11 Nov 2025, mar

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La proposition clairvoyante de Don Bosco pour les « mineurs non accompagnés » de Rome.


L’histoire de l’église du Sacré-Cœur de Rome, aujourd’hui basilique, est bien connue et très fréquentée par les personnes qui se pressent à la gare Termini voisine. Une histoire pleine de problèmes et de difficultés de toutes sortes pour Don Bosco pendant la construction de l’église (1880-1887), mais aussi une source de joie et de satisfaction une fois l’église achevée (1887). On connaît moins, en revanche, l’histoire de l’origine de la « maison de charité et de bienfaisance capable d’accueillir au moins 500 jeunes » que Don Bosco voulait construire à côté de l’église. Une œuvre, une réflexion d’une grande actualité… d’il y a 140 ans ! Don Bosco lui-même nous la présente dans le numéro de janvier 1884 du Bulletin salésien : « Aujourd’hui, des centaines et des milliers d’enfants pauvres errent dans les rues et sur les places de Rome, mettant en péril la foi et la morale ». Comme il l’a déjà signalé en d’autres occasions, de nombreux jeunes, seuls ou en famille, viennent dans cette ville non seulement de diverses parties de l’Italie, mais aussi d’autres nations, dans l’espoir de trouver du travail et de l’argent ; mais, déçus dans leur attente, ils tombent bientôt dans la misère et le risque de mal faire, et par conséquent d’être conduits dans les prisons ».
L’analyse de la condition des jeunes dans la « ville éternelle » n’est pas difficile : la situation préoccupante des « enfants des rues », italiens ou non, est connue de tous, des autorités civiles et ecclésiastiques, des citoyens romains et de la multitude de « rustres » et d’étrangers arrivés dans la ville après qu’elle a été déclarée capitale du Royaume d’Italie (1871). La difficulté réside dans la solution à proposer et dans la capacité à la mettre en œuvre une fois identifiée.
Don Bosco, pas toujours très apprécié dans la ville en raison de son origine piémontaise, propose sa solution aux Coopérateurs : L’objectif de l’Hospice du Sacré-Cœur de Jésus serait d’accueillir les jeunes pauvres et abandonnés de n’importe quelle ville d’Italie ou de n’importe quel autre pays du monde, de les éduquer en science et en religion, de les former à un art ou à un métier, de les sortir ainsi de la prison, de les rendre à leur famille et à la société civile comme de bons chrétiens, d’honnêtes citoyens, capables de gagner honorablement leur vie par leur propre travail ».

En avance sur son temps
Accueil, éducation, formation au travail, intégration et insertion sociale : n’est-ce pas là l’objectif prioritaire de toutes les politiques de jeunesse en faveur des immigrés aujourd’hui ? Don Bosco avait de l’expérience en la matière : pendant 30 ans, le Valdocco a accueilli des jeunes de diverses régions d’Italie ; pendant quelques années, les maisons salésiennes de France ont accueilli des enfants d’immigrés italiens et autres ; depuis 1875, à Buenos Aires, les Salésiens se sont occupés spirituellement d’immigrés italiens de diverses régions d’Italie (des décennies plus tard, ils se sont également intéressés à Jorge Mario Bergoglio, le futur Pape François, fils d’immigrés piémontais).

La dimension religieuse
Naturellement, Don Bosco s’intéresse avant tout au salut de l’âme des jeunes, qui passe par la profession de la foi catholique : « Extra ecclesia nulla salus« , disait-on. En effet, il écrivait : « Les autres personnes de la ville et les étrangers, à cause de leur pauvreté, sont exposés chaque jour au danger de tomber entre les mains des protestants, qui ont, pour ainsi dire, envahi la ville de Saint-Pierre, et tendent surtout leurs embuscades aux jeunes pauvres et nécessiteux, et sous prétexte de leur fournir la nourriture et le vêtement pour leur corps, ils répandent dans leur âme le poison de l’erreur et de l’incrédulité ».
C’est pourquoi, dans son projet éducatif à Rome, nous aimerions dire dans son « pacte global pour l’éducation « , Don Bosco ne néglige pas la foi. Un chemin de véritable intégration dans une « nouvelle » société civile ne peut exclure la dimension religieuse de la population. Le soutien papal est utile : un stimulant supplémentaire « pour ceux qui aiment la religion et la société » : « Cet Hospice est très cher au cœur du Saint-Père Léon XIII, qui, tout en s’efforçant avec un zèle apostolique de répandre la foi et la morale dans toutes les parties du monde, ne néglige aucun effort en faveur des enfants les plus exposés au danger. Cet hospice doit donc être cher au coeur de tous ceux qui aiment la religion et la société ; il doit être particulièrement cher au coeur de nos coopérateurs, à qui le Vicaire de Jésus-Christ a confié d’une manière spéciale la noble tâche de l’hospice lui-même et de l’Eglise qui lui est attachée.
Enfin, dans son appel à la générosité des bienfaiteurs pour la construction de l’Hospice, Don Bosco ne pouvait manquer de faire une référence explicite au Sacré-Cœur de Jésus, auquel l’église attenante était dédiée :  » Nous pouvons aussi croire avec certitude que cet Hospice sera bien agréable au Cœur de Jésus… Dans l’église voisine, le divin Cœur sera le refuge des adultes, et dans l’Hospice attenant, il se montrera l’ami affectueux, le tendre père des enfants. Il aura à Rome chaque jour un groupe de 500 enfants pour le couronner divinement, le prier, lui chanter des hosannas, lui demander sa sainte bénédiction ».

Nouveaux temps, nouvelles périphéries
L’hospice salésien, construit comme une école d’arts et métiers et un oratoire à la périphérie de la ville – qui commençait à l’époque sur la Piazza della Repubblica – fut ensuite absorbé par l’expansion immobilière de la ville elle-même. L’école primitive pour les garçons pauvres et les orphelins a été déplacée dans un nouveau quartier en 1930 et a été remplacée successivement par différents types d’écoles (élémentaire, collège, lycée). Elle accueillit également pendant un certain temps les étudiants salésiens de l’Université Grégorienne et certaines facultés de l’Athénée Salésien. Elle est toujours restée une paroisse et un oratoire, ainsi que le siège de la Province romaine. Pendant longtemps, elle a abrité quelques bureaux nationaux et elle est aujourd’hui le siège de la Congrégation salésienne : des structures qui ont animé et animent les maisons salésiennes, nées et grandies pour la plupart à la périphérie de centaines de villes, ou dans les  » périphéries géographiques et existentielles  » du monde, comme l’a dit le pape François. Comme le Sacré-Cœur de Rome, qui conserve encore un petit signe du grand « rêve » de Don Bosco : il offre les premiers soins aux immigrés extracommunautaires et, avec la « Banque des talents » du Centre des jeunes, fournit de la nourriture, des vêtements et des produits de première nécessité aux sans-abris de la gare Termini.

P. Francesco MOTTO

Salésien de Don Bosco, expert de St Jean Bosco, auteur de plusieurs livres. Docteur en histoire et en théologie, conférencier invité à l'Université pontificale salésienne. Cofondateur et directeur pendant 20 ans de l'Institut historique salésien (ISS) et de la revue 'Recherches historiques salésiennes' (1992-2012), il est l'un des fondateurs de l'Association des chercheurs en histoire salésienne (ACSSA), dont il est actuellement le président (2015-2023). Il a été consultant auprès de la Congrégation pour les Causes des Saints (2009-2014).