11 Nov 2025, mar

⏱️ Temps de lecture : 4 min.

En ces temps où les nouvelles, jour après jour, nous rapportent des expériences de conflit, de guerre et de haine, le risque est grand que nous, en tant que croyants, finissions par être entraînés dans une lecture des événements qui se réduit seulement au niveau politique, ou que nous nous limitions à prendre position en faveur d’une partie ou de l’autre avec des arguments qui reflètent nore manière de voir les choses, notre manière d’interpréter la réalité.

Dans le discours de Jésus qui suit les béatitudes, il y a une série de « petites/grandes leçons » que le Seigneur nous offre. Elles commencent toujours par le verset « vous avez entendu qu’il a été dit ». Dans l’une d’elles, le Seigneur rappelle l’ancien dicton « œil pour œil et dent pour dent » (Mt 5,38).
En dehors de la logique de l’Évangile, cette loi non seulement n’est pas contestée, mais elle peut même être prise comme une règle qui exprime la manière de rétablir les comptes avec ceux qui nous ont offensés. Obtenir vengeance est perçu comme un droit, voire même comme un devoir.
Jésus se présente devant cette logique avec une proposition complètement différente, totalement opposée. À l’inverse de ce que nous avons entendu, Jésus nous dit : « Mais moi, je vous dis » (Mt 5,39). Et ici, en tant que chrétiens, nous devons faire très attention. Les paroles de Jésus qui suivent sont importantes non seulement pour elles-mêmes, mais parce qu’elles expriment de manière très synthétique tout son message. Jésus ne vient pas pour nous dire qu’il y a une autre façon d’interpréter la réalité. Jésus ne vient pas à nous pour élargir l’éventail des opinions à propos des réalités terrestres, en particulier de celles qui touchent notre vie. Jésus n’est pas une autre opinion, mais il incarne lui-même la proposition alternative à la loi de la vengeance.
La phrase « mais moi, je vous dis » est d’une importance fondamentale car ce n’est plus la parole prononcée, mais la personne même de Jésus. Ce que Jésus nous communique, il le vit. Quand Jésus dit « de ne pas vous opposer au méchant ; au contraire, si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre » (Mt 5,39), ces mêmes paroles, il les a vécues en personne. Nous ne pouvons certainement pas dire de Jésus qu’il prêche bien mais que son message n’est pas approprié.
Pour en revenir à notre époque, ces paroles de Jésus risquent d’être perçues comme les paroles d’une personnalité faible, la réaction de quelqu’un qui n’est plus capable de réagir mais seulement de subir. Et de fait, quand nous regardons Jésus qui s’offre complètement sur le bois de la Croix, c’est l’impression que nous pouvons avoir. Et pourtant, nous savons très bien que le sacrifice sur la croix est le fruit d’une expérience qui part de la phrase « mais moi, je vous dis ». Car tout ce que Jésus nous a dit, il a fini par l’assumer pleinement. Et en l’assumant pleinement, il a réussi à passer de la croix à la victoire. La logique de Jésus est une logique qui, apparemment, est celle d’un perdant. Mais nous savons très bien que le message que Jésus nous a laissé, et qu’il a vécu pleinement, est le remède dont ce monde a vraiment besoin aujourd’hui.

Être prophètes du pardon signifie choisir le bien comme réponse au mal. Cela signifie avoir la certitude que la puissance du malin ne conditionnera pas ma façon de voir et d’interpréter la réalité. Le pardon n’est pas la réponse du faible. Le pardon est le signe le plus éloquent d’une liberté capable de reconnaître les blessures que le mal laisse derrière lui, mais avec la conviction que ces mêmes blessures ne seront jamais une poudrière qui fomente la vengeance et la haine.
Réagir au mal par le mal ne fait qu’élargir et approfondir les blessures de l’humanité. La paix et la concorde ne croissent pas sur le terrain de la haine et de la vengeance.

Être prophètes de la gratuité exige de nous la capacité de regarder le pauvre et l’indigent non pas avec la logique du profit, mais avec la logique de la charité. Le pauvre ne choisit pas d’être pauvre, mais celui qui possède a la possibilité de choisir d’être généreux, bon et plein de compassion. Combien le monde serait différent si nos leaders politiques, dans ce scénario où les conflits et les guerres se multiplient, avaient la sagesse de regarder ceux qui paient le prix de ces divisions, les pauvres, les marginalisés, ceux qui ne peuvent pas s’échapper parce qu’ils n’en ont pas les moyens !
Si nous partons d’une lecture purement horizontale, il y a de quoi désespérer. Il ne nous reste plus qu’à rester enfermés dans nos murmures, dans nos critiques. Mais non ! Nous sommes des éducateurs de jeunes. Nous savons bien que ces jeunes, dans notre monde, cherchent des points de référence d’une humanité saine, de leaders politiques capables d’interpréter la réalité avec des critères de justice et de paix. Mais quand nos jeunes regardent autour d’eux, nous savons bien qu’ils ne perçoivent que le vide d’une vision pauvre de la vie.
Nous qui sommes engagés dans l’éducation des jeunes avons une grande responsabilité. Il ne suffit pas de commenter l’obscurité que laisse une absence presque complète de leadership. Il ne suffit pas de commenter qu’il n’y a pas de propositions capables d’enflammer la mémoire des jeunes. Il appartient à chacun et à chacune de nous d’allumer une bougie d’espoir au milieu de cette obscurité, d’offrir des exemples d’humanité réussie au quotidien.
Il vaut vraiment la peine aujourd’hui d’être prophètes du pardon et de la gratuité.

P. Fabio ATTARD

Recteur Majeur des Salésiens de Don Bosco