Don Elia Comini : prêtre martyr à Monte Sole

Le 18 décembre 2024, le pape François a officiellement reconnu le martyre de don Elia Comini (1910-1944), Salésien de Don Bosco, qui sera donc béatifié. Son nom s’ajoute à celui d’autres prêtres – comme don Giovanni Fornasini, déjà Bienheureux depuis 2021 – qui ont été victimes des violences nazies dans la région de Monte Sole, sur les collines bolognaises, pendant la Seconde Guerre mondiale. La béatification de don Elia Comini n’est pas seulement un événement d’une importance extraordinaire pour l’Église bolognaise et la Famille Salésienne, mais constitue également un appel universel à redécouvrir la valeur du témoignage chrétien, un témoignage dans lequel la charité, la justice et la compassion prévalent sur toute forme de violence et de haine.

De l’Apennin aux cours salésiennes
            Don Elia (Élie) Comini naît le 7 mai 1910 à « Madonna del Bosco » à Calvenzano di Vergato, dans la province de Bologne. Sa maison natale est contiguë à un petit sanctuaire marial, dédié à la « Madonna del Bosco », et cette forte empreinte mariale l’accompagnera toute sa vie.
            Il est le deuxième enfant de Claudio et Emma Limoni, qui se sont mariés à l’église paroissiale de Salvaro, le 11 février 1907. L’année suivante est né leur premier enfant, Amleto. Deux ans plus tard, Elia voit le jour. Baptisé le jour suivant sa naissance – le 8 mai – à la paroisse Sant’Apollinare de Calvenzano, Elia reçoit ce jour-là également les noms de « Michele » et « Giuseppe ».
            À l’âge de sept ans, la famille déménage à « Casetta » de Pioppe di Salvaro dans la commune de Grizzana. En 1916, Elia commence l’école et fréquente les trois premières classes de l’école primaire à Calvenzano. À cette époque, il fait également sa Première Communion. Encore jeune, il se montre très assidu au catéchisme et aux célébrations liturgiques. Il reçoit la Confirmation le 29 juillet 1917. Entre 1919 et 1922, Elia apprend les premiers éléments de pastorale à l’ »école du feu » de Mgr Fidenzio Mellini, qui, étant jeune, avait connu don Bosco, qui lui avait prophétisé le sacerdoce. Aussi, en 1923, don Mellini oriente Elia et son frère Amleto vers les Salésiens de Finale Emilia, et tous deux tireront profit du charisme pédagogique du saint des jeunes, Amleto en tant qu’enseignant et « entrepreneur » dans le domaine de l’école ; Elia en tant que Salésien de Don Bosco.
            Novice à partir du 1er octobre 1925 à San Lazzaro di Savena, Elia Comini devient orphelin à la mort de son père le 14 septembre 1926, à quelques jours (3 octobre 1926) de sa Première Profession religieuse qu’il renouvellera jusqu’à la Perpétuelle, le 8 mai 1931, anniversaire de son baptême, à l’Institut « San Bernardino » de Chiari. C’est également à Chiari qu’il fera son stage pratique à l’Institut Salésien « Rota ». Il reçoit le 23 décembre 1933 les ordres mineurs de portier et de lecteur ; ceux d’exorciste et d’acolyte le 22 février 1934. Il est sous-diacre le 22 septembre 1934. Ordonné diacre dans la cathédrale de Brescia le 22 décembre 1934, don Elia est consacré prêtre par l’imposition des mains de l’Évêque de Brescia, Mgr Giacinto Tredici, le 16 mars 1935, à seulement 24 ans. Le lendemain, il célèbre sa Première Messe à l’Institut salésien « San Bernardino » de Chiari. Le 28 juillet 1935, il fêtera son sacerdoce avec une Messe à Salvaro.
            Inscrit à la faculté de Lettres Classiques et de Philosophie de l’ancienne Regia Università de Milan, il est toujours très apprécié des élèves, tant comme enseignant que comme père et guide spirituel. Son caractère, sérieux mais sans rigidité, lui vaut estime et confiance. Don Elia est également un fin musicien et humaniste, qui apprécie et sait faire apprécier les « choses belles ». Dans les compositions écrites, beaucoup de ses élèves, tout en faisant leurs devoirs, trouvent naturel d’ouvrir leur cœur à don Elia, lui fournissant ainsi l’occasion de les accompagner et de les orienter. De don Elia « Salésien », on dira qu’il était comme la poule avec ses poussins (« On lisait sur leur visage toute la joie de l’écouter ; ils semblaient une couvée de poussins autour de la mère poule ») : tous proches de lui ! Cette image rappelle celle de Mt 23,37 et exprime son aptitude à rassembler les gens pour les réjouir et les protéger.
            Don Elia obtient son diplôme le 17 novembre 1939 en Lettres Classiques avec une thèse sur le De resurrectione carnis de Tertullien, sous la direction du professeur Luigi Castiglioni (latiniste de renom et co-auteur d’un célèbre dictionnaire de latin, le « Castiglioni-Mariotti »). En commentant les mots « resurget igitur caro », Elia comprend qu’il s’agit du chant de victoire après une bataille longue et épuisante.

Un voyage sans retour
            Lorsque son frère Amleto déménage en Suisse, laissant sa mère Emma Limoni seule dans l’Apennin, don Elia, en pleine entente avec les Supérieurs, lui consacrera chaque année ses vacances. Lorsqu’il rentrait chez lui, il aidait sa mère mais comme prêtre il se rendait avant tout disponible dans la pastorale locale, en accompagnant Mgr Mellini.
            En accord avec ses Supérieurs et en particulier avec le Provincial, don Francesco Rastello, don Elia retourne à Salvaro également durant l’été 1944. Cette année-là, il espère pouvoir éloigner sa mère d’une zone où la présence à courte distance de forces Alliées, de Partisans et d’effectifs nazi-fascistes constituait une situation de risque particulier. Don Elia est conscient du danger qu’il court en laissant sa Treviglio pour se rendre à Salvaro. Un de ses confrères, don Giuseppe Bertolli, se souvient : « En le saluant, je lui ai dit qu’un voyage comme le sien pourrait aussi être sans retour ; je lui ai aussi demandé, bien sûr en plaisantant, ce qu’il me laisserait s’il ne revenait pas ; il m’a répondu sur le même ton, qu’il me laisserait ses livres… ; puis je ne l’ai plus jamais revu ». Don Elia était déjà conscient de se diriger vers « l’œil du cyclone ». Il ne chercha pas dans la maison salésienne (où il aurait facilement pu rester) une forme de protection : « Le dernier souvenir que j’ai de lui remonte à l’été 1944, lorsque, en raison de la guerre, la Communauté a commencé à se dissoudre. J’entends encore les bons mots que je lui adressais, presque en plaisantant, pour lui rappeler qu’en cette sombre période qui s’annonçait, il devrait se sentir privilégié, car sur le toit de l’Institut, une croix blanche avait été tracée et personne n’aurait eu le courage de le bombarder. Mais lui, comme un prophète, me répondit de faire bien attention, car pendant les vacances, j’aurais pu lire dans les journaux que Don Elia Comini était mort héroïquement dans l’accomplissement de son devoir ». « L’impression du danger auquel il s’exposait était vive chez tous », a commenté un confrère.
            Pendant le voyage vers Salvaro, don Comini s’arrête à Modène, où il se blesse gravement à une jambe, selon une reconstruction, en s’interposant entre un véhicule et un passant, évitant ainsi un accident plus grave ; selon une autre, en aidant un homme à pousser un chariot. Quoi qu’il en soit, ce fut pour avoir secouru son prochain. Dietrich Bonhoeffer a écrit : « Quand un fou lance sa voiture sur le trottoir, je ne peux pas me contenter, en tant que pasteur, d’enterrer les morts et de consoler les familles. Si je me trouve à cet endroit, je dois sauter et saisir le conducteur à son volant ».
            En ce sens, l’épisode de Modène révèle chez don Elia un comportement qui se manifestera encore bien mieux à Salvaro, dans les mois suivants : s’interposer, servir de médiateur, intervenir personnellement, exposer sa propre vie pour ses frères, toujours conscient du risque que cela implique et sereinement disposé à en payer les conséquences.

Un pasteur sur le front de guerre
            Boitant, il arrive à Salvaro au soir du 24 juin 1944, appuyé comme il peut sur une canne, instrument inhabituel pour un jeune de 34 ans ! Il trouve la cure transformée. Mgr Mellini y accueille des dizaines de personnes, appartenant à des familles de déplacés, ainsi que les 5 religieuses Ancelles du Sacré-Cœur, responsables de la crèche, dont sœur Alberta Taccini. Âgé, fatigué et secoué par les événements de guerre, cet été-là, Mgr Fidenzio Mellini a du mal à décider, il est devenu plus fragile et incertain. Don Elia, qui le connaît depuis l’enfance, commence à l’aider en tout et prend un peu en main la situation. La blessure à la jambe l’empêche également d’évacuer sa mère. Don Elia reste à Salvaro et, lorsqu’il peut à nouveau bien marcher, les nouvelles conditions et les besoins pastoraux croissants feront qu’il reste sur place.
            Don Elia revitalise la pastorale, suit le catéchisme, s’occupe des orphelins abandonnés à eux-mêmes. Il accueille également les déplacés, encourage les craintifs, modère les imprudents. La présence de don Elia devient un facteur d’unité, un bon signe dans ces moments dramatiques où les relations humaines sont déchirées par des soupçons et des oppositions. Il met au service de toutes les personnes ses capacités d’organisateur et son intelligence pratique acquises au cours d’années de vie salésienne. Il écrit à son frère Amleto : « Certes, ce sont des moments dramatiques, et des moments pires sont à prévoir. Espérons tout dans la grâce de Dieu et dans la protection de la Vierge, que vous devez invoquer pour nous. J’espère pouvoir vous donner encore de nos nouvelles ».
            Les Allemands de la Wehrmacht occupent la zone et, sur les hauteurs, se trouve la brigade des partisans « Stella Rossa ». Don Elia Comini reste une figure étrangère à toute revendication ou esprit partisan : c’est un prêtre et il fait valoir des exigences de prudence et de pacification. Aux partisans, il disait : « Regardez ce que vous faites, les gars, car vous ruinez la population… », ce qui l’exposait à des représailles. Ils le respectent et, en juillet et septembre 1944, ils demanderont des Messes dans la paroisse de Salvaro. Don Elia accepte, fait descendre les partisans et célèbre sans se cacher, mais il évite de monter dans le refuge des partisans, préférant – comme il le fera toujours cet été-là – rester à Salvaro ou dans des zones limitrophes, sans se cacher ni glisser dans des attitudes « ambiguës » aux yeux des nazi-fascistes.
            Le 27 juillet, don Elia Comini écrit les dernières lignes de son Journal spirituel : « 27 juillet. Je me trouve vraiment au milieu de la guerre. J’ai la nostalgie de mes confrères et de ma maison de Treviglio ; si je pouvais, j’y retournerais demain ».
            Depuis le 20 juillet, il vivait en fraternité sacerdotale avec le père Martino Capelli, Dehonien, né le 20 septembre 1912 à Nembro dans la province de Bergame, professeur d’Écriture Sainte auparavant à Bologne, lui aussi hôte de Mgr Mellini et auxiliaire en pastorale.
            Elia et Martino sont deux hommes adonnés à l’étude des langues anciennes qui doivent maintenant s’occuper de choses pratiques et matérielles. La cure de Mgr Mellini devient ce que Mgr Luciano Gherardi a ensuite appelé « la communauté de l’arche », une maison qui accueille pour sauver. Le père Martino était un religieux qui s’était enflammé en entendant parler des martyrs mexicains et aurait souhaité être missionnaire en Chine. Elia, depuis son jeune âge, est poursuivi par une étrange conviction de « devoir mourir ». Déjà à 17 ans, il avait écrit : « La pensée qui persiste toujours en moi est que je dois mourir ! – Qui sait ?! Faisons comme le serviteur fidèle : toujours prêt à l’appel, à “reddere rationem” de la gestion ».
            Le 24 juillet, don Elia commence le catéchisme pour les enfants en préparation aux premières communions, prévues pour le 30 juillet. Le 25, une petite fille naît dans le baptistère (tous les espaces, de la sacristie au poulailler, étaient bondés) et on accroche un ruban rose.
            Pendant tout le mois d’août 1944, des soldats de la Wehrmacht stationnent près de la cure de Mgr Mellini et sur la place. La tension entre Allemands, personnes déplacées et consacrés pouvait éclater à tout moment. Don Elia sert de médiateur et intervient même pour de petites choses, par exemple en faisant « amortisseur » entre le volume trop élevé de la radio des Allemands et la patience désormais trop courte de Mgr Mellini. On récita aussi un peu de chapelet tous ensemble. Don Angelo Carboni confirme : « Dans l’intention toujours de réconforter Monseigneur, don Elia s’efforça beaucoup contre la résistance d’une compagnie d’Allemands qui, s’étant installés à Salvaro le 1er août, voulait occuper différents espaces de la cure en enlevant toute liberté et commodité aux familles et déplacés hébergés là. Quand les Allemands se furent installés dans le bureau de Monseigneur, les voilà de nouveau à déranger et à occuper avec leurs chars une bonne partie de la place de l’Église. Grâce à ses bons offices et à ses paroles persuasives, don Elia obtint aussi cette autre libération au grand soulagement de Monseigneur, que l’oppression due à la lutte continuelle avait contraint au repos ». Pendant ces semaines, le prêtre salésien est ferme dans la protection du droit de Mgr Mellini à se déplacer avec une certaine aisance dans sa propre maison, et de celui des réfugiés à ne pas être éloignés de la cure. Cependant, il reconnaît certaines exigences des hommes de la Wehrmacht et cela attire leur bienveillance envers Mgr Mellini que les soldats allemands apprendront à appeler le bon pasteur. Don Elia obtient des Allemands de la nourriture pour les réfugiés. De plus, il chante pour calmer les enfants et raconte des épisodes de la vie de don Bosco. Durant cet été marqué par des meurtres et des représailles, certains civils parviennent même avec don Elia à aller écouter un peu de musique, manifestement diffusée par l’appareil des Allemands, et à communiquer avec les soldats par des signes. Don Rino Germani sdb, vice-postulateur de la Cause, affirme : « Entre les deux forces en lutte s’insère l’œuvre infatigable et médiatrice du Serviteur de Dieu. Quand il le faut, il se présente au Commandement allemand et grâce à son éducation et à sa préparation, il parvient à gagner l’estime de quelques officiers. C’est ainsi qu’il obtient plusieurs fois d’éviter des représailles, des pillages et des deuils ».
            Libérée de la présence fixe de la Wehrmacht le 1er septembre 1944 – « Le 1er septembre, les Allemands laissèrent libre la zone de Salvaro, seuls quelques-uns restèrent encore quelques jours dans la maison Fabbri » – les gens de Salvaro peuvent pousser un soupir de soulagement. Don Elia Comini persévère entre-temps dans ses initiatives apostoliques, aidé par les autres prêtres et les sœurs. Alors que le père Martino accepte des invitations à prêcher ailleurs et va en montagne, où ses cheveux blonds lui causent de gros ennuis avec les partisans qui le soupçonnent d’être Allemand, don Elia reste essentiellement sédentaire. Le 8 septembre, il écrit au directeur salésien de la Maison de Treviglio : « Je te laisse imaginer notre état d’esprit en ce moment. Nous avons traversé des journées très sombres et dramatiques. […] Ma pensée est toujours avec toi et avec les chers confrères de là-bas. Je ressens une vive nostalgie […] ».
            Le 11, il prêche la retraite aux Sœurs sur le thème des fins dernières, des vœux religieux et de la vie du Seigneur Jésus. Toute la population, a déclaré une religieuse, aimait Don Elia, surtout parce qu’il n’hésitait pas à se dépenser pour tous et à tout moment. Il ne demandait pas seulement aux gens de prier, mais il était pour eux un exemple de piété et aussi d’apostolat dans la mesure où il pouvait l’exercer, compte tenu des circonstances.
            L’expérience de la retraite imprime à toute la semaine une dynamique différente et implique transversalement les personnes consacrées et les laïcs. Le soir, en effet, don Elia rassemblait 80-90 personnes : on cherchait à abaisser la tension avec un peu de joie, le bon exemple et la charité. Pendant tous ces mois, lui et le père Martino, avec d’autres prêtres, en particulier don Giovanni Fornasini, se trouvaient en première ligne dans de nombreuses œuvres de charité.

Le massacre de Montesole
            La tuerie la plus effroyable et la plus grande commise par les SS nazis en Europe, au cours de la guerre de 1939-1945, est celle qui s’est déroulée autour de Monte Sole, dans les communes de Marzabotto, Grizzana Morandi et Monzuno, bien qu’elle soit communément connue sous le nom de « massacre de Marzabotto ».
            Entre le 29 septembre et le 5 octobre 1944, les morts furent 770, mais au total, les victimes des Allemands et des fascistes, du printemps 1944 à la libération, furent 955, réparties dans 115 localités différentes à l’intérieur d’un vaste territoire comprenant les communes de Marzabotto, Grizzana et Monzuno et certaines portions des communes voisines. Parmi ces victimes, 216 étaient des enfants, 316 des femmes, 142 des personnes âgées, 138 des victimes reconnues comme des partisans, cinq des prêtres, dont la faute aux yeux des Allemands consistait à avoir été proches, par la prière et l’aide matérielle, de toute la population de Monte Sole pendant les tragiques mois de guerre et d’occupation militaire. Avec don Elia Comini, Salésien, et le père Martino Capelli, Dehonien, trois prêtres de l’Archidiocèse de Bologne furent également tués durant ces jours tragiques : don Ubaldo Marchioni, don Ferdinando Casagrande, don Giovanni Fornasini. Pour tous les cinq, la Cause de Béatification et de Canonisation est en cours. Don Giovanni, l’“Ange de Marzabotto”, tomba le 13 octobre 1944. Il avait vingt-neuf ans et son corps resta sans sépulture jusqu’en 1945, lorsqu’il fut retrouvé tout martyrisé ; il a été béatifié le 26 septembre 2021. Don Ubaldo mourut le 29 septembre, tué par une mitrailleuse sur la marche de l’autel de son église de Casaglia ; il avait 26 ans, ayant été ordonné prêtre deux ans auparavant. Les soldats allemands le trouvèrent, lui et la communauté, en train de prier le chapelet. Il fut tué là, aux pieds de l’autel ; les autres – plus de 70 – dans le cimetière voisin. Don Ferdinando fut tué, le 9 octobre, d’une balle dans la nuque, avec sa sœur Giulia ; il avait 26 ans.

De la Wehrmacht aux SS
            Le 25 septembre, la Wehrmacht quitte la zone et cède le commandement aux SS du 16e Bataillon de la Seizième Division Blindée “Reichsführer – SS”, une Division qui inclut des éléments SS “Totenkopf – Tête de mort” et était précédée d’une traînée de sang. Elle a été présente à Sant’Anna di Stazzema (Lucca) le 12 août 1944 ; à San Terenzo Monti (Massa-Carrara, en Lunigiana) le 17 de ce mois ; à Vinca et dans les environs (Massa-Carrara, en Lunigiana aux pieds des Alpes Apuanes) du 24 au 27 août.
            Le 25 septembre, les SS établissent le “Haut commandement” à Sibano. Le 26 septembre, ils se rendent à Salvaro, où se trouve également don Elia, une zone en dehors de l’aire d’influence immédiate des partisans. La dureté des commandants dans le mépris total de la vie humaine, l’habitude de mentir sur le sort des civils et la structure paramilitaire – qui recourait volontiers à des techniques de “terre brûlée”, au mépris de tout code de guerre ou légitimité des ordres donnés d’en haut – en faisaient un escadron de la mort qui ne laissait rien d’intact sur son passage. Certains avaient reçu une formation explicitement fondée sur les camps de concentration et l’élimination, et dont les objectifs étaient la suppression de la vie à des fins idéologiques ; la haine envers ceux qui professaient la foi judéo-chrétienne ; le mépris pour les petits, les pauvres, les vieillards et les faibles ; la persécution de ceux qui s’opposaient aux aberrations du national-socialisme. Il y avait un véritable catéchisme antichrétien et anticatholique dont les jeunes SS étaient imprégnés.
            « Quand on pense que la jeunesse nazie était formée dans le mépris de la personnalité humaine des Juifs et des autres races “non élues”, dans le culte fanatique d’une prétendue supériorité nationale absolue, dans le mythe de la violence créatrice et des “nouvelles armes” apportant la justice dans le monde, on comprend où se trouvaient les racines des aberrations, rendues plus faciles par l’atmosphère de guerre et la peur d’une défaite décevante ».
            Don Elia Comini, aidé par le père Capelli, accourt pour réconforter, rassurer, exhorter. Il décide d’accueillir en presbytère surtout les survivants des familles dans lesquelles les Allemands avaient tué par représailles. Ce faisant, il soustrait les survivants au danger de trouver la mort peu après, mais surtout il les arrache, du moins dans la mesure du possible, à cette spirale de solitude, de désespoir et de perte de volonté de vivre qui aurait pu se traduire même en désir de mort. Il réussit également à parler aux Allemands et, au moins une fois, à dissuader les SS de leur projet, en les faisant passer plus loin, ce qui permit par la suite d’avertir les réfugiés de sortir de leur cachette.
            Le Vice-postulateur, don Rino Germani sdb, écrivait : « Arrive don Elia. Il les rassure. Il leur dit de venir dehors, car les Allemands sont partis. Il parle avec les Allemands et les fait passer plus loin ».
            Paolo Calanchi, un homme à la conscience irréprochable, commet l’erreur de ne pas fuir. Don Elia accourt pour empêcher les flammes d’attaquer son corps ; il tente au moins d’honorer sa dépouille n’étant pas arrivé à temps pour lui sauver la vie : « Le corps de Paolino est sauvé des flammes justement par don Elia qui, au risque de sa vie, le recueille et le transporte avec un petit chariot à l’église de Salvaro ».
            La fille de Paolo Calanchi a témoigné : « Mon père était un homme bon et honnête [« en temps de carte de rationnement et de famine, il donnait du pain à ceux qui n’en avaient pas »] et avait refusé de fuir, se sentant tranquille envers tous. Il fut tué par les Allemands, fusillé, par représailles. Plus tard, la maison fut également incendiée, mais le corps de mon père avait été sauvé des flammes justement par don Comini, qui, au risque de sa propre vie, l’avait recueilli et transporté sur un petit chariot à l’église de Salvaro, où, dans un cercueil qu’il avait construit avec des planches de récupération, il fut inhumé dans le cimetière. Ainsi, grâce au courage de Don Comini et, très probablement, aussi du Père Martino, à la fin de la guerre, ma mère et moi avons pu retrouver et faire transporter le cercueil de notre cher défunt dans le cimetière de Vergato, avec celui de mon frère Gianluigi, mort 40 jours après en traversant le front ».
            Une fois, don Elia avait dit de la Wehrmacht : « Nous devons aimer aussi ces Allemands qui viennent nous déranger ». « Il aimait tout le monde sans préférence ». Le ministère de don Elia fut très précieux pour Salvaro et pour toutes les personnes déplacées en ces jours-là. Des témoins ont déclaré : « Don Elia a été notre chance car nous avions un Curé trop âgé et faible. Toute la population savait que Don Elia avait cet intérêt pour nous ; Don Elia a aidé tout le monde. On peut dire que nous le voyions tous les jours. Il disait la Messe, mais ensuite il était souvent sur le parvis de l’église à regarder : les Allemands étaient en bas, vers le Reno ; les partisans venaient de la montagne, vers la Creda. Une fois, par exemple, (quelques jours avant le 26), les partisans sont venus. Nous sortions de l’église de Salvaro et il y avait les partisans là, tous armés ; et Don Elia insistait tellement pour qu’ils s’en aillent, pour éviter des ennuis. Ils l’écoutèrent et s’en allèrent. Probablement, s’il n’avait pas été là, ce qui s’est passé ensuite serait arrivé beaucoup plus tôt » ; « D’après ce que je sais, Don Elia était l’âme de la situation, car avec sa personnalité, il savait tenir en main tant de choses qui, en ces moments dramatiques, étaient d’une importance vitale ».
            Bien qu’il fût un jeune prêtre, don Elia Comini était fiable. Cette fiabilité, associée à une profonde droiture, l’accompagnait depuis toujours, même depuis qu’il était séminariste, comme le montre ce témoignage : « Je l’ai eu quatre ans au Rota, de 1931 à 1935, et, bien qu’il fût encore séminariste, il m’a donné une aide que j’aurais difficilement trouvée chez un autre confrère même âgé ».

Le triduum de la passion
            La situation se détériore cependant après quelques jours, le matin du 29 septembre, lorsque les SS commettent un terrible massacre à l’endroit appelé « Creda ». Le signal du début du massacre est une fusée blanche, puis rouge dans le ciel. Ils commencent à tirer, les mitrailleuses fauchent les victimes retranchées sous un porche et pratiquement sans échappatoire. Des grenades à main sont lancées, certaines incendiaires, et l’étable où certains avaient réussi à trouver refuge prend feu. Quelques hommes, profitant d’un instant de distraction des SS dans cet enfer, se précipitent vers la forêt. Attilio Comastri, blessé, se sauve parce que le corps sans vie de sa femme Ines Gandolfi lui a servi de bouclier : il errera pendant plusieurs jours, en état de choc, jusqu’à ce qu’il réussisse à passer le front et à sauver sa vie ; il avait perdu, en plus de sa femme, sa sœur Marcellina et sa fille Bianca, à peine âgée de deux ans. Carlo Cardi parvient également à se sauver, mais sa famille est exterminée : Walter Cardi n’avait que 14 jours, il fut la plus jeune victime du massacre de Monte Sole. Mario Lippi, l’un des survivants, atteste : « Je ne sais même pas comment je me suis miraculeusement sauvé, étant donné que sur 82 personnes rassemblées sous le porche, 70 ont été tuées [69, selon la reconstruction officielle]. Je me souviens qu’en plus du feu des mitrailleuses, les Allemands ont également lancé des grenades à main sur nous et je crois que ce sont des éclats de celles-ci qui m’ont légèrement blessé au côté droit, dans le dos et dans le bras droit. Avec sept autres personnes, j’ai profité du fait qu’il y avait une petite porte sur un côté du porche qui menait à la route, je me suis échappé vers le bois. En nous voyant fuir, les Allemands ont tiré sur nous, tuant l’un d’entre nous, nommé Gandolfi Emilio. Je précise que parmi les 82 personnes rassemblées sous ledit porche, il y avait aussi une vingtaine d’enfants, dont deux en bas âge, dans les bras de leurs mères respectives, et une vingtaine de femmes ».
            À la Creda, il y avait 21 enfants de moins de 11 ans, certains très petits ; 24 femmes (dont une adolescente) ; environ 20 personnes âgées. Parmi les familles les plus touchées il y avait les Cardi (7 personnes), les Gandolfi (9 personnes), les Lolli (5 personnes), les Macchelli (6 personnes).
            Depuis le presbytère de Mgr Mellini, en regardant vers le haut, on voit la fumée à un certain moment, mais il est tôt le matin, la Creda reste cachée aux regards et la forêt atténue les bruits. Dans la paroisse ce jour-là – 29 septembre, fête des Saints Archanges – trois messes sont célébrées successivement tôt le matin : celle de Mgr Mellini ; celle du père Capelli qui se rend ensuite pour donner une extrême-onction à l’endroit appelé « Casellina » ; celle de don Comini. Et c’est alors que le drame frappe à la porte : « Ferdinando Castori, lui aussi échappé au massacre, arriva à l’église de Salvaro couvert de sang comme un boucher, et alla se cacher dans la flèche du clocher ». Vers 8 heures, un homme bouleversé arrive au presbytère : il semblait « un monstre par son apparence terrifiante », dit sœur Alberta Taccini. Il demande de l’aide pour les blessés. Une soixantaine de personnes sont mortes ou sont en train de mourir dans d’atroces souffrances. Don Elia, en quelques instants, a la bonne idée de cacher 60/70 hommes dans la sacristie, poussant contre la porte une vieille armoire qui laissait le seuil visible par en dessous, mais c’était le seul espoir de salut : « C’est alors que Don Elia, lui-même, eut l’idée de cacher les hommes à côté de la sacristie, mettant ensuite une armoire devant la porte (avec l’aide d’une ou deux personnes qui étaient chez Monseigneur). L’idée était de Don Elia ; mais tout le monde était contre le fait que ce soit Don Elia qui fasse ce travail… C’est lui qui l’a voulu. Les autres disaient : « Et si jamais ils nous découvrent ? » ». Selon une autre reconstruction des faits, « Don Elia réussit à cacher dans une pièce attenante à la sacristie une soixantaine d’hommes et contre le seuil il poussa une vieille armoire. Pendant ce temps, le crépitement des mitrailleuses et les cris désespérés des gens parvenaient des maisons voisines. Don Elia eut la force de commencer le Saint Sacrifice de la Messe, la dernière de sa vie. Il n’avait pas encore terminé, qu’un jeune homme de la localité « Creda » arriva terrifié et essoufflé pour demander de l’aide parce que les SS avaient encerclé une maison et arrêté soixante-neuf personnes, hommes, femmes, enfants ».
            « Encore en vêtements liturgiques, il reste prosterné à l’autel, immergé dans la prière, et il invoque pour tous l’aide du Sacré-Cœur, l’intercession de Marie Auxiliatrice, de saint Jean Bosco et de saint Michel Archange. Puis, après un bref examen de conscience, il récite trois fois l’acte de contrition et les prépare à la mort. Il recommande aux sœurs d’assister toutes ces personnes et à la Supérieure de diriger la prière afin que les fidèles puissent y trouver le réconfort dont ils ont besoin ».
            À propos de don Elia et du père Martino, rentré peu après, « on constate certaines dimensions d’une vie sacerdotale dépensée consciemment pour les autres jusqu’au dernier jour : leur mort a été un prolongement de la Messe célébrée comme don de soi jusqu’au dernier jour ». Leur choix avait « des racines lointaines, dans la décision de faire le bien même si c’était à la dernière heure, prêts même au martyre » : « de nombreuses personnes sont venues chercher de l’aide à la paroisse et, à l’insu du curé, Don Elia et le Père Martino ont essayé de cacher le plus de personnes possible. Puis, s’assurant qu’elles étaient assistée d’une manière ou d’une autre, ils se sont précipités sur les lieux des massacres pour pouvoir porter secours aux plus malchanceux. Le même Mgr Mellini ne s’en rendit pas compte et continuait à chercher les deux prêtres pour se faire aider et accueillir tout ce monde » (« Nous avons la certitude qu’aucun d’eux n’était partisan ou avait été avec les partisans »).
            Dans ces moments-là, don Elia témoigne d’une grande lucidité qui se traduit à la fois par un esprit d’organisation et par la conscience de mettre sa propre vie en danger : « À la lumière de tout cela, et Don Elia le savait bien, nous ne pouvons pas rechercher cette charité qui pousse à essayer d’aider les autres, mais plutôt ce type de charité (qui a ensuite été celle du Christ) qui pousse à participer jusqu’au bout à la souffrance d’autrui, ne craignant même pas la mort comme sa dernière manifestation. Le fait que sa décision ait été lucide et bien réfléchie est également démontré par l’esprit d’organisation qu’il a manifesté jusqu’à quelques minutes avant sa mort, en essayant avec promptitude et intelligence de cacher le plus de personnes possible dans les coins de la cure ; puis vinrent les nouvelles de la Creda et, après la charité fraternelle, la charité héroïque ».
            Une chose est certaine : si don Elia s’était caché avec tous les autres hommes ou s’il était simplement resté aux côtés de Mgr Mellini, il n’aurait rien eu à craindre. Au lieu de cela, don Elia et le père Martino prennent l’étole, les saintes huiles et une boîte avec quelques hosties consacrées et « partirent pour la montagne, armés de l’étole et de l’huile des malades ». « Quand Don Elia revint de chez Monseigneur, il prit le Ciboire avec les Hosties et l’huile sainte et se tourna vers nous. Quel visage ! il était si pâle qu’il semblait déjà mort. Et il dit : “Priez, priez pour moi, car j’ai une mission à accomplir” ». « Priez pour moi, ne me laissez pas seul ! ». « Nous sommes des prêtres et nous devons y aller et nous devons faire notre devoir ». « Allons porter le Seigneur à nos frères ».
            Là-haut sur la Creda, il y a tant de gens qui meurent dans des supplices : ils doivent accourir, bénir et – si possible – essayer de s’interposer face aux SS.
            Madame Massimina [Zappoli], également témoin lors de l’enquête militaire de Bologne, se souvient : « Malgré les prières de nous tous, ils célébrèrent rapidement l’Eucharistie et, poussés uniquement par l’espoir de pouvoir faire quelque chose pour les victimes d’une telle férocité, au moins avec un réconfort spirituel, ils prirent le Saint-Sacrement et coururent vers la Creda. Je me souviens que pendant que Don Elia, déjà lancé dans sa course, passait à côté de moi dans la cuisine, je m’accrochais à lui dans une dernière tentative de le dissuader, en disant que nous resterions à la merci de nous-mêmes. Il fit comprendre que, si notre situation était grave, il y avait ceux qui étaient dans une situation encore plus grave et que c’était vers eux qu’ils devaient aller ».
            Il est inflexible et refuse, comme Mgr Mellini le suggéra plus tard, de retarder la montée à la Creda jusqu’au moment où les Allemands seraient partis : « Avant d’être une passion de sang, cela a été une passion […] du cœur, la passion de l’esprit. À cette époque, on était terrorisé par tout et par tous, on n’avait plus confiance en personne, n’importe qui pouvait devenir un ennemi déterminant pour sa propre vie. Lorsque les deux prêtres se sont rendu compte que quelqu’un avait vraiment besoin d’eux, ils n’ont pas hésité longtemps à décider quoi faire […] et surtout, ils n’ont pas eu recours à ce qui était la décision immédiate pour tous, c’est-à-dire, trouver un refuge, essayer de se cacher et d’être hors de la mêlée. Les deux prêtres, au contraire, y sont allés, en toute connaissance de cause, sachant que leur vie était à 99 % en danger ; et ils y sont allés pour être vraiment des prêtres, c’est-à-dire, pour assister et pour réconforter, pour donner aussi le service des sacrements, donc de la prière, du réconfort que la foi et la religion offrent ».
            Une personne a dit : « Don Elia, pour nous, était déjà saint. S’il avait été une personne normale […] il se serait caché ; il se serait également caché derrière l’armoire, comme tous les autres».
            Alors que les hommes se sont cachés, ce sont les femmes qui essaient de retenir les prêtres, dans une ultime tentative de leur sauver la vie. La scène est à la fois agitée et très éloquente : « Lidia Macchi […] et d’autres femmes essayèrent de les empêcher de partir, tentèrent de les retenir par la soutane, les poursuivirent, les appelèrent à haute voix pour qu’ils reviennent. Poussés par une force intérieure qui est l’ardeur de la charité et la sollicitude missionnaire, ils marchaient désormais résolument vers la Creda en apportant les réconforts religieux ».
            L’une d’elles se souvient : « Je les ai embrassés, je les tenais fermement par les bras, en disant et en suppliant : – Ne partez pas ! – Ne partez pas ! ».
            Et Lidia Marchi ajoute : « Je tirais le père Martino par la soutane et je le retenais […] mais les deux prêtres répétaient : – Nous devons y aller ; le Seigneur nous appelle ».
            « Nous devons accomplir notre devoir. Et [don Elia et le père Martino,] comme Jésus, allèrent à la rencontre d’un destin marqué ».
            « La décision de se rendre à la Creda fut prise par les deux prêtres par pur esprit pastoral ; malgré tous ceux qui essayaient de les dissuader, ils voulurent y aller poussés par l’espoir de pouvoir sauver quelqu’un de ceux qui étaient à la merci de la colère des soldats ».
            À la Creda il est presque certainement qu’ils n’arrivèrent jamais. Capturés, selon un témoin, près d’un « pilastrello », dès qu’ils furent hors du champ de vision de la paroisse, don Elia et le père Martino furent vus plus tard chargés de munitions, à la tête d’hommes raflés, ou encore seuls, liés, avec des chaînes, près d’un arbre alors qu’il n’y avait aucune bataille en cours et que les SS mangeaient. Don Elia ordonna à une femme de fuir, de ne pas s’arrêter pour éviter d’être tuée : « Anna, par pitié, fuis, fuis ».
            « Ils étaient chargés et courbés sous le poids de tant de petites caisses lourdes qui couvraient tout leur corps devant et derrière. Leur dos était courbé presque jusqu’à terre ».
            « Assis par terre […] tout en sueur et fatigués, avec les munitions sur le dos ».
            « Arrêtés, ils sont contraints de porter des munitions en haut et en bas de la montagne, témoins d’inhumaines violences ».
            « [Les SS les font] descendre et monter plusieurs fois sur la montagne, sous leur escorte, et commettent en outre, sous les yeux des deux victimes, les violences les plus horribles ».
            Où sont, maintenant, l’étole, les huiles saintes et surtout le Saint-Sacrement ? Il n’y a plus aucune trace. Loin des yeux indiscrets, les SS en ont dépouillé de force les prêtres, se débarrassant de ce Trésor dont rien ne serait plus retrouvé.
            Vers le soir du 29 septembre 1944, ils furent traduits avec de nombreux autres hommes (raflés et non pour représailles ou parce qu’ils étaient pro-partisans, comme le montrent les sources), près de la maison « des Birocciai » à Pioppe di Salvaro. Plus tard, ils seront triés et auront des sorts très différents. Peu d’entre eux seront libérés, après une série d’interrogatoires. La plupart, jugés aptes au travail, seront envoyés dans des camps de travail forcé et pourront par la suite retourner auprès de leurs familles. Ceux jugés inaptes, soit en raison de l’âge (cf. camps de concentration) ou de la santé (jeune, mais blessé ou simulant une maladie en espérant se sauver) seront tués le soir du 1er octobre à la « Botte » de la chanvrière de Pioppe di Salvaro, désormais une ruine car bombardée par les Alliés quelques jours auparavant.
            Don Elia et le père Martino furent interrogés et purent se déplacer jusqu’à la fin dans la maison et recevoir des visites. Don Elia intercéda pour tous et un jeune, très éprouvé, s’endormit sur ses genoux. Dans une poche don Elia tenait son Bréviaire, qui lui était si cher et qu’il voulut garder avec lui jusqu’aux derniers instants. Aujourd’hui, la recherche historique attentive aux sources et avec l’aide de la plus récente historiographie laïque, a démontré que la tentative de libérer don Elia mise en œuvre par le Chevalier Emilio Veggetti, n’avait jamais abouti, et que don Elia et le père Martino n’avaient jamais réellement été considérés ou du moins traités comme des « espions ».

L’holocauste
            Finalement, ils furent insérés, bien que jeunes (34 et 32 ans), dans le groupe des inaptes et exécutés avec eux. Ils vécurent ces derniers instants en priant, en faisant prier, en se donnant mutuellement l’absolution et le réconfort de la foi. Don Elia réussit à transformer la macabre procession des condamnés jusqu’à une passerelle devant le réservoir de la chanvrière, où ils seront tués, en un acte collectif d’abandon confiant. Il tenait aussi longtemps qu’il le put le Bréviaire ouvert à la main. Puis on a dit qu’un Allemand frappa violemment ses mains et le Bréviaire tomba dans le réservoir. Surtout, il entonnait les Litanies. Lorsqu’on ouvrit le feu, don Elia Comini sauva un homme en lui faisant écran avec son propre corps et cria « Pitié ». Le père Martino invoqua de son côté le « Pardon », se redressant avec difficulté dans le réservoir, au milieu des compagnons morts ou mourants, et traçant le signe de la Croix quelques instants avant de mourir lui-même, à cause d’une énorme blessure. Les SS voulurent s’assurer qu’aucun survivant ne restait en lançant quelques grenades. Dans les jours suivants, étant donné l’impossibilité de récupérer les corps immergés dans l’eau et la boue à cause de fortes pluies (les femmes essayèrent, mais même don Fornasini ne put y parvenir), un homme ouvrit les grilles et le courant impétueux de la rivière Reno emporta tout. Rien ne fut jamais retrouvé d’eux : consummatum est !
            C’est ainsi qu’on a pu constater leur disposition « même au martyre, même si aux yeux des hommes il semble insensé de refuser sa propre sauvegarde pour donner un misérable soulagement à ceux qui étaient déjà destinés à la mort ». Mgr Benito Cocchi a pu dire en septembre 1977 à Salvaro : « Ici devant le Seigneur, disons que notre préférence va à ces gestes, à ces personnes, à ceux qui paient de leur personne, à ceux qui, à un moment où seules comptaient les armes, la force et la violence, quand une maison, la vie d’un enfant, une famille entière ne comptaient pour rien, ont su accomplir des gestes qui n’ont pas de voix dans les bilans de guerre, mais qui sont de véritables trésors d’humanité, de résistance et d’alternative à la violence ; à ceux qui de cette manière plantaient des racines pour une société et une coexistence plus humaines ».
            En ce sens, « le martyre de ces prêtres constitue le fruit de leur choix conscient de partager le sort du troupeau jusqu’au sacrifice ultime, lorsque les efforts de médiation entre la population et les occupants, longtemps poursuivis, perdent à la fin toute possibilité de succès ».
            Don Elia Comini avait été lucide sur son sort. Il disait déjà dans les premières phases de détention : « Pour faire le bien, nous nous trouvons dans tant de peines » ; « C’était Don Elia qui, en montrant le ciel, saluait avec les yeux en larmes ». « Elia s’est montré et m’a dit : “Allez à Bologne, chez le Cardinal, et dites-lui où nous nous trouvons”. Je lui ai répondu : “Comment puis-je aller à Bologne ?”. […] Pendant ce temps, les soldats me poussaient avec le canon du fusil. D. Elia m’a salué en disant : “Nous nous reverrons au paradis !”. J’ai crié : “Non, non, ne dites pas cela”. Il a répondu, triste et résigné : “Nous nous reverrons au Paradis” ».
            Avec don Bosco… : « [Je] vous attends tous au Paradis » !
            C’était le soir du 1er octobre, début du mois du Rosaire et des Missions.
            Dans les années de sa première jeunesse, Elia Comini avait dit à Dieu : « Seigneur, prépare-moi à être moins indigne d’être une victime agréable » (“Journal” 1929) ; « Seigneur, […] reçois-moi aussi comme victime expiatoire » (1929) ; « je voudrais être une victime d’holocauste » (1931). « [À Jésus] j’ai demandé la mort plutôt que de faillir à la vocation sacerdotale et à l’amour héroïque pour les âmes » (1935).




Véra Grita, pèlerine de l’espérance

            Véra Grita, fille d’Amleto et de Maria Anna Zacco della Pirrera, née à Rome le 28 janvier 1923, était la deuxième de quatre sœurs. Elle a vécu et étudié à Savona où elle a obtenu son diplôme d’enseignement. À 21 ans, lors d’une soudaine incursion aérienne sur la ville (1944), elle a été écrasée et piétinée par la foule en fuite, subissant de graves conséquences pour son corps qui est resté marqué à jamais par la souffrance. Elle est passée inaperçue dans sa brève vie terrestre, enseignant dans les écoles de l’arrière-pays ligure (Rialto, Erli, Alpicella, Désert de Varazze), où elle a gagné l’estime et l’affection de tous pour son caractère bon et doux.
            À Savone, dans la paroisse salésienne Marie-Auxiliatrice, elle participait à la messe et était assidue au sacrement de Pénitence.  À partir de 1963, son confesseur fut le salésien don Giovanni Bocchi. Devenue Salésienne Coopératrice en 1967, elle a réalisé sa vocation dans le don total d’elle-même. Le Seigneur se manifestait à elle de manière extraordinaire, dans l’intimité de son cœur, comme la « Voix », la « Parole », pour lui confier l’Œuvre des Tabernacles Vivants. Elle soumettait tous ses écrits à son directeur spirituel, le salésien don Gabriello Zucconi. Elle gardait dans le silence de son cœur le secret de cet appel, guidée par le Maître divin et la Vierge Marie qui l’ont accompagnée tout au long du chemin de vie cachée, de dépouillement et d’anéantissement de soi.
            Sous l’impulsion de la grâce divine et en accueillant la médiation de ses guides spirituels, Véra Grita a répondu au don de Dieu par le témoignage de sa vie, marquée par la maladie et la rencontre avec le Ressuscité. Elle se consacrait avec une générosité héroïque à l’enseignement et à l’éducation de ses élèves, répondant aux besoins des familles et témoignant d’une vie de pauvreté évangélique. Centrée solidement sur le Dieu qui aime et soutient, dotée d’une grande fermeté intérieure, elle a été rendue capable de supporter les épreuves et les souffrances de la vie. Sur la base de cette solidité intérieure, elle a témoigné d’une existence chrétienne faite de patience et de constance dans le bien.
            Elle est morte le 22 décembre 1969, à 46 ans, dans une petite chambre d’hôpital à Pietra Ligure où elle avait passé les six derniers mois de sa vie dans un crescendo de souffrances acceptées et vécues en union avec Jésus crucifié. « À travers ses messages et ses lettres, a écrit don Borra, salésien, son premier biographe, l’âme de Véra entre dans la cohorte de ces âmes charismatiques appelées à enrichir l’Église de flammes d’amour pour Dieu et pour Jésus Eucharistie en vue de l’expansion du Royaume ».

Une vie privée d’espoirs humains
            Humainement, la vie de Véra est marquée dès l’enfance par la perte d’un horizon d’espoir. La perte de l’autonomie économique dans son foyer familial, puis le détachement de ses parents pour se rendre à Modica en Sicile chez ses tantes, et surtout la mort de son père en 1943, mettent Véra face aux conséquences d’événements humains particulièrement douloureux.
            Après le 4 juillet 1944, jour du bombardement sur Savone qui marquera toute la vie de Véra, sa santé sera compromise pour toujours. C’est pourquoi la jeune Servante de Dieu se retrouva sans aucune perspective d’avenir et dut à plusieurs reprises revoir ses projets et renoncer à ses nombreux désirs : non seulement les études universitaires et l’enseignement, mais aussi la perspective de fonder une famille avec le jeune homme qu’elle fréquentait.
            Malgré la fin soudaine de tous ses espoirs humains entre 20 et 21 ans, l’espérance reste très présente chez Véra, tant comme vertu humaine qui croit en un changement possible et s’engage à le réaliser (bien que très malade, elle a préparé et remporté le concours pour l’enseignement), que comme vertu théologale ancrée dans la foi, qui lui insuffle de l’énergie et devient un instrument de consolation pour les autres.
            Presque tous les témoins qui l’ont connue relèvent cette apparente contradiction entre ses conditions de santé compromise et sa capacité de ne jamais se plaindre, sachant manifester de la joie, de l’espérance et du courage même dans des circonstances humainement désespérées. Véra devint une « porteuse de joie ».
            Sa nièce affirme : « Elle était toujours malade et souffrante, mais je ne l’ai jamais vue découragée ou en colère pour sa condition ; elle avait toujours une lueur d’espoir soutenue par une grande foi. […] Ma tante était souvent hospitalisée, souffrante et délicate, mais toujours sereine et pleine d’espoir à cause du grand Amour qu’elle avait pour Jésus ».
            Sa sœur Liliana a également trouvé des encouragements, une sérénité et une espérance dans ses appels téléphoniques de l’après-midi, bien que la Servante de Dieu fût alors accablée par de nombreux problèmes de santé et des contraintes professionnelles. « Elle me donnait – dit-elle – confiance et espoir en me faisant réfléchir que Dieu est toujours près de nous et nous guide. Ses paroles me ramenaient dans les bras du Seigneur et je retrouvais la paix ».
            Le témoignage d’Agnese Zannino Tibirosa revêt une valeur particulière car elle a côtoyé Véra à l’hôpital « Santa Corona » durant sa dernière année de vie : « Malgré les graves souffrances que la maladie lui causait, je ne l’ai jamais entendue se plaindre de son état. Elle apportait du réconfort et de l’espoir à tous ceux qu’elle approchait, et quand elle parlait de son avenir, elle le faisait avec enthousiasme et courage ».
            Jusqu’à la fin, Véra Grita est restée ainsi. Même dans la dernière partie de son chemin sur la terre, elle garda le regard tourné vers le futur. Elle espérait que le tuberculome pourrait être résorbé grâce aux soins ; elle espérait pouvoir occuper le poste d’institutrice à Piani di Invrea pour l’année scolaire 1969-1970 et se consacrer, une fois sortie de l’hôpital, à sa mission spirituelle.

Formée à l’espérance par le confesseur dans son cheminement spirituel
            En ce sens, l’espérance attestée par Véra est enracinée en Dieu et dans cette lecture sapientielle des événements que son père spirituel don Gabriello Zucconi et, avant lui, son confesseur don Giovanni Bocchi lui ont enseignée. C’est précisément le ministère de don Bocchi, homme de la joie et de l’espérance, qui a exercé une influence positive sur Véra, que l’a accueillie dans sa condition de malade et à qui il a appris à donner de la valeur aux souffrances non recherchées qui l’accablaient. Don Bocchi a été le premier à enseigner l’espérance ; on a dit de lui : « Avec des paroles toujours cordiales et pleines d’espoir, il a ouvert les cœurs à la générosité, au pardon, à la transparence dans les relations interpersonnelles ; il a vécu les béatitudes avec naturel et dans une fidélité quotidienne ». « En espérant et en ayant la certitude que, comme cela s’est produit pour le Christ, cela se produira aussi pour nous : la Résurrection glorieuse », don Bocchi réalisait à travers son ministère une annonce de l’espérance chrétienne, fondée sur la toute-puissance de Dieu et la résurrection du Christ. Devenu plus tard missionnaire en Afrique, il dira : « J’ai été là-bas parce que je voulais leur apporter et leur donner Jésus Vivant et présent dans la Sainte Eucharistie avec tous les dons de Son Cœur : la Paix, la Miséricorde, la Joie, l’Amour, la Lumière, l’Union, l’Espérance, la Vérité, la Vie éternelle ».
            Véra devint porteuse d’espérance et de joie même dans des milieux marqués par la souffrance physique et morale, par des limitations cognitives (comme parmi ses petits élèves malentendants) ou par des conditions familiales et sociales non optimales (comme dans le « climat incandescent » d’Erli).
            Son amie Maria Mattalia se souvient : « Je revois le doux sourire de Véra, parfois fatiguée par tant de luttes et de souffrances ; en me rappelant sa force de volonté, j’essaie de suivre son exemple de bonté, de grande foi, d’espérance et d’amour […] ».
            Antonietta Fazio, ancienne femme de ménage à l’école de Casanova, témoigna à son sujet : « Elle était très appréciée de ses élèves qu’elle aimait beaucoup et en particulier de ceux en difficulté intellectuelle […]. Très pieuse, elle transmettait à chacun foi et espoir tout en étant elle-même très souffrante physiquement mais pas moralement ».
            Dans ces divers contextes, Véra travaillait à faire renaître les raisons de l’espoir. Par exemple, à l’hôpital (où la nourriture est peu satisfaisante), elle s’est privée d’une grappe de raisin pour en laisser une partie sur la table de nuit de chaque malade de la chambre. Elle prenait toujours soin de sa personne afin de se présenter dans une bonne tenue, avec dignité et élégance, contribuant ainsi à lutter contre le milieu de souffrance d’une clinique, et parfois de perte d’espérance chez de nombreux malades qui risquent de « se laisser aller ».
            À travers les Messages de l’Œuvre des Tabernacles Vivants, le Seigneur l’a éduquée à une posture d’attente, de patience et de confiance en lui. Ces messages renferment en effet d’innombrables exhortations sur la nécessité d’attendre l’Époux ou sur l’Époux qui attend son épouse :

« Espère en ton Jésus toujours, toujours.

Qu’il vienne dans nos âmes, qu’il vienne dans nos maisons ; qu’il vienne avec nous pour partager joies et peines, efforts et espoirs.

Laisse faire mon Amour et augmente ta foi, ton espérance.

Suis-moi dans l’obscurité, dans les ombres car tu connais le « chemin ».

Espère en Moi, espère en Jésus !

Après le chemin de l’espoir et de l’attente, il y aura la victoire.

Pour vous appeler aux choses du Ciel ».

Porteuse d’espérance dans la mort et dans l’intercession
            Même dans la maladie et la mort, Véra Grita a témoigné de l’espoir chrétien.
            Elle savait que, lorsque sa mission sera accomplie, sa vie sur terre prendra fin. « C’est ta mission et quand elle sera terminée, tu salueras la terre pour les Cieux ». C’est pourquoi elle ne se sentait pas « propriétaire » du temps, mais cherchait l’obéissance à la volonté de Dieu.
            Dans les derniers mois, malgré une condition aggravante et exposée à une détérioration de son état clinique, la Servante de Dieu a montré beaucoup de sérénité, de paix, et la perception intérieure d’un « accomplissement » de sa propre vie.
            Dans les derniers jours, bien qu’elle fût naturellement attachée à la vie, don Giuseppe Formento la décrivit comme « déjà en paix dans le Seigneur ». Dans cet esprit, elle put recevoir la Communion jusqu’à quelques jours avant de mourir, et recevoir l’Extrême-Onction le 18 décembre.
            Lorsque sa sœur Pina alla lui rendre visite peu avant sa mort – Véra avait été environ trois jours dans le coma – contrairement à son habituelle réserve, elle lui dit qu’elle avait vu pendant ces jours beaucoup de choses, des choses magnifiques dont elle n’avait malheureusement pas le temps de parler. Elle avait su que le Padre Pio et le Bon Pape Jean priaient pour elle, et elle ajouta, en pensant à la Vie éternelle : « Vous viendrez tous au paradis avec moi, soyez-en certaines ».
            Liliana Grita a également témoigné que, dans la dernière période, Véra « était plus du Ciel que de la terre ». De sa vie on a pu faire le bilan suivant : « Alors qu’elle souffrait beaucoup, elle consolait les autres, leur insufflant de l’espoir et n’hésitait pas à les aider ».
            De nombreuses grâces attribuées à l’intercession de Véra concernent en fin de compte l’espérance chrétienne. Même pendant la pandémie du Covid 19, Véra a aidé beaucoup de gens à retrouver des raisons d’espérer et a été pour eux une protection, une sœur dans l’esprit, une aide dans le sacerdoce. Elle a aidé intérieurement un prêtre qui, suite à un AVC, avait oublié les prières, ne parvenant plus à les prononcer, ce qui lui causait une grande douleur et le désarroi. Elle a permis à beaucoup de revenir à la prière, demandant la guérison d’un jeune papa victime d’une hémorragie.
            Même sœur Maria Ilaria Bossi, maîtresse des novices des Bénédictines du Très-Saint-Sacrement de Ghiffa, souligne comment Véra, sa sœur dans l’esprit, est une âme qui dirige vers le Ciel et accompagne vers le Ciel : « Je la sens comme une sœur sur le chemin du ciel… Beaucoup […] sont ceux qui se reconnaissent en elle, et se réfèrent à elle, sur le chemin de l’évangile, dans la course vers le ciel ».       
            En résumé, on comprend comment toute l’histoire de Véra Grita a été soutenue non par des espoirs humains, par le simple regard vers le « demain » en espérant qu’il sera meilleur que le présent, mais par une véritable Espérance théologale : « Elle était sereine parce que la foi et l’espérance l’ont toujours soutenue. Le Christ était au centre de sa vie, c’est de Lui qu’elle tirait la force. […] elle était une personne sereine parce qu’elle avait dans le cœur l’Espérance théologale, non pas l’espoir superficiel […], mais celui qui ne vient que de Dieu, qui est don et nous prépare à la rencontre avec Lui ».

            Dans une prière à Marie de l’Œuvre des Tabernacles Vivants, on lit : « Soulève-nous [Marie] de la terre afin qu’ici nous vivions et soyons pour le Ciel, pour le Royaume de ton fils ».
            Il est beau de rappeler que don Gabriello a dû, lui aussi, faire son  pèlerinage dans l’espérance à travers beaucoup d’épreuves et de difficultés comme il l’écrit dans une lettre à Véra du 4 mars 1968 depuis Florence : « Malgré tout, nous devons toujours espérer. La présence des difficultés n’enlève rien au fait qu’à la fin le bien, le bon, le beau triompheront. La paix, l’ordre, la joie reviendront. L’homme, fils de Dieu, retrouvera toute la gloire qu’il avait dès le début. L’homme sera sauvé en Jésus et retrouvera tout son bien en Dieu. Voici que nous reviennent à l’esprit toutes les belles choses promises par Jésus et l’âme en Lui retrouve sa paix. Courage ! Maintenant nous sommes comme dans un combat. Viendra le jour de la victoire. C’est une certitude en Dieu ».
            Dans l’église de Santa Corona à Pietra Ligure, Véra Grita participait à la messe et allait prier durant ses longs séjours à l’hôpital. Son témoignage de foi dans la présence vivante de Jésus Eucharistique et de la Vierge Marie dans sa brève vie terrestre est un signe d’espoir et de réconfort pour ceux qui dans ce lieu de soin demanderont son aide et son intercession auprès du Seigneur pour être soulagés et libérés de la souffrance.
            Le chemin de Véra Grita dans l’âpre labeur des jours offre également une nouvelle perspective laïque à la sainteté, devenant un exemple de conversion, d’acceptation et de sanctification pour les pauvres, les fragiles, les malades qui peuvent se reconnaître en elle et retrouver l’espoir.
            Saint Paul écrit « que les souffrances du moment présent ne sont pas comparables à la gloire future qui doit être révélée en nous ». Avec « impatience », nous attendons de contempler le visage de Dieu car « dans l’espérance nous avons été sauvés » (Rom 8, 18.24). Par conséquent, il est absolument nécessaire d’espérer contre toute espérance, « Spes contra spem ». Car, comme l’a écrit Charles Péguy, l’Espérance est une enfant « irréductible ». Par rapport à la Foi qui « est une épouse fidèle » et à la Charité qui « est une Mère », l’Espérance semble, à première vue, avoir peu de valeur. En réalité, c’est exactement le contraire. Ce sera justement l’Espérance, écrit Péguy, « qui est venue au monde le jour de Noël » et qui « traversera les mondes en portant les deux autres ».
            « Écris, Véra de Jésus, je te donnerai de la lumière. L’arbre fleuri au printemps a donné ses fruits. Beaucoup d’arbres devront refleurir en temps opportun pour que les fruits soient abondants… Je te demande d’accepter avec foi chaque épreuve, chaque douleur pour Moi. Tu verras les fruits, les premiers fruits de la nouvelle floraison ». (Santa Corona – 26 octobre 1969 – Fête du Christ Roi – Avant-dernier message).




Profils de familles blessées dans l’histoire de la sainteté salésienne

1. Histoires de familles blessées
            Nous avons l’habitude d’imaginer la famille comme une réalité harmonieuse, caractérisée par la cohabitation de plusieurs générations et par le rôle des parents qui donnent des normes de vie à leurs enfants, et ceux-ci se laissent guider par eux dans l’expérience de la réalité. Or les familles traversent souvent des drames et des incompréhensions, ou sont marquées par des blessures qui les défigurent et en donnent une image déformée, falsifiée et trompeuse.
            L’histoire de la sainteté salésienne est également traversée par des histoires de familles blessées. Elle montre des familles où manque au moins une des figures parentales, ou des familles où la présence de la maman et du papa devient, pour des raisons diverses (physiques, psychiques, morales et spirituelles), pénalisante pour leur enfant, aujourd’hui en route vers les honneurs des autels. Don Bosco lui-même avait expérimenté la mort prématurée de son père et avait été éloigné de sa famille par prudence par Maman Marguerite. Il a voulu – et ce n’est pas un hasard – que l’œuvre salésienne soit particulièrement dédiée à la « jeunesse pauvre et abandonnée ». Il n’a pas hésité à pratiquer avec les jeunes qui se sont formés dans son oratoire une intense pastorale vocationnelle, montrant par là qu’aucune blessure du passé n’est un obstacle à une vie humaine et chrétienne réussie. Il est donc naturel que même la sainteté salésienne, enracinée dans la vie de nombreux jeunes qui se sont consacrés à la suite de don Bosco à la cause de l’Évangile, porte en elle comme conséquence logique la trace de familles blessées.
            Parmi les jeunes, garçons et filles, qui ont grandi au contact des œuvres salésiennes, nous en présentons trois, dont l’histoire est inscrite dans le sillon biographique de Don Bosco :
            – la bienheureuse Laura Vicuña, née au Chili en 1891, orpheline de père, blessée par l’irrégularité morale de sa mère, prête à offrir sa vie pour elle qui cohabite en Argentine avec le riche propriétaire Manuel Mora ;
            – le serviteur de Dieu Carlo Braga, originaire de la Valtelline, né en 1889, abandonné très jeune par son père et éloigné de sa mère parce que celle-ci était considérée, soit par ignorance soit par médisance, comme psychiquement instable ; au milieu de grandes humiliations, Carlo verra sa vocation salésienne mise en difficulté à plusieurs reprises par ceux qui craignent chez lui une réapparition compromettante du malaise psychique faussement attribué à sa mère ;
            – enfin la servante de Dieu Anna Maria Lozano, née en 1883 en Colombie, obligée de suivre sa famille dans le lazaret où son père a dû se rendre à la suite de l’apparition des signes de la terrible maladie de la lèpre ; entravée dans sa vocation religieuse, elle pourra finalement la réaliser grâce à sa rencontre providentielle avec le salésien Luigi Variara, aujourd’hui Bienheureux.

2. Don Bosco et la recherche du père
            Comme Laura, Carlo et Anna Maria, marqués par l’absence ou les « blessures » d’une ou plusieurs figures parentales, Don Bosco expérimente avant eux, et d’une certaine manière « pour eux », la perte d’un noyau familial fort.
            Les Mémoires de l’Oratoire de Don Bosco racontent dès le début la perte précoce de son père Francesco. Celui-ci meurt à 34 ans et Don Bosco recourt à une expression, par certains aspects déconcertante, en disant que « Dieu miséricordieux les frappa tous d’un grave malheur ». C’est ainsi qu’un des tout premiers souvenirs du futur saint des jeunes retrace une expérience déchirante : près du corps de son père mort, il montre sa résistance quand sa mère tente de l’éloigner : « Je voulais absolument rester là », explique Don Bosco. Il avait ajouté : « Si papa ne vient pas, je ne veux pas y aller ». Maman Marguerite lui répond alors : « Pauvre fils, viens avec moi, tu n’as plus de père ». Elle pleure et Giovannino, qui n’a pas encore une compréhension rationnelle de la situation mais qui en devine tout le drame avec une intuition affective et empathique, s’approprie la tristesse de sa mère : « Je pleurais parce qu’elle pleurait, car à cet âge je ne pouvais certainement pas comprendre à quel point la perte du père était un grand malheur ».
            Face au père mort, Giovannino montre qu’il le considère encore comme le centre de sa vie. Il dit en effet : « Je ne veux pas aller [avec toi, maman] » et non, comme on pourrait s’y attendre : « je ne veux pas venir ». Son point de référence est le père, point de départ et point de retour souhaitable, par rapport auquel tout éloignement semble déstabilisant. Dans cette situation dramatique, Giovannino n’a pas encore compris ce que signifie la mort du père. Il espère (« si papa ne vient pas… ») que le père pourra encore rester près de lui. Et pourtant il devine déjà, à travers son immobilité et son mutisme, son incapacité de le protéger et de le défendre. Il ressent l’impossibilité d’être pris par la main pour devenir à son tour un homme. Les événements qui suivent confirment Giovanni dans la certitude que le père est celui qui le protège, l’oriente et le guide avec amour et que, lorsqu’il lui manque, même la meilleure des mères, même maman Marguerite, ne peut y remédier qu’en partie. Cependant, sur son parcours de jeune exubérant, le futur Don Bosco va rencontrer d’autres « pères » : Luigi Comollo, l’ami presque du même âge, qui réveille en lui l’émulation des vertus, et saint Joseph Cafasso, qui l’appelle « mon cher ami », lui fait « un gracieux signe de s’approcher » et, ce faisant, le confirme dans la conviction que la paternité est proximité, confiance et souci concret de l’autre. Mais il y a surtout Don Calosso, le prêtre qui « intercepte » le jeune Giovannino lors d’une mission populaire et devient déterminant pour sa croissance humaine et spirituelle. Les gestes de Don Calosso opèrent chez le préadolescent Giovanni une véritable révolution. Don Calosso d’abord lui parle. Puis il lui donne la parole. Puis il l’encourage. Puis il s’intéresse à l’histoire de la famille Bosco, montrant qu’il sait contextualiser l’« heure » de ce garçon dans le « tout » de son histoire. De plus, il lui révèle le monde, il le met en quelque sorte de nouveau au monde, lui faisant découvrir des choses nouvelles, lui offrant de nouveaux mots et lui montrant qu’il a la capacité de faire beaucoup et bien. Enfin, il le garde avec le geste et le regard, et pourvoit à ses besoins les plus urgents : « Pendant que je parlais, il ne me quittait pas des yeux » en me disant : « Aie du courage, mon ami, je penserai à toi et à tes études ».
            En Don Calosso, Giovanni Bosco fait l’expérience que la vraie paternité mérite une confiance totale et totalisante ; elle conduit à la prise de conscience de soi ; elle ouvre un « monde ordonné » où la règle donne sécurité et éduque à la liberté :
            « Je me suis rapidement mis entre les mains de Don Calosso. Je compris alors ce que cela signifie d’avoir un guide stable […], un ami fidèle de l’âme… Il m’encouragea ; tout le temps que je pouvais, je le passais près de lui… À partir de cette époque, j’ai commencé à goûter ce qu’est la vie spirituelle, car auparavant j’agissais plutôt matériellement et comme une machine qui fait une chose sans en connaître la raison ».

            Le père sur la terre est aussi celui qui voudrait toujours être près de son fils, mais qui, à un certain moment, ne peut plus le faire. Don Calosso meurt lui aussi. Même le meilleur des pères à un certain moment se retire pour donner à son fils la force du détachement et de l’autonomie typiques de l’âge adulte.
            Mais alors, quelle est pour Don Bosco la différence entre les familles réussies et les familles blessées ? On serait tenté de dire ceci : « réussie » est la famille caractérisée par des parents qui éduquent les enfants à la liberté et, s’ils les laissent, c’est seulement à la suite d’une impossibilité ou pour leur bien. « Blessée » en revanche est la famille où le parent ne génère plus à la vie, mais porte en lui des problèmes qui entravent la croissance de l’enfant, un parent qui se désintéresse de lui et, face aux difficultés, l’abandonne même, avec une attitude si différente de celle du Bon Pasteur.
            C’est ce que confirment les aventures vécues par Laura, Carlo et Anna Maria.

3. Laura, une fille qui « génère » sa propre mère
            Née à Santiago du Chili le 5 avril 1891, et baptisée le 24 mai suivant, Laura est la fille aînée de José D. Vicuña, un noble déchu qui avait épousé Mercedes Pino, fille de modestes agriculteurs. Trois ans plus tard, une petite sœur, Julia Amanda, arrive, mais bientôt le papa meurt, après avoir subi une défaite politique qui a miné sa santé et compromis son honneur ainsi que le soutien économique de sa famille. Privée de toute « protection et perspective d’avenir », la maman arrive en Argentine, où elle recourt à la protection du propriétaire terrien Manuel Mora, un homme « au caractère superbe et altier », qui « ne dissimule pas sa haine et son mépris pour quiconque s’opposerait à ses projets ». Un homme qui, seulement en apparence, garantit la protection, mais est en réalité habitué à prendre ce qu’il veut, si nécessaire par la force, instrumentalisant les personnes. Il paie les études de Laura et de sa sœur au collège des Filles de Marie Auxiliatrice, pendant que leur mère, qui subit l’influence psychologique de Mora, cohabite avec lui sans trouver la force de rompre le lien. Lorsque Mora commence à montrer des signes d’intérêt malhonnête même envers Laura, et surtout lorsque cette dernière entreprend le parcours de préparation à la Première Communion, elle comprend soudain toute la gravité de la situation. Contrairement à sa mère – qui justifie un mal (la cohabitation) en vue d’un bien (l’éducation des filles au collège) – Laura comprend qu’il s’agit d’un raisonnement moralement illégitime, qui met en grave danger l’âme de sa mère. À cette époque, Laura souhaitait devenir elle-même une sœur de Marie Auxiliatrice, mais sa demande est rejetée, car elle est la fille d’une « concubine publique ». Et c’est précisément à ce moment-là que Laura – accueillie au collège alors que dominaient encore en elle « l’impulsivité, le ressentiment, l’irritabilité, l’impatience et la propension à apparaître » – manifeste un changement que seule la Grâce, unie aux efforts la personne, peut opérer. Elle demande à Dieu la conversion de sa mère offrant sa vie pour elle. Dans cette situation, Laura ne peut se mouvoir ni « en avant » (en entrant parmi les Filles de Marie Auxiliatrice), ni « en arrière » (en retournant auprès de sa mère et de Mora). C’est alors qu’avec la créativité typique des saints, Laura prend l’unique chemin qui lui reste accessible : celui de la hauteur et de la profondeur. Dans les résolutions de sa Première Communion, elle avait noté :

            Je me propose de faire tout ce que je sais et tout ce que je peux pour […] réparer les offenses que vous, Seigneur, recevez chaque jour des hommes, en particulier des personnes de ma famille. Mon Dieu, donnez-moi une vie d’amour, de mortification et de sacrifice.

            Elle concrétise sa résolution dans un « Acte d’offrande », qui inclut le sacrifice de sa propre vie. Son confesseur, reconnaissant que l’inspiration vient de Dieu mais ignorant les conséquences, donne son consentement et confirme que Laura est « consciente de l’offrande qu’elle vient de faire ». Elle vit les deux dernières années dans le silence, la joie et avec le sourire, avec son tempérament riche de chaleur humaine. Et pourtant, le regard qu’elle pose sur le monde – comme le confirme une photo, très différente de la stylisation hagiographique connue – dit aussi toute la souffrance consciente et la douleur qui l’habitent. Dans une situation où lui manquent à la fois la liberté par rapport aux conditionnements, obstacles et fatigues, et la liberté d’agir, cette préadolescente témoigne d’une « liberté pour » : pour faire le don total d’elle-même.
            Laura ne méprise pas la vie, elle aime la vie, la sienne et celle de sa mère. Pour cela, elle s’offre. Le 13 avril 1902, dimanche du Bon Pasteur, elle se demande : « Si Lui donne sa vie, qu’est-ce qui m’empêche [de donner la mienne] pour ma mère ? » Moribonde, elle ajoute : « Maman, je meurs, je l’ai moi-même demandé à Jésus… cela fait presque deux ans que je lui offre ma vie pour toi… pour obtenir la grâce de ton retour ! »
            Ces mots sont dépourvus de regret et de reproche, mais chargés d’une grande force, d’un grand espoir et d’une grande foi. Laura a appris à accueillir sa mère pour ce qu’elle est. Elle s’offre elle-même pour lui donner ce qu’elle ne peut obtenir seule. Lorsque Laura meurt, sa mère se convertit. C’est ainsi que Laurita de los Andes, la fille, a contribué à engendrer sa mère à la vie de la foi et de la grâce.

4. Carlo Braga et l’ombre de sa mère
            Carlo Braga, qui naît deux ans avant Laura, en 1889, est également marqué par la fragilité de sa mère. En effet, lorsque son mari l’abandonne, elle et ses enfants, Matilde « ne mangeait presque plus et déclinait à vue d’œil ». Emmenée à Côme, elle meurt quatre ans plus tard de tuberculose, mais tous sont convaincus que la dépression s’était transformée chez elle en une véritable folie. Carlo commence alors à être « compatissant comme fils d’un inconscient [le père] et d’une mère malheureuse ». Cependant, trois événements providentiels viennent à son secours.
            Quant au premier, survenu lorsqu’il était tout petit, il en découvrira le sens plus tard. Il était tombé dans le feu et sa mère Matilde, en le sauvant, l’avait à cet instant consacré à la Vierge. C’est ainsi que la pensée de sa mère absente devient pour Carlo enfant « un souvenir douloureux et consolant à la fois » : douleur à cause de son absence, mais aussi certitude qu’elle l’a confié à Marie, la Mère de toutes les mères. Bien des années plus tard, don Braga écrira à un confrère salésien touché par la perte de sa mère :

            Maintenant, ta mère t’appartient bien plus que lorsqu’elle était vivante. Laisse-moi te parler de ma propre expérience. Ma mère m’a quitté quand j’avais six ans […]. Mais je dois te confesser qu’elle m’a suivi pas à pas et, lorsque je pleurais désolé en écoutant le murmure de l’Adda, tandis que, petit berger, je me sentais appelé à une vocation plus haute, il me semblait que Maman me souriait et essuyait mes larmes.
            Carlo rencontre ensuite sœur Judith Torelli, une Fille de Marie Auxiliatrice qui « sauva le petit Carlo de la désintégration de sa personnalité quand, à neuf ans, il se rendit compte qu’il était à peine toléré et qu’il entendait parfois les gens dire à son sujet : Pauvre petit, pourquoi est-il au monde ? » Certains soutenaient que son père méritait d’être fusillé pour sa trahison et l’abandon ; quant à sa mère, de nombreux camarades de classe lui répliquaient : « Tais-toi, de toute façon ta mère était folle ». Mais sœur Judith l’aime en l’aidant d’une manière spéciale ; elle pose sur lui un regard « nouveau » ; de plus, elle croit en sa vocation et l’encourage.
            Entré par la suite au collège salésien de Sondrio, Carlo vit sa troisième et décisive expérience : il fait la connaissance de don Rua, dont il a l’honneur d’être le petit secrétaire pendant un jour. Don Rua sourit à Carlo et, répétant le geste que Don Bosco avait accompli autrefois avec lui (« Michelino, toi et moi, nous ferons toujours tout à moitié »), « il met sa main dans la sienne et lui dit : nous serons toujours amis ». Si sœur Judith avait cru en la vocation de Carlo, don Rua lui permettait maintenant de la réaliser, « en le faisant passer par-dessus tous les obstacles ». Certes, Carlo Braga ne manquera pas de difficultés à chaque étape de sa vie. Comme novice, clerc, voire provincial, il connaîtra des renvois par mesure de prudence et parfois certaines formes de calomnies, mais il aura désormais appris à les affronter. Il devient de plus en plus un homme capable de rayonner une joie extraordinaire, un homme humble, actif et d’une délicate ironie ; ces caractéristiques témoignaient de l’équilibre de sa personne et de son sens de la réalité. Sous l’action de l’Esprit Saint, don Braga développe en lui une paternité rayonnante, à laquelle s’ajoute une grande tendresse pour les jeunes qui lui sont confiés. Il redécouvre l’amour pour son père, il lui pardonne et entreprend un voyage pour se réconcilier avec lui. Il se soumet à d’innombrables efforts pour être toujours au milieu de ses Salésiens et de ses jeunes. Il se définit comme celui qui a été « mis dans la vigne pour faire le piquet », c’est-à-dire dans l’ombre mais pour le bien des autres. Un père disait à son fils qu’il lui confiait comme aspirant salésien : « Avec un homme comme lui, je te laisse aller même au pôle Nord ! » Don Carlo ne s’indigne pas des besoins des enfants, au contraire il leur apprend à les exprimer, à accroître le désir : « As-tu besoin de livres ? N’aie pas peur, écris une liste plus longue ». Surtout, don Carlo a appris à poser sur les autres ce regard d’amour qu’il avait senti sur lui autrefois de la part de sœur Judith et de Don Rua. Don Giuseppe Zen, aujourd’hui cardinal, a donné ce témoignage dans un long passage qui mérite d’être lu intégralement et qui commence par les paroles de sa propre mère à don Braga :
            « Regardez, Père, ce garçon n’est plus très bon. Peut-être n’est-il pas adapté pour être accepté dans cet institut. Je ne voudrais pas que vous soyez trompé. Ah, si vous saviez comme il m’a fait désespérer cette dernière année ! Je ne savais vraiment plus quoi faire. Et s’il vous fait désespérer ici aussi, dites-le-moi, je viendrai le reprendre tout de suite ». Don Braga, au lieu de répondre, me regardait dans les yeux ; moi aussi je le regardais, mais la tête baissée. Je me sentais comme un accusé devant le Ministère Public, au lieu d’être défendu par mon avocat. Mais le juge était de mon côté. Avec son regard, il m’a profondément compris, tout de suite et mieux que toutes les explications de ma mère. Lui-même, m’écrivant de nombreuses années plus tard, s’appliquait les mots de l’Évangile : « Intuitus dilexit eum (en le regardant, il l’aima) ». Et depuis ce jour, je n’ai plus eu de doutes sur ma vocation.

5. Anna Maria Lozano Díaz et la féconde maladie de son père
            Les parents de Laura et de Carlo s’étaient révélés à divers titres « lointains » ou « absents ». Une dernière figure, celle d’Anna Maria, atteste le dynamisme opposé : celui d’un père trop présent, qui par sa présence ouvre à sa fille un nouveau chemin de sanctification. Anna naît le 24 septembre 1883 à Oicatà, en Colombie, dans une famille nombreuse, caractérisée par la vie chrétienne exemplaire de ses parents. Lorsqu’Anna est très jeune, son père découvre un jour en se lavant qu’il avait une tache suspecte sur sa jambe. C’est la terrible lèpre, qu’il parvient à cacher pendant un certain temps, mais qu’il est finalement contraint de reconnaître, acceptant d’abord de se séparer de sa famille, puis de la réunir auprès de lui près du lazaret d’Agua de Dios. Sa femme lui avait dit héroïquement : « Ton sort est le nôtre ». C’est ainsi que des personnes saines acceptent les conditionnements qui leur viennent de l’adoption du rythme des malades. Dans ce contexte, la maladie du père conditionne la liberté de choix d’Anna Maria, contrainte de projeter sa propre vie dans un établissement pour malades contagieux. Comme cela fut le cas pour Laura, elle se trouve dans l’impossibilité de réaliser sa vocation religieuse à cause de la maladie paternelle ; elle expérimente intérieurement la déchirure que la lèpre opère sur les malades. Mais Anna Maria n’est pas seule. Comme Don Bosco avec Don Calosso, Laura avec son confesseur et Carlo avec Don Rua, elle trouve un ami de l’âme. C’est le bienheureux Don Luigi Variara, salésien, qui lui donne cette assurance : « Si vous avez une vocation religieuse, elle se réalisera », et l’implique dans la fondation des Filles des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie, en 1905. C’est le premier Institut à accueillir en son sein des lépreux ou des filles de lépreux. Lorsque Lozano meurt, le 5 mars 1982 à presque 99 ans, Mère générale pendant plus d’un demi-siècle, l’intuition du salésien Don Variara s’est désormais concrétisée dans une expérience qui a confirmé et renforcé la dimension victimale et réparatrice du charisme salésien.

6. L’enseignement des saints
            Malgré leurs incontestables différences, les vies de Laura Vicuña (Bienheureuse), de Carlo Braga et d’Anna Maria Lozano (Serviteurs de Dieu) ont des caractéristiques communes dignes de mention :
            a) Laura, Anna et Carlo, comme déjà Don Bosco, souffrent de situations de malaise et de difficultés liées à divers titres à leurs parents. Maman Marguerite se voit contrainte d’éloigner Giovannino de la maison lorsque l’absence de l’autorité paternelle favorise l’opposition de son frère Antonio ; Laura a été menacée par Mora et refusée par les Filles de Marie Auxiliatrice comme aspirante ; Carlo Braga a subi des incompréhensions et des calomnies ; la lèpre du père semble à un certain moment priver Anna Maria de tout espoir d’avenir.
            Une famille souffrant de blessures diverses cause un dommage objectif à ceux qui en font partie. Méconnaître ou tenter de réduire l’ampleur de ce dommage serait une entreprise tout aussi illusoire qu’injuste. À chaque souffrance s’associe en effet un élément de perte que les « saints », avec leur réalisme, interceptent et apprennent à nommer.
            b) Giovannino, Laura, Anna Maria et Carlo effectuent à ce stade un second passage, plus ardu que le premier : au lieu de subir passivement la situation, ou de gémir sur elle, ils font face au problème avec une conscience accrue. En plus d’un vif réalisme, ils attestent la capacité, typique des saints, de réagir rapidement, évitant le repli autoréférentiel. Ils se dilatent dans le don, et ancrent ce don dans les conditions concrètes de la vie. Ce faisant, ils lient le « da mihi animas » au « caetera tolle ».
            c) Les limites et les blessures ne sont jamais supprimées, mais toujours reconnues et nommées ; elles sont même « habitées ». Plongés dans des événements historiques plus grands qu’eux et qui semblent les submerger, la Bienheureuse Alexandrina Maria da Costa et le Serviteur de Dieu Nino Baglieri, le Vénérable Andrea Beltrami et le Bienheureux Auguste Czartoryski, « atteints » par le Seigneur dans les conditions invalidantes de leur maladie, le Bienheureux Titus Zeman, le Vénérable José Vandor et le Serviteur de Dieu Ignace Stuchlý nous enseignent l’art difficile de tenir bon dans les difficultés et de permettre au Seigneur de nous épanouir en elles. La liberté de choix prend ici la forme très élevée d’une liberté d’adhésion, dans le « fiat ».

Note bibliographique
            Pour garder à ce texte son caractère de « témoignage » et non de « relation », on a évité d’y ajouter un appareil critique de notes. On signale cependant que les citations présentes dans le texte sont tirées des Mémoires de l’Oratoire ; de Maria Dosio, Laura Vicuña. Un chemin de sainteté juvénile salésienne, LAS, Rome 2004 ; de Don Carlo Braga raconte son expérience missionnaire et pédagogique (témoignage autobiographique du Serviteur de Dieu) et de la Vie de Don Carlo Braga, « Le Don Bosco de la Chine », écrite par le salésien Don Mario Rassiga et aujourd’hui disponible en polycopiés. À ces sources s’ajoutent ensuite les matériaux des Procès de béatification et de canonisation, accessibles pour Don Bosco et Laura, encore réservés pour les Serviteurs de Dieu.




Le Serviteur de Dieu Andrej Majcen : un salésien pour les jeunes

Cette année marque le 25e anniversaire du passage dans l’éternité du serviteur de Dieu, le père Andrej Majcen. Enseignant à Radna, il a rejoint les rangs des Salésiens par amour pour les jeunes. Une vie de don de soi.

            La première chose est que le pèreAndré Majcen aimait beaucoup les jeunes ; c’est pour eux qu’il a consacré sa vie à Dieu en tant que salésien, prêtre, missionnaire. Être salésien ne signifie pas seulement donner sa vie à Dieu, cela signifie aussi donner sa vie pour les jeunes. Sans les jeunes, le père André Majcen n’aurait pas été salésien, prêtre, missionnaire. Pour les jeunes, il a fait des choix exigeants, acceptant des conditions de pauvreté, de difficultés, de soucis pour que ses petits amis trouvent un toit, un plat pour remplir leur estomac, une lumière pour les guider dans l’existence.
            Le premier message est donc que le père Majcen a une prédilection pour les jeunes et intercède pour eux !
            Le second, c’est que le jeune André a été un jeune capable d’écouter. Né en 1904, encore enfant pendant la première guerre mondiale, malade et pauvre, marqué par la mort d’un petit frère, André gardait dans son cœur de grands désirs et surtout beaucoup de questions. Il était ouvert à la vie et voulait comprendre pourquoi elle méritait d’être vécue. Il n’a jamais écarté les questions et s’est toujours engagé à chercher des réponses, même dans d’autres milieux que le sien, sans fermetures ni préjugés. En même temps, André était docile : il prêtait attention à ce que sa mère, son père, ses éducateurs lui disaient et lui demandaient… Il estimait que d’autres pouvaient avoir des réponses à ses questions et que, dans leurs suggestions, il n’y avait pas le désir de le remplacer, mais de l’orienter dans une direction qu’il suivrait ensuite en toute liberté et par ses propres moyens.
Son père, par exemple, lui recommandait d’être toujours bon avec tout le monde en l’assurant qu’il ne le regretterait jamais. Il travaillait au tribunal, s’occupait des causes de succession, de beaucoup de choses difficiles où les gens se querellent souvent et où même les liens les plus sacrés sont mis à mal. Andrej a appris de son père à être bon, à apporter la paix, à résoudre les conflits, à ne pas juger, à être dans le monde (avec ses tensions et ses contradictions) comme une personne juste. André a écouté son père et lui a fait confiance.
Sa mère était une femme de prière (Andrej la considérait comme une religieuse dans le monde et reconnaissait que lui-même, comme religieux, n’avait pas égalé sa dévotion). À l’adolescence, alors qu’il aurait pu s’égarer au contact des idées et des idéologies, elle lui demandait de passer chaque jour quelques instants à l’église. Rien de particulier, ni de trop long : « Quand tu vas à l’école, n’oublie pas d’entrer un instant dans l’église franciscaine.Tu peux entrer par une porte et sortir par l’autre ; tu fais le signe de croix avec l’eau bénite, tu dis une courte prière et tu te confies à Marie ». Andrej obéissait à sa mère et chaque jour, il allait saluer Marie dans l’église, même si, « à l’extérieur », de nombreux compagnons et des débats animés l’attendaient. Il a écouté sa mère, il lui a fait confiance et a découvert que c’était chez elle que se trouvaient les racines de beaucoup de choses, qu’il y avait un lien avec Marie qui l’accompagnerait pour toujours. Ce sont ces petites gouttes qui creusent de grandes profondeurs en nous, presque sans que nous nous en rendions compte !
Un professeur l’invita à se rendre à la bibliothèque, où on lui remit un livre contenant les aphorismes de Th. G. Masaryk, homme politique, homme de gouvernement, « un laïc », dirions-nous aujourd’hui. André a lu ce livre et cela a été décisif pour sa croissance. Il y a découvert ce que signifiait un certain travail sur soi, la formation du caractère, l’engagement. Il a écouté les conseils, il a écouté Masaryk, sans se laisser trop influencer par son « Curriculum », mais en voyant le bien même chez quelqu’un qui était loin de la pensée catholique de sa famille. Il a découvert qu’il existe des valeurs humaines universelles et qu’il y a une dimension d’engagement et de sérieux qui est un « terrain commun » pour tous.
            Devenu instituteur chez les Salésiens, à Radna, le jeune Majcen a finalement écouté ceux qui, de différentes manières, lui ont donné l’idée d’une possible consécration religieuse. Il ne manquait pas de raisons pour se retirer : l’investissement de la famille dans son éducation, le travail qu’il avait trouvé quelques mois auparavant, le fait de devoir tout quitter et de s’exposer à une incertitude totale en cas d’échec… Il était à ce moment-là un jeune homme tourné vers l’avenir, qui n’avait pas envisagé une telle proposition. En même temps, il cherchait quelque chose de plus et de différent et, en tant qu’homme et en tant qu’enseignant, il s’est rendu compte que les Salésiens non seulement enseignaient, mais orientaient vers Jésus, Maître de Vie. La pédagogie de Don Bosco était pour lui la « pièce » qui lui manquait. Il a donc écouté la proposition vocationnelle, il a affronté une dure lutte dans la prière, à genoux, et il a décidé de demander l’admission au noviciat. Il a fait le choix sans laisser passer beaucoup de temps, mais il a réfléchi sérieusement, il a prié et a dit oui. Il n’a pas laissé passer l’occasion, il n’a pas laissé passer le moment… Il a écouté, il a fait confiance, il a décidé en acceptant et en sachant très peu de ce qu’il allait rencontrer.
            Souvent, nous croyons tous que nous voyons clair dans notre propre vie, que nous en détenons les clés, le secret. Parfois, cependant, ce sont précisément les autres qui nous invitent à redresser notre regard, nos oreilles et notre cœur, en nous montrant des chemins vers lesquels nous ne serions jamais allés par nous-mêmes. Si ces personnes sont bonnes et veulent notre bien, il est important de leur obéir : c’est là le secret du bonheur. Don Majcen a fait confiance, il n’a pas perdu des années, il n’a pas gaspillé sa vie… Il a dit oui. Décider sans trop tarder était aussi le grand secret recommandé par Don Bosco.

            La troisième constatation, c’est qu’Andrej Majcen s’est laissé surprendre. Il a toujours accueilli les surprises, les propositions et les changements : la rencontre avec les Salésiens, par exemple, puis la rencontre avec un missionnaire qui lui donné le désir ardent de pouvoir se dépenser pour les autres dans un pays lointain. Il a aussi eu de moins bonnes surprises : il va en Chine, et il y a le communisme ; on le chasse, il entre au Nord-Vietnam et le communisme y fait aussi des dégâts ; on le chasse du Nord, il se dirige vers le Sud-Vietnam, mais le communisme atteint aussi cette région et on le chasse de nouveau. On dirait un film d’action, avec une longue course-poursuite et des sirènes qui hurlent ! Il rentre chez lui, dans sa chère Slovénie, mais entre-temps le régime communiste s’y est établi, l’Église est persécutée. Qu’est-ce que tout cela ? Une plaisanterie ? Andrej ne s’est pas plaint ! Il a vécu pendant des décennies dans des pays en guerre ou en situation de risque, avec des persécutions, des urgences, des deuils… Il a dormi pendant plus de vingt ans alors que par la fenêtre, là-bas, on tirait… À certains moments, il pleurait… Et pourtant, bien qu’il ait eu des postes de responsabilité et tant de vies à sauver, il était presque toujours serein, avec un beau sourire, beaucoup de joie et d’amour dans le cœur. Comment a-t-il fait ?
            Il n’a pas mis son cœur dans les événements extérieurs, dans les choses, dans ce que l’on ne peut pas contrôler ou… dans ses propres plans (« il faut que ce soit comme ça parce que je l’ai décidé », et quand « ce n’est pas comme ça », on entre en crise). Il avait mis son cœur en Dieu, dans la Congrégation et dans ses chers jeunes. Il était alors vraiment libre, le monde pouvait s’écrouler, mais les racines étaient en sécurité. Les racines étaient dans les relations, dans une bonne façon de se dépenser pour les autres; le fondement était dans quelque chose qui ne passe pas.
            Tant de fois, il suffit qu’on déplace une petite chose pour que nous nous mettions en colère, parce que cela ne correspond pas à nos besoins, à nos désirs, à nos plans ou à nos attentes. Andrej Majcen me dit, il nous dit : « sois libre ! », « confie ton cœur à ceux qui ne le voleront pas et ne l’abîmeront pas », « construis sur quelque chose qui restera pour toujours ! », « alors tu seras heureux, et même si on t’enlève tout, tu auras toujours le TOUT ».
            La quatrième constatation est que Don Andrej Majcen faisait bien son examen de conscience. Chaque jour, il s’examinait pour voir ce qu’il avait fait de bien, de moins bien ou de mal. Lorsqu’il en avait la possibilité (c’est-à-dire lorsqu’il n’y avait plus de bombes près de sa maison ou de Viêt-Cong à proximité, etc.), il prenait un carnet, écrivait des questions, réfléchissait à la Parole de Dieu, vérifiait s’il l’avait mise en pratique… Il se remettait en question.
            Aujourd’hui, nous vivons dans une société qui accorde beaucoup d’importance à l’extériorité ; en soi c’est un bien (par exemple, prendre soin de soi, s’habiller correctement, bien se présenter), mais ce n’est pas tout. Il faut creuser à l’intérieur de soi, aller en profondeur, peut-être avec l’aide de quelqu’un.
            Andrej Majcen a toujours eu le courage de se regarder en face, de scruter son cœur et sa conscience, de demander pardon. Ce faisant, il a rencontré des aspects peu reluisants de lui-même, sur lesquels il a dû travailler et qu’il a dû reconnaître. Mais il a vu aussi en lui beaucoup de bien, de beauté, de pureté, d’amour qui, autrement, seraient restés cachés.
            Souvent, il faut plus de courage pour voyager à l’intérieur de soi que pour aller à l’autre bout du monde ! Le père Andrej Majcen a fait ces deux voyages : parti de la Slovénie il a atteint l’Extrême-Orient, et pourtant l’itinéraire le plus exigeant est toujours resté celui qu’il a parcouru dans son cœur, jusqu’à la fin.
            Saint Augustin, un jeune homme qui a cherché la vérité de partout avant de la rencontrer en la personne de Jésus, à l’intérieur de lui-même, a dit : « Noli foras ire, redi in te ipsum, in interiore homini habitat veritas » (« Ne va pas à l’extérieur, reviens à l’intérieur de toi-même, la vérité habite dans l’homme intérieur »).
            Je termine ainsi par ce petit exercice de latin, une langue chère à notre Andrej Majcen et liée à son discernement vocationnel. Mais ce serait vraiment là, du moins pour l’instant, une autre histoire !




Rencontre avec Véra Grita de Jésus, Servante de Dieu

Véra Grita, comme Alexandrina Maria da Costa (de Balazar), toutes deux coopératrices salésiennes, sont deux témoins privilégiés de Jésus présent dans l’Eucharistie. Elles sont un don de la Providence à la Congrégation salésienne et à l’Église, nous rappelant les dernières paroles de l’Évangile de Matthieu : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».

Invitation à une rencontre
            Parmi les figures de sainteté insérées au cours des dernières années dans la Famille salésienne, il y a maintenant Véra Grita (1923-1969), laïque, consacrée par des vœux privés, salésienne coopératrice et mystique. Véra a été déclarée Servante de Dieu (la phase diocésaine est terminée et la phase romaine de la Cause est actuellement en cours). Son importance pour nous découle essentiellement de deux facteurs : en tant que coopératrice, elle appartient du point de vue charismatique à la grande Famille de Don Bosco et nous pouvons sentir qu’elle est notre « sœur » ; en tant que mystique, le Seigneur Jésus lui a « dicté » l’Œuvre des Tabernacles Vivants, une Œuvre eucharistique de grande portée ecclésiale qui, par la volonté du Ciel, a été confiée en premier lieu aux Salésiens. Jésus interpelle les salésiens avec force pour qu’ils connaissent, vivent et approfondissent Son Œuvre d’Amour dans l’Église et en témoignent auprès de tous les hommes. Connaître Véra Grita signifie donc, aujourd’hui, prendre conscience d’un grand don fait à l’Église par l’intermédiaire des fils de Don Bosco, et répondre à la demande de Jésus qui veut que ce soient les Salésiens eux-mêmes qui gardent ce précieux trésor et le donnent aux autres, en s’engageant profondément dans l’Œuvre.
            Le fait que cette Œuvre soit avant tout eucharistique (« Tabernacles vivants ») et mariale (Marie Immaculée, Notre-Dame des Douleurs, Auxiliatrice, Mère de l’Œuvre) nous renvoie au fameux « rêve des deux colonnes » de Don Bosco : le navire de l’Église trouve la sécurité face à l’attaque des ennemis en s’ancrant aux deux colonnes de la Vierge Marie et de l’Eucharistie.
            Il y a par conséquent une dimension salésienne constitutive qui traverse la vie de Véra : cela nous aide à la sentir proche de nous, comme une nouvelle amie et une sœur spirituelle. Elle nous prend par la main et nous conduit – avec la douceur et la force qui la caractérisent – à une nouvelle rencontre d’une grande beauté avec Jésus Eucharistie, afin qu’Il soit accueilli et porté aux autres. C’est aussi un geste de préparation à Noël, car Marie (« tabernacle d’or ») nous apporte et nous donne Jésus : le Verbe de vie (cf. 1 Jn 1,1), fait chair (cf. Jn 1,14).

Profil biographique et spirituel de Véra Grita
            Véra Grita est née à Rome le 28 janvier 1923, deuxième des quatre filles de Amleto Grita et de Maria Anna Zacco della Pirrera. Ses parents étaient originaires de Sicile. Amleto appartenait à une famille de photographes ; Maria Anna était la fille d’un baron de Modica ; en se mariant contre la volonté de son père, elle avait perdu tout privilège et la possibilité même de cultiver des liens avec sa famille d’origine, pour toujours. Véra est née d’un déchirement affectif, mais aussi d’un grand amour auquel ses parents ont su rester fidèles à travers de nombreuses épreuves.
            L’antifascisme du père Amleto, un vol de matériel photographique et surtout la crise de 1929-1930 ont eu de graves répercussions sur la famille Grita. En peu de temps, ils se retrouvent pauvres et incapables d’assurer l’avenir de leurs filles. Tandis qu’Amleto, Maria Anna et leur fille cadette Rosa restent ensemble et refont leur vie à Savone en Ligurie, Véra grandit avec ses sœurs Giuseppina et Liliana à Modica chez ses tantes paternelles, femmes de foi et de talent, pleinement dans le monde mais « pas du monde » (cf. Jn 17). À Modica, ville sicilienne classée au patrimoine de l’UNESCO pour les splendeurs de son baroque, Véra fréquente les Filles de Marie Auxiliatrice et reçoit la première communion et la confirmation. Elle est attirée par la vie de prière et attentive aux besoins de son prochain, taisant ses propres souffrances pour faire la maman de sa petite sœur Liliana. Le jour de sa première communion, elle voudrait ne plus quitter sa robe blanche, car elle est consciente de la valeur de ce qu’elle a vécu et de tout ce que cela signifie.
            Ayant rejoint sa famille en Ligurie en 1940, Véra décroche un diplôme d’institutrice. Le décès précoce de son père Amleto en 1943 la contraint à aider sa famille en renonçant à l’enseignement qu’elle souhaitait.
            Le 3 juillet 1944 – elle avait 21 ans – alors qu’elle cherchait un refuge lors d’un raid aérien, Véra fut renversée et piétinée par la foule en fuite. Pendant plusieurs heures elle resta allongée sur le sol, lacérée, meurtrie, avec de graves blessures, à tel point qu’on la crut morte. Son corps en resta marqué à vie et, au fil du temps, des pathologies se manifestèrent, comme la maladie d’Addison (qui prive de l’hormone responsable de la gestion du stress), suivies d’interventions chirurgicales continues, notamment l’ablation de l’utérus. Les événements du 3 juillet avec ses conséquences pour sa santé l’empêchèrent de former une famille, comme elle l’aurait souhaité. « À partir de là, ce fut une succession d’hospitalisations, d’opérations, d’analyses, de douleurs lancinantes à la tête et dans tout le corps. On diagnostiqua des maladies terribles, on essaya divers remèdes. Les organes atteints ne répondaient pas aux traitements et, dans ce désordre inexplicable, l’un de ses médecins traitants, stupéfait [,] déclara qu’on ne comprenait pas comment la patiente a pu trouver un équilibre ».
            Pendant 25 ans, jusqu’à la fin de sa vie terrestre, Véra Grita portera courageusement une souffrance qui s’approfondira en souffrance morale et spirituelle qu’elle voilera de discrétion et de sourire, sans cesser de se consacrer aux autres. Son corps devenait un corps « lourd » (mais gracieux : Véra a toujours été très féminine et belle), un corps qui imposait des contraintes, des lenteurs et des fatigues à chaque pas.
            À trente-cinq ans, elle réalise son rêve d’enseignante au prix d’un grand effort de volonté. De 1958 à 1969, elle est institutrice dans des écoles situées presque toutes dans l’arrière-pays ligure : difficiles d’accès, avec de petites classes et des élèves parfois défavorisés ou handicapés à qui elle donne confiance, compréhension et joie, allant jusqu’à renoncer à ses médicaments pour acheter les reconstituants nécessaires à leur croissance. En famille avec ses nièces, elle est plus « maman » que leur propre mère, témoignant d’une sensibilité éducative très fine et d’une créativité unique, humainement impensable dans les conditions où elle se trouve (cf. Is 54). Lorsque la relation aux autres, les situations ou les problèmes semblent prendre le dessus et que Véra fait l’expérience du découragement humain ou est tentée de se rebeller, quand elle éprouve un sentiment d’injustice, elle sait relire l’histoire à la lumière de l’Évangile et se souvenir de sa mission de « petite victime ». « Aujourd’hui […], écrira-t-elle un jour à son père spirituel, je vois les choses selon leur vraie valeur ». « Restons calmes dans l’obéissance« , lui recommande le prêtre.
            Le 19 septembre 1967, pendant qu’elle priait devant le Saint-Sacrement exposé dans la petite église Marie-Auxiliatrice de Savone, elle reçut intérieurement le premier d’une longue série de Messages que le Ciel lui communiquera dans le court espace de deux ans. Ce sera le début de l’ »Œuvre des Tabernacles Vivants », œuvre d’Amour par laquelle Jésus Eucharistie veut être connu, aimé et porté aux âmes, dans un monde de plus en plus incrédule et qui Le cherche de moins en moins. Pour elle, c’est le début d’une relation de plénitude croissante avec le Seigneur. Jésus se rend présent dans sa vie quotidienne, au sein d’un dialogue concret pareil à celui de deux amants. Jésus participe à la vie de Véra en toute chose, il dicte Ses pensées même quand Véra écrit une lettre, si bien que la lettre est écrite à « quatre mains », dans la plus grande familiarité. Il ne s’agit plus simplement de « porter à Jésus« , mais de « porter Jésus » : Lui !
            Véra soumet tout à son père spirituel, dans l’obéissance à l’Église, avec un grand sentiment de dépendance, beaucoup d’obéissance et une immense humilité. Jésus avait pris une maîtresse d’école pour la mettre à l’école de Son Amour, en la formant à travers les Messages et surtout en l’appelant à la cohérence entre la foi et la vie. Jésus est un Époux merveilleux mais très exigeant. Pour la former au chemin de la vertu, il recourt à des images fortes : le creusement, le travail, le ciseau et le marteau avec ses « coups ». Par là il veut enseigner à Véra ce dont il doit la débarrasser, et combien une âme doit peiner pour devenir un véritable Temple de la Présence de Dieu : « Je travaille en toi à coups de ciseau […]. Mon marteau, ce sont les aridités, les petites et les grandes croix. Les coups arriveront par intervalles, mes coups. Je dois te débarrasser de beaucoup de choses : la résistance à mon amour, la méfiance, les peurs, l’égoïsme, les angoisses inutiles, les pensées non chrétiennes, les habitudes mondaines« . La docilité de Véra est une ascèse quotidienne, l’humilité lui fait reconnaître ses limites mais la rend disponible à la toute-puissance et à la miséricorde de Dieu. Jésus, à travers elle, nous enseigne un chemin de sainteté, qui nous conduit certes à accueillir la plénitude de Sa Vie, mais nous demande en même temps le « retranchement » de ce qui Lui oppose une résistance. Nous sommes appelés à une sainteté… par « soustraction », pour devenir transparence de Lui. La première caractéristique du Tabernacle est, en effet, d’être vide et disposé à accueillir une Présence. Comme l’a souligné une maîtresse des novices d’un monastère de bénédictines du Saint-Sacrement : « Les pensées qu’elle écrit sont de Jésus. Que de pureté même dans ces textes ! Parfois, y compris dans les journaux spirituels d’âmes saintes et belles, que de subjectivité […] et il est juste qu’il en soit ainsi. […] Véra [au contraire] disparaît, elle n’y est pas [,] elle ne se raconte pas » (cf.).
            Véra a pu dire un jour : « Mes élèves font partie de moi, de mon amour pour Jésus ». C’est le fruit mûr d’une vie eucharistique qui fait d’elle un « pain rompu » en union avec l’Unique Victime. Sans Jésus, elle ne pouvait plus vivre : « Je veux Jésus quoi qu’il arrive. Je ne peux plus vivre sans lui, je ne peux pas ». Une déclaration « ontologique » qui parle du lien indissoluble entre elle et son Époux eucharistique.
            À Alpicella (Savone), le 6 octobre 1959, Véra Grita avait reçu un premier Message, suivi de huit années de silence. Le 2 février 1965, elle prononce le vœu de chasteté perpétuelle et celui de « petite victime » pour les prêtres, qu’elle sert avec une délicatesse et un dévouement particuliers. Elle devient coopératrice salésienne le 24 octobre 1967. Elle aime intensément Marie, à qui elle s’était consacrée, et vit une relation filiale avec Elle dans l’esprit de « l’esclavage d’amour » de Grignion de Montfort. Plus tard, elle s’offrira pour d’autres intentions, pour l’Église, en particulier pour les prêtres qui, vers 1968, avaient abandonné leur vocation, mais restaient des fils aimés, proches du Cœur du Christ, comme Il l’assurait Lui-même.
            Véra était considérée comme une personne digne de foi, très aimée et estimée, et elle était entourée d’une réputation de sainteté. Elle mourut à l’hôpital « Santa Corona » de Pietra Ligure (Savone) le 22 décembre 1969 à la suite d’un choc hypovolémique dû à une hémorragie massive, suivie d’une défaillance de plusieurs organes. Elle était devenue l’ »épouse de sang », comme Jésus l’avait définie dans ses Messages, bien avant qu’elle ne comprenne ce que cela signifiait.
            Quelques instants après son décès, l’aumônier eut un geste aussi spontané qu’inhabituel : il éleva sa dépouille vers le ciel, priant et offrant tout, et présentant Véra comme une offrande agréable : consummatum est ! C’était le dernier d’une série de gestes qui avaient ponctué la vie de la Servante de Dieu et qu’elle-même, sous d’autres formes, avait accomplis : les grands signes de croix ; les génuflexions faites avec lenteur et humilité ; la dévotion à la Scala Santa de Rome gravie à genoux en tenant dans ses mains les livrets dans lesquels elle transcrivait les Messages de l’Œuvre ; l’offrande d’elle-même portée jusqu’à Saint-Pierre. Quand elle ne comprenait pas, par lassitude et parfois par doute, Véra Grita faisait. Elle savait que le plus important n’était pas ses sentiments personnels, mais l’objectivité de l’Œuvre de Dieu en elle et à travers elle. Elle avait écrit à propos d’elle-même : « Je suis terre et je ne sers à rien, sauf à écrire sous la dictée » ; « parfois je comprends et parfois je ne comprends pas » ; « à Jésus je demande de ne jamais me laisser mais d’utiliser ce chiffon pour Ses Projets divins ». Son directeur spirituel, étonné, fit un jour ce commentaire à propos des Messages : « Je les trouve splendides, voire source de béatitude. Mais comment fait-elle pour rester si aride ? » Véra ne s’est jamais regardée elle-même et, comme pour toute mystique, la lumière qui l’éclairait plus fortement se changeait en nuit obscure, ténèbres lumineuses, épreuve de la foi.
            Huit ans plus tard, le 22 septembre 1977, le pape Paul VI (déjà destinataire de certains messages de l’Œuvre et qui avait institué les ministres extraordinaires de l’Eucharistie en 1972), reçut en audience le père Gabriel Zucconi, salésien, père spirituel de Véra Grita, et bénit l’Œuvre des Tabernacles Vivants.
            Le 18 mai 2023, l’évêque de Savone-Noli, Mgr Calogero Marino, « approuva les statuts de l’Association Œuvre des Tabernacles Vivants et l’érigea le 19 mai en Association privée de fidèles, en reconnaissant également sa personnalité juridique ». En 2017, le Recteur majeur des salésiens, le cardinal Artime, donna son autorisation et chargea la Postulation SDB d’ »accompagner toutes les démarches nécessaires pour que l’Œuvre […] continue à être étudiée, promue dans notre Congrégation et reconnue par l’Église, en esprit d’obéissance et de charité ».

Être et devenir des « Tabernacles vivants »
            Au centre des Messages confiés à Véra il y a Jésus Eucharistie. Nous avons tous l’expérience de l’Eucharistie, mais il convient de noter, comme l’a fait le P. François-Marie Léthel, ocd, théologien, que l’Église a approfondi la signification du sacrement de l’autel au cours du temps, allant d’une découverte à une autre. C’est ainsi, par exemple, qu’on est passé de la célébration à la Réserve eucharistique, et de la Réserve à l’Exposition pendant l’Adoration du Saint-Sacrement… Jésus demande, par l’intermédiaire de Véra, un pas supplémentaire : de l’Adoration à l’église, où il faut aller pour Le rencontrer, au commandement : « Porte-moi avec toi !  » (cf. ci-dessous). Jésus, qui a fait Sa demeure dans Son Tabernacle Vivant (chacun de nous), veut sortir des églises pour rejoindre ceux qui n’y entreraient jamais spontanément, ceux qui ne croient pas en sa Présence, ceux qui ne le cherchent pas, ne l’aiment pas ou même l’excluent lucidement de leur existence. La grâce charismatique accordée à l’Œuvre est en fait celle de la permanence eucharistique de Jésus dans l’âme. Jésus demande à celui qui Le reçoit dans la Sainte Messe et reste sensible à Ses appels et à Sa Présence, de Le rayonner dans le monde, auprès de chaque frère, surtout auprès des plus démunis. Véra Grita, qui a déjà vécu ce qui est demandé à chacun, devient l’exemple et le modèle, au sens littéral du terme, d’une vie vécue dans un corps-à-Corps profond avec le Seigneur eucharistique. Le but à atteindre est que Lui-même puisse voir, parler et agir à travers l’âme qui Le porte et Le donne. Jésus a dit : « Je me servirai de votre façon de parler, de vous exprimer, pour parler, pour arriver aux autres âmes. Donnez-moi vos facultés, pour que je puisse vous rencontrer tous et en tout lieu. Au début ce sera pour l’âme un travail d’attention, de vigilance, pour écarter tout ce qui fait obstacle à ma Permanence en elle. Mes grâces dans les âmes appelées à cette Œuvre seront progressives. Aujourd’hui tu portes Mon baiser en famille; une autre fois, quelque chose de plus et encore toujours plus, jusqu’à ce que, presque à l’insu de l’âme elle-même, je ferai, j’agirai, je parlerai, et j’aimerai, à travers elle, toutes les personnes qui s’approcheront de cette âme, c’est-à-dire de Moi. Il y a celui qui agit, parle, regarde, travaille en se sentant guidé seulement par mon Esprit, mais je suis déjà Tabernacle Vivant dans cette âme, et elle ne le sait pas. Mais elle doit le savoir, parce que je veux son adhésion à ma PERMANENCE EUCHARISTIQUE dans son âme; je veux que cette âme me donne aussi sa voix pour parler aux autres hommes, ses yeux pour que les miens rencontrent le regard des frères, ses bras pour que je puisse en embrasser d’autres, ses mains pour caresser les petits, les enfants, ceux qui souffrent. Cette Œuvre a cependant comme base l’amour et l’humilité. L’âme doit avoir toujours devant elle ses propres misères, sa propre nullité, et ne jamais oublier de quelle pâte elle est pétrie » (Savone, 26 décembre 1967).
            On comprend dès lors les divers aspects de la « salésianité » présents dans ce charisme : la vie donnée aux autres ; la mission particulière au service des petits, des pauvres, des oubliés, de ceux qui sont loin ; l’ »intériorité apostolique » qui signifie être tout en Dieu et tout pour les frères ; la douceur de celui qui ne met pas sa personne en avant mais rayonne la mansuétude et la joie du Seigneur crucifié et ressuscité ; l’attention privilégiée aux jeunes, appelés eux aussi à participer à cette vocation.
            Aujourd’hui Véra revient frapper à la porte des fils de Don Bosco. Rappelons que son confesseur était un salésien (Don Giovanni Bocchi), son père spirituel également salésien (Don Gabriello Zucconi) et le « référent » de son expérience mystique lui aussi salésien (Don Giuseppe Borra). L’Œuvre elle-même est née à Turin, dans le berceau du charisme salésien.

Références bibliographiques :
Centro Studi “Opera dei Tabernacoli Viventi” (a cura di), Portami con Te! L’Opera dei Tabernacoli Viventi nei manoscritti originali di Vera Grita, ElleDiCi, Torino 2017.
Centro Studi “Opera dei Tabernacoli Viventi” (a cura di), Vera Grita una mistica dell’Eucaristia. Epistolario di Vera Grita e dei Sacerdoti Salesiani don G. Bocchi, don G. Borra e don G. Zucconi, ElleDiCi, Torino 2018.
Les deux textes contiennent des études sur le contexte historique et biographique, et des approfondissements de nature théologique et spirituelle, salésienne et ecclésiale de l’Œuvre.

« Mère de Jésus, Mère du bel Amour, donne l’amour à mon pauvre cœur, donne pureté et sainteté à mon âme, donne la volonté à mon caractère, donne de saintes lumières à mon esprit, donne-moi Jésus, donne-moi ton Jésus pour toujours ». (Prière à Marie enseignée par Jésus à Véra Grita)




Laura Vicuña : une fille qui « engendre » sa mère

Histoires de familles blessées
            Nous avons l’habitude d’imaginer la famille comme une réalité harmonieuse, caractérisée par la présence simultanée de plusieurs générations et par le rôle des parents qui fixent la norme et des enfants qui – en l’apprenant – sont guidés par eux dans l’expérience de la réalité. Mais les familles se trouvent souvent traversées par des drames et des incompréhensions, ou marquées par des blessures qui attaquent leur idéal et leur donnent une image déformée, déformante et fausse.
            L’histoire de la sainteté salésienne est également traversée par des histoires de familles blessées. Il y a des familles où au moins une des figures parentales est absente, ou dans lesquelles la présence du père et de la mère devient, pour différentes raisons (physiques, psychiques, morales et spirituelles), pénalisante pour leurs enfants, y compris quand un des membres est en route vers les honneurs des autels. Don Bosco lui-même, qui avait connu la mort prématurée de son père et l’éloignement de la famille par la volonté prudente de Maman Marguerite, a voulu – ce n’est pas un hasard – que l’œuvre salésienne soit dédiée particulièrement à la « jeunesse pauvre et abandonnée ». Il n’a même pas hésité à mettre en œuvre une intense pastorale des vocations auprès des jeunes formés dans son oratoire. Il démontrait ainsi qu’aucune blessure du passé n’est un obstacle pour une pleine vie humaine et chrétienne. La sainteté salésienne elle-même, présente dans la vie de nombreux jeunes de Don Bosco qui se sont consacrés grâce à lui à la cause de l’Évangile, porte en elle comme une conséquence logique la trace de familles blessées.
            Parmi ces garçons et ces filles qui ont grandi au contact des œuvres salésiennes, nous présentons la bienheureuse Laura Vicuña, née au Chili en 1891, orpheline de père et dont la mère a commencé à cohabiter en Argentine avec le riche propriétaire terrien Manuel Mora. Blessée par la situation d’irrégularité morale de sa mère, Laura était prête à offrir sa vie pour elle.

Une vie courte mais intense
            Née à Santiago du Chili le 5 avril 1891 et baptisée le 24 mai suivant, Laura est la fille aînée de José D. Vicuña, un noble déchu qui avait épousé Mercedes Pino, la fille de modestes paysans. Trois ans plus tard arrive une petite sœur, Julia Amanda. Mais le père meurt bientôt, après avoir subi une défaite politique qui a miné sa santé et compromis son honneur en même temps que les ressources de sa famille. Privée de toute « protection et perspective d’avenir », la mère débarque en Argentine, où elle se met sous la tutelle du propriétaire terrien Manuel Mora, un homme « au caractère superbe et hautain », qui « ne dissimule pas sa haine et son mépris à l’égard de quiconque s’oppose à ses desseins ». Un tel homme ne garantit une protection qu’en apparence, mais en réalité a l’habitude de prendre ce qu’il veut, si nécessaire par la force, en exploitant les gens. Certes, il paie les études de Laura et de sa sœur à l’internat des Filles de Marie Auxiliatrice, mais leur mère subit l’influence psychologique de Mora et vit avec lui sans trouver la force de rompre le lien. Mora commence à montrer des attentions malhonnêtes à l’égard de Laura elle-même, au moment même où elle se prépare à la première communion. C’est alors que Laura prend soudain conscience de la gravité de la situation. Contrairement à sa mère, qui justifie un mal (la cohabitation) par un bien (l’éducation de ses filles dans un internat), Laura comprend qu’il s’agit d’un argument moralement illégitime, qui met l’âme de sa mère en grand danger. À cette époque, Laura souhaitait devenir elle-même religieuse de Marie Auxiliatrice, mais sa demande fut rejetée, car elle était la fille d’une « concubine publique ». Reçue au pensionnat alors que dominaient encore en elle « l’impulsivité, la facilité à éprouver du ressentiment, l’irritabilité, l’impatience et la propension à paraître », voici que se produit en elle un changement que seule la grâce, associée à la coopération humaine, peut provoquer : elle demande à Dieu la conversion de sa mère, en s’offrant elle-même pour elle. Dans cette situation, Laura ne peut ni avancer (entrer chez les Filles de Marie Auxiliatrice) ni reculer (retourner auprès de sa mère et de Mora). Avec la créativité propre aux saints, Laura s’engage alors sur le seul chemin qui lui était encore accessible : avancer en hauteur et en profondeur. Dans les résolutions de sa première communion, on lit ceci :

Je me propose de faire tout ce que je sais et peux pour […] réparer les offenses que vous, Seigneur, recevez chaque jour des hommes, surtout des personnes de ma famille ; mon Dieu, donnez-moi une vie d’amour, de mortification et de sacrifice.

            C’est alors qu’elle fait de sa résolution un « Acte d’offrande », qui inclut le sacrifice de sa vie elle-même. Son confesseur, reconnaissant que l’inspiration vient de Dieu mais ignorant les conséquences, donne son accord et confirme que Laura est « consciente de l’offrande qu’elle vient de faire ». Elle vit les deux dernières années dans le silence, la gaieté et le sourire. Son caractère déborde de chaleur humaine. Pourtant, le regard qu’elle porte sur le monde – comme le confirme une photo, très différente de la stylisation hagiographique habituelle – trahit sa prise de conscience douloureuse et la souffrance qui l’habitent. Dans une situation où elle est privée de la liberté par rapport aux conditionnements, obstacles et épreuves, comme aussi de la liberté de faire quoi que ce soit, cette pré-adolescente témoigne d’une « liberté pour » : celle du don total de soi.
Laura ne méprise pas la vie, elle aime la vie, la sienne et celle de sa mère. Pour cela, elle s’offre. Le 13 avril 1902, dimanche du Bon Pasteur, elle se demande : « Si Jésus donne sa vie… qu’est-ce qui m’empêche de donner la mienne pour maman ? » Au moment de sa mort, elle ajoute : « Maman, je meurs, je l’ai moi-même demandé à Jésus… depuis près de deux ans, je lui offre ma vie pour toi… pour obtenir la grâce de ton retour ! »
            Ce sont là des paroles dépourvues de regrets et de reproches, mais chargées d’une grande force, d’une grande espérance et d’une grande foi. Laura a appris à accueillir sa mère pour ce qu’elle est. Elle s’offre pour lui donner ce que toute seule elle ne peut obtenir. À la mort de Laura, la maman se convertit. Sa fille, Laurita de los Andes, a ainsi contribué à engendrer sa mère dans la vie de la foi et de la grâce.




Le Vénérable Constantin Vendrame, apôtre du Christ

La cause de canonisation du serviteur de Dieu Constantin Vendrame progresse. Le 19 septembre 2023, le volume de la « Positio super Vita, Virtutibus et Fama Sanctitatis » a été remis à la Congrégation pour les causes des saints au Vatican. Présentons brièvement ce prêtre profès de la Société de Saint François de Sales.

Des collines de la Vénétie à celles du Nord-Est de l’Inde
Le Père Costantino Vendrame, Serviteur de Dieu, est né à San Martino di Colle Umberto (Trévise) le 27 août 1893. San Martino, un hameau de la commune de Colle Umberto, est un charmant petit pays de la région de Vénétie, dans la province de Trévise. Du haut de ses collines, San Martino est orienté à la fois vers la plaine sillonnée par le Piave et vers les Préalpes de la région de Belluno. Pays de collines qui regarde d’un côté vers les montagnes et de l’autre vers la plaine, San Martino a cette double caractéristique de proximité des grands centres de population et de projection idéale vers le monde sobre et retiré des montagnes. Le futur missionnaire Don Costantino retrouvera tout cela dans le Nord-Est de l’Inde, coincé entre les premiers contreforts de la chaîne himalayenne et la vallée du Brahmapoutre.

Sa famille appartenait également à ce monde de gens simples. Son père Pietro, forgeron de profession, et sa mère Elena Fiori, originaire de Cadore, se sont probablement connus dans les montagnes. Les liens de Don Vendrame avec ses frères étaient étroits : avec Giovanni, dont il gardait un souvenir fidèle ; avec Antonia, mère d’une famille nombreuse ; avec sa sœur bien-aimée Angela, à laquelle il était uni par une profonde affection, dans l’harmonie des œuvres et des intentions. Avec son exubérante créativité, Angela restera au service de sa paroisse et offrira souffrances et mérites pour l’entreprise apostolique et missionnaire de son frère. Le souvenir de son frère aîné Canciano, envolé vers le ciel à l’âge de 13 ans, était également très présent dans la famille.

Baptisé le lendemain de sa naissance (28 août) et confirmé en novembre 1898, bientôt orphelin de père, Costantino fit sa première communion le 21 juillet 1904. Au cours de son enfance passée dans les tâches quotidiennes, la vocation sacerdotale commence à se dessiner. Elle trouve peut-être ses racines dans le fait que le petit Costantino fut confié à la Vierge sur l’initiative de sa mère et cette initiative s’est ensuite transformée en une donation plus complète.
Au séminaire, que le Serviteur de Dieu fréquenta à Ceneda (Vittorio Veneto) avec succès, il manquait cependant le souffle missionnaire qu’il sentait en lui. Il se tourna alors vers les Salésiens et c’est dans la maison salésienne de Mogliano Veneto que, « dans la petite conciergerie, en 1912, avec le bon Père Dones, ma vocation salésienne et missionnaire a été décidée ».
Il parcourt les étapes de la formation à la profession religieuse parmi les fils de Don Bosco, d’abord comme aspirant (à partir d’octobre 1912 à Vérone), puis comme novice (à partir du 24 août 1913 à Ivrea), et enfin comme profès temporaire (en 1914) et perpétuel (à partir du 1er janvier 1920 à Chioggia). Il sera ordonné prêtre à Milan le 15 mars 1924. Dès son admission au noviciat, on le remarquait comme étant « très ferme dans la pratique et bien instruit ». Ses notes au séminaire avaient toujours été excellentes et il obtint de bons résultats dans la Société de Saint François de Sales.
Son parcours de préparation est marqué par le service militaire obligatoire. C’étaient les années de la Grande Guerre 1914-1918 (1915-1918 pour l’Italie). Au cours de cette période, le clerc Vendrame ne revient pas en arrière, il s’ouvre à ses supérieurs, il tient ses engagements. Les années de la Première Guerre mondiale ont encore renforcé en lui le courage qui lui sera tellement utile en mission.

Missionnaire de feu

Le 5 octobre 1924, le Père Costantino Vendrame reçoit le crucifix des missionnaires dans la basilique de Marie Auxiliatrice à Turin. Quelques semaines plus tard, il s’embarque à Venise pour l’Inde : destination l’Assam, dans le Nord-Est. Il y arrive à temps pour Noël. Sur une petite image il écrivit : « Sacré-Cœur de Jésus, en vous j’ai tout confié, en vous j’ai tout espéré et je n’ai pas été confondu ». Avec ses confrères pendant le voyage il médite À la rencontre du Roi d’Amour : « Tout est là, tout l’Évangile, toute la Loi. Je vous ai aimés […] », « je vous ai aimés plus que ma vie, parce que j’ai donné ma vie pour vous, et quand on a donné sa vie, on a tout donné ». Tel est le programme de son engagement missionnaire.

Alors que les salésiens plus jeunes avaient accompli la plus grande partie de leur première formation en Inde, il y arrive comme un homme fait, en pleine vigueur ; il a 31 ans et peut profiter non seulement de la dure expérience de la guerre, mais aussi de son apprentissage dans les oratoires italiens. Il rencontre une terre belle et difficile, où domine un paganisme de type animiste et où certaines sectes protestantes nourrissent une attitude de méfiance préalable ou d’opposition ouverte à l’encontre de l’Église catholique. Il choisit le contact avec la population, il décide de faire le premier pas et commence par les enfants, à qui il apprend à prier et qu’il fait jouer. Ce sont ces « petits amis » (peu de catholiques, quelques protestants, presque tous païens) qui parlent de Jésus et du missionnaire catholique dans leur famille et qui aident le Père Vendrame dans son apostolat. Il est aidé par ses confrères qui, au fil des années, le reconnaîtront comme le « pionnier » de l’activité missionnaire salésienne en Assam, et par de bons collaborateurs laïcs, formés au fil du temps.
De cette première période il laisse le souvenir d’un missionnaire « de feu », animé par le seul intérêt de la gloire de Dieu et du salut des âmes. Son style devient celui de l’Apôtre des Gentils, auquel il sera comparé pour l’efficacité propulsive de son annonce et la forte attraction des païens vers le Christ. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile » (cf. 1 Cor 9, 16), dit le P. Vendrame avec sa vie. Il s’expose à toutes les épreuves, pourvu que le Christ soit annoncé. En effet, pour lui aussi, « voyages innombrables, dangers des fleuves […], dangers des païens […] ; privations et labeurs, veilles sans nombre, faim et soif, jeûnes fréquents, froid et nudité » (cf. 2 Co 11, 26-27). Le Serviteur de Dieu devient un marcheur dans le Nord-Est de l’Inde, infesté de dangers de toutes sortes ; il subvient à ses besoins avec un régime alimentaire très maigre ; il doit faire face à des retours nocturnes ou à des nuits passées dans un froid presque glacial.

Toujours dans les tranchées
Au début de la deuxième guerre mondiale et dans les années qui ont suivi, le P. Constantin connut des moments particulièrement difficiles dus à la situation (camps militaires, extrême pauvreté en Inde du Sud) et à une opposition très dure contre l’Église en Inde du Nord-Est, mais il a pu profiter d’un fort entraînement préalable : sous la garde des Gurkhas, à Deoli, à Dehra Dun, comme missionnaire à Wandiwash dans le Tamil Nadu, à Mawkhar en Assam. À Deoli il est « recteur » des religieux du camp ; à Dehra Dun également il donne l’exemple.
Libéré à la fin de la guerre, mais empêché par des raisons politiques totalement étrangères à sa personne de retourner en Assam, le P. Vendrame, âgé de plus de 50 ans et usé par les privations, est affecté par Mgr Louis Mathias, archevêque de Madras, au Tamil Nadu. Là, le P. Costantino doit tout recommencer. Une fois de plus, il sait se faire aimer profondément, conscient – comme il l’écrit dans une lettre de 1950 à ses confrères prêtres du diocèse de Vittorio Veneto – des conditions extrêmement dures de son mandat missionnaire. Il était convaincu que partout il y a du bien à faire, partout il y a des âmes à sauver. Restant ad experimentum, afin de garantir la continuité de cette mission très pauvre, il retourne finalement en Assam. Il pouvait se reposer, mais on prévoyait d’établir une présence catholique à Mawkhar, un quartier de Shillong alors considéré comme le « fortin » des protestants.
Et c’est précisément à Mawkhar que le Serviteur de Dieu réalisa son chef-d’œuvre: la naissance d’une communauté catholique encore florissante aujourd’hui. Dans un contexte très éloigné de la sensibilité œcuménique d’aujourd’hui, la présence catholique fut d’abord durement combattue, puis tolérée, puis acceptée et enfin estimée. L’unité et la charité dont le père Vendrame a témoigné ont été pour Mawkhar une proclamation sans précédent et proprement « scandaleuse », qui a conquis les cœurs les plus durs et attiré la bienveillance de beaucoup. Il avait apporté le « miel de saint François », c’est-à-dire l’amorevolezza salésienne, inspirée par la douceur de saint François de Sales, sur une terre où les esprits s’étaient d’abord fermés.

Vers la ligne d’arrivée
Lorsque les douleurs osseuses devinrent lancinantes, il avouait dans une lettre : « c’est avec difficulté que j’ai pu contrôler le travail de la journée ». La dernière ligne droite du voyage terrestre se dessine. Le jour arrive où il demande à vérifier s’il reste de la nourriture : unique demande de la part de Don Vendrame, qui se contentait de l’essentiel et qui, rentrant tard, ne voulait jamais déranger pour dîner. Ce soir-là, il ne put même pas articuler quelques phrases : il était épuisé, vieilli prématurément. Il s’était tu jusqu’au bout, en proie à une arthrite qui affectait aussi sa colonne vertébrale.
L’hospitalisation se profile alors, mais à Dibrugarh: elle lui épargnerait l’afflux constant des gens et aux visiteurs la douleur d’assister impuissants à l’agonie de leur père. Le Serviteur de Dieu ira jusqu’à s’évanouir de douleur : chaque mouvement était devenu terrible pour lui.
À ses côtés il y a Mgr Oreste Marengo, son ami et compagnon au temps de la formation, devenu évêque de Dibrugarh, les Sœurs de Maria Bambina, quelques laïcs, le personnel médical, dont de nombreuses infirmières, conquises par sa douceur.
Tous voyaient en lui un véritable homme de Dieu, même les non-chrétiens. Don Vendrame, dans sa souffrance, pouvait dire, comme Jésus : « Je ne suis pas seul, car le Père est avec moi » (cf. Jn 16,32).
Éprouvé par la maladie et les complications d’une stase pulmonaire, il meurt le 30 janvier 1957, à la veille de la fête de saint Jean Bosco. Quelques jours plus tôt (24 janvier), dans sa dernière lettre à sa sœur Angela, il se projetait encore dans un dynamisme apostolique, lucide dans la souffrance mais toujours homme d’espérance.
Il était si pauvre qu’il n’avait même pas d’habit mortuaire convenable : Mgr Marengo lui en donna un pour qu’il soit vêtu plus dignement. Un témoin raconte combien le Père Costantino était beau dans la mort, encore mieux que dans la vie, enfin libéré des fatigues et des tensions qui avaient marqué tant de décennies.
Après un premier service funèbre et d’adieu à Dibrugarh, la veillée et les funérailles solennelles eurent lieu à Shillong. Les gens affluaient avec tant de fleurs que cela ressemblait à une procession eucharistique. La foule était immense, beaucoup se sont approchés des sacrements de la Réconciliation et de la Communion. Cette ferveur généralisée, même de la part de ceux qui s’en étaient détournés, a été l’un des plus grands signes qui ont accompagné la mort du P. Constantin.