Et l’étoile s’arrêta sur une chaise roulante

Rencontres à l’occasion de l’Épiphanie avec des personnes merveilleuses au grand cœur et à la foi rayonnante

Chers amis du Bulletin salésien, avec mes salutations affectueuses je vous présente mes meilleurs vœux pour la nouvelle année 2024 que nous venons de commencer. Je souhaite vivement qu’elle soit une année pleine de la présence de Dieu dans nos vies et riche en bénédictions.
J’ai l’habitude, chaque fois que cela est possible, d’écrire ces vœux en partageant quelque chose que j’ai vécu et qui m’a touché pour une raison ou pour une autre. Eh bien, le jour de l’Épiphanie du Seigneur, je me trouvais dans ma ville natale, Luanco-Asturias. Dans ce magnifique coin de terre, j’ai été agréablement en contact avec mes racines, avec la mer et la nature qui m’ont vu naître et grandir, ainsi qu’avec mes compatriotes.  Ce jour-là, je suis allé célébrer l’Eucharistie. Le curé du village avait bien voulu m’accorder ce privilège, tandis qu’il se rendait dans une autre des paroisses qui lui étaient confiées. Ainsi, nous avons pu célébrer cette solennité dans plusieurs communautés chrétiennes.
Eh bien, ce que je veux vous dire, c’est que ce fut une matinée au cours de laquelle le Seigneur m’a préparé des rencontres inattendues. En apprenant la situation de certaines personnes, mon cœur s’est rempli de la certitude que le Seigneur console et réconforte même lorsque la douleur, la maladie ou la limitation se sont installées dans certaines vies.
J’ai commencé ma journée, avant de célébrer l’Eucharistie, en rendant visite à une personne âgée qui a été médecin dans mon village pendant de nombreuses années. C’était un grand médecin de famille et un croyant. Entre autres choses, il avait été étudiant salésien à Salamanque. Pendant des années et des années, il a été l’une des personnes dont mes parents me parlaient lorsqu’ils allaient chez le médecin.
Eh bien, lors de cette visite familiale que je lui ai rendue, répondant à l’invitation de sa fille, j’ai rencontré un homme de foi qui m’a dit qu’en tant que médecin, il ne pouvait donner qu’une partie de tout ce qu’il avait reçu de Dieu et que maintenant, avec une lourde maladie, il demandait seulement au bon Dieu de le préparer à la Rencontre avec Lui. Sa conviction et sa paix étaient telles que je suis allé célébrer l’Eucharistie en ayant déjà reçu ma dose de « bonne parole dans l’oreille ».

Dans les mains de Dieu
À l’Eucharistie, j’ai rencontré, comme à d’autres occasions, un jeune homme d’une trentaine d’années qui, à la suite d’un accident, est en fauteuil roulant depuis des années. C’est également en fauteuil roulant qu’il s’est rendu avec sa mère en Inde pour entrer en contact avec les plus pauvres d’entre les pauvres. Et mon jeune ami me frappe par la sérénité, le sourire et la joie dans son cœur. C’est avec cette même joie qu’il participe à l’Eucharistie quotidienne et qu’il reçoit le Seigneur. Et ce jeune ami aurait sûrement tout pour se plaindre de « son malheur », ou pire encore, il pourrait en vouloir à Dieu, comme nous avons tendance à le faire quand quelque chose nous contrarie. Mais non, il vit simplement sans s’apitoyer sur son sort et est reconnaissant du don de la vie, même en fauteuil roulant. À la fin des célébrations, lorsque je le vois, nous nous saluons toujours et ses mots sont toujours des mots de remerciement, mais c’est plutôt moi qui devrais le remercier pour le grand témoignage de vie et de foi dans le Seigneur de la vie qu’il nous donne à tous.
C’est ainsi que le jour de l’Épiphanie a été beau et évocateur lorsque, à la sortie de l’église, un couple d’âge moyen m’a salué et m’a souhaité une bonne année. Eux aussi avaient des visages joyeux ; j’ai vu plus de joie et de sérénité chez le mari (atteint d’un cancer) que chez sa femme bien-aimée (qui souffrait pour lui). Mais tous deux m’ont parlé de leur certitude qu’ils devaient traverser cette période et cette maladie en se confiant et en s’abandonnant à Dieu.

La foi d’une mère
Enfin, parmi toutes les salutations, j’en ai manqué une dernière. Une mère de famille âgée s’est présentée, et m’a rappelé qu’elle avait perdu il y a quelques années un de ses enfants, décédé d’une maladie, et qu’elle souffrait actuellement d’un cancer. Elle m’a demandé de la garder présente devant le Seigneur. Je lui ai demandé comment elle se sentait et elle m’a dit qu’elle souffrait, mais qu’elle était très réconfortée par la foi. Je vous assure que je n’avais pas de mots à dire, tant l’émotion que j’ai ressentie au cours de la matinée et les témoignages de vie qui sont venus me submerger étaient intenses.
Et je ne pouvais pas ne pas promettre mes prières à chacun, et je l’ai fait, et en même temps j’ai réalisé, une fois de plus et de manière plus forte, comment le Seigneur continue à faire de grandes choses dans les humbles, dans les personnes les plus touchées par les situations de la vie, dans ceux qui sentent que Lui seul est vraiment consolation et aide.
Et tout cela me semble si important que je ne peux pas le garder pour moi. Il semblerait même que ce n’est pas quelque chose à écrire, peut-être parce que ce n’est pas à la mode, peut-être parce qu’aujourd’hui on parle d’autres choses, mais je me rebelle contre tout ce qui m’empêche de partager et de témoigner de ce qui est important, profond et plein d’espoir dans nos vies.
Et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’intuition que de nombreux lecteurs se sentiront en phase avec ce que je vous raconte et avec ce que j’ai moi-même vécu, parce que ce que je vous raconte, qui s’est produit un matin d’Épiphanie dans une petite ville maritime, ne se produit pas seulement là. En d’autres termes, cela fait partie de notre condition humaine et le Seigneur y est toujours à nos côtés, si nous le lui permettons.
Je vous souhaite le meilleur, chers amis. Et continuons à croire qu’à chaque instant, même le plus difficile, nous avons des raisons d’espérer.




Étrenne 2024. « Le rêve qui fait rêver »

Un cœur qui transforme les « loups » en « agneaux »

Au cours de mon service comme Recteur Majeur, j’ai pu constater que l’Étrenne est l’un des plus beaux cadeaux que Don Bosco et ses successeurs offrent chaque année à toute la Famille Salésienne. C’est une aide pour cheminer ensemble et atteindre les lieux les plus éloignés de manière capillaire et, en même temps, laisser aux réalités individuelles la liberté d’accueillir, d’intégrer, de valoriser ce qui est proposé pour le chemin propre à chacune des communautés éducatives et pastorales.

En 2024, nous célébrerons le deuxième Centenaire du « rêve-vision que « Giovannino » – le petit Jean – a eu entre 9 et 10 ans dans la maison Becchi »[1] en 1824 : le rêve des neuf ans.

Je considère que le bicentenaire du rêve qui « a conditionné toute la manière de vivre et de penser de Don Bosco, et en particulier la manière de sentir la présence de Dieu dans la vie de chaque personne et dans l’histoire du monde »,[2] mérite d’être placé au centre de l’Étrenne qui guidera l’année éducative et pastorale de toute la Famille Salésienne. Il pourra être repris et approfondi dans la mission d’évangélisation, dans les interventions éducatives et dans les actions de promotion sociale qui, dans toutes les parties du monde, sont menées par les groupes de notre Famille qui trouve en Don Bosco le père inspirateur.

« Je voudrais rappeler ici le « rêve des neuf ans ». I1 me semble, en effet, que cette page autobiographique offre une présentation simple, mais en même temps prophétique, de l’esprit et de Ia mission de Don Bosco. S’y trouve défini le champ d’action qui lui est confié : les jeunes ; s’y trouve indiqué l’objectif de son action apostolique : les faire grandir en tant que personnes au moyen de l’éducation ; s’y trouve proposée la méthode éducative qui s’avérera efficace : le Système Préventif ; s’y trouve présenté l’horizon vers lequel s’orientent toute son action et la nôtre : le projet merveilleux de Dieu qui, avant tous et plus que tout autre, aime les jeunes. »[3] C’est ce qu’écrivait le P. Pascual Chávez Villanueva, Recteur Majeur Émérite, à la fin de son commentaire de l’Étrenne 2012 offerte à la Famille Salésienne pour la première année du triennium préparatoire au bicentenaire de la naissance de Don Bosco (année 2015).

Ce texte est une belle synthèse qui présente l’essence de ce qu’est le « rêve des 9 ans » dans sa simplicité et sa prophétie, dans sa valeur charismatique et éducative. C’est un rêve emblématique que, tout au long de cette année, nous essaierons de rapprocher encore plus du cœur et de la vie de toute la Famille de Don Bosco. Il s’agit d’un rêve, d’un « fameux rêve-vision qui allait devenir et constitue aujourd’hui encore un pilier important, presque un mythe fondateur, dans l’imaginaire de la Famille Salésienne »,[4] un rêve qui nécessite certainement une contextualisation et une attention critique – ce que Don Bosco lui-même a fait et que nos experts en histoire salésienne ont effectué – afin de pouvoir offrir une lecture et donner une interprétation actuelle, vitale et existentielle. Sans aucun doute, c’est un rêve que Don Bosco a gardé dans son esprit et dans son cœur tout au long de sa vie, comme il le déclare lui-même : « À cet âge, j’ai fait un rêve qui me laissa pour toute la vie une profonde impression. »[5] C’est donc un rêve qui a été présent en lui et tout au long du cheminement de la Congrégation Salésienne jusqu’à aujourd’hui, et qui rejoint sans aucun doute toute notre Famille Salésienne.

Dans les paroles du P. Rinaldi, rapportées à l’occasion du premier centenaire du rêve, nous lisons : « Son contenu est en effet d’une telle importance qu’en ce centenaire, nous devons nous faire un devoir strict de l’approfondir avec une méditation plus assidue dans tous les détails, et de mettre en pratique ses enseignements avec générosité, si nous voulons mériter le nom de vrais fils de Don Bosco et de parfaits Salésiens. »[6] Nous sommes en train de vivre intensément l’événement extraordinaire de ce deuxième centenaire qui verra sans aucun doute de nombreuses manifestations dans le monde salésien. Que l’expression de tout cela atteigne le moment le plus festif, festif et aussi le plus profond de la révision pleine d’espérance de nos vies, en faisant des propositions courageuses aux jeunes pour les aider à rêver « grand », certains de la présence du Seigneur Jésus et « main dans la main » avec la Maîtresse de vie, la Dame du rêve, notre Mère.

1. « J’AI FAIT UN RÊVE… » : UN RÊVE TRÈS SPÉCIAL

C’est vrai, il y a deux cents ans, Jean Bosco fit un rêve qui l’a « marqué » pour le reste de sa vie, un rêve qui a laissé en lui une marque indélébile, dont Don Bosco n’a pleinement compris le sens qu’à la fin de sa vie. Voici donc le rêve raconté par Don Bosco lui-même d’après l’édition critique d’Antonio da Silva Ferreira, dont nous ne différons que par deux petites variantes.[7]

[Cadre initial] À cet âge, j’ai fait un rêve qui me laissa pour toute la vie une profonde impression.

[Vision des garçons et intervention de Jean] Pendant mon sommeil, il me sembla que je me trouvais près de chez moi, dans une cour très spacieuse. Une multitude d’enfants, rassemblés là, s’y amusaient. Les uns riaient, d’autres jouaient, beaucoup blasphémaient. Lorsque j’entendis ces blasphèmes, je m’élançai au milieu d’eux et, des poings et de la voix, je tentai de les faire taire.

[Apparition de l’homme vénérable] À ce moment apparut un homme d’aspect vénérable, dans la force de l’âge et magnifiquement vêtu. Un manteau blanc l’enveloppait tout entier. Son visage étincelait au point que je ne pouvais le regarder. Il m’appela par mon nom et m’ordonna de me mettre à la tête de ces enfants. Puis il ajouta : « Ce n’est pas avec des coups mais par la douceur et la charité que tu devras gagner leur amitié. Commence donc immédiatement à leur faire une instruction sur la laideur du péché et l’excellence de la vertu. » Confus et effrayé je lui fis remarquer que je n’étais qu’un pauvre gosse ignorant, incapable de parler de religion à ces garçons. Alors les gamins, cessant de se disputer, de crier et de blasphémer vinrent se grouper autour de l’homme qui parlait.

[Dialogue sur l’identité du personnage] Sans bien réaliser ce qu’il m’avait dit, j’ajoutai : « Qui êtes-vous donc pour m’ordonner une chose impossible ? » – C’est précisément parce que ces choses te paraissent impossibles que tu dois les rendre possibles par l’obéissance et l’acquisition de la science. – Où, par quels moyens pourrai-je acquérir la science ? – Je te donnerai la maîtresse sous la conduite de qui tu pourras devenir un sage et sans qui toute sagesse devient sottise. – Mais, vous, qui êtes-vous pour me parler de la sorte ? – Je suis le fils de celle que ta mère t’a appris à saluer trois fois par jour. – Ma mère me dit de ne pas fréquenter sans sa permission des gens que je ne connais pas : dites-moi donc votre nom. –Mon nom, demande-le à ma mère.

[Apparition de la dame à l’aspect majestueux] À ce moment-là, je vis près de lui une dame d’aspect majestueux, vêtue d’un manteau qui resplendissait de toutes parts comme si chaque point eût été une étoile éclatante. S’avisant que je m’embrouillais de plus en plus dans mes questions et mes réponses, elle me fit signe d’approcher et me prit avec bonté par la main. « Regarde », me dit-elle. Je regardai et m’aperçus que tous les enfants s’étaient enfuis. À leur place, je vis une multitude de chevreaux, de chiens, de chats, d’ours et de toutes sortes d’animaux. « Voilà ton champ d’action, (me dit-elle), voilà où tu dois travailler. Rends-toi humble, fort et robuste et tout ce que tu vois arriver en ce moment à ces animaux, tu devras le faire pour mes fils. » Je tournai alors les yeux et voici qu’à la place de bêtes féroces, apparurent tout autant de doux agneaux. Tous, gambadant de tous côtés et bêlant, semblaient vouloir faire fête à cet homme et à cette femme. À ce moment-là, toujours sommeillant, je me mis à pleurer et demandai qu’on voulût bien me parler de façon compréhensible car je ne voyais pas ce que cela pouvait bien signifier. Alors elle me mit la main sur la tête et me dit : « Tu comprendras tout en son temps. »

[Conclusion]À ces mots, un bruit me réveilla et tout disparut. Je demeurai éberlué. Il me semblait que les mains me faisaient mal à cause des coups de poings donnés et que ma figure était endolorie des gifles reçues. Et puis, ce personnage, cette dame, ce que j’avais dit et entendu, tout cela m’obsédait à tel point que, cette nuit-là, je ne pus me rendormir. Au matin, je m’empressai de raconter ce rêve, d’abord à mes frères qui se mirent à rire, puis à ma mère et à ma grand-mère. Chacun donnait son interprétation. Mon frère Joseph disait : « Tu deviendras gardien de chèvres, de moutons ou d’autres bêtes. » Ma mère : « Qui sait si tu ne dois pas devenir prêtre ? » Antoine, d’un ton sec : « Peut-être seras-tu chef de brigands ! » Mais ma grand-mère qui savait pas mal de théologie – elle était parfaitement illettrée –, énonça une sentence péremptoire : « Ilne faut pas faire attention aux rêves. » Moi, j’étais de l’avis de grand-mère. Malgré tout il me fut désormais tout à fait impossible de m’enlever ce rêve de la tête. Ce que je raconterai par la suite lui donnera quelque signification. J’ai toujours gardé le silence sur tout cela et mes parents n’en firent jamais cas. Mais, quand je me rendis à Rome en 1858 pour traiter avec le pape de la Congrégation Salésienne, il se fit tout raconter minutieusement, même ce qui pouvait n’avoir que l’apparence de surnaturel. Je racontai alors pour la première fois le rêve que j’avais fait à l’âge de neuf ou dix ans. Le pape m’ordonna de l’écrire dans son sens littéral, en détail, et de le laisser ainsi comme encouragement aux fils de la Congrégation qui était l’objet de ce voyage à Rome.

Le même rêve se reproduira plusieurs fois dans la vie de Don Bosco et lui-même, qui nous a raconté de sa propre main dans les Memorie ce premier événement dont nous commémorons maintenant le bicentenaire, raconte à plusieurs reprises tout ce qu’il rêve à nouveau bien des années plus tard. En effet, le rêve des neuf ans n’est pas un rêve isolé, mais il fait partie d’une longue et complémentaire séquence d’épisodes oniriques qui ont accompagné la vie de Don Bosco. Il relie lui-même, en les intégrant, trois rêves fondamentaux : celui de 1824 (aux Becchi), celui de 1844 (au Convitto ecclesiastico) et celui de 1845 (dans les œuvres de la Marquise de Barolo), rêves qui contiennent des éléments de continuité et d’autres éléments nouveaux. Dans le rêve, on reconnaît toujours en filigrane le premier tableau et la première scène du pré des Becchi, mais avec de nouveaux détails, de nouvelles réactions, de nouveaux messages, liés aux saisons de la vie que Don Bosco – et non plus Giovannino – vit dans le plein développement de sa mission.

Une autre fois, bien des années plus tard, c’est Don Bosco lui-même qui en parla au P. Barberis en 1875, alors qu’il avait déjà soixante ans. À cette époque, Don Bosco avait vu naître la Congrégation Salésienne (18 décembre 1859), l’Archiconfrérie de Marie Auxiliatrice (18 avril 1869), l’Institut des Filles de Marie Auxiliatrice (5 août 1872) et la Pieuse Société des Coopérateurs Salésiens – selon le nom originel donné par Don Bosco – approuvée le 9 mai 1876.

Lorsque ce rêve s’est présenté pour la dernière fois, Don Bosco était, comme déjà dit, un homme mûr : il a vécu de nombreuses situations, il a affronté et surmonté de nombreuses difficultés, il a vu par lui-même ce que la Grâce et l’Amour de la Vierge Marie avaient opéré en ses garçons ; il a vu beaucoup de miracles de la Providence et n’a pas peu souffert. « « Tu comprendras tout en son temps », lui avait prophétisé le premier songe ; et en 1887, lors de la messe de consécration du temple du Sacré-Cœur à Rome, il entendit cette voix résonner à son oreille et il pleura de joie, il pleura en contemplant les effets merveilleux de sa foi invaincue. »[8]

2. UN RÊVE AUQUEL TOUS LES RECTEURS MAJEURS ONT FAIT RÉFÉRENCE
Je suis particulièrement frappé par le fait que tous les Recteurs Majeurs – à l’exception de Don Rua dont je n’ai pu trouver aucune citation – se sont référés au rêve, à ce rêve de Don Bosco qui a marqué notre Congrégation et la Famille Salésienne. En ce moment, je profite d’un magnifique travail de recherche effectué par M. Marco Bay.[9]

Le P. Paul Albera, deuxième successeur de Don Bosco, se référant à l’Oratoire du Valdocco comme l’Oratoire de Don Bosco, première et unique œuvre pendant de nombreuses années, se réfère au rêve comme au rêve mystérieux dans lequel la Providence lui confie la mission :

« La première Œuvre de D. Bosco, la seule pendant de nombreuses années, fut l’Oratoire des jours de fête (« oratorio festivo »), son Oratoire des jours de fête, qu’il avait déjà entrevu dans le rêve mystérieuxqu’il fit à l’âge de neuf ans et dans les suivants qui éclairèrent progressivement son esprit sur l’Œuvre que la Providence lui avait confiée. »[10]

Le P. Philippe Rinaldi, troisième successeur de Bosco, est celui qui a l’opportunité de vivre le premier centenaire de ce rêve et qui s’efforce de faire en sorte que toute la Congrégation soit imprégnée de la grâce de vivre cet événement. Pour cette raison, il prodigue ces encouragements :

« Dans ma circulaire sur le Jubilé de nos Constitutions, je vous ai déjà parlé, mes chers fils, du centenaire du premier rêve de Don Bosco, en vous invitant à méditer ce rêve et à le mettre en pratique (…) Relisons ensemble, mes bien chers, la page écrite par notre Vénérable Père pour notre instruction, en obéissance au Vicaire de Jésus-Christ ; oui, relisons-la avec une grande vénération, et fixons mot pour mot dans notre esprit cette page qui nous décrit de façon évangélique l’origine surnaturelle, la nature intime et la forme spécifique de notre vocation. Plus on lit cette page, plus elle devient nouvelle et lumineuse. »[11]

Et dans ce même écrit, il fait comprendre aux confrères que, de même que Don Bosco, dans le rêve des neuf ans, a été appelé à une mission, de même nous aussi, nous avons été appelés, sous la conduite bienveillante de la Vierge elle-même qui nous prend par la main, nous montre notre champ d’action et nous stimule de mille manières à acquérir les dons de l’humilité, de la force et de la santé. Nous comprenons parfaitement comment s’applique à nous l’invitation péremptoire à être forts, humbles et robustes : invitation que la Dame du rêve a adressée à Jean Bosco.

« Nous aussi avons reçu l’ordre d’acquérir les moyens nécessaires pour mettre en pratique cette méthode, c’est-à-dire l’obéissance et la science, sous la conduite de la Vierge ; ce que nous avons fait (ou que nous faisons) au cours des années de notre formation religieuse et sacerdotale. Pendant toutes ces années heureuses, la Très Sainte Vierge nous a aussi pris par la main avec bonté et, nous indiquant le champ futur de notre action, nous a stimulés de toutes les manières à acquérir l’humilité, la force et la santé, qui sont les qualités strictement nécessaires à tout vrai fils de Don Bosco. Enfin, nous aussi, nous pourrons voir des multitudes de jeunes, jusque-là complètement ignorants des choses de Dieu, et peut-être déjà malheureuses victimes du mal, courir éclairés, guéris et joyeux pour célébrer Jésus et Marie Auxiliatrice. »[12]

Et, presque comme un encouragement à célébrer ce bicentenaire d’une manière grande et significative, je reprends le Bulletin Salésien du temps du P. Rinaldi, qui raconte la célébration qui a eu lieu à Rome en sa présence :

« Pour un rêve, écrivait le Corriere d’Italia du 2 mai dernier, pour la beauté idéale d’un rêve, hier, dans la grande cour des Œuvres de Don Bosco à Rome, des milliers d’âmes en liesse et applaudissant à tout rompre se sont rassemblées en foule, avec le Cardinal Cagliero, le vénérable Missionnaire, le propre successeur de Don Bosco, le Père Rinaldi, et le Ministre de l’Instruction Publique, Pietro Fedele, pour rendre un hommage émouvant de toutes les puissances de l’esprit à l’incomparable Maître qui, dans l’humilité lumineuse de la Foi, avait suivi les chemins radieux de ce rêve sublime (…) Une couronne vivante de jeunes, garçons et filles, élèves de Don Bosco, une grande foule d’hommes de tous milieux – professionnels, enseignants, militaires, prêtres – tous rassemblés au nom du doux Maître. »
« Il y a cent ans (une autre année sainte, pourquoi l’oublier ?), enfant, Don Bosco faisait un rêve doux et mystérieux. Il voyait d’abord un groupe de garçons des rues qui se battaient entre eux, blasphémaient et juraient. Et il essayait de les rappeler à l’ordre avec son bâton. Il vit alors une Dame et un Homme qui le conduisirent vers un autre groupe, de bêtes, cette fois, de chiens et de chats qui se battaient eux aussi, aboyant et ricanant, mais qui, à un signe de tête des deux personnages, se transformèrent en un troupeau d’agneaux paisibles. »
« Après cent ans, ce rêve est devenu réalité – splendide, vibrante, grandiose. C’est une histoire merveilleuse qui engage déjà le destin de millions de personnes, dans les écoles, dans les missions, dans la vie, dans la prière, dans l’espérance ; toutes les personnes qui ont salué et saluent Don Bosco, le plus grand et le plus saint maître de vie que l’Église et l’Italie aient donné au monde au cours de notre siècle. »[13]

Et le P. Pierre Ricaldone, quatrième successeur de Don Bosco, a vu le germe de l’Oratoire des jours de fête et de toute l’Œuvre salésienne dans le rêve que le petit Jean a eu à l’âge de neuf ans. Suivront bien d’autres étapes, dit le P. Ricaldone, de nombreuses étapes d’une longue pérégrination, avant d’arriver à Pinardi, sur ses terres.

« Il n’y a pas de doute que le premier germe de l’Oratoire festif et de toute l’Œuvre salésienne, on doit le trouver, comme je l’ai dit tout à l’heure, dans le rêve fatidique que Giovannino a eu à l’âge de neuf ans. La Dame à l’aspect majestueux dit alors au jeune berger des Becchi :  » Voici ton champ d’action : rends-toi humble, fort, robuste ; et ce que tu vois arriver à ces animaux en ce moment, tu devras le faire pour mes enfants. » Les Becchi, Moncucco, Castelnuovo, Chieri, sont autant d’étapes : mais Giovannino Bosco est à peine en route ; il marche vers un autre but. Le 8 décembre 1841 est plus qu’un point d’arrivée, c’est un autre point de départ. Il doit accomplir de nouveaux pèlerinages avant d’arriver au hangar Pinardi, au Valdocco, sa terre promise. Pour en revenir à la première image, la tendre petite plante a enfin trouvé sa propre terre ; et à partir de maintenant nous la verrons devenir plus forte et plus grande au-delà de toutes les prévisions humaines. »[14]

Le P. Ricaldone croit même que l’amour et le zèle de Don Bosco pour les vocations proviennent aussi du rêve des neuf ans :

« L’amour et le zèle de Don Bosco pour les vocations ont leur première origine dans le rêve fatidique qu’il fit à l’âge de neuf ans, rêve qui se renouvela de diverses manières substantiellement uniformes pendant presque vingt ans (…) En effet, après ce rêve, le désir de Jean d’étudier pour devenir prêtre et se consacrer au salut des jeunes grandit en lui. »[15]

Le P. René Ziggiotti, cinquième successeur de Bosco, souligne, d’une manière toute particulière, le grand don que la Maîtresse a été pour Don Bosco. En effet, c’est le Seigneur qui fait le don de sa Mère à Jean, surtout comme guide. C’est ainsi qu’il s’exprime :

« « Je te donnerai la Maîtresse sous la conduite de qui tu pourras devenir un sage et sans qui toute sagesse devient sottise » est le mot fatidique du premier rêve, prononcé par le mystérieux personnage, « le Fils de Celle que ta mère t’a appris à saluer trois fois par jour. » C’est donc Jésus qui donne à Don Bosco sa Mère comme Maîtresse et guide infaillible sur le chemin difficile de toute sa vie. Comment pourrions-nous être assez reconnaissants pour ce don extraordinaire qui a été donné par le Ciel à notre Famille ? »[16]

Et elle, la Mère, la Madone, la Dame du rêve sera tout pour Don Bosco. Cette certitude était très forte chez le P. Ziggiotti et c’est ce qui l’a conduit à demander à chaque Salésien :

« La Madone à qui il fut consacré par sa mère dès sa naissance, qui éclaira son avenir dans le rêve des neuf ans et qui revint ensuite le consoler et le conseiller, sous mille formes, dans les rêves, dans l’esprit prophétique, dans la vision intérieure de l’état des âmes, dans les miracles et les grâces sans nombre, qu’il opérait en l’invoquant, la Vierge Marie est tout pour Don Bosco ; et le Salésien qui veut acquérir l’esprit du Fondateur doit l’imiter dans cette dévotion. »[17]

Et le P. Louis Ricceri, sixième successeur de Don Bosco, a de magnifiques expressions sur le sens du rêve des neuf ans. Le P. Ricceri souligne combien ce rêve a été important pour Don Bosco au point de rester gravé dans son cœur et dans son esprit pour toujours, et comment à travers cela, il s’est senti appelé par Dieu :

« Le rêve des neuf ans. C’est le rêve, écrit Don Bosco dans ses Mémoires, « qui me laissa pour toute la vie une profonde impression. » (MO, 20). L’impression indélébile de ce rêve-vision est due au fait qu’il fut comme une lumière soudaine qui éclaira le sens de sa jeune existence et en traça le chemin. Comme le petit Samuel, Don Bosco s’est senti appelé et envoyé par Dieu en vue d’une mission : sauver les jeunes de tous les lieux, de tous les temps : ceux des pays chrétiens et la « multitude » de ceux des régions non chrétiennes qui vivent encore dans l’attente du grand avènement du Seigneur. »[18]

C’est le rêve, dit le P. Ricceri, dans lequel Don Bosco, qui n’a pas encore la pleine lucidité à cause de son jeune âge, a l’intuition de la grande valeur de vivre pour sauver les âmes, et cette conviction prend forme dans sa vie, dans son esprit, de plus en plus comme un don de la grâce. Et c’est à travers cet événement décisif de sa vie que Don Bosco a eu sa première grande intuition de ce que serait le Système Préventif dans le futur. « Ce n’est pas avec des coups mais par la douceur et la charité que tu devras gagner leur amitié », écrivait Don Bosco dans son récit de l’événement, après l’avoir entendu de la bouche de la Dame. À tel point qu’à l’avenir, nous pourrons parler d’une relation précieuse entre Don Bosco et la Mère du Seigneur. C’est ainsi que le P. Ricceri s’exprime magnifiquement :

« Sur la base de ce rêve, s’établit entre Don Bosco et la Mère de Jésus une relation à double sens, une collaboration permanente, qui caractérise la vie du futur apôtre. »[19]

Le P. Egidio Viganò, septième successeur de Don Bosco, nous offre d’autres réflexions non moins stimulantes. Je suis heureux de voir cette magnifique ligne de continuité de tous les Recteurs Majeurs dans la lecture, la méditation et l’interprétation du rêve par excellence, en en tirant des enseignements utiles aussi pour le temps présent. Le Père Viganò confirme, comme d’autres successeurs de Don Bosco avant lui, que Marie est la véritable inspiratrice, Maîtresse et Guide de la vocation de Jean, de notre Père Don Bosco.

« Il me semble particulièrement intéressant de souligner que, déjà à l’âge de neuf ans, dans le fameux rêve (qui se répétera plusieurs fois et auquel Don Bosco attache une importance particulière dans sa vie), Marie apparaît à sa conscience de croyant comme un personnage important directement intéressé par un projet de mission pour sa vie. C’est une Dame qui manifeste des préoccupations « pastorales » particulières pour les jeunes : en effet, elle s’est présentée à lui « sous l’apparence d’une Bergère ». Notons tout de suite, ici, que ce n’est pas Giovannino qui choisit Marie, mais que c’est Marie elle-même qui se présente en prenant l’initiative du choix : c’est Elle qui sera, à la demande de son Fils, l’Inspiratrice et la Maîtresse de la vocation de Jean. »[20]

La merveilleuse expérience vécue par Jean lui a permis de nouer une relation très personnelle avec Marie – la Dame du rêve – et c’est pour cette raison que Don Bosco fera l’expérience intime, tout au long de sa vie et à plusieurs reprises, de l’affection très spéciale et grande de la part de Marie. C’est une relation vraiment très spéciale avec la Vierge Marie.

Et le P.Juan Edmundo Vecchi, lehuitième successeur de Don Bosco, note aussi que, convaincu d’être envoyé aux jeunes, Don Bosco se devait de tout concentrer sur ce seul but sacré, les jeunes, et de leur consacrer toutes ses énergies. Tel est le fil conducteur du récit que Don Bosco fait de sa vie dans les Mémoires de l’Oratoire, à partir de son premier rêve : : « Le Seigneur m’a envoyé pour les jeunes ; je dois donc éviter de m’impliquer dans tout ce qui est étranger à ce projet et préserver ma santé pour les jeunes »,[21] toujours convaincu d’être un instrument du Seigneur et que toute sa vie est marquée par cet appel et cette mission auprès des jeunes. C’est ce que confirme un autre grand spécialiste de Don Bosco : « La conviction d’être l’instrument du Seigneur pour une mission tout à fait unique fut profonde et ferme en lui. C’est ce qui fondait en lui l’attitude religieuse caractéristique du serviteur biblique, du prophète qui ne peut échapper à la volonté divine. »[22]

Enfin, le P. Pascual Chávez, neuvième successeur de Don Bosco, parmi un grand nombre de textes, nous en offre un qui m’émeut. Il s’agit d’un hymne à la figure maternelle de Maman Marguerite qui, avec la grâce de Dieu, a su accompagner Giovannino en interprétant et en pressentant comment, dans le rêve des neuf ans, le Seigneur et la Vierge Marie appelaient son fils à une vocation très spéciale. On pourrait parler de Maman Marguerite, affirme le P. Pascual, comme d’une véritable éducatrice « salésienne ».

« C’est cet art éducatif qui a permis à Maman Marguerite d’identifier les énergies cachées chez ses enfants, de les mettre en lumière, de les développer et de les remettre presque visiblement entre leurs mains. C’est particulièrement vrai de son fruit le plus riche, Jean. Comme il est impressionnant de constater chez Maman Marguerite ce sens conscient et clair de la  » responsabilité maternelle  » dans le fait de suivre son enfant chrétiennement et de près, tout en lui laissant l’autonomie dans sa vocation, mais en l’accompagnant sans interruption dans toutes les étapes de sa vie jusqu’à sa mort !
Le rêve que Giovannino a fait à l’âge de neuf ans, s’il a été révélateur pour lui, l’a été certainement aussi (si ce n’est d’abord) pour Maman Marguerite ; c’est elle qui en a eu et manifesté l’interprétation :  » Qui sait si tu ne dois pas devenir prêtre !  »       . Et quelques années plus tard, lorsqu’elle se rendit compte que l’ambiance à la maison était négative pour Jean à cause de l’hostilité de son demi-frère Antoine, elle fit le sacrifice de l’envoyer travailler comme garçon de ferme dans l’exploitation agricole des Moglia à Moncucco. Une mère qui se prive de son très jeune fils pour l’envoyer travailler la terre loin de la maison, fait un vrai sacrifice. Cependant elle, elle le fit non seulement pour éliminer un désaccord familial, mais aussi pour diriger Jean sur la route que leur avait révélée le rêve, à elle et à lui (…) La Divine Providence lui fit la grâce d’être une éducatrice « salésienne ». »[23]

3. LE RÊVE PROPHÉTIQUE: un joyau précieux dans le charisme de la Famille de Don Bosco
Dans les points précédents, nous avons lu comment le P. Philippe Rinaldi invitait les confrères, et certainement à ce moment-là aussi les Filles de Marie Auxiliatrice, les Salésiens Coopérateurs, les Dévots de Marie Auxiliatrice et, j’imagine, également les Anciens Elèves, à lire le rêve, à l’approfondir, à l’intérioriser et à en ressentir l’écho, dans leurs cœurs. Je n’ai aucun doute là-dessus. Certes, il y a unanimité dans tous les écrits – qu’il s’agisse de recherches historiques, d’études historico-critiques, de réflexions sur la spiritualité salésienne ou de lectures éducatives et pastorales – pour reconnaître que ce rêve est bien plus qu’un simple rêve. Il contient, en effet, tant d’éléments charismatiques que j’ose l’appeler un joyau précieux de notre charisme et une véritable « feuille de route »pour la Famille de Don Bosco.

On pourrait vraiment dire que rien n’y manque et qu’il n’y a rien de superflu. C’est à cela que je veux faire référence maintenant.

Regarder le rêve
Où regarder en ce moment ? D’abord vers le rêve lui-même, car il est d’une richesse charismatique étonnante. Comme je l’ai déjà dit, il n’y a pas un mot de trop et il ne manque certainement rien. Il est plus qu’évident que Don Bosco s’est efforcé de l’écrire pour nous faire comprendre qu’il ne s’agit pas seulement « d’un » rêve, mais que nous devons le considérer comme « le » rêve qui marquera toute sa vie – même si, à l’époque, alors qu’il était enfant, il ne pouvait pas l’imaginer. En effet, « Don Bosco, âgé de presque soixante ans – il se sentait vieux désormais, et il l’était pour l’époque – dut faire face au problème de donner un fondement historico-spirituel à sa Congrégation, en en rappelant les origines providentielles qui la justifiaient. Qu’y a-t-il de mieux que de « raconter » à ses fils comment le berceau de la « Congrégation des Oratoires », dans sa genèse, son développement, sa finalité et sa méthode, a été une institution voulue par Dieu comme instrument pour le salut de la jeunesse dans les temps nouveaux ? »[24] En effet, les Mémoires de l’Oratoire, où Don Bosco raconte le rêve, ne sont rien d’autre que le rêve qui s’est déroulé dans l’histoire de sa vie, à l’Oratoire et dans la Congrégation. C’est pourquoi il dit aussi dans l’introduction de son manuscrit :

« Voici donc ces menus souvenirs confidentiels, capables d’apporter quelque lumière et d’être utiles à (ceux qui travaillent dans) cette institution que la divine Providence a confiée à la Société de Saint-François-de-Sales. »[25] Et « À quoi donc ce travail pourra-t-il servir ? Il servira de norme pour surmonter les difficultés à venir en prenant leçon du passé. II servira à faire connaître comment Dieu lui-même conduit chaque chose en son temps. Enfin, il servira d’agréable délassement à mes fils quand ils pourront lire (le récit) des événements que leur père a vécus. Ils le feront encore plus volontiers quand, appelé à rendre compte à Dieu de mes actions, je ne serai plus au milieu d’eux. »[26]

La narration des Mémoires de l’Oratoire (et du rêve des neuf ans qui en fait partie) a été d’une telle importance qu’elle a impliqué d’importants experts salésiens dans son étude tout au long de leur vie, saisissant différentes perspectives au fil des ans. Un exemple riche et remarquable est constitué, par exemple, par les différents accents que le grand spécialiste de la pédagogie salésienne, le Père Pietro Braido, a mis en œuvre au cours de plusieurs décennies. Il s’agirait « d’une histoire édifiante laissée par un fondateur aux membres de la Société d’apôtres et d’éducateurs qui devaient perpétuer son œuvre et son style, en suivant ses directives, ses orientations et ses leçons. » (1965) – Ou « d’une histoire de l’Oratoire plus « théologique » et plus pédagogique que réelle, peut-être le document « théorique » d’animation le plus longuement médité et voulu par Don Bosco. » (1989) –   « Peut-être le livre le plus riche de contenus et d’orientations préventives » que Don Bosco ait écrit : « un manuel de pédagogie et de spiritualité « racontée », dans une perspective clairement oratorienne » (1999) – Ou encore un écrit dans lequel « la parabole et le message » passent avant et « au-dessus de l’histoire » pour illustrer l’action de Dieu dans les affaires humaines, et ainsi, par la réjouissance et la récréation, « réconforter et confirmer les disciples » dans une claire perspective « oratorienne » (1999). [27]

L’une des pierres précieuses de ce joyau, auquel je me réfère, est celle qui nous permet, à nous qui entrons dans le rêve avec un cœur salésien, quel que soit notre parcours chrétien-salésien ou dans la Famille de Don Bosco, d’être interpellés dans nos cœurs : sommes-nous prêts à apprendre, sommes-nous disposés à nous laisser surprendre par Dieu qui accompagne nos vies,  comme il a  guidé la vie de Don Bosco, et à nous sentir fils et filles face à l’immense paternité qui émane de la figure de notre père ? Car :

Si l’on ne devient pas CROYANT et si l’on n’est pas convaincu que Dieu est à l’œuvre dans l’histoire, dans l’histoire de Don Bosco et dans l’histoire personnelle de chacun, on ne comprendra rien ou presque des Mémoires de l’Oratoire et du rêve, et tout cela ne sera qu’une « belle histoire ».
Si l’on ne devient pas FILS ou FILLE, on ne pourra pas se mettre à l’écoute de la paternité que Don Bosco entend communiquer à travers les Mémoires de l’Oratoire.
Si l’on ne devient pas DISCIPLE, disposé à apprendre, on n’entre pas vraiment dans l’esprit desMémoires de l’Oratoire et du rêve.

Il me semble que ces trois dispositions initiales (foi, filiation et être disciple) sont des « clés essentielles » pour comprendre et assumer pour nous-mêmes ce que Don Bosco nous a raconté et nous a laissé comme héritage spirituel. Ce qui s’est passé dans sa vie, ce qui l’a marqué et éclairé pour toujours, Don Bosco a voulu en faire un héritage qui aiderait profondément ses Salésiens et nous tous qui, par grâce, nous sentons et faisons partie de sa Famille.

Les jeunes, protagonistes du rêve …
Dès le premier instant du rêve, la « mission oratorienne » confiée à Jean Bosco est évidente, même s’il ne sait pas comment la réaliser ni comment l’exprimer. Comme nous pouvons le voir, la scène est pleine de garçons, des garçons qui sont absolument réels dans le rêve de Giovannino.

Par conséquent, il me semble possible de dire que les jeunes sont les protagonistes centraux du rêve, et que, même s’ils ne prononcent pas un mot, tout tourne autour d’eux. De plus, les personnages « célestes » et Jean Bosco lui-même sont là grâce à eux et pour eux. Tout le rêve est donc à eux et pour eux : pour les jeunes. Si nous excluions les jeunes de ce rêve, il ne resterait plus rien de significatif pour notre mission.

Mais ce qui est intéressant, c’est qu’ils ne sont pas comme une photographie qui fixe une image en un instant. Ces garçons sont constamment en mouvement et en action : aussi bien lorsqu’ils sont agressifs (comme des loups) que lorsqu’ils ne se supportent pas, et lorsque, transformés comme la Dame du rêve le demande à Giovannino, ils deviendront (comme des agneaux) des garçons sereins, amicaux et cordiaux. La chose la plus importante qui se passe dans le rêve et que Don Bosco lui-même apprend et, par la suite, tous ses disciples, c’est de découvrir que le processus de transformation est toujours possible. Il s’agit d’un mouvement – permettez-moi de le dire – « pascal », un mouvement de conversion et de transformation, de loups en agneaux, et d’agneaux en une communauté de jeunes – dirions-nous dans le langage d’aujourd’hui – qui célèbre Jésus et Marie. Il me semble certainement que c’est un élément essentiel et central du rêve.

… où il y a un appel vocationnel clair
« Voilà ton champ d’action, voilà où tu dois travailler. Rends-toi humble, fort et robuste et tout ce que tu vois arriver en ce moment à ces animaux, tu devras le faire pour mes fils. »[28] Ce qui se passe dans le rêve est avant tout un appel, une invitation, une vocation, qui semble impossible, inaccessible. Jean Bosco se réveille fatigué ; il a même pleuré. Et quand l’appel vient de Dieu (le personnage d’aspect vénérable dans le rêve est Jésus), la direction qu’un tel appel peut prendre est imprévisible et déconcertante.

Cet appel est quelque chose de très spécial dans le rêve, il est d’une richesse unique. Je dis cela parce qu’il semblerait qu’en raison de son âge, de son absence de père, du manque presque total de ressources, de la pauvreté, des problèmes internes au sein de la famille, des querelles avec son demi-frère Antoine, des difficultés d’accès à l’école à cause de la distance et de la nécessité de travailler dans les champs, il n’y ait pas d’autre avenir possible pour Jean que de rester là, à cultiver les champs et à s’occuper des animaux. Pour nous aussi, ce rêve peut sembler irréalisable et lointain, peut-être destiné à quelqu’un d’autre, mais pas à lui. C’est la même interprétation que la famille de Giovannino donne à ce rêve, comme le confirment les paroles de sa grand-mère : « Il ne faut pas faire attention aux rêves. »[29]

Cependant, c’est précisément cette situation difficile qui rend Don Bosco (à ce moment-là « Giovannino ») très humain, ayant besoin d’aide, mais aussi fort et enthousiaste. Sa volonté, son caractère, son tempérament, sa force d’âme et la détermination de sa mère, Maman Marguerite, une foi profonde de la part de sa mère et de Jean lui-même, rendent tout cela possible. Le rêve sera toujours là, mais lui le découvrira à travers la vie : j’ai compris comment, petit à petit, tout s’est réalisé… Il n’y a pas de magie, ce n’est pas un rêve « féerique », il n’y a pas de prédestination, mais une vie pleine de sens, de questions, de sacrifices, mais aussi de foi et d’espérance qui nous pousse à la découvrir et à la vivre chaque jour.

Dans le rêve, un homme très respectable, d’apparence virile, apparaît et parle à Jean, l’interroge et le remet entre les mains de sa Mère, la « Dame ». Il y a certainement un envoi en mission. Une mission de pasteur-éducateur où une méthode est également indiquée : la douceur et la charité. Voici un exemple de sa réponse vocationnelle :

« Jean, fidèle dès son plus jeune âge à l’inspiration divine, se met à travailler dans le champ d’action qui lui avait été assigné par la Providence. Il n’a pas encore dix ans et il est déjà apôtre parmi ses compatriotes du village de Murialdo. N’est-ce pas un « Oratoire festif », quoique embryonnaire, à l’état d’esquisse, qu’en 1825 commença le petit Jean, en utilisant les moyens compatibles avec son âge et son éducation ?
Doué d’une mémoire prodigieuse, amateur de livres, assidu aux prédications, il retient précieusement tout, instructions, faits, exemples, pour les répéter à son petit auditoire, inculquant avec une efficacité admirable l’amour de la vertu à ceux qui accourent pour admirer son habileté dans les jeux et entendre ses paroles enfantines mais chaleureuses. »[30]

Et elle, Marie, marquera à jamais le rêve de Jean et la vie de Don Bosco
Nous en arrivons au moment central du rêve : la médiation maternelle de la Dame (liée au mystère du nom). Pour Jean Bosco, sa mère et la Mère « qu’il a appris à saluer trois fois par jour », ce sera un lieu d’humanité où se reposer, où trouver sécurité et refuge dans les moments les plus difficiles.

« Je te donnerai la maîtresse sous la conduite de qui tu pourras devenir un sage et sans qui toute sagesse devient sottise. » C’est elle, en effet, qui lui indique à la fois le domaine où il devra travailler et la méthodologie à utiliser : « Voilà ton champ d’action, voilà où tu dois travailler. Rends-toi humble, fort et robuste. » Marie est sollicitée dès le début pour la naissance d’un nouveau charisme, car c’est précisément sa spécialité de porter en son sein et d’enfanter : c’est pourquoi, lorsqu’il s’agit d’un Fondateur, qui doit recevoir de l’Esprit Saint la lumière originelle du charisme, le Seigneur dispose que ce soit sa propre mère, Vierge de la Pentecôte et modèle immaculé de l’Église, qui en soit la Maîtresse. En effet, elle seule, la « pleine de grâce », comprend tous les charismes de l’intérieur, telle une personne qui connaîtrait toutes les langues et les parlerait comme s’il s’agissait de la sienne.[31]  C’est comme si le Seigneur du rêve disait au tout jeune Jean Bosco : « Désormais, entends-toi bien avec elle. »

Comme déjà dit plus haut, « ce n’est pas Giovannino qui choisit Marie, mais c’est Marie qui se présente en prenant l’initiative du choix : c’est Elle qui sera, à la demande de son Fils, l’Inspiratrice et la Maîtresse de la vocation de Jean. »[32]

Cette dimension féminine-maternelle-mariale est peut-être l’une des dimensions les plus difficiles du rêve. Lorsque nous regardons cette réalité avec sérénité, cet aspect se transforme en quelque chose de beau. C’est Jésus lui-même qui donne à Giovannino une maîtresse qui est sa Mère, et à qui « il doit demander son nom. » Giovannino doit travailler « avec ses fils à elle », et c’est « Elle » qui s’occupera de la continuité du rêve dans la vie, qui prendra Jean par la main jusqu’à la fin de ses jours, jusqu’au moment où il comprendra vraiment tout.

Il y a une grande intentionnalité à vouloir dire que, dans le charisme salésien en faveur des enfants les plus pauvres, les plus démunis et privés d’affection, la dimension de les traiter avec « douceur », avec douceur et charité, ainsi que la dimension « mariale », sont des éléments indispensables pour ceux qui veulent vivre ce charisme. La Madone a à voir avec la formation à la « sagesse du charisme ». Et c’est pourquoi il est difficile de comprendre que dans le charisme salésien il pourrait y avoir quelqu’un (personne, groupe ou institution) qui laisserait la présence mariale à l’arrière-plan. Sans Marie de Nazareth, nous parlerions d’un autre charisme, non pas du charisme salésien, ni des fils et des filles de Don Bosco. Le P. Ziggiotti le dit d’une manière merveilleuse, dans cette recherche que nous avons faite sur les commentaires des Recteurs Majeurs sur le rêve :

« Je voudrais convaincre tous les Salésiens de ce fait très important, qui illumine toute la vie du Saint d’une lumière céleste et donne donc une valeur indiscutable à tout ce qu’il a fait et dit dans sa vie : la Madone à qui il fut consacré par sa mère dès sa naissance, qui éclaira son avenir dans le rêve des neuf ans et qui revint ensuite le consoler et le conseiller, sous mille formes, dans les rêves, dans l’esprit prophétique, dans la vision intérieure de l’état des âmes, dans les miracles et les grâces sans nombre, qu’il opérait en l’invoquant, la Vierge Marie est tout pour Don Bosco ; et le Salésien qui veut acquérir l’esprit du Fondateur doit l’imiter dans cette dévotion. ».[33]

Docile à l’Esprit, confiant en la Providence
Certes, il y a beaucoup à apprendre. Devenir humble, fort et robuste, c’est se préparer à ce qui nous attend. Jean Bosco devra être obéissant, docile à la sagesse du Maître. Il devra apprendre à voir et à découvrir les processus de transformation, comprendre que l’itinéraire, le chemin parcouru avec ces jeunes conduit à la vie, et à la rencontre avec le Seigneur du rêve et avec sa mère, conduit à Jésus et à Marie. Jean Bosco a découvert tout cela.

Ce qui est en jeu, c’est l’obéissance à Dieu, la docilité à l’Esprit. Marie est Celle qui « laisse les choses arriver », qui laisse se réaliser en elle ce que Dieu a pensé et rêvé, au point d’exprimer son « fiat » à Dieu et de proclamer : « le Seigneur fit pour moi des merveilles ». De même aussi le Salésien, la Fille de Marie Auxiliatrice, chaque Salésien Coopérateur, chaque Dévot de Marie Auxiliatrice, chaque membre de notre Famille Salésienne, qui est la Famille de Don Bosco, devra apprendre et faire sien ce style de docilité à l’Esprit. J’ajoute que j’aimerais que ce style prenne vraiment corps à toutes les étapes de la formation initiale et de la formation permanente dans chaque Groupe, Congrégation et Institution salésienne. Et n’oublions pas que les « formateurs » et les « personnes en formation » devraient être – nous devrions être – les premiers à « nous laisser former » par l’Esprit, comme Marie.

Le rêve offre, comme aucun autre élément, comme aucune autre réalité, ce que je crois que l’on peut définir comme des indices « inaliénables » de l’ADN du charisme. Ce sont ces indices ou « principes » qui peuvent nous aider à lire, à discerner et à agir en harmonie avec la fidélité créatrice.

Et n’oublions pas qu’il s’agit d’une tâche communautaire que nous devons accomplir ensemble, « de manière synodale », pourrions-nous dire aujourd’hui dans la ligne des récents travaux synodaux, en tant que Famille Salésienne.

Accompagner Don Bosco dans sa réflexion sur son rêve des neuf ans, c’est aussi souligner son abandon à la Providence, c’est nous placer, comme lui, dans le « Tu comprendras tout en son temps ». Pour Don Bosco, le rêve même était une action de la Providence. Voilà la conviction radicale, le choix fondamental de la vie, « l’essence de l’âme de Don Bosco », le point central, la partie la plus profonde et la plus intime de sa personne. Il ne fait aucun doute que l’abandon à la Divine Providence, comme il l’avait appris de sa mère, a été décisif pour notre père et doit être pour nous la garantie de la continuité de la spiritualité salésienne. C’est l’abandon à Dieu, la confiance en Dieu, parce que le Dieu que Don Bosco a appris à aimer est un Dieu fiable. Il agit vraiment dans l’histoire, et il l’a fait dans l’histoire de l’Oratoire, au point que Don Bosco est allé jusqu’à dire aux Directeurs salésiens, le 2 février 1876 :

« Les autres Congrégations et Ordres religieux ont eu à leurs débuts quelque inspiration, quelque vision, quelque fait surnaturel qui a donné une impulsion à la fondation et en a assuré l’établissement. Mais le plus souvent, cela s’est arrêté à un ou quelques-uns de ces faits. Mais ici, chez nous, les choses se passent bien différemment. On peut dire qu’il n’y a rien qui n’ait été connu auparavant. Aucun pas n’a été fait par la Congrégation sans qu’un fait surnaturel ne le conseille, aucun changement ou perfectionnement ou élargissement qui n’ait été précédé d’un commandement du Seigneur… Nous aurions pu, par exemple, écrire toutes les choses qui nous sont arrivées avant qu’elles n’arrivent et les écrire minutieusement et avec précision. »[34]

Cependant, « pas avec des coups ». L’art de la douceur et de la patience pédagogique
Le rêve ne nous parle pas seulement d’un passé, mais aussi d’un présent, d’un aujourd’hui extrêmement actuel. Le « pas avec les coups » que la Madone dit à Jean dans le rêve nous interpelle encore aujourd’hui, et rend plus nécessaire que jamais de réfléchir sur notre manière salésienne d’éduquer les jeunes, car le discours de la haine et de la violence ne cesse d’augmenter. Notre monde devient de plus en plus violent et nous, éducateurs et évangélisateurs des jeunes, devons être une alternative à ce qui angoissait tant le petit Jean dans son rêve et qui nous fait tant de mal aujourd’hui. Comme l’a dit le Recteur Majeur, le P. Pascual Chávez, dans l’Étrenne de 2012,[35] il ne fait aucun doute que nous devrons « affronter les loups » qui veulent dévorer le troupeau : l’indifférentisme, le relativisme éthique, le consumérisme qui détruit la valeur des choses et des expériences, les fausses idéologies, et tout ce qui frappe vraiment et qui est une vraie violence.

Je crois que ce message est aussi actuel aujourd’hui qu’il l’était lorsque Giovannino (notre futur Don Bosco, père et maître) l’a reçu.

Le « pas avec les coups » est un « non absolu ». C’est très clair, et c’est la seule correction – on pourrait presque dire un reproche – que Jean Bosco reçoit dans son rêve. Et avant toute chose, c’est une certitude pour nous, la grande certitude que le chemin de la force et de la violence ne mène pas dans la bonne direction du charisme. Les « coups » du rêve peuvent prendre mille formes aujourd’hui. En fait, je me suis intéressé à lire, à réfléchir et à préciser de nombreuses formes de violence plus ou moins subtiles qui nous entourent et qui doivent être bannies de notre horizon éducatif et pastoral et de notre univers charismatique.

« Pas avec les coups » signifie lutter consciemment et sans aucune justification contre toutes sortes de violences :

Violence physique qui porte atteinte au corps (pousser, donner des coups de pied, gifler, coincer contre le mur, lancer des objets).

Violence psychologique et verbale qui nuit à l’estime de soi. La violence qui insulte et disqualifie, qui isole, qui surveille et contrôle sans respect. Violence et abus psychologique qui font que certaines personnes ont l’impression qu’elles ne donnent jamais assez d’elles-mêmes. Violence qui fait que les gens se considèrent toujours comme différents et dans l’erreur, voire immatures pour avoir pensé honnêtement ce qu’ils pensent. Violence et abus de la part de ceux qui ne s’intéressent à l’autre que lorsqu’ils veulent en tirer profit.

Violence affective et sexuelle qui nuit au corps, au cœur et aux affections les plus intimes, qui laisse des traces de douleur indélébiles et peut se manifester verbalement ou par écrit, avec des regards ou des signes qui dénotent obscénité, harcèlement, intimidation et même abus.

Violence économique par laquelle l’argent qui vous appartient ou qui est utilisé pour faire le bien est retenu, détourné, volé.

La violence est aussi une cyberviolence, une « cyberintimidation » avec harcèlement par le biais de l’internet, de sites web, de blogs, de textos ou de messages électroniques, ou encore de vidéos.

Violence qui découle de l’exclusion sociale où des personnes, des étudiants, des adolescents sont exclus ou humiliés publiquement, sans aucun respect.

Violence caractérisée par la maltraitance, par des verbes tels que menacer, manipuler, dévaloriser, nier, remettre en cause, humilier, insulter, disqualifier, se moquer, montrer de l’indifférence.

Il ne fait aucun doute que, charismatiquement, nous possédons l’antidote à ces situations qui nuisent à la vie. Il s’agit du génie pastoral de Don Bosco : « En nous souvenant, d’autre part, que l’intervention de Marie dans le premier rêve de Jean Bosco a été initialement de configurer le « génie apostolique » qui nous caractérise dans l’Église, je vous invite à concentrer ensemble notre réflexion sur le projet qui caractérise notre génie pastoral : le Système Préventif. »[36]

ELLE, la Dame : Maîtresse et Mère
La Dame du rêve se présente comme Maîtresse et Mère. Elle est la mère des deux : du majestueux Seigneur du rêve et de Giovannino lui-même ; une mère – permettez-moi la paraphrase – qui, le prenant par la main, lui dit :

« Regarde » : combien il est important pour nous de savoir regarder, et combien il est grave de ne pas « voir » les jeunes dans leur réalité, dans ce qu’ils sont ; quand nous ne réussissons pas à voir ce qu’il y a de plus authentique en eux, et ce qu’il y a de plus tragique et de plus douloureux en eux et dans leur vie. « Regarde » est le premier mot que dit la « dame d’aspect majestueux, vêtue d’un manteau qui resplendissait de toutes parts comme si chaque point eût été une étoile éclatante. »

Sans vouloir trop « interpréter » un seul verbe, il me semble qu’il y a là un signe « préventif » de ce que sera en fait le chemin que notre père devra suivre, fait avant tout d’apprentissage par l’expérience. Pensons combien les yeux comptent dans la vie de Don Bosco… C’est ce qu’il voit, lorsqu’il arrive à Turin – ou plutôt ce que Cafasso l’aide à voir – qui donne naissance à notre mission. C’est à partir de la façon dont il voit chaque garçon (on se souvient des premières rencontres dans les biographies qu’il écrit) : il y a là l’incipit qui est comme un miracle suivi de tout le reste, à la fois pour Savio, pour Magon, pour Cagliero, pour Rua… Au musée de Chieri, il y a une sculpture représentant les yeux et les regards de Don Bosco, qui était restée à côté de son autel en 1988. Il y a quelque chose d’unique dans son regard et le « regarde » dit par la Dame du rêve n’en est pas moins original et unique.

C’est précisément autour du « regard » qu’il est possible de trouver une référence explicite à un mot aussi fondamental pour nous que l’assistance. Et nous savons tous à quel point c’est essentiel.

Mon attention, cependant, ne s’éloigne pas beaucoup du pré des rêves aux Becchi, parce qu’en fait, sans qu’il ne s’en rende compte, Giovannino se formera par l’expérience : il apprendra de la vie, surtout dans les moments d’extrême difficulté et de fatigue.

« Regarde » amène la personne à se décentrer d’elle-même, à saisir quelque chose qui dépasse son horizon et son imagination et qui devient une invitation, un défi, une provocation, un appel et un guide. Car cela demande une implication pleine et entière à travers laquelle Jean fera tout son possible en faveur des jeunes. C’est à partir de là que nous pouvons aussi saisir l’importance de l’environnement dans toute la pédagogie salésienne.

Rien n’est enlevé au soin indispensable de l’intériorité et du silence. Nous sommes appelés à lever le regard, aussi bien quand nous le fixons sur le mystère de Dieu que lorsque nous passons à côté de l’homme qui « descendait de Jérusalem à Jéricho et tomba sur des bandits. » (Lc 10,30) Et c’est ce qui a toujours caractérisé la personne de Don Bosco, de l’enfance à la fin de sa vie.

« Apprends » : Devenir humble, fort et robuste, parce qu’il y a un besoin de simplicité face à tant d’arrogance ; la force face à tant de choses auxquelles on doit faire face dans la vie ; et cette robustesse qu’est la résilience, ou la capacité de ne pas se décourager, de ne pas « baisser les bras » lorsqu’il semble que l’on soit incapable de faire quelque chose.

Il est intéressant de noter que ce qui rend Jean « doux » (humble, fort, robuste), ce sont les événements (l’expérience) que la Providence (Marie) met sur son chemin. Par exemple, quelque temps après le rêve, en février 1828 (alors qu’il n’avait que douze ans), Maman Marguerite a été forcée de l’éloigner de la maison à cause des conflits avec Antoine. Le soir, Jean arrive à la ferme Moglia où il est accueilli plus par pitié que par réel besoin – ce n’est pas en hiver que l’on cherchait des garçons de ferme. Quoi qu’il en soit, la ferme est assez éloignée mais en même temps assez proche de Moncucco où se trouve l’un des meilleurs curés que le diocèse de Turin ait eus, Don Francesco Cottino (dont pour l’instant notre littérature salésienne parle encore très peu). Jean le rencontre tous les dimanches. C’est le premier « face à face », la première rencontre avec un vrai guide pour Jean. Ainsi, une saison qui ne pouvait être que triste et sombre devient une occasion très importante pour son cheminement. On sait aussi que le 3 novembre 1829, son oncle Michel le ramena dans sa famille, aux Becchi, et que le 5 novembre, Jean rencontrera Don Calosso à son retour de la mission de Buttigliera.

C’est pourquoi je considère qu’il est très important d’insister fortement sur l’incroyable accompagnement-direction de la Providence. Jean y correspond en s’impliquant librement. Cependant, les événements et les personnes qui se succèdent au bon moment sont les artisans de cet « humble, fort et robuste » indispensable à la mission qui, entre-temps, mûrit de plus en plus en lui.

Il y a donc un primat de la Grâce qui vaut avant tout pour nous si nous sommes capables de nous laisser former, et qui devient ainsi fécond pour la mission. Au point qu’il n’y a plus de limites ou de difficultés qui empêcheraient la croissance vers cette plénitude de vie qu’est la sainteté, quel que soit le contexte, même le plus exigeant.  

Évidemment, tout cela ne nous dispense pas de faire tous les efforts nécessaires pour améliorer les situations et surmonter les injustices. En effet, Don Bosco va « s’allier » avec la Providence sans limiter ses efforts, ses rencontres, la rédaction de contrats de travail pour défendre et protéger les jeunes apprentis qui sont les hôtes du premier oratoire. Surtout, Don Bosco ne les prive pas du ciel ! mais leur indique qu’il y a toujours « quelque chose de plus », un objectif supérieur auquel tout le monde peut accéder.

Une leçon similaire a été suggérée par sainte Mère Thérèse de Calcutta avec ses efforts « inutiles » pour les moribonds de Calcutta. Entre autres choses, sur une affiche qu’elle avait écrite à la main et accrochée dans sa chambre au début de sa nouvelle vie pour les plus pauvres d’entre les pauvres, elle avait écrit ces mots noir sur blanc : « Da mihi animas cætera tolle ».

« Et soyez patients », c’est-à-dire donnons du temps à tout et laissons Dieu être Dieu.

4. UN RÊVE QUI FAIT RÊVER
Chers membres de la Famille Salésienne, je ne peux pas conclure mon commentaire sur l’Étrenne sans exprimer pour les jeunes et pour nous, les nombreux rêves que je porte dans mon cœur. Ils peuvent s’identifier au désir de continuer à grandir dans la fidélité charismatique ; ou à l’aspiration et à la provocation sereine face à des changements qui nous sont difficiles, aux résistances qui peuvent étouffer le feu vivant de notre charisme. Ou encore des pulsions qui veulent traduire en réalité le rêve même de Don Bosco, mais deux cents ans plus tard !

Ces rêves, je les partage avec vous, dans l’espoir que quiconque me lit, où qu’il se trouve dans le vaste monde salésien, puisse sentir que quelque chose de ce qui est écrit ici lui est aussi destiné. Voici quelques éléments qui me semblent concrets pour la réalisation du rêve des neuf ans :

Don Bosco nous a montré tout au long de sa vie que seules les relations authentiques transforment et sauvent. Le Pape François nous dit la même chose : « Il ne suffit donc pas de disposer de structures, si on ne développe pas en leur sein d’authentiques relations ; c’est, de fait, la qualité de ces relations qui évangélise.»[37] C’est pourquoi j’exprime le désir que chaque maison de notre Famille Salésienne soit ou devienne un espace vraiment éducatif, un espace de relations respectueuses, un espace qui aide à grandir de manière saine. En cela, nous pouvons et nous devons faire la différence, parce que les relations authentiques sont à l’origine de notre charisme, à l’origine de la rencontre avec Barthélemy Garelli, à l’origine de la vocation même de Don Bosco.

Chaque choix de Don Bosco faisait partie d’un projet plus grand : le plan de Dieu pour lui. Par conséquent, aucun choix n’était superficiel ou banal pour Don Bosco. Son rêve n’était pas une anecdote de sa vie, ni un simple événement, mais une réponse vocationnelle, un choix, un chemin, un programme de vie qui prenait forme au fur et à mesure qu’il était vécu. Je rêve donc que chaque Salésien, chaque membre de la Famille de Don Bosco, éprouve, par vocation et par choix, de se sentir mal à l’aise et qu’il fasse l’expérience directe de la douleur, de la fatigue et de la peine de tant de familles et de jeunes qui luttent chaque jour pour survivre, ou pour vivre avec un peu plus de dignité. Et qu’aucun de nous ne soit réduit à être un spectateur passif ou indifférent face à la douleur et à l’angoisse de tant de jeunes.

« Le rêve premier, le rêve créateur de Dieu notre Père précède et accompagne la vie de tous ses enfants. »[38]NotreDieu a un rêve pour chacun de nous, pour chacun de nos jeunes, un projet pensé, « conçu » pour nous par Dieu lui-même. Le secret du bonheur tant désiré de tous sera précisément celui de découvrir la correspondance et la rencontre entre ces deux rêves : le nôtre et celui de Dieu. Et donc, comprendre ce qu’est le rêve de Dieu pour chacun de nous signifie, tout d’abord, réaliser que le Seigneur nous a donné la vie parce qu’il nous aime, au-delà de ce que nous sommes, y compris de nos limites. Nous devons donc croire que notre Dieu veut faire de grandes choses en chacun de nous ! Nous sommes tous précieux, nous avons une grande valeur, parce que, sans chacun de nous, il manquera quelque chose dans le monde et dans l’Église. En fait, il y aura des gens que je suis le seul à pouvoir aimer, des mots que je suis le seul à pouvoir dire, des moments que je suis le seul à pouvoir partager.

Et sans rêves, il n’y a pas de vie. Pour les êtres humains, pour nous tous, rêver, c’est se projeter, avoir un idéal, un sens dans la vie. La pire pauvreté des jeunes est de les empêcher de rêver, de les priver de leurs rêves ou de leur imposer des rêves inventés. Chacun de nous est un rêve de Dieu. Il est important de découvrir quel est mon rêve, quel rêve Dieu a pour moi. Et nous devons essayer de le développer, de le réaliser, parce que notre bonheur et celui de nos frères et sœurs en dépendent. Souvenons-nous de la façon dont Don Bosco pleura d’émotion et de joie lorsque, le 16 mai 1887, « il vit se réaliser » le rêve qui définissait sa vie, sa vocation, sa mission.

Dieu fait de grandes choses avec des « outils simples » et nous parle de multiples façons, même au plus profond de notre cœur, à travers les sentiments qui nous animent, à travers la Parole de Dieu reçue avec foi, approfondie avec patience, intériorisée avec amour, suivie avec confiance. Aidons-nous nous-mêmes, ainsi que nos garçons, nos filles et nos jeunes, à écouter leur cœur, à déchiffrer leurs mouvements intérieurs, à exprimer ce qui s’agite en eux et en nous, à reconnaître quels signes ou « rêves » révèlent la voix de Dieu et lesquels, au contraire, sont le résultat de choix erronés.

« Les difficultés et les fragilités des jeunes nous aident à être meilleurs, leurs questions nous défient, leurs doutes nous interpellent sur la qualité de notre foi. Leurs critiques aussi nous sont nécessaires, car bien souvent, à travers elles, nous écoutons la voix du Seigneur qui nous demande de convertir notre cœur et de renouveler nos structures.»[39] Un éducateur authentique sait découvrir avec intelligence et patience ce que chaque jeune porte en lui-même, et en tant que tel, il agira avec compréhension et affection, cherchant à se faire aimer.[40] Je rêve et je désire rencontrer chaque jour, dans chaque maison salésienne du monde, des Salésiens et des laïcs qui croient au miracle que l’éducation et l’évangélisation salésiennes ont le pouvoir de réaliser.

Vivre humainement, c’est « devenir », c’est se réaliser, c’est jouir des résultats qui sont le fruit de processus patients par lesquels Dieu agit et intervient dans nos vies. Comme je souhaite que notre passion éducative ressemble à celle de Don Bosco, « père de la bonté affectueuse salésienne » [« amorevolezza »] , afin que dans toutes nos présences dans le monde, les garçons et les filles rencontrent non seulement des professionnels formés, mais de véritables éducateurs, frères, amis, pères et mères.

Don Bosco, « prêtre des rues » avant la lettre, s’est littéralement consumé dans cette entreprise. Les Salésiens (et ceux qui s’inspirent de Don Bosco) sont en effet « les enfants d’un rêveur d’avenir », mais d’un avenir qui se construit dans la confiance en Dieu et dans l’immersion et le travail quotidiens dans la vie des jeunes, au milieu des fatigues et des incertitudes de chaque jour.[41] Et c’est pourquoi la rencontreavec le Seigneur de la Vie, en aidant chaque jeune à découvrir son propre rêve, le rêve de Dieu en chacun, et en le soutenant sur son chemin de réalisation, est le don le plus précieux que nous puissions offrir aux jeunes. Comme je souhaite que cela se produise dans toutes nos maisons !

Alors que le cœur de Don Bosco battait à tout moment, nous, « convaincus que chaque jeune porte inscrit dans son cœur le désir de Dieu, nous sommes appelés à offrir des occasions de rencontre avec Jésus, source de vie et de joie pour chaque jeune. »[42] Don Bosco ne pouvait tolérer que dans ses maisons, ses fils et ses filles ne proposent pas aux garçons, aux filles, aux adolescents et aux jeunes la rencontre avec Jésus – même dans la liberté avec laquelle nous éduquons aujourd’hui à la foi dans les contextes les plus divers. Aujourd’hui encore, nous sommes appelés à le faire connaître, à découvrir comment Il fascine chaque personne et à aider les jeunes d’autres religions à être de bons croyants dans leur propre foi et leurs propres idéaux. Je rêve que cela devienne une réalité dans toutes les maisons salésiennes du monde.

« Partout, l’Œuvre Salésienne doit tendre vers les jeunes les plus pauvres et les plus nécessiteux de la société, et doit utiliser avec eux les mille moyens inspirés par la charité qui anticipe. Don Bosco pleurait en voyant tant de jeunes grandir dans la corruption et l’incroyance ; et il aurait voulu pouvoir étendre ses soins – veiller, admonester, instruire en un mot, prévenir – à tous les jeunes du monde (…) C’est pourquoi, en acceptant de nouvelles fondations, il donnait la préférence aux lieux où les jeunes tournaient mal parce qu’abandonnés. »[43] Je rêve vraiment de voir, un jour, toute la Congrégation Salésienne avoir le même dévouement que Don Bosco avait envers ses garçons les plus pauvres. Je rêve de voir chacun de mes confrères donner joyeusement sa vie en faveur des plus petits. Dans de nombreux cas, il en est déjà ainsi. Je rêve que chacune de nos maisons soit remplie de cette « odeur de brebis » à laquelle le Pape François fait référence aujourd’hui pour toute personne appelée à une vocation apostolique. Et je le souhaite aussi à toute notre Famille Salésienne : personne ne doit se sentir exclu de cet appel.

« La vie de Jean avant son ordination sacerdotale est vraiment un chef-d’œuvre d’itinéraire vocationnel. »[44] Parlant de la vocation aux jeunes, le Pape François dit : « Je suis une mission sur cette terre, et pour cela je suis dans ce monde. Par conséquent, il faut penser que toute pastorale est vocationnelle, toute formation est vocationnelle et toute spiritualité est vocationnelle. »[45] Comme Don Bosco l’a toujours fait, je considère qu’il est de notre devoir d’aider chaque jeune, dans toutes nos propositions, à découvrir ce que Dieu attend de lui, à avoir des idéaux qui le fassent « voler haut », à donner le meilleur de lui-même, à désirer vivre la vie comme un don et un don de soi.

Marie brille par son rôle de mère et de gardienne. Quand, très jeune, elle a reçu l’annonce de l’ange, elle n’a pas hésité à poser des questions. Quand elle a accepté et dit « oui », elle a tout misé, en prenant un risque. Quand sa cousine a eu besoin d’elle, elle a mis de côté ses projets et ses besoins et elle est partie « avec empressement » (Lc 1,39). Quand la douleur de son Fils l’a frappée, elle a été la femme forte qui l’a soutenu et accompagné jusqu’à la fin. Elle, la Mère et Maîtresse, regarde le monde des jeunes qui la cherchent, même s’il y a beaucoup de bruit et d’obscurité sur le chemin. Elle parle dans le silence et entretient la lumière de l’espérance.[46] Je rêve vraiment que, dans la fidélité à Don Bosco, nous fassions en sorte que nos garçons, nos filles, nos jeunes tombent amoureux de cette Mère, tout autant que lui, parce que « la Vierge est tout pour Don Bosco ; et le Salésien qui veut acquérir l’esprit du Fondateur doit l’imiter dans cette dévotion. »[47]

5. DU RÊVE DES NEUF ANS À L’AUTEL DES LARMES
Je suis arrivé à la fin de ce commentaire. Je pourrais continuer, mais je crois que ce que j’ai écrit peut toucher le cœur de tout le monde. En soi, ce serait déjà une très bonne nouvelle.

Je veux simplement vous inviter à une minute d’intériorisation et de contemplation devant ce texte des Memorie Biografiche qui décrit en quelques lignes ce que Don Bosco a ressenti, versant de grosses larmes, devant l’autel de Marie Auxiliatrice dans la basilique du Sacré-Cœur de Jésus, à Rome, quelques jours à peine après sa consécration.

Dans ces moments-là, Don Bosco vit et entendit la voix de sa mère Marguerite, les commentaires de ses frères et de sa grand-mère qui évaluaient le rêve, le remettant même en question. C’est là, à ce moment-là, soixante-deux ans plus tard, qu’il a tout compris, comme la Maîtresse le lui avait prédit.

Ce récit m’émeut à chaque fois et c’est pour cette raison que je vous invite à le relire et à le méditer personnellement. Encore une fois :

« Pas moins de quinze fois, pendant le divin sacrifice, rapportent les Memorie Biografiche, Don Bosco s’arrêta, saisi d’une vive émotion et versant des larmes. Viglietti, qui l’assistait, dut le rappeler de temps en temps à la réalité, afin qu’il puisse continuer. Lui ayant demandé quelle avait été la cause de tant d’émotion, Don Bosco répondit :  » J’avais devant les yeux la scène où, vers l’âge de dix ans, je rêvais de la Congrégation. Je voyais et j’entendais ma mère et mes frères interpréter le rêve… » La Vierge lui avait dit alors : « Tu comprendras tout en son temps. » Soixante-deux ans de labeur, de sacrifices et de luttes s’étaient écoulés depuis ce jour-là, et un éclair soudain lui avait révélé, dans la construction de l’église du Sacré-Cœur à Rome, le couronnement de la mission qui lui avait été mystérieusement annoncée au début de sa vie. »[48]

Je crois vraiment que Marie Auxiliatrice continue d’être une vraie Mère et Maîtresse de vie pour toute notre Famille, encore aujourd’hui. Je suis convaincu que les paroles prophétiques du premier rêve prononcées par le Seigneur Jésus et Marie continuent d’être une réalité dans tous les lieux où le charisme de notre Père, don de l’Esprit, s’est enraciné. Et je suis sûr que dans chaque maison, au-delà de nos efforts et de nos fatigues, nous pouvons appliquer ce que Don Bosco disait à propos du Sanctuaire du Valdocco :

« Chaque brique est une grâce de Marie Auxiliatrice. Nous n’avons rien fait sans son intervention directe. C’est Elle-même qui a construit sa propre maison, et c’est une merveille à nos yeux ! »

Immaculée et Auxiliatrice, qu’Elle continue à nous guider tous par la main. Amen.

Turin-Valdocco, le 8 décembre 2023

P. Ángel Card. Fernández Artime, S.D.B.
Recteur Majeur


[1] F. Motto, Il sogno dei nove anni. Redazione, storia, criteri di lettura, in «Note di pastorale giovanile» 5 (2020), 6.

[2] P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica. 1. Vita e opere, LAS, Roma 1979, 31s.

[3] P. Chávez V., Connaissant et imitant Don Bosco, faisons des jeunes la mission de notre vie, in AGC 412 (2012), 35-36. (p. 41 dans l’édition en langue française).

[4] F. Motto, o.c., 6.

[5] G. Bosco, Memorie dell’Oratorio di S. Francesco di Sales dal 1815 al 1855 (en français, nous nous référons à Souvenirs autobiographiques, traduction d’André Barucq, Apostolat des Éditions, Paris, 1978).

[6] Cf. Ph. Rinaldi, Lettre circulaire publiée in ACS Année V – n° 26 (24 octobre 1924), 312-317.

[7] G. Bosco, Memorie dell’Oratorio di S. Francesco di Sales dal 1815 al 1855, in Institut Historique Salésien, (Essai introductif et notes historiques éditées par A. da Silva Ferreira), « Fonti », première série, 4, mars 1991. Cf. A. Bozzolo, Le rêve des neuf ans, 3.1 Structure narrative et mouvement onirique in A. Bozzolo, Les rêves de Don Bosco. Expérience spirituelle et sagesse éducative, LAS-Rome, 2017, p. 235.

[8] R. Ziggiotti (édité par Marco Bay), Tenaci, audaci e amorevoli [Tenaces, audacieux et aimants]. Lettres circulaires aux Salésiens par le P. René Ziggiotti, LAS, Rome 2015, 575.

[9] Le Salésien Coadjuteur Marco Bay a été professeur à l’Université Pontificale Salésienne de Rome ; il est actuellement Directeur des Archives Centrales Salésiennes de Rome (UPS). Il m’a généreusement remis les recherches qu’il avait effectuées sur les références que les précédents Recteurs Majeurs avaient faites au rêve des neuf ans.

Je voudrais également profiter de cette occasion pour remercier le P. Luis Timossi, sdb, du Centre de formation permanente de Quito, et le P. Silvio Roggia, sdb, Directeur de la communauté du bienheureux Ceferino Namuncurá à Rome, pour leurs notes et leurs suggestions.

[10] P. Albera, Direction Générale des Œuvres Salésiennes, Lettres circulaires du P. Paul Albera aux Salésiens, Turin 1965, n. 123 ; 315 ; 339.

[11] Ph. Rinaldi, Lettre circulaire publiée in ACS Année V – n° 26 (24 octobre 1924), 312-317.

[12] Ibidem.

[13] La commémoration d’un « rêve », in BS année XLIX, 6 (juin 1925), 147.

[14] P. Ricaldone, Année XVII. 24 mars 1936, n° 74.

[15] P. Ricaldone, op. cit.,78.

[16] R. Ziggiotti, op. cit.,129.

[17] R. Ziggiotti, op. cit., 264.

[18] L. Ricceri, La parola del Rettor Maggiore. Conferenze, Omelie Buone notti [La parole du Recteur Majeur. Conférences, Homélies, Mots du soir] v. 9, Province Centrale Salésienne, Turin 1978, n. 27.

[19] Ibid., p. 28.

[20] E. Viganò, Lettres circulaires du P. Egidio Viganò aux Salésiens, vol. 1, Rome, Direction Générale des Œuvres de Don Bosco, 1996, n. 10.

[21] MB VII, 291. Cité dans J. E. VECCHI, Educatori appassionati esperti e consacrati per i giovani. Lettere circolari ai Salesiani di don Juan E. Vecchi [Éducateurs passionnés, expérimentés et consacrés pour les jeunes …]. Introduction, mots-clés et index par Marco Bay, LAS, Rome 2013, 380.

[22] P. Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica. Vol. II, p. 32. Cité in J. E. VECCHI, op. cit., p. 381.

[23] P. ChÁvez Villanueva, Lettres circulaires aux Salésiens (2002-2014). Introduction et index par Marco Bay. Présentation du P. Ángel Fernández Artime, Rome, LAS, 2021, p. 450.

[24] F. Motto, op. cit., 8.

[25] Ibid., p. 10.

[26] G. Bosco, Memorie dell’ Oratorio, cité in F. Motto, op. cit., 9.

[27] F. Motto, op. cit., 10.

[28] Cité in P. Ricaldone, Année XVII. 24 mars 1936, n° 74.

[29] J. Bosco, op. cit., 1177.

[30] P. Ricaldone, Année XX, novembre-décembre 1939 n. 96.

[31] A. Bozzolo (éd.), Il Sogno dei nove anni. Questioni ermeneutiche e lettura teologica [Le rêve des neuf ans.Questions herméneutiques et lecture théologique], LAS, Rome 2017, 264.

[32] E. Viganò, Lettres circulaires du P. Egidio Viganò aux Salésiens, vol. 1, Rome, Direction Générale des Œuvres de Don Bosco, 1996, p. 10.

[33] R. Ziggiotti, op. cit., 264.

[34] F. Motto, op. cit., 7.

[35] Cf. P. Chávez : « Connaissant et imitant Don Bosco, faisons des jeunes la mission de notre vie ». Première année de préparation au Bicentenaire de sa naissance. Étrenne 2012, in ACG 412 (2012), 3-39.

[36] E. Viganò, Lettres circulaires du P. Egidio Viganò aux Salésiens, vol. 1, Rome, Direction Générale des Œuvres de Don Bosco, 1996, p. 31.

[37] Synode des ÉvÊques, Les jeunes, la foi et le discernement vocationnel. Document final. Elledici, Turin, 2018, nº128.

[38] Pape François, Christus vivit. Exhortation Apostolique postsynodale aux jeunes et à tout le Peuple de Dieu, LEV, Cité du Vatican 2019, nº194.

[39] Synode des ÉvÊques, Les jeunes …, nº116.

[40] Cf. XXIII Chapitre Général Salésien, Éduquer les jeunes à la foi, CCS, Madrid, 1990, nº 99.

[41] Cf. F. Motto, op. cit.,14.

[42] R Sala, Il sogno dei nove anni. Redazione, storia, criteri di lettura, in «Note di pastorale giovanile» 5 (2020), 21.

[43] Ph. Rinaldi, Il sac. Filippo Rinaldi ai Cooperatori ed alle Cooperatrici Salesiane. Un’altra data memoranda [Le P. Philippe Rinaldi aux Coopérateurs et Coopératrices Salésiens. Une autre date mémorable] in BS, Année XLIX, 1 (janvier 1925), 6.

[44] E. ViganÒ, Lettres circulaires du P. Egidio Viganò aux Salésiens, vol. 2, Rome, Direction Générale des Œuvres de Don Bosco, 1996, p. 589.

[45] Pape François, Christus vivit, nº254.

[46] Cf. Pape François, op. cit., 43-48, 298.

[47] R. Ziggiotti, op. cit., 264.

[48] MB XVIII, 341.




Une année de rêves venus d’En-haut

Chers amis et amies, nous sommes au seuil d’une nouvelle année, 2024, année très spéciale parce que nous commémorons le bicentenaire du rêve des 9 ans de Don Bosco. Ce rêve était bien plus qu’un épisode charmant dans la vie d’un enfant de 9 ans, c’était comme une vision et une prémonition de ce qu’il allait faire au cours de sa vie.

62 ans plus tard, en célébrant sa première et dernière messe dans la basilique du Sacré-Cœur de Rome, consacrée deux jours plus tôt, Don Bosco fondit en larmes plus de 15 fois. Comme dans un film, il a vu se dérouler, en succession rapide, toutes les scènes de sa vie, réalisant qu’il avait toujours été guidé par la Divine Providence et en particulier conduit par la main de Celle qui est l’Auxiliatrice des chrétiens, au point de dire : « C’est Elle qui a tout fait ».

Cette nuit du Nouvel An 1862
Cette commémoration m’amène à penser à un Nouvel An significatif dans la vie de Don Bosco. Il s’agit du 1er janvier 1862.
Les Mémoires biographiques racontent que Don Bosco, malade jusqu’à la veille, annonça qu’il avait une nouvelle importante à annoncer à tous les habitants de l’Oratoire, grands et petits. « Il est impossible de décrire l’émotion causée par la promesse de Don Bosco, qui entre-temps agita tous les jeunes. Avec quelle impatience ils passèrent la nuit du 31 décembre au 1er janvier, et le jour suivant ! Avec quelle anxiété ils attendaient le soir pour entendre ce que le bon père leur dirait », raconte Don Lemoyne. « Enfin, après les prières, les jeunes attendirent Don Bosco dans un profond silence. Celui-ci monta sur sa petite estrade et révéla le mystère en disant : « L’étrenne que je vous donne n’est pas la mienne. Que diriez-vous si la Madone elle-même venait en personne dire un mot à chacun d’entre vous ? Si elle avait préparé pour chacun d’entre vous un petit billet personnel pour lui montrer ce dont il a le plus besoin, ou ce qu’elle attend de lui ? Eh bien, c’est exactement ce qui se passe. La Sainte Vierge donne à chacun un cadeau ! Je vois que certains voudront savoir et demanderont : – Comment cela est-il arrivé ? La Madone a-t-elle écrit les billets ? Est-ce que c’est la Madone elle-même qui a parlé à Don Bosco ? Don Bosco est-il le secrétaire de la Madone ? Je réponds : – Je ne vous dirai rien de plus que ce que je vous ai dit. C’est moi qui ai écrit les billets, mais je ne peux pas dire comment cela s’est passé, et que personne ne prenne l’initiative de m’interroger, car cela me mettrait dans l’embarras. Que chacun se contente de savoir que le billet est venu de la Sainte Vierge. C’est une chose singulière ! J’ai demandé cette grâce pendant plusieurs années et je l’ai enfin obtenue. Que chacun de vous considère donc cet avis comme s’il sortait de la bouche de la Vierge Marie elle-même. Venez donc dans ma chambre et je vous donnerai à chacun son billet. » Don Bosco pouvait dire cela parce qu’il avait lui-même reçu de la Vierge, à l’âge de neuf ans, le message qui allait marquer tout le cours de sa vie.
À la suite des confidences de cette soirée, les salésiens commencèrent à passer dans la chambre de Don Bosco pour prendre leur billet. Beaucoup le révélèrent. Celui qui était destiné à Don Bonetti, qui rédigeait la chronique quotidienne, disait : « Augmente le nombre de mes fils« .  Le bon prêtre transcrivit cette recommandation dans sa chronique et ajouta : « En attendant, ma très douce Mère, vous qui m’avez donné de si chers conseils, donnez-moi les moyens de les mettre en pratique, et faites en sorte que j’augmente vraiment ce beau nombre de fils, mais que moi aussi, j’y sois inclus ».
Le billet de Don Rua disait : « Recours à moi avec confiance pour les besoins de ton âme ».
Le lendemain matin, les jeunes se pressaient à la porte de la chambre de Don Bosco pour recevoir leur billet. Je peux facilement imaginer comment Don Bosco a su toucher le cœur de chaque salésien et de chaque garçon de l’Oratoire, non pas avec une invention mais avec la conviction profonde de ce que la Vierge voulait pour chacun d’eux. En même temps, tout se fit la manière de Don Bosco, qui a toujours été un vrai maître et un vrai génie : je veux parler de l’art de la rencontre personnelle, du dialogue, du regard qui va au plus profond du cœur.
En lisant cela, je me suis demandé si cela ne pouvait pas nous arriver à nous aussi. Nous avons envoyé des billets et cartes de vœux à de nombreuses personnes. Si la Sainte Vierge avait envoyé un billet de vœux à la Congrégation salésienne et à chacun de nous, à la belle et grande Famille salésienne, à la famille de Don Bosco, qu’aurait-elle écrit ?

Marcher comme Don Bosco
Il est beau de l’imaginer. Je vous assure que dans mon imagination il y a tant de belles choses que la Sainte Vierge pourrait nous demander personnellement et en tant que famille de Don Bosco, née pour accompagner les garçons et les filles du monde – surtout les plus pauvres et les plus nécessiteux – dans leur processus de croissance, de maturation, de transformation…
Le mystère de la nouvelle année, qui développe au fond le mystère de Noël, nous dit : « Tu n’es pas conditionné par ton passé. Tu peux prendre un nouveau départ aujourd’hui, parce qu’il y a quelque chose de nouveau en toi. Prends dans tes bras le divin Enfant, qui te met en contact avec toute la nouveauté disponible, authentique et intacte, dans ton âme. Recommence avec les petits, les jeunes. Fais confiance à la nouveauté en toi ! Chaque jour est ton premier jour ».
Peut-être suffirait-il de faire nôtres les paroles que Marie dit à Jean Bosco dans son rêve : « Voici ton champ, voici où tu dois travailler. Rends-toi humble, fort et robuste ». Peut-être attendrait-on un conseil plus « spirituel », mais seul celui qui est humble sait être aimable parce qu’il sait se réjouir de la présence des autres. L’humilité est la porte de l’amour envers les petits, les démunis, les blessés de la vie.
Seul ce qui est solide et fort peut marcher derrière Jésus aujourd’hui, malgré tout. Car nous voulons voir les prisonniers libres, les opprimés ne plus être opprimés, et voir en quel message les pauvres peuvent encore croire aujourd’hui.
C’est écouter la voix du buisson ardent qui jamais ne se consumera : « Je briserai tes chaînes et je te ferai marcher la tête haute ». Marie veut que les Salésiens, et toute la Famille, la belle famille de Don Bosco de tous les temps, marchent comme Don Bosco. Et pour cela, la meilleure garantie sera toujours d’avoir Marie comme Maîtresse et mieux encore comme Mère. Une vraie grâce pour notre famille.
C’est ainsi qu’ont parlé les Recteurs Majeurs tout au long de notre histoire. C’est ainsi qu’a parlé mon prédécesseur, Don Ziggiotti, quand il écrivait : « Je te donnerai la Maîtresse, sous la discipline duquel tu peux devenir sage, et sans laquelle toute sagesse devient folie » est la parole fatidique du premier rêve, prononcée par le mystérieux personnage, « le Fils de Celle que ta mère t’a enseigné à saluer trois fois par jour ». C’est donc Jésus qui donne à Don Bosco sa Mère comme Maîtresse et guide infaillible sur le dur chemin de toute sa vie. Comment ne pas être reconnaissants pour ce don extraordinaire du Ciel à notre famille ?
Je vous souhaite une bonne année 2024 avec mes meilleurs vœux pour chacun d’entre vous et pour vos familles. Qu’elle soit une belle année pour nous tous et une année de paix pour notre humanité tellement souffrante.




Appel Missionnaire 2024

Chers confrères,
Un salut fraternel depuis notre Maison Mère du Valdocco.

Comme c’est de tradition depuis quelques années, aujourd’hui, 18 décembre, comme en 1859 où Don Bosco fonda la « Pieuse Société de Saint François de Sales », je considère que c’est une belle occasion de mettre en relief l’esprit missionnaire comme élément essentiel du charisme de Don Bosco, en vous envoyant mon appel missionnaire annuel.

En 2024, nous célébrerons le bicentenaire du rêve de neuf ans de Jean Bosco. Le P. Pietro Stella a dit que c’est le rêve qui « a conditionné toute la manière de vivre et de penser de Don Bosco ». Pour nous aujourd’hui, suivre la réflexion sur le rêve de Don Bosco depuis neuf ans exige que nous soulignions sa confiance en la Providence : « En son temps, tu comprendras toutes choses ».

Le rêve de neuf ans nous enseigne que Dieu parle de multiples façons, qu’il fait de grandes choses avec des « instruments simples », même au plus profond de notre cœur, à travers les sentiments qui nous animent. Aujourd’hui, le rêve de neuf ans continue de nous faire rêver et nous invite à réfléchir sur qui nous sommes et pour qui nous sommes.

Il est intéressant de noter que dans le cinquième rêve missionnaire, qui eut lieu lors d’une visite aux confrères à Barcelone dans la nuit du 9 au 10 avril 1886, Don Bosco établit un lien profond avec son rêve de neuf ans. Dans son cinquième et dernier rêve missionnaire, il a vu une grande foule de garçons courir vers lui en criant : « Nous t’attendions. Nous t’avons attendu depuis si longtemps. Maintenant, tu es enfin là. Tu es parmi nous et tu ne nous échapperas pas ! La bergère qui conduisait un immense troupeau d’agneaux l’a aidé à en comprendre le sens en lui demandant : « Te souviens-tu du rêve que tu as fait quand tu avais dix ans ? », puis elle a tracé une ligne de Valparaiso à Pékin pour souligner l’immense nombre de jeunes qui attendent les Salésiens. En effet, aujourd’hui, sur tous les continents, il y a des jeunes qui ont besoin d’être transformés de « loups » en « agneaux ».

Aujourd’hui, Don Bosco a besoin des Salésiens qui se rendent disponibles comme « simples outils » pour réaliser son rêve missionnaire. Par cette lettre, je lance un appel aux confrères qui ressentent au plus profond de leur cœur, à travers les sentiments qui les animent, l’appel de Dieu, dans notre vocation salésienne commune, à se rendre disponibles comme missionnaires avec un engagement de toute une vie (ad vitam), partout où le Recteur Majeur les envoie.

À mon appel du 18 décembre 2022, 42 Salésiens ont répondu en m’envoyant la lettre de leur disponibilité missionnaire. Après un discernement minutieux, 24 d’entre eux ont été choisis comme membres de la 154e expédition missionnaire en septembre dernier. Les autres continuent leur discernement. J’espère qu’ils seront tout autant, voire plus, à se rendre généreusement disponibles cette année.

J’invite les Provinciaux, avec leurs Délégués pour l’Animation Missionnaire (DIAM), à être les premiers à aider les confrères à faciliter leur discernement, en les invitant, après un dialogue personnel, à se mettre à la disposition du Recteur Majeur pour répondre aux besoins missionnaires de la Congrégation. Ensuite, le Conseiller général pour les Missions, en mon nom, poursuivra le discernement qui conduira au choix des missionnaires pour la 155e expédition missionnaire qui se tiendra, si Dieu le veut, le dimanche 29 septembre 2024, dans la Basilique de Marie Auxiliatrice de Valdocco, comme cela se fait depuis l’époque de Don Bosco.

Le dialogue avec le Conseiller Général pour les Missions et la réflexion partagée au sein du Conseil Général me permettent de préciser les urgences identifiées pour 2024, où je souhaiterais qu’un nombre significatif de confrères soient envoyés :
– dans les nouvelles frontières du continent africain : Botswana, Niger, Afrique du Nord, etc.
– dans les nouvelles présences que nous allons mettre en place en Grèce et au Vanuatu ;
– en Albanie, en Roumanie, en Allemagne, en Slovénie et dans d’autres pays frontaliers du Projet Europe ;
– en Azerbaïdjan, au Népal, en Mongolie, en Afrique du Sud et en Yakoutie ;
– dans les présences auprès des peuples indigènes du continent américain.

Je confie mon dernier appel missionnaire à l’intercession de notre Mère Immaculée et Auxiliatrice pour que nous, Salésiens, gardions vivant le zèle missionnaire de Don Bosco.

Je vous salue, chers confrères, avec une véritable affection,

Prot. 23/0585
Turin Valdocco, le 18 décembre 2023




Le panier de Maman Marguerite

À la fin d’une année, nous avons tous dans l’âme une corbeille de souvenirs. Il contient ce que nous avons vécu, une année riche, pleine de souvenirs agréables, mais aussi d’événements inattendus. Une année où les surprises n’ont pas manqué.

Chers amis de Don Bosco et de son charisme, à la fin de l’année 2023, il m’a semblé intéressant d’utiliser le symbolisme de la corbeille que Maman Marguerite porte toujours à son bras. Même sur le nouveau poster de l’étrenne, son signe distinctif est la corbeille qui pend à son bras. Nous sommes tous habitués à la voir ainsi, Maman Marguerite. Sans le panier, sans son fichu sur la tête et sa robe de paysanne pauvre, elle ne serait pas elle-même.
Le panier était en osier tressé avec beaucoup de soin. Elle avait transporté des layettes pour ses petits-enfants, des petits pains croustillants fraîchement cuits et du linge propre et odorant.
Mais le 3 novembre 1846, comme le raconte Don Bosco dans ses Mémoires de l’Oratoire, lorsque lui et sa mère descendirent des Becchi à Turin pour accueillir les jeunes abandonnés de la ville, Maman Marguerite le remplit de son trousseau de mariage, soigneusement plié et, au milieu, déposa quelques bouquets de lavande. Au fond, bien caché sous la doublure en tissu, elle dissimule son petit trésor : un petit paquet de velours avec deux bagues et un pendentif en or.
Avec ces quelques biens, ils réussirent à répondre aux premiers besoins de l’Oratoire. Maman Marguerite avait un cœur grand comme toutes les collines d’Asti et son linge commença à disparaître, se transformant en chemises et en sous-vêtements pour les garçons. Curieux fut le sort de la robe de mariée qui devint la première nappe d’autel de la chapelle Pinardi, puis un drap pour un malade du choléra.
Mais le panier n’était pas vide, il contenait le parfum de toutes les bonnes et belles choses de sa vie.

Le coffre au trésor des souvenirs heureux
À la fin de l’année, nous devrions tous avoir un tel panier. Accroché dans nos esprits et dans nos cœurs. Un panier comme un coffre à trésors de souvenirs heureux. Nous devrions la remplir avec l’émerveillement de la danse de la vie qui a passé rapidement : les personnes qui nous ont fait du bien, les événements de grâce, les rencontres qui nous ont donné du souffle et du courage, les certitudes, les espoirs et, par-dessus tout, l’or précieux de la présence de Dieu.
Dans mon panier, j’ai trouvé beaucoup de choses pour lesquelles je remercie le Seigneur de la vie, notre Dieu et Père bon. Et certainement, comme cela arrive dans la vie de chaque personne, et aussi dans celle de vous qui me lisez, tout ce qu’on vit au cours d’une année n’a pas produit de la joie. Il y a aussi des peines, des difficultés, des exigences, des pertes, mais tout cela, vécu dans la foi, est éclairé d’une manière précieuse.
            – Dans ma corbeille, je trouve tant d’efforts, personnels et de ceux qui m’aident dans l’animation et le gouvernement de la Congrégation, qui ont servi à donner de la vie, beaucoup de vie : nous avons pu aider tant de personnes, tant d’enfants et de jeunes dans tout le monde salésien, en encourageant mes frères et la famille salésienne à continuer sur le chemin de la fidélité salésienne. La corbeille est remplie de tant de dons de tant de personnes dans le monde, dans les 135 nations et dans les milliers d’œuvres de toute la famille salésienne dans le monde.
            – Dans ma corbeille, cette année, il y a la visite de Don Bosco au centre pour mineurs (l’ancienne Generala que Don Bosco a visitée avec Don Cafasso), et dont je suis rentré le cœur lourd et plein de tristesse d’avoir été là avec ces jeunes (qui, je l’espère, surmonteront bientôt cette situation), mais avec la joie de savoir qu’ils y parviendront. La salutation du jeune homme qui m’a demandé : « Quand reviens-tu ? » est restée gravée dans ma mémoire. Et je reviendrai bientôt.
            – Dans mon panier, il y a la joie de tant de voyages effectués au cours de l’année – cette fois encore sur les cinq continents, puisque je suis de retour de mon voyage en Australie. Je pourrais écrire des pages sur tous ces voyages. Je ne mentionnerai que ma visite au Pérou, deux fois en février, sur le plateau de Huancayo, avec son froid et ses collines et la rencontre avec plus de mille jeunes, à 2500 mètres d’altitude, et l’immense chaleur de la ville de la chaleur éternelle (comme ils aiment à le dire) qu’est Piura, où j’ai trouvé une dévotion à Marie Auxiliatrice qui m’a ému.
            – Mon panier contient la joie de me retrouver à Viedma, en Argentine, cinq mois après la canonisation du salésien coadjuteur saint Artémide Zatti et de refaire les routes qu’il a parcourues et de vivre là où il a vécu et fait de la sainteté une réalité de tous les jours.
            – Et le panier, au fond de mon cœur, contient cette année l’expérience la plus profonde qu’un être humain puisse vivre. L’expérience de la perte de ma mère, surtout quand le père est déjà parti au ciel. On a vraiment l’impression que le « cordon ombilical » qui nous soutenait non seulement jusqu’à notre venue au monde, mais tout au long de notre vie, est définitivement coupé. Mais j’ai aussi vécu cela, avec la grâce du Seigneur, comme une perte, certes, mais pleine de sens, pleine d’espoir, et avec une immense gratitude envers le Seigneur de la vie pour une vie longue et belle dans le cas de mon père et de ma mère. Comment ne pas remercier le Seigneur pour cela ?
            – Mon panier de cette année contient l’immense joie des jours précieux passés à Lisbonne lors des Journées Mondiales de la Jeunesse. Plus d’un million de jeunes ont donné un précieux témoignage d’humanité et d’humanisme, de capacité à vivre dans l’harmonie, l’amitié et la paix malgré leur grande différence, en venant du monde entier. C’est une grande leçon qu’ils nous donnent.
            – Enfin, mon panier de cette année contient un acte profond de foi et d’obéissance. C’est sans aucun doute par la foi que le Saint-Père m’a nommé cardinal de la Sainte Église romaine. Et c’est certainement par la foi, et avec la certitude que notre Dieu accompagne la vie de chacun d’entre nous de la manière unique qu’il est le seul à connaître, que j’ai accepté ce dessein et cette obéissance. Certainement avec gratitude et avec la promesse de fidélité et de loyauté envers le Vicaire du Christ, comme nous le déclarons lorsque nous recevons l’anneau cardinalice. Ce n’est que dans la foi qu’une telle chose peut être vécue dignement.
Comme vous le voyez, mes amis, mon panier est plein. Je suis sûr qu’il en est de même dans la vie de chacun d’entre vous. C’est le grand don de la vie que Dieu nous fait.
Je vous souhaite un temps béni ce mois-ci. Et je vous souhaite que, dans l’attente de la venue de Jésus-Christ, vous continuiez à travailler en tant que Famille salésienne pour que notre monde soit purifié de la haine et de la discorde et qu’il soit rempli de l’esprit chrétien, afin que nous puissions toujours vivre en paix les uns avec les autres.




La mémoire du futur

Nous avons un rêve. Et c’est notre plus grande richesse

            Il y a 200 ans, un petit garçon de neuf ans, pauvre et sans autre avenir que celui de faire le paysan, a fait un rêve. Il le raconta le matin à sa mère, à sa grand-mère et à ses frères qui s’en moquèrent. La grand-mère conclut : « Il ne faut pas croire aux rêves ». Bien des années plus tard, ce garçon, Jean Bosco, écrivit : « J’étais de l’avis de ma grand-mère, mais je n’ai jamais pu oublier ce rêve ».
            Parce que ce n’était pas un rêve comme tant d’autres et qu’il ne s’est pas évanoui à l’aube.
            Il est revenu encore bien des fois. Avec une force entraînante pleine d’énergie. Pour Jean Bosco il était source de sécurité joyeuse et de dynamisme inépuisable. La source de sa vie.
            Lors du procès diocésain pour la cause de béatification de Don Bosco, son premier successeur, Don Rua, a témoigné : « J’ai été informé par Lucia Turco, membre d’une famille où Don Bosco allait souvent chez ses frères, qu’un matin ils le virent arriver plus joyeux que d’habitude. À la question de savoir quelle en était la cause, il répondit qu’il avait fait un rêve pendant la nuit, qui l’avait réjoui. Invité à le raconter, il dit qu’il avait vu venir vers lui une Dame qui avait derrière elle un très grand troupeau et qui s’était approchée de lui, l’avait appelé par son nom et lui avait dit : – Voici, mon petit Jean, tout le troupeau que je confie à tes soins. J’ai ensuite appris par d’autres qu’il avait demandé : – Comment vais-je m’occuper de tant de moutons ? Et de tant d’agneaux ? Où trouverai-je des pâturages pour les nourrir ? La Dame lui répondit : – Ne crains rien, je t’aiderai, puis elle disparut.
            À partir de ce moment, son désir d’étudier pour devenir prêtre devint plus ardent ; mais de graves difficultés surgirent à cause de la situation difficile de sa famille, et aussi à cause de l’opposition de son demi-frère Antonio, qui aurait voulu qu’il s’adonne aux travaux de la campagne comme lui… »
            En effet, tout semblait impossible, mais le commandement de Jésus avait été « impérieux » et l’assistance de la Vierge douce et assurée.
            Don Lemoyne, premier historien de Don Bosco, résume le rêve en ces termes : « Il lui sembla voir le Divin Sauveur vêtu de blanc, rayonnant de la plus splendide lumière, en train de conduire une foule innombrable de gamins. Se tournant vers lui, il lui avait dit : – Viens ici, mets-toi à la tête de ces jeunes et conduis-les toi-même. – Mais je n’en suis pas capable, répondit Jean. Le Divin Sauveur insista impérieusement jusqu’à ce que Jean se mette à la tête de cette multitude de garçons et commence à les conduire comme il lui avait été ordonné. »
            Au séminaire, Don Bosco écrivit une page d’une admirable humilité comme motivation de sa vocation : « Le rêve de Morialdo m’a toujours marqué ; il s’est d’ailleurs renouvelé à d’autres moments de façon beaucoup plus claire, de sorte que si je voulais y croire, je devais choisir l’état ecclésiastique, auquel je me sentais enclin. Mais je ne voulais pas croire aux songes, et ma façon de vivre, ainsi que le manque absolu des vertus nécessaires à cet état, rendaient cette décision douteuse et très difficile. »
            Nous pouvons en être sûrs : il avait reconnu le Seigneur et sa Mère. Malgré sa modestie, il ne doutait pas qu’il avait été visité par le Ciel. Il ne doutait pas non plus que ces visites étaient destinées à lui révéler son avenir et celui de son œuvre. Il l’a dit lui-même : « La Congrégation salésienne n’a pas fait un pas sans y être invitée par un fait surnaturel. Elle n’est pas arrivée au point de développement où elle se trouve sans un ordre spécial du Seigneur. Toute notre histoire passée, nous aurions pu l’écrire à l’avance dans ses plus humbles détails… »
            C’est pourquoi les Constitutions salésiennes commencent par un « acte de foi » : « Avec un sentiment d’humble gratitude, nous croyons que la Société de saint François de Sales est née non pas d’un projet humain, mais de l’initiative de Dieu. »

Le testament de Don Bosco
            Le pape lui-même demanda à Don Bosco d’écrire le rêve pour ses fils. Il le fit en commençant ainsi : « À quoi servira donc ce travail ? Il servira de règle pour surmonter les difficultés futures, en tirant les leçons du passé ; il servira à faire connaître comment Dieu lui-même a tout guidé en tout temps ; il servira à mes fils de récréation agréable, lorsqu’ils pourront lire les choses auxquelles leur père a participé, et ils les liront bien plus volontiers lorsque, appelé par Dieu à rendre compte de mes actions, je ne serai plus parmi eux. »
            Don Bosco révèle clairement son intention d’impliquer le lecteur dans l’aventure racontée, jusqu’à le faire participer à celle-ci comme à une histoire qui le concerne et qu’il est appelé à poursuivre dans la foulée de ce récit. Le récit du rêve devient clairement le « testament » de Don Bosco.
            Ici, il y a la mission : la transformation du monde à partir des plus petits, des plus jeunes, des plus abandonnés. Il y a la méthode : la bonté, le respect, la patience. Il y a l’assurance de la forte protection de la Sainte Trinité et de la protection tendre et maternelle de Marie.
Dans les Mémoires de l’Oratoire, Don Bosco raconte que vingt ans après le premier rêve de 1824, il fit « un nouveau rêve qui semble un appendice de celui que j’avais eu aux Becchi à l’âge de neuf ans. J’ai rêvé que je me voyais au milieu d’une multitude de loups, de chèvres et de chevreaux, d’agneaux, de brebis, de béliers, de chiens et d’oiseaux. Tous ensemble, ils faisaient un bruit, une clameur ou plutôt un bruit diabolique qui aurait effrayé les plus courageux. Je voulais m’enfuir, quand une Dame, habillée en bergère, me fit signe de suivre et d’accompagner cet étrange troupeau, tandis qu’elle le précédait…
            Après avoir beaucoup marché, je me suis retrouvé dans un pré, où ces animaux sautaient et mangeaient ensemble sans que les uns ne cherchent à nuire aux autres.
            Accablé de fatigue, j’ai voulu m’asseoir au bord d’une route voisine, mais la bergère m’a invité à poursuivre mon chemin. Après un court trajet, je me suis retrouvé dans une vaste cour entourée d’un portique au fond duquel se trouvait une église. Je me suis alors rendu compte que les quatre cinquièmes de ces animaux étaient devenus des agneaux. Leur nombre devint alors très grand. À ce moment-là, arrivèrent plusieurs bergers pour les garder. Mais ils restèrent peu de temps et s’en allèrent bientôt. C’est alors que se produisit une chose merveilleuse. Beaucoup d’agneaux se transformèrent en petits bergers et, en grandissant, ils prenaient soin des autres. Je voulais partir, mais la bergère m’invita à regarder en arrière. Elle me dit : « Regarde de nouveau », et j’ai regardé de nouveau. J’ai alors vu une belle et grande église. À l’intérieur de cette église, il y avait une bande blanche, sur laquelle était écrit en grosses lettres : Hic domus mea, inde gloria mea.
            C’est pourquoi, lorsque nous entrons dans la Basilique Marie-Auxiliatrice, nous entrons dans le rêve de Don Bosco.
            Qui demande de devenir « notre » rêve.




Je souhaite continuer à servir les autres… d’une manière différente. MA NOMINATION COMME CARDINAL

Je crois partager l’affirmation de notre saint Fondateur de 1884 : « Je vois de plus en plus quel glorieux avenir est préparé à notre Société, l’extension qu’elle aura et le bien qu’elle pourra accomplir ».

Chers amis du charisme salésien, que mon salut sincère, fraternel et affectueux parvienne à chacun d’entre vous.
Le Bulletin salésien m’a « suggéré » de préparer ce salut non pas, comme d’autres fois, en racontant quelque chose de significatif que j’ai vécu, mais en parlant de moi, de cette nouvelle réalité qui m’attend. Et j’ai expérimenté quelque chose que j’avais étudié sur la personne de notre père Don Bosco. Il lui était difficile de parler de lui et encore plus d’exprimer ses sentiments. Dans mon cas, je dois avouer qu’il m’est un peu difficile de parler ou d’écrire sur les derniers événements qui me sont arrivés ; mais j’avoue que tôt ou tard je devrai le faire, et le message du Bulletin Salésien qui arrive dans les mains et dans le cœur de tant d’amis du charisme de Don Bosco est une bonne façon d’envoyer ce message personnel.
Après la nouvelle inattendue (surtout pour moi), avec laquelle le Saint Père François a également annoncé mon nom parmi les 21 personnes qu’il a choisies pour être « créées » Cardinaux de l’Église lors du prochain Consistoire du 30 septembre, des milliers de personnes se sont interrogées, surtout parmi les Salésiens de Don Bosco et les membres de la famille salésienne dans le monde entier : et maintenant, que va-t-il se passer ? Qui accompagnera la vie de la Congrégation dans un futur proche ? Quelles étapes l’attendent ? Vous comprenez bien que ce sont les mêmes questions que je me suis posées, en remerciant dans la foi le Seigneur pour ce don que le Pape François nous a fait en tant que Congrégation salésienne et en tant que Famille de Don Bosco.
Avec une lecture de foi, connaissant les grandes choses que Dieu a faites et ce que nous savons à travers sa Parole, on peut dire que Dieu aime les surprises.  Habituellement, dans la Bible, Dieu dit : « Partez ! Le chemin se révélera de lui-même ».  Une chose importante que nous avons apprise de Don Bosco : ne nous laissons pas perturber par quoi que ce soit et faisons confiance à la Providence de Dieu.
Je crois partager la déclaration de 1884 de notre saint fondateur : « Je vois de plus en plus quel glorieux avenir est préparé à notre Société, l’étendue qu’elle aura et le bien qu’elle pourra accomplir ».
J’ai pu m’entretenir personnellement avec le Saint-Père, le Pape François, après l’annonce de l’Angélus, l’assurant de ma disponibilité à compter sur moi pour n’importe quel service. J’ai répondu comme Don Bosco lorsqu’on lui a demandé de construire le temple du Sacré-Cœur à Rome, dans son cas un Don Bosco âgé et malade, qui sentait aussi le poids et la responsabilité d’une Congrégation naissante : Don Bosco a répondu : « Si c’est l’ordre du Pape, j’obéis ! ».
Avec simplicité, j’ai dit au Saint-Père que nous, Salésiens, avons appris de Don Bosco à être toujours disponibles pour le bien de l’Église, et en particulier pour tout ce que le Pape peut demander. C’est pourquoi, tout en remerciant Dieu pour ce don qui appartient à toute la Congrégation et à la Famille salésienne, j’exprime ma gratitude au Pape François en l’assurant, au nom de tous les membres de notre grande Famille, d’une prière plus fervente et plus intense. Une prière qui, comme je l’ai dit, sera toujours accompagnée de notre sincère et profonde affection.

Que va-t-il se passer maintenant ?
Je dois vous dire que j’ai été profondément touché par la sensibilité de notre Pape François qui a compris que mon service de Recteur Majeur ne devait pas changer immédiatement d’un jour à l’autre. C’est pourquoi, environ une demi-heure après l’annonce de la nomination lors de la prière de l’Angélus du dimanche 9 juillet, le Saint-Père m’a envoyé une lettre dans laquelle il parlait du temps nécessaire pour me préparer au Chapitre général de notre Congrégation avant d’assumer ce qu’il a l’intention de me confier. Comme toujours, le Saint-Père s’est montré attentif, cordial, profondément admiratif du charisme de Don Bosco et particulièrement affectueux. Des sentiments que, en mon nom et au nom de toute la Famille salésienne, je lui ai rendus.
Je voudrais partager avec vous les dispositions que le Saint-Père m’a communiquées.
Le Pape a décidé que, pour le bien de notre Congrégation, après le Consistoire du 30 septembre 2023, je pourrai continuer mon service comme Recteur Majeur jusqu’au 31 juillet 2024. Après cette date, je présenterai ma démission de Recteur Majeur, comme le demandent nos Constitutions et Règlements, afin d’assumer des mains du Saint-Père le service qu’il me confiera.
C’est ce que le Pape lui-même m’a communiqué. Nous pourrons avancer le 29e Chapitre général d’un an, c’est-à-dire en février 2025. Mon Vicaire, le Père Stefano Martoglio, assurera le gouvernement de la Congrégation ad interim, comme le prévoient nos Constitutions, jusqu’à la célébration du CG29. Enfin, il me reste à dire et à répondre à une autre question que beaucoup d’entre vous se posent : quelle tâche le Saint-Père me confiera-t-il ? Le Pape François ne me l’a pas encore dit. D’ailleurs, avec cette grande marge de temps, je pense que c’est la chose la plus opportune.
En tout cas, je vous demande à tous, chers frères et membres des groupes de notre Famille salésienne, de continuer à intensifier la prière. En particulier pour le Pape François. Il l’a lui-même expressément demandé à la fin de l’audience privée qui m’a été accordée.
Enfin, je vous demande aussi de prier pour moi, placé devant la perspective d’un nouveau service dans l’Église que, en tant que fils de Don Bosco, j’accepte par obéissance filiale, sans l’avoir cherché parce que je crois vraiment que dans l’Église, les services que nous rendons ne peuvent et ne doivent jamais être cherchés ou exigés comme s’il s’agissait de faire une carrière personnelle. Ce qui est convenable pour le « monde » ne l’est pas pour nous, serviteurs au nom de Jésus. Et nous devons nous écarter (beaucoup, je l’espère) de certaines normes du monde. Le témoin de tout cela est notre bien-aimé Père Don Bosco devant le Seigneur Jésus.
Je vous remercie pour l’affection, la proximité exprimée ces dernières semaines par les nombreux messages que j’ai reçus du monde entier.
J’ai l’impression qu’on m’adresse les mêmes expressions que celles que la Madone a dites à Don Bosco dans le rêve des neuf ans – dont on célébrera le deuxième centenaire l’année prochaine :  » En temps voulu, tu comprendras tout « . Et nous savons que cela s’est produit pour notre Père presque à la fin de sa vie, devant l’autel de Marie Auxiliatrice dans la Basilique du Sacré-Cœur de Jésus, qui avait été consacrée la veille, le 16 mai 1887. De la Basilique de Marie Auxiliatrice, je vous adresse un salut affectueux et reconnaissant, confiant chacun à la Mère qui continuera à nous accompagner et à nous soutenir. Comme toujours, je vous salue avec une immense affection.




Les enfants de la famille

Redécouvrir la grande valeur de la proximité, de l’amitié, de la joie simple de la vie quotidienne, la valeur du partage, de la parole et de la communication.

J’écris ces lignes, chers amis de Don Bosco et de son précieux charisme, en regardant le projet du Bulletin salésien de septembre. Ma salutation est la dernière chose à insérer : je suis le dernier à écrire, en fonction du contenu du mois. Comme le faisait Don Bosco.
En ce mois, au début de l’année académique dans les écoles, dans les oratoires, je suis heureux de voir que les messages ont une saveur missionnaire (c’est pourquoi on parle des Philippines et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée), et aussi la simplicité d’une « mission salésienne » avec la saveur locale de la maison de Saluzzo.
La lecture du bulletin me fait apprécier quelque chose qui est très nôtre, très salésien, et qui, j’en suis sûr, plaît à beaucoup d’entre vous : je veux parler de la grande valeur de la proximité, de l’amitié, de la joie simple dans la vie de tous les jours, de la valeur du partage, de la conversation et de la communication.  Le grand cadeau d’avoir des amis, de savoir que l’on n’est pas seul. Le sentiment d’être aimé par tant de bonnes personnes dans notre vie.
En pensant à tout cela, il m’est venu à l’esprit un témoignage sincère et très honnête d’une jeune femme qui a écrit au père Luigi Maria Epicoco et que celui-ci a publié dans son livre La luce in fondo. C’est un témoignage que je voudrais vous faire connaître parce que je le considère comme l’antithèse de ce que nous essayons de construire chaque jour dans chaque maison salésienne. Cette jeune femme sent, dans un certain sens, qu’il n’y a pas de succès ni d’accomplissement s’il manque la plus humaine des rencontres, la plus belle des relations humaines, et cette année scolaire que nous commençons nous le rappelle.
Cette jeune femme écrit d’elle-même : « Cher Père, je vous écris parce que je voudrais que vous m’aidiez à comprendre si la nostalgie que je ressens ces mois-ci signifie que je suis étrange ou que quelque chose d’important a changé pour moi. Il serait peut-être utile que je vous parle un peu de moi. J’ai décidé de quitter la maison alors que j’avais à peine dix-huit ans. C’était une façon d’échapper à un environnement qui me semblait si étroit, si étouffant pour mes rêves. Je suis donc arrivée à Milan à la recherche d’un travail. Ma famille ne pouvait pas soutenir mes études. C’est aussi pour cela que j’étais en colère contre eux. Tous mes amis s’empressaient de choisir une faculté. Je n’avais pas le choix car personne ne pouvait me soutenir. J’ai cherché un emploi pour vivre et j’ai rêvé pendant des années d’avoir la chance d’étudier. J’ai réussi et, au prix d’immenses sacrifices, j’ai obtenu mon diplôme. Le jour de ma remise de diplôme, je ne voulais pas que ma famille y assiste. Je pensais que des paysans n’ayant fait que des études secondaires ne comprendraient rien à mes études. J’ai seulement dit à ma mère que tout s’était bien passé, et j’ai senti ses larmes qui, pendant un instant, m’ont réveillé avec un sentiment de culpabilité que je n’avais jamais ressenti auparavant. Mais c’était peu de chose. Je me suis réalisée par mes propres forces et je n’ai jamais pu ou voulu compter sur personne. Même au travail, j’ai progressé parce que j’ai choisi de m’allier à moi-même.
J’ai passé des années comme ça. Et je ne comprends pas pourquoi ce n’est que maintenant, au milieu de l’enfermement de cette pandémie, qu’une nostalgie pour ma famille a éclaté en moi. Je rêve de leur dire tout ce que je ne leur ai jamais dit. Je rêve de serrer mon père dans mes bras. La nuit, je me réveille et je me demande si l’on peut vivre une vie émancipée de relations aussi significatives. Même les relations que j’ai eues au fil des ans n’ont jamais franchi la frontière de la véritable intimité. Mais aujourd’hui, tout me semble si différent. Maintenant que je ne peux plus choisir de quitter la maison ou d’aller voir qui je considère comme important, je me suis éveillée à la réalisation du grand mensonge dans lequel je vivais depuis tout ce temps.
Qui sommes-nous sans relations ? Peut-être simplement des personnes malheureuses en quête d’affirmation. Je me suis rendu compte que tout ce que je faisais, en réalité, je le faisais parce que j’espérais que quelqu’un me dise qui j’étais vraiment. Mais les seuls qui pouvaient m’aider à répondre à cette question, je les ai coupés en mettant fin à mes relations. Et maintenant, ils risquent leur vie à des centaines de kilomètres de moi. Si je devais mourir, je voudrais être avec eux et non avec mes succès ».

Une joie partagée
J’apprécie l’honnêteté et le courage de cette jeune femme qui m’a fait beaucoup réfléchir sur notre réalité d’aujourd’hui. Elle m’a fait réfléchir sur le style de vie que nous menons dans tant de familles où l’important est d’avoir de bons résultats, d’obtenir une bonne situation économique, de remplir nos journées de choses à faire pour que tout soit rentable, etc…. mais nous payons des prix très élevés pour vivre toujours, et de plus en plus, non pas à l’extérieur de la maison mais à l’extérieur de nous-mêmes. Le danger est de vivre sans centre, c’est-à-dire « décentré ». Et croyez-moi, chers amis, vous ne pouvez pas imaginer à quel point cela se voit surtout chez les garçons et les filles de nos maisons, de nos cours et de nos oratoires.
Le second successeur de Don Bosco, Don Paolo Albera, se souvient : « Don Bosco éduquait en aimant, en attirant, en conquérant et en transformant.  Il nous a presque tous enveloppés dans une atmosphère de satisfaction et de bonheur, d’où étaient bannis le chagrin, la tristesse et la mélancolie… Il écoutait les enfants avec la plus grande attention, comme si les choses qu’ils disaient étaient toutes très importantes.
Le premier plaisir de la vie est d’être heureux ensemble : « La joie partagée est double ». Le mot d’ordre de l’éducateur est « Je suis bien avec vous ». Une présence qui est intensité de vie.
Un biographe de Don Bosco, Don Ceria, raconte qu’un haut prélat, après une visite au Valdocco, déclara : « Vous avez dans votre maison une grande fortune, que personne d’autre n’a à Turin et que les autres communautés religieuses n’ont pas non plus. Vous avez une pièce dans laquelle quiconque entre plein d’affliction en ressort rayonnant de joie ».  Le père Lemoyne nota au crayon : « Et nous sommes mille à avoir fait l’expérience ».
Un jour, Don Bosco dit :  » Parmi nous, les jeunes semblent maintenant des fils de famille, tous maîtres de maison ; ils font leurs les intérêts de la Congrégation. Ils disent notre église, notre collège, tout ce qui concerne les Salésiens, ils l’appellent nôtre ».
C’est pourquoi cette nouvelle année est une occasion de prendre soin et de nous occuper de ce qui est le plus essentiel et le plus important. Pour notre famille.




Lettre du Recteur Majeur après sa nomination comme cardinal

À l’attention de mes confrères salésiens (sdb) À l’attention de la Famille Salésienne

Mes chers frères et sœurs : recevez mes fraternelles salutations avec ma cordiale et sincère affection.
Après la nouvelle inattendue (surtout pour moi), dans laquelle le Saint-Père, Pape François, annonçait mon nom parmi les 21 personnes choisies par lui pour être « créés » Cardinaux de l’Église lors du prochain Consistoire du 30 septembre, de nombreuses personnes se sont posé la question de savoir : et maintenant, que va-t-il se passer ? Comment va-t-on faire dans la Congrégation pour son avenir immédiat ? Ce sont des questions que moi-même, je me suis posé à mon tour, et dans le même temps, j’ai présenté au Seigneur, dans la foi, ce don que Pape François nous a fait comme Congrégation Salésienne et comme Famille de Don Bosco. Nous n’avons aucun doute au sujet de l’amour que Pape François manifeste à notre endroit, tout comme Pape François sait combien nous l’aimons et comment nous cherchons de le soutenir, dans la mesure de nos possibilités, par notre prière et affection.
Une demi-heure après l’annonce faite lors de l’Angelus du dimanche, 9 juillet dernier, le Saint-Père m’avait envoyé une lettre en main propre, me demandant d’aller lui parler le plus tôt possible, afin de convenir à propos des échéances relatives à mon service comme Recteur Majeur pour le bien de la Congrégation. Lui-même me parlait, dans ladite lettre, de la préparation du prochain Chapitre Général.
Hier après-midi, j’ai été reçu par Pape François pour un moment de dialogue fraternel et de mutuelle affection. Maintenant, je suis en mesure de partager avec toute la Congrégation et notre Famille dans le monde, les dispositions concrètes selon le projet du Saint-Père.

Ces dispositions sont les suivantes :
– nous pouvons anticiper d’un an le Chapitre Général 29 ; c’est-à-dire, qu’il aurait lieu à partir du mois de février 2025 ;
– pape François a considéré la pertinence, pour le bien de notre Congrégation, qu’après le Consistoire du 30 septembre, je puisse continuer mon service comme Recteur Majeur, jusqu’au 31 juillet 2024, jour de la conclusion de la session plénière du Conseil Général, du temps d’été en Europe ;
– après cette date, je pourrais présenter ma renonciation comme Recteur Majeur, par le fait d’avoir été appelé par le Saint-Père pour le service qu’il me confiera. Voilà ce qu’il m’a communiqué ;
– conformément à l’article 143 de nos Constitutions, à cause de la « cessation de la charge de Recteur Majeur », ayant été appelé par Pape François pour un autre service, le Vicaire, P. Stefano Martoglio, assumera par intérim le gouvernement de la Congrégation, jusqu’à la célébration du CG29 ;
– moi-même, je vais convoquer le Chapitre Général 29, un an avant sa célébration, conformément à nos Constitutions et Règlements (R 111), et le Vicaire, P. Stefano, en assurera la présidence ;
– pendant tout ce temps, nous irons de l’avant selon le programme établi pour l’animation et le gouvernement de la Congrégation, tout en ajoutant l’effort de tous les membres du Conseil Général et de quelque Visiteur Extraordinaire nommé par le Recteur Majeur, pour réaliser toutes les visites extraordinaires (y compris celles de l’année 2025). Ainsi donc, nous arriverons au CG29 avec une vision complète du moment présent de toute la Congrégation ;
– concernant les autres informations relatives au Chapitre Général, je ne manquerai pas de vous en informer en détail au moment de sa convocation officielle.
Je voudrais mentionner, pour conclure, ce que probablement beaucoup des personnes se demandent : Quelle mission va me confier le Saint-Père ? Il ne me l’a pas encore dit, et nous pouvons comprendre qu’avec le temps qui reste encore disponible, c’est mieux que ce soit comme ça. Cela dit, je demande à mes confrères salésiens et à notre chère Famille Salésienne d’intensifier la prière. Tout d’abord, pour Pape François. C’était, en effet, sa propre demande au moment de la salutation finale. Il nous demande de prier pour lui ! Je vous demande aussi la prière pour ce que nous aurons à vivre cette année, en tant que Congrégation et Famille Salésienne. Certainement, je vous demande aussi de prier pour moi dans cette conjoncture du nouveau service dans l’Église que, en tant que fils de Don Bosco, j’accepte dans l’obéissance, sans l’avoir cherché ni souhaité. Notre bien-aimé Père Don Bosco en est témoin devant le Seigneur Jésus.
D’ici, la Basilique de Marie Auxiliatrice, Elle, la Mère, ne manquera pas de continuer à nous accompagner. Je crois, comme Don Bosco dans son rêve des neuf ans, dont nous allons célébrer l’année prochaine son deuxième centenaire, que « à son temps nous comprendrons tout ! ». Pour Don Bosco, notre Père, cela était arrivé à la fin de sa vie, devant l’autel de Marie Auxiliatrice de la Basilique du « Sacré-Cœur de Jésus », qui venait d’être consacrée la veille, ce jour du 16 mai 1887. Nous mettons tout entre les mains du Seigneur et de sa Mère.
Je vous salue avec une immense affection,

Prot. 23/0319
Turin, le 12 juillet 2023




Ceci est l’amour…

C’est le bien simple et silencieux que Don Bosco a fait. C’est le bien que nous continuons à faire ensemble.

Amis, lecteurs du Bulletin Salésien : comme chaque mois, vous recevez mes salutations cordiales, des salutations que je prépare en laissant parler mon cœur, un cœur qui veut continuer à regarder le monde salésien avec cette espérance et cette certitude que Don Bosco lui-même avait, qu’ensemble nous pouvons faire beaucoup de bien et que le bien qui se fait doit être connu.
Je vois chez beaucoup de salésiens la « passion » de Don Bosco pour le bonheur des jeunes. Une formule devenue célèbre tente de condenser le système éducatif de Don Bosco en trois mots : raison, religion, amour. L’école, l’église, la cour. Une maison salésienne, c’est tout cela réalisé dans la pierre. Mais l’oratoire de Don Bosco est bien plus que cela. C’est un arsenal de stimulation et de créativité : musique, théâtre, sport et promenades qui sont de véritables immersions dans la nature. Le tout assaisonné d’une affection réelle, paternelle, patiente, enthousiaste.

Mère courage
Alors que je lis avec douleur et inquiétude la chronique du Soudan, où la situation de chacun est très difficile, et aussi la situation salésienne, je voudrais aujourd’hui offrir un autre beau témoignage, bien que cette fois je n’aie pas été témoin oculaire, mais je raconte ce qui m’a été communiqué.
La scène se passe à Palabek (Ouganda), où, lorsque les premiers réfugiés sont arrivés il y a cinq ans, nous, Salésiens de Don Bosco, avons voulu aller avec les premiers réfugiés. La tente était le logement et la chapelle pour la prière et la célébration de la première Eucharistie était l’ombre d’un arbre.
Chaque jour, des centaines et des centaines de réfugiés du Soudan arrivaient à Palabek. D’abord à cause du conflit au Sud-Soudan. Des années plus tard, ils continuent d’arriver, maintenant à cause du conflit au Soudan (Nord-Soudan).
Ce que je vous dis, c’est le conseiller général pour les missions qui s’est rendu à Palabek quelques jours plus tôt pour continuer à accompagner cette présence dans un camp de réfugiés où des dizaines de milliers de personnes ont déjà été accueillies.
Il y a dix jours, une femme est arrivée avec onze enfants. Seule, sans aucune aide, elle a traversé plusieurs régions pleines de dangers pour elle et les enfants ; elle a marché plus de 700 kilomètres depuis un mois et le groupe d’enfants s’agrandit. Et c’est de cela que je veux parler, parce que c’est l’HUMANITÉ et c’est l’AMOUR. Cette femme est arrivée à Palabek avec onze enfants à sa charge, et elle les a tous présentés comme ses enfants. Mais en réalité, six d’entre eux étaient ses enfants issus de ses entrailles. Trois autres étaient les enfants de son frère qui venait de mourir et qu’elle avait pris en charge, et deux autres étaient de petits orphelins qu’elle avait trouvés dans la rue, seuls, sans personne et, bien sûr, sans papiers (qui peut penser aux papiers et à la documentation quand les choses les plus essentielles à la vie manquent ?
Parfois, une mère qui a donné sa vie pour défendre son enfant a été qualifiée de « mère courage ». Dans ce cas, je voudrais donner à cette mère de onze enfants le titre de mère courage, mais surtout de femme qui sait très bien – dans les « entrailles de son cœur » – ce que c’est que d’aimer, jusqu’à la souffrance, parce qu’elle vit et a vécu dans la pauvreté absolue avec ses onze enfants.
Bienvenue à Palabek, Mère courageuse. Bienvenue à la présence salésienne. Il ne fait aucun doute que tout sera fait pour que ces enfants ne manquent pas de nourriture, puis d’un lieu pour jouer, rire et sourire – dans l’oratoire salésien – et d’une place dans notre école.
Voilà le bien simple et silencieux que Don Bosco a fait. C’est le bien que nous continuons à faire ensemble parce que, croyez-moi, sentir que nous ne sommes pas seuls, avoir la certitude que beaucoup d’entre vous voient avec plaisir et sympathie l’effort que nous faisons chaque jour au profit des autres, nous donne aussi beaucoup de force humaine, et sans doute le Bon Dieu la fait grandir.
Je vous souhaite un bon été. Sans doute le nôtre, le mien aussi, sera-t-il plus serein et plus confortable que celui de cette maman de Palabek, mais je crois pouvoir dire qu’en pensant à elle et à ses enfants, nous avons, d’une certaine manière, construit un pont.
Soyez très heureux.