11 Nov 2025, mar

⏱️ Temps de lecture : 7 min.

Le récit onirique qui suit, raconté par Don Bosco le soir du 24 octobre 1878, est bien plus qu’un simple divertissement pour les jeunes de l’Oratoire. À travers l’image délicate des agneaux surpris par une violente tempête estivale, le saint éducateur dessine une allégorie vivante des vacances scolaires : un temps apparemment insouciant, mais chargé de dangers spirituels. La prairie accueillante représente le monde extérieur, la grêle symbolise les tentations, tandis que le jardin protégé fait allusion à la sécurité offerte par la vie de grâce, les sacrements et la communauté éducative. Dans ce rêve, qui devient catéchèse, Don Bosco rappelle à ses garçons — et à nous — l’urgence de veiller, de recourir à l’aide divine et de se soutenir mutuellement pour revenir intacts à la vie quotidienne.


            Du départ en vacances et du retour, pas de nouvelles cette année, si ce n’est un rêve sur les effets que produisent habituellement les vacances. Don Bosco l’a raconté dans la soirée du 24 octobre. Dès qu’il en fit l’annonce, tous manifestèrent leur contentement.

            Je suis heureux de revoir mon armée de soldats contra diabolum (contre le diable). Cette expression, bien que latine, est comprise même par Cottino. J’aurais beaucoup de choses à vous dire, car c’est la première fois que je vous parle après les vacances. Mais pour l’instant, je veux vous raconter un rêve. Vous savez que les rêves se font pendant le sommeil et qu’il ne faut pas y croire ; mais s’il n’y a pas de mal à ne pas y croire, parfois il n’y a pas de mal non plus à y croire, car ils peuvent même servir d’instruction, comme, par exemple, celui-ci.
            J’étais à Lanzo lors de notre première retraite spirituelle et je dormais, quand, comme je l’ai dit, j’ai fait un rêve. Je me trouvais dans un endroit dont je ne pouvais pas savoir quelle région c’était, mais c’était près d’un village où il y avait un jardin, et près de ce jardin une vaste prairie. J’étais en compagnie de quelques amis qui m’invitèrent à entrer dans le jardin. J’y suis entré et j’ai vu un grand nombre de petits agneaux qui sautaient, couraient, faisaient des cabrioles selon leur habitude. Et voilà qu’une porte s’ouvre sur le pré et que ces petits agneaux courent dehors pour brouter.
            Cependant beaucoup ne songent pas à sortir, mais restent dans le jardin, allant çà et là, broutant quelques brins d’herbe. Ils se nourrissaient ainsi, bien qu’il n’y eût pas d’herbe aussi abondante que dans le pré où le plus grand nombre était accouru. – Je veux voir ce que font ces petits agneaux dehors, me dis-je. Nous sommes allés dans le pré et nous les avons vus en train de brouter tranquillement. Mais voici que, presque aussitôt, le ciel s’est assombri, des éclairs et le tonnerre ont suivi, et l’orage s’est approché.
            – Qu’adviendra-t-il de ces petits agneaux s’ils sont pris dans l’orage ? disais-je. Mettons-les à l’abri. – Et je me mis à les appeler. Alors, moi d’un côté et mes compagnons dispersés çà et là, nous essayâmes de les pousser vers la porte du jardin. Mais ils n’avaient aucune envie d’y entrer ; s’échappant de-ci, courant de-là, les petits agneaux avaient de meilleures jambes que nous. Entre-temps, des grosses gouttes commencèrent à tomber, puis vint la pluie et je n’ai pas pu rassembler ce troupeau. Un ou deux entrèrent dans le jardin, mais tous les autres, et ils étaient nombreux, restèrent dans le pré. – Eh bien, s’ils ne veulent pas venir, tant pis pour eux ! En attendant, retirons-nous. – Et nous allâmes dans le jardin.
            Il y avait là une fontaine sur laquelle était écrit en grosses lettres : Fons signatus, fontaine scellée. Elle était couverte, et voici qu’elle s’ouvre, l’eau s’élève, se sépare en formant un arc-en-ciel, mais en guise de voûte comme ce portique.
            Entre-temps les éclairs devenaient plus fréquents, suivis de coups de tonnerre plus bruyants, et la grêle commença à tomber. Quant à nous, avec tous les petits agneaux qui étaient dans le jardin, nous nous réfugiâmes sous cette merveilleuse voûte, où l’eau et la grêle ne pénétraient pas.
            – Mais qu’est-ce que c’est ? demandais-je à mes amis. Que vont devenir les pauvres agneaux qui sont dehors ?
            – Tu verras, me répondaient-ils. Observe le front de ces agneaux, qu’y trouves-tu ? – Je regardai et je vis que sur le front de chacun de ces animaux était écrit le nom d’un jeune de l’Oratoire.
            – Qu’est-ce que cela ? demandai-je.
            – Tu verras, tu verras !
            À ce moment je ne tenais plus en place et j’ai voulu sortir pour voir ce que devenaient ces pauvres agneaux qui étaient restés dehors. – Je vais rassembler ceux qui ont été tués et les envoyer à l’Oratoire, me suis-je dit. En sortant de dessous la voûte, j’ai pris la pluie à mon tour, et j’ai vu ces pauvres petites bêtes qui se traînaient par terre, qui bougeaient les pattes en essayant de se lever et d’aller vers le jardin, mais elles ne pouvaient pas marcher. J’ouvris la porte, j’élevai la voix, mais leurs efforts étaient inutiles. La pluie et la grêle les avaient tellement malmenés et continuaient à les maltraiter qu’ils faisaient pitié à voir : l’un était frappé à la tête, l’autre à la mâchoire, celui-ci à un œil, celui-là à une patte, d’autres à d’autres parties du corps.
            Au bout de quelque temps, la tempête avait cessé.
            – Observe, dit celui qui se tenait près de moi, observe le front de ces agneaux.
            Je regardai et je lus sur chaque front le nom d’un jeune de l’Oratoire. – Mais, dis-je, je connais le jeune qui porte ce nom, et il ne me paraît pas être un petit agneau.
            – Tu verras, tu verras, me répondit-on. – Alors on me présenta un vase d’or avec un couvercle d’argent, en disant :
            – Trempe ta main dans cet onguent et touche les plaies de ces petites bêtes et elles guériront aussitôt.
            Je commence à les appeler :
            – Brrr, brrr ! Elles ne bougent pas. J’essaie de m’approcher de l’une d’elles et elle s’éloigne en traînant les pieds. – Elle ne veut pas ? Tant pis pour elle ! m’exclamé-je. Je vais vers une autre. J’y vais, mais celle-là aussi me fuit. Autant j’en approchais pour les oindre et les guérir, autant elles me fuyaient. Je les suivais, mais je répétais ce jeu en vain. Enfin, j’en atteignis une ; la pauvre avait les yeux sortis de leurs orbites et si abîmés qu’ils faisaient pitié. Je les touchai avec la main, elle guérit et alla dans le jardin.
            En voyant cela, beaucoup d’autres cessèrent leur résistance, se laissèrent toucher et guérir et entrèrent dans le jardin. Mais beaucoup restèrent dehors, en général les plus touchées, et je n’ai pas pu les approcher.
            – Si elles ne veulent pas être guéries, tant pis pour elles ! Mais je ne sais pas comment les faire revenir dans le jardin.
            – Sois tranquille, dit l’un des amis qui m’accompagnait, elles viendront, elles viendront.
            – Nous verrons, lui dis-je. Je rapportai le vase d’or à sa place et retournai dans le jardin. Tout était changé, et je lus à l’entrée : Oratoire. Dès que je fus entré, voici que les agneaux qui ne voulaient pas venir s’approchent, entrent en cachette et courent reprendre leur place çà et là. Mais même alors, je ne pus approcher aucun d’entre eux. Il y en avait aussi plusieurs qui ne voulaient pas recevoir la pommade, et celle-ci se transformait pour eux en poison, et au lieu de les guérir, elle aggravait leurs plaies.
            – Regarde ! Tu vois cette bannière ? me dit un ami.
            Je me suis retourné et j’ai vu une grande bannière qui flottait, sur laquelle était écrit en grosses lettres le mot : Vacances.
            – Oui, je vois, répondis-je.
            – C’est la conséquence des vacances, m’expliqua une personne qui m’accompagnait, alors que j’étais bouleversé par ce spectacle. Tes jeunes quittent l’Oratoire pour aller en vacances, avec la bonne volonté de se nourrir de la parole de Dieu et de se maintenir dans le bien ; mais vient l’orage – ce sont les tentations – puis la pluie – ce sont les assauts du démon – ; puis la grêle tombe et c’est alors que ces malheureux tombent dans le péché. Certains guérissent encore par la confession, mais d’autres n’utilisent pas bien ce sacrement, ou ne l’utilisent pas du tout. Garde cela dans ton esprit et ne te lasse pas de répéter à tes jeunes que les vacances sont une grande tempête pour leurs âmes.
            En observant ces agneaux, je voyais chez certains d’entre eux des blessures mortelles ; je cherchais un moyen de les guérir, lorsque Don Scappini, qui avait fait du bruit en se levant dans la pièce voisine, me réveilla.
            Voilà le rêve, et bien qu’il s’agisse d’un rêve, il a néanmoins une signification qui ne fera pas de mal à ceux qui voudront bien le croire. Je peux aussi dire que j’ai remarqué quelques noms parmi les nombreux agneaux du rêve, et en les comparant avec les jeunes, j’ai vu qu’ils se comportaient exactement comme dans le rêve. Quoi qu’il en soit, nous devons, durant cette neuvaine de la Toussaint, correspondre à la bonté de Dieu qui veut nous faire miséricorde et, par une bonne confession, purifier les blessures de notre conscience. Nous devons ensuite nous mettre tous d’accord pour combattre le diable et, avec l’aide de Dieu, nous sortirons victorieux de ce combat et irons recevoir le prix de la victoire au Paradis.
            Ce rêve a dû certainement contribuer au bon démarrage de la nouvelle année scolaire. En effet, pendant la neuvaine de l’Immaculée Conception, les choses allaient déjà tellement bien que Don Bosco exprima sa satisfaction en disant :
            – Les jeunes en sont déjà au point où, les années précédentes, ils arrivaient à peine en février. – Et en la fête de l’Immaculée Conception, ils ont vu se renouveler la belle célébration de l’adieu à la quatrième expédition des Missionnaires.
(MB XIII 761-764)