11 Nov 2025, mar

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Fondé dans un regard qui a marqué toute une vie
            Louis Variara est né le 15 janvier 1875 à Viarigi (Asti). Don Bosco était venu dans ce village en 1856 pour y prêcher une mission. Et c’est à Don Bosco que le père, le 1er octobre 1887, confie son fils pour le conduire au Valdocco. Le Saint des jeunes mourra quatre mois plus tard, mais la connaissance que Louis en fit suffit à le marquer à vie. Il se souvient lui-même de l’événement en ces termes : « C’était en hiver et un après-midi, nous jouions dans la grande cour de l’oratoire quand soudain on cria d’un côté à l’autre : « Don Bosco, Don Bosco ! » Instinctivement, nous nous sommes tous précipités vers l’endroit où apparaissait notre bon Père, que l’on promenait dans son fauteuil roulant. Nous l’avons suivi jusqu’à l’endroit où il devait monter dans le fauteuil ; aussitôt on vit Don Bosco entouré de la foule de ses fils tant aimés. Je cherchais avec anxiété un moyen de me mettre dans une position où je pourrais le voir à mon aise, car je désirais ardemment le rencontrer. Je m’approchai le plus possible, et lorsqu’on l’aida à monter dans le fauteuil, il me lança un doux regard, et ses yeux se posèrent sur moi avec intensité. Je ne sais pas ce que j’ai ressenti à ce moment-là… c’est quelque chose que je ne peux pas exprimer ! Ce jour-là a été l’un des plus heureux de ma vie ; j’étais sûr d’avoir rencontré un saint, et que ce saint avait lu dans mon âme quelque chose que seuls Dieu et lui pouvaient connaître ».
            Il demanda à devenir salésien : il entra au noviciat le 17 août 1891 et le termina le 2 octobre 1892 avec les vœux perpétuels entre les mains du bienheureux Michel Rua, qui lui murmurait à l’oreille : « Variara, ne varie pas ». Il étudia la philosophie à Valsalice, où il rencontra le vénérable André Beltrami. C’est là que passa, en 1894, le père Michel Unia, le célèbre missionnaire qui venait de commencer à travailler parmi les lépreux à Agua de Dios, en Colombie. « Quels ne furent pas mon étonnement et ma joie, racontera Don Variara, lorsque, parmi les 188 compagnons qui avaient la même aspiration, il fixa son regard sur moi et dit : « Celui-ci est pour moi » ».
            Il arriva à Agua de Dios le 6 août 1894. Le lazaret comptait 2 000 habitants, dont 800 lépreux. Il s’investit totalement dans sa mission. Doué de talents musicaux, il organisa une fanfare qui créa immédiatement une atmosphère de fête dans la « cité de la douleur ». Il transforma la tristesse du lazaret en gaieté salésienne, avec la musique, le théâtre, le sport et le style de vie de l’oratoire salésien.
            Le 24 avril 1898, il fut ordonné prêtre et se révéla rapidement comme un excellent directeur spirituel. Parmi ses pénitentes, il comptait des membres de l’Association des Filles de Marie, un groupe d’environ 200 jeunes filles, dont beaucoup étaient lépreuses. C’est face à cette prise de conscience que naquit en lui la première idée de jeunes femmes consacrées, bien que lépreuses. La Congrégation des Filles des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie vit le jour le 7 mai 1905. Il devint « fondateur » après avoir été « fondé » dans la pleine soumission à l’obéissance religieuse et, cas unique dans l’histoire de l’Église, il fonda la première communauté religieuse composée de personnes atteintes de la lèpre ou de filles de lépreux. Il écrit : « Jamais je ne me suis senti aussi heureux d’être salésien que cette année, et je bénis le Seigneur de m’avoir envoyé dans ce lazaret, où j’ai appris à ne pas me laisser voler le ciel ».
            Dix ans s’étaient écoulés depuis son arrivée à Agua de Dios, une période heureuse et pleine de réalisations, y compris l’achèvement de l’asile « Don Miguel Unia ». Mais une période de souffrance et d’incompréhension allait commencer pour le généreux missionnaire. Cette période durera 18 ans, jusqu’à sa mort à Cúcuta, en Colombie, le 1er février 1923, à 48 ans et 24 ans de sacerdoce.
            Le père Variara a su conjuguer en lui la fidélité au travail que le Seigneur lui demandait et la soumission aux ordres que son supérieur légitime lui imposait et qui semblaient l’éloigner des voies voulues par Dieu. Il a été béatifié par le pape Jean-Paul II le 14 avril 2002.

Fondé sur une amitié spirituelle
            À Turin-Valsalice, Luigi Variara avait fait la connaissance du vénérable Andrea Beltrami, un prêtre salésien atteint de tuberculose, qui s’était offert comme victime à Dieu pour la conversion de tous les pécheurs du monde. Une amitié spirituelle naquit entre ces deux salésiens et Don Beltrami inspirera Don Variara lorsqu’il fondera la Congrégation des Filles des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie en Colombie, en leur proposant la « consécration victimale ».
            Le vénérable Andrea Beltrami est le précurseur de la dimension victimale et oblative du charisme salésien : « La mission que Dieu me confie est de prier et de souffrir », disait-il. « Ni guérir, ni mourir, mais vivre pour souffrir », telle était sa devise. Très rigoureux dans l’observance de la Règle, il avait une ouverture filiale à l’égard de ses supérieurs et un amour ardent pour Don Bosco et la Congrégation. Son lit deviendra son autel et sa chaire, où il s’immola avec Jésus et d’où il enseigna comment aimer, comment offrir et comment souffrir. Sa petite chambre devint tout son monde, c’est de là qu’il écrivait et où il célébrait sa messe de sang : « Je m’offre en victime avec Lui, pour la sanctification des prêtres, pour les peuples du monde entier », répétait-il ; mais son caractère salésien le poussait aussi à avoir des relations avec le monde extérieur. Il s’offrit comme victime d’amour pour la conversion des pécheurs et pour la consolation des souffrants. Don Beltrami a pleinement saisi la dimension sacrificielle du charisme salésien, voulue par le fondateur Don Bosco.
            Les filles de Don Variara ont écrit ce qui suit à propos de Don Beltrami : « Nous sommes des pauvres filles frappées par la terrible maladie de la lèpre, violemment arrachées et séparées de nos parents, privées en un seul instant de nos espoirs les plus vifs et de nos désirs les plus ardents… Nous avons senti la main caressante de Dieu dans les saints encouragements et les initiatives charitables de Don Luigi Variara face à nos douleurs aiguës du corps et de l’âme. Persuadées que c’est la volonté du Sacré-Cœur de Jésus et trouvant que c’était facile à réaliser, nous avons commencé à nous offrir comme victimes d’expiation, en suivant l’exemple de Don Andrea Beltrami, salésien ».

Fondé dans les Cœurs de Jésus et de Marie
            Tel fut Don Variara, « fondateur fondé » de l’Institut des Filles des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. Dans sa vie, il rencontra de grandes difficultés, comme en 1901 lors de la construction de la maison « Don Miguel Unia », mais il s’en remit à la Vierge en écrivant : « Plus que jamais, j’ai confiance dans le succès de cette œuvre, Marie Auxiliatrice m’aidera » ; « je n’ai de l’argent que pour une semaine, alors… Marie Auxiliatrice y pensera, car l’œuvre est entre ses mains ». Dans les moments douloureux, le père Variara renouvelait sa dévotion à la Vierge, trouvant ainsi la sérénité et la confiance en Dieu pour poursuivre sa mission.
            Dans les grands obstacles qu’il a rencontrés pour fonder la Congrégation des Filles des Sacrés Cœurs, Don Variara a agi comme dans les autres occasions, comme lorsqu’il a dû quitter Agua de Dios. Il a agi de la même manière lorsqu’on lui a annoncé qu’il avait contracté la lèpre. Certains jours, confessa-t-il, le désespoir m’assaille, avec des pensées que je m’empresse de chasser en invoquant la Vierge. Et à ses filles spirituelles, éloignées de ses conseils paternels, il écrivait : « Jésus sera votre force, et Marie Auxiliatrice étendra sur vous son manteau ». « Je ne me fais pas d’illusions, écrivait-il à une autre occasion, je laisse tout entre les mains de la Vierge ». « Que Jésus et Marie soient mille fois bénis et vivent toujours dans nos cœurs ».

P. Pierluigi CAMERONI

Salésien de Don Bosco, expert en hagiographie, auteur de plusieurs livres salésiens. Il est le postulateur général de la Société salésienne de St Jean Bosco.