11 Nov 2025, mar

Quatrième rêve missionnaire en Afrique et en Chine (1885)

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La Providence elle-même ne cessait de temps en temps de déchirer devant les yeux de Don Bosco le voile de l’avenir sur les progrès de la Société Salésienne dans le champ illimité des Missions. En 1885 également, un rêve révélateur vint lui montrer quels étaient les projets de Dieu dans un avenir lointain. Don Bosco le raconta et le commenta à tout le Chapitre le soir du 2 juillet, et Don Lemoyne s’empressa de l’écrire.


            Il me semblait que je me trouvais devant une très haute montagne, au sommet de laquelle se tenait un Ange qui resplendissait de lumière, de sorte qu’il éclairait les régions les plus éloignées. Autour de la montagne s’étendait un vaste royaume de peuples inconnus.
            L’Ange tenait dans sa main droite une épée qui brillait comme une flamme vive, et de sa main gauche il me désignait les régions environnantes. Il me dit : Angelus Arfaxad vocat vos ad proelianda bella Domini et ad congregandos populos in horrea Domini (L’Ange d’Arfaxad t’appelle à livrer les batailles du Seigneur et à rassembler les peuples dans les greniers du Seigneur). Sa parole, cependant, n’était pas comme les autres fois sous forme de commandement, mais sous forme de proposition.
            Une foule impressionnante d’Anges, dont je n’ai pas su ou pu retenir les noms, l’entourait. Parmi eux se trouvait Louis Colle, entouré d’une multitude de jeunes, auxquels il apprenait à chanter les louanges de Dieu en les chantant lui-même.
            Autour de la montagne, à son pied et sur son sommet, vivait une population nombreuse. Ils parlaient tous entre eux, mais c’était une langue inconnue que je ne comprenais pas. Je comprenais seulement ce que disait l’Ange. Je ne peux pas décrire ce que j’ai vu. Ce sont des choses que l’on voit, que l’on entend, mais qu’on ne peut pas expliquer. En même temps, je voyais des objets séparés et simultanés, qui transfiguraient le spectacle qui s’offrait à moi. Parfois il me semblait voir la plaine de Mésopotamie, parfois une très haute montagne, et cette même montagne sur laquelle se trouvait l’Ange d’Arfaxad prenait à chaque instant mille aspects, au point que les gens qui l’habitaient ressemblaient à des ombres errantes.
            Devant cette montagne et tout au long de ce voyage, j’ai eu l’impression d’être soulevé à une hauteur immense, comme au-dessus des nuages, entouré d’un espace immense. Qui peut exprimer par des mots cette hauteur, cette largeur, cette lumière, cette lueur, ce spectacle ? On peut en jouir, mais on ne peut pas le décrire.
            Au cours de ces visions et dans les autres, nombreux étaient ceux qui m’accompagnaient et m’encourageaient ; ils encourageaient aussi les Salésiens, afin qu’ils ne s’arrêtent pas en chemin. Parmi ceux qui me tiraient chaleureusement par la main, pour ainsi dire, afin que j’aille de l’avant, se trouvait le cher Louis Colle avec des troupes d’Anges, qui faisaient écho aux chants des jeunes qui l’entouraient.
            Puis il m’a semblé que j’étais au centre de l’Afrique, dans un vaste désert, et que sur le sol était écrit en grosses lettres transparentes : Noirs. Au milieu se trouvait l’Ange de Cham, qui disait : – Cessabit maledictum (la malédiction est terminée) et la bénédiction du Créateur descendra sur ses enfants réprouvés, et le miel et le baume guériront les morsures des serpents ; ensuite seront couvertes les turpitudes des enfants de Cham.
            Ces peuples étaient tous nus.
            Enfin, il me sembla que j’étais en Australie.
            Ici aussi, il y avait un Ange, mais il n’avait pas de nom. Il guidait, marchait et faisait marcher les gens vers le sud. L’Australie n’était pas un continent, mais un agrégat de nombreuses îles, dont les habitants étaient différents de caractère et de figure. Une multitude d’enfants qui vivaient là tentaient de venir vers nous, mais ils en étaient empêchés par la distance et par les eaux qui les séparaient. Cependant, ils tendaient les mains vers Don Bosco et les Salésiens en disant : – Venez à notre secours ! Pourquoi n’accomplissez-vous pas l’œuvre que vos pères ont commencée ? – Beaucoup s’arrêtèrent ; d’autres, avec mille efforts, passèrent au milieu des bêtes féroces et vinrent se mêler aux Salésiens que je ne connaissais pas, et commencèrent à chanter : Benedictus qui venit in nomine Domini (béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, Ps 118, 26 ; Mt 21, 9 ; et passim). À une certaine distance, on pouvait voir des agrégats d’îles innombrables, mais je ne pouvais pas discerner leurs particularités. Il m’a semblé que tout cela indiquait que la Divine Providence offrait aux Salésiens une partie du champ évangélique, mais dans un temps futur. Leurs fatigues porteront du fruit, parce que la main du Seigneur sera constamment avec eux, s’ils ne déméritent pas de ses faveurs.
            Si je pouvais embaumer et maintenir en vie cinquante Salésiens parmi ceux qui sont aujourd’hui parmi nous, ils verraient dans cinq cents ans quelles merveilleuses destinées la Providence nous réserve, si nous sommes fidèles.
            D’ici à cent cinquante ou deux cents ans, les Salésiens seront les maîtres du monde entier.
            Nous serons toujours bien vus, même par les méchants, parce que notre domaine spécial est tel qu’il attire la sympathie de tous, bons et méchants. Il y aura peut-être quelque tête folle qui voudra nous détruire, mais ce seront des projets isolés, sans le soutien des autres.
            Tout ce qu’il faut, c’est que les Salésiens ne se laissent pas prendre par l’amour du confort et qu’ils ne fuient pas le travail. En maintenant ne serait-ce que les œuvres existantes, et à condition de ne pas s’adonner au vice de l’intempérance, ils auront les garanties d’une longue durée.
            La Société salésienne prospérera matériellement si nous nous efforçons de soutenir et de diffuser le Bulletin salésien, l’œuvre des Fils de Marie Auxiliatrice. Beaucoup d’entre eux sont tellement bons ! Leur institution nous donnera d’excellents confrères, résolus dans leur vocation.

            Ce sont là les trois choses que Don Bosco a vues le plus clairement, dont il s’est le mieux souvenu et qu’il a racontées la première fois. Mais, comme il l’a expliqué plus tard à Don Lemoyne, il avait vu beaucoup plus. Il avait vu tous les pays où les Salésiens seront appelés au fil du temps, mais dans une vision fugace, en faisant un voyage très rapide, au cours duquel il était revenu à l’endroit d’où il était parti. Il disait que ce fut comme un éclair, mais qu’en parcourant cet immense espace, il avait entrevu en un clin d’œil des régions, des villes, des habitants, des mers, des fleuves, des îles, des coutumes et mille faits qui s’entrecroisaient et des changements simultanés de spectacles impossibles à décrire. De tout l’itinéraire fantasmagorique il ne conservait qu’un souvenir indistinct. Il semblait avoir avec lui beaucoup de monde qui l’encourageait, lui et les salésiens, à ne jamais s’arrêter en chemin. Parmi les plus animés il y avait Louis Colle, dont il parle dans une lettre écrite à son père le 10 août : « Notre ami Louis m’a emmené en voyage au centre de l’Afrique, terre de Cham, disait-il, et au pays d’Arfaxad, c’est-à-dire en Chine. Quand le Seigneur nous permettra de nous retrouver, nous en aurons des choses à dire ».
            Il parcourut une zone circulaire autour de la partie sud de la sphère terrestre. Voici la description du voyage, telle que Don Lemoyne affirme l’avoir entendue de sa bouche. Parti de Santiago du Chili, il vit Buenos Aires, São Paulo au Brésil, Rio de Janeiro, le Cap de Bonne-Espérance, Madagascar, le Golfe Persique, les rives de la Mer Caspienne, Sermaar, le Mont Ararat, le Sénégal, Ceylan, Hong-Kong, Macao à l’entrée d’une mer immense et devant la haute montagne d’où on découvrait la Chine ; puis l’Empire chinois, l’Australie, les îles Diego Ramirez. Le pèlerinage s’acheva par le retour à Santiago du Chili. Au cours de son voyage éclair, Don Bosco distinguait des îles, des terres et des nations dispersées sur les différents degrés du globe et de nombreuses régions peu habitées et inconnues. Des nombreux lieux qu’il a vus en rêve, il ne se souvenait pas exactement des noms ; Macao, par exemple, il l’appelle Meaco. Il parla avec le capitaine Bove des parties les plus méridionales de l’Amérique, mais celui-ci, n’ayant pas dépassé le cap de Magellan, faute de moyens et parce qu’il était forcé par diverses affaires de rebrousser chemin, ne put lui donner aucun éclaircissement.
            Il faut dire un mot de l’énigmatique Arfaxad. Avant le rêve, Don Bosco ne savait pas qui il était, mais il en parla dans la suite assez souvent. Il chargea le clerc Festa de chercher dans les dictionnaires bibliques, dans les histoires et les géographies, dans les périodiques, pour savoir avec quels peuples de la terre ce personnage supposé avait eu des rapports. Finalement, il crut trouver la clé du mystère dans le premier volume de Rohrbacher, qui affirme que les Chinois descendent d’Arfaxad.
            Son nom apparaît dans le dixième chapitre de la Genèse, où est donnée la généalogie des fils de Noé, qui se partagèrent le monde après le déluge. Le verset 22 se lit comme suit : Filii Sem Aelam et Assur et Arphaxad et Lud et Gether et Mes. Ici, comme dans d’autres parties du grand tableau ethnographique, les noms propres désignent des individus qui ont été les pères de peuples, avec une référence aux régions qu’ils ont peuplées. Ainsi, Aelam, qui signifie haut pays, fait allusion à Élimaïde qui, avec la Susiane, devint plus tard une province de la Perse ; Assour est le père des Assyriens. Sur le troisième nom, les exégètes ne sont pas d’accord pour déterminer le peuple qu’il désigne. Certains, comme Vigouroux (pour ne citer que l’un des plus connus), attribuent Arfaxad à la Mésopotamie. Quoi qu’il en soit, comme il figure parmi les descendants des lignées asiatiques, et précisément après deux d’entre eux qui ont peuplé la limite orientale de la terre décrite dans le document mosaïque, on peut en déduire qu’Arphaxad représente également une population à placer après les précédentes, qui s’est ensuite répandue de plus en plus vers l’est. Il n’est donc pas improbable que l’Ange d’Arphaxad représente celui de l’Inde et de la Chine.
            Don Bosco fixa son attention en particulier sur la Chine et disait qu’il lui semblait que les Salésiens y seraient bientôt appelés, ajoutant même à une occasion :
            – Si j’avais vingt Missionnaires à expédier en Chine, il est certain qu’ils y recevraient un accueil triomphal malgré la persécution. – Dès lors, il s’intéressa de près à tout ce qui pouvait concerner le Céleste Empire.
            Il montra qu’il pensait souvent à ce rêve, il en parlait volontiers et il y voyait une confirmation de ses rêves précédents sur les Missions.
(MB XVII 643-645)