26 Sep 2025, ven

Le grand don de la sainteté d’Artémide Zatti, coadjuteur salésien (vidéo)

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            La chronique du collège salésien de Viedma rappelle que, selon la coutume, le 15 mars 1951 au matin, la cloche a annoncé l’envol au ciel du confrère coadjuteur Artémide Zatti, et a rapporté ces paroles prophétiques : « Un frère de moins dans la maison et un saint de plus au ciel ».
            La canonisation d’Artémide Zatti, le 9 octobre 2022, est un don de la grâce ; le témoignage de sainteté que le Seigneur nous donne à travers ce frère qui a vécu sa vie dans la docilité à l’Esprit Saint, dans l’esprit de famille typique du charisme salésien, en incarnant la fraternité envers ses confrères et la communauté salésienne, et la proximité envers les pauvres et les malades et tous ceux qu’il a rencontrés sur son chemin, est un événement porteur de bénédiction qu’il faut accueillir et faire fructifier.
            Saint Artémide Zatti se révèle être un modèle, un intercesseur et un compagnon de vie chrétienne, proche de tous. En effet, son aventure nous le présente comme une personne qui a expérimenté le labeur quotidien de l’existence avec ses succès et ses échecs. Il suffit de rappeler la séparation d’avec son pays natal pour émigrer en Argentine ; la maladie de la tuberculose qui a déferlé comme un ouragan dans sa jeune existence, brisant tout rêve et toute perspective d’avenir ; la démolition de l’hôpital qu’il avait construit avec tant de sacrifices et qui était devenu un sanctuaire de l’amour miséricordieux de Dieu. Mais Zatti a toujours trouvé dans le Seigneur la force de se relever et de poursuivre son chemin.

Témoin d’espérance
            Dans les temps dramatiques que nous vivons, marqués par les pandémies, par tant de guerres, par l’urgence climatique et surtout par la crise et l’abandon de la foi chez tant de personnes, Artémide Zatti nous encourage à vivre l’espérance comme une vertu et comme une attitude de vie en Dieu. Son histoire nous rappelle que le chemin de la sainteté exige très souvent un changement de cap et de vision. À différentes étapes de sa vie, Artémide a découvert dans la Croix la grande opportunité de renaître et de recommencer :
            – quand, enfant, dans le travail dur et fatigant de la campagne, il a immédiatement appris à affronter les difficultés et les responsabilités qui l’accompagneraient toujours dans ses années d’âge mûr ;
            – quand, à l’âge de 17 ans, il émigre avec sa famille en Argentine à la recherche d’une vie meilleure ;
            – quand, jeune aspirant à la vie salésienne, il est frappé par la tuberculose, contractée au contact d’un jeune prêtre qu’il aidait parce qu’il était très malade. Le jeune Zatti vit dans sa chair le drame de la maladie, non seulement comme fragilité et souffrance du corps, mais aussi comme quelque chose qui touche le cœur, qui génère des peurs et multiplie les questions, faisant surgir avec insistance la question du sens de tout ce qui lui arrive et de l’avenir qui l’attend, voyant que ce dont il rêvait, ce à quoi il aspirait, s’évanouit soudain. Dans la foi, il se tourne vers Dieu, cherche un nouveau sens et une nouvelle direction à l’existence, sans trouver de réponses immédiates ou faciles. Grâce à la présence sage et encourageante du Père Cavalli et du Père Garrone, et en lisant les circonstances de la vie dans un esprit de discernement et d’obéissance, il mûrit sa vocation salésienne comme frère coadjuteur, consacrant toute sa vie au soin matériel et spirituel des malades et à l’assistance aux pauvres et aux nécessiteux. Il décide de rester avec Don Bosco, en vivant pleinement la vocation originale du coadjuteur ;
            – lorsqu’il doit affronter des épreuves, des sacrifices et des dettes pour mener à bien sa mission en faveur des pauvres et des malades, en gérant l’hôpital et la pharmacie, toujours confiant dans l’aide de la Providence ;
            – lorsqu’il voit que l’hôpital, auquel il avait consacré tant d’énergie et de ressources, est démoli pour en construire un nouveau ;
            – lorsqu’en 1950, il tombe d’une échelle et qu’apparaissent les symptômes d’une tumeur qu’il a lui-même diagnostiquée avec lucidité et qui le conduira à la mort, survenue le 15 mars 1951 ; il continue néanmoins à s’occuper de la mission à laquelle il s’est consacré, acceptant les souffrances de cette dernière partie de sa vie.

L’exode pascal : de Bahia Blanca à Viedma
            Selon toute vraisemblance, Artémide arriva à Bahia Blanca en provenance de Bernal dans la seconde moitié de février 1902. La famille l’accueillit avec la tristesse et l’affection que l’on peut imaginer. Surtout, sa mère se consacra à lui avec beaucoup d’amour pour qu’il récupère ses forces et sa santé, étant donné l’extrême faiblesse dans laquelle il se trouvait, et elle voulut le soigner elle-même. Celui qui s’opposa à cette solution fut Artémide lui-même qui, se sentant désormais intimement lié aux Salésiens, voulut obéir à la décision des supérieurs de Bernal et se rendre à Junin de los Andes pour s’occuper de sa santé. La pensée dominante et à laquelle il ne pouvait plus renoncer était le désir de suivre la vocation pour laquelle il s’était engagé, devenir prêtre salésien, et malgré l’obscurité qui régnait sur son avenir, il était prêt à affronter pour cela toutes les difficultés et tous les sacrifices ; il entendait renoncer même aux soins de sa mère et de sa famille, craignant qu’elles ne l’arrêtent dans sa détermination. Il avait rencontré Jésus, entendu son appel et voulait le suivre, même si ce n’était pas de la manière qu’il pensait et souhaitait.
            Les parents, pour résoudre le problème de leur fils, s’adressèrent au conseiller familial, le père Carlo Cavalli, qui leur déconseilla absolument et providentiellement d’envoyer Artémide à Junin, un lieu trop éloigné pour ses faibles forces. Au contraire, comme c’était précisément à cette époque que la réputation médicale du Père Evasio Garrone était bien établie à Viedma, le Père Cavalli pensa très sagement qu’il valait mieux le confier à ce Père pour une bonne cure. La distance n’étant que de 500 km, avec les moyens de transport de l’époque, cette solution paraissait intéressante. La famille accepta, le bon curé paya le voyage sur la « Galera » de M. Mora et Artémide, convaincu par son directeur spirituel, se mit en route pour Viedma.
            La Galera, sorte de calèche, était à l’époque le seul moyen de transport public permettant de se rendre de Bahia Blanca à Viedma, en traversant le fleuve Colorado. Malheureusement, la Galera perdit la route, si bien que les voyageurs ont dû dormir par tous les temps et sont arrivés le mardi et non le lundi comme prévu. Le voyage a dû être très pénible, mais Artémide « couvre tout avec l’optimisme d’un saint, avec sa faim et sa soif d’immolation ». Mais ce que le pauvre homme a souffert, Dieu seul le sait ».

            Voici le texte de la lettre écrite par Artémide à sa famille immédiatement après son arrivée à Viedma.

Chers parents et chers frères
            Viedma, 5.3.902

            Je suis arrivé à Viedma hier matin, après un heureux voyage sur la « Galera », et aujourd’hui je profite de l’occasion pour vous écrire et vous dire que tout s’est bien passé, comme je l’ai dit, parce que la « Galera » n’était pas très chargée de personnes et de marchandises. Je vous dirai seulement que nous devions arriver lundi à Patagones, mais comme nous nous étions égarés, nous avons dormi en plein champ à ciel ouvert et nous sommes arrivés mardi matin, où, avec une grande joie, j’ai trouvé mes confrères salésiens. En ce qui concerne ma santé, j’ai été examiné par le docteur, le Révérend Père Garrone, qui m’a promis que dans un mois je serai en parfaite santé. Avec l’aide de la Vierge Marie, notre bonne Mère, et de Dan Bosco, nous gardons toujours bon espoir. Priez pour moi et je prierai pour vous.

            ARTEMIDE ZATTI
            Bonjour à tous

            Cette lettre est un chef-d’œuvre d’espérance, un condensé d’optimisme évangélique : c’est une parabole de la vie où, malgré le spectre de la mort qui plane et le chemin qu’on a perdu, il y a un horizon qui s’ouvre sur l’infini. Dans cette nuit, passée dans les champs de la terre patagonienne à contempler les étoiles, le jeune Artémide émerge de son trouble, de son découragement. Libéré du regard vers le bas, il peut lever les yeux et regarder le ciel pour compter les étoiles ; libéré de la tristesse et de la peur de ne pas avoir d’avenir, libéré de la peur d’être seul, de la peur de la mort, il fait l’expérience que la bonté de Dieu est aussi immense qu’un ciel étoilé et que les grâces peuvent être infinies, comme les étoiles. Le matin, il arrive donc à Viedma comme en terre promise, où « avec une grande jubilation » il est accueilli par ceux qu’il considère déjà comme des confrères, où il entend des paroles et des promesses qui parlent de guérison, où, avec une confiance totale dans « l’aide de Marie notre Bonne Mère et de Don Bosco », il arrive dans la ville où il prodiguera sa charité pour le reste de sa vie. Après avoir passé les gués dans les crues du Rio Colorado, il renaît aussi avec l’espoir pour sa santé et pour son avenir.

Le parent de tous les pauvres
            Artémide Zatti a consacré sa vie à Dieu au service des malades et des pauvres, qui sont devenus ses trésors. Responsable de l’hôpital San José de Viedma, il élargit le cercle de ceux qu’il soigne en rejoignant, sur son inséparable bicyclette, tous les malades de la ville, surtout les plus pauvres. Il gère beaucoup d’argent, mais sa vie est très pauvre : pour le voyage en Italie à l’occasion de la canonisation de Don Bosco, il a dû emprunter son costume, son chapeau et sa valise. Il est aimé et estimé par les malades ; aimé et estimé par les médecins qui lui accordent la plus grande confiance et s’abandonnent à l’ascendant qui découle de sa sainteté. Le secret d’un tel ascendant ? Le voici : pour lui, chaque malade est Jésus lui-même. À la lettre ! Quant à lui, pas de doute, il traite tout le monde avec la même tendresse que Jésus lui-même, offrant sa propre chambre en cas d’urgence, ou y déposant même un cadavre en cas de besoin. Il poursuit inlassablement sa mission auprès des malades avec sérénité, jusqu’à la fin de sa vie, sans jamais prendre de repos.
            Dans sa façon de faire, il nous restitue la vision salésienne de notre vocation : « savoir rester » sur notre terre de mission pour éclairer ceux qui risquent de perdre l’espérance, pour fortifier la foi de ceux qui se sentent défaillants, pour être un signe de l’amour de Dieu quand il « semble » absent de la vie de tous les jours.
            Tout cela l’a amené à reconnaître la singularité de chaque malade, avec sa dignité et sa fragilité, sachant que la personne malade est toujours plus importante que la maladie. C’est pourquoi il a pris soin d’écouter les patients, leur histoire, leurs angoisses, leurs peurs. Il savait que même lorsqu’il n’est pas possible de guérir, il est toujours possible de soigner, il est toujours possible de consoler, il est toujours possible de faire sentir une proximité qui témoigne d’un intérêt pour la personne avant sa maladie. Il s’arrête, il écoute, il établit une relation directe et personnelle avec le malade, il ressent de l’empathie et de l’émotion pour lui, il se laisse impliquer dans sa souffrance jusqu’à s’en charger dans son service.
            Artémide a vécu la proximité comme une expression de l’amour de Jésus-Christ, le Bon Samaritain, qui, par sa compassion, s’est fait proche de chaque être humain blessé par le péché. Il s’est senti appelé à être miséricordieux comme le Père et à aimer en particulier ses frères et sœurs malades, faibles et souffrants. Zatti a établi un pacte entre lui et ceux qui avaient besoin de soins, un pacte basé sur la confiance et le respect mutuels, la sincérité, la disponibilité, de manière à surmonter toutes les barrières défensives, en mettant au centre la dignité de la personne malade. Ce rapport avec le malade a trouvé chez Zatti une source inépuisable de motivation et de force dans la charité du Christ.
            Et cette proximité, il l’a vécue, aussi bien personnellement que sous forme communautaire. Il a généré en effet une communauté capable d’attention, qui n’abandonne personne, qui inclut et accueille surtout les plus fragiles. Le témoignage d’Artémide, bon samaritain, miséricordieux comme le Père, était une mission et un style qui touchaient tous ceux qui, d’une certaine manière, se consacraient à l’hôpital : médecins, infirmières, soignants, religieux, volontaires qui donnaient de leur temps précieux à ceux qui souffraient. À l’école de Zatti, le service aux côtés des malades, accompli avec amour et compétence, devient une mission. Zatti savait et a enseigné que les mains de tous ceux qui étaient avec lui touchaient la chair souffrante du Christ et devaient être un signe des mains miséricordieuses du Père.

Coadjuteur salésien
            La figure sympathique d’Artémide Zatti est une invitation à proposer aux jeunes la beauté de la vie consacrée, la radicalité à la suite du Christ obéissant, pauvre et chaste, la primauté de Dieu et de l’Esprit, la vie fraternelle en communauté, le désir de se dépenser totalement pour la mission. La vocation du coadjuteur salésien fait partie de la physionomie que Don Bosco a voulu donner à la Congrégation salésienne. Elle s’épanouit plus facilement là où l’on encourage les vocations apostoliques laïques chez les jeunes et où on leur offre un témoignage joyeux et enthousiaste de la consécration religieuse, comme celui d’Artémide Zatti.

Artémide Zatti saint !
            À l’instar de saint François de Sales, qui a affirmé et promu la vocation à la sainteté pour tous, le témoignage d’Artémide Zatti nous rappelle, comme l’affirme le Concile Vatican II, que « tous les fidèles, de tout état et de toute condition, sont appelés à devenir des saints » : « tous les fidèles de tout état et de toute condition sont appelés par le Seigneur, chacun à sa manière, à une sainteté dont la perfection est celle du Père céleste lui-même ». Saint François de Sales, Don Bosco et Artémide font de la vie quotidienne une expression de l’amour de Dieu, reçu et réciproque. Le témoignage d’Artémide Zatti nous éclaire, nous attire et nous interpelle aussi, parce qu’il est la « Parole de Dieu » incarnée dans l’histoire et proche de nous.
            À travers la parabole de la vie d’Artémide Zatti, c’est surtout son expérience de l’amour inconditionnel et gratuit de Dieu qui ressort. En premier lieu, il n’y a pas les œuvres qu’il a accomplies, mais l’émerveillement de se découvrir aimé et la foi en cet amour providentiel dans toutes les saisons de la vie. C’est de cette certitude vécue que découle la totalité du don de soi au prochain par amour de Dieu. L’amour qu’il reçoit du Seigneur est la force qui transforme sa vie, dilate son cœur et le prédispose à l’amour. Avec le même Esprit, l’Esprit de sainteté, l’amour qui nous guérit et nous transforme, suivons Artémide:
            – petit garçon, il fait des choix et des actes d’amour dans toutes les situations et avec tous les frères et sœurs qu’il rencontre, parce qu’il se sent aimé et qu’il a la force d’aimer ;
            – encore adolescent en Italie, il connaît les difficultés de la pauvreté et du travail, mais il pose les bases d’une vie chrétienne solide, en donnant les premières preuves de sa généreuse charité ;
            – émigré avec sa famille en Argentine, il sait conserver et faire grandir sa foi, résistant à un milieu souvent immoral et antichrétien ; grâce à la rencontre avec les Salésiens et à l’accompagnement spirituel du Père Carlo Cavalli, il aspire à la vie salésienne, acceptant de retourner sur les bancs de l’école avec des garçons de douze ans, lui qui en avait déjà vingt ;
            – il se propose comme volontaire pour assister un prêtre malade de la tuberculose et contracte la maladie, sans prononcer un mot de plainte ou de récrimination, mais en vivant la maladie comme un temps d’épreuve et de purification, en supportant ses conséquences avec force et sérénité ;
            – guéri de façon extraordinaire, par l’intercession de Marie Auxiliatrice, après avoir fait la promesse de consacrer sa vie aux malades et aux pauvres, il vit sa consécration apostolique de coadjuteur salésien avec un radicalisme évangélique et une joie salésienne ;
            – il vit de façon extraordinaire le rythme ordinaire de ses journées : pratique fidèlement et de façon édifiante la vie religieuse dans une joyeuse fraternité ; rend à toute heure les plus humbles services aux malades et aux pauvres en esprit de sacrifice ; lutte continuellement contre la pauvreté, toujours à la recherche de ressources et de bienfaiteurs pour faire face aux dettes, en se confiant exclusivement à la Providence ; se rend disponible pour tous les malheurs humains qui demandaient son intervention ; résiste à toutes les difficultés et accepte tous les cas défavorables ; pratique la maîtrise de soi et communique avec tous ceux qui l’approchent avec une sérénité joyeuse et optimiste.

Soixante et onze ans de cette vie devant Dieu et devant les hommes : une vie livrée avec joie et fidélité jusqu’au bout, incarnée dans la vie quotidienne, dans les services hospitaliers, sur sa bicyclette dans les rues de Viedma, dans les travaux de la vie concrète pour répondre aux demandes et aux besoins de toutes sortes, vivant les choses quotidiennes dans un esprit de service, avec amour et sans clameur, sans rien revendiquer, avec la joie du don, embrassant avec enthousiasme sa vocation de coadjuteur salésien et devenant un reflet lumineux du Seigneur.

Film vu avant la conférence



Vidéo de la conférence : Le grand don de sainteté d’Artemide Zatti
Conférence donnée par Don Pierluigi CAMERONI, Postulateur général de la Société salésienne de Saint Jean Bosco à Turin-Valdocco, le 14.11.2023.

By P. Pierluigi CAMERONI

Salésien de Don Bosco, expert en hagiographie, auteur de plusieurs livres salésiens. Il est le postulateur général de la Société salésienne de St Jean Bosco.