faisait tout noir.
– Êtes-vous satisfait ? me dit monseigneur.
– Pas encore, je voudrais voir.
– Et comment voulez-vous faire ?
– Envoyez chercher une canne et une allumette
. Ils apportèrent une canne et une allumette, mais quand on la fit descendre, elle s’éteignit immédiatement dans l’air sans oxygène. La canne n’atteignait pas le fond. Alors, on amena une autre canne, qui avait à son extrémité un crochet en fer. Ainsi, on parvint à toucher le couvercle de la tombe de saint Pierre. Il était à sept/huit mètres de profondeur. En le frappant légèrement, le son qui remontait indiquait que le crochet heurtait tantôt le fer, tantôt le marbre. Cela confirmait ce que les historiens anciens avaient écrit.

Il faudrait tout un volume pour décrire les choses vues. Ce qui existait dans la basilique constantinienne se conserve en plaques latérales, ou sur les pavés ou dans les voûtes des sous-sols. Je retiens une seule chose : l’image de Sainte Marie de la Bocciata, très ancienne, placée sur un autel souterrain. Le nom vient du fait suivant. Un jeune homme, par mépris ou, peut-être, par inadvertance, frappa avec une boule un œil de la figure de Marie. Un grand prodige se produisit. Du sang coula du front et de l’œil qui, encore rouge, se voit au-dessus des joues de l’image. Deux gouttes jaillirent latéralement sur la pierre qui est conservée et jalousement protégée derrière deux grilles de fer.

Autels, chapelles, sépulcres
Au-dessus de l’autel papal et de la tombe de saint Pierre s’élève la vaste coupole qui émerveille quiconque l’observe. Quatre grands piliers la soutiennent : chacun d’eux a cent cinquante pas de circonférence (environ vingt-cinq trabucchi). Tout autour de cette haute coupole, il y a des ouvrages élégants en mosaïque réalisés par les auteurs les plus célèbres. Sur les pilastres sont creusées quatre niches dites Loges des Reliques, à savoir la Sainte Face de Véronique, la Sainte Croix, la Sainte Lance, et Saint André. Parmi elles, celle de la Sainte Face est célèbre, car on croit que c’est ce linge dont le Sauveur se servit pour s’essuyer le visage ruisselant de sang. Il y laissa imprimée son effigie qu’il offrit à Véronique qui, en pleurant, l’accompagnait au Calvaire. Des personnes dignes de foi racontent que cette Sainte Face a suinté du sang plusieurs fois en 1849, en changeant même de couleur au point de modifier ses traits. Ces choses ont été écrites, et les chanoines de Saint-Pierre en témoignent.

En partant de l’autel papal et en continuant vers la partie méridionale, on rencontre le sépulcre d’Alexandre VIII Ottobuoni. Il fut érigé par son neveu, le cardinal Pietro Ottobuoni. La statue du Pape assis sur un trône est en métal. Deux statues en marbre sont de chaque côté, représentant la Religion et la Prudence. L’urne, couverte du bas-relief de la canonisation de Laurent Giustiniani, Jean de Capistran, Jean de San Facondo, Jean de Dieu et Pascal Baylon, a été faite par Alexandre VIII en 1690. À côté se dresse l’autel de saint Léon le Grand sur lequel on admire le surprenant bas-relief du Pontife allant à la rencontre du féroce Attila. En haut sont représentés Pierre et Paul, le Pape à côté et Attila, effrayé par l’apparition des deux et en train de rendre hommage au Pontife. Dans une urne sous l’autel repose le corps du saint pape et docteur de l’Église. Devant se trouve la tombe de Léon XII, mort en 1829, qui avait tant de vénération pour ce glorieux prédécesseur qu’il voulut être enterré à ses côtés. […]

L’autel qui suit est dédié à la Vierge de la Colonne, ainsi nommée parce qu’on y vénère l’image de Marie peinte sur une colonne de l’ancienne basilique constantinienne. Elle y fut placée en 1607. L’autel abrite les corps de Léon II, III et IV. En continuant le tour sur la ligne méridionale, on rencontre à droite le sépulcre d’Alexandre VII Chigi avec quatre statues : JusticePrudenceCharité et Vérité. Comme ce pontife avait toujours dans son esprit la pensée de la mort, le sculpteur a étendu un drap en relief, sous lequel la Mort montre une clepsydre, qui est sur le point de se vider. Le Pape est en train de prier, les mains jointes, à genoux. L’autel à gauche est dédié aux apôtres Pierre et Paul. On y représente la chute de Simon le Magicien. En face se trouve l’autel des saints Simon et Jude qui reposent ici. L’autel à droite, quant à lui, est dédié à saint Thomas et abrite le corps de Boniface IV, tandis que celui de gauche conserve les dépouilles de Léon IX. Devant la porte de la sacristie, l’autel des saints Pierre et André représente en précieuse mosaïque la mort d’Ananie et Saphire.

On arrive ainsi à la chapelle Clémentine, dont l’autel, dédié à saint Grégoire le Grand, est surmonté d’une belle mosaïque du saint en train de convaincre les incrédules. Sous l’autel repose son corps. Au-dessus de la porte qui mène à l’orgue se trouve le monument sépulcral de Pie VII. Le Pontife, assis sur un noble siège et vêtu des habits pontificaux, est en train de bénir. Les statues placées de chaque côté représentent la Sagesse et la Force. Avant d’arriver à la nef latérale, on rencontre l’autel de la Transfiguration dont la mosaïque représente la transfiguration du Sauveur sur le mont Thabor.

La nef latérale de gauche
Quand on entre dans la nef latérale, on rencontre de chaque côté deux sépulcres, à droite celui de Léon XI des Médicis. Un bas-relief décrit le Pontife qui absout Henri IV roi de France. […] Plus bas, il y a des roses sculptées avec la devise : Sic floruit, pour indiquer la caducité de la vie et symboliser la brièveté du pontificat de Léon XI, qui ne dura que 21 jours.
Le sarcophage de gauche est celui d’Innocent XI Odescalchi. Le bas-relief superposé représente la libération de Vienne des Turcs, survenue sous son pontificat. En s’enfonçant le long de la nef, on arrive à la chapelle du chœur, enrichie de mosaïques et de peintures. Sous l’autel repose le corps de saint Jean Chrysostome. Cette chapelle a un sous-sol où sont conservées les cendres de Clément XI. Elle est appelée Chapelle Sixtine en l’honneur de Sixte IV qui en avait érigé une autre au même endroit que l’ancienne basilique. À droite, on accède à la tribune du chœur, et à la Chapelle Julia, parce que Jules II en fut l’instigateur. Au-dessus de cette porte se trouve une urne en stuc qui renferme les cendres de Grégoire XVI, mort en 1846. Cette urne est réservée pour accueillir le cadavre du dernier pontife jusqu’à ce qu’une sépulture lui soit érigée.

Le sépulcre d’Innocent VIII de la famille Cibo est en face. Ce Pape est représenté en deux figures : dans l’une il est assis avec le fer de la lance à la main, pour faire allusion à celle avec laquelle Jésus fut transpercé, offerte par Bajazet II, empereur des Turcs ; l’autre le montre étendu, sous la première. […] En face de la petite porte qui mène à l’escalier de la coupole se trouve le cénotaphe de Jacques III, roi d’Angleterre, de la famille Stuart, mort à Rome le 1er janvier 1766, et de ses deux fils, Charles III et Henri IX, cardinal, duc d’York. Les trois bustes en bas-relief sont de Antonio Canova. La dernière chapelle est celle du Baptême. La cuve baptismale est en porphyre et formait le couvercle de l’urne de l’empereur Otton II qui fut ici transportée lorsque ses cendres furent placées dans les grottes vaticanes […]

Rome. Saint-André du Quirinal
Le permis de visite se terminait à midi et demi, si bien que Monsieur Carlo, qui nous guidait, et nous aussi guidés par un bon appétit, avons remis à une autre fois la montée sur la coupole et la visite du palais du Vatican. Après le déjeuner, et quelques heures de repos, nous avons jeté un coup d’œil au Quirinal et aux choses les plus importantes près de notre demeure. Le Quirinal est l’une des sept collines de la Rome antique, ainsi nommée à cause des Quirites venus habiter ici, et d’un temple dédié à Romulus, vénéré sous le nom de Quirinus. À notre gauche, en nous dirigeant vers la place Monte Cavallo, se trouve l’église Saint-André, où se trouve aujourd’hui le noviciat des Jésuites. Elle abrite le corps du saint dans une chapelle dédiée à saint Stanislas Kostka, à l’intérieur d’une urne en lapis-lazuli ornée de marbres précieux. À côté de cette église se trouve le monastère des sœurs Dominicaines. On dit que ces deux constructions ont été élevées sur les ruines du temple de Quirinus. À droite de la rue s’élève le majestueux palais du Quirinal, commencé par Paul III il y a environ 300 ans, et terminé par ses successeurs. Il est orné d’architectures, de sculptures, de peintures et de mosaïques de grand prix. Le Pape y habite une partie de l’année. Le palais a un vaste jardin d’environ un mille de périmètre. Parmi les autres merveilles, on admire un orgue qui joue alimenté par la force de l’eau qui coule.

Devant le Quirinal s’ouvre la place Monte Cavallo, ainsi nommée à cause de deux chevaux colossaux en bronze représentant Castor et Pollux. Pie VI fit ériger un obélisque au milieu de cette place. C’est un travail exécuté sur ordre de Smarre et Efre, princes d’Égypte, et transporté à Rome par l’empereur Claude. Il ne porte pas de hiéroglyphes. Au sud domine le magnifique palais Rospigliosi, érigé là où se trouvaient autrefois les thermes de Constantin. Les amateurs des beaux-arts peuvent y visiter de nombreux chefs-d’œuvre de peinture et de sculpture.

Sainte Croix en Jérusalem
Le 4 mars était dédié à la basilique Sainte-Croix-de-Jérusalem. Le temps était nuageux, et après avoir fait un peu de chemin, nous fûmes surpris par la pluie. Ne disposant pas de parapluie, nous arrivâmes trempés comme deux souris ; mais la consolation éprouvée lors de la visite nous compensa tant de l’eau que du désagrément subi. C’est l’une des sept basiliques que l’on visite pour gagner des indulgences. Fondée par Constantin le Grand, là où se trouvait le palais dit Sassorio, elle fut appelée Basilique Sassoriana et érigée en mémoire de la découverte de la sainte Croix faite par sainte Hélène, mère de l’empereur, à Jérusalem. Cette princesse fit transporter beaucoup de terre du Calvaire, prélevée à l’endroit où fut retrouvée la Croix du Christ. L’édifice prit le nom de Sainte-Croix en raison d’une partie considérable du saint Bois qui y est conservée, et on ajouta de Jérusalem parce que cette sainte relique, avec beaucoup d’autres, provenait de cette ville. L’église fut consacrée par le pape saint Sylvestre. Sous l’autel majeur reposent les corps de saint Césaire et de saint Anastase, martyrs […].

Devant l’autel se trouve la chapelle Grégorienne, dite privilégiée car on peut y gagner l’indulgence plénière applicable aux âmes du purgatoire, tant pour ceux qui célèbrent la messe que pour ceux qui l’écoutent. À cet autel, à ma grande consolation, j’ai également célébré. À côté de l’église se dresse le couvent des Cisterciens. Le père Abbé est un certain Marchini, piémontais, qui nous a témoigné beaucoup de courtoisie. Entre autres choses, il nous a fait visiter la bibliothèque, riche de vieux parchemins et d’autres œuvres […].

Un jour de pluie
Le 5 mars fut un jour pluvieux, c’est pourquoi nous l’avons presque entièrement consacré à écrire. Il y a quelque chose de singulier à Rome : il pleut et il y a du soleil en même temps, si bien qu’à certaines époques de l’année, il faut être continuellement muni d’un parapluie pour se protéger soit du soleil, soit de la pluie. À dix heures ce jour-là, le père Lolli, recteur du noviciat des Jésuites, passait à meilleure vie, à l’église Saint-André à Monte Cavallo ; étant piémontais, il demeura longtemps à Turin où il se rendit célèbre par sa prédication et son zèle dans l’apostolat du confessionnal. La reine de Sardaigne, Marie-Thérèse, l’avait choisi comme son confesseur […].

Ce jour-là, nous avons appris que les maladies à Rome s’étaient multipliées, et que la mortalité actuelle était quatre fois supérieure à la moyenne. Rien qu’au cours des mois de janvier et février, environ 6600 personnes sont mortes ; c’est un nombre très élevé, compte tenu de la population qui s’élève à environ 130 000 habitants. Vers le soir, je suis sorti pour me faire raser la barbe. Je suis allé dans une boutique et j’ai été servi assez bien ; mais j’ai pris la résolution de ne jamais y retourner, car les coups et les secousses que me donna ce barbier avec ses grandes mains étaient tels qu’il m’aurait déplacé dents et mâchoires, s’ils n’avaient pas eu des racines bien solides.

L’Hospice Saint-Michel
Répondant à l’invitation du cardinal Tosti, le 6 mars, nous sommes allés avec la famille De Maistre visiter l’Hospice Saint-Michel. En plus de ce que j’ai dit la fois précédente, je peux ajouter ce qui suit. Le premier acte de courtoisie dont nous avons été l’objet fut un somptueux petit déjeuner, auquel nous n’avons cependant pas pu participer, car nous l’avions pris avant de partir, et étant jour de jeûne, nous ne pouvions plus manger jusqu’au déjeuner. Aussi nous sommes-nous contentés d’une petite tasse de chocolat, que Son Éminence nous a dit être compatible avec le jeûne. On nous a également servi une boisson au goût excellent à la mandarine, une sorte de vin fait avec des fruits séchés et infusés avec de l’eau et du sucre. Seul Rua, qui n’était pas obligé au jeûne, mangea quelque chose de plus solide.

Puis nous avons commencé la visite de cet hospice spacieux où sont accueillies plus de huit cents personnes. Le cardinal Tosti nous accompagna partout. Nous nous sommes arrêtés particulièrement pour considérer le travail des jeunes. Ici, ils apprennent les mêmes métiers que ceux qu’ils apprennent chez nous : la plupart s’occupent de dessin, de peinture, de sculpture ; et beaucoup travaillent dans une imprimerie interne. Le Saint-Père, pour aider l’Hospice, lui a accordé le privilège d’imprimer en exclusivité les livres scolaires utilisés dans les États Pontificaux. Au-dessus de l’édifice, il y a une terrasse avec une vue magnifique. En regardant à l’ouest, on aperçoit le campement des Français venus libérer Rome […]. À midi et demi, lorsque les garçons étaient déjà à table, le cardinal étant lui aussi très fatigué, nous avons pris congé […].

Santa Maria in Cosmedin et la Bouche de la Vérité
Comme d’habitude, il pleuvait à merveille, et Rua et moi avions un seul parapluie très petit, nous avons trouvé le moyen de nous mouiller tous les deux. Nous avons traversé le Tibre sur un pont appelé Ponte Rotto parce qu’il s’était effondré, et a été remplacé par un pont en fer très semblable à celui que nous avons sur le Pô à Turin. Autrefois, il s’appelait pont Coclite, car c’est celui-là même où Horatius Coclès opposa une résistance héroïque à l’armée de Porsenna ; quand le pont fut coupé, il se jeta dans le Tibre, passant à la nage sur l’autre rive parmi les flèches des ennemis émerveillés.

On trouve ici une rue appelée Bouche de la Vérité, car au bout de celle-ci se trouvait l’endroit où l’on conduisait ceux qui devaient prêter serment. Maintenant, il y a une église appelée Santa Maria in Cosmedin, mot qui signifie ornement, car elle fut magnifiquement ornée par le pape Adrien I. À l’intérieur, on conserve la chaire que Saint-Augustin utilisa lorsqu’il enseignait la Rhétorique. Sous le vestibule, nous nous sommes retirés en attendant que cesse l’averse qui inondait toutes les rues. Pendant que nous étions là, nous avons jeté un coup d’œil sur la place appelée également Bouche de la Vérité.

Les bouviers
Il y avait de nombreux bœufs attelés qui paissaient, exposés à la pluie, à la boue et au vent. Les bouviers s’étaient abrités sous le même vestibule, se mettant à déjeuner avec un appétit enviable. Au lieu de la soupe et du plat, ils avaient un morceau de morue crue, dont chacun arrachait un morceau. Quelques petits pains de maïs et de seigle étaient leur pain. L’eau était leur boisson. Voyant en eux un air de simplicité et de bonté, je m’approchai et engageai cette conversation.
– Avez-vous bon appétit ?
– Beaucoup, répondit l’un d’eux.
– Est-ce que ce repas vous suffit pour apaiser votre faim et vous sustenter ?
– Cela nous suffit, grâce à Dieu, quand nous pouvons en avoir, car étant pauvres, nous ne pouvons prétendre à plus.
– Pourquoi ne conduisez-vous pas ces bœufs dans les étables ?
– Parce que nous n’en avons pas.
– Les laissez-vous toujours exposés au vent, à la pluie, à la grêle jour et nuit ?
– Toujours, toujours.
– Faites-vous de même dans votre village ?
– Oui, nous faisons de même, car là-bas non plus nous n’avons pas d’étable, et donc qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, jour et nuit, ils restent toujours dehors.
– Et les vaches et les veaux sont-ils également exposés à ces intempéries ?
– Certainement. Chez nous, il est d’usage que les animaux de l’étable restent toujours dans l’étable et ceux qui commencent à être dehors restent toujours dehors.
– Habitez-vous très loin d’ici ?
– Quarante milles.
– Les jours de fête, pouvez-vous assister aux fonctions sacrées ?
– Oh ! qui en doute ? Nous avons notre chapelle, le prêtre qui nous dit la messe, fait le sermon et le catéchisme, et tous, même ceux qui sont loin, s’efforcent d’y assister.
– Allez-vous aussi parfois vous confesser ?
– Oh ! Sans aucun doute. Y a-t-il des chrétiens qui n’accomplissent pas ces saints devoirs ?
 Maintenant, nous avons le jubilé et tous, nous nous efforcerons de bien le faire.
De cette conversation apparaît la bonne nature de ces paysans, qui dans leur simplicité vivent contents de leur pauvreté et heureux de leur état, tant qu’ils peuvent accomplir les devoirs de bon chrétien et s’acquitter de ce qui concerne leur commerce.

Santa Maria del Popolo
Le dimanche 7 mars était destiné à la visite de Santa Maria del Popolo. Des personnes pieuses de la noblesse désiraient que nous allions là célébrer la messe, afin de pouvoir faire la communion. C’était une pieuse dévotion. À neuf heures, M. Foccardi, personne serviable et pleine de foi, vint nous chercher avec sa propre voiture pour nous porter au lieu indiqué. Cette église fut construite sur le lieu où avaient été enterrés Néron et la famille Domitia. La tradition dit qu’y apparaissaient continuellement des spectres qui terrifiaient les habitants au point que personne ne voulait habiter dans les environs. Le pape Pascal II, en l’an 1099, y fit élever une église, et pour éloigner l’infestation diabolique, la dédia à la Très Sainte Vierge Marie. En 1227, l’ancienne église menaçait de s’effondrer et le peuple romain contribua généreusement aux frais de reconstruction. C’est pour cela qu’elle fut appelée Santa Maria del Popolo. Une église grandiose, riche en marbres et en peintures. Au maître-autel on vénère une image miraculeuse de la Vierge, que Grégoire IX fit venir de la chapelle du Sauveur au Latran. À côté se trouve le couvent des pères Augustins.

La Porte du Peuple s’appelait autrefois Porte Flaminia, parce qu’elle était au départ de la Via Flaminia […]. De cette porte, en tournant à droite, se trouve la Villa Borghèse, un majestueux édifice digne d’être visité par les touristes en raison des nombreux objets d’art qui y sont conservés. La Porte du Peuple délimite une grande place appelée Piazza del Popolo, embellie par de nombreuses fontaines et des obélisques, qui, comme chacun le sait, sont des monuments d’une haute antiquité érigés par les rois d’Égypte pour rendre immortelle la mémoire de leurs actions. Le superbe obélisque qui s’élève au milieu de la place fut construit à Héliopolis par ordre de Ramsès, roi d’Égypte, qui régna en 522 av. J.-C. L’empereur Auguste le fit transporter à Rome ; mais par malheur, il se renversa, se brisa et fut recouvert de terre. Le pape Sixte V, en 1589, le fit déterrer et l’éleva sur la place, après l’avoir doté au sommet d’une haute croix en métal. Ses quatre faces sont couvertes de hiéroglyphes, c’est-à-dire de symboles mystérieux que les Égyptiens utilisaient pour exprimer les choses sacrées et les mystères de leur théologie.

Au fond de la place s’élève l’église Santa Maria dei Miracoli, construite par Alexandre VII, et appelée ainsi à cause d’une image miraculeuse de la Vierge qui était auparavant peinte sous un arc près du Tibre. À gauche se trouve une autre église, Santa Maria di Monte Santo, parce qu’elle a été édifiée sur une autre église qui appartenait aux carmes de la province de Monte Santo. Elle fut inaugurée en 1662. Ayant ainsi satisfait notre dévotion et notre curiosité, nous sommes de nouveau montés en voiture qui nous a conduits chez la princesse Potoska, des comtes et princes Sobieski, anciens souverains de Pologne. Le petit déjeuner préparé pour nous était somptueux, mais trop raffiné, donc peu adapté à notre appétit. Nous nous sommes arrangés du mieux que nous avons pu. Nous sommes cependant restés très satisfaits de la conversation véritablement chrétienne que ces dames ont tenue pendant le temps que nous avons passé chez elles.
Une chose suscita notre étonnement. Une fois le repas terminé, la maîtresse de maison se fit apporter un bouquet de cigares et se mit à fumer. Malgré une conversation très animée, elle continua insatiablement à fumer un cigare après l’autre, et cela me mit mal à l’aise, étant contraint de supporter l’odeur de fumée qui imprégnait toute la maison. Cela me provoquait des nausées insupportables […].

Cité du Vatican. L’ascension de la grande coupole
Nous avons réservé le 8 mars pour visiter la célèbre coupole de Saint-Pierre. Le chanoine Lantieri nous avait procuré le billet nécessaire pour satisfaire cette curiosité. L’heure à laquelle l’ascension est permise va de 7 heures à 11 heures et demie du matin. Le temps était serein et donc propice. Après avoir célébré l’eucharistie dans l’église du Gesù, où se trouvent les Jésuites, à l’autel de saint François-Xavier, nous sommes arrivés au Vatican à 9 heures en compagnie de M. Charles De Maistre. Après la remise du billet, une petite porte s’est ouverte et nous avons commencé à monter par un escalier très confortable en forme de terrasse en pente. En montant, on rencontre diverses inscriptions qui rappellent le nom et l’année de tous les papes qui ont ouvert et fermé les années jubilaires. Près du palier de la terrasse sont inscrits les personnages les plus célèbres, rois ou princes, qui sont montés jusqu’à la coupole. Nous avons également eu le plaisir de lire le nom de plusieurs de nos souverains et de la famille royale.

Nous avons jeté un coup d’œil sur la terrasse de la basilique. Elle se présente comme une vaste place pavée où l’on peut jouer à la balle, aux boules et autres. Ici habitent quelques personnes chargées de l’entretien de la partie supérieure de la basilique : menuisiers, ferronniers, travailleurs de l’asphalte. Vers le centre de la terrasse se trouve une fontaine toujours ouverte, où Rua est allé boire.
Depuis la place en contrebas, nous avons observé les statues des douze apôtres qui ornent la haute corniche de la basilique. De là-haut, elles apparaissaient petites, mais en regardant de près, nous avons remarqué qu’un gros orteil avait la taille du corps d’un homme. Cela fait comprendre à quelle hauteur nous étions. Nous avons également visité la grande cloche qui a un diamètre de plus de trois mètres, ce qui équivaut à trois trabucchi de circonférence (environ 9 mètres n.d.r.).

Une vue qui nous a beaucoup intrigués fut le jardin du Vatican où le pape a l’habitude d’aller se promener à pied. On estime qu’il a la longueur qui va de la Porta Susa au début de la Via Po. Au sud, on apercevait de vastes campagnes. Notre guide nous a dit : – Tout ce terrain était couvert de soldats français quand ils sont venus libérer notre ville des rebelles. Et il nous montrait la basilique Saint-SébastienSaint-Pierre in Montorio, Villa Panfili, Villa Corsini, tous des bâtiments qui ont subi des dommages très graves en tant que champs de bataille.
Un escalier en colimaçon sur le flanc de la coupole nous a conduits jusqu’à la première balustrade. De ce palier, il nous semblait que nous volions haut et nous éloignions de la terre. Le guide nous a ouvert une petite porte qui menait à une balustrade intérieure qui faisait le tour de la coupole. J’ai voulu la mesurer, et marchant comme un bon voyageur, j’ai compté 230 pas avant de compléter le tour. Une curiosité : à n’importe quel point de la balustrade où vous vous trouvez, en parlant même à voix basse le visage tourné vers le mur, le moindre son se communique clairement d’un mur à l’autre. Nous avons également remarqué que les mosaïques de l’église qui apparaissaient très petites vues d’en bas prenaient là-haut des formes gigantesques.
– Courage, nous exhorta le guide, si nous voulons voir d’autres choses. C’est ainsi que nous avons emprunté un autre escalier en colimaçon et sommes arrivés à la deuxième balustrade. Ici, il nous semblait que nous nous étions élevés vers le Paradis, et lorsque nous sommes entrés dans la balustrade intérieure et que nous avons abaissé notre regard sur le sol de la basilique, nous avons réalisé l’extraordinaire hauteur à laquelle nous étions parvenus. Les personnes qui travaillaient ou marchaient là en bas semblaient des petits enfants. L’autel papal, surmonté d’un baldaquin en bronze qui dépasse en hauteur les plus hautes maisons de Turin, semblait un simple fauteuil.

Le dernier étage auquel nous sommes montés est celui qui repose sur la pointe de la coupole, d’où l’on jouit peut-être de la vue la plus majestueuse qui soit au monde. Tout autour, le regard se perd dans un horizon formé par les limites de la vue humaine. On dit qu’en regardant vers l’est, on peut voir la mer Adriatique, à l’ouest la Méditerranée. Quant à nous, nous n’avons pu apercevoir que le brouillard que le temps pluvieux des jours passés avait répandu un peu partout.

Il restait la sphère, un globe qui vu d’en bas semble une des balles que nous utilisons pour passer un peu de temps ; vue de près, elle apparaissait immense. Les plus courageux, passant par un petit escalier perpendiculaire et marchant comme dans un sac, se sont hissés comme des chats à une hauteur de deux trabucchi, soit six mètres. Certains n’ont pas eu assez de courage. Nous, qui étions un peu plus téméraires, y sommes parvenus. Dans cette boule tout apparaît merveilleux. On m’avait dit qu’elle pouvait contenir seize personnes ; mais il m’a semblé que trente pouvaient y tenir confortablement. Quelques trous, comme de petites fenêtres, permettent d’observer la ville et la campagne. Mais la grande hauteur donne une certaine sensation et ne rend pas la vision tout à fait agréable. Nous pensions qu’il faisait froid là-haut. Tout le contraire : le soleil frappant sur le bronze de la boule la réchauffait à tel point qu’il nous semblait être en plein été. Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles après le déjeuner, il n’est pas permis de monter là-haut à cause de la chaleur insupportable. Là, après avoir parlé de diverses choses concernant les jeunes de l’oratoire, satisfaits de notre entreprise, presque comme si nous avions remporté une grande victoire, nous avons commencé la descente d’un pas lent et grave, pour ne pas nous casser le cou, et sans plus nous arrêter, nous sommes arrivés au sol.

Pour nous reposer un peu, nous sommes allés écouter le sermon qui venait de commencer dans la basilique. Le prédicateur nous a plu. Bonne langue, beaux gestes, mais le thème ne nous intéressait pas beaucoup car il traitait de l’observance des lois civiles. Mais ce qui n’a pas servi à nourrir l’esprit a très bien servi à donner du repos au corps. Comme il nous restait encore un peu de temps, nous l’avons utilisé pour visiter la sacristie qui est une véritable magnificence digne de Saint-Pierre.
Alors il était déjà onze heures et demie, et à cause du jeûne et de toutes nos marches, nous avions un grand appétit et c’est pourquoi nous sommes allés faire une petite collation. Comme Rua, insatisfait, jugea bon d’aller déjeuner, je suis resté seul avec M. Charles De Maistre, compagnon inséparable de cette journée. Après nous être un peu restaurés, nous sommes allés rendre visite à Mgr Borromeo, majordome de Sa Sainteté, qui nous a très bien accueillis, et, après avoir parlé du Piémont et de Milan, sa patrie, il a noté nos noms pour nous inscrire sur le catalogue des personnes qui souhaitent recevoir la palme du Saint-Père lors de la cérémonie du Dimanche des Rameaux.

Dans les célèbres musées
À côté de la loggia de ce prélat, autour de la cour du palais pontifical se trouvent les Musées du Vatican. Nous y sommes entrés et avons vu des choses vraiment exceptionnelles. J’en décris seulement quelques-unes. Il y a une salle d’une longueur extraordinaire enrichie de marbres et de peintures très précieuses. Au milieu de la deuxième arcade se dresse une fontaine d’environ un mètre et demi, faite de malachite, un des marbres les plus précieux du monde. C’est un don fait par l’empereur de Russie au Souverain Pontife. Il y a divers autres objets de ce genre. Au fond de cette grande salle à gauche s’ouvre une sorte de long couloir qui abrite le musée chrétien […] Dans ce musée se trouve la Bibliothèque Vaticane, où sont conservés les manuscrits les plus célèbres de l’antiquité […].

En parcourant Rome
Du Vatican en allant vers le centre de Rome, nous sommes arrivés à la place Scossacavalli où travaillent les rédacteurs du célèbre périodique La Civiltà Cattolica. Nous nous sommes arrêtés pour leur rendre visite et avons éprouvé un véritable plaisir à observer que les principaux soutiens de cette publication sont piémontais. Je ressentais désormais un vif désir de rentrer chez moi, surmontant toute hésitation, et nous étions presque arrivés au Quirinal, lorsque M. Foccardi nous a vus passer devant sa boutique et nous a appelés à l’intérieur. À force d’invitations et de courtoisie, il nous a retenus un moment, et au moment où nous avons demandé à partir, il nous a dit :
– Voici la voiture, je vous accompagne jusqu’à chez vous. Tout en montant dans la voiture à contrecœur, je consentis pour lui faire plaisir. Mais Foccardi, désireux de rester plus longtemps avec nous, nous fit faire un long tour, si bien que nous sommes arrivés chez nous tard dans la nuit.

À mon arrivée, on m’a remis une lettre. Je l’ouvre et la lis. Il est notifié à M. l’Abbé Bosco que Sa Sainteté a bien voulu l’admettre à l’audience demain, neuf mars, de onze heures et quart à midi. Cette nouvelle, attendue et très désirée, me procura une révolution intérieure et pendant toute la soirée, je ne parvins à parler d’autre chose que du Pape et de l’audience.

L’audience papale. Santa Maria sopra Minerva
Le 9 mars était arrivé, le grand jour de l’audience papale. Mais d’abord, j’avais besoin de parler avec le cardinal Gaude ; c’est pourquoi j’allai dire la messe dans l’église Santa Maria sopra Minerva, où le cardinal avait sa demeure. Autrefois, c’était un temple que Pompée le Grand avait fait édifier à la déesse Minerve ; elle a été appelée Santa Maria sopra Minerva parce qu’elle a été construite précisément sur les ruines de ce temple. En l’année 750, le pape Zacharie l’a donnée à un couvent de moniales grecques. En 1370, elle est passée aux pères Dominicains qui l’officient encore aujourd’hui. Devant cette église s’ouvre une place où nous avons admiré un obélisque égyptien avec des hiéroglyphes, dont la base repose sur le dos d’un éléphant en marbre. En entrant, nous avons pu admirer l’un des édifices sacrés les plus beaux de Rome. Sous l’autel majeur repose le corps de sainte Catherine de Sienne. Après avoir célébré la messe et m’étant rendu en toute hâte auprès du cardinal Gaude, je lui ai parlé, puis nous sommes partis en direction du Quirinal.

Le petit menteur
En chemin, nous avons rencontré un garçon qui, avec bonne grâce, nous a demandé l’aumône et pour nous faire connaître sa condition, il nous a dit que son père était mort, sa mère avait cinq filles et qu’il savait parler italien, français et latin. Étonné, je lui ai adressé un discours en français auquel il a répondu par un seul oui sans comprendre ce que je disais, ni articuler d’autres expressions ; je l’ai alors invité à parler latin, et il, sans prêter attention à mes paroles, il s’est mis à réciter de mémoire les mots suivants : ego stabam bene, pater meus mortuus est l’annus passatus et ego sum rimastus poverus. Mater mea etc. À ce moment-là, nous n’avons pas pu nous empêcher de rire. Cependant, nous l’avons ensuite averti de ne pas dire de mensonges et nous lui avons offert un baiocco.

L’antichambre
Cependant, l’heure de l’audience approchait […] Arrivés au Vatican, nous montâmes les escaliers machinalement. Partout, il y avait des gardes nobles, habillés de manière à ressembler à des princes. Au premier étage, on nous ouvrit la porte qui menait aux salles pontificales. Gardes et valets, vêtus avec grand luxe, nous saluaient avec de profondes révérences. Après avoir remis le billet pour l’audience, nous fûmes conduits de salle en salle jusqu’à l’antichambre papale. Comme il y avait plusieurs autres personnes qui attendaient, nous avons attendu environ une heure et demie avant d’être reçus.

Nous avons utilisé ce temps à observer les personnes et le lieu où nous nous trouvions. Les domestiques du Pape étaient habillés presque comme les évêques de nos pays. Un monsignore, à qui l’on donne le titre de prélat domestique, introduisait à tour de rôle les personnes pour l’audience au fur et à mesure que se terminait la précédente. Nous avons admiré de grandes salles bien tapissées, majestueuses, mais sans luxe. Un simple tapis de drap vert couvrait le sol. Les tapisseries étaient en soie rouge mais sans ornements. Les chaises étaient en bois dur. Un fauteuil placé sur une estrade quelque peu élégante indiquait que c’était la salle pontificale. Tout cela nous a fait plaisir, car avec nos propres yeux, nous avons pu nous rendre compte de la fausse réputation que certains répandent contre l’espace et le luxe de la cour pontificale. Alors que nous étions plongés dans diverses pensées, la clochette sonna, et le prélat nous fit signe d’avancer pour nous présenter à Pie IX. À ce moment-là, je restai vraiment confus et je dus me faire violence pour rester calme.

Pie IX
Rua me suivit en apportant une copie des Lectures Catholiques. Une fois entrés, nous fîmes la génuflexion au début, puis au milieu de la salle, enfin, la troisième, aux pieds du Pape. Toute appréhension cessa lorsque nous aperçûmes dans le Pontife l’aspect d’un homme affable, vénérable, et en même temps le plus beau que puisse peindre un peintre. Nous ne pûmes pas baiser le pied, car il était assis à la petite table ; nous lui baisâmes cependant la main, et Rua, se souvenant de la promesse faite aux clercs, la baisa une fois pour lui et une fois pour ses compagnons. Alors le Saint-Père fit signe de nous lever et de nous mettre devant lui. Moi, selon l’étiquette, j’aurais voulu parler en restant à genoux.
– Non, dit-il, levez-vous. Il convient de noter qu’en nous annonçant au Pape, notre nom fut mal lu. En effet, au lieu d’écrire Bosco, on avait écrit Bosser, c’est pourquoi le Pape commença à m’interroger :
– Vous êtes piémontais ?
– Oui, Sainteté, je suis piémontais, et en ce moment je ressens la plus grande consolation de ma vie, me trouvant aux pieds du Vicaire du Christ.
– De quoi vous occupez-vous ?
– Sainteté, je m’occupe de l’instruction de la jeunesse et des Lectures Catholiques.
– L’instruction de la jeunesse a été un apostolat utile en tous temps, mais aujourd’hui elle l’est beaucoup plus. Il y en a aussi un autre à Turin qui s’occupe de jeunes. Alors je me rendis compte que le Pape avait sous la main un nom erroné, mais, sans savoir comment, lui aussi se rendit compte que je n’étais pas Bosser, mais Bosco ; ainsi il prit un aspect beaucoup plus festif et demanda beaucoup de choses concernant les jeunes, les clercs, les oratoires […]. Ensuite, avec un visage souriant, il me dit :
– Je me souviens de l’offrande qui m’a été envoyée à Gaète et des sentiments affectueux avec lesquels ces jeunes l’accompagnèrent. J’en profitai pour lui exprimer l’attachement de nos jeunes à sa personne et je le priai d’accepter une copie des Lectures Catholiques :
– Sainteté, lui dis-je, je vous offre une copie des petits volumes parus jusqu’ici au nom de la direction ; la reliure est l’œuvre des jeunes de notre école.
– Combien sont ces jeunes ?
– Sainteté, les jeunes de la maison sont environ deux cents, les relieurs sont quinze.
– Bien, répondit-il, je veux envoyer une médaille à chacun. Puis, étant allé dans une autre pièce, après quelques instants, il revint portant quinze petites médailles de la Conception :
– Celles-ci seront pour les jeunes relieurs, dit-il en me les tendant. Se tournant ensuite vers Rua, il lui en donna une plus grande en disant :
– Celle-ci est pour votre compagnon. Puis, se tournant à nouveau vers moi, il me tendit une petite boîte qui en renfermait une plus grande :
– Et celle-ci est pour vous. Nous nous étions agenouillés pour recevoir les cadeaux mais le Saint-Père nous invita à nous lever, et croyant ensuite que nous voulions partir, il était sur le point de nous congédier, quand je commençai à lui parler ainsi :
– Sainteté, j’aurais quelque chose de particulier à vous communiquer.
– Très bien, répondit-il […].
Le Saint-Père est très rapide à comprendre les questions et très prompt à donner les réponses, c’est pourquoi avec lui on traite en cinq minutes ce qui avec d’autres demanderait plus d’une heure. Cependant, la bonté du Pape et mon vif désir de rester avec lui prolongèrent l’audience de plus d’une demi-heure, un temps très considérable tant en ce qui concerne sa personne que l’heure du déjeuner qui, à cause de nous, avait été retardée […].

Le Janicule
À 13h30 du 10 mars, le père Giacinto des Carmes Déchaux venait nous chercher avec une calèche pour nous transporter à la basilique Saint-Pancrace et à San Pietro in Montorio. Ce sont deux églises situées sur le Janicule, appelé ainsi à cause de Janus qui, dit-on, y habitait. Au sommet de cette colline, de l’autre côté du Tibre, se trouve la basilique Saint-Pancrace, construite par le pape Félix II en 485, environ 100 ans après le martyre de Pancrace. Le général Narsès, ayant vaincu les Goths, fit une solennelle procession avec le pape Pélage depuis Saint-Pancrace jusqu’à Saint-Pierre. Saint Grégoire le Grand, qui avait une grande vénération pour cette église, y célébra plusieurs fois la messe et y tint quelques homélies, enfin il la donna aux moines bénédictins. En 1673, elle fut confiée aux Carmes Déchaux avec le couvent attenant et un séminaire pour les missions des Indes […]

Sous l’autel majeur, il y a un autre autel souterrain où était anciennement conservé le corps du Saint, protégé par une grille en fer. Il y avait l’usage de conduire ceux qui étaient soupçonnés de parjure devant cette grille, car s’ils étaient coupables, ils étaient pris d’un tremblement visible ou d’un autre accident.

Les Catacombes
– Venez avec moi, nous dit le père Giacinto, nous allons dans les catacombes. Il avait préparé une lampe pour chacun. Nous nous sommes mis à le suivre. Au milieu de l’église, il nous indiqua une trappe. Quand on souleva le couvercle, apparut une cavité sombre et profonde : c’étaient les catacombes qui commençaient. À l’entrée, il était écrit en latin : « En ce lieu a été décapité le martyr du Christ Pancrace« . Nous voilà dans les catacombes. Imaginez de longs couloirs, tantôt étroits et bas, tantôt hauts et spacieux, tantôt coupés par d’autres couloirs, tantôt en descente, tantôt en montée, et vous aurez la première idée de ces souterrains. À droite et à gauche, il y a de petites tombes creusées parallèlement dans le tuf. Ici, anciennement, on enterrait les chrétiens, surtout les martyrs. Ceux qui avaient donné leur vie pour la foi étaient désignés par des emblèmes particuliers. La palme était le signe de la victoire remportée contre les tyrans ; l’ampoule indiquait qu’il avait versé son sang pour la foi ; le « χ » signifiait qu’il était mort dans la paix du Seigneur ou qu’il avait souffert pour le Christ. Dans d’autres apparaissaient les instruments avec lesquels ils avaient été martyrisés. Parfois, ces emblèmes étaient enfermés dans la petite tombe du saint. Quand les persécutions n’étaient pas trop sévères, on écrivait le nom et le prénom du martyr et quelques lignes soulignant une circonstance importante de sa vie. […]
– Voici, nous dit le guide, voici le lieu où était enterré saint Pancrace, à côté de lui saint Denis son oncle et près d’ici un autre de ses parents. Puis nous avons visité quelques tombes réunies dans une petite chambre dont les murs portaient des inscriptions anciennes que nous n’avons pas su lire. Au milieu de la voûte était peint un jeune homme qui nous parut représenter saint Pancrace […].
Cette fois, le guide nous indiqua une crypte. Crypte, mot grec, signifie profondeur. C’est un espace plus grand que d’ordinaire où les chrétiens avaient l’habitude de se rassembler, en temps de persécution, pour écouter la Parole, assister à la messe et aux fonctions sacrées. D’un côté, il y a encore un ancien autel où il est possible de célébrer. D’ordinaire, c’était la tombe d’un martyr qui servait d’autel. Après un bout de chemin, on nous montra la chapelle où saint Félix, pape, avait l’habitude de se reposer et de célébrer l’Eucharistie. Son sépulcre est à peu de distance. Partout, on voyait des squelettes humains réduits en morceaux par le temps. Notre guide nous assura que dans peu de temps nous arriverions à un endroit où se conservaient des pierres tombales avec les inscriptions intactes.

Mais nous étions très fatigués, aussi parce que l’air souterrain et les difficultés du chemin nous avaient beaucoup fatigués. Chacun devait faire attention à ne pas se cogner la tête, à ne pas heurter avec les épaules et à ne pas glisser avec les pieds. Le guide nous avertissait que les souterrains sont très nombreux et que certains s’étendent jusqu’à quinze/vingt milles. Si nous étions allés seuls, nous aurions pu chanter le requiescant in pace, car il aurait été très difficile de retrouver le chemin pour revenir à la lumière. Cependant, notre guide était très pratique et en peu de temps nous ramena au point d’où nous étions partis […].

San Pietro in Montorio
Remontés dans la voiture avec le père Giacinto, nous nous dirigeâmes vers San Pietro in Montorio. Le mot est une corruption de « mont d’or », car ici le sol et le gravier prennent une couleur jaune semblable à l’or. Il a également été appelé Castro Aureo, forteresse d’or, en raison des vestiges de la forteresse d’Ancus Martius encore existants au sommet. C’est l’une des églises fondées par Constantin le Grand, riche en statues, peintures et marbres. Entre l’église et le couvent attenant se dresse un bâtiment appelé Tempietto de Bramante de forme ronde. Il s’agit de l’un des travaux les plus remarquables de Bramante. Il a été édifié à l’endroit où saint Pierre a été martyrisé. À l’arrière, un escalier mène à une chapelle souterraine circulaire, au milieu de laquelle se trouve un trou où brûle continuellement une lumière. C’est l’endroit où fut enfoncée la pointe de la croix sur laquelle saint Pierre fut cloué la tête en bas. L’église est située là où se termine le Janicule et commence le Vatican.

Près de San Pietro in Montorio se trouve la magnifique Fontana Paolina, construite par Paul V en 1612. L’eau jaillit de trois colonnes qui semblent un fleuve. Elle arrive de Bramario, un lieu distant à 35 milles de Rome. Ces eaux, en tombant, servent à faire tourner des meules de moulin et d’autres machines et se ramifient avantageusement en divers points de la ville […].

Une mésaventure
Le 11 mars, nous avons été occupés à écrire et à faire des commissions. L’épisode de ma mésaventure à Rome mérite d’être mentionné. Je suis allé rendre visite à monsignor Pacca, prélat domestique de Sa Sainteté. Au retour, j’étais accompagné du père Bresciani, ayant envoyé Rua chercher le père Botandi à Ponte Sisto. Le bon Bresciani me conduisit jusqu’à l’académie de la Sapienza puis m’indiqua où passer pour arriver au Quirinal :
– Traversez ce quartier, puis restez toujours à droite. Au lieu de prendre à droite, je pris à gauche, si bien qu’après une heure de marche, je me retrouvai à la Piazza del Popolo, distante de presque un mille de chez moi. Pauvre de moi ! Au moins si j’avais eu Rua avec moi, nous aurions pu nous consoler mutuellement, mais j’étais seul. Le temps était nuageux, un vent fort soufflait et il commençait à pleuvoir. Que faire ? Je n’avais guère envie de dormir au milieu de cette place. Alors en toute patience je montai sur le Pincio, appelé ainsi d’après le palais d’un seigneur nommé Pincio […]. Cette colline n’est pas très habitée et n’est pas l’une des sept collines de Rome […]

Sant’Andrea della Valle
Vendredi 12, je suis allé célébrer la messe à Sant’Andrea della Valle pour la distinguer d’autres églises consacrées au même Apôtre. Valle lui fut ajouté à la fois parce que la basilique se trouve au point le plus bas de Rome et aussi à cause d’un palais appartenant à la famille Valle. Autrefois, l’église était dédiée à saint Sébastien qui avait souffert le martyre ici. Près de là, on en construisit une autre, dédiée à saint Louis roi de France. Mais en 1591, un riche seigneur nommé Gesualdo la restructura en renouvelant entièrement son plan. C’est l’une des premières églises de Rome. Sa coupole mesure 64 palmes de diamètre, et donc après Saint-Pierre au Vatican, c’est la coupole la plus grande de toutes les coupoles de la ville.
La première chapelle en entrant à gauche a une grille en fer qui indique l’endroit du cloaque où l’on croit que le corps du martyr saint Sébastien a été jeté. Presque en face de cette église se trouve le palais Stoppani qui servit de résidence à l’empereur Charles V lorsqu’il vint à Rome, comme l’indique une inscription sur le mur au pied de l’escalier.

Saint-Grégoire-le-Grand
Une heure et demie après midi, avec M. François De Maistre, notre guide, nous sommes partis pour visiter l’église Saint-Grégoire-le-Grand. Elle est construite sur une partie du mont Caelius, anciennement appelée clivus Scauri, c’est-à-dire descente de Scaurus, et était la maison habitée par saint Grégoire et les siens. C’est lui qui l’a convertie en monastère, où il a ensuite résidé jusqu’à l’année 590, d’abord comme simple moine, puis comme abbé du monastère. Lorsqu’il fut élu pape (en 590), il dédia ce bâtiment à l’apôtre saint André, transformant une partie des locaux en église. Après sa mort, elle fut dédiée à lui-même.

C’est certainement l’une des plus belles églises de Rome. La première chapelle en entrant à gauche est dédiée à sainte Sylvie, mère de saint Grégoire. La dernière à droite est celle du S. Sacrement ; sur cet autel, saint Grégoire célébrait la messe. […]. C’est cet autel, vénérable par son titre et le patronage du saint Pape, qui a été rendu célèbre dans le monde entier par les privilèges accordés par de nombreux papes. Il arriva le fait suivant : sur l’ordre du saint un moine du monastère avait offert la messe pendant trente jours consécutifs en suffrage de l’âme de son frère défunt, à la suite de quoi un autre moine vit cette âme libérée des peines du purgatoire.

À côté de cette chapelle, il y en a une autre plus petite, où saint Grégoire se retirait pour se reposer. On montre encore avec précision l’endroit où se trouvait son lit. À côté se trouve la chaise en marbre sur laquelle il s’asseyait aussi bien pour écrire que pour annoncer la parole de Dieu au peuple.
Après l’autel majeur, on rencontre la chapelle qui abrite une image très ancienne et miraculeuse de la Vierge. On croit que c’est celle que le Saint gardait chez lui et chaque fois qu’il passait devant, il la saluait en disant « Ave, Maria ». Un jour cependant, le bon Pape, pressé par des affaires urgentes, sortit sans adresser la salutation habituelle à la Vierge. Et elle lui fit ce doux reproche : « Ave, Gregori ». Par ces mots, elle l’invitait à ne pas oublier la salutation qui lui était si agréable.

Dans une autre chapelle trône la statue de saint Grégoire, un travail conçu et dirigé par Michel-Ange. Le Saint est assis sur le trône avec une colombe près de l’oreille, ce qui rappelle ce que dit Pierre Diacre, familier du Saint, à savoir qu’à chaque fois que Grégoire prêchait ou écrivait, il avait toujours une colombe qui lui parlait à l’oreille. Au centre de la chapelle se trouve une grande table en marbre sur laquelle le Pape offrait chaque jour à manger à douze pauvres, les servant de ses propres mains. Un jour, un ange sous la forme d’un jeune homme s’assit à table avec les autres, puis disparut soudainement. Depuis lors, le Saint augmenta à treize le nombre des pauvres qu’il nourrissait. Ainsi naquit l’usage de placer treize pèlerins à la table que le Pape sert chaque année de sa main le jeudi saint. Au-dessus de la table est gravé le distique suivant : « Ici Grégoire nourrissait douze pauvres ; un ange s’assit à table et compléta le nombre de treize ».

Les Saints-Jean-et-Paul
En sortant de cette église et en tournant à droite, on rencontre celle des Saints-Jean-et-Paul. L’empereur Jovien permit au moine saint Pammachius de la construire en 400 en l’honneur de ces deux frères martyrs. Elle fut édifiée sur leur habitation, précisément là où ils subirent le martyre. Elle fut ensuite restaurée par saint Symmaque Pape vers 444 […] En entrant, un majestueux bâtiment se présente à la vue. Au milieu, une grille en fer délimite l’endroit où les saints furent tués. Leurs corps, enfermés dans une urne précieuse, reposent sous l’autel majeur. Dans la chapelle à côté, sous l’autel, est conservé le corps du bienheureux Paul de la Croix, fondateur des passionnistes, à qui l’église est confiée. Ce serviteur de Dieu est un Piémontais, né à Castellazzo dans le diocèse d’Alexandrie. Il mourut en 1775 à l’âge de 82 ans. Les nombreux miracles qui se produisent à Rome et ailleurs par son intercession ont fait croître la congrégation des passionnistes, ainsi nommés en raison du quatrième vœu qu’ils font, c’est-à-dire promouvoir la vénération envers la passion du Seigneur.

Un de ces religieux, un Génois, frère André, après nous avoir accompagnés pour voir les choses les plus importantes de l’église, nous conduisit au couvent, un bel édifice qui abrite environ quatre-vingts de ces Pères, en grande partie piémontais.
– Voici, nous dit frère André, la chambre où mourut notre saint Fondateur. Nous y sommes entrés et avons admiré dans un recueillement dévot le lieu d’où partit son âme pour s’envoler au ciel.
– Là se trouve la chaise, les vêtements, les livres et d’autres objets qui ont servi au Bienheureux. Chaque objet est placé sous scellé et est distribué comme relique aux fidèles chrétiens. Cette chambre est aujourd’hui une chapelle où on célèbre la messe.

Arcs de Constantin et de Titus
Après avoir salué l’aimable frère André, nous nous sommes dirigés vers Saint-Laurent in Lucina. Mais après avoir fait un peu de chemin, nous nous sommes retrouvés sous l’Arc de Constantin. Cet arc est conservé presque intact. Une inscription du sénat et du peuple romain indique qu’il fut dédié à l’empereur Constantin à l’occasion de la victoire remportée sur le tyran Maxence. Cet empereur, devenu chrétien, fit placer au-dessus de l’arc une statue tenant une croix en main en mémoire de la croix qui lui apparut devant l’armée, pour rappeler à tout le monde qu’il professait la religion de Jésus crucifié.
Après avoir fait un autre bout de chemin, voici un autre arc, l’Arc de Titus. Il existe trois arcs à Rome et celui de Titus est le plus ancien et le plus élégant. Il est orné de bas-reliefs qui commémorent les victoires remportées par ce valeureux guerrier, et parmi eux est sculpté le chandelier du temple de Jérusalem en mémoire de la chute de cette ville et de son temple. Sous cet arc passait la célèbre Voie Sacrée, l’une des plus anciennes de Rome, ainsi appelée parce que c’est par elle qu’on portait chaque mois les choses sacrées sur la Forteresse, et parce qu’elle était parcourue par les augures pour aller prendre leurs réponses.

Arrivés à Saint-Laurent in Lucina, nous n’avons pas pu entrer à cause des travaux qu’on y effectuait. […] Cette église est l’une des plus vastes paroisses de Rome ; elle fut érigée par Sixte III avec le consentement de l’empereur Valentinien en l’honneur de saint Laurent martyr. Pour la distinguer des autres églises élevées en l’honneur de ce lévite, elle fut nommée in Lucina, soit à cause de la sainte martyre de ce nom, soit peut-être d’après le lieu qui s’appelait ainsi. Annexé à cette église, vers le cours, se trouve le palais Ottobuoni, construit vers l’an 1300 sur les ruines d’un grand édifice ancien appelé Palais de Domitien. Comme nous étions fatigués et que l’heure du déjeuner approchait, nous sommes rentrés chez nous […].

Sainte-Marie-des-Anges
[…] Le 13 mars, la station de carême était à Saint-Marie-des-Anges, et nous y sommes allés pour gagner l’indulgence plénière et pour prier Dieu en faveur de notre maison. Pour distinguer cette église d’une autre du même nom, on la situe près des Thermes de Dioclétien, car elle est construite sur le lieu où s’élevaient autrefois les célèbres thermes, c’est-à-dire les bains de l’empereur Dioclétien. Le souverain pontife Pie IV confia au vaste génie de Michel-Ange Buonarroti la mission de transformer en église une partie de ces superbes édifices. Dans un salon des thermes, il y avait déjà une petite église dédiée à saint Cyrille martyr. Celle-ci fut incluse dans la nouvelle église, que le Pape dédia à sainte Marie des Anges, pour faire plaisir au duc et roi de Sicile, dévot des Anges, qui coopéra beaucoup à sa construction.

Le jour de la station de carême, l’église est ornée avec une élégance particulière, et les reliques les plus insignifiantes sont exposées à la vénération publique. Dans une chapelle à côté de l’autel majeur se trouvait le reliquaire avec de nombreuses reliques parmi lesquelles nous avons remarqué les corps de saint Prosper, saint Fortunat, saint Cyrille, de plus la tête de saint Justin et de saint Maxime martyrs et de nombreux autres. Ainsi, notre dévotion satisfaite, nous sommes rentrés chez nous vers six heures, très fatigués et avec un bon appétit.

Sainte-Marie-du-Chêne
Dimanche 14 mars, nous avons célébré à la maison, puis nous sommes allés visiter un oratoire, selon les indications reçues du marquis Patrizi. L’église où se rassemblent les jeunes s’appelle Saint-Marie-du-Chêne. Voici son origine, qui remonte aux temps de Jules II. Une image de Marie avait été peinte sur une tuile par un certain Battista Calvaro, qui la plaça sur un chêne dans sa vigne à Viterbe. Cette image resta cachée pendant soixante ans, jusqu’à ce qu’en 1467 elle commence à se manifester en accordant tant de grâces et de miracles que les fidèles qui venaient la visiter élevèrent avec leurs offrandes une église et un monastère. Le Pape Jules II souhaita qu’il y ait aussi à Rome un sanctuaire dédié à Marie du Chêne, qui est celui dont nous parlons.
Entrés dans l’église, et arrivés dans la spacieuse sacristie, nous fûmes réjouis par la vue d’une quarantaine de garçons. Par leur vivacité, ils ressemblent beaucoup aux espiègles de notre oratoire. Leurs fonctions sacrées se déroulent toutes le matin. Messe, confession, catéchisme et une brève instruction, c’est ce qu’on fait pour eux […].

Après-midi, les jeunes vont à Saint-Jean-des-Florentins, un autre oratoire où il n’y a que la récréation sans fonctions à l’église. Nous y sommes allés et avons vu environ une centaine de jeunes qui s’amusaient à perdre haleine. Leurs jeux étaient la tombola et la cloche, connues aussi chez nous. Ils pratiquent également le jeu du trou qui consiste en cinq trous assez larges dans lesquels on met deux châtaignes ou autre chose. D’une distance de six pas, on fait rouler une boule. Celui qui réussit à la faire entrer dans l’un des trous gagne ce qu’il y a à l’intérieur. Nous fûmes très déçus par le fait qu’ils n’avaient que la récréation. S’il y avait un prêtre parmi eux, celui-ci pourrait faire du bien à leurs âmes, car il y a un grand besoin. D’autant plus que nous avons trouvé chez eux de bonnes dispositions. Plusieurs prenaient plaisir à dialoguer avec nous. Ils nous baisaient plusieurs fois la main, à moi et aussi à Rua qui, malgré lui, était contraint d’acquiescer […]

De retour à la maison, nous reçûmes la visite de Mgr Mérode, maître de chambre de Sa Sainteté. Après quelques politesses, il m’annonça que le Saint-Père m’invitait à prêcher les exercices spirituels aux détenues dans les prisons près de Sainte-Marie-des-Anges aux thermes de Dioclétien. Chaque désir du Pape est pour moi un commandement et donc j’acceptai avec un véritable plaisir […]

À la prison des femmes
À deux heures de l’après-midi, je me rendis chez la supérieure de la prison pour convenir du jour et de l’heure pour commencer la prédication. Elle me dit :
– Si cela vous convient, vous pouvez commencer tout de suite, car les femmes sont à l’église et il n’y a personne pour prêcher. Ainsi, j’ai commencé tout de suite et la semaine fut presque entièrement consacrée à ce ministère. La maison de correction s’appelle Aux Thermes de Dioclétien car elle est située au même endroit où se trouvaient les thermes de cet empereur célèbre. Y étaient hébergées 260 détenues coupables de graves délits et condamnées à la prison […]. Les exercices se déroulèrent avec satisfaction. La prédication simple et populaire que nous utilisons chez nous s’est révélée fructueuse dans cette prison. Le samedi, après la dernière prédication, la mère supérieure m’annonça avec grand plaisir qu’aucune des condamnées n’avait omis de s’approcher des Sacrements.

Deux épisodes
Un épisode agréable est arrivé au Saint-Père cette semaine. Le comte Spada lui rendit visite et engagea cette conversation :
– Sainteté, j’aimerais vous demander un souvenir de cette visite.
– Demandez ce que vous voulez et j’essaierai de vous satisfaire.
– Je voudrais quelque chose d’extraordinaire.
– Très bien, demandez donc.
– Sainteté, je souhaiterais avoir comme souvenir votre tabatière.
– Mais elle est pleine d’un tabac de qualité inférieure.
– Peu importe ; elle me sera très chère.
– Prenez-la, je vous en fais cadeau avec plaisir
. Le comte Spada partit plus heureux avec cette tabatière qu’avec un grand trésor. Elle est simple, en corne de buffle, reliée par deux anneaux en laiton et ne vaut pas quatre sous, mais elle est très précieuse en raison de sa provenance. Le bon comte la montre à ses amis comme un objet digne de vénération […]

Une autre anecdote m’a été racontée sur ce vénérable Pontife. L’année dernière, alors que le Saint-Père voyageait à travers ses États, il se trouva à proximité de Viterbe. Une petite fille portant un fagot de bois, voyant que la voiture pontificale s’était arrêtée, pensa que ces messieurs voulaient acheter son fagot. Elle courut vers eux :
– Monsieur, dit-elle au Saint-Père, achetez-le, le bois est très sec.
– Nous n’en avons pas besoin, 
répondit le Pape.
– Achetez-le, je vous le donne pour trois 
baiocchi.
– Prends les trois 
baiocchi et garde ton fagot. Le Saint-Père lui donna trois écus, puis se prépara à remonter dans la voiture. Mais la petite fille voulait que le Saint-Père prenne son fagot.
– Prenez-le, vous serez contents ; dans votre voiture, il y a beaucoup de place. Pendant que le Pape et sa cour riaient de cette affaire, la mère de la fillette, qui travaillait dans un champ voisin, accourut en criant :
– Saint-Père, Saint-Père, pardonnez ; cette pauvre fille est ma fille. Elle ne vous connaît pas. Ayez pitié de nous qui sommes dans une grande misère. Le Pape ajouta encore six écus et continua son chemin […]

Saint-Paul hors les murs
Le 22 mars, dimanche, Don Bosco se rendit chez le cardinal vicaire, l’éminentissime Costantino Patrizi […] Sorti du Vicariat, il se rendit à Saint-Paul-hors-les-Murs pour vénérer le tombeau du grand Apôtre des Gentils et admirer les merveilles de cette immense basilique. Après avoir marché un mille, il arriva au célèbre endroit appelé Ad Aquas Salvias, où saint Paul versa son sang pour Jésus-Christ. C’est précisément à cet endroit, où se trouvent trois sources d’eau miraculeuses, jaillies des mottes sur lesquelles la tête tranchée du saint Apôtre fit trois bonds, qu’une église a été construite. Don Bosco pria également dans l’église voisine de Sancta Maria Scala Coeli, de forme octogonale, édifiée sur le cimetière de saint Zénon, un tribun qui subit le martyre sous Dioclétien, avec 10203 de ses compagnons d’armes […]

Le Colisée
Le 23 mars, son regard ébahi contempla les gigantesques ruines de l’amphithéâtre Flavien ou Colisée, de forme ovale, avec une circonférence extérieure de 527 mètres, et encore haut de cinquante mètres par endroits. À l’époque de sa splendeur, il était couvert de marbres, orné de colonnades, de centaines de statues, d’obélisques, de quadriges en bronze ; et à l’intérieur, il soutenait tout autour d’immenses gradins, qui pouvaient contenir environ 200000 personnes, pour assister aux combats de bêtes féroces et de gladiateurs, et aux massacres de milliers de martyrs. Don Bosco entra dans l’arène des spectacles qui mesure 241 mètres de circonférence […]

Saint-Clément
Le 24, Don Bosco se rendit à la basilique Saint-Clément pour vénérer les reliques du quatrième pape après saint Pierre, et celles de saint Ignace martyr, évêque d’Antioche ; ainsi que pour admirer l’architecture de l’antique église à trois nefs. Dans celle du milieu, devant l’autel de la Confession, un enclos en marbre blanc délimite le chœur pour le clergé. Il est doté de deux pupitres, l’un pour le chant de l’évangile, près duquel se dresse la petite colonne du cierge pascal, et l’autre pour la lecture de l’épître. À côté de ce dernier se trouvait le lutrin pour les chanteurs et lecteurs des prophéties et des autres livres des Écritures ; autour de l’abside, les sièges des prêtres, et, au fond, au centre sur trois marches, la chaire épiscopale […].

De là, Don Bosco se dirigea vers l’église des Quatre-Couronnés, pour visiter les tombeaux des martyrs Sévère, Séverin, Carpophore et Victorin, tués sous Dioclétien. Il passa ensuite à Saint-Jean devant la Porte Latine, près de laquelle se dresse une chapelle sur le lieu où saint Jean Évangéliste fut plongé dans la chaudière d’huile bouillante ; de là, il continua jusqu’à la petite église Quo Vadis, ainsi nommée parce qu’à cet endroit le Seigneur apparut à saint Pierre qui sortait de Rome pour échapper à la persécution :
– Seigneur, où vas-tu ? s’écria l’Apôtre étonné. Et Jésus lui répondit :
– Je vais pour être crucifié une nouvelle fois. Saint Pierre comprit et retourna à Rome où l’attendait le martyre. Après avoir vu cette petite église, Don Bosco refit le chemin, après avoir jeté un coup d’œil sur la Via Appia, le long de laquelle on compte de nombreux mausolées de l’époque du paganisme, qui rappellent la fin de toute grandeur humaine.

Don Bosco… salésien !
Une scène charmante se produisit le matin du 25 mars. Après avoir traversé le Tibre, Don Bosco vit sur une petite place une trentaine de garçons qui s’amusaient. Il se dirigea vers eux sans hésiter et eux, suspendant leurs jeux, le regardaient émerveillés. Il leva alors la main en tenant entre ses doigts une médaille, puis s’exclama :
– Vous êtes trop nombreux et je suis désolé de ne pas avoir assez de médailles pour en offrir une à chacun d’entre vous. Ceux-ci, prenant courage, tendaient leurs mains en criant à pleine voix :
– Ça ne fait rien, ça ne fait rien… à moi, à moi ! Don Bosco ajouta :
– Eh bien, comme je n’en ai pas pour tous, je veux offrir cette médaille au plus gentil. Qui parmi vous est le plus gentil ?
– C’est moi, c’est moi !
 crièrent-ils tous ensemble. Il continua :
– Comment puis-je faire, si vous êtes tous également gentils ? Alors je la donnerai au plus espiègle ! Qui parmi vous est le plus espiègle ?
– C’est moi, c’est moi !
 répondirent-ils avec des cris assourdissants.
Le marquis Patrizi et ses amis, à une certaine distance, souriaient tout émus et stupéfaits de voir Don Bosco traiter si familièrement ces garçons, qu’il rencontrait pour la première fois ; et ils s’exclamaient :
– Voici un autre saint Philippe Néri, ami de la jeunesse. Don Bosco en effet, comme s’il avait été un ami déjà connu de ces enfants, continua à les interroger, s’ils avaient déjà assisté à la messe, dans quelle église ils avaient l’habitude d’aller, s’ils fréquentaient les oratoires qui étaient dans ces parages. […] Le dialogue était animé. Après les avoir exhortés à être toujours de bons chrétiens, Don Bosco promit qu’il passerait une autre fois par cette place et offrirait une médaille à chacun ; puis, les saluant affectueusement, il retourna vers ses accompagnateurs en montrant la médaille. Il n’avait rien donné aux garçons, et pourtant il les avait laissés contents.

Santo Stefano Rotondo
Le 26 mars, Don Bosco retourna au Caelius dans la spacieuse église Santo Stefano Rotondo, ainsi nommée à cause de sa forme ronde. Le corniche circulaire est soutenue par 56 colonnes. Tout autour des murs sont peintes les scènes des atrocités que subirent les martyrs. Elle est ornée de mosaïques du VIIe siècle, représentant Jésus crucifié, avec quelques saints, et conserve les corps de deux confesseurs de la foi : saint Primus et saint Félicien. De là, Don Bosco passa à Sainte-Marie in Dominica, ou de la Navicella, la barque en marbre qui se trouve sur la place. Elle a trois nefs séparées par 18 colonnes et contient des mosaïques du IXe siècle. Parmi celles-ci, la Vierge est à la place d’honneur parmi de nombreux anges et à ses pieds est agenouillé le pape Pascal […].

Cependant, le Saint-Père avait exprimé le désir que Don Bosco assiste au Vatican au dévot et magnifique spectacle des cérémonies de la Semaine Sainte. Il avait donc chargé monsignor Borromeo de l’inviter en son nom, et de lui procurer une place d’où il puisse assister confortablement aux rites sacrés. Ce monsignor le fit rechercher toute la journée sans succès. Enfin, à une heure très tardive, le messager le trouva chez De Maistre où il était retourné après une journée de visites. En disant qu’il venait par ordre du Pape, il fut introduit et présenta à Don Bosco la lettre d’invitation, par laquelle il était admis à recevoir la palme bénie des mains mêmes du Pape. Don Bosco la lut immédiatement et s’exclama qu’il irait avec grand plaisir.

Pâques romaines de Don Bosco. Le Dimanche des Rameaux
Dimanche 28 mars, avec le clerc Rua, il entra dans la basilique Saint-Pierre bien avant le début des fonctions. Le comte Carlo De Maistre l’accompagna à sa place, dans la tribune des diplomates. Il était très attentif car il connaissait l’importance des cérémonies de l’Église. À ses côtés se tenait un milord anglais protestant, émerveillé par tant de solennité. À un certain moment, un chanteur de la chapelle Sixtine exécuta un solo tellement bien que Don Bosco en fut ému aux larmes et le milord se tourna vers lui en s’exclamant en latin, car dans une autre langue il ne savait pas comment se faire comprendre :
– Post hoc paradisus ! Ce monsieur, après un certain temps, non seulement se convertit au catholicisme, mais devint prêtre et évêque. Après avoir béni les rameaux, le corps diplomatique défila à tour de rôle devant le Pontife, et chaque ambassadeur et ministre reçut la palme de ses mains. Don Bosco et le séminariste Rua s’agenouillèrent également aux pieds du Pape et reçurent la palme. Ainsi le voulut Pie IX : Don Bosco n’était-il pas l’ambassadeur de Dieu ? Le séminariste Rua retourna chez les Rosminiens et offrit la sienne au père Pagani, qui l’apprécia beaucoup […].

Don Bosco caudataire
Le cardinal Marini, l’un des deux assistants au trône, prit Don Bosco comme caudataire afin qu’il puisse assister à toutes les fonctions de la semaine sainte, Ainsi, en robe violette, il se tenait tout le temps presque à côté du Pape, et put apprécier les chants grégoriens et les musiques d’Allegri et de Palestrina.
Le jeudi saint, le cardinal Mario Mattei, étant le plus ancien des évêques suburbicaires, pontifia à la place du cardinal doyen empêché. Don Bosco suivit le Pontife qui portait processionnellement le Saint-Sacrement dans la chapelle Pauline pour le placer dans l’urne spécialement préparée ; il l’accompagna jusqu’à la Loggia vaticane d’où le Pape bénit Rome et le monde ; il assista au lavement des pieds fait par le Pontife à treize prêtres, et participa à la cène commémorative, servie par le Vicaire de Jésus-Christ lui-même.

La bénédiction Urbi et Orbi
[…] Le 4 avril, les salves d’artillerie du Château Saint-Ange annonçaient le jour de Pâques. Pie IX descendit dans la basilique vers dix heures pour la messe pontificale. Immédiatement après, précédé par le cortège des évêques et des cardinaux, il se rendit à la Loggia pour la bénédiction Urbi et Orbi. Avec le cardinal Marini et un évêque, Don Bosco resta un instant près du rebord recouvert d’un magnifique drap, sur lequel avaient été déposés trois Trirègnes d’or. Le cardinal dit à Don Bosco :
– Observez le spectacle ! Don Bosco parcourait la place de ses yeux ébahis. Une foule de 200.000 personnes s’y entassait, le visage tourné vers la Loggia. Les toits, les fenêtres, les terrasses des maisons, tout était occupé. L’armée française remplissait une partie de l’espace compris entre l’obélisque et l’escalier de Saint-Pierre. Les bataillons de l’infanterie pontificale étaient alignés à droite et à gauche. Derrière, la cavalerie et l’artillerie. Des milliers de voitures étaient arrêtées sur les deux côtés de la place, près des portiques de Bernini, et au fond près des maisons. Surtout sur les voitures à louer se tenaient des groupes de personnes qui semblaient dominer la place. C’était un vacarme assourdissant, un piétinement de chevaux, une confusion incroyable. Personne ne peut se faire une idée d’un tel spectacle.

Pris au piège
Don Bosco avait laissé le Pape dans la basilique pendant qu’il vénérait les reliques précieuses, croyant qu’il mettrait du temps à apparaître. Absorbé dans contemplation de tous ces gens de toutes nationalités, il ne remarqua pas l’arrivée de la sedia gestatoria sur laquelle était assis le Pape. Il se trouva dans une position difficile ; coincé entre la sedia papale et la balustrade, il pouvait à peine bouger ; tout autour, des cardinaux, des évêques, des cérémoniaires et des porteurs étaient entassés, si bien qu’il ne voyait aucune issue pour se tirer d’affaire. Tourner le visage vers le Pape était inconvenant ; lui tourner le dos était incivil ; rester au centre du balcon était ridicule. Ne pouvant faire mieux, il se tourna sur le côté ; alors la pointe d’un pied du Pape se posa sur son épaule.

À ce moment-là, un silence solennel régnait sur la grande place au point qu’on aurait pu entendre le bourdonnement d’une mouche. Les chevaux eux-mêmes restaient immobiles. Don Bosco, pas du tout troublé et attentif à chaque détail, remarqua qu’on n’entendit qu’un seul hennissement et le son d’une horloge qui sonnait les heures pendant que le Pape récitait les prières rituelles. Voyant que le sol de la Loggia était couvert de feuillages et de fleurs, il se pencha et ramassa quelques fleurs qu’il mit entre les pages du livre qu’il tenait à la main. Enfin, Pie IX se leva pour bénir : il ouvrit les bras, leva les mains vers le ciel, les étendit sur la multitude qui baissa le front, et sa voix sonore, puissante et solennelle en chantant la formule de la bénédiction s’entendait au-delà de la place Rusticucci et depuis le grenier des Pères de la Civiltà Cattolica.

La foule répondit par une immense ovation. Alors le cardinal Ugolini lut en latin le Bref de l’indulgence plénière et tout de suite après le cardinal Marini le répéta en italien. Don Bosco s’était agenouillé, et quand il se releva, le cortège papal avait déjà disparu. Toutes les cloches sonnaient à fête, le canon tonnait depuis le Château Saint-Ange, les musiques militaires faisaient résonner leurs trompettes. Le cardinal Marini, accompagné du caudataire, descendit et se dirigea vers sa voiture. À peine celle-ci se mit-elle en mouvement, que Don Bosco se sentit pris d’un malaise provoqué par ce mouvement qui lui retournait l’estomac ; ne pouvant plus résister, il manifesta au cardinal son incommodité. Sur son conseil, il monta à côté du cocher, mais le malaise ne diminua pas. Alors il descendit pour marcher à pied. Étant en habit violet, il aurait été l’objet de curiosité ou de moquerie s’il avait traversé Rome ainsi ; c’est pourquoi le secrétaire descendit gentiment de la voiture et l’accompagna au palais […].

Le souvenir du Pape
Le 6 avril, Don Bosco retourna à une audience particulière de Pie IX avec le clerc Rua et le théologien Murialdo, admis au Vatican par l’intercession de Don Bosco lui-même. Ils entrèrent dans l’antichambre à neuf heures du soir, et immédiatement Don Bosco fut introduit. Dès que le Pape le vit devant lui, lui il dit d’un air sérieux :
– Abbé Bosco, où vous êtes-vous caché le jour de Pâques pendant la bénédiction papale ? Là, devant le Pape, l’épaule sous son pied comme si le Pontife avait besoin d’être soutenu par Don Bosco.
– Saint-Père, répondit-il calmement et humblement, j’ai été pris par surprise et je demande pardon si je vous ai offensé d’une manière ou d’une autre !
– Et vous ajoutez encore l’affront de me demander si vous m’avez offensé ? Don Bosco regarda le Pape et il eut l’impression qu’il faisait semblant : un sourire commençait à apparaître sur ses lèvres. Mais qu’est-ce qui vous a pris de ramasser des fleurs à ce moment-là ? Il a fallu toute la gravité de Pie IX pour ne pas éclater de rire. […]
– Maintenant, Très Saint-Père, supplia Don Bosco, ayez la bonté de me suggérer une consigne que je puisse répéter à mes jeunes, comme souvenir du Vicaire du Christ.
– La présence de Dieu ! répondit le Pape. Dites à vos jeunes qu’ils se comportent toujours avec cette pensée !… Et vous n’avez rien à me demander ? Vous désirez certainement quelque chose aussi.
– Saint-Père, Votre Sainteté a bien voulu m’accorder ce que j’ai demandé, maintenant il ne me reste plus qu’à vous remercier du fond du cœur.
– Et pourtant, et pourtant, vous désirez encore quelque chose. À ces mots Don Bosco se tenait là comme suspendu sans prononcer un mot. Le Pontife ajouta :
– Mais comment ? Vous ne désirez pas faire en sorte que vos jeunes soient joyeux, quand vous serez de retour parmi eux ?
– Sainteté, cela oui.
– Alors attendez. Quelques instants auparavant étaient entrés dans cette pièce le théologien Murialdo, le clerc Rua et don Cerutti de Varazze, chancelier à la Curie Archiépiscopale de Gênes. Ils restèrent stupéfaits de la familiarité avec laquelle le Pape traitait Don Bosco et de ce qu’ils voyaient dans cette circonstance. Le Pape avait ouvert le coffre, en avait tiré une poignée de pièces d’or et sans les compter les avait portées à Don Bosco en disant :
– Prenez et donnez ensuite un bon goûter à vos garçons. Chacun peut imaginer l’impression que fit sur Don Bosco cet acte de bonté de Pie IX. Avec une grande bienveillance le Pape s’adressait aussi aux ecclésiastiques arrivés, bénissait les chapelets, les crucifix et d’autres objets de dévotion qui lui étaient présentés, et donnait à tous une médaille souvenir.

Le défi éducatif de Don Bosco
Parmi les cardinaux à qui il voulut rendre hommage, il y avait l’Éminentissime Tosti, qui lui avait permis de parler aux jeunes de l’Hospice Saint-Michel. Celui-ci, satisfait de la courtoisie de Don Bosco, voulut l’avoir comme compagnon à l’heure de sa promenade. Ainsi tous deux montèrent en voiture. On commença à parler du système le plus adapté à l’éducation des jeunes. Don Bosco restait persuadé que les élèves de cet hospice n’avaient pas de familiarité avec les supérieurs ; au contraire, ils les craignaient ; cela ne convenait pas, car les éducateurs étaient des prêtres. C’est pourquoi il disait :
– Voyez-vous, Éminence, il est impossible d’éduquer correctement les jeunes s’ils n’ont pas confiance en leurs supérieurs.
– Mais comment, répliquait le cardinal, peut-on gagner cette confiance ?
– En faisant en sorte qu’ils s’approchent de nous, en éliminant toute cause qui les éloigne.
– Et comment peut-on faire pour les rapprocher de nous ?
– En nous approchant d’eux, en cherchant à nous adapter à leurs goûts, en nous rendant semblables à eux. Voulez-vous que nous fassions un essai ? Dites-moi : à quel endroit de Rome peut-on trouver un bon nombre de garçons ?
– À la Piazza Termini et à la Piazza del Popolo, répondit le cardinal.
– Eh bien, allons à la Piazza del Popolo.

Le cardinal donna l’ordre au cocher. À peine arrivés, Don Bosco descendit de voiture, et le prélat resta à l’observer. Ayant vu un groupe de jeunes qui jouaient, il s’approcha, mais les espiègles s’enfuirent. Alors il les appela avec de bonnes manières et ceux-ci, après quelques hésitations, s’approchèrent. Don Bosco leur offrit quelques petites choses, demanda des nouvelles de leurs familles, demanda quel jeu ils faisaient et les invita à continuer. Il s’arrêta d’abord pour les regarder, puis il commença à y participer. Alors d’autres qui observaient de loin accoururent en grand nombre des quatre coins de la place autour du prêtre, qui accueillait tous avec affection et qui avait pour chacun une bonne parole et un petit cadeau. Il demandait s’ils étaient bons, s’ils disaient les prières, s’ils allaient se confesser. Quand il voulut s’éloigner, ils le suivirent sur une bonne distance, le laissant seulement lorsqu’il remonta en voiture. Le cardinal était émerveillé.
– Avez-vous vu ?
– Vous aviez raison !
 s’exclama le cardinal […].

Les dernières visites
Les dernières visites de Don Bosco furent réservées à la Confession de Saint Pierre et aux Catacombes. Après avoir prié dans la basilique Saint-Sébastien, ayant vu deux des flèches qui blessèrent le saint tribun et la colonne à laquelle il fut attaché, il descendit dans les galeries souterraines qui abritèrent les os de milliers de martyrs, et où saint Philippe Néri passa tant de nuits en prière. Il passa ensuite aux Catacombes Saint-Calliste. Là l’attendait le chevalier Jean-Baptiste De Rossi, qui les avait découvertes, et auquel monsignor di San Marzano l’avait présenté.
Quiconque entre dans ces lieux éprouve une telle émotion, qu’elle lui reste toute sa vie. Don Bosco était absorbé dans des pensées saintes en parcourant ces souterrains, où les premiers chrétiens avaient trouvé la force nécessaire pour affronter le martyre dans la messe, les prières en commun, le chant des psaumes et des prophéties, la communion eucharistique, l’écoute des évêques et des papes. Il est impossible de contempler sans émotion ces loculi qui avaient renfermé les corps ensanglantés ou brûlés de tant de héros de la foi, les tombes de quatorze papes qui avaient donné leur vie pour témoigner de ce qu’ils enseignaient, et la crypte de sainte Cécile.

Don Bosco observait les très anciennes fresques qui représentaient Jésus-Christ et l’Eucharistie, les images du mariage de la Sainte Vierge avec saint Joseph, l’Assomption de Marie au ciel, la Mère de Dieu avec l’enfant dans les bras ou sur les genoux. Il était ravi par le sentiment de modestie qui brillait dans ces images, dans lesquelles l’art chrétien primitif avait su reproduire la beauté incomparable de l’âme et de l’idéal très élevé de la perfection morale qui doit être attribuée à la Vierge. D’autres figures de saints et de martyrs ne manquaient pas non plus. Don Bosco sortit des catacombes à 18 heures. Il y était entré à 8 heures du matin […]

Retour à la maison
Le 14 avril, Don Bosco partit de Rome avec le clerc Rua, heureux d’avoir pu jeter les bases de la Société de Saint François de Sales. […] Il prit une voiture à louer, fit une brève halte à Palo où il trouva l’aubergiste parfaitement délivré de ses fièvres : sa guérison avait été instantanée. Celui-ci n’oubliera jamais ce qui s’est passé, et vers 1875 ou 1876, arrivé à Gênes pour des raisons commerciales, il voulut continuer son voyage jusqu’à Turin. Ayant demandé et su par télégraphe que Don Bosco était à l’Oratoire, il y alla ; mais ce jour-là, il était à déjeuner chez M. Occelletti Carlo. Alors il se rendit là pour le trouver et lui faire fête sans fin. M. Occelletti se souvint toujours avec grand plaisir du récit qu’il avait entendu de cette guérison. Arrivé à Civitavecchia et ayant rendu visite au délégué pontifical, Don Bosco se rendit au port pour embarquer.

Les vagues cette fois-ci étaient calmes et le temps était beau, si bien qu’il put descendre à Livourne, s’entretenir avec quelques amis et visiter quelques églises. Ils reprirent la mer au crépuscule, et don Rua se souvient que le navire arriva au port de Gênes à l’aube d’une splendide aurore qui illuminait le magnifique panorama de cette superbe ville. Ayant à peine mis le pied sur terre, Don Bosco se rendit au collège des Artigianelli, où l’attendaient Don Montebruno et M. Giuseppe Canale. Après-midi, il monta dans le train. En traversant la ville, il éprouva une agréable surprise : lorsque les cloches sonnèrent l’Angelus, de nombreuses personnes dans les rues et sur les places se découvraient la tête, et mêmes les porteurs s’étaient levés de leurs bancs pour réciter la prière. Plus d’une fois, il raconta le fait pour l’édification de ses élèves. Il arriva à Turin le 16 avril, accueilli par les jeunes avec tant de fête et d’affection, qu’aucun père ne pourrait en souhaiter davantage de ses propres fils.




La dévotion de Don Bosco au Sacré-Cœur de Jésus

La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, chère à Don Bosco, naît des révélations faites à Sainte Marguerite-Marie Alacoque dans le monastère de Paray-le-Monial. En montrant son cœur transpercé et couronné d’épines, le Christ demanda une fête réparatrice le vendredi après l’octave de la Fête-Dieu. Malgré les oppositions, le culte s’est répandu parce que ce Cœur, siège de l’amour divin, rappelle la charité manifestée sur la croix et dans l’Eucharistie. Don Bosco invite les jeunes à l’honorer constamment, surtout pendant le mois de juin, en récitant le Rosaire et en accomplissant des actes de réparation qui obtiennent de nombreuses indulgences et les douze promesses de paix, de miséricorde et de sainteté.

                La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus grandit chaque jour davantage. Écoutez, chers jeunes, comment elle a pris naissance. Il y avait en France, dans le monastère de la Visitation de Paray-le-Monial, une humble jeune religieuse du nom de Marguerite Alacoque. Elle était chère à Dieu à cause de sa grande pureté. Un jour, pendant qu’elle adorait Jésus au Saint-Sacrement, elle vit son Époux céleste découvrir sa poitrine et lui montrer son Sacré-Cœur rayonnant de flammes, entouré d’épines, transpercé d’une blessure et surmonté d’une croix. En même temps, elle l’entendit se plaindre de l’ingratitude monstrueuse des hommes. Il lui ordonna de s’employer à ce que, le vendredi après l’octave de la Fête-Dieu, on rende un culte spécial à son Divin Cœur en réparation des offenses qu’Il reçoit dans la Sainte Eucharistie. Pleine de confusion, la pieuse jeune fille exposa à Jésus son incapacité à accomplir une si grande entreprise, mais elle fut réconfortée par le Seigneur qui l’encouragea à poursuivre son œuvre, et la fête du Sacré-Cœur de Jésus fut instituée malgré la vive opposition de ses adversaires.

                Les raisons de ce culte sont multiples : 1° Parce que Jésus-Christ nous a offert son Sacré-Cœur comme siège de ses affections ; 2° Parce qu’il est le symbole de l’immense charité dont Il a fait preuve en particulier en permettant que son Sacré-Cœur soit transpercé d’une lance ; 3° Parce que ce Cœur incite les fidèles à méditer les douleurs de Jésus-Christ et à lui professer leur reconnaissance.
                Honorons donc constamment ce Cœur divin qui mérite toute notre humble et tendre vénération en raison des nombreux et grands bienfaits qu’il nous a déjà accordés et qu’il nous accordera.

Mois de juin
                Celui qui consacre tout le mois de juin en l’honneur du Sacré-Cœur de Jésus par une prière quotidienne ou une dévotion, obtient 7 ans d’indulgences pour chaque jour et une indulgence plénière à la fin du mois.

Chapelet du Sacré-Cœur de Jésus
                Ayez l’intention de réciter ce chapelet au Divin Cœur de Jésus-Christ pour le dédommager des outrages qu’il reçoit dans la Sainte Eucharistie de la part des infidèles, des hérétiques et des mauvais chrétiens. Dites-le, seul ou avec d’autres personnes, si possible devant l’image du Divin Cœur ou devant le Saint-Sacrement :
                V. Deus, in adjutorium meum intende (Dieu, viens à mon aide).
                R. Domine ad adjuvandum me festina (Seigneur, viens vite à mon secours).
                Gloria Patri, etc.

                1. Ô Cœur très aimable de mon Jésus, j’adore humblement votre très douce amabilité, que vous manifestez d’une manière singulière dans le Saint-Sacrement envers les âmes encore pécheresses. Je regrette de vous voir ainsi ingratement récompensé, et j’ai l’intention de vous dédommager des nombreuses offenses que vous recevez dans la Sainte Eucharistie de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                2. Ô Cœur très humble de mon Jésus au Saint-Sacrement, j’adore votre profonde humilité dans la Divine Eucharistie, où vous vous cachez par amour pour nous sous les espèces du pain et du vin. Je vous en prie, mon Jésus, mettez dans mon cœur cette belle vertu. Quant à moi, je m’efforcerai de vous dédommager des offenses que vous recevez dans le Saint-Sacrement de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                3. Ô Cœur de mon Jésus, si désireux de souffrir, j’adore votre ardent désir d’aller à la rencontre de votre douloureuse Passion et de vous soumettre aux outrages que vous avez prévus au Saint-Sacrement. Ah, mon Jésus ! J’ai bien l’intention de vous en dédommager par ma propre vie ; je voudrais empêcher ces offenses que vous recevez malheureusement dans la Sainte Eucharistie de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                4. Ô Cœur très patient de mon Jésus, je vénère humblement votre patience invincible à supporter pour mon amour tant de souffrances sur la Croix et tant de tourments dans la Divine Eucharistie. Ô mon cher Jésus ! Puisque je ne peux laver de mon sang les lieux où vous avez été si maltraité dans l’un et l’autre Mystère, je vous promets, ô mon Bien Suprême, d’utiliser tous les moyens pour dédommager votre Cœur Divin des nombreux outrages que vous recevez dans la Sainte Eucharistie de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                5. Ô Cœur de mon Jésus, grand ami de nos âmes dans l’admirable institution de la Sainte Eucharistie, j’adore humblement cet amour immense que vous nous portez en nous donnant pour nourriture votre Corps divin et votre divin Sang. Quel cœur pourrait rester insensible à la vue d’une si immense charité ? Ô mon bon Jésus ! Donnez-moi des larmes abondantes pour pleurer et réparer tant d’offenses que vous recevez dans le Saint-Sacrement de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                6. Ô Cœur de mon Jésus assoiffé de notre salut, je vénère humblement cet amour ardent qui vous a poussé à accomplir le sacrifice ineffable de la Croix, le renouvelant chaque jour sur les autels dans la Sainte Messe. Est-il possible que le cœur humain ne brûle de gratitude devant un tel amour ? Oui, malheureusement, ô mon Dieu. Mais pour l’avenir, je vous promets de faire tout mon possible pour réparer les nombreux outrages que vous recevez dans ce Mystère d’amour de la part des hérétiques, des infidèles et des mauvais chrétiens.
                Pater, Ave et Gloria.

                Quiconque récitera ne serait-ce que les 6 Pater, Ave et Gloria indiqués ci-dessus devant le Saint-Sacrement, dont le dernier Pater, Ave et Gloria sera dit selon l’intention du Souverain Pontife, aura 300 jours d’indulgence à chaque fois.

Promesses faites par Jésus-Christ
à la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque pour les dévots de son Divin Cœur
                Je leur donnerai toutes les grâces nécessaires à leur état.
                Je ferai régner la paix dans leurs familles.
                Je les consolerai dans toutes leurs afflictions.
                Je serai leur refuge sûr dans la vie, mais surtout à l’heure de la mort.
                Je comblerai de bénédictions toutes leurs entreprises.
                Les pécheurs trouveront dans mon Cœur la source et l’océan infini de la miséricorde.
                Les âmes tièdes deviendront ferventes.
                Les âmes ferventes s’élèveront rapidement à une grande perfection.
                Je bénirai la maison où l’image de mon Sacré-Cœur sera exposée et honorée.
                Je donnerai aux prêtres le don de toucher les cœurs les plus endurcis.
                Le nom des personnes qui propageront cette dévotion sera inscrit dans mon Cœur et n’en sera jamais effacé.

Acte de réparation contre les blasphèmes.
                Dieu soit béni.
                Béni soit son Saint Nom.
                Béni soit Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme.
                Béni soit le nom de Jésus.
                Béni soit Jésus au Très Saint Sacrement de l’Autel.
                Béni soit son Sacré Cœur.
                Bénie soit l’Auguste Mère de Dieu, la Très Sainte Vierge Marie.
                Béni soit le nom de Marie, Vierge et Mère.
                Bénie soit sa Sainte et Immaculée Conception.
                Béni soit Dieu dans ses Anges et dans ses Saints.
                Une indulgence d’un an est accordée chaque fois : l’indulgence plénière à celui qui la récite pendant un mois, le jour où il fera la confession et la communion.

Offrande au Sacré-Cœur de Jésus devant sa sainte Image
                Moi, NN., pour marquer ma reconnaissance et pour réparer mes infidélités, je vous donne mon cœur et je me consacre entièrement à vous, mon aimable Jésus, et avec votre aide, je me propose de ne plus pécher.

                Le Pape Pie VII a accordé cent jours d’indulgence, une fois par jour, à qui la récite avec un cœur contrit, et une indulgence plénière une fois par mois à qui la récitera tous les jours.

Prière au Sacré-Cœur de Marie
                Je vous salue, très auguste Reine de la paix, Mère de Dieu. Par le Sacré Cœur de votre Fils Jésus, Prince de la paix, faites que sa colère s’apaise et qu’il règne sur nous dans la paix. Souvenez-vous, ô très pieuse Vierge Marie, qu’on n’a jamais entendu dire que vous avez rejeté ou abandonné quelqu’un qui implorait vos faveurs. Animé de cette confiance, je me présente à vous : ne méprisez pas mes prières, ô Mère du Verbe Éternel, mais écoutez-les favorablement et exaucez-les, ô clémente, ô miséricordieuse, ô douce Vierge Marie.

                Pie IX a accordé une indulgence de 300 jours chaque fois qu’on récitera cette prière avec dévotion, et une indulgence plénière une fois par mois à ceux qui l’auront récitée chaque jour.

Ô Jésus, brûlant d’amour,
                Si seulement je ne t’avais jamais offensé !
                Ô mon doux et bon Jésus,
                Je ne veux plus t’offenser.

Sacré Cœur de Marie,
                Fais que je sauve mon âme.
                Sacré Cœur de mon Jésus,
                Fais que je t’aime toujours plus.

                Je vous donne mon cœur,
                Mère de mon Jésus – Mère de l’amour.

(Source: « Il Giovane Provveduto per la pratica de’ suoi doveri negli esercizi di cristiana pietà per la recita dell’Uffizio della b. Vergine dei vespri di tutto l’anno e dell’uffizio dei morti coll’aggiunta di una scelta di laudi sacre, pel sac. Giovanni Bosco, 101a edizione, Torino, 1885, Tipografia e Libreria Salesiana, S. Benigno Canavese – S. Pier d’Arena – Lucca – Nizza Marittima – Marsiglia – Montevideo – Buenos-Aires », pp. 119-124 [Opere Edite, pp. 247-253])

Photo : Statue du Sacré-Cœur en bronze doré sur le clocher de la Basilique du Sacré-Cœur à Rome, don des anciens élèves salésiens d’Argentine. Érigée en 1931, c’est une œuvre réalisée à Milan par Riccardo Politi d’après un projet du sculpteur Enrico Cattaneo de Turin.




Don Bosco assiste à un conciliabule de démons (1884)

Les pages qui suivent nous plongent au cœur de l’expérience mystique de Saint Jean Bosco, à travers deux rêves saisissants qu’il a eus entre septembre et décembre 1884. Dans le premier, le Saint traverse la plaine vers Castelnuovo avec un personnage mystérieux et médite sur la rareté des prêtres, avertissant que seul un travail acharné, l’humilité et la moralité peuvent faire éclore de véritables vocations. Dans le second cycle onirique, Bosco assiste à un concile infernal : des démons monstrueux complotent pour anéantir la Congrégation Salésienne naissante, en répandant la gourmandise, la soif de richesses, la liberté sans obéissance et l’orgueil intellectuel. Entre présages de mort, menaces internes et signes de la Providence, ces rêves deviennent un miroir dramatique des luttes spirituelles qui attendent chaque éducateur et l’Église entière, offrant à la fois de sévères avertissements et de lumineuses espérances.

            Les deux rêves que Don Bosco a eus en septembre et en décembre sont riches d’enseignements.

            Le premier, qu’il a eu dans la nuit du 29 au 30 septembre, est une leçon pour les prêtres. Il lui a semblé qu’il se dirigeait vers Castelnuovo à travers une plaine ; un vénérable prêtre, dont il dit ne plus se souvenir du nom, marchait à ses côtés. L’entretien tomba sur les prêtres. – Travail, travail, travail ! disaient-ils : voilà le but et la gloire des prêtres. Ne jamais se lasser de travailler. Ainsi, combien d’âmes seraient sauvées ! Combien de choses on pourrait faire pour la gloire de Dieu ! Si le missionnaire faisait vraiment le missionnaire, si le curé faisait vraiment le curé, combien de merveilles de sainteté resplendiraient de toutes parts ! Mais malheureusement beaucoup ont peur de travailler et préfèrent leurs commodités…
            Pendant qu’ils faisaient entre eux ces raisonnements, ils arrivèrent à un endroit appelé Filippelli. Alors Don Bosco commença à se lamenter sur l’actuel manque de prêtres.
            – C’est vrai, répondit l’autre, il y a une pénurie de prêtres, mais si tous les prêtres étaient prêtres, il y en aurait suffisamment. Combien de prêtres ne font rien pour le ministère ! Les uns ne font que le prêtre de famille ; d’autres, par timidité, sont oisifs, alors que s’ils se mettaient dans le ministère, s’ils se présentaient à l’examen de confession, ils rempliraient un grand vide dans les rangs de l’Église… Dieu proportionne les vocations en fonction des besoins. Quand vint le service militaire des clercs, tous commencèrent à s’effrayer, comme si personne ne voulait plus devenir prêtre ; mais quand les imaginations se calmèrent, on vit que les vocations augmentaient au lieu de diminuer.
            – Et maintenant, demanda Don Bosco, que faut-il faire pour promouvoir les vocations parmi les jeunes ?
            – Rien d’autre, répondit son compagnon, que de cultiver jalousement la moralité parmi eux. La moralité est le terreau des vocations.
            – Et que doivent surtout faire les prêtres pour que leur vocation porte du fruit ?
            – Presbyter discat domum suam regere et sanctificare. (Le prêtre doit apprendre à gouverner et à sanctifier sa maison). Que chacun soit un exemple de sainteté dans sa famille et dans sa paroisse. Pas d’excès dans la nourriture et dans les soucis temporels… Qu’il soit avant tout un modèle dans sa maison et il sera ensuite le premier à l’extérieur.
            À un certain endroit de la route, le prêtre demanda à Don Bosco où il allait ; Don Bosco indiqua Castelnuovo. Alors il le laissa aller et resta avec un groupe de personnes qui le précédaient. Après quelques pas, Don Bosco se réveilla. Dans ce rêve, nous pouvons voir un souvenir des promenades d’autrefois dans ces lieux.

Prédiction de la mort de certains salésiens
            Le deuxième rêve a trait à la Congrégation et met en garde contre les dangers qui pourraient menacer son existence. En fait, plus qu’un rêve, il s’agit d’un argument développé au cours d’une succession de rêves.
            Dans la nuit du 1er décembre, le clerc Viglietti fut réveillé par des cris déchirants provenant de la chambre de Don Bosco. Il saute immédiatement du lit et écoute. Don Bosco, d’une voix étouffée par les sanglots, s’écrie :
            – Oh ! oh ! à l’aide ! à l’aide !
            Viglietti entra sans plus attendre et lui dit :
            – Oh ! Don Bosco, vous vous sentez mal ?
            – Oh ! Viglietti, répondit-il en se réveillant, non, je ne suis pas malade, mais je ne pouvais plus respirer, tu sais. Mais ça suffit, retourne tranquillement dans ton lit et dors.
            Le matin, quand Viglietti lui apporta comme d’habitude le café après la messe, il lui dit :
            – Oh ! Viglietti, je n’en peux plus, j’ai l’estomac tout retourné à cause des cris de cette nuit. Cela fait quatre nuits consécutives que je fais des rêves qui me forcent à crier et m’épuisent à l’excès. Il y a quatre nuits, j’ai vu une longue file de salésiens qui allaient tous l’un après l’autre, chacun portant une perche, au sommet de laquelle il y avait une pancarte et sur la pancarte un numéro imprimé. On pouvait lire 73 sur l’un, 30 sur l’autre, 62 sur un troisième, et ainsi de suite. Après de nombreux passages de salésiens, la lune apparut dans le ciel, et dans la lune, à mesure qu’un salésien apparaissait, on pouvait voir un nombre qui n’était jamais supérieur à 12, suivi de plusieurs points noirs. Tous les salésiens que j’avais vus allèrent s’asseoir chacun sur une tombe préparée à cet effet.
            Voici l’explication de ce spectacle. Le nombre inscrit sur les pancartes était le nombre d’années de vie destinées à chacun ; l’apparition de la lune sous différentes formes et phases indiquait le dernier mois de vie ; les points noirs étaient les jours du mois au cours duquel ils allaient mourir. Parfois, il en voyait plusieurs réunis en groupes : c’étaient ceux qui devaient mourir ensemble, le même jour. S’il avait voulu raconter en détail tous les incidents et circonstances, il dit qu’il lui aurait fallu au moins une bonne dizaine de jours.

Il assiste à un conciliabule de démons
            Il y a trois nuits, poursuit-il, j’ai encore eu un rêve. Je vais te le raconter brièvement. Il m’a semblé que j’étais dans une grande salle, où des démons en grand nombre tenaient une conférence et discutaient de la manière d’exterminer la Congrégation salésienne. Ils ressemblaient à des lions, à des tigres, à des serpents et à d’autres bêtes, mais leur figure était comme indéterminée et faisait penser plutôt à la figure humaine. Ils ressemblaient à des ombres qui s’abaissaient et se relevaient, se raccourcissaient et s’étiraient, comme le feraient de nombreux corps s’ils avaient derrière eux une lampe placée d’un côté ou de l’autre, tantôt abaissée vers le sol, tantôt relevée. Mais cette fantasmagorie inspirait un sentiment de terreur.
            Et voici que l’un des démons s’avance et ouvre la séance. Pour détruire la Pieuse Société, il propose un moyen : la gourmandise. Il montra les conséquences de ce vice : inertie, corruption des mœurs, scandale, absence d’esprit de sacrifice, absence de souci de la jeunesse… Mais un autre démon lui répondit :
            – Ton moyen n’est ni universel ni efficace, parce qu’on ne peut pas attaquer ainsi tous les membres à la fois, parce que la table des religieux sera toujours frugale et le vin mesuré ; la Règle fixe leur nourriture ordinaire et les Supérieurs surveillent pour prévenir le désordre. Ceux qui exagèrent quelquefois dans le boire et le manger, au lieu de scandaliser, seraient plutôt repoussés. Non, ce n’est pas là l’arme pour combattre les salésiens. Je propose un autre moyen, qui sera plus efficace et qui atteindra mieux notre but : l’amour des richesses. Dans une Congrégation religieuse, quand l’amour des richesses s’en mêle, l’amour du confort s’en mêle aussi, on cherche par tous les moyens à avoir un pécule, le lien de la charité est rompu, chacun pense à soi, on néglige les pauvres pour ne s’occuper que des plus fortunés, on vole à la Congrégation…
            Il voulait continuer, mais un troisième démon surgit, qui s’exclama :
            – Mais quoi ? La gourmandise ! Les richesses ! Chez les salésiens, l’amour des richesses ne peut vaincre que peu de personnes. Ils sont tous pauvres, les salésiens, ils ont peu d’occasions d’acquérir un pécule. En général, ils sont ainsi faits et leurs besoins pour tant de jeunes et tant de maisons sont si grands que toute somme, même importante, serait vite dépensée. Ils n’ont pas la possibilité d’amasser des trésors. Moi, j’ai un moyen infaillible pour nous approprier la Société Salésienne, c’est la liberté. Pousser les salésiens à mépriser les Règles, à rejeter certaines charges comme lourdes et déshonorantes, les pousser à s’opposer à leurs supérieurs d’opinions différentes, à aller chez eux sous prétexte d’invitations et autres choses du même genre.
            Pendant que les démons parlementaient, Don Bosco pensait : – Je fais attention, vous savez, à ce que vous dites. Parlez, parlez, pour que je puisse déjouer vos complots.
            Enfin un quatrième démon se leva d’un bond en criant :
            – Mais qu’est-ce que vous dites ! Vos armes sont cassées ! Les Supérieurs sauront freiner cette liberté, ils chasseront des maisons tous ceux qui oseront se montrer rebelles contre les Règles. Certains se laisseront peut-être emporter par l’amour de la liberté, mais la grande majorité s’en tiendra à son devoir. Moi, j’ai un moyen adapté pour tout détruire à partir des fondations, un moyen tel que les salésiens pourront difficilement en être préservés ; ce sera vraiment un défaut à la racine. Ecoutez-moi bien. Il faut les persuader que la science devra être leur gloire principale. Incitez-les donc à étudier beaucoup pour eux-mêmes, pour acquérir la renommée, et à ne pas mettre en pratique ce qu’ils apprennent, à ne pas faire usage de la science pour le bien d’autrui. D’où l’ostentation des connaissances devant les ignorants et les pauvres, la paresse dans le ministère sacré. Plus d’oratoires festifs, plus de catéchismes aux enfants, plus de petites classes pour instruire les enfants pauvres et abandonnés, plus de longues heures au confessionnal. Ils se contenteront de prêcher, mais rarement, et de façon stérile, parce qu’ils le feront par orgueil, pour avoir la louange des hommes et non pour sauver les âmes.
            Sa proposition fut accueillie par un applaudissement général. Don Bosco entrevit alors le jour où les salésiens se laisseraient aller à croire que le bien de la Congrégation et son honneur consisteraient uniquement dans le savoir, et il craignit que non seulement ils pratiquent cette façon de voir, mais qu’ils prêchent haut et fort qu’il doit en être ainsi.
            Don Bosco se tenait de nouveau dans un coin de la pièce, écoutant et observant tout, lorsqu’un des démons le découvrit et, en criant, le désigna aux autres. À ce cri, ils se précipitèrent tous sur lui en criant :
            – Nous allons en finir ! C’était une bacchanale infernale de spectres qui le heurtaient, le saisissaient par les bras et par le corps, et il criait : Lâchez-moi ! Au secours ! – Enfin, il se réveilla, l’estomac retourné par tant de cris.

Lions, tigres et monstres déguisés en agneaux
            La nuit suivante, il se rendit compte que le diable avait attaqué les salésiens sur leur point le plus essentiel, les poussant à transgresser les Règles. Parmi eux il vit distinctement devant lui ceux qui les observaient et ceux qui ne les observaient pas.
            La dernière nuit, le rêve avait été effrayant. Don Bosco vit un grand troupeau d’agneaux et de brebis représentant les salésiens. Il s’approcha, essayant de caresser les agneaux ; mais il s’aperçut que leur laine, au lieu d’être de la laine d’agneau, ne servait que de couverture, cachant des lions, des tigres, des chiens enragés, des porcs, des panthères, des ours, et chacun avait sur les flancs un monstre laid et féroce. Au milieu du troupeau se tenaient quelques-uns réunis en conseil. Sans se faire remarquer, Don Bosco s’approcha d’eux pour écouter ce qu’ils disaient : ils étaient en train de comploter pour détruire la Congrégation salésienne. L’un d’eux dit :
            – Il faut massacrer les salésiens.
            Et un autre ajouta en ricanant :
            – Il faut les étrangler.
            Mais au milieu de tout cela, l’un d’entre eux vit Don Bosco qui écoutait tout près. Il donna l’alerte et tous crièrent d’une seule voix qu’il fallait commencer par Don Bosco. Cela dit, ils se précipitèrent sur lui comme pour l’étrangler. C’est alors qu’il poussa le cri qui réveilla Viglietti. En plus de cette violence diabolique il y avait autre chose qui oppressait son esprit : il avait vu une grande pancarte déployée sur ce troupeau, où l’on pouvait lire : BESTIIS COMPARATI SUNT (ils sont comparés à des bêtes). Après avoir raconté cela, il baissa la tête et pleura.
            Viglietti lui prit la main et la serra contre son cœur :
            – Ah ! Don Bosco, lui dit-il, nous serons toujours pour vous des fils fidèles et bons, n’est-ce pas, avec l’aide de Dieu ?
            – Cher Viglietti, répondit-il, sois bon et prépare-toi à voir les événements. Je t’ai un peu parlé de ces rêves ; si je devais tout te raconter en détail, j’en aurais pour longtemps. Que de choses j’ai vues ! Il y en a dans nos maisons qui ne feront plus jamais la neuvaine de Noël. Oh, si je pouvais parler aux jeunes, si j’avais la force de m’entretenir avec eux, si je pouvais faire le tour des maisons, faire ce que je faisais autrefois, révéler à chacun l’état de sa conscience, tel que je l’ai vu en rêve, et dire à certains : Brise la glace, fais une fois une bonne confession ! Ils me répondraient : Mais moi je me suis bien confessé ! Je pourrais au contraire leur répondre en leur disant ce qu’ils ont tu pour qu’ils n’osent plus ouvrir la bouche. Même certains salésiens, si je pouvais arriver à leur dire un mot, verraient la nécessité de s’amender en refaisant leur confession. J’ai vu ceux qui observaient les Règles et ceux qui ne les observaient pas. J’ai vu beaucoup de jeunes qui allaient à San Benigno, deviendront salésiens puis feront défection. Il y aura aussi des transfuges parmi ceux qui sont déjà salésiens. Il y en aura qui voudront surtout la science qui gonfle, qui leur procure les louanges des hommes et qui leur fait mépriser les conseils de ceux qu’ils croient inférieurs à eux au niveau du savoir…
            À ces pensées angoissantes se mêlaient des consolations providentielles qui lui réjouissaient le cœur. Le soir du 3 décembre, l’évêque de Para, le pays central dans le rêve des Missions, arrivait à l’Oratoire. Le lendemain, il dit à Viglietti :
            – Comme elle est grande, la Providence ! Ecoute, et dis-moi si nous ne sommes pas protégés par Dieu. Don Albera m’écrivait qu’il ne pouvait plus tenir et qu’il avait besoin de mille francs immédiatement ; le même jour, une dame de Marseille, qui désirait ardemment revoir son frère religieux à Paris, heureuse d’avoir obtenu une grâce de la Vierge, apportait au P. Albera mille francs. L’abbé Ronchail est en grande difficulté et a absolument besoin de quatre mille francs ; une dame écrit aujourd’hui même à Don Bosco pour mettre quatre mille francs à sa disposition. Don Dalmazzo ne sait plus où donner de la tête pour avoir de l’argent ; aujourd’hui une dame donne une somme très importante pour l’église du Sacré-Cœur. – Et puis, le 7 décembre, ce fut la joie de la consécration épiscopale de Mgr Cagliero. Tous ces faits étaient d’autant plus encourageants qu’ils étaient des signes visibles de la main de Dieu dans l’œuvre de son Serviteur.
(MB XVII 383-389)