26 Déc 2025, ven

Entretien avec le père Xavier ERNST, supérieur de la Province France – Belgique Sud

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Le père Xavier Ernst, né en Belgique en 1981, est le nouveau supérieur de la Province France-Belgique Sud. Ayant grandi dans une famille avec une sœur adoptive porteuse de trisomie 21, il a découvert sa vocation lors d’une retraite, frappé par la proximité de Don Bosco avec les jeunes. Après sa formation entre l’Espagne, la Belgique et Rome, il a été ordonné prêtre en 2013 à Liège. À travers la métaphore du cyclisme, si chère à son expérience personnelle, le père Xavier décrit le service du Provincial comme un ministère d’accompagnement entièrement tourné vers les jeunes. Sa province fait face à des défis importants : les vocations, l’accompagnement des aînés et la reconfiguration des présences. Dans une France et une Belgique sécularisées, il note un réveil spirituel chez les jeunes qui cherchent authenticité et profondeur. Son objectif reste fidèle à Don Bosco : l’option préférentielle pour les plus pauvres, en misant sur des expériences de rencontre personnelle avec le Christ.

Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis né le 30 octobre 1981 à Verviers, en Belgique, vingt minutes après mon frère jumeau, Samuel. J’ai suivi des études d’assistant social et j’ai travaillé pendant deux ans comme éducateur, d’abord dans un centre thérapeutique pour adolescents à Bruxelles, puis dans un lieu de vie pour jeunes en difficulté. J’ai fait mon noviciat en Espagne et j’ai prononcé mes premiers vœux le 16 août 2005 à Grenade. Après avoir étudié la philosophie à Burgos, je suis retourné en Belgique, à Bruxelles, pour deux ans de stage pratique. Pour la théologie, je suis de nouveau parti à l’étranger : à Rome, en Italie. J’ai été ordonné diacre dans la basilique du Sacro Cuore, avec mes compagnons de Gerini. J’ai effectué mon service diaconal à la paroisse salésienne de Liège, où j’ai été ordonné prêtre le 20 mai 2013. Après quatre ans passés dans la pastorale de l’école et de la paroisse de Liège, j’ai été appelé à être délégué provincial pour la Pastorale des Jeunes en France et en Belgique-Sud. Ces trois dernières années, j’étais également curé du sanctuaire national Saint-Jean-Bosco à Paris.

Cher Père Xavier, cette fois, vous êtes en tête du peloton des salésiens de France et de Belgique. Pour un champion comme vous, c’est une juste reconnaissance et un honneur. Le maillot jaune est à vous. Allons-nous gagner ce Tour spécial ?
Non, le maillot jaune n’est pas à moi, il appartiendra toujours aux jeunes ! Sinon, ce maillot ne serait pas salésien ! Dans un Grand Tour, on parle beaucoup de celui qui gagne, mais il y a aussi tous ceux qui, silencieusement, rendent la victoire possible. Je pense en particulier aux « porteurs d’eau » qui, lors des ascensions des cols de haute montagne, font d’incessants allers-retours entre les voitures de l’équipe et les champions pour leur apporter de l’eau et les désaltérer. J’aime penser au service du Provincial comme à celui d’un porteur d’eau qui va à la rencontre de ceux qui ont soif. La fatigue sera toujours supportable si elle permet aux jeunes qui nous sont confiés de remporter la victoire du Paradis.

Pouvez-vous nous raconter quelque chose de votre vie (y compris le vélo) ?
Je dois beaucoup à la vie : mes parents, leur choix d’avoir adopté une sœur porteuse de trisomie 21 (elle a donc quelque chose de plus que moi : le chromosome de la joie). Magali ne gagnera jamais aucune course cycliste, mais elle a déjà remporté la plus belle des victoires : celle de l’Amour. J’ai eu la chance de grandir dans une famille aimante avec trois frères et une sœur. Aujourd’hui, je m’amuse beaucoup avec mes neveux et nièces.
Je dois aussi beaucoup à mes grands-parents, qui avaient une foi profondément ancrée dans leur cœur et dans leur corps. Mon grand-père, qui était aussi mon parrain, a fait du vélo jusqu’à ses 80 ans. Je me souviens, quand j’étais petit : il m’accompagnait avec la main dans le dos pour m’aider à gravir la côte de son village. Quand le Recteur Majeur demande souvent « quel est ton Cafasso ? » pour rappeler l’importance du directeur spirituel, je pense à cette image de la main de mon grand-père qui soutient, qui accompagne, qui donne de la force… sans prendre le guidon à ma place.
Ce peloton familial incarne parfaitement l’esprit de famille si cher à Don Bosco.

Comment avez-vous rejoint l’équipe salésienne ?
J’ai rencontré Don Bosco et l’esprit salésien lors d’une retraite dans une maison de spiritualité salésienne à Farnières, en Belgique. J’ai été frappé par une vignette de bande dessinée montrant le jeune Jean Bosco disant à son accompagnateur, Don Calosso : « Plus tard, je serai prêtre, mais pas comme tous ces prêtres loin des jeunes, que nous n’osons pas approcher, qui inspirent le respect par la peur et la crainte ». En Don Bosco, j’ai trouvé mes aspirations les plus profondes qui grandissaient en moi : la vocation de prêtre-éducateur, vivant en communauté, au milieu des jeunes, avec la devise : « éduquer en évangélisant et évangéliser en éduquant ».

Pour votre province franco-belge, y a-t-il beaucoup de cols et de secteurs pavés difficiles ?
Oh que oui ! Le plus grand défi est à la fois la pastorale des vocations et l’accompagnement de nos frères plus âgés. Nous devons aussi reconfigurer nos présences de communautés salésiennes : prendre la décision difficile de fermer certaines maisons et, peut-être, d’en ouvrir d’autres.

La France aimait beaucoup Don Bosco, peut-être aussi pour son visage honnête de montagnard savoyard, et Don Bosco le lui rendait de tout son cœur. Comment les Salésiens sont-ils perçus aujourd’hui ?
Il existe un lien intrinsèque entre Don Bosco et la France : d’abord, parce qu’il a adopté le nom « salésien » d’un saint savoyard français. Ensuite, il a beaucoup voyagé à travers la France, prêchant et récoltant des fonds considérables pour ses œuvres de charité, notamment pour la construction de la basilique du Sacré-Cœur à Rome. Don Bosco est très connu dans l’Église de France et de Belgique. De nombreux lieux et centres de jeunes portent son nom, même s’ils ne sont pas salésiens. Les Salésiens, épaulés par de nombreux laïcs engagés, sont appréciés pour leur présence auprès des jeunes, en particulier dans le système scolaire et le réseau d’action sociale.

Quelles sont les œuvres phares de votre Province ?
Entre Nice en France, où Don Bosco envoya les quatre premiers salésiens en 1875 (deux jours avant d’envoyer les missionnaires en Patagonie), et Liège en Belgique, qui est la dernière maison voulue par Don Bosco de son vivant, les œuvres salésiennes phares en France et en Belgique sont nombreuses : ce sont toutes celles qui restent fidèles à notre Fondateur en accueillant les jeunes les plus pauvres ! Le Chapitre Général 29 l’a rappelé avec force : l’option préférentielle pour les plus pauvres doit rester notre critère prioritaire. Je voudrais souligner notre dernière présence ouverte en Guadeloupe, dans le département le plus pauvre de France.

Que pensez-vous des jeunes de Belgique et de France ?
Dans une société fortement sécularisée, nous assistons à une sorte de « réveil spirituel ». Dans un monde où tout se vaut, les jeunes ont une soif ardente de repères, de profondeur et d’authenticité. Ils font également preuve d’une grande générosité dans leur engagement pour diverses causes. Dans un contexte de peur de l’autre, les jeunes ont le goût de la rencontre et du dépassement des préjugés.

Quels sont les plans pour une « échappée » décisive ? Sur quoi la pastorale des jeunes doit-elle miser ?
Pour gagner une course cycliste, il y a des stratégies bien étudiées, mais elles ne fonctionnent pas toujours. Il y a aussi des coups gagnants dictés par une bonne intuition, comme le souffle de l’Esprit Saint que personne n’attendait. À mon avis, notre pastorale des jeunes doit se concentrer sur des expériences de rencontre personnelle avec le Christ, des expériences synodales impliquant jeunes et adultes de vocations diverses, des expériences qui permettent la mixité socio-culturelle entre les jeunes.

Quelle est la ligne d’arrivée ?
La ligne d’arrivée, c’est le Paradis. Comme Don Bosco l’a dit à ses jeunes tombés au combat : « Je vous attends tous au Paradis ». Mais ce Paradis, cette vie éternelle, ce Royaume de Dieu se vit déjà ici et maintenant.

P. Bruno FERRERO

Salésien de Don Bosco, expert en catéchèse, auteur de plusieurs livres. Il a été directeur éditorial de la maison d'édition salésienne Elledici. Il est le rédacteur en chef du journal italien 'Il Bollettino Salesiano', en version imprimée.