Mgr Giuseppe Malandrino et le Serviteur de Dieu Nino Baglieri
Mgr Giuseppe Malandrino, IXe évêque du diocèse de Noto, est retourné à la Maison du Père le 3 août 2025, jour de la fête de la patronne du diocèse de Noto, Maria Scala del Paradiso. 94 ans, 70 ans de sacerdoce et 45 ans de consécration épiscopale sont des chiffres très respectables pour un homme qui a servi l’Église en tant que Pasteur en ayant « l’odeur des brebis », comme le soulignait souvent le pape François.
Paratonnerre de l’humanité Dans son expérience de pasteur du diocèse de Noto (19.06.1998 – 15.07.2007), il a eu l’occasion de cultiver son amitié avec le Serviteur de Dieu Nino Baglieri. Il ne manquait presque jamais de faire une « halte » chez Nino lorsque des raisons pastorales le menaient à Modica. Dans un de ses témoignages, Mgr Malandrino dit : « … me trouvant au chevet de Nino, j’avais la vive perception que ce cher frère infirme était vraiment le “paratonnerre de l’humanité”, selon une conception des souffrants qui m’est si chère et que j’ai voulu proposer également dans la Lettre Pastorale sur la mission permanente “Vous serez mes témoins” » (2003). Mgr Malandrino écrit : « Il est nécessaire de reconnaître dans les malades et les souffrants le visage du Christ souffrant et de les assister avec la même sollicitude et le même amour que Jésus dans sa passion, vécue dans un esprit d’obéissance au Père et de solidarité envers les frères ». Cela a été pleinement incarné par la maman de Nino, Madame Peppina. Cette femme sicilienne typique, avec un caractère fort et beaucoup de détermination, répond au médecin qui lui propose l’euthanasie pour son fils (compte tenu de ses graves problèmes de santé et de la perspective d’une vie de paralysé) : « Si le Seigneur le veut, il le prendra, mais s’il me le laisse ainsi, je serai heureuse de m’en occuper toute ma vie ». La mère de Nino, à ce moment-là, était-elle consciente de ce à quoi elle allait faire face ? Marie, la mère de Jésus, était-elle consciente de la douleur qu’elle aurait à souffrir pour le Fils de Dieu ? La réponse, à la lire avec des yeux humains, ne semble pas facile, surtout dans notre société du XXIe siècle où tout est liquide, fluctuant, se consume en un « instant ». Le Fiat de Maman Peppina est devenu, comme celui de Marie, un Oui de Foi et d’adhésion à cette volonté de Dieu qui trouve son accomplissement dans le fait de savoir porter la Croix, de savoir donner « âme et corps » à la réalisation du Plan de Dieu.
De la souffrance à la joie La relation d’amitié entre Nino et Mgr Malandrino était déjà établie lorsque ce dernier était encore évêque d’Acireale. En effet, dès 1993, par l’intermédiaire du Père Attilio Balbinot, un camillien très proche de Nino, celui-ci lui offrit son premier livre : « De la souffrance à la joie ». Dans l’expérience de Nino, la relation avec l’évêque de son diocèse était une relation de filiation totale. Dès le moment de son acceptation du Plan de Dieu sur lui, il faisait sentir sa présence « active » en offrant ses souffrances pour l’Église, le Pape et les Évêques (ainsi que pour les prêtres et les missionnaires). Cette relation de filiation était renouvelée chaque année à l’occasion du 6 mai, jour de la chute, considéré ensuite comme le début mystérieux d’une renaissance. Le 8 mai 2004, quelques jours après que Nino ait fêté son 36e anniversaire de Croix, Mgr Malandrino se rend chez lui. En souvenir de cette rencontre, il écrit dans ses mémoires : « C’est toujours une grande joie chaque fois que je le vois et je reçois tant d’énergie et de force pour porter ma Croix et l’offrir avec tant d’Amour pour les besoins de la Sainte Église et en particulier pour mon Évêque et pour notre Diocèse. Que le Seigneur lui donne toujours plus de sainteté pour nous guider pendant de nombreuses années avec toujours plus d’ardeur et d’amour… ». Et encore : « … la Croix est lourde mais le Seigneur me donne tant de Grâces qui rendent la souffrance moins amère et elle devient légère et douce, la Croix se fait Don, offerte au Seigneur avec tant d’Amour pour le salut des âmes et la Conversion des Pécheurs… ». Enfin, il faut souligner que, lors de ces occasions de grâce, la demande pressante et constante de son « aide pour se faire Saint avec la Croix de chaque jour » ne manquait jamais. Nino, en effet, voulait absolument se faire saint.
Une béatification anticipée Les funérailles du Serviteur de Dieu, le 3 mars 2007, ont représenté un moment d’une grande importance à cet égard. Mgr Malandrino lui-même, au début de la célébration eucharistique, s’est penché avec dévotion, bien qu’avec difficulté, pour embrasser le cercueil contenant la dépouille mortelle de Nino. C’était un hommage à un homme qui avait vécu 39 ans de son existence dans un corps qu’il « ne sentait pas » mais qui dégageait une joie de vivre à 360 degrés. Mgr Malandrino a souligné que la célébration de la messe, dans la cour des Salésiens devenue pour l’occasion une « cathédrale » à ciel ouvert, avait été une véritable apothéose (des milliers de personnes en larmes y ont participé) et l’on percevait clairement et communautairement que l’on se trouvait non pas devant des funérailles, mais devant une véritable « béatification ». Nino, par son témoignage de vie, était en effet devenu un point de référence pour beaucoup, jeunes ou moins jeunes, laïcs ou consacrés, mères ou pères de famille, qui, grâce à son précieux témoignage, parvenaient à lire leur propre existence et à trouver des réponses qu’ils ne trouvaient pas ailleurs. Mgr Malandrino a également souligné à plusieurs reprises cet aspect : « Vraiment, chaque rencontre avec mon cher Nino a été pour moi, comme pour tous, une expérience forte et vivante d’édification et un puissant stimulant – dans la douceur – au don de soi patient et généreux. La présence de l’évêque lui procurait à chaque fois une immense joie car, outre l’affection de l’ami qui venait le visiter, il y percevait la communion ecclésiale. Il est évident que ce que je recevais de lui était toujours beaucoup plus que le peu que je pouvais lui donner ». L’idée fixe de Nino était de « se faire saint ». Le fait d’avoir vécu et incarné pleinement l’Évangile de la Joie dans la Souffrance, avec ses douleurs physiques et son don total pour l’Église bien-aimée, a fait que tout ne s’est pas terminé avec son départ vers la Jérusalem du Ciel, mais a continué, comme l’a souligné Mgr Malandrino lors des funérailles : « … la mission de Nino continue maintenant aussi à travers ses écrits, il l’avait lui-même annoncé dans son Testament spirituel » : « … mes écrits continueront mon témoignage, je continuerai à donner de la Joie à tous et à parler du Grand Amour de Dieu et des Merveilles qu’il a faites dans ma vie ». Cela continue de se réaliser car « une ville située sur une montagne ne peut être cachée, et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le chandelier, afin qu’elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison » (Matthieu 5,14-16). Métaphoriquement, on veut souligner que la « lumière » (entendue au sens large) doit être visible, tôt ou tard : ce qui est important viendra à la lumière et sera reconnu.
En rappelant ces jours marqués par la mort de Mgr Malandrino et par ses funérailles à Acireale (5 août, Notre-Dame des Neiges) et à Noto (7 août) avec l’inhumation qui a suivi dans la cathédrale qu’il avait lui-même fortement voulu restaurer après l’effondrement du 13 mars 1996 et qui a été rouverte en mars 2007 (mois où Nino Baglieri est décédé), nous pouvons retracer ce lien entre deux grandes figures de l’Église de Noto, fortement entrelacées et toutes deux capables de laisser une marque indélébile.
Roberto Chiaramonte
Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette
Don Bosco propose un récit détaillé de l’ « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette », survenue le 19 septembre 1846, basé sur des documents officiels et les témoignages des voyants. Il reconstitue le contexte historique et géographique – deux jeunes bergers, Maximin et Mélanie, sur les hauteurs des Alpes – la rencontre prodigieuse avec la Vierge, son message d’avertissement contre le péché et la promesse de grâces et d’aides providentielles, ainsi que les signes surnaturels qui accompagnèrent leur manifestation. Il présente les circonstances de la diffusion du culte, l’influence spirituelle sur les habitants et sur le monde entier, et le secret révélé seulement à Pie IX pour revigorer la foi des chrétiens et témoigner de la présence continuelle des prodiges dans l’Église.
Protestation de l’Auteur Pour obéir aux décrets d’Urbain VIII, je déclare que je n’entends attribuer qu’une autorité humaine à tout ce qui sera dit dans ce livre au sujet de miracles, de révélations ou d’autres faits ; et en donnant à quelqu’un le titre de Saint ou de Bienheureux, je n’entends le donner que selon l’opinion commune ; excepté les choses et les personnes qui ont déjà été approuvées par le Saint-Siège Apostolique.
Au lecteur Un fait certain et merveilleux, attesté par des milliers de personnes, et que tous peuvent encore vérifier aujourd’hui, est l’apparition de la bienheureuse Vierge, survenue le 19 septembre 1846. (Sur ce fait extraordinaire, on peut consulter de nombreux livres et plusieurs journaux contemporains du fait, notamment : Notizia sull’apparizione di Maria SS. (Turin, 1847) ; Sunto officiale dell’apparizione, etc., 1848 ; le livret imprimé par les soins du P. Giuseppe Gonfalonieri, Novara, chez Enrico Grotti).
Notre bonne Mère est apparue sous la forme et la figure d’une grande Dame à deux petits bergers, un enfant de 11 ans et une jeune paysanne de 15 ans, là-haut sur une montagne de la chaîne des Alpes située dans la paroisse de La Salette en France. Elle est apparue non seulement pour le bien de la France, comme le dit l’évêque de Grenoble, mais pour le bien du monde entier. Elle est venue pour nous avertir de la grande colère de son Divin Fils, provoquée spécialement par trois péchés : le blasphème, la profanation des fêtes et le fait de manger gras les jours défendus.
À cela s’ajoutent d’autres faits prodigieux recueillis également par des documents publics, ou attestés par des personnes absolument dignes de foi.
Ces faits servent à confirmer les bons dans la religion, à réfuter ceux qui, peut-être par ignorance, voudraient mettre une limite à la puissance et à la miséricorde du Seigneur en disant : Nous ne sommes plus au temps des miracles.
Jésus a dit qu’il y aura dans son Église des miracles plus grands que ceux qu’il a accomplis, sans fixer le temps et le nombre. C’est pourquoi, tant qu’il y aura l’Église, nous verrons toujours la main du Seigneur manifester sa puissance par des événements prodigieux. Car hier et aujourd’hui et toujours, Jésus-Christ sera celui qui gouverne et assiste son Église jusqu’à la consommation des siècles.
Mais ces signes sensibles de la Toute-Puissance Divine sont toujours le présage d’événements graves qui manifestent la miséricorde et la bonté du Seigneur, ou bien sa justice et son indignation, mais en vue de sa plus grande gloire et pour le plus grand bien des âmes.
Faisons en sorte qu’ils soient pour nous une source de grâces et de bénédictions. Qu’ils servent d’incitation à une foi vive, à une foi laborieuse, à une foi qui nous pousse à faire le bien et à fuir le mal pour nous rendre dignes de sa miséricorde infinie dans le temps et dans l’éternité.
Apparition de la Vierge Marie sur les montagnes de la Salette Maximin, fils de Pierre Giraud, menuisier du village de Corps, était un enfant de 11 ans. Françoise Mélanie, fille de parents pauvres, native de Corps, était une fille de 15 ans. Ils n’avaient rien de singulier : tous deux ignorants et frustes, tous deux occupés à garder le bétail sur les montagnes. Maximin ne savait que le Pater et l’Ave ; Mélanie en savait un peu plus, mais à cause de son ignorance, elle n’avait pas encore été admise à la sainte Communion.
Envoyés par leurs parents pour conduire le bétail dans les pâturages, ce fut par pur hasard que le 18 septembre, veille du grand événement, ils se rencontrèrent sur la montagne, tandis qu’ils abreuvaient leurs vaches à une fontaine.
Le soir de ce jour, en rentrant chez eux avec le bétail, Mélanie dit à Maximin : « Demain, qui sera le premier sur la Montagne ? » Et le lendemain, 19 septembre, qui était un samedi, ils y montèrent ensemble, chacun conduisant quatre vaches et une chèvre. La journée était belle et sereine, le soleil brillait. Vers midi, en entendant sonner la cloche de l’Angélus, ils firent une courte prière avec le signe de la sainte Croix. Puis ils prirent leurs provisions de bouche et allèrent manger près d’une petite source, qui était à gauche d’un ruisseau. Ayant fini de manger, ils traversèrent le ruisseau, déposèrent leurs sacs près d’une fontaine sèche, descendirent encore quelques pas, et, contrairement à leur habitude, s’endormirent à quelque distance l’un de l’autre.
Écoutons maintenant le récit des bergers eux-mêmes, tel qu’ils le firent le soir du 19 à leurs maîtres, puis mille fois à des milliers de personnes.
« Nous nous étions endormis, raconte Mélanie. Je me suis réveillée la première et, ne voyant pas mes vaches, j’ai réveillé Maximin en lui disant : Allons chercher nos vaches. Nous avons traversé le ruisseau, nous sommes montés un peu, et nous les avons vues couchées de l’autre côté. Elles n’étaient pas loin. Alors je suis redescendue quand tout à coup, à cinq ou six pas avant d’arriver au ruisseau, j’ai vu une clarté comme le Soleil, mais encore plus brillante et pas de la même couleur, et j’ai dit à Maximin : Viens, viens vite voir là-bas une clarté. (Il était entre deux et trois heures de l’après-midi).
Maximin descendit aussitôt en me disant : Où est cette clarté ? Et je la lui indiquai avec le doigt tourné vers la petite fontaine. Quand il la vit, il s’arrêta. C’est alors qu’au milieu de la lumière nous avons vu une Dame. Elle était assise sur un tas de pierres, le visage dans les mains. Prise de peur, j’ai laissé tomber mon bâton. Maximin me dit : tiens le bâton ; si elle nous fait quelque chose, je lui donnerai un bon coup de bâton.
Ensuite, la Dame se leva, croisa les bras et nous dit : « Avancez, mes enfants. N’ayez pas peur ; je suis ici pour vous donner une grande nouvelle. » Alors nous traversâmes le ruisseau, et elle s’avança jusqu’à l’endroit où nous nous étions endormis. Elle était au milieu de nous deux et elle pleurait tout le temps qu’elle nous parla (j’ai très bien vu ses larmes). Elle nous dit : « Si mon peuple ne veut pas se soumettre, je suis contrainte de laisser aller la main de mon Fils. Elle est si forte, si lourde, que je ne peux plus la retenir. »
« Il y a longtemps que je souffre pour vous ! Si je veux que mon Fils ne vous abandonne pas, je dois le prier constamment ; et vous autres n’en tenez pas compte. Vous aurez beau prier et agir, jamais vous ne pourrez compenser les préoccupations que j’ai pour vous. »
« Je vous ai donné six jours pour travailler, je me suis réservé le septième, et on ne veut pas me l’accorder. C’est ce qui rend la main de mon Fils si lourde. »
« Si les pommes de terre se gâtent, c’est entièrement de votre faute. Je vous l’ai fait voir l’année dernière (1845), et vous n’avez pas voulu en tenir compte, et en trouvant des pommes de terre gâtées, vous blasphémiez en y mêlant le nom de mon Fils. »
« Elles continueront à se gâter, et cette année pour Noël vous n’en aurez plus (1846). »
« Si vous avez du blé, vous ne devez pas le semer. Tout ce que vous sèmerez sera mangé par les vers, et ce qui naîtra ira en poussière, quand vous le battrez. »
« Il arrivera une grande famine. » (Il y eut en effet une grande famine en France, et sur les routes on trouvait des troupes de mendiants affamés, qui se rendaient par milliers dans les villes pour mendier. Pendant que chez nous en Italie le prix du blé augmentait au début du printemps 1847, en France, pendant tout l’hiver 1846-1847, on souffrit beaucoup de la faim. Mais la véritable pénurie d’aliments, la véritable famine eut lieu lors des désastres de la guerre de 1870-1871. À Paris, un grand personnage offrit à ses amis un somptueux repas gras le Vendredi Saint. Quelques mois plus tard, dans cette même ville, les citoyens les plus aisés furent contraints de se nourrir d’aliments grossiers et de viandes d’animaux parmi les plus répugnants. Nombreux furent ceux qui moururent de faim).
« Avant que la pénurie d’aliments n’arrive, les enfants de moins de sept ans seront pris d’un tremblement et mourront entre les mains des personnes qui les tiendront. Les autres feront pénitence pour la pénurie. »
« Les noix se gâteront, et les raisins pourriront… » (En 1849, les noix se gâtèrent partout ; quant au raisin, tous se plaignent encore des dommages et des pertes subies. Chacun se souvient de l’immense dommage que la cryptogame causa au raisin dans toute l’Europe pendant plus de vingt ans, de 1849 à 1869).
« S’ils se convertissent, les pierres et les rochers se changeront en tas de blé, et les pommes de terre seront produites par la terre elle-même. »
Puis elle nous dit :
« Dites-vous bien vos prières, mes enfants ? »
Nous répondîmes tous deux : « Pas très bien, Madame. »
« Ah ! mes enfants, vous devez bien les dire le soir et le matin. Quand vous n’avez pas le temps, dites au moins un Pater et un Ave Maria : et quand vous aurez le temps, dites-en plus. »
« À la Messe, il n’y a que quelques vieilles femmes, et les autres travaillent le dimanche tout l’été. En hiver les jeunes, quand ils ne savent que faire, vont à la Messe pour ridiculiser la religion. Pendant le carême, on va à la boucherie comme des chiens. »
Puis elle dit : « N’as-tu jamais vu, mon garçon, du blé gâté ? »
Maximin répondit : « Oh ! non, Madame. » Ne sachant à qui elle posait cette question, je répondis à voix basse :
« Non, Madame, je n’en ai pas encore vu. »
« Vous devez en avoir vu, mon garçon (s’adressant à Maximin), une fois vers la commune de Coin avec votre père. Le propriétaire du champ a dit à votre père d’aller voir son blé gâté ; vous y êtes allés tous les deux. Vous avez pris quelques épis dans vos mains ; en les frottant, ils sont tous tombés en poussière, et vous êtes revenus chez vous. Quand vous étiez encore à une demi-heure de Corps, votre père vous a donné un morceau de pain en vous disant : Prends, mon fils, mange encore du pain cette année ; je ne sais pas qui en mangera l’année prochaine, si le blé continue à se gâter ainsi. »
Maximin répondit : « Oh ! oui, Madame, maintenant je me souviens ; il y a quelque temps, je ne m’en souvenais plus. »
Après cela, la Dame nous dit : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Puis elle traversa le ruisseau, et à deux pas de distance, sans se tourner vers nous, elle nous dit de nouveau : « Eh bien, mes enfants, vous le ferez savoir à tout mon peuple. »
Elle monta ensuite une quinzaine de pas, jusqu’à l’endroit où nous étions allés chercher nos vaches. Mais en marchant sur l’herbe, ses pieds ne touchaient que le sommet. Nous l’avons suivie. Je suis passée devant la Dame et Maximin un peu de côté, à deux ou trois pas de distance. Et la belle Dame s’est élevée ainsi (Mélanie fait un geste en levant la main d’un mètre et plus). Elle resta suspendue dans l’air un moment. Ensuite Elle tourna son regard vers le Ciel, puis vers la terre. Après quoi nous ne vîmes plus la tête… plus les bras… plus les pieds… Elle semblait se fondre. On ne vit plus qu’une clarté dans l’air, et après cela la clarté disparut.
Je dis à Maximin : « C’est peut-être une grande sainte ? » Maximin me répondit : « Oh ! si nous avions su que c’était une grande sainte, nous lui aurions dit de nous emmener avec elle. » Et je lui dis : « Et si elle était encore là ? » Alors Maximin tendit vivement la main pour avoir un peu de cette clarté, mais tout avait disparu. Nous avons bien observé, pour savoir si nous ne la voyions plus.
Et je dis : « Elle ne veut pas se montrer pour ne pas nous faire savoir où elle va. Après cela, nous sommes allés derrière nos vaches. »
Tel est le récit de Mélanie, Quand on l’interrogea sur la façon dont cette Dame était vêtue, elle répondit :
« Elle avait des chaussures blanches avec des roses autour… Il y en avait de toutes les couleurs. Elle avait des bas jaunes, un tablier jaune, une robe blanche toute parsemée de perles, un fichu blanc au cou entouré de roses, un grand bonnet qui pendait un peu en avant avec une couronne de roses autour. Elle avait une chaînette, à laquelle était suspendue une croix avec son Christ : à droite une tenaille, à gauche un marteau. À l’extrémité de la Croix pendait une autre grande chaîne, comme les roses autour de son fichu au cou. Elle avait le visage blanc, allongé. Je ne pouvais pas la regarder longtemps, car elle nous éblouissait. »
Interrogé séparément, Maximin fait exactement le même récit, sans aucune variation, ni sur la substance ni même sur la forme, ce qui nous dispense de le répéter ici.
Infinies et extravagantes sont les questions insidieuses qui leur furent posées, surtout pendant deux ans, et au cours d’interrogatoires de 5, 6 ou 7 heures de suite, dans l’intention de les embarrasser, de les confondre, de les amener à se contredire. Il est certain que jamais peut-être aucun coupable n’a subi un interrogatoire aussi difficile devant les tribunaux de justice concernant le crime qui lui était imputé.
Secret des deux petits bergers Immédiatement après l’apparition, Maximin et Mélanie, en rentrant chez eux, se sont interrogés mutuellement : pourquoi la grande Dame, après avoir dit que « les raisins pourriront », a tardé un peu à parler et ne faisait que bouger les lèvres, sans faire entendre ce qu’elle disait ?
En s’interrogeant à ce sujet l’un l’autre, Maximin dit à Mélanie : « Elle m’a dit quelque chose, mais elle m’a interdit de te le dire. » Ils se rendirent compte tous les deux qu’ils avaient reçu de la Dame, chacun séparément, un secret avec l’interdiction de le révéler à d’autres. Mais crois-tu, mon cher lecteur, que les enfants peuvent se taire ?
Il est impossible de dire combien d’efforts et de tentatives ont été faits pour leur arracher ce secret d’une manière ou d’une autre. Il est étonnant de lire les mille et une tentatives employées à cette fin par des centaines et des centaines de personnes pendant vingt ans. Prières, surprises, menaces, injures, cadeaux et séductions de toutes sortes, tout fut vain ; ils restent impénétrables.
L’évêque de Grenoble, un vieillard de quatre-vingts ans, crut de son devoir d’ordonner aux deux enfants privilégiés de faire au moins parvenir leur secret au Saint-Père Pie IX. Au nom du Vicaire de Jésus-Christ, les deux petits bergers obéirent promptement et décidèrent de révéler un secret que rien n’avait pu leur arracher jusqu’alors. Ils l’ont donc écrit eux-mêmes (à partir du jour de l’apparition, on les avait mis à l’école, et chacun séparément). Puis ils ont plié et scellé leur lettre, et tout cela en présence de personnes respectables, choisies par l’évêque lui-même comme témoins. Ensuite, l’évêque envoya deux prêtres porter cette mystérieuse dépêche à Rome.
Le 18 juillet 1851, ils remirent à Sa Sainteté Pie IX trois lettres : une de Monseigneur l’évêque de Grenoble, qui accréditait ses deux envoyés, et les deux autres qui contenaient le secret des deux enfants de La Salette. Chacun d’eux avait écrit et scellé sa lettre contenant son secret en présence de témoins qui avaient déclaré l’authenticité de celles-ci sur la couverture.
Sa Sainteté ouvrit les lettres, en commençant à lire celle de Maximin. « Il y a vraiment ici, dit-il, la candeur et la simplicité d’un enfant. » Pendant cette lecture, une certaine émotion se manifesta sur le visage du Saint-Père ; ses lèvres se contractèrent, ses joues se gonflèrent. « Il s’agit, dit le Pape aux deux prêtres, il s’agit de fléaux dont la France est menacée. Elle n’est pas la seule coupable. L’Allemagne, l’Italie, l’Europe entière le sont aussi, et elles méritent des châtiments. Je crains beaucoup l’indifférence religieuse et le respect humain. »
Concours de fidèles à La Salette La fontaine, près de laquelle la Dame, c’est-à-dire la Vierge Marie, s’était reposée, était à sec, comme nous l’avons dit, et de l’avis de tous les bergers et habitants des environs, elle ne donnait de l’eau qu’après d’abondantes pluies et après la fonte des neiges. Or cette fontaine, qui était à sec le jour même de l’apparition, commença à jaillir le lendemain, et depuis cette époque, l’eau coule claire et limpide, sans interruption.
Cette montagne nue, escarpée, déserte, habitée par les bergers à peine quatre mois de l’année, est devenue le théâtre d’un immense rassemblement de foules. Des populations entières affluent de toutes parts vers cette montagne privilégiée. Pleurant de tendresse, et chantant des hymnes et des cantiques, on les voit s’incliner sur cette terre bénie où a résonné la voix de Marie. On les voit embrasser respectueusement le lieu sanctifié par les pieds de Marie, et ils en descendent remplis de joie, de confiance et de reconnaissance.
Chaque jour, un nombre immense de fidèles va visiter pieusement le lieu du prodige. Lors du premier anniversaire de l’apparition (19 septembre 1847), plus de soixante-dix mille pèlerins de tout âge, de tout sexe, de toute condition et même de toute nation occupaient la surface de ce terrain…
Mais ce qui fait sentir encore plus la puissance de cette voix venue du Ciel, c’est qu’il s’est produit un admirable changement de mœurs chez les habitants de Corps, de La Salette, de tout le canton et de tous les environs ; il se répand et se propage dans des régions lointaines… Les gens ont cessé de travailler le dimanche, ils ont abandonné le blasphème… Ils fréquentent l’Église, accourent à la voix de leurs Pasteurs, s’approchent des saints Sacrements, accomplissent avec édification le précepte de Pâques jusqu’alors généralement négligé. Je passe sous silence les nombreuses et éclatantes conversions, et les grâces extraordinaires d’ordre spirituel.
Au lieu de l’apparition s’élève maintenant une majestueuse Église avec un très vaste bâtiment, où les voyageurs peuvent se restaurer confortablement et même y passer la nuit à leur gré, après avoir satisfait leur dévotion.
Après l’événement de La Salette, Mélanie fut envoyée à l’école où elle fit des progrès merveilleux dans les connaissances et dans la vertu. Mais elle se sentit toujours si enflammée de dévotion envers la Bienheureuse Vierge Marie qu’elle décida de se consacrer entièrement à Elle. Elle entra de fait chez les Carmélites déchaussées parmi lesquelles, selon le journal Echo de Fourvière du 22 octobre 1870, elle sera appelée au ciel par la Sainte Vierge. Peu avant de mourir, elle écrivit la lettre suivante à sa mère.
11 septembre 1870.
Ma très chère mère bien-aimée,
Que Jésus soit aimé de tous les cœurs. – Cette lettre n’est pas seulement pour vous, mais pour tous les habitants de mon cher village de Corps. Un père de famille, plein d’amour pour ses enfants, voyant qu’ils oubliaient leurs devoirs, méprisaient la loi que Dieu leur avait imposée, et devenaient ingrats, résolut de les châtier sévèrement. L’épouse du Père de famille demandait grâce, et en même temps elle se rendait auprès des deux plus jeunes enfants du Père de famille, c’est-à-dire ceux qui étaient les plus faibles et les plus ignorants. L’épouse qui ne peut pleurer dans la maison de son époux (qui est le Ciel) trouve dans les champs de ces misérables enfants des larmes en abondance. Elle expose ses craintes et ses menaces si l’on ne revient pas en arrière, si l’on n’observe pas la loi du Maître de maison. Un très petit nombre de personnes embrasse la réforme du cœur, et se met à observer la sainte loi du Père de famille. Mais, hélas, la majorité reste dans le mal et s’y enfonce toujours plus. Alors le Père de famille envoie des châtiments pour les punir et pour les tirer de cet état d’endurcissement. Ces malheureux enfants, qui pensent pouvoir se soustraire au châtiment, saisissent et brisent les verges qui les frappent au lieu de tomber à genoux, de demander grâce et miséricorde, et surtout de promettre de changer de vie. Enfin le père de famille, encore plus irrité, prend une verge encore plus forte. Il frappe et frappera jusqu’à ce qu’on le reconnaisse, qu’on s’humilie et qu’on demande miséricorde à Celui qui règne sur la terre et dans les cieux.
Vous m’avez comprise, chère mère et chers habitants de Corps : ce Père de famille, c’est Dieu. Nous sommes tous ses enfants. Ni moi ni vous ne l’avons aimé comme nous aurions dû. Nous n’avons pas accompli, comme il convenait, ses commandements ; maintenant Dieu nous châtie. Un grand nombre de nos frères soldats meurent, des familles et des villes entières sont réduites à la misère, et si nous ne nous tournons pas vers Dieu, ce n’est pas fini. La ville de Paris est très coupable parce qu’elle a récompensé un homme mauvais qui a écrit contre la divinité de Jésus-Christ. Les hommes n’ont qu’un temps pour commettre des péchés, mais Dieu est éternel, et il châtie les pécheurs. Dieu est irrité par la multiplicité des péchés, et parce qu’il est presque inconnu et oublié. Or, qui pourra arrêter la guerre qui fait tant de mal en France, et qui recommencera bientôt en Italie ? etc. etc. Qui pourra arrêter ce fléau ?
Il faut 1° que la France reconnaisse que dans cette guerre il y a uniquement la main de Dieu ; 2° qu’elle s’humilie et demande avec l’esprit et le cœur le pardon de ses péchés ; qu’elle promette sincèrement de servir Dieu avec l’esprit et le cœur, et d’obéir à ses commandements sans respect humain. Certains prient, demandent à Dieu le triomphe pour nous, les Français. Non, ce n’est pas ce que veut le bon Dieu : il veut la conversion des Français. La Bienheureuse Vierge est venue en France, et celle-ci ne s’est pas convertie : elle est donc plus coupable que les autres nations. Si elle ne s’humilie pas, elle sera grandement humiliée. Paris, ce foyer de vanité et d’orgueil, qui pourra la sauver si des prières ferventes ne s’élèvent pas au cœur du bon Maître ?
Je me souviens, chère mère et chers habitants de mon cher village, je me souviens de ces pieuses processions que vous faisiez sur la sainte montagne de La Salette, afin que la colère de Dieu ne frappe pas votre pays ! La Sainte Vierge a écouté vos ferventes prières, vos pénitences et tout ce que vous avez fait par amour de Dieu. Je pense et j’espère qu’actuellement vous devez d’autant plus faire de belles processions pour le salut de la France, c’est-à-dire pour que la France revienne à Dieu, car Dieu n’attend que cela pour retirer la verge dont il se sert pour flageller son peuple rebelle. Prions donc beaucoup, oui, prions. Faites vos processions, comme vous les avez faites en 1846 et 1847. Croyez que Dieu écoute toujours les prières sincères des cœurs humbles. Prions beaucoup, prions toujours. Je n’ai jamais aimé Napoléon, car je me rappelle toute sa vie. Puisse le divin Sauveur lui pardonner tout le mal qu’il a fait, et qu’il fait encore !
Rappelons-nous que nous sommes créés pour aimer et servir Dieu, et qu’en dehors de cela il n’y a pas de vrai bonheur. Que les mères élèvent chrétiennement leurs enfants, car le temps des tribulations n’est pas fini. Si je vous révélais leur nombre et leur nature, vous en seriez horrifiés. Mais je ne veux pas vous effrayer. Ayez confiance en Dieu, qui nous aime infiniment plus que nous ne pouvons l’aimer. Prions, prions, et la bonne, la divine, la tendre Vierge Marie sera toujours avec nous. La prière désarme la colère de Dieu, la prière est la clé du Paradis.
Prions pour nos pauvres soldats, prions pour tant de mères désolées par la perte de leurs enfants, consacrons-nous à notre bonne Mère céleste, prions pour ces aveugles qui ne voient pas que c’est la main de Dieu qui frappe maintenant la France. Prions beaucoup et faisons pénitence. Restez tous attachés à la sainte Église, et à notre Saint-Père qui en est le Chef visible et le Vicaire de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la terre. Dans vos processions, dans vos pénitences, priez beaucoup pour lui. Enfin, maintenez-vous en paix, aimez-vous comme des frères, promettez à Dieu d’observer ses commandements et de les observer vraiment. Et par la miséricorde de Dieu vous serez heureux, et vous ferez une bonne et sainte mort, que je souhaite à tous en vous plaçant tous sous la protection de l’auguste Vierge Marie. J’embrasse de tout cœur (les parents). Mon salut est dans la Croix. Le cœur de Jésus veille sur moi.
Marie de la Croix, victime de Jésus
Première partie de la publication « Apparition de la Bienheureuse Vierge sur la montagne de La Salette avec d’autres faits prodigieux, recueillis de documents publics par le prêtre Giovanni Bosco », Turin, Typographie de l’Oratoire Saint François de Sales, 1871.
Chapelet des sept douleurs de Marie
La publication du « Chapelet des sept douleurs de Marie » représente une dévotion chère à saint Jean Bosco qui voulait l’inculquer à ses jeunes. Suivant la structure du « Chemin de Croix », on propose sept scènes douloureuses avec de brèves considérations et prières, pour aider à une participation plus vive aux souffrances de Marie et de son Fils. Riche en images affectives et en sentiments de contrition, le texte reflète le désir de s’unir à la Vierge des Douleurs dans la compassion rédemptrice. Les indulgences accordées par les Papes attestent la haute valeur pastorale du texte qui est un petit trésor de prière et de réflexion, pour alimenter l’amour envers la Mère des douleurs.
Préface Le but principal de ce fascicule est de faciliter le souvenir et la méditation des Douleurs indicibles du tendre Cœur de Marie. Cette pratique Lui est très agréable, comme Elle l’a révélé plusieurs fois à ses dévots, et c’est un moyen très efficace pour obtenir sa protection.
Afin de faciliter cet exercice de Méditation, on le pratiquera comme un chapelet où l’on évoque les sept principales douleurs de Marie. Elles pourront ensuite être méditées individuellement en sept brèves considérations, comme on le fait habituellement pour le Chemin de Croix.
Que le Seigneur nous accompagne de sa grâce et de sa bénédiction céleste afin de réaliser l’intention désirée. Que l’âme de chacun se laisse pénétrer par le souvenir fréquent des douleurs de Marie, pour son bien spirituel et pour la plus grande gloire de Dieu.
Chapelet des sept douleurs de la Bienheureuse Vierge Marie avec sept brèves considérations sur celles-ci exposées à la manière du Chemin de Croix
Préparation Chers frères et sœurs en Jésus-Christ, nous faisons nos exercices habituels en méditant avec amour les grandes douleurs que la Bienheureuse Vierge Marie a endurées dans la vie et la mort de son Fils bien-aimé et notre Divin Sauveur. Imaginons que nous sommes devant Jésus suspendu à la croix, et que sa mère dit à chacun de nous : Venez, et voyez s’il y a une douleur pareille à la mienne.
Persuadés que cette Mère compatissante veut nous accorder une protection spéciale en méditant ses douleurs, invoquons l’aide Divine par les prières suivantes :
Antienne. Veni, Sancte Spiritus, reple tuorum corda fidelium, et tui amoris in eis ignem accende.
Emitte Spiritum tuum et creabuntur
Et renovabis faciem terrae. Memento Congregationis tuae,
Quam possedisti ab initio. Domine exaudi orationem meam.
Et clamor meus ad te veniat.
Prions.
Nous vous en supplions, Seigneur, illuminez nos esprits de la lumière de votre clarté, afin que nous puissions voir ce qui doit être fait, et que nous puissions faire ce qui est juste. Par le Christ notre Seigneur. Amen.
Première douleur. Prophétie de Syméon La première douleur fut lorsque la Bienheureuse Vierge Mère de Dieu présenta son Fils unique au Temple dans les bras du saint vieillard Siméon qui lui dit : « Voici qu’une épée transpercera ton âme », ce qui signifiait la passion et la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Vierge des douleurs, par cette épée cruelle prophétisée par le saint vieillard Siméon qui allait transpercer votre âme dans la passion et la mort de votre cher Jésus, je vous supplie de m’obtenir la grâce de garder toujours la mémoire de votre cœur transpercé et des peines très amères endurées par votre Fils pour mon salut. Ainsi soit-il.
Deuxième douleur. Fuite en Égypte La deuxième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’il lui fallut fuir en Égypte à cause de la persécution du cruel Hérode, qui cherchait impieusement à tuer son Fils bien-aimé.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Marie, océan d’amertume et de larmes, par cette douleur que vous avez éprouvée en fuyant en Égypte pour protéger votre Fils de la cruauté barbare d’Hérode, je vous supplie de bien vouloir être mon guide, afin que par vous je sois libéré des persécutions des ennemis visibles et invisibles de mon âme. Ainsi soit-il.
Troisième douleur. Perte de Jésus au temple La troisième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’au temps de Pâques, après son séjour à Jérusalem avec son époux Joseph et son cher fils Jésus Sauveur, elle le perdit au moment de retourner dans sa pauvre maison, et soupira la perte de son unique Bien-aimé pendant trois jours continus.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière
Ô Mère inconsolable, vous qui, ayant perdu la présence corporelle de votre Fils et l’avez cherché anxieusement pendant trois jours continus, obtenez la grâce à tous les pécheurs afin qu’eux aussi le cherchent par des actes de contrition et le retrouvent. Ainsi soit-il.
Quatrième douleur. Rencontre de Jésus portant la Croix La quatrième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’elle rencontra son Fils bien-aimé portant une lourde croix sur ses épaules délicates en direction du Mont Calvaire afin d’être crucifié pour notre salut.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Vierge marquée par la passion plus que toute autre, par ce spasme que vous avez éprouvé dans votre cœur en rencontrant votre Fils alors qu’il portait le bois de la Très Sainte Croix vers le Mont Calvaire, faites, je vous en prie, que je l’accompagne sans cesse moi aussi par la pensée, que je pleure mes fautes, cause manifeste de ses tourments et des vôtres. Ainsi soit-il.
Cinquième douleur. Crucifixion de Jésus La cinquième douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsqu’elle vit son Fils élevé sur le bois dur de la Croix, et que son Corps Sacré versait du sang de toutes parts.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Rose parmi les épines, par ces douleurs amères qui transpercèrent votre sein en regardant de vos propres yeux votre Fils transpercé et élevé sur la Croix, obtenez-moi, je vous en prie, que par des méditations assidues je ne cherche que Jésus crucifié à cause de mes péchés. Ainsi soit-il.
Sixième douleur. Déposition de Jésus de la croix La sixième Douleur de la Bienheureuse Vierge fut lorsque son Fils bien-aimé, blessé au côté après sa mort et déposé de la Croix, tué ainsi de manière impitoyable, fut déposé entre ses bras très saints.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Vierge tourmentée, qui avez accueilli sur votre sein votre Fils mort, vaincu sur la Croix, qui avez baisé ces Plaies sacrées et répandu sur lui une pluie de larmes, faites que moi aussi, par des larmes de vraie componction, je lave continuellement les blessures mortelles que mes péchés vous ont faites. Ainsi soit-il.
Septième douleur. Sépulture de Jésus. La septième Douleur de la Vierge Marie, Dame et Avocate des serviteurs et misérables pécheurs que nous sommes, fut lorsqu’elle accompagna le Très Saint Corps de son Fils à la sépulture.
Un Pater et sept Ave Maria.
Prière Ô Martyre des Martyrs, par ce tourment amer que vous avez souffert lorsqu’après la sépulture de votre Fils, il vous fallut vous éloigner de cette tombe aimée, obtenez, je vous en prie, la grâce à tous les pécheurs, afin qu’ils comprennent combien il est gravement dommageable pour l’âme d’être loin de son Dieu. Ainsi soit-il.
On récitera trois Ave Maria en signe de profond respect pour les larmes que la Bienheureuse Vierge a versées dans toutes ses Douleurs pour implorer par son intermédiaire des pleurs semblables pour nos péchés. Ave Maria etc.
Le Chapelet terminé, on récite la complainte de la Bienheureuse Vierge, c’est-à-dire l’hymne Stabat Mater etc.
Hymne – Complainte de la Bienheureuse Vierge Marie
Stabat Mater dolorosa
Iuxta crucem lacrymosa,
Dum pendebat Filius.
Cuius animam gementem
Contristatam et dolentem
Pertransivit gladius.
O quam tristis et afflicta
Fuit illa benedicta
Mater unigeniti!
Quae moerebat, et dolebat,
Pia Mater dum videbat.
Nati poenas inclyti.
Quis est homo, qui non fleret,
Matrem Christi si videret
In tanto supplicio?
Quis non posset contristari,
Christi Matrem contemplari
Dolentem cum filio?
Pro peccatis suae gentis
Vidit Iesum in tormentis
Et flagellis subditum.
Vidit suum dulcem natura
Moriendo desolatum,
Dum emisit spiritum.
Eia mater fons amoris,
Me sentire vim doloris
Fac, ut tecum lugeam.
Fac ut ardeat cor meum
In amando Christum Deum,
Ut sibi complaceam.
Sancta Mater istud agas,
Crucifixi fige plagas
Cordi meo valide.
Tui nati vulnerati
Tam dignati pro me pati
Poenas mecum divide.
Fac me tecum pie flere,
Crucifixo condolere,
Donec ego vixero.
Iuxta Crucem tecum stare,
Et me tibi sociare
In planctu desidero.
Virgo virginum praeclara,
Mihi iam non sia amara,
Fac me tecum plangere.
Fac ut portem Christi mortem,
Passionis fac consortem,
Et plagas recolere.
Fac me plagis vulnerari,
Fac me cruce inebriari,
Et cruore Filii.
Flammis ne urar succensus,
Per te, Virgo, sim defensus
In die Iudicii.
Christe, cum sit hine exire,
Da per matrem me venire
Ad palmam victoriae.
Quando corpus morietur,
Fac ut animae donetur
Paradisi gloria. Amen.
Debout, la mère des douleurs
Près de la croix était en pleurs
Quand son Fils pendait au bois.
Alors, son âme gémissante
Toute triste et toute dolente
Un glaive la transperça.
Qu’elle était triste, anéantie,
La femme entre toutes bénie,
La Mère du Fils de Dieu !
Dans le chagrin qui la poignait,
Cette tendre Mère pleurait
Son Fils mourant sous ses yeux.
Quel homme sans verser de pleurs
Verrait la Mère du Seigneur
Endurer si grand supplice ?
Qui pourrait dans l’indifférence
Contempler en cette souffrance
La Mère auprès de son Fils ?
Pour toutes les fautes humaines,
Elle vit Jésus dans la peine
Et sous les fouets meurtri.
Elle vit l’Enfant bien-aimé
Mourir tout seul, abandonné,
Et soudain rendre l’esprit.
O Mère, source de tendresse,
Fais-moi sentir grande tristesse
Pour que je pleure avec toi.
Fais que mon âme soit de feu
Dans l’amour du Seigneur mon Dieu :
Que je lui plaise avec toi.
Mère sainte, daigne imprimer
Les plaies de Jésus crucifié
En mon cœur très fortement.
Pour moi, ton Fils voulut mourir,
Aussi donne-moi de souffrir
Une part de ses tourments.
Pleurer en toute vérité
Comme toi près du crucifié
Au long de mon existence.
Je désire auprès de la croix
Me tenir, debout avec toi,
Dans ta plainte et ta souffrance.
Vierge des vierges, toute pure,
Ne sois pas envers moi trop dure,
Fais que je pleure avec toi.
Du Christ fais-moi porter la mort,
Revivre le douloureux sort
Et les plaies, au fond de moi.
Fais que ses plaies me blessent,
Que la croix me donne l’ivresse
Du sang versé par ton Fils.
Je crains les flammes éternelles ;
O Vierge, assure ma tutelle
À l’heure de la justice.
Ô Christ, à l’heure de partir,
Puisse ta Mère me conduire
À la palme de la victoire.
À l’heure où mon corps va mourir,
À mon âme fais obtenir
La gloire du paradis.
Le Souverain Pontife Innocent XI accorde une indulgence de 100 jours chaque fois que l’on récite le Stabat Mater. Benoît XIII a accordé une indulgence de sept ans à ceux qui réciteront le Chapelet des Sept Douleurs de Marie. De nombreuses autres indulgences ont été accordées par d’autres Souverains Pontifes, spécialement aux Confrères et Consœurs de la compagnie de Notre-Dame des Douleurs.
Les sept douleurs de Marie méditées à la manière du Chemin de Croix Invoquer l’aide divine en disant : Actiones nostras, quaesumus Domine, aspirando praeveni, et adiuvando prosequere, ut cuncta nostra oratio et operatio a te semper incipiat, et per te coepta finiatur. Per Christum Dominum Nostrum. Amen.
Acte de Contrition Ô Vierge affligée entre toutes, combien j’ai été ingrat dans le temps passé envers mon Dieu, avec quelle ingratitude j’ai répondu à ses innombrables bienfaits ! Maintenant je m’en repens, et dans l’amertume de mon cœur et dans les larmes de mon âme, je Lui demande humblement pardon d’avoir outragé son infinie bonté, résolu à l’avenir, avec la grâce céleste, de ne plus jamais l’offenser. Ah ! par toutes les douleurs que vous avez supportées dans la terrible passion de votre bien-aimé Jésus, je vous prie en soupirant au plus profond de moi-même de m’obtenir de Lui, pitié et miséricorde pour mes péchés. Agréez ce saint exercice que je vais faire et recevez-le en union avec les peines et les douleurs que Vous avez souffertes pour votre Fils Jésus. Accordez-moi, oui, accordez-moi que les épées qui ont transpercé votre esprit, transpercent aussi le mien, et que je vive et meure dans l’amitié de mon Seigneur, pour participer éternellement à la gloire qu’il m’a acquise par son précieux Sang. Ainsi soit-il.
Première douleur Dans cette première douleur, imaginons-nous au temple de Jérusalem, où la Très Sainte Vierge entendit la prophétie du vieillard Siméon.
Méditation Ah ! quelles angoisses le cœur de Marie a-t-il dû éprouver en entendant les paroles douloureuses par lesquelles le Saint vieillard Siméon lui prédisait l’amère passion et l’atroce mort de son très doux Jésus ! Au même instant se présentaient à son esprit les affronts, les outrages et le massacre que les impies feraient du Rédempteur du monde. Mais sais-tu quelle fut l’épée la plus pénétrante qui la transperça en cette circonstance ? Ce fut de considérer l’ingratitude avec laquelle son cher Fils serait payé de retour par les hommes. En réfléchissant maintenant que tu es malheureusement au nombre de ceux-là cause de tes péchés, jette-toi aux pieds de cette Mère Douloureuse et dis-lui en pleurant (chacun s’agenouille) : Ô Vierge de pitié, qui avez éprouvé une grande douleur dans votre esprit en voyant l’abus que moi, créature indigne, je ferais du sang de votre aimable Fils, faites, oui faites par votre Cœur tellement affligé, qu’à l’avenir je réponde aux Divines Miséricordes, que je profite des grâces célestes, que je ne reçoive pas en vain les lumières et les inspirations que vous daignerez m’obtenir afin que j’aie le bonheur d’être au nombre de ceux à qui l’amère passion de Jésus procure un salut éternel. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Deuxième douleur Dans cette deuxième douleur, considérons le voyage très pénible que la Vierge fit en Égypte pour délivrer Jésus de la cruelle persécution d’Hérode.
Méditation Considère l’amère douleur que Marie a dû éprouver lorsqu’elle dut se mettre en chemin de nuit sur l’ordre de l’Ange afin de préserver son Fils du massacre ordonné par ce prince féroce. À chaque cri d’animal, à chaque souffle de vent, à chaque mouvement de feuille qu’elle entendait sur ces routes désertes, elle était remplie d’effroi, craignant quelque malheur pour l’enfant Jésus qu’elle portait avec elle. Tantôt elle se tournait d’un côté, tantôt de l’autre, tantôt elle pressait le pas, tantôt elle se cachait, croyant être rejointe par les soldats, qui, arrachant de ses bras son Fils bien-aimé, l’auraient traité barbarement sous ses yeux. Fixant son œil larmoyant sur son Jésus et le serrant fortement contre sa poitrine, elle lui donnait mille baisers en poussant des soupirs angoissés de son cœur. Et maintenant, réfléchis combien de fois tu as renouvelé cette amère douleur à Marie, forçant son Fils par tes graves péchés à fuir de ton âme. Maintenant que tu connais le grand mal commis, tourne-toi plein de repentir vers cette Mère compatissante en lui disant :
Ah, très douce Mère ! Une fois Hérode vous a contrainte, vous et votre Jésus, à prendre la fuite à cause de la persécution inhumaine qu’il avait ordonnée. Mais moi, oh ! combien de fois j’ai obligé mon Rédempteur, et par conséquent vous aussi, à partir rapidement de mon cœur, en y introduisant le péché maudit, votre ennemi impitoyable et celui de mon Dieu. Hélas ! tout affligé et contrit, je vous en demande humblement pardon.
Oui, miséricorde, ô ma chère Mère, miséricorde, et je vous promets à l’avenir, avec l’aide Divine, de toujours maintenir mon Sauveur et Vous en possession totale de mon âme. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Troisième douleur Dans cette troisième douleur, considérons la Vierge angoissée qui, en larmes, cherche son Jésus égaré.
Méditation Combien grande fut la peine de Marie, lorsqu’elle s’aperçut d’avoir perdu son aimable Fils ! Et comme sa douleur s’accrut lorsqu’après l’avoir diligemment cherché auprès de ses amis, parents et voisins, elle ne put avoir aucune nouvelle de Lui ! Elle erra trois jours entiers dans les contrées de la Judée, sans se soucier des inconvénients, de la fatigue, des dangers, répétant ces paroles de désolation : quelqu’un a-t-il vu celui que mon âme aime ? L’anxiété avec laquelle elle le cherchait lui faisait imaginer à chaque instant de le voir, ou d’entendre sa voix. Mais ensuite, se voyant déçue, comme elle frissonnait et éprouvait plus sensiblement le regret d’une si déplorable perte ! Quelle confusion pour toi, pécheur, qui as tant de fois égaré ton Jésus par les graves fautes que tu as commises ! Tu ne t’es donné aucune peine de le chercher, signe évident que tu fais peu ou pas de cas du précieux trésor de l’amitié Divine. Pleure donc ta cécité, tourne-toi vers cette Mère Douloureuse, et dis-lui en soupirant :
Notre-Dame des douleurs, faites que j’apprenne de vous la vraie manière de chercher Jésus que j’ai perdu pour suivre mes passions et les iniques suggestions du démon, afin que je réussisse à le retrouver, et quand je l’aurai retrouvé, je répéterai continuellement vos paroles : J’ai retrouvé celui que mon cœur aime ; je le garderai toujours avec moi, et je ne le laisserai plus jamais partir. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Quatrième douleur Dans la quatrième douleur, considérons la rencontre que fit la Vierge affligée avec son Fils sur le chemin de la croix.
Méditation Venez donc, cœurs endurcis, et voyez si vous pouvez supporter ce spectacle de désolation. C’est une mère, la plus tendre, la plus aimante des mères, qui rencontre son Fils, le plus doux, le plus aimable des fils. Et comment le rencontre-t-elle ? Ô Dieu ! au milieu de la plus impie populace qui le traîne cruellement à la mort, couvert de plaies, ruisselant de sang, déchiré par les blessures, avec une couronne d’épines sur la tête et un lourd tronc sur les épaules, haletant, essoufflé, languissant. À chaque pas, il semble vouloir rendre le dernier soupir.
Considère, ô mon âme, l’arrêt mortel que fait la Très Sainte Vierge au premier regard qu’elle fixe sur son Jésus tourmenté. Elle voudrait lui faire un dernier adieu, mais comment faire, si la douleur l’empêche de prononcer un seul mot ? Elle voudrait se jeter à son cou, mais elle reste immobile et pétrifiée par la force de l’affliction intérieure. Elle voudrait se soulager par les larmes, mais son cœur est tellement serré et opprimé qu’elle ne peut verser une larme. Oh ! qui peut retenir ses larmes en voyant une pauvre Mère plongée dans une si grande affliction ? Mais qui donc est la cause d’une si amère peine ? Ah, c’est moi, oui c’est moi avec mes péchés qui ai fait une si barbare blessure à votre tendre cœur, ô Vierge Douloureuse. Pourtant, qui le croirait ? Je reste insensible sans être le moins du monde ému. Mais si j’ai été ingrat par le passé, je ne le serai plus à l’avenir.
En attendant, prosterné à vos pieds, ô Très Sainte Vierge, je vous demande humblement pardon de tant de chagrin que je vous ai causé. Je le sais et je le confesse : je ne mérite pas de pitié, étant moi la vraie raison pour laquelle vous êtes tombée de douleur en rencontrant votre Jésus tout couvert de plaies. Mais souvenez-vous, oui souvenez-vous que vous êtes mère de miséricorde. Montrez-vous donc comme telle envers moi, car je vous promets à l’avenir d’être plus fidèle à mon Rédempteur, et de compenser ainsi tant de dégoûts que j’ai donnés à votre esprit tellement affligé. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Cinquième douleur Dans cette cinquième douleur, imaginons que nous sommes au Mont Calvaire où la Vierge très affligée vit expirer son Fils bien-aimé sur la Croix.
Méditation Nous voici au Calvaire où deux autels sont déjà dressés pour le sacrifice, l’un dans le corps de Jésus, l’autre dans le cœur de Marie. Ô funeste spectacle ! Nous voyons la Mère noyée dans un océan d’afflictions en voyant son cher et aimable fruit de ses entrailles arraché par une mort impitoyable. Chaque coup de marteau, chaque plaie, chaque lacération que le Sauveur reçoit sur sa chair, résonne profondément dans le cœur de la Vierge. Elle se tient au pied de la Croix, tellement pénétrée de peine et transpercée par le chagrin que l’on ne saurait décider qui sera le premier à expirer, Jésus ou Marie. Elle fixe son regard sur le visage de son Fils agonisant, considère ses pupilles languissantes, son visage pâle, ses lèvres livides, sa respiration difficile. Elle constate enfin qu’il ne vit plus et qu’il a déjà remis son esprit au sein de son Père éternel. Ah ! que son âme fait alors tout son possible pour se séparer de son corps et s’unir à celle de Jésus ! Et qui peut supporter une telle vue ?
Ô Mère, au lieu de vous retirer du Calvaire, afin de ne pas ressentir si vivement les angoisses, vous y restez immobile pour absorber jusqu’à la dernière goutte l’amer calice de vos afflictions. Quelle confusion ce doit être pour moi qui cherche tous les moyens d’éviter les croix et ces petites souffrances que le Seigneur daigne m’envoyer pour mon bien ! Vierge très douloureuse, je m’humilie devant vous, faites que je connaisse une fois clairement le prix et la grande valeur de la souffrance, afin que j’y prenne un tel attachement, que je ne me lasse jamais de m’écrier avec Saint François Xavier : Plus Domine, Plus Domine, plus de souffrance, mon Dieu. Ah oui, plus souffrir, ô mon Dieu. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Sixième douleur Dans cette sixième douleur, imaginons-nous voir la Vierge inconsolable quand elle reçoit dans ses bras son Fils défunt descendu de la Croix.
Méditation Considère l’amère douleur qui pénétra l’âme de Marie, lorsqu’elle vit sur son sein le corps défunt de son bien-aimé Jésus. En fixant son regard sur ses blessures et sur ses plaies, en le voyant rougi de son propre sang, son chagrin intérieur fut si grand que son cœur fut mortellement transpercé. Si elle ne mourut pas, ce fut la Toute-Puissance Divine qui la conserva en vie. Ô pauvre Mère, oui, pauvre mère, qui conduisez à la tombe le cher objet de vos plus tendres complaisances, qui d’un bouquet de roses est devenu un faisceau d’épines par les mauvais traitements et les lacérations que lui ont infligés les impies bourreaux. Qui n’aura pas compassion de vous ? Qui ne se sentira pas déchiré par la douleur en vous voyant dans un état d’affliction à émouvoir même le plus dur des rochers ? J’observe Jean inconsolable, Madeleine avec les autres Marie qui pleurent amèrement, Nicodème qui ne peut plus se tenir debout à cause de l’affliction. Et moi, moi seul qui ne verse pas une larme au milieu de tant de douleur ! Ingrat et oublieux que je suis !
Ô Mère très douce, me voici à vos pieds, recevez-moi sous votre puissante protection et faites que mon cœur reste transpercé par cette épée qui a traversé de part en part votre esprit affligé, afin qu’il s’attendrisse enfin et pleure vraiment mes graves péchés qui vous ont causé un si cruel martyre. Et qu’il en soit ainsi. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Septième douleur Dans cette septième douleur, considérons la Vierge très affligée qui voit son Fils défunt enfermé dans le tombeau.
Méditation Considère le soupir mortel que poussa le cœur affligé de Marie lorsqu’elle vit son aimable Jésus déposé dans la tombe ! Oh ! quelle peine, quel chagrin éprouva son esprit lorsque fut levée la pierre avec laquelle on devait fermer ce très sacré monument ! Il n’était pas possible de la détacher du bord du sépulcre, tant la douleur la rendait insensible et immobile, ne cessant jamais de contempler ces plaies et ces cruelles blessures. Quand ensuite la tombe fut fermée, c’est alors que la désolation intérieure fut si grande qu’elle se serait sans doute éteinte si Dieu ne l’avait conservée en vie. Ô mère très éprouvée ! Vous quitterez maintenant ce lieu avec votre corps, mais votre cœur restera sûrement ici, car c’est ici qu’est votre vrai trésor. Faites que toute notre affection reste en sa compagnie, tout notre amour. Comment se pourrait-il que nous ne soyons pas remplis de bienveillance envers le Sauveur, qui a donné tout son sang pour notre salut ? Comment se pourrait-il que nous ne vous aimions pas, vous qui avez tant souffert à cause de nous.
Maintenant, affligés et repentants pour avoir causé tant de douleurs à votre Fils et tant d’amertume à vous, nous nous prosternons à vos pieds et pour toutes ces peines que vous nous avez fait la grâce de méditer, accordez-nous cette faveur : que le souvenir de celles-ci reste toujours vivement imprimé dans notre esprit, que nos cœurs se consument d’amour pour notre bon Dieu, et pour Vous, notre très douce Mère, et que le dernier soupir de notre vie soit uni à ceux que vous avez exhalés du fond de votre âme dans la douloureuse passion de Jésus, à qui soient honneur, gloire et actions de grâces pour tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Ave Maria etc. Gloria Patri etc.
Marie, mon doux bien,
Imprimez vos peines dans mon cœur.
Ensuite, on dit le Stabat Mater, comme ci-dessus.
Antienne. Tuam ipsius animam (ait ad Mariam Simeon) pertransiet gladius.
Ora pro nobis Virgo Dolorosissima.
Ut digni efficiamur promissionibus Christi.
Oremus
Deus in cuius passionem secundum Simeonis prophetiam, dulcissimam animam Gloriosae Virginis et Matris Mariae doloris gladius pertransivit, concede propitius, ut qui dolorum eius memoriam recolimus, passionis tuae effectum felicem consequamur. Qui vivis etc.
Louange à Dieu et à la Vierge Douloureuse.
Avec la permission de la Révision Ecclésiastique
La Fête des Sept Douleurs de Marie Vierge Douloureuse, célébrée par la Pieuse Union et Société, tombe le troisième dimanche de septembre dans l’église Saint-François-d’Assise.
Texte de la 3e édition, Turin, Typographie de Giulio Speirani et fils, 1871
Le Vénérable Mgr Stefano Ferrando
Mgr Stefano Ferrando a été un exemple extraordinaire de dévouement missionnaire et de service épiscopal, alliant le charisme salésien à une profonde vocation au service des plus pauvres. Né en 1895 dans le Piémont, il entra jeune dans la Congrégation salésienne et, après avoir servi militairement pendant la Première Guerre mondiale, ce qui lui valut la médaille d’argent de la valeur, il se consacra à l’apostolat en Inde. Évêque de Krishnagar puis de Shillong pendant plus de trente ans, il marcha inlassablement parmi les populations, promouvant l’évangélisation avec humilité et un profond amour pastoral. Il fonda des institutions, soutint les catéchistes laïcs et incarna dans sa vie la devise « Apôtre du Christ ». Sa vie fut un exemple de foi, d’abandon à Dieu et de don total, laissant un héritage spirituel qui continue d’inspirer la mission salésienne dans le monde.
Le Vénérable Mgr Stefano Ferrando a su conjuguer sa vocation salésienne avec son charisme missionnaire et son ministère épiscopal. Né le 28 septembre 1895 à Rossiglione (Gênes, diocèse d’Acqui) d’Agostino et de Giuseppina Salvi, il se distingue par un ardent amour de Dieu et une tendre dévotion à la Vierge Marie. En 1904, il entre dans les écoles salésiennes, d’abord à Fossano puis à Turin-Valdocco, où il connaît les successeurs de Don Bosco et la première génération de salésiens, et entreprend ses études sacerdotales. Entre-temps, il nourrit le désir de partir comme missionnaire. Le 13 septembre 1912, il fait sa première profession religieuse dans la Congrégation salésienne à Foglizzo. Appelé sous les drapeaux en 1915, il participe à la Première Guerre mondiale et recevra la médaille d’argent pour son courage. De retour chez lui en 1918, il prononce ses vœux perpétuels le 26 décembre 1920.
Il est ordonné prêtre à Borgo San Martino (Alessandria) le 18 mars 1923. Le 2 décembre de la même année, avec neuf compagnons, il s’embarque à Venise comme missionnaire en Inde. Le 18 décembre, après 16 jours de voyage, le groupe arrive à Bombay et le 23 décembre à Shillong, lieu de son nouvel apostolat. Nommé maître des novices, il forme les jeunes salésiens à l’amour de Jésus et de Marie et fait preuve d’un grand esprit apostolique.
Le 9 août 1934, le pape Pie XI le nomme évêque de Krishnagar. Il prend comme devise : « Apôtre du Christ ». En 1935, le 26 novembre, il est transféré à Shillong, où il restera évêque pendant 34 ans. Tout en travaillant dans un contexte difficile sur le plan culturel, religieux et social, Mgr Ferrando s’efforce d’être proche des personnes qui lui étaient confiées, travaillant avec zèle dans le vaste diocèse qui englobait toute la région du nord-est de l’Inde. Il préférait se déplacer à pied plutôt qu’en voiture, ce qui lui permettait de rencontrer les gens, de s’arrêter pour leur parler, de s’impliquer dans leur vie. Ce contact direct avec la vie des gens a été l’une des principales raisons de la fécondité de son annonce évangélique. Son humilité, sa simplicité et son amour des pauvres ont conduit beaucoup de personnes à se convertir et à demander le baptême. Il créa un séminaire pour la formation des jeunes salésiens indiens, construisit un hôpital, érigea un sanctuaire dédié à Marie Auxiliatrice et fonda la première congrégation de sœurs autochtones : la Congrégation des Sœurs Missionnaires de Marie Auxiliatrice (1942).
Homme de caractère, il ne s’est pas découragé face aux innombrables difficultés qu’il a affrontées avec le sourire et avec douceur. La persévérance face aux obstacles était l’une de ses principales caractéristiques. Il cherchait à unir le message de l’Évangile à la culture locale dans laquelle il devait s’insérer. Intrépide dans ses visites pastorales, il se rendait dans les endroits les plus reculés du diocèse, afin de récupérer la dernière brebis perdue. Il travailla avec une grande sensibilité à la promotion des catéchistes laïcs, qu’il considérait comme complémentaires de la mission de l’évêque et dont dépendaient en grande partie la fécondité de l’annonce de l’Évangile et sa pénétration sur le territoire. Il accordait également une grande attention à la pastorale familiale. Malgré ses nombreux engagements, le Vénérable était un homme à la vie intérieure riche, nourrie par la prière et le recueillement. En tant que pasteur, il était apprécié par les sœurs de sa congrégation, les prêtres, les confrères salésiens et ses confrères dans l’épiscopat, ainsi que par les gens, qui le sentaient profondément proche d’eux. Il s’est donné à son troupeau avec créativité, s’occupant des pauvres, défendant les intouchables, soignant les malades du choléra.
Les pierres angulaires de sa spiritualité étaient son lien filial avec la Vierge Marie, son zèle missionnaire, sa référence permanente à Don Bosco, comme il ressort de ses écrits et de toute son activité missionnaire. Le moment le plus lumineux et le plus héroïque de sa vie vertueuse fut son départ du diocèse de Shillong. En effet, Mgr Ferrando dut présenter sa démission au Saint-Père, alors qu’il était encore dans la plénitude de ses facultés physiques et intellectuelles, pour permettre la nomination de son successeur, qui devait être choisi, selon les instructions supérieures, parmi les prêtres indigènes qu’il avait formés. Ce fut un moment particulièrement douloureux, vécu par le grand évêque avec humilité et en esprit d’obéissance. Il comprit qu’il était temps de se retirer dans la prière, selon la volonté du Seigneur.
De retour à Gênes en 1969, il poursuivit son activité pastorale, en présidant les cérémonies de confirmation et en se consacrant au sacrement de pénitence.
Il resta fidèle à la vie religieuse salésienne jusqu’au bout, décidant de vivre en communauté et renonçant aux privilèges que sa position d’évêque aurait pu lui réserver. Il continua en Italie à être « a missionary ». Non pas « a missionary who moves, but […] a missionary who is » : non pas un missionnaire qui se déplace, mais un missionnaire qui est. Sa vie, en cette dernière saison, est devenue « rayonnante ». Il devient un « missionnaire de la prière » qui dit : « Je suis heureux d’être parti pour que d’autres puissent prendre la relève et faire des œuvres merveilleuses ».
Depuis Gênes Quarto, il continua à animer la mission de l’Assam, en sensibilisant et en envoyant des aides financières. Il vécut cette heure de purification dans un esprit de foi, d’abandon à la volonté de Dieu et d’obéissance, selon l’expression évangélique : « nous sommes des serviteurs inutiles », et confirmant par sa vie le caetera tolle, l’aspect oblatif et sacrificiel de la vocation salésienne. Il mourut le 20 juin 1978 et fut enterré à Rossiglione, sa terre natale. En 1987, sa dépouille mortelle fut ramenée en Inde.
Dans la docilité à l’Esprit, il a mené une action pastorale féconde, qui s’est manifestée dans un grand amour pour les pauvres, dans l’humilité d’esprit et la charité fraternelle, dans la joie et l’optimisme de l’esprit salésien.
Avec les nombreux missionnaires qui ont partagé avec lui l’aventure de l’Esprit en terre indienne, parmi lesquels les Serviteurs de Dieu Francesco Convertini, Costantino Vendrame et Oreste Marengo, Mgr Ferrando a inauguré une nouvelle méthode missionnaire, celle d’être un missionnaire itinérant. Un tel exemple est un avertissement providentiel, surtout pour les congrégations religieuses tentées par un processus d’institutionnalisation et de fermeture. Il s’agit de ne pas perdre la passion d’aller à la rencontre des personnes et des situations de grande pauvreté et de dénuement matériel et spirituel, là où personne ne veut aller, et en faisant confiance. « Je regarde l’avenir avec confiance, en me confiant à Marie Auxiliatrice… Je me confierai à Marie Auxiliatrice qui m’a sauvé d’innombrables dangers ».
Sainte Monique, mère de Saint Augustin, témoin d’espérance
Une femme à la foi inébranlable, aux larmes fécondes, exaucée par Dieu après dix-sept longues années. Un modèle de chrétienne, d’épouse et de mère pour toute l’Église. Une femme témoin d’espérance qui s’est transformée en puissance d’intercession au Ciel. Don Bosco lui-même recommandait aux mères, affligées par la vie peu chrétienne de leurs enfants, de se confier à elle dans leurs prières.
Dans la grande galerie des saints et des saintes qui ont marqué l’histoire de l’Église, Sainte Monique (331-387) occupe une place singulière. Non pas pour des miracles spectaculaires, ni pour la fondation de communautés religieuses, ni pour des entreprises sociales ou politiques de grande envergure. Monique est avant tout citée et vénérée comme mère, la mère d’Augustin, ce jeune inquiet qui, grâce à ses prières, à ses larmes et à son témoignage de foi, devint l’un des plus grands Pères de l’Église et Docteurs de la foi catholique.
Mais limiter sa figure à son rôle maternel serait injuste et réducteur. Monique est une femme qui a su vivre sa vie ordinaire — comme épouse, mère, croyante — de manière extraordinaire, en transfigurant le quotidien avec la force de la foi. Elle est un exemple de persévérance dans la prière, de patience dans le mariage, d’espérance inébranlable face aux égarements de son fils.
Les informations sur sa vie nous proviennent presque exclusivement des Confessions d’Augustin, un texte qui n’est pas une chronique, mais une lecture théologique et spirituelle de l’existence. Pourtant, dans ces pages, Augustin dresse un portrait inoubliable de sa mère : non seulement une femme bonne et pieuse, mais un authentique modèle de foi chrétienne, une « mère des larmes » qui deviennent source de grâce.
Les origines à Thagaste Monique naquit en 331 à Thagaste, ville de Numidie, Souk Ahras dans l’actuelle Algérie. C’était un centre animé, marqué par la présence romaine et une communauté chrétienne déjà bien enracinée. Elle venait d’une famille chrétienne aisée, où la foi faisait déjà partie de l’horizon culturel et spirituel.
Sa formation fut marquée par l’influence d’une nourrice austère, qui l’éduqua à la sobriété et à la tempérance. Saint Augustin écrira d’elle : « Je ne parlerai pas de ses dons, mais de tes dons à elle, qui ne s’était pas faite seule, ni éduquée seule. Tu l’as créée sans même que son père et sa mère ne sachent quelle fille ils auraient ; et la verge de ton Christ, c’est-à-dire la discipline de ton Fils unique, l’instruisit dans ta crainte, dans une maison de croyants, membre sain de ton Église » (Confessions IX, 8, 17).
Dans les Confessions, Augustin raconte aussi un épisode significatif. La jeune Monique avait pris l’habitude de boire de petites gorgées de vin de la cave, jusqu’à ce qu’une servante la réprimande en l’appelant « ivrogne ». Ce reproche lui suffit pour qu’elle se corrige définitivement. Cette anecdote, apparemment mineure, montre son honnêteté à reconnaître ses propres péchés, à se laisser corriger et à grandir en vertu.
À l’âge de 23 ans, Monique fut donnée en mariage à Patrice, un fonctionnaire municipal païen, connu pour son caractère colérique et son infidélité conjugale. La vie matrimoniale ne fut pas facile. La cohabitation avec un homme impulsif et éloigné de la foi chrétienne mit sa patience à rude épreuve.
Pourtant, Monique ne tomba jamais dans le découragement. Par son attitude faite de douceur et de respect, elle sut conquérir progressivement le cœur de son mari. Elle ne répondait pas avec dureté à ses accès de colère, n’alimentait pas de conflits inutiles. Avec le temps, sa constance porta ses fruits : Patrice se convertit et reçut le baptême peu avant de mourir.
Le témoignage de Monique montre que la sainteté ne s’exprime pas nécessairement par des gestes éclatants, mais par la fidélité quotidienne, par l’amour qui sait transformer lentement les situations difficiles. En ce sens, elle est un modèle pour tant d’épouses et de mères qui vivent des mariages marqués par des tensions ou des différences de foi.
Monique mère De son mariage naquirent trois enfants : Augustin, Navigius et une fille dont nous ne connaissons pas le nom. Monique leur prodigua tout son amour, mais surtout sa foi. Navigius et sa sœur suivirent un chemin chrétien exemplaire : Navigius devint prêtre ; sa sœur embrassa la voie de la virginité consacrée. Augustin, en revanche, devint rapidement le centre de ses préoccupations et de ses larmes.
Dès son enfance, Augustin montrait une intelligence extraordinaire. Monique l’envoya étudier la rhétorique à Carthage, désireuse de lui assurer un avenir brillant. Mais avec les progrès intellectuels vinrent aussi les tentations : la sensualité, la mondanité, les mauvaises compagnies. Augustin embrassa la doctrine manichéenne, convaincu d’y trouver des réponses rationnelles au problème du mal. De plus, il commença à vivre en concubinage avec une femme dont il eut un fils, Adéodat. Les égarements de son fils incitèrent Monique à lui refuser l’accueil dans sa propre maison. Mais elle ne cessa pas pour autant de prier pour lui et d’offrir des sacrifices : « Le cœur saignant de ma mère t’offrait pour moi nuit et jour le sacrifice de ses larmes » (Confessions V, 7,13) et « elle versait plus de larmes que n’en versent jamais les mères à la mort physique de leurs enfants » (Confessions III, 11,19).
Pour Monique, ce fut une blessure profonde : son fils, qu’elle avait consacré au Christ dans son sein, était en train de se perdre. La douleur était indicible, mais elle ne cessa jamais d’espérer. Augustin lui-même écrira : « Le cœur de ma mère, frappé d’une telle blessure, n’aurait plus jamais guéri : car je ne saurais exprimer adéquatement ses sentiments envers moi et combien son travail pour m’enfanter dans l’esprit était plus grand que celui avec lequel elle m’avait enfanté dans la chair » (Confessions V, 9,16).
La question qui se pose spontanément est la suivante : pourquoi Monique n’a-t-elle pas fait baptiser Augustin immédiatement après sa naissance ?
En réalité, bien que le baptême des enfants fût déjà connu et pratiqué, ce n’était pas encore une pratique universelle. Beaucoup de parents préféraient le reporter à l’âge adulte, le considérant comme un « lavacrum définitif » : ils craignaient que, si le baptisé péchait gravement, son salut serait compromis. De plus, Patrice, encore païen, n’avait aucun intérêt à éduquer son fils dans la foi chrétienne.
Aujourd’hui, nous voyons clairement que ce fut un choix malheureux, car le baptême non seulement nous rend enfants de Dieu, mais nous donne la grâce de vaincre les tentations et le péché.
Une chose est cependant certaine : s’il avait été baptisé enfant, Monique se serait épargné, à elle et à son fils, beaucoup de souffrances.
L’image la plus forte de Monique est celle d’une mère qui prie et pleure. Les Confessions la décrivent comme une femme infatigable dans son intercession auprès de Dieu pour son fils.
Un jour, un évêque de Thagaste — ou, selon certains, Ambroise lui-même — la rassura avec des paroles restées célèbres : « Va, il ne peut pas se perdre, le fils de tant de larmes ». Cette phrase devint l’étoile polaire de Monique, la confirmation que sa douleur maternelle n’était pas vaine, mais faisait partie d’un mystérieux dessein de grâce.
Ténacité d’une mère La vie de Monique fut aussi un pèlerinage dans les pas d’Augustin. Lorsque son fils décida de partir en secret pour Rome, Monique n’épargna aucun effort ; elle ne considéra pas la cause comme perdue, mais le suivit et le chercha jusqu’à ce qu’elle le trouve. Elle le rejoignit à Milan, où Augustin avait obtenu une chaire de rhétorique. Là, elle trouva un guide spirituel en saint Ambroise, évêque de la ville. Une profonde harmonie naquit entre Monique et Ambroise : elle reconnaissait en lui le pasteur capable de guider son fils, tandis qu’Ambroise admirait sa foi inébranlable.
À Milan, la prédication d’Ambroise ouvrit de nouvelles perspectives à Augustin. Il abandonna progressivement le manichéisme et commença à regarder le christianisme avec des yeux neufs. Monique accompagna silencieusement ce processus : elle ne forçait pas les choses, n’exigeait pas de conversions immédiates, mais priait, apportait son soutien et restait à ses côtés jusqu’à sa conversion.
La conversion d’Augustin Dieu semblait ne pas l’écouter, mais Monique ne cessa jamais de prier et d’offrir des sacrifices pour son fils. Après dix-sept ans, enfin, ses supplications furent exaucées — et comment ! Augustin non seulement devint chrétien, mais il devint prêtre, évêque, docteur et père de l’Église.
Lui-même le reconnaît : « Toi, cependant, dans la profondeur de tes desseins, tu exauças le point vital de son désir, sans te soucier de l’objet momentané de sa demande, mais en veillant à faire de moi ce qu’elle te demandait toujours de faire » (Confessions V, 8,15).
Le moment décisif arriva en 386. Tourmenté intérieurement, Augustin luttait contre les passions et les résistances de sa volonté. Dans le célèbre épisode du jardin de Milan, en entendant la voix d’un enfant qui disait « Tolle, lege » (Prends, lis), il ouvrit l’Épître aux Romains et lut les paroles qui changèrent sa vie : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne suivez pas la chair dans ses désirs » (Rm 13,14).
Ce fut le début de sa conversion. Avec son fils Adéodat et quelques amis, il se retira à Cassiciacum pour se préparer au baptême. Monique était avec eux, participant à la joie de voir enfin exaucées les prières de tant d’années.
La nuit de Pâques 387, dans la cathédrale de Milan, Ambroise baptisa Augustin, Adéodat et les autres catéchumènes. Les larmes de douleur de Monique se transformèrent en larmes de joie. Elle continua à rester à son service, tant et si bien qu’à Cassiciacum, Augustin dira : « Elle prit soin de nous comme si elle avait été la mère de tous et nous servit comme si elle avait été la fille de tous. »
Ostie : l’extase et la mort Après le baptême, Monique et Augustin se préparèrent à retourner en Afrique. S’étant arrêtés à Ostie, où ils attendaient le bateau, ils vécurent un moment d’intense spiritualité. Les Confessions racontent l’extase d’Ostie : la mère et son fils, penchés à une fenêtre, contemplèrent ensemble la beauté de la création et s’élevèrent vers Dieu, goûtant par avance la béatitude du ciel.
Monique dira : « Mon fils, quant à moi, je ne trouve plus aucun attrait pour cette vie. Je ne sais ce que je fais encore ici-bas et pourquoi je me trouve ici. Ce monde n’est plus l’objet de mes désirs. Il n’y avait qu’une seule raison pour laquelle je désirais rester encore un peu dans cette vie : te voir chrétien catholique, avant de mourir. Dieu m’a exaucée au-delà de toutes mes attentes, il m’a accordé de te voir à son service et affranchi des aspirations de bonheur terrestres. Que fais-je ici ?» (Confessions IX, 10,11). Elle avait atteint son but terrestre.
Quelques jours plus tard, Monique tomba gravement malade. Sentant la fin proche, elle dit à ses enfants : « Mes enfants, vous enterrerez votre mère ici ; ne vous souciez pas de l’endroit. Je vous demande seulement ceci : souvenez-vous de moi à l’autel du Seigneur, où que vous soyez. » C’était la synthèse de sa vie : le lieu de la sépulture ne lui importait pas, mais le lien dans la prière et l’Eucharistie.
Elle mourut à 56 ans, le 12 novembre 387, et fut enterrée à Ostie. Au VIe siècle, ses reliques furent transférées dans une crypte cachée dans l’église Sant’Aurea. En 1425, les reliques furent transférées à Rome, dans la basilique Sant’Agostino in Campo Marzio, où elles sont encore vénérées aujourd’hui.
Le profil spirituel de Monique Augustin décrit sa mère en pesant bien ses mots : « […] femme quant à son aspect, virile dans sa foi, âgée par sa sérénité, maternelle par son amour, chrétienne par sa piété […] ». (Confessions IX, 4, 8).
Et encore : « […] veuve chaste et sobre, assidue à l’aumône, dévote et soumise à tes saints, ne laissant passer aucun jour sans apporter l’offrande à ton autel, visitant ton église deux fois par jour, matin et soir, sans faute, et non pour jaser vainement et bavarder comme les autres vieilles femmes, mais pour entendre tes paroles et te faire entendre ses oraisons. Les larmes d’une telle femme, qui par elles te demandait non de l’or ni de l’argent, ni des biens périssables ou volages, mais le salut de l’âme de son fils, aurais-tu pu les dédaigner, toi qui l’avais ainsi faite par ta grâce, en lui refusant ton secours ? Certainement non, Seigneur. Toi, au contraire, tu étais près d’elle et tu l’exauçais, agissant selon l’ordre par lequel tu avais prévu de devoir agir » (Confessions V, 9,17).
De ce témoignage d’Augustin émerge une figure d’une actualité surprenante.
Elle fut une femme de prière : elle ne cessa jamais d’invoquer Dieu pour le salut de ses proches. Ses larmes deviennent un modèle d’intercession persévérante.
Elle fut une épouse fidèle : dans un mariage difficile, elle ne répondit jamais avec ressentiment à la dureté de son mari. Sa patience et sa douceur furent des instruments d’évangélisation.
Elle fut une mère courageuse : elle n’abandonna pas son fils dans ses égarements, mais l’accompagna avec un amour tenace, capable de faire confiance au temps de Dieu.
Elle fut un témoin d’espérance : sa vie montre qu’aucune situation n’est désespérée, si elle est vécue dans la foi.
Le message de Monique n’appartient pas seulement au IVe siècle. Il parle encore aujourd’hui, dans un contexte où de nombreuses familles vivent des tensions, où des enfants s’éloignent de la foi, où des parents expérimentent la fatigue de l’attente.
Aux parents elle enseigne à ne pas renoncer, à croire que la grâce opère de manière mystérieuse.
Aux femmes chrétiennes, elle montre comment la douceur et la fidélité peuvent transformer des relations difficiles.
À quiconque se sent découragé dans la prière, elle témoigne que Dieu écoute, même si son temps ne coïncide pas avec le nôtre.
Ce n’est pas un hasard si de nombreuses associations et mouvements ont choisi Monique comme patronne des mères chrétiennes et des femmes qui prient pour leurs enfants éloignés de la foi.
Une femme simple et extraordinaire La vie de sainte Monique est l’histoire d’une femme à la fois simple et extraordinaire. Simple, parce qu’elle a vécu le quotidien d’une famille ; extraordinaire, parce qu’elle était transfigurée par la foi. Ses larmes et ses prières ont façonné un saint et, à travers lui, ont profondément marqué l’histoire de l’Église.
Sa mémoire, célébrée le 27 août, à la veille de la fête de saint Augustin, nous rappelle que la sainteté passe souvent par la persévérance cachée, le sacrifice silencieux, l’espérance qui ne déçoit pas.
Dans les paroles d’Augustin, adressées à Dieu pour sa mère, nous trouvons la synthèse de son héritage spirituel : « Je ne puis dire assez combien mon âme lui est redevable, mon Dieu ; mais tu sais tout. Rends-lui par ta miséricorde ce qu’elle te demanda pour moi avec tant de larmes » (Conf., IX, 13).
À travers les événements de sa vie, sainte Monique a atteint le bonheur éternel qu’elle a elle-même défini : « Le bonheur consiste sans aucun doute à atteindre le but et à croire que nous pouvons le rejoindre par une foi ferme, une espérance vive, une charité ardente » (La Félicité 4,35).
Loteries : de véritables exploits
Don Bosco ne fut pas seulement un éducateur et un pasteur d’âmes infatigable, mais aussi un homme d’une extraordinaire ingéniosité, capable d’inventer des solutions nouvelles et courageuses pour soutenir ses œuvres. Les nécessités économiques de l’Oratoire de Valdocco, en constante expansion, le poussèrent à chercher des moyens toujours plus efficaces pour garantir le gîte, le couvert, l’école et le travail à des milliers de garçons. Parmi ceux-ci, les loteries représentèrent l’une des intuitions les plus ingénieuses : de véritables entreprises collectives, qui impliquaient nobles, prêtres, bienfaiteurs et simples citoyens. Ce n’était pas simple, car la législation piémontaise réglementait rigoureusement les loteries, n’en permettant l’organisation aux particuliers que dans des cas bien définis. Et il ne s’agissait pas seulement de collecter des fonds, mais de créer un réseau de solidarité qui unissait la société turinoise autour du projet éducatif et spirituel de l’Oratoire. La première, en 1851, fut une aventure mémorable, riche en imprévus et en succès.
L’argent qui arrivait entre les mains de Don Bosco y restait peu de temps, car il était immédiatement utilisé pour nourrir, loger, scolariser et faire travailler des dizaines de milliers de garçons ou pour construire des collèges, des orphelinats et des églises ou pour soutenir les missions d’Amérique du Sud. Ses comptes, on le sait, ont toujours été déficitaires ; les dettes l’ont accompagné tout au long de sa vie.
Or, parmi les moyens intelligemment adoptés par Don Bosco pour financer ses œuvres, on peut certainement placer les loteries : une quinzaine ont été organisées par lui, petites et grandes. La première, modeste, fut celle de Turin en 1851 en faveur de l’église Saint François de Sales de Valdocco et la dernière, grandiose, au milieu des années 1880, fut celle pour faire face aux immenses dépenses de l’église et de l’Hospice du Sacré-Cœur de la gare Termini à Rome.
Une véritable histoire de ces loteries reste à écrire, bien que les sources ne manquent pas à cet égard. Ce n’est que pour la première, celle de 1851, que nous avons retrouvé une douzaine d’inédits. Grâce à elles, nous reconstituons son histoire tourmentée en deux épisodes.
La demande d’autorisation
Selon la loi du 24 février 1820 – modifiée par les brevets royaux de janvier 1835 et par les instructions de la Compagnie générale des finances royales du 24 août 1835, puis par les brevets royaux du 17 juillet 1845 – toute loterie nationale (Royaume de Sardaigne) devait faire l’objet d’une autorisation gouvernementale préalable.
Pour Don Bosco, il s’agissait avant tout d’avoir la certitude morale de réussir le projet. Il l’a eue grâce au soutien économique et moral des tout premiers bienfaiteurs : les nobles familles Callori et Fassati et le chanoine Anglesio de Cottolengo. Il se lance donc dans ce qui s’avérera être une authentique entreprise. En peu de temps, il réussit à mettre en place une commission d’organisation, composée au départ de seize personnalités, puis de vingt. Parmi elles, de nombreuses autorités civiles officiellement reconnues, comme un sénateur (nommé trésorier), deux adjoints au maire, trois conseillers municipaux ; puis des prêtres prestigieux comme les théologiens Pietro Baricco, adjoint au maire et secrétaire de la Commission, Giovanni Borel, aumônier de la cour, Giuseppe Ortalda, directeur de l’Opera Pia di Propaganda Fide, Roberto Murialdo, cofondateur du Collegio degli Artigianelli et de l’Association de charité ; enfin, des hommes d’expérience comme un ingénieur, un orfèvre réputé, un négociant en gros, etc. Tous des gens, pour la plupart propriétaires terriens, connus de Don Bosco et « proches » de l’œuvre du Valdocco.
La Commission terminée, Don Bosco transmet, début décembre 1851, la demande formelle à l’Intendant Général des Finances, le Chevalier Alessandro Pernati di Momo (futur Sénateur et Ministre de l’Intérieur du Royaume) ainsi qu’à un « ami » de l’œuvre du Valdocco.
L’appel aux dons
Il joint à la demande d’autorisation une circulaire très intéressante dans laquelle, après avoir retracé l’histoire émouvante de l’Oratoire – apprécié par la famille royale, les autorités gouvernementales et communales – il signale que la nécessité constante d’agrandir l’Œuvre du Valdocco pour accueillir de plus en plus de jeunes consomme les ressources économiques de la bienfaisance privée. C’est pourquoi, pour payer les frais d’achèvement de la nouvelle chapelle en construction, il a été décidé de faire appel à la charité publique par le biais d’une loterie de dons à offrir spontanément : « Ce moyen consiste en une loterie d’objets, que le soussigné a eu l’idée d’entreprendre pour couvrir les frais d’achèvement de la nouvelle chapelle, et à laquelle votre seigneurie voudra sans doute prêter son concours, réfléchissant à l’excellence de l’œuvre à laquelle elle s’adresse. Quel que soit l’objet que Votre Seigneurie voudra offrir, qu’il soit de soie, de laine, de métal ou de bois, qu’il soit l’oeuvre d’un artiste réputé, d’un modeste ouvrier, d’un artisan laborieux ou d’une dame charitable, tout sera accepté avec reconnaissance, parce qu’en matière de charité, chaque petit secours est une grande chose, et parce que les offrandes, même petites, d’un grand nombre peuvent suffire à achever l’oeuvre désirée ».
La circulaire indiquait également les noms des promoteurs à qui les dons pouvaient être remis et des personnes de confiance qui les recueillaient et les gardaient. Les 46 promoteurs comprenaient diverses catégories de personnes : professionnels, professeurs, imprésarios, étudiants, clercs, commerçants, marchands, prêtres ; par contre, parmi les quelque 90 promoteurs, les femmes de la noblesse (baronne, marquise, comtesse et leurs accompagnatrices) semblaient prédominer.
Elle ne manqua pas de joindre à la demande le « plan de la loterie » dans ses multiples aspects formels : collecte des objets, récépissé de livraison des objets, leur évaluation, billets authentifiés à vendre en nombre proportionnel au nombre et à la valeur des objets, leur exposition au public, tirage au sort des gagnants, publication des numéros tirés, heure de la collecte des lots, etc. Une série de tâches exigeantes auxquelles Don Bosco ne s’est pas soustrait. La chapelle de Pinardi ne suffisait plus à ses jeunes : il leur faut une église plus grande, celle prévue de Saint François de Sales (une douzaine d’années plus tard, il leur en faudra une autre encore plus grande, celle de Marie Auxiliatrice !)
Une réponse positive
Compte tenu du sérieux de l’initiative et de la grande « qualité » des membres de la Commission de proposition, la réponse de l’Intendance ne pouvait être que positive et immédiate. Le 17 décembre, le député-maire Pietro Baricco a transmis à Don Bosco le décret correspondant, en l’invitant à transmettre des copies des futurs actes formels de la loterie à l’administration municipale, responsable de la régularité de toutes les exigences légales. A ce moment-là, avant Noël, Don Bosco envoya la circulaire susmentionnée à l’imprimerie, la fit circuler et commença à recueillir des dons.
Il disposait de deux mois pour le faire, car d’autres loteries avaient lieu au cours de l’année. Mais les dons arrivaient lentement et, à la mi-janvier, Don Bosco se vit contraint de réimprimer la circulaire et de demander la collaboration de tous les jeunes du Valdocco et de leurs amis pour écrire des adresses, rendre visite aux bienfaiteurs connus, faire connaître l’initiative et collecter les dons.
Mais le meilleur reste à venir.
La salle d’exposition
Le Valdocco n’ayant pas d’espace pour exposer les dons, Don Bosco demanda à l’adjoint au maire Baricco, trésorier de la commission de la loterie, de demander au ministère de la Guerre trois salles dans la partie du couvent Saint-Dominique mise à la disposition de l’armée. Les pères dominicains acceptaient. Le ministre Alfonso Lamarmora les leur accorda le 16 janvier. Mais Don Bosco se rendit vite compte qu’elles ne seraient pas assez grandes et demanda au roi, par l’intermédiaire de l’aumônier, l’abbé Stanislao Gazzelli, une chambre plus grande. Le surintendant royal Pamparà lui répondit que le roi ne disposait pas de locaux adéquats et proposa de louer à ses frais un local pour le jeu du Trincotto (ou pallacorda : une sorte de tennis à main ante litteram). Ce local ne serait cependant disponible que pour le mois de mars et sous certaines conditions. Don Bosco refusa la proposition mais accepta les 200 lires offertes par le roi pour la location du local. Il se mit alors à la recherche d’une autre salle et en trouva une convenable sur la recommandation de la mairie, derrière l’église Saint-Dominique, à quelques centaines de mètres du Valdocco.
Arrivée des dons
Entre-temps, Don Bosco avait demandé au ministre des Finances, le célèbre comte Camillo Cavour, une réduction ou une exonération des frais de port pour les lettres circulaires, les billets et les cadeaux eux-mêmes. Par l’intermédiaire du frère du comte, le très religieux marquis Gustavo di Cavour, il obtient l’approbation de diverses réductions postales.
Il s’agissait maintenant de trouver un expert pour évaluer le montant des cadeaux et le nombre de billets à vendre. Don Bosco s’adressa à l’intendant et lui proposa aussi le nom : un orfèvre membre de la Commission. L’intendant, cependant, répondit par l’intermédiaire du maire en lui demandant une double copie des cadeaux reçus afin de nommer son propre expert. Don Bosco exécuta immédiatement la demande et le 19 février, l’expert évalua les 700 objets collectés à 4124,20 lires. Au bout de trois mois, on arriva à 1000 dons, au bout de quatre mois à 2000, jusqu’à la conclusion de 3251 dons, grâce à la « quête » continue de Don Bosco auprès des particuliers, des prêtres et des évêques et à ses demandes formelles répétées à la Commune de prolonger le délai pour le tirage. Don Bosco ne manqua pas non plus de critiquer l’estimation faite par l’assesseur municipal des dons qui arrivaient continuellement, qu’il disait inférieure à leur valeur réelle ; et de fait, d’autres assesseurs s’ajoutèrent, en particulier un peintre pour les œuvres d’art.
Le chiffre final est tel que Don Bosco est autorisé à émettre 99.999 billets au prix de 50 centimes l’unité. Au catalogue déjà imprimé des dons numérotés avec le nom du donateur et des promoteurs, on ajouta un supplément avec les derniers dons arrivés. Parmi eux, ceux du Pape, du Roi, de la Reine Mère, de la Reine Consort, des députés, des sénateurs, des autorités municipales, mais aussi de nombreuses personnes modestes, surtout des femmes, qui ont offert des objets ménagers et mobiliers, même de faible valeur (verre, encrier, bougie, carafe, tire-bouchon, bouchon, dé à coudre, ciseaux, lampe, mètre, pipe, porte-clés, savon, taille-crayon, sucrier). Les cadeaux les plus fréquents sont les livres (629) et les tableaux (265). Même les garçons du Valdocco ont rivalisé pour offrir leur propre petit cadeau, peut-être un livret offert par Don Bosco lui-même.
Un travail énorme jusqu’au tirage au sort
À ce moment-là, il fallait imprimer les billets en série progressive sous deux formes (petit talon et billet), les faire signer par deux membres de la commission, envoyer le billet avec une note, documenter l’argent collecté. De nombreux bienfaiteurs ont reçu des dizaines de billets, avec une invitation à les conserver ou à les transmettre à des amis et connaissances.
La date du tirage au sort, initialement fixée au 30 avril, fut reportée au 31 mai, puis au 30 juin, pour se tenir à la mi-juillet. Ce dernier report est dû à l’explosion de la poudrière de Borgo Dora qui a dévasté la région du Valdocco.
Pendant deux après-midi, les 12 et 13 juillet 1852, des billets sont tirés au sort sur le balcon de l’hôtel de ville. Quatre urnes à roue de couleurs différentes contenaient 10 balles (de 0 à 9) identiques et de la même couleur que la roue. Introduites une à une par l’adjoint au maire dans les urnes, puis tournées, huit jeunes gens de l’Oratoire effectuent l’opération et le numéro tiré est proclamé à haute voix puis publié dans la presse. De nombreux cadeaux ont été déposés à l’Oratoire, où ils ont été réutilisés par la suite.
Le jeu en valait-il la chandelle ?
Pour les quelque 74 000 billets vendus, après déduction des frais, il reste à Don Bosco environ 26 000 lires, qu’il partage à parts égales avec l’œuvre voisine de Cottolengo. Un petit capital certes (la moitié du prix d’achat de la maison Pinardi l’année précédente), mais le plus grand résultat du travail exténuant qu’il effectua pour réaliser la loterie – documenté par des dizaines de lettres souvent inédites – fut l’implication directe et sincère de milliers de personnes de toutes les classes sociales dans son « projet naissant du Valdocco » : en le faisant connaître, apprécier et ensuite soutenir économiquement, socialement et politiquement.
Don Bosco a eu recours à plusieurs reprises à des loteries, toujours dans un double but : collecter des fonds pour ses œuvres en faveur des garçons pauvres, pour les missions, et offrir aux croyants (et aux non-croyants) des moyens de pratiquer la charité, le moyen le plus efficace, comme il le répétait continuellement, pour « obtenir le pardon des péchés et s’assurer la vie éternelle ».
« J’ai toujours eu besoin de tous » Don Bosco
Au sénateur Giuseppe Cotta
Giuseppe Cotta, banquier, était un grand bienfaiteur de Don Bosco. La déclaration suivante sur papier timbré, datée du 5 février 1849, est conservée dans les archives : « Les prêtres soussignés T. Borrelli Gioanni de Turin et D. Bosco Gio’ di Castelnuovo d’Asti se déclarent débiteurs de trois mille francs envers le malheureux Cavaliere Cotta qui les leur a prêtés pour une œuvre pieuse. Cette somme doit être remboursée par les soussignés dans un an avec les intérêts légaux ». Signé Prêtre Giovanni Borel, D. Bosco Gio.
Au bas de la même page et à la même date, don Joseph Cafasso écrit : « Le soussigné remercie vivement très Illustre Mr le Chev. Cotta pour ce qui précède et se porte garant auprès de lui pour la somme mentionnée ». Au bas de la page, Cotta signe qu’il a reçu 2 000 lires le 10 avril 1849, 500 lires le 21 juillet 1849 et le solde le 4 janvier 1851.
Devenir un signe d’espérance en eSwatini – Lesotho – Afrique du Sud après 130 ans
Au cœur de l’Afrique australe, entre les beautés naturelles et les défis sociaux d’eSwatini, du Lesotho et de l’Afrique du Sud, les Salésiens célèbrent 130 ans de présence missionnaire. En ce temps de Jubilé, de Chapitre Général et d’anniversaires historiques, la Province d’Afrique du Sud partage ses signes d’espérance : la fidélité au charisme de Don Bosco, l’engagement éducatif et pastoral auprès des jeunes et la force d’une communauté internationale qui témoigne de la fraternité et de la résilience. Malgré les difficultés, l’enthousiasme des jeunes, la richesse des cultures locales et la spiritualité de l’Ubuntu continuent d’indiquer des chemins d’avenir et de communion.
Salutations fraternelles des Salésiens de la plus petite Visitatoria et de la plus ancienne présence dans la Région Afrique-Madagascar (les 5 premiers confrères ont été envoyés par Don Rua en 1896). Cette année, nous remercions les 130 SDB qui ont travaillé dans nos 3 pays et qui intercèdent maintenant pour nous au ciel. « Petit, c’est beau » !
Sur le territoire de l’AFM vivent 65 millions de personnes qui communiquent dans 12 langues officielles, parmi tant de merveilles de la nature et de grandes ressources du sous-sol. Nous sommes parmi les rares pays d’Afrique subsaharienne où les catholiques sont une petite minorité par rapport aux autres Églises chrétiennes, avec seulement 5 millions de fidèles.
Quels sont les signes d’espérance que nos jeunes et la société recherchent ?
En premier lieu, nous cherchons à dépasser les records mondiaux tristement célèbres du fossé croissant entre riches et pauvres (100 000 millionnaires contre 15 millions de jeunes chômeurs), du manque de sécurité et de la violence croissante dans la vie quotidienne, de l’effondrement du système éducatif, qui a produit une nouvelle génération de millions d’analphabètes, aux prises avec diverses dépendances (alcool, drogue…). De plus, 30 ans après la fin du régime d’apartheid en 1994, la société et l’Église sont encore divisées entre les différentes communautés en termes d’économie, d’opportunités et de nombreuses blessures non encore cicatrisées. En effet, la communauté du « Pays de l’Arc-en-ciel » est aux prises avec de nombreuses « lacunes » qui ne peuvent être « comblées » qu’avec les valeurs de l’Évangile.
Quels sont les signes d’espérance que cherche l’Église catholique en Afrique du Sud ?
En participant à la rencontre triennale « Joint Witness » des supérieurs religieux et des évêques en 2024, nous avons constaté de nombreux signes de déclin : moins de fidèles, manque de vocations sacerdotales et religieuses, vieillissement et diminution du nombre de religieux, certains diocèses en faillite, perte/diminution continue d’institutions catholiques (assistance médicale, éducation, œuvres sociales ou médias) en raison de la forte baisse des religieux et des laïcs engagés. La Conférence épiscopale catholique (SACBC – qui comprend le Botswana, l’eSwatini et l’Afrique du Sud) indique comme priorité l’assistance aux jeunes dépendants de l’alcool et d’autres substances diverses.
Quels sont les signes d’espérance que cherchent les Salésiens d’Afrique australe ?
Nous prions chaque jour pour de nouvelles vocations salésiennes, afin de pouvoir accueillir de nouveaux missionnaires. En effet, l’époque de la Province anglo-irlandaise (jusqu’en 1988) est révolue et le Projet Afrique ne comprenait pas la pointe sud du continent. Après 70 ans en eSwatini (Swaziland) et 45 ans au Lesotho, nous n’avons que 4 vocations locales de chaque Royaume. Aujourd’hui, nous n’avons que 5 jeunes confrères et 4 novices en formation initiale. Cependant, la plus petite Visitatoria d’Afrique-Madagascar, avec ses 7 communautés locales, est chargée de l’éducation et de la pastorale dans 6 grandes paroisses, 18 écoles primaires et secondaires, 3 centres de formation professionnelle (TVET) et divers programmes d’aide sociale. Notre communauté provinciale, avec ses 18 nationalités différentes parmi les 35 SDB qui vivent dans les 7 communautés, est un grand don et un défi à relever.
En tant que communauté catholique minoritaire et fragile d’Afrique australe
Nous croyons que la seule voie pour l’avenir est de construire plus de ponts et de communion entre les religieux et les diocèses. Plus nous sommes faibles, plus nous nous efforçons de travailler ensemble. Puisque toute l’Église catholique cherche à se concentrer sur les jeunes, Don Bosco a été choisi par les évêques comme Patron de la Pastorale des Jeunes et sa Neuvaine est célébrée avec ferveur dans la plupart des diocèses et des paroisses au début de l’année pastorale.
En tant que Salésiens et Famille Salésienne, nous nous encourageons constamment les uns les autres : « work in progress » (un travail constant)
Au cours des deux dernières années, après l’invitation du Recteur Majeur, nous avons cherché à relancer notre charisme salésien, avec la sagesse d’une vision et d’une direction commune (à partir de l’assemblée annuelle provinciale), avec une série de petits pas quotidiens dans la bonne direction et avec la sagesse de la conversion personnelle et communautaire.
Nous sommes reconnaissants pour l’encouragement de Don Pascual Chávez lors de notre récent Chapitre Provincial de 2024 : « Vous savez bien qu’il est plus difficile, mais non impossible, de « refonder » que de fonder [le charisme], car il y a des habitudes, des attitudes ou des comportements qui ne correspondent pas à l’esprit de notre Saint Fondateur, Don Bosco, et à son Projet de Vie, et qui ont « droit de cité » [dans la Province]. Il y a vraiment besoin d’une vraie conversion de chaque confrère à Dieu, en tenant l’Évangile comme règle suprême de vie, et de toute la Province à Don Bosco, en assumant les Constitutions comme véritable projet de vie. »
Le conseil de Don Pascual a été voté et l’engagement a été pris : « Devenir plus passionnés de Jésus et plus dédiés aux jeunes », en investissant dans la conversion personnelle (en créant un espace sacré dans notre vie, pour permettre à Jésus de la transformer), dans la conversion communautaire (en investissant dans la formation permanente systématique avec un thème mensuel) et dans la conversion provinciale (en promouvant la mentalité provinciale à travers « One Heart One Soul » – fruit de notre assemblée provinciale) et avec des rencontres mensuelles des directeurs en ligne.
Sur l’image-souvenir de notre Visitatoria « Bienheureux Michel Rua » on voit le visage de tous les 46 confrères et des 4 novices : 35 vivent dans nos 7 communautés, 7 sont en formation à l’étranger et 5 SDB sont en attente de visa : un aux Catacombes San Callisto et un missionnaire qui fait de la chimiothérapie en Pologne. Une bénédiction pour nous est le nombre croissant de confrères missionnaires qui sont envoyés par le Recteur Majeur ou pour une période spécifique par d’autres Provinces africaines pour nous aider (AFC, ACC, ANN, ATE, MDG et ZMB). Nous sommes très reconnaissants à chacun de ces jeunes confrères. Nous croyons qu’avec leur aide, notre espérance de relance charismatique devient tangible. Notre Visitatoria, la plus petite d’Afrique-Madagascar, après presque 40 ans de fondation, n’a pas encore de véritable maison provinciale. La construction a commencé, avec l’aide du Recteur Majeur, seulement l’année dernière. Ici aussi, nous disons : « travaux en cours » …
Nous voulons également partager nos humbles signes d’espérance avec toutes les 92 autres Provinces en cette période précieuse du Chapitre Général. L’AFM a une expérience unique de 31 ans de volontaires missionnaires locaux (impliqués dans la Pastorale des Jeunes du Centre des Jeunes Don Bosco de Johannesburg depuis 1994), et un programme Love Matters pour une croissance sexuelle saine des adolescents depuis 2001. Nos volontaires, engagés pendant une année entière dans la vie de notre communauté, sont des membres précieux de notre Mission et des nouveaux groupes de la Famille Salésienne qui se développent lentement (VDB, Salésiens Coopérateurs et Anciens Élèves de Don Bosco).
Notre maison-mère du Cap célébrera l’année prochaine son cent trentième (130e) anniversaire et, grâce au cent cinquantième (150e) anniversaire des Missions Salésiennes, nous avons réalisé, avec l’aide de la Province de Chine, une « Chambre à la Mémoire de Saint Louis Versiglia », où notre Protomartyr a passé une journée lors de son retour d’Italie en Chine-Macao en mai 1917.
Don Bosco « Ubuntu » – chemin synodal
« Nous sommes ici grâce à vous ! » – Ubuntu est l’une des contributions des cultures d’Afrique du Sud à la communauté mondiale. Le mot en langue Nguni signifie « Je suis parce que vous êtes » (« I’m because you are ! »). Autres traductions possibles : « J’existe parce que vous existez »). L’année dernière, nous avons entrepris le projet « Eco Ubuntu », unprojet de sensibilisation environnementale d’une durée de 3 ans qui implique environ 15 000 jeunes de nos 7 communautés en eSwatini, au Lesotho et en Afrique du Sud. Outre la splendide célébration et le partage du Synode des Jeunes 2024, nos 300 jeunes [qui ont participé] gardent surtout Ubuntu dans leurs souvenirs. Leur enthousiasme est une source d’inspiration. L’AFM a besoin de vous : Nous y sommes grâce à vous !
Marco Fulgaro
La bergère, les brebis et les agneaux (1867)
Dans le passage qui suit, Don Bosco, fondateur de l’Oratoire de Valdocco, raconte à ses jeunes un rêve qu’il a fait dans la nuit du 29 au 30 mai 1867 et qu’il a narré le soir du dimanche de la Sainte Trinité. Dans une plaine immense, les troupeaux et les agneaux deviennent l’allégorie du monde et des jeunes : les prairies luxuriantes ou les déserts arides figurent la grâce et le péché ; les cornes et les blessures dénoncent le scandale et le déshonneur ; le chiffre « 3 » annonce trois famines – spirituelle, morale, matérielle – qui menacent ceux qui s’éloignent de Dieu. De ce récit jaillit l’appel pressant du saint : préserver l’innocence, revenir à la grâce par la pénitence, afin que chaque jeune puisse se revêtir des fleurs de la pureté et participer à la joie promise par le bon Pasteur.
Le dimanche de la Sainte Trinité, 16 juin, jour où vingt-six ans auparavant Don Bosco avait célébré sa première messe, les jeunes attendaient le rêve, dont le récit avait été annoncé par lui le 13. Son ardent désir était le bien de son troupeau spirituel, et sa norme étaient toujours les avertissements et les promesses du chapitre XXVII, v. 23-25 du livre des Proverbes : Diligenter agnosce vultum pecoris tui, tuosque greges considera : non enim habebis iugiter potestatem : sed corona tribuetur in generationem et generationem. Aperta sunt prata, et apparuerunt herbae virentes, et collecta sunt foena de montibus… (Préoccupe-toi de l’état de ton troupeau, prends soin de tes troupeaux, car les richesses ne sont pas éternelles et une couronne ne dure pas pour toujours. Quand le foin a été emporté, l’herbe nouvelle repousse et on recueille les fourrages dans les montagnes, Prov 27,23-25). Dans ses prières, il demandait d’acquérir une connaissance exacte de ses brebis, d’avoir la grâce de veiller sur elles attentivement, d’assurer leur protection même après sa mort et de les voir pourvues d’une bonne nourriture spirituelle et matérielle. Voici comment Don Bosco parla après les prières du soir.
Dans l’une des dernières nuits du mois de Marie, le 29 ou 30 mai, étant au lit et ne pouvant dormir, je pensais à mes chers jeunes et je me disais en moi-même :
– Oh si je pouvais rêver quelque chose qui leur soit profitable !
Je restai un moment à réfléchir et je me résolus :
– Oui ! maintenant je veux faire un rêve pour les jeunes !
Et voilà que je m’endormis. À peine pris par le sommeil, je me trouvai dans une immense plaine couverte d’un nombre infini de grosses brebis, réparties en troupeaux, qui broutaient dans des prairies à perte de vue. Je voulus m’approcher d’elles et je me mis à chercher le berger, m’étonnant qu’il puisse y avoir dans le monde quelqu’un qui possédait un si grand nombre de brebis. Je cherchai un bref moment, quand je vis devant moi un berger appuyé sur son bâton. Je m’approchai immédiatement pour l’interroger et lui demandai :
– À qui appartient ce grand troupeau ?
Le berger ne me répondit pas. Je répétai la question et alors il me dit :
– Que veux-tu savoir ?
– Et pourquoi, lui dis-je, me réponds-tu de cette manière ?
– Eh bien, ce troupeau appartient à son maître !
À son maître ? Je le savais déjà, me dis-je en moi-même. Puis je continuai à haute voix :
– Qui est ce maître ?
– Ne t’inquiète pas, me répondit le berger, tu le sauras.
Alors, parcourant avec lui cette vallée, je me mis à examiner le troupeau et toute cette région où il errait. La vallée était en certains endroits couverte d’une riche verdure avec des arbres étendant de larges frondaisons avec des ombres gracieuses et de l’herbe fraîche dont se nourrissaient de belles et florissantes brebis. Dans d’autres endroits, la plaine était stérile, sablonneuse, pleine de pierres avec des épineux sans feuilles, et des herbes jaunies, et il n’y avait pas un brin d’herbe fraîche ; et pourtant ici aussi il y avait beaucoup d’autres brebis qui paissaient, mais d’apparence misérable.
Je demandais diverses explications à mon guide concernant ce troupeau, et lui, sans donner aucune réponse à mes questions, me dit :
– Tu n’es pas destiné à eux. Tu ne dois pas penser à celles-là. Je te ferai voir le troupeau dont tu dois prendre soin.
– Mais qui es-tu ?
– Je suis le maître ; viens voir avec moi là-bas, de ce côté.
Et il me conduisit à un autre point de la plaine où se trouvaient des milliers et des milliers de petits agneaux. Ceux-ci étaient si nombreux qu’on ne pouvait les compter, mais si maigres qu’ils peinaient à marcher. La prairie était sèche et aride et sablonneuse et on n’y voyait pas un brin d’herbe fraîche, pas un ruisseau, mais seulement quelques buissons desséchés et des broussailles arides. Chaque pâturage avait été complètement détruit par les agneaux eux-mêmes.
On voyait à première vue que ces pauvres agneaux couverts de plaies avaient beaucoup souffert et souffraient encore beaucoup. Chose étrange ! Chacun avait deux cornes longues et grosses qui lui poussaient sur le front, comme s’ils étaient de vieux béliers, et à la pointe des cornes ils avaient un appendice en forme de « S ». Étonné, je restai perplexe en voyant cet étrange appendice d’un genre si nouveau, et je ne pouvais me résoudre à comprendre pourquoi ces agneaux avaient déjà des cornes si longues et si grosses, et avaient déjà détruit si tôt toute leur pâture.
– Comment cela se fait-il ? dis-je au berger. Ces agneaux sont encore si petits et ont déjà de telles cornes ?
– Regarde, me répondit-il ; observe.
En observant plus attentivement, je vis que ces agneaux portaient beaucoup de chiffres « 3 » imprimés sur toutes les parties du corps, sur le dos, sur la tête, sur le museau, sur les oreilles, sur le nez, sur les pattes, sur les ongles.
– Mais que signifie cela ? m’écriai-je. Je ne comprends rien.
– Comment, tu ne comprends pas ? dit le berger. Écoute donc et tu sauras tout. Cette vaste plaine est le grand monde. Les lieux pleins d’herbe, la parole de Dieu et la grâce. Les lieux stériles et arides sont les lieux où l’on n’écoute pas la parole de Dieu et où l’on cherche seulement à plaire au monde. Les brebis sont les hommes faits, les agneaux sont les jeunes et pour ceux-ci, Dieu a envoyé Don Bosco. Ce coin de la plaine que tu vois est l’Oratoire et les agneaux rassemblés ici sont tes enfants. Cet endroit si aride représente l’état de péché. Les cornes signifient le déshonneur. La lettre « S » signifie scandale. Ils vont à la ruine par le mauvais exemple. Parmi ces agneaux, il y en a quelques-uns qui ont les cornes cassées ; ils ont été scandaleux, mais maintenant ils ont cessé de donner du scandale. Le chiffre « 3 » signifie qu’ils portent les peines de leurs fautes, c’est-à-dire qu’ils souffriront trois grandes famines : une famine spirituelle, une famine morale et une famine matérielle : 1° Famine d’aides spirituelles : ils demanderont cette aide et ne l’auront pas. 2° Famine de la parole de Dieu. 3° Famine de pain matériel. Le fait que les agneaux ont tout mangé signifie qu’il ne leur reste plus rien d’autre que le déshonneur et le nombre « 3 », c’est-à-dire les famines. Ce spectacle montre aussi les souffrances actuelles de tant de jeunes au milieu du monde. À l’Oratoire, même ceux qui en seraient indignes ne manquent pas de pain matériel.
Pendant que j’écoutais et observais tout comme quelqu’un qui a perdu la mémoire, voilà une nouvelle merveille. Tous ces agneaux changèrent d’apparence !
Se levant sur leurs pattes arrière, ils devinrent grands et prirent tous la forme de jeunes garçons. Je m’approchai pour voir si j’en connaissais quelques-uns. C’étaient tous des jeunes de l’Oratoire. Il y en avait beaucoup que je n’avais jamais vus, mais tous se disaient fils de notre Oratoire. Et parmi ceux que je ne connaissais pas, il y en avait aussi quelques-uns qui se trouvent actuellement à l’Oratoire. Ce sont ceux qui ne se présentent jamais à Don Bosco, qui ne vont jamais chercher conseil auprès de lui, ceux qui l’évitent, en un mot, ceux que Don Bosco ne connaît pas encore ! L’immense majorité cependant des inconnus était composée de ceux qui n’ont pas été ou qui ne sont pas encore à l’Oratoire.
Pendant que j’observais avec peine cette multitude, celui qui m’accompagnait me prit par la main et me dit :
– Viens avec moi et tu verras autre chose ! – Et il me conduisit dans un endroit reculé de la vallée, entouré de petites collines, ceint d’une haie de plantes luxuriantes, où se trouvait une grande prairie verdoyante, la plus fertile qu’on puisse imaginer, remplie de toutes sortes d’herbes odorantes, parsemée de fleurs des champs, avec de frais bosquets et des ruisseaux d’eaux limpides. Ici, je trouvai un autre grand nombre de fils, tous joyeux, qui avec les fleurs de la prairie s’étaient confectionné ou allaient se confectionner un bel habit.
– Au moins, tu as là ceux qui te donnent de grandes consolations.
– Et qui sont-ils ? demandai-je.
– Ce sont ceux qui se trouvent en grâce de Dieu.
Ah ! je peux dire que je n’ai jamais vu de choses et de personnes aussi belles et éclatantes, ni jamais je n’aurais pu imaginer de telles splendeurs. Il est inutile que je me mette à les décrire, car ce serait gâcher ce qui est impossible à dire si on ne les voit pas. Il m’était cependant réservé un spectacle bien plus surprenant. Pendant que je regardais avec un immense plaisir ces jeunes garçons et que je contemplais beaucoup d’entre eux que je ne connaissais pas encore, mon guide me dit :
– Viens, viens avec moi et je te ferai voir une chose qui te donnera une joie et une consolation plus grandes. – Et il me conduisit dans une autre prairie toute parsemée de fleurs plus belles et plus odorantes que celles déjà vues. Elle avait l’aspect d’un jardin princier. Ici, on apercevait un nombre plus limité de jeunes, mais qui étaient d’une beauté et d’un éclat si extraordinaires qu’ils faisaient oublier ceux que je venais d’admirer. Certains d’entre eux sont déjà à l’Oratoire, d’autres y viendront plus tard.
Le berger me dit :
– Voici ceux qui conservent le beau lys de la pureté. Ils sont encore vêtus de l’étole de l’innocence.
Je regardais, extasié. Presque tous portaient sur la tête une couronne de fleurs d’une beauté indescriptible. Ces fleurs étaient composées d’autres petites fleurs d’une délicatesse surprenante, et leurs couleurs étaient d’une vivacité et d’une variété enchanteresses. Plus de mille couleurs dans une seule fleur, et dans une seule fleur on voyait plus de mille fleurs. Une robe d’une blancheur éclatante descendait à leurs pieds, elle aussi toute entrelacée de guirlandes de fleurs, semblables à celles de la couronne. La lumière charmante qui émanait de ces fleurs revêtait toute la personne et reflétait en elle sa propre gaieté. Les fleurs se reflétaient les unes dans les autres et celles des couronnes dans celles des guirlandes, réverbérant chacune les rayons émis par les autres. Un rayon d’une couleur contrastant avec un rayon d’une autre couleur formait de nouveaux rayons, différents, scintillants et donc à chaque rayon se reproduisaient toujours de nouveaux rayons, si bien que je n’aurais jamais pu croire qu’il y ait au paradis un enchantement si varié. Ce n’est pas tout. Les rayons et les fleurs de la couronne des uns se reflétaient dans les fleurs et dans les rayons de la couronne de tous les autres, comme aussi les guirlandes, et la richesse de la robe des uns se reflétait dans les guirlandes, dans les robes des autres. Les splendeurs ensuite du visage d’un jeune, en rebondissant, se fondaient avec celles du visage des compagnons et se réverbéraient multipliées sur toutes ces petites faces innocentes et rondes, produisant tant de lumière qu’elles éblouissaient la vue et empêchaient de fixer le regard.
Ainsi, en un seul s’accumulaient les beautés de tous les autres compagnons dans une harmonie de lumière ineffable ! C’était la gloire accidentelle des saints. Il n’y a aucune image humaine pour décrire même de loin combien chacun de ces jeunes devenait beau au milieu de cet océan de splendeurs. Parmi eux, j’en observai quelques-uns en particulier, qui sont maintenant ici à l’Oratoire et je suis certain que, s’ils pouvaient voir au moins le dixième de leur actuelle beauté, ils seraient prêts à souffrir le feu, à se laisser couper en morceaux, à subir en somme le plus atroce des martyrs plutôt que de la perdre.
Dès que je pus me remettre un peu de ce spectacle céleste, je me tournai vers le guide et lui dis :
– Mais parmi tant de mes jeunes, il y a donc si peu d’innocents ? Ils sont si peu nombreux ceux qui n’ont jamais perdu la grâce de Dieu ?
Le berger me répondit :
– Comment ? Tu penses que le nombre n’est pas assez grand ? Sache que ceux qui ont eu le malheur de perdre le beau lys de la pureté, et avec cela l’innocence, peuvent encore suivre leurs compagnons dans la pénitence. Regarde : dans cette prairie il y a encore beaucoup de fleurs ; eh bien, ils peuvent s’en servir pour tisser une couronne et une belle robe et même suivre les innocents dans la gloire.
– Suggère-moi encore quelque chose à dire à mes jeunes ! dis-je alors.
– Répète à tes jeunes que s’ils connaissaient combien l’innocence et la pureté sont précieuses et belles aux yeux de Dieu, ils seraient disposés à faire n’importe quel sacrifice pour la conserver. Dis-leur qu’ils se donnent du courage pour pratiquer cette vertu candide, qui surpasse les autres en beauté et en éclat. Car les chastes sont ceux qui crescunt tanquam lilia in conspectu Domini (ils croissent comme des lys devant le Seigneur).
Je voulus alors aller au milieu de mes chers fils, si bellement couronnés, mais je trébuchai sur le sol et, me réveillant, je me suis retrouvé dans mon lit.
Mes chers fils, êtes-vous tous innocents ? Peut-être y en a-t-il quelques-uns parmi vous et je veux m’adresser à eux. Par pitié, ne perdez pas un bien d’une valeur inestimable ! C’est une richesse qui vaut autant que vaut le Paradis, autant que vaut Dieu ! Si vous aviez pu voir comme ces jeunes étaient beaux avec leurs fleurs. L’ensemble de ce spectacle était tel que j’aurais donné n’importe quoi au monde pour jouir encore de cette vision. En fait, si j’étais peintre, je considérerais comme une grande grâce de pouvoir peindre d’une manière ou d’une autre ce que j’ai vu. Si vous connaissiez la beauté d’un innocent, vous vous soumettriez à n’importe quel effort le plus pénible, même à la mort, pour conserver le trésor de l’innocence.
Quant à ceux qui étaient revenus en grâce, bien que cela m’ait apporté une grande consolation, j’espérais cependant que leur nombre serait bien plus grand. Et je restai très étonné en voyant quelqu’un qui semble ici apparemment un bon jeune, mais qui avait là des cornes longues et grosses…
Don Bosco termina par une chaude exhortation à ceux qui ont perdu l’innocence, pour qu’ils s’efforcent volontiers de retrouver la grâce au moyen de la pénitence.
Deux jours plus tard, le 18 juin, Don Bosco remontait le soir sur l’estrade et donna quelques explications de son rêve.
Aucune explication ne serait plus nécessaire concernant le rêve, mais je répéterai ce que j’ai déjà dit. La grande plaine est le monde, et aussi les lieux et l’état d’où ont été appelés ici tous nos jeunes. Le lieu où se trouvaient les agneaux est l’Oratoire. Les agneaux sont tous les jeunes, qui ont été, sont actuellement, et seront à l’Oratoire. Les trois prairies de cet endroit, celle qui est aride, la verte, et celle qui est fleurie, indiquent l’état de péché, l’état de grâce et l’état d’innocence. Les cornes des agneaux sont les scandales qui ont été donnés dans le passé. Ceux qui avaient les cornes cassées ce sont ceux qui ont été scandaleux, mais qui maintenant ont cessé de donner du scandale. Tous ces chiffres « 3 », qu’on voyait imprimés sur chaque agneau, ce sont, comme je l’ai su du berger, trois châtiments que Dieu enverra sur les jeunes : 1° Famine par manque d’aides spirituelles. 2° Famine morale, c’est-à-dire manque d’instruction religieuse et de la parole de Dieu. 3° Famine matérielle, c’est-à-dire manque même de nourriture. Les jeunes resplendissants sont ceux qui se trouvent en grâce de Dieu, et surtout ceux qui conservent encore l’innocence baptismale et la belle vertu de la pureté. Comme elle est grande la gloire qui les attend !
Mettons-nous donc, chers jeunes, à pratiquer courageusement la vertu. Celui qui n’est pas en grâce de Dieu, qu’il s’y mette de bon cœur et donc avec toutes ses forces et avec l’aide de Dieu, qu’il persévère jusqu’à la mort. Que si nous ne pouvons tous être en compagnie des innocents et faire couronne à Jésus, l’Agneau immaculé, nous pouvons au moins le suivre après eux.
Un de vous m’a demandé s’il était parmi les innocents et je lui dis que non et qu’il avait des cornes, mais cassées. Il me demanda encore s’il avait des plaies et je lui dis oui.
– Et que signifient ces plaies ? ajouta-t-il.
Je répondis :
– N’aie pas peur. Elles sont cicatrisées, elles disparaîtront ; ces plaies ne sont plus déshonorantes, comme ne sont pas déshonorantes les cicatrices d’un combattant, qui malgré les nombreuses blessures et l’assaut et les efforts de l’ennemi, sut vaincre et remporter la victoire. Ce sont donc des cicatrices honorables !… Mais il est plus honorable celui qui, combattant vaillamment au milieu des ennemis, ne reçoit aucune blessure. Son intégrité suscite l’émerveillement de tous.
En expliquant ce rêve, Don Bosco dit aussi qu’il ne passera plus beaucoup de temps avant que ces trois maux ne se fassent sentir : – Peste, famine et donc manque de moyens pour faire le bien.
Il ajouta qu’avant trois mois il se passera quelque chose de particulier.
Ce rêve produisit chez les jeunes l’impression et les fruits qu’avaient obtenus très souvent des récits semblables.
(MB VIII 839-845)
Vers les hauteurs ! Saint Pier Giorgio Frassati
« Chers jeunes, notre espérance est Jésus. C’est Lui, comme le disait Saint Jean-Paul II, « qui suscite en vous le désir de faire de votre vie quelque chose de grand […], pour vous améliorer et améliorer la société, la rendant plus humaine et plus fraternelle » (XVe Journée Mondiale de la Jeunesse, Veillée de Prière, 19 août 2000). Restons unis à Lui, demeurons dans son amitié, toujours, en la cultivant par la prière, l’adoration, la Communion eucharistique, la Confession fréquente, la charité généreuse, comme nous l’ont enseigné les bienheureux Pier Giorgio Frassati et Carlo Acutis, qui seront bientôt proclamés Saints. Aspirez à de grandes choses, à la sainteté, où que vous soyez. Ne vous contentez pas de moins. Alors vous verrez grandir chaque jour, en vous et autour de vous, la lumière de l’Évangile » (Pape Léon XIV – homélie Jubilé des jeunes – 3 août 2025).
Pier Giorgio et Don Cojazzi
Le sénateur Alfredo Frassati, ambassadeur du Royaume d’Italie à Berlin, était le propriétaire et le directeur du quotidien La Stampa de Turin. Les Salésiens lui devaient une grande reconnaissance. À l’occasion du grand scandale connu sous le nom « L’affaire de Varazze », où l’on avait cherché à jeter le discrédit sur l’honorabilité des Salésiens, Frassati avait pris leur défense. Alors même que certains journaux catholiques semblaient perdus et désorientés face aux graves accusations, La Stampa, après une enquête rapide, avait anticipé les conclusions de la magistrature en proclamant l’innocence des Salésiens. Aussi, lorsque la famille Frassati demanda un Salésien pour suivre les études des deux enfants du sénateur, Pier Giorgio et Luciana, le Recteur Majeur Don Paolo Albera se sentit obligé d’accepter. Il envoya Don Antonio Cojazzi (1880-1953). C’était l’homme qu’il fallait : bonne culture, tempérament jeune et une capacité de communication exceptionnelle. Don Cojazzi avait obtenu une licence en lettres en 1905, en philosophie en 1906, et le diplôme d’aptitude à l’enseignement de la langue anglaise après un sérieux perfectionnement en Angleterre.
Chez les Frassati, Don Cojazzi devint plus qu’un simple « précepteur » qui suivait les enfants. Il devint un ami, surtout de Pier Giorgio, dont il dira : « Je l’ai connu à dix ans et je l’ai suivi pendant presque tout le collège et le lycée avec des leçons qui, les premières années, étaient quotidiennes ; je l’ai suivi avec un intérêt et une affection qui n’ont cessé de grandir ». Pier Giorgio, devenu l’un des jeunes leaders de l’Action Catholique de Turin, écoutait les conférences et les leçons que Don Cojazzi donnait aux membres du Cercle C. Balbo, suivait avec intérêt la Rivista dei Giovani, montait parfois à Valsalice en quête de lumière et de conseil dans les moments décisifs.
Un moment de notoriété
Pier Giorgio l’eut lors du Congrès National de la Jeunesse Catholique italienne, en 1921, quand cinquante mille jeunes défilèrent dans Rome en chantant et en priant. Pier Giorgio, étudiant en polytechnique, portait le drapeau tricolore du cercle turinois C. Balbo. Les troupes royales, tout à coup, encerclèrent l’énorme cortège et l’assaillirent pour arracher les drapeaux. On voulait empêcher les désordres. Un témoin raconta : « Ils frappent avec les crosses des mousquets, saisissent, brisent, arrachent nos drapeaux. Je vois Pier Giorgio aux prises avec deux gardes. Nous accourons à son aide, et le drapeau, avec la hampe brisée, reste dans ses mains. Emprisonnés de force dans une cour, les jeunes catholiques sont interrogés par la police. Le témoin se souvient du dialogue mené avec les manières et les courtoisies utilisées dans de telles circonstances :
– Et toi, comment t’appelles-tu ?
– Pier Giorgio Frassati, fils d’Alfredo.
– Que fait ton père ?
– Ambassadeur d’Italie à Berlin.
Stupeur, changement de ton, excuses, offre de liberté immédiate.
– Je sortirai quand les autres sortiront.
Pendant ce temps, le spectacle bestial continue. Un prêtre est jeté, littéralement jeté dans la cour avec sa soutane déchirée et une joue ensanglantée… Ensemble, nous nous sommes agenouillés par terre, dans la cour, quand ce prêtre blessé a levé son chapelet et a dit : « Oh ! les jeunes, pour nous et pour ceux qui nous ont frappés, prions ! »
Il aimait les pauvres
Pier Giorgio aimait les pauvres, il allait les chercher dans les quartiers les plus éloignés de la ville, montait les escaliers étroits et sombres, entrait dans les greniers où n’habitent que la misère et la douleur. Tout ce qu’il avait en poche était pour les autres, comme tout ce qu’il avait dans son cœur. Il arrivait à passer les nuits au chevet de malades inconnus. Une nuit où il ne rentrait pas, son père, de plus en plus anxieux, téléphona à la préfecture, aux hôpitaux. À deux heures du matin, il entendit la clé tourner dans la serrure et Pier Giorgio entra. Papa explosa :
– Écoute, tu peux rester dehors le jour, la nuit, personne ne te dit rien. Mais quand tu rentres si tard, préviens, téléphone !
Pier Giorgio le regarda, et avec sa simplicité habituelle répondit :
– Papa, là où j’étais, il n’y avait pas de téléphone.
Les Conférences Saint-Vincent de Paul le virent comme un collaborateur assidu ; les pauvres le connurent comme un consolateur et un secouriste ; les misérables greniers l’accueillirent souvent entre leurs murs sordides comme un rayon de soleil pour leurs habitants délaissés. D’une profonde humilité, il ne voulait pas que ce qu’il faisait soit connu de quiconque.
Mon beau et saint Giorgetto
Début juillet 1925, Pier Giorgio fut frappé et terrassé par une violente attaque de poliomyélite. Il avait 24 ans. Sur son lit de mort, alors qu’une terrible maladie dévastait son dos, il pensa encore à ses pauvres. Sur un billet, d’une écriture presque illisible, il écrivit pour l’ingénieur Grimaldi, son ami : Voici les injections de Converso, la police d’assurance est de Sappa. Je l’ai oubliée, pense à la renouveler.
De retour des funérailles de Pier Giorgio, Don Cojazzi écrit d’un trait un article pour la Rivista dei Giovani : « Je répéterai la vieille phrase, mais très sincère : je ne croyais pas l’aimer autant. Mon beau et saint Giorgetto ! Pourquoi ces mots me chantent-ils avec insistance dans le cœur ? Parce que je les ai entendus répéter, je les ai entendus prononcer pendant presque deux jours, par son père, sa mère, sa sœur, d’une voix qui disait toujours et ne répétait jamais. Et pourquoi me viennent en mémoire certains vers d’une ballade de Deroulède : « On parlera de lui longtemps, dans les palais dorés et dans les chaumières perdues ! Car les taudis et les greniers, où il passa tant de fois comme un ange consolateur, parleront aussi de lui. » Je l’ai connu à dix ans et je l’ai suivi pendant presque tout le collège et une partie du lycée… Je l’ai suivi avec une affection et un intérêt croissants jusqu’à sa transfiguration actuelle… J’écrirai sa vie. Il s’agit de la collecte de témoignages qui présentent la figure de ce jeune dans la plénitude de sa lumière, dans la vérité spirituelle et morale, dans le témoignage lumineux et contagieux de bonté et de générosité. »
Le best-seller de l’édition catholique
Encouragé et poussé également par l’archevêque de Turin, Mgr Giuseppe Gamba, Don Cojazzi se mit au travail avec ardeur. Les témoignages arrivèrent nombreux et qualifiés, ils furent ordonnés et examinés avec soin. La mère de Pier Giorgio suivait le travail, donnait des suggestions, fournissait du matériel. En mars 1928, la vie de Pier Giorgio est publiée. Luigi Gedda écrit : « Ce fut un succès retentissant. En seulement neuf mois, 30 000 exemplaires du livre furent épuisés. En 1932, 70 000 exemplaires avaient déjà été diffusés. En 15 ans, le livre sur Pier Giorgio atteignit 11 éditions, et fut peut-être le best-seller de l’édition catholique à cette époque. » La figure mise en lumière par Don Cojazzi fut un étendard pour l’Action Catholique pendant la période difficile du fascisme. En 1942, 771 associations de jeunes de l’Action Catholique, 178 sections aspirantes, 21 associations universitaires, 60 groupes d’étudiants du secondaire, 29 conférences de Saint-Vincent de Paul, 23 groupes d’Évangile… avaient pris le nom de Pier Giorgio Frassati. Le livre fut traduit dans au moins 19 langues. Le livre de Don Cojazzi marqua un tournant dans l’histoire de la jeunesse italienne. Pier Giorgio fut l’idéal désigné sans aucune réserve : quelqu’un qui a su démontrer qu’être chrétien jusqu’au bout n’est pas du tout utopique, ni fantastique.
Pier Giorgio Frassati marqua également un tournant dans l’histoire de Don Cojazzi. Ce billet écrit par Pier Giorgio sur son lit de mort lui révéla de manière concrète, presque brutale, le monde des pauvres. Don Cojazzi lui-même écrit : « Le Vendredi Saint de cette année (1928), avec deux universitaires, j’ai visité pendant quatre heures les pauvres en dehors de la Porta Metronia. Cette visite m’a procuré une leçon et une humiliation très salutaires. J’avais beaucoup écrit et parlé sur les Conférences Saint-Vincent de Paul… et pourtant je n’étais jamais allé une seule fois visiter les pauvres. Dans ces taudis sordides, les larmes me sont souvent venues aux yeux… La conclusion ? La voici claire et crue pour moi et pour vous : moins de belles paroles et plus de bonnes œuvres. »
Le contact vivant avec les pauvres n’est pas seulement une mise en œuvre immédiate de l’Évangile, mais une école de vie pour les jeunes. C’est la meilleure école pour les jeunes, pour les éduquer et les maintenir dans le sérieux de la vie. Qui va visiter les pauvres et touche du doigt leurs plaies matérielles et morales, comment peut-il gaspiller son argent, son temps, sa jeunesse ? Comment peut-il se plaindre de ses propres travaux et douleurs, quand il a connu, par expérience directe, que d’autres souffrent plus que lui ?
Ne pas vivoter, mais vivre !
Pier Giorgio Frassati est un exemple lumineux de sainteté juvénile, actuel, qui « cadre » avec notre époque. Il atteste une fois de plus que la foi en Jésus-Christ est la religion des forts et des vraiment jeunes, qui seule peut illuminer toutes les vérités avec la lumière du « mystère » et qui seule peut donner la joie parfaite. Son existence est le modèle parfait de la vie normale à la portée de tous. Lui, comme tous les disciples de Jésus et de l’Évangile, commença par les petites choses ; il atteignit les hauteurs les plus sublimes à force de se soustraire aux compromis d’une vie médiocre et sans signification et en employant son entêtement naturel dans de fermes résolutions. Tout, dans sa vie, lui fut un marchepied pour monter, même ce qui aurait dû être un obstacle. Parmi ses compagnons, il était l’animateur intrépide et exubérant de toute entreprise, attirant autour de lui tant de sympathie et tant d’admiration. La nature lui avait été généreuse : famille renommée, riche, esprit solide et pratique, physique imposant et robuste, éducation complète, rien ne lui manquait pour se faire une place dans la vie. Mais il n’entendait pas vivoter, mais plutôt conquérir sa place au soleil, en luttant. C’était une trempe d’homme et une âme de chrétien.
Sa vie avait en elle-même une cohérence qui reposait sur l’unité de l’esprit et de l’existence, de la foi et des œuvres. La source de cette personnalité si lumineuse était dans sa profonde vie intérieure. Frassati priait. Sa soif de la Grâce lui faisait aimer tout ce qui remplit et enrichit l’esprit. Il s’approchait chaque jour de la Sainte Communion, puis restait au pied de l’autel, longtemps, sans que rien ne puisse le distraire. Il priait sur les montagnes et en chemin. Ce n’était cependant pas une foi ostentatoire, même s’il faisait de grands signes de croix sur la voie publique en passant devant les églises, même s’il récitait le chapelet à haute voix, dans un wagon de chemin de fer ou dans une chambre d’hôtel. Mais c’était plutôt une foi vécue si intensément et sincèrement qu’elle jaillissait de son âme généreuse et franche avec une simplicité qui convainquait et émouvait. Sa formation spirituelle se renforçait dans les adorations nocturnes dont il fut un fervent promoteur et un participant assidu. Il fit plus d’une fois les exercices spirituels, qui lui procuraient sérénité et vigueur spirituelle.
Le livre de Don Cojazzi se termine par la phrase : « Il suffit de l’avoir connu ou d’avoir entendu parler de lui pour l’aimer, et l’aimer, c’est le suivre. » Le souhait est que le témoignage de Piergiorgio Frassati soit « sel et lumière » pour tous, surtout pour les jeunes d’aujourd’hui.
La conversion
Dialogue entre un homme récemment converti au Christ et un ami incroyant :
– Alors tu t’es converti au Christ ?
– Oui.
– Alors tu dois savoir beaucoup de choses sur lui. Dis-moi, dans quel pays est-il né ?
– Je ne sais pas.
– Quel âge avait-il quand il est mort ?
– Je ne sais pas.
– Combien de livres a-t-il écrits ?
– Je ne sais pas.
– Tu en sais décidément bien peu pour un homme qui prétend s’être converti au Christ !
– Tu as raison. J’ai honte du peu que je sais sur lui. Mais ce que je sais, c’est qu’il y a trois ans, j’étais un ivrogne. J’étais très endetté. Ma famille s’effondrait. Ma femme et mes enfants redoutaient mon retour à la maison tous les soirs. Mais aujourd’hui, j’ai arrêté de boire, nous n’avons plus de dettes, notre foyer est heureux, mes enfants attendent avec impatience que je rentre le soir. Tout cela, le Christ l’a fait pour moi. Voilà ce que je sais du Christ.
Ce qui importe le plus, c’est précisément la manière dont Jésus change notre vie. Il faut le souligner avec force : suivre Jésus, c’est changer notre regard sur Dieu, sur les autres, sur le monde et sur nous-mêmes. C’est une autre façon de vivre et une autre façon de mourir que celle préconisée par l’opinion courante. C’est le mystère de la « conversion ».