16 Déc 2025, mar

Don Bosco et la bonne presse : une lettre retrouvée

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La découverte d’une lettre inédite de Don Bosco est toujours l’occasion de mettre en lumière des aspects moins connus de son activité pastorale, éducative et éditoriale. Le document présenté ici, récemment retrouvé et aujourd’hui conservé aux Archives Salésiennes Centrales de Rome, s’inscrit dans la vaste correspondance du saint turinois et confirme sa vision pédagogique : privilégier un langage simple et accessible, capable de toucher les paysans, les ouvriers et les personnes peu instruites plutôt que les intellectuels. À travers cette lettre, rédigée dans le contexte des Lectures catholiques, se dégagent non seulement le respect des normes diocésaines de l’époque, mais aussi sa conscience lucide du rôle de la « bonne presse » à une période de grandes transformations politiques, culturelles et religieuses.

Le contexte du document
Il s’agit de la période précédant la naissance du Royaume d’Italie (1861), dix ans après l’octroi dans le royaume de Savoie de la liberté de la presse (1848), une liberté qui avait été accueillie même par ceux qui auparavant n’étaient pas libres de propager leurs idées religieuses (diverses dénominations protestantes, juifs…). Don Bosco, qui s’était déjà engagé depuis un certain temps dans la publication de livres et de brochures pour la jeunesse et le peuple, en particulier des textes de dévotion et de formation, s’engagea alors directement dans la défense de la foi catholique qu’il voyait menacée.
En 1853, à la demande des évêques du Piémont et en collaboration avec l’évêque d’Ivrea, Monseigneur Luigi Moreno, Don Bosco avait commencé la série « Letture cattoliche » (Lectures catholiques), une publication mensuelle de quelques dizaines de pages, d’un format réduit, avec une orientation didactique, parfois polémique. Ses propres écrits et ceux d’autres auteurs y avaient été publiés. À partir de 1862, il est imprimé au Valdocco et distribué dans toute l’Italie grâce à un réseau enviable de prêtres et de laïcs prêts à devenir les promoteurs de ce que l’on appellera plus tard « la bonne presse ». Parmi les nombreux prêtres qui, pour diverses raisons, mettaient les pieds au Valdocco, peut-être pour recommander à Don Bosco certains enfants du village, il y eut un jour le « marguillier » de la paroisse de Grignasco (Novara), don Bernardino Francione, un prêtre plutôt cultivé. Vu l’imprimerie salésienne et la série des « Lectures catholiques », il a dû avoir l’idée de publier lui-même, dans la même série, un livret sur le sacrement de la Confirmation.

Cela dit, quelque temps plus tard, il envoya le manuscrit à Don Bosco qui, par respect pour le règlement diocésain en vigueur, le soumit au censeur ecclésiastique établi par l’archevêque Monseigneur Luigi Fransoni (en exil depuis 1850 à Lyon).
Le jugement du censeur inconnu – qui connaissait apparemment bien le caractère populaire des « Letture Cattoliche » de Don Bosco – fut le suivant : « L’ouvrage est bon et pourrait être imprimé sans difficulté, s’il était destiné aux personnes instruites ; mais pour ces lectures, il serait nécessaire d’éliminer tout ce qui ressemble à une objection : rendre les mots et les phrases aussi populaires que possible, ajouter quelques comparaisons ou exemples qui peuvent laisser des sentiments moraux dans les classes inférieures et chez les chrétiens peu éduqués ».

Une annotation importante
Don Bosco devait partager pleinement ce jugement : il s’intéressait aux enfants, aux jeunes, à la population italienne semi-analphabète, et non aux intellectuels ou aux « savants ». Les séries qu’il dirigeait avaient une cible très simple, la classe populaire composée de paysans, d’ouvriers, d’artisans, de mères de famille. Et dans cette perspective, au jugement modérément positif du critique, il ajoute sa propre annotation significative : « Mon sentiment, cependant, serait que vous supposez parler à vos paroissiens et les instruire sur le sacrement dont nous parlons ici et sur la manière de bien faire la première communion ». Il demanda donc à son interlocuteur Don Francione – à qui il attribuait à tort le titre de curé (qui était plutôt Don Giuseppe Boroli) – un texte écrit ayant la saveur du parlé, du familier, de la prédication populaire, avec diverses suggestions pour la vie morale, selon les critères les plus courants de la mentalité populaire de l’époque.

La réussite des lectures catholiques
Il ne semble pas que la brochure du prêtre susmentionné ait été imprimée dans les « Lectures catholiques », ni ailleurs : le nom de l’auteur et le titre du livre ne figurent pas dans l’encyclopédie des écrits imprimés du 19e siècle. Il n’en reste pas moins que les « Lectures catholiques » ont connu un immense succès. Tirées d’abord à environ 3.000 exemplaires, elles atteignent environ 12.000 dans les années 1870 : une énormité pour l’époque. Maintenues à des prix très bas, elles constituent le « fleuron » de l’imprimerie du Valdocco, qui met évidemment sur le marché des centaines d’autres volumes, depuis les grands dictionnaires et les textes pour les écoles jusqu’aux opérettes hagiographiques et apologétiques, en passant par les livres et les brochures sur l’histoire, l’instruction religieuse, le caractère dévotionnel et les circonstances.

Voici également la lettre.

Turin, 10 juillet 58
Très illustre Monsieur Provost,
Je vous envoie l’original de votre ouvrage sur le sacrement de la confirmation. Le jugement de la Revue ecclésiastique pour les lectures catholiques est le suivant :
« L’ouvrage est bon et pourrait être imprimé sans difficulté, s’il est destiné aux dévots ; mais pour ces lectures, il serait nécessaire d’enlever tout ce qui a l’apparence d’une objection ; de vulgariser les mots et les phrases autant que possible ; d’ajouter quelques simagrées ou exemples qui peuvent laisser des sentiments moraux dans les classes inférieures et chez les chrétiens peu instruits « .
Mon sentiment serait cependant que vous vous adressiez à vos paroissiens pour les instruire du sacrement dont nous parlons ici et de la manière de bien faire la première communion, comme nous l’avons dit lorsque j’ai eu le plaisir de vous voir ici à l’Oratoire.
Quoi qu’il en soit, comptez toujours sur moi parmi ceux qui s’offrent de tout cœur.Votre très humble serviteur, Jean Bosco, prêtre.

P. Francesco MOTTO

Salésien de Don Bosco, expert de St Jean Bosco, auteur de plusieurs livres. Docteur en histoire et en théologie, conférencier invité à l'Université pontificale salésienne. Cofondateur et directeur pendant 20 ans de l'Institut historique salésien (ISS) et de la revue 'Recherches historiques salésiennes' (1992-2012), il est l'un des fondateurs de l'Association des chercheurs en histoire salésienne (ACSSA), dont il est actuellement le président (2015-2023). Il a été consultant auprès de la Congrégation pour les Causes des Saints (2009-2014).