Nous avons réalisé un entretien exclusif avec le Recteur Majeur des Salésiens, Don Fabio Attard, qui revient sur les étapes fondamentales de sa vocation et de son parcours humain et spirituel. Sa vocation est née dans un oratoire et s’est consolidée à travers un parcours de formation riche qui l’a conduit de l’Irlande à la Tunisie, de Malte à Rome. De 2008 à 2020, il a été Conseiller général pour la Pastorale des Jeunes, fonction qu’il a exercée avec une vision multiculturelle acquise grâce à des expériences dans différents contextes. Son message central est la sainteté comme fondement de l’action éducative salésienne : « Je voudrais voir une Congrégation plus sainte », affirme-t-il, soulignant que l’efficacité professionnelle doit s’enraciner dans l’identité consacrée.
Quelle est l’histoire de ta vocation ?
Je suis né à Gozo, Malte, le 23 mars 1959, cinquième d’une fratrie de sept enfants. À ma naissance, mon père était pharmacien à l’hôpital, tandis que ma mère avait ouvert un petit magasin de tissus et de couture, qui s’est développé au fil du temps pour devenir une petite chaîne de cinq magasins. C’était une femme très travailleuse, mais l’entreprise est toujours restée familiale.
J’ai fréquenté l’école primaire et secondaire locale. Un élément très beau et particulier de mon enfance est que mon père était catéchiste laïc à l’oratoire, qui jusqu’en 1965 était dirigé par les salésiens. Ayant lui-même, dans sa jeunesse, fréquenté cet oratoire, il y était resté comme seul catéchiste laïc. Quand j’ai commencé à le fréquenter, à l’âge de six ans, les salésiens venaient de quitter l’œuvre. Un jeune prêtre (qui est toujours en vie) a pris la relève et a poursuivi les activités de l’oratoire dans le même esprit salésien, ayant lui-même vécu là en tant que séminariste.
On continuait avec le catéchisme, la bénédiction eucharistique quotidienne, le football, le théâtre, la chorale, les excursions, les fêtes… tout ce qu’on vit normalement dans un oratoire. Il y avait beaucoup d’enfants et d’adolescents, et j’ai grandi dans cet environnement. En pratique, ma vie se déroulait entre ma famille et l’oratoire. J’étais également enfant de chœur dans ma paroisse. Ainsi, à la fin de mes études secondaires, je me suis orienté vers la prêtrise, car depuis mon enfance, j’avais ce désir dans mon cœur.
Aujourd’hui, je me rends compte à quel point j’avais été influencé par ce jeune prêtre que j’admirais : il était toujours présent avec nous dans la cour, dans les activités de l’oratoire. Cependant, à cette époque, les salésiens n’étaient plus là. Alors je suis entré au séminaire, où l’on faisait alors deux ans de propédeutique en tant qu’internes. Au cours de la troisième année – qui correspondait à la première année de philosophie – j’ai rencontré un ami de la famille, âgé d’environ 35 ans, une vocation adulte, qui était entré comme aspirant salésien (il est encore en vie aujourd’hui et est coadjuteur). Quand il a fait cette démarche, un feu s’est allumé en moi et avec l’aide de mon directeur spirituel, j’ai commencé un discernement vocationnel.
Ce fut un parcours important mais aussi exigeant. J’avais 19 ans, mais ce guide spirituel m’a aidé à chercher la volonté de Dieu, et pas simplement la mienne. La dernière année – la quatrième de philosophie – au lieu de le suivre au séminaire, je l’ai vécue comme aspirant salésien, en terminant les deux années de philosophie requises.
Dans ma famille, l’environnement était fortement marqué par la foi. Nous participions chaque jour à la messe, nous récitions le chapelet à la maison, nous étions très unis. Aujourd’hui encore, bien que nos parents soient au paradis, nous conservons cette même unité entre frères et sœurs.
Une autre expérience familiale m’a profondément marqué, même si je ne m’en suis rendu compte qu’avec le temps. Mon frère, le deuxième de la famille, est mort à 25 ans d’une insuffisance rénale. Aujourd’hui, grâce aux progrès de la médecine, il serait encore en vie grâce à la dialyse et aux greffes, mais à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de possibilités. J’ai été à ses côtés pendant les trois dernières années de sa vie, nous partagions la même chambre et je l’aidais souvent la nuit. C’était un jeune serein, joyeux, qui vivait sa fragilité avec une joie extraordinaire.
J’avais 16 ans quand il est mort. Cinquante ans ont passé, mais quand je repense à cette époque, à cette expérience quotidienne de proximité, faite de petits gestes, je réalise à quel point cela a marqué ma vie.
Je suis né dans une famille où régnaient la foi, le sens du travail et la responsabilité partagée. Mes parents sont pour moi deux exemples extraordinaires. Ils ont vécu le mystère de la croix avec une grande foi et dans une grande sérénité, sans jamais faire peser quoi que ce soit sur qui que ce soit, sachant transmettre en même temps la joie de la vie familiale. Je peux dire que j’ai eu une très belle enfance. Nous n’étions ni riches ni pauvres, mais toujours sobres et discrets. Ils nous ont appris à travailler, à bien gérer les ressources, à ne pas gaspiller, à vivre avec dignité, avec élégance et, surtout, avec une particulière attention envers les pauvres et les malades.
Comment ta famille a-t-elle réagi lorsque tu as pris la décision de suivre la vocation consacrée ?
Le moment était venu où, avec mon directeur spirituel, nous avions clarifié que ma voie était celle des salésiens. Je devais également l’annoncer à mes parents. Je me souviens que c’était une soirée tranquille, nous étions en train de dîner tous les trois. À un moment donné, j’ai dit : « J’ai quelque chose à vous dire : j’ai fait mon discernement et j’ai décidé d’entrer chez les salésiens. »
Mon père était ravi. Il m’a immédiatement répondu : « Que le Seigneur te bénisse. » Ma mère, en revanche, s’est mise à pleurer, un peu comme toutes les mères. Elle m’a demandé : « Alors tu t’en vas ? » Alors mon père est intervenu avec douceur et fermeté : « Qu’il s’éloigne de nous ou non, c’est son chemin. »
Ils m’ont béni et encouragé. Ce sont des moments qui restent gravés à jamais dans ma mémoire.
Je me souviens en particulier de ce qui s’est passé vers la fin de la vie de mes parents. Mon père est décédé en 1997, et six mois plus tard, on a découvert un cancer incurable chez ma mère.
À cette époque, mes supérieurs m’avaient demandé d’aller enseigner à l’Université Pontificale Salésienne (UPS), mais je ne savais pas quelle décision prendre. Ma mère n’allait pas bien, elle était proche de la mort. En discutant avec mes frères, ils m’ont dit : « Fais ce que tes supérieurs te demandent. »
J’étais à la maison et j’en ai parlé avec elle : « Maman, mes supérieurs me demandent d’aller à Rome. »
Avec la lucidité d’une vraie mère, elle m’a répondu : « Écoute, mon fils, si cela ne tenait qu’à moi, je te demanderais de rester ici, car je n’ai personne d’autre et je ne voudrais pas être un fardeau pour tes frères. Mais… » – et là, elle a dit une phrase que je garde dans mon cœur – « Tu n’es pas à moi, tu appartiens à Dieu. Fais ce que tes supérieurs te disent. »
Cette phrase, prononcée un an avant sa mort, est pour moi un trésor, un héritage précieux. Ma mère était une femme intelligente, sage, perspicace : elle savait que la maladie allait l’emporter, mais à ce moment-là, elle a su être libre intérieurement. Libre de dire des mots qui confirmaient une fois de plus le don qu’elle avait fait à Dieu : offrir un fils à la vie consacrée.
La réaction de ma famille, du début à la fin, a toujours été marquée par un profond respect et un grand soutien. Et aujourd’hui encore, mes frères et sœurs continuent à perpétuer cet esprit.
Quel a été ton parcours de formation depuis le noviciat jusqu’à aujourd’hui ?
Ce fut un parcours très riche et varié. J’ai commencé le pré-noviciat à Malte, puis j’ai fait mon noviciat à Dublin, en Irlande. Une expérience vraiment belle.
Après le noviciat, mes compagnons sont partis à Maynooth pour étudier la philosophie à l’université, mais j’avais déjà terminé ces études. C’est pourquoi mes supérieurs m’ont demandé de rester encore un an au noviciat, où j’ai enseigné l’italien et le latin. Ensuite, je suis retourné à Malte pour effectuer deux ans de stage, qui ont été très beaux et enrichissants.
J’ai ensuite été envoyé à Rome pour étudier la théologie à l’Université pontificale salésienne, où j’ai passé trois années extraordinaires. Ces années m’ont ouvert l’esprit. Nous vivions en communauté avec quarante confrères provenant de vingt pays différents : Asie, Europe, Amérique latine… Le corps enseignant était également international. C’était au milieu des années 1980, environ vingt ans après le Concile Vatican II, et on respirait encore beaucoup d’enthousiasme. Il y avait des débats théologiques animés, la théologie de la libération, l’intérêt pour la méthode et la pratique. Ces études m’ont appris à lire la foi non seulement comme un contenu intellectuel, mais comme un choix de vie.
Après ces trois années, j’ai poursuivi les études en faisant deux années de spécialisation en théologie morale à l’Académie Alphonsienne, avec les Pères rédemptoristes. Là aussi, j’ai rencontré des personnalités importantes, comme le célèbre Bernhard Häring, avec lequel j’ai noué une amitié personnelle et que j’allais voir régulièrement chaque mois pour discuter avec lui. Au total, ce furent cinq années – entre le baccalauréat et la licence – qui m’ont profondément formé sur le plan théologique.
Par la suite, m’étant porté volontaire pour les missions, mes supérieurs m’ont envoyé en Tunisie, avec un autre salésien, pour rétablir la présence salésienne dans le pays. Nous avons repris une école gérée par une congrégation féminine qui était sur le point de fermer faute de vocations. C’était une école de 700 élèves. Nous avons donc dû apprendre le français et aussi l’arabe. Pour nous préparer, nous avons passé quelques mois à Lyon, en France, puis nous nous sommes consacrés à l’étude de l’arabe.
Je suis resté là-bas trois ans. Ce fut une autre grande expérience, car nous nous sommes retrouvés à vivre la foi et le charisme salésien dans un contexte où l’on ne pouvait pas parler explicitement de Jésus. Cependant, il était possible de construire des parcours éducatifs fondés sur des valeurs humaines : le respect, la disponibilité, la vérité. Notre témoignage était silencieux mais éloquent. Dans cet environnement, j’ai appris à connaître et à aimer le monde musulman. Tous étaient musulmans, les élèves, les enseignants et les familles ; ils nous ont accueillis très chaleureusement. Ils nous ont fait sentir comme faisant partie de leur famille. Je suis retourné plusieurs fois en Tunisie et j’ai toujours rencontré le même respect et la même appréciation, au-delà de notre appartenance religieuse.
Après cette expérience, je suis retourné à Malte et j’ai travaillé pendant cinq ans dans le secteur social, plus précisément dans une maison salésienne qui accueille des jeunes ayant besoin d’un accompagnement éducatif plus attentif, y compris en internat.
Après ces huit années passées dans la pastorale (entre la Tunisie et Malte), on m’a proposé de terminer mon doctorat. J’ai choisi de retourner en Irlande, car le thème était lié à la conscience selon la pensée du cardinal John Henry Newman, aujourd’hui saint. Une fois mon doctorat terminé, le Recteur Majeur de l’époque, Don Juan Edmundo Vecchi – d’éternelle e mémoire – m’a demandé de rejoindre l’Université Pontificale Salésienne en tant que professeur de théologie morale.
En regardant tout mon parcours, depuis l’aspirantat jusqu’au doctorat, je peux dire que cela a été un ensemble d’expériences non seulement de contenus, mais aussi de contextes culturels très différents. Je remercie le Seigneur et la Congrégation, car ils m’ont offert la possibilité de vivre une formation aussi variée et riche.
Tu connais donc le maltais, qui est ta langue maternelle, l’anglais, qui est la deuxième langue à Malte, le latin, que tu as enseigné, l’italien, que tu as étudié en Italie, le français et l’arabe, que tu as appris à Manouba, en Tunisie… Combien de langues connais-tu ?
Cinq, six langues, plus ou moins. Mais quand on me pose la question, je réponds toujours que ce sont des coïncidences historiques.
À Malte, nous grandissons déjà avec deux langues : le maltais et l’anglais, et à l’école, nous apprenons une troisième langue. À mon époque, on enseignait aussi l’italien. Ensuite, j’étais naturellement porté vers les langues, et j’ai également choisi le latin. Plus tard, en Tunisie, j’ai dû apprendre le français et aussi l’arabe.
À Rome, en vivant avec de nombreux étudiants hispanophones, l’oreille s’habitue, et quand j’ai été élu conseiller pour la pastorale des jeunes, j’ai approfondi un peu l’espagnol, qui est une très belle langue.
Toutes les langues sont belles. Bien sûr, leur apprentissage demande un effort dans l’étude et dans la pratique. Certains ont plus de facilités que d’autres ; cela fait partie des dispositions personnelles. Mais ce n’est ni un mérite ni une faute. C’est simplement un don, une prédisposition naturelle.
De 2008 à 2020, tu as été conseiller général pour la pastorale des jeunes pendant deux mandats. Comment ton expérience t’a-t-elle aidé dans cette mission ?
Lorsque le Seigneur nous confie une mission, nous emportons avec nous tout le bagage d’expériences que nous avons accumulées au fil du temps.
Ayant vécu dans des contextes culturels différents, je ne courais pas le risque de tout voir à travers le filtre d’une seule culture. Je suis européen, je viens de la Méditerranée, d’un pays qui a été une colonie anglaise, mais j’ai eu la chance de vivre dans des communautés internationales et multiculturelles.
Les années d’études à l’UPS m’ont également beaucoup aidé. Nous avions des professeurs qui ne se limitaient pas à transmettre des contenus, mais qui nous apprenaient à faire la synthèse, à construire une méthode. Par exemple, si l’on étudiait l’histoire de l’Église, on comprenait à quel point il était essentiel de comprendre la patristique. Si l’on abordait la théologie biblique, on apprenait à la relier à la théologie sacramentelle, à la morale, à l’histoire de la spiritualité. En somme, on nous apprenait à penser de manière organique. Cette capacité de synthèse, cette architecture de la pensée, fait ensuite partie de votre formation personnelle. Quand on fait de la théologie, on apprend à identifier les points fixes et à les relier entre eux. Il en va de même pour une proposition pastorale, pédagogique ou philosophique. Quand on rencontre des personnes de grande envergure, on absorbe non seulement ce qu’elles disent, mais aussi la manière dont elles le disent, et cela forge ton style.
Un autre élément important est qu’au moment de mon élection, j’avais déjà vécu des expériences dans des milieux missionnaires, où la religion catholique était pratiquement absente, et j’avais travaillé avec des personnes marginalisées et vulnérables. J’avais également acquis une certaine expérience dans le monde universitaire et, parallèlement, je m’étais beaucoup consacré à l’accompagnement spirituel.
De plus, entre 2005 et 2008, juste après mon expérience à l’UPS, l’archidiocèse de Malte m’avait demandé de fonder un institut de formation pastorale, à la suite d’un synode diocésain qui en avait reconnu la nécessité. L’archevêque m’a confié la tâche de le mettre sur pied à partir de zéro. La première chose que j’ai faite a été de constituer une équipe composée de prêtres, de religieux, de laïcs, hommes et femmes. Nous avons mis en place une nouvelle méthode de formation, qui est encore utilisée aujourd’hui. L’institut continue de très bien fonctionner, et d’une certaine manière, cette expérience a été une préparation précieuse pour le travail que j’ai accompli par la suite dans la pastorale des jeunes.
Dès le début, j’ai toujours cru au travail d’équipe et à la collaboration avec les laïcs. Ma première expérience en tant que directeur s’est déroulée dans ce style : une équipe éducative stable, qu’on appellerait aujourd’hui une CEP (Communauté éducative et pastorale), avec des réunions régulières et non occasionnelles. Nous nous réunissions chaque semaine avec les éducateurs et les professionnels. Et cette approche, qui est devenue une méthode au fil du temps, est restée une référence pour moi.
À cela s’ajoute l’expérience universitaire. J’ai passé six ans comme professeur à l’Université pontificale salésienne, où arrivaient des étudiants de plus de cent pays, puis comme examinateur et directeur de thèses de doctorat à l’Académie Alphonsienne.
Je pense que tout cela m’a préparé à assumer cette responsabilité avec lucidité et vision de futur.
Ainsi, lorsque la Congrégation, lors du Chapitre général de 2008, m’a demandé d’assumer cette charge, j’avais déjà une vision large et multiculturelle. Cela m’a aidé, car mettre ensemble des diversités ne m’était pas difficile : cela faisait partie de la normalité. Bien sûr, il ne s’agissait pas simplement de faire un « mélange » d’expériences : il fallait trouver les fils conducteurs, donner une cohérence et une unité.
Ce que j’ai pu vivre en tant que Conseiller général n’est pas mon mérite personnel. Je crois que n’importe quel salésien, s’il avait eu les mêmes opportunités et le soutien de la Congrégation, aurait pu vivre des expériences similaires et apporter sa contribution avec générosité.
Y a-t-il une prière, une « bonne nuit » salésienne, une habitude que tu ne manques jamais de faire ?
La dévotion à Marie. À la maison, nous avons grandi avec le chapelet quotidien, récité en famille. Ce n’était pas une obligation, c’était quelque chose de naturel : nous le faisions avant de manger, car nous mangions toujours ensemble. À l’époque, c’était possible. Aujourd’hui, c’est peut-être moins le cas, mais à l’époque, c’était ainsi que nous vivions : la famille réunie, la prière partagée, le repas en commun.
Au début, je ne me rendais peut-être pas compte de la profondeur de cette dévotion mariale. Mais avec les années, quand on commence à distinguer l’essentiel du secondaire, j’ai compris à quel point cette présence maternelle avait accompagné ma vie.
La dévotion à Marie s’exprime sous différentes formes : le chapelet quotidien, lorsque c’est possible ; un moment de recueillement devant une image ou une statue de la Vierge Marie ; une prière simple, mais faite avec le cœur. Ce sont des gestes qui accompagnent le cheminement de la foi.
Bien sûr, il y a quelques points fixes : l’Eucharistie quotidienne et la méditation quotidienne. Ce sont des piliers qui ne se discutent pas, qui se vivent. Non seulement parce que nous sommes consacrés, mais parce que nous sommes croyants. On ne vit la foi qu’en la nourrissant. Quand nous la nourrissons, elle grandit en nous. Et ce n’est que si elle grandit en nous que nous pouvons aider les autres à grandir aussi. Pour nous, qui sommes éducateurs, c’est évident : si notre foi ne se traduit pas dans une vie concrète, tout le reste devient façade.
Ces pratiques – la prière, la méditation, la dévotion – ne sont pas réservées aux saints. Elles sont l’expression de la cohérence de notre vie. Si j’ai fait un choix de foi, j’ai aussi la responsabilité de le cultiver. Sinon, tout se réduit à quelque chose d’extérieur, d’apparent. Et cela, avec le temps, ne tient pas.
Si tu pouvais revenir en arrière, ferais-tu les mêmes choix ?
Oui, absolument. Il y a eu des moments très difficiles dans ma vie, comme pour tout le monde. Je ne veux pas passer pour la « victime du jour ». Je crois que chaque personne, pour grandir, doit traverser des phases d’obscurité, des moments de désolation, de solitude, où elle se sent trahie ou injustement accusée. J’ai vécu ces moments-là. Mais j’ai eu la chance d’avoir un directeur spirituel à mes côtés.
Quand on traverse certaines épreuves avec quelqu’un qui t’accompagne, on parvient à comprendre que tout ce que Dieu permet a un sens, un but. Et quand on sort de ce « tunnel », on découvre qu’on est une personne différente, plus mûre. C’est comme si, à travers cette épreuve, on était transformé.
Si j’étais resté seul, j’aurais risqué de prendre de mauvaises décisions, sans vision, aveuglé par la fatigue du moment. Quand on est en colère, quand on se sent seul, ce n’est pas le moment de prendre des décisions. C’est le moment de marcher, de demander de l’aide, de se faire accompagner.
Vivre certaines étapes avec l’aide de quelqu’un, c’est comme être une pâte mise au four : le feu la cuit, la mûrit. C’est pourquoi, à la question de savoir si je changerais quelque chose, ma réponse est non. Car même les moments les plus difficiles, même ceux que je ne comprenais pas, m’ont aidé à devenir la personne que je suis aujourd’hui.
Est-ce que je me sens quelqu’un de parfait ? Non. Mais je sens que je suis en chemin, chaque jour, essayant de vivre devant la miséricorde et la bonté de Dieu.
Et aujourd’hui, au moment où je donne cette interview, je peux dire sincèrement que je me sens heureux. Je n’ai peut-être pas encore pleinement compris ce que signifie être Recteur Majeur – cela prend du temps –, mais je sais que c’est une mission, pas une promenade. Cela comporte des difficultés. Cependant, je me sens aimé, estimé par mes collaborateurs et par toute la Congrégation.
Et tout ce que je suis aujourd’hui, je le dois à ce que j’ai vécu, même dans les passages les plus difficiles. Je ne les changerais pour rien au monde. Ils ont fait de moi ce que je suis.
As-tu un projet qui te tient particulièrement à cœur ?
Oui. Si je ferme les yeux et que j’imagine quelque chose que je désire vraiment, je voudrais voir une Congrégation plus sainte. Plus sainte. Plus sainte.
La première lettre de Don Pascual Chávez, intitulée « Soyez saints », m’a profondément inspiré en 2002. Cette lettre m’a touché au plus profond de moi-même, elle m’a marqué.
Les projets sont nombreux, tous valables, bien structurés, avec des visions vastes et profondes. Mais quelle valeur ont-ils s’ils sont menés par des personnes qui ne sont pas saintes ? Nous pouvons faire un excellent travail, nous pouvons même être appréciés – et cela n’est pas négatif en soi –, mais nous ne travaillons pas pour avoir du succès. Notre point de départ est une identité : nous sommes des personnes consacrées.
Ce que nous proposons n’a de sens que si cela vient de là. Il est clair que nous souhaitons que nos projets soient couronnés de succès, mais nous souhaitons encore plus qu’ils apportent la grâce, qu’ils touchent les gens au plus profond d’eux-mêmes. Il ne suffit pas d’être efficaces. Nous devons être efficaces au sens le plus profond du terme : efficaces dans notre témoignage, dans notre identité, dans notre foi.
L’efficacité peut exister même sans aucune référence religieuse. Nous pouvons être d’excellents professionnels, mais cela ne suffit pas. Notre consécration n’est pas un détail : c’est le fondement. Si elle devient marginale, si nous la mettons de côté pour faire place à l’efficacité, alors nous perdons notre identité.
Les gens nous observent. Dans les écoles salésiennes, on reconnaît que les résultats sont bons – et c’est une bonne chose. Mais nous reconnaissent-ils aussi comme des hommes de Dieu ? Telle est la question.
Si on nous voit seulement comme de bons professionnels, alors nous sommes efficaces et rien de plus. Mais notre vie doit se nourrir de Lui – Voie, Vérité et Vie – et non de ce que « je pense », ou de ce que « je veux », ou de « ce qui me semble ».
C’est pourquoi, plutôt que de parler d’un projet personnel, je préfère parler d’un désir profond : devenir saints. Et en parler de manière concrète, non idéalisée. Quand Don Bosco parlait à ses garçons du trinôme savoir-santé-sainteté, il ne visait pas une sainteté faite uniquement de prière à la chapelle. Il pensait à une sainteté vécue dans la relation avec Dieu et nourrie par la relation avec Dieu. La sainteté chrétienne est le reflet de cette relation vivante et quotidienne.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui s’interroge sur sa vocation ?
Je lui dirais de découvrir, pas à pas, quel est le projet de Dieu pour lui.
Le cheminement vocationnel n’est pas une question que l’on pose en attendant une réponse toute faite de la part de l’Église. C’est un pèlerinage. Quand un jeune me dit : « Je ne sais pas si je veux devenir salésien ou non », j’essaie de l’éloigner de cette formulation. Car il ne s’agit pas simplement de décider : « Je vais devenir salésien ». La vocation n’est pas une option par rapport à une « chose ».
Dans ma propre expérience, lorsque j’ai dit à mon directeur spirituel : « Je veux devenir salésien, je dois le devenir », il m’a fait réfléchir très calmement : « Est-ce vraiment la volonté de Dieu ? Ou est-ce seulement ton désir à toi ? »
Il est normal qu’un jeune cherche ce qu’il désire, c’est une bonne chose. Mais celui qui l’accompagne a pour tâche d’éduquer cette recherche, de transformer un enthousiasme initial en un cheminement de maturation intérieure.
« Tu veux faire du bien ? C’est bien. Alors, apprends à te connaître toi-même, reconnais que tu es aimé de Dieu. »
Ce n’est qu’à partir de cette relation profonde avec Dieu que peut émerger la vraie question : « Quel est le projet de Dieu pour moi ? »
Car ce que je désire aujourd’hui pourrait ne plus me suffire demain. Si la vocation se réduit à ce qui me « plaît », alors elle sera fragile. La vocation est plutôt une voix intérieure qui interpelle, qui demande d’entrer en dialogue avec Dieu et de répondre.
Quand un jeune arrive à ce stade, quand il est accompagné dans la découverte de cet espace intérieur où habite Dieu, alors il commence vraiment à cheminer.
C’est pourquoi celui qui l’accompagne doit être très attentif, profond, patient. Jamais superficiel.
L’Évangile d’Emmaüs en est une image parfaite. Jésus s’approche des deux disciples, il les écoute même s’il sait qu’ils parlent dans la confusion. Puis, après les avoir écoutés, il commence à parler. Et eux, à la fin, l’invitent : « Reste avec nous, car le soir tombe. »
Et ils le reconnaissent dans le geste de rompre le pain. Puis ils se disent : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous tandis qu’il nous parlait en chemin ? »
Aujourd’hui, beaucoup de jeunes sont en quête. Notre tâche, en tant qu’éducateurs, est de ne pas être pressés. Mais de les aider, avec calme et progressivement, à découvrir la grandeur qui est déjà dans leur cœur. Car c’est là, dans cette profondeur, qu’ils rencontrent le Christ. Comme le dit saint Augustin : « Tu étais en moi, et moi en dehors de moi. C’est là que je te cherchais. »
As-tu un message à transmettre aujourd’hui à la Famille salésienne ?
C’est le même message que j’ai partagé ces derniers jours, lors de la réunion du Conseil de la Famille salésienne : La foi. Enracinons-nous toujours plus dans la personne du Christ.
C’est de cet enracinement que naît une connaissance authentique de Don Bosco. Les premiers salésiens, lorsqu’ils ont voulu écrire un livre sur le vrai Don Bosco, ne l’ont pas intitulé « Don Bosco apôtre des jeunes », mais « Don Bosco avec Dieu » – un texte écrit par Don Eugenio Ceria en 1929.
Et cela nous fait réfléchir. Pourquoi eux, qui l’avaient vu à l’œuvre tous les jours, n’ont-ils pas choisi de mettre en avant le Don Bosco infatigable, organisateur, éducateur ? Non, ils ont voulu raconter le Don Bosco profondément uni à Dieu.
Ceux qui l’ont bien connu ne se sont pas arrêtés aux apparences, mais sont allés à la racine : Don Bosco était un homme immergé en Dieu.
À la Famille salésienne, je dis : nous avons reçu un trésor. Un immense don. Mais tout don implique une responsabilité.
Dans mon discours final, j’ai dit : « Il ne suffit pas d’aimer Don Bosco, il faut le connaître. »
Et nous ne pouvons vraiment le connaître que si nous sommes des personnes de foi.
Nous devons le regarder avec les yeux de la foi. C’est seulement ainsi que nous pouvons rencontrer le croyant qu’était Don Bosco, en qui le Saint-Esprit a agi avec force : avec dynamis, avec charis, avec charisme, avec grâce.
Nous ne pouvons pas nous limiter à répéter certaines de ses maximes ou à raconter ses miracles. Car nous courons le risque de nous arrêter aux anecdotes de Don Bosco, au lieu de nous arrêter à l’histoire de Don Bosco, car Don Bosco est plus grand que Don Bosco.
Cela signifie étudier, réfléchir, approfondir. Cela signifie éviter toute superficialité.
Et alors nous pourrons dire en vérité : « Telle est ma foi, tel est mon charisme : enracinés dans le Christ, sur les pas de Don Bosco. »