Prophètes du pardon et de la gratuité

En ces temps où les nouvelles, jour après jour, nous rapportent des expériences de conflit, de guerre et de haine, le risque est grand que nous, en tant que croyants, finissions par être entraînés dans une lecture des événements qui se réduit seulement au niveau politique, ou que nous nous limitions à prendre position en faveur d’une partie ou de l’autre avec des arguments qui reflètent nore manière de voir les choses, notre manière d’interpréter la réalité.

Dans le discours de Jésus qui suit les béatitudes, il y a une série de « petites/grandes leçons » que le Seigneur nous offre. Elles commencent toujours par le verset « vous avez entendu qu’il a été dit ». Dans l’une d’elles, le Seigneur rappelle l’ancien dicton « œil pour œil et dent pour dent » (Mt 5,38).
En dehors de la logique de l’Évangile, cette loi non seulement n’est pas contestée, mais elle peut même être prise comme une règle qui exprime la manière de rétablir les comptes avec ceux qui nous ont offensés. Obtenir vengeance est perçu comme un droit, voire même comme un devoir.
Jésus se présente devant cette logique avec une proposition complètement différente, totalement opposée. À l’inverse de ce que nous avons entendu, Jésus nous dit : « Mais moi, je vous dis » (Mt 5,39). Et ici, en tant que chrétiens, nous devons faire très attention. Les paroles de Jésus qui suivent sont importantes non seulement pour elles-mêmes, mais parce qu’elles expriment de manière très synthétique tout son message. Jésus ne vient pas pour nous dire qu’il y a une autre façon d’interpréter la réalité. Jésus ne vient pas à nous pour élargir l’éventail des opinions à propos des réalités terrestres, en particulier de celles qui touchent notre vie. Jésus n’est pas une autre opinion, mais il incarne lui-même la proposition alternative à la loi de la vengeance.
La phrase « mais moi, je vous dis » est d’une importance fondamentale car ce n’est plus la parole prononcée, mais la personne même de Jésus. Ce que Jésus nous communique, il le vit. Quand Jésus dit « de ne pas vous opposer au méchant ; au contraire, si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre » (Mt 5,39), ces mêmes paroles, il les a vécues en personne. Nous ne pouvons certainement pas dire de Jésus qu’il prêche bien mais que son message n’est pas approprié.
Pour en revenir à notre époque, ces paroles de Jésus risquent d’être perçues comme les paroles d’une personnalité faible, la réaction de quelqu’un qui n’est plus capable de réagir mais seulement de subir. Et de fait, quand nous regardons Jésus qui s’offre complètement sur le bois de la Croix, c’est l’impression que nous pouvons avoir. Et pourtant, nous savons très bien que le sacrifice sur la croix est le fruit d’une expérience qui part de la phrase « mais moi, je vous dis ». Car tout ce que Jésus nous a dit, il a fini par l’assumer pleinement. Et en l’assumant pleinement, il a réussi à passer de la croix à la victoire. La logique de Jésus est une logique qui, apparemment, est celle d’un perdant. Mais nous savons très bien que le message que Jésus nous a laissé, et qu’il a vécu pleinement, est le remède dont ce monde a vraiment besoin aujourd’hui.

Être prophètes du pardon signifie choisir le bien comme réponse au mal. Cela signifie avoir la certitude que la puissance du malin ne conditionnera pas ma façon de voir et d’interpréter la réalité. Le pardon n’est pas la réponse du faible. Le pardon est le signe le plus éloquent d’une liberté capable de reconnaître les blessures que le mal laisse derrière lui, mais avec la conviction que ces mêmes blessures ne seront jamais une poudrière qui fomente la vengeance et la haine.
Réagir au mal par le mal ne fait qu’élargir et approfondir les blessures de l’humanité. La paix et la concorde ne croissent pas sur le terrain de la haine et de la vengeance.

Être prophètes de la gratuité exige de nous la capacité de regarder le pauvre et l’indigent non pas avec la logique du profit, mais avec la logique de la charité. Le pauvre ne choisit pas d’être pauvre, mais celui qui possède a la possibilité de choisir d’être généreux, bon et plein de compassion. Combien le monde serait différent si nos leaders politiques, dans ce scénario où les conflits et les guerres se multiplient, avaient la sagesse de regarder ceux qui paient le prix de ces divisions, les pauvres, les marginalisés, ceux qui ne peuvent pas s’échapper parce qu’ils n’en ont pas les moyens !
Si nous partons d’une lecture purement horizontale, il y a de quoi désespérer. Il ne nous reste plus qu’à rester enfermés dans nos murmures, dans nos critiques. Mais non ! Nous sommes des éducateurs de jeunes. Nous savons bien que ces jeunes, dans notre monde, cherchent des points de référence d’une humanité saine, de leaders politiques capables d’interpréter la réalité avec des critères de justice et de paix. Mais quand nos jeunes regardent autour d’eux, nous savons bien qu’ils ne perçoivent que le vide d’une vision pauvre de la vie.
Nous qui sommes engagés dans l’éducation des jeunes avons une grande responsabilité. Il ne suffit pas de commenter l’obscurité que laisse une absence presque complète de leadership. Il ne suffit pas de commenter qu’il n’y a pas de propositions capables d’enflammer la mémoire des jeunes. Il appartient à chacun et à chacune de nous d’allumer une bougie d’espoir au milieu de cette obscurité, d’offrir des exemples d’humanité réussie au quotidien.
Il vaut vraiment la peine aujourd’hui d’être prophètes du pardon et de la gratuité.




Don Bosco avec ses Salésiens

Si avec ses garçons Don Bosco plaisantait volontiers pour les voir gais et sereins, avec ses Salésiens il révélait aussi en plaisantant l’estime qu’il avait pour eux, le désir de les voir former avec lui une grande famille, pauvre certes, mais pleine de confiance en la Divine Providence, unie dans la foi et la charité.

Les fiefs de Don Bosco
En 1830, Marguerite Occhiena, veuve de François Bosco, fit le partage des biens hérités de son mari entre son beau-fils Antoine et ses deux fils Joseph et Jean. Il s’agissait, entre autres, de huit parcelles de terre en pré, champ et vigne. Nous ne savons rien de précis sur les critères suivis par Mamma Margherita pour répartir l’héritage paternel entre eux trois. Toutefois, parmi les terrains, il y avait un vignoble près des Becchi (à Bric dei Pin), un champ à Valcapone (ou Valcappone) et un autre à Bacajan (ou Bacaiau). Quoi qu’il en soit, ces trois terres constituaient les « fiefs » que Don Bosco appelait parfois, en plaisantant, sa propriété.
Les Becchi, comme nous le savons tous, est l’humble hameau où naquit Don Bosco ; Valcappone (ou Valcapone) était un lieu situé plus à l’est, sous la Serra di Capriglio, mais en bas de la vallée, dans la zone connue sous le nom de Sbaruau (= croquemitaine), parce qu’elle était très boisée avec quelques cabanes cachées parmi les branches qui servaient de lieu de stockage pour les blanchisseurs et de refuge pour les brigands. Bacajan (ou Bacaiau) était un champ situé entre les parcelles de Valcapone et de Morialdo. Voilà les « fiefs » de Don Bosco !
Les Mémoires biographiques racontent que Don Bosco avait l’habitude de conférer des titres de noblesse à ses collaborateurs laïcs. Il y avait donc le comte des Becchi, le marquis de Valcappone, le baron de Bacaiau, les trois terres qui faisaient partie de l’héritage de Don Bosco. « C’est avec ces titres qu’il appelait Rossi, Gastini, Enria, Pelazza, Buzzetti, non seulement à la maison mais aussi à l’extérieur, surtout lorsqu’il voyageait avec l’un d’entre eux » (MB VIII, 198-199).
Parmi ces « nobles » salésiens, nous savons avec certitude que le comte des Becchi (ou du Bricco del Pino) était Giuseppe Rossi, le premier salésien laïc, ou « coadjuteur », qui aima Don Bosco comme un fils très affectueux et lui resta fidèle pour toujours.
Un jour, Don Bosco se rendit à la gare de Porta Nuova et Giuseppe Rossi l’accompagnait en portant sa valise. Ils arrivèrent juste au moment où le train était sur le point de partir et où les wagons étaient bondés. Don Bosco, ne trouvant pas de place, se tourna vers Rossi et lui dit d’une voix forte : « Oh ! Monsieur le Comte, je regrette que vous ne puissiez pas vous asseoir !
– Oh ! Monsieur le Comte, je regrette que vous vous donniez tant de mal pour moi !
– N’y pensez pas, Don Bosco, c’est un honneur pour moi !
Des voyageurs aux fenêtres, entendant ces mots « Monsieur le Comte » et « Don Bosco », se regardèrent avec étonnement et l’un d’eux cria de la voiture :
– Don Bosco ! Monsieur le Comte ! Montez ici, il y a encore deux places !
– Mais je ne veux pas vous déranger, répondit Don Bosco.
– Montez donc ! C’est un honneur pour nous. Je vais enlever mes valises, vous aurez bien de la place !
Et c’est ainsi que le « Comte des Becchi » a pu monter dans le train avec Don Bosco et la valise.

Les pompes et une soupente
Don Bosco a vécu et est mort pauvre. Pour la nourriture, il se contentait de très peu. Même un verre de vin était déjà trop pour lui, et il l’édulcorait systématiquement avec de l’eau.
« Souvent, il oubliait de boire, absorbé par d’autres pensées, et c’était à ses voisins de table de verser le vin dans son verre. Et puis, si le vin était bon, il cherchait immédiatement de l’eau ‘pour le rendre meilleur’, disait-il. Et il ajoutait en souriant : « J’ai renoncé au monde et au diable, mais pas aux pompes », faisant allusion aux pompes qui tirent l’eau du puits (MB IV, 191-192).
Même pour l’hébergement, nous savons comment il a vécu. Le 12 septembre 1873, la Conférence générale des Salésiens se réunit pour réélire un économe et trois conseillers. À cette occasion, Don Bosco prononça des paroles mémorables et prophétiques sur le développement de la Congrégation. Puis, lorsqu’il en vint à parler du Chapitre Supérieur, qui semblait désormais avoir besoin d’une résidence convenable, il dit, au milieu de l’hilarité générale : « Si c’était possible, je voudrais faire une « soupente » au milieu de la cour, où le Chapitre pourrait être séparé de tous les autres mortels. Mais comme ses membres ont encore le droit d’être sur cette terre, ils peuvent rester ou ici, ou là, dans différentes maisons, selon ce qui leur semblera le mieux ! » (MB X, 1061-1062).

Otis, botis, pija tutis
Un jeune homme lui demanda un jour comment il connaissait l’avenir et devinait tant de choses secrètes. Il lui répondit :
– Écoute-moi. Le moyen est simple, et il s’explique par ces mots : Otis, botis, pija tutis. Sais-tu ce que ces mots signifient ?… Fais attention, ce sont des mots grecs et, en les épelant, il répétait : O-tis, bo-tis, pi-ja tu-tis. Tu comprends ?
– C’est une affaire sérieuse !
– Je le sais, moi aussi. Je n’ai jamais voulu manifester à qui que ce soit la signification de cette devise. Et personne ne le sait, et ne le saura jamais, parce qu’il ne me convient pas de le dire. C’est mon secret avec lequel je fais des choses extraordinaires, je lis dans les consciences, je connais les mystères. Mais si tu es malin, tu peux comprendre.
Et il répéta ces quatre mots, en pointant son index sur le front, la bouche, le menton, la poitrine du jeune homme. Il finit en lui donnant à l’improviste une petite gifle. Le jeune homme rit, mais insista :
– Traduisez-moi au moins ces quatre mots !
– Je peux les traduire, mais tu ne comprendras pas la traduction.
Et il lui dit en plaisantant, en dialecte piémontais :
– Quand ch’at dan ed bòte, pije tute (Quand on te donne des coups, prends-les tous) (MB VI, 424). Et il voulait dire par là que pour devenir saint, il faut accepter toutes les souffrances que la vie nous réserve.

Don Bosco, patron des rétameurs
Chaque année, les jeunes de l’Oratoire Saint-Léon de Marseille se rendaient à la villa de Monsieur Olive, généreux bienfaiteur des Salésiens. A cette occasion, le père et la mère servaient les supérieurs à table, et leurs enfants servaient les élèves.

En 1884, la sortie eut lieu pendant le séjour de Don Bosco à Marseille.
Alors que les élèves s’amusaient dans les jardins, la cuisinière toute préoccupée courut prévenir Madame Olive :
– Madame, la marmite de soupe des garçons fuit et il n’y a pas moyen d’y remédier. Ils devront se passer de soupe !
La patronne, qui avait une grande confiance en Don Bosco, eut une idée. Elle fit venir tous les jeunes :
– Ecoutez, leur dit-elle, si vous voulez manger la soupe, mettez-vous à genoux ici et récitez une prière à Don Bosco pour qu’il fasse rétamer la marmite.
Ils obéirent. La marmite cessa instantanément de fuir. Mais Don Bosco, entendant ce fait, rit de bon cœur en disant :
– Désormais, ils appelleront Don Bosco le patron des rétameurs (MB XVII, 55-56).




Le cardinal Auguste Hlond

Deuxième d’une famille de 11 enfants, il avait un père cheminot. Ayant reçu de ses parents une foi simple mais forte, attiré à l’âge de 12 ans par la renommée de Don Bosco, il suit son frère Ignace en Italie pour se consacrer au Seigneur dans la Société salésienne, et y attire bientôt deux autres frères : Antonio, qui deviendra salésien et musicien renommé, et Clément, qui sera missionnaire. Le lycée de Valsalice l’accueille pour ses études. Il fut ensuite admis au noviciat et reçut la soutane des mains du Bienheureux Michel Rua (1896). Ayant fait sa profession religieuse en 1897, il est envoyé par ses supérieurs à Rome à l’Université Grégorienne pour le cours de philosophie, qu’il couronna par un diplôme. De Rome, il retourne en Pologne pour faire son stage pratique au collège d’Oświęcim. Sa fidélité au système éducatif de Don Bosco, son engagement dans l’assistance et dans l’école, son dévouement pour les jeunes et son amabilité lui donnent un grand ascendant. Il se fait également rapidement remarquer pour ses talents musicaux.
Après avoir terminé ses études de théologie, il est ordonné prêtre le 23 septembre 1905 à Cracovie par Mgr Nowak. De 1905 à 2009, il suit les cours de la faculté des lettres des universités de Cracovie et de Lwow. En 1907, il est chargé de la nouvelle maison de Przemyśl (1907-1909), d’où il passe ensuite à la direction de la maison de Vienne (1909-1919). Là, son courage et ses capacités personnelles prirent encore plus d’ampleur en raison des difficultés particulières auxquelles l’institut était confronté dans la capitale impériale. Là, les vertus et le tact du père Auguste Hlond réussirent en peu de temps non seulement à redresser la situation économique, mais aussi à faire éclore des œuvres de jeunesse qui suscitèrent l’admiration de toutes les classes de la population. Son souci des pauvres, des ouvriers, des enfants du peuple lui attira l’affection des classes les plus humbles. Cher aux évêques et aux nonces apostoliques, il jouissait de l’estime des autorités et de la famille impériale elle-même. En reconnaissance de cette œuvre sociale et éducative, il reçut à trois reprises des distinctions honorifiques parmi les plus prestigieuses.
En 1919, lorsque le développement de la province austro-hongroise conseilla une division proportionnelle au nombre de maisons, les supérieurs nommèrent le père Hlond provincial de la province germano-hongroise, basée à Vienne (1919-1922), lui confiant le soin des confrères autrichiens, allemands et hongrois. En moins de trois ans, le jeune provincial ouvrit une douzaine de nouvelles présences salésiennes, qu’il forma dans l’esprit salésien le plus authentique, suscitant de nombreuses vocations.
Il était en pleine activité salésienne quand, en 1922, le Saint-Siège décida d’assurer le gouvernement de l’Église dans la Silésie polonaise, encore ensanglantée par les luttes politiques et nationales. Le pape Pie XI lui confia cette délicate mission en le nommant Administrateur Apostolique. Grâce à sa médiation entre Allemands et Polonais, naquit en 1925 le diocèse de Katowice, dont il devint l’évêque. En 1926, il devient archevêque de Gniezno et Poznań et primat de Pologne. L’année suivante, le pape le crée cardinal. En 1932, il fonde la Société du Christ pour les émigrés polonais, destinée à aider les nombreux compatriotes qui ont quitté le pays.
En mars 1939, il participe au conclave qui élit Pie XII. Le 1er septembre de la même année, les nazis envahissent la Pologne : c’est le début de la seconde Guerre mondiale. Le cardinal s’élève contre les violations des droits de l’homme et de la liberté religieuse commises par Hitler. Contraint à l’exil, il se réfugie en France, à l’abbaye d’Hautecombe, dénonçant la persécution des Juifs en Pologne. La Gestapo pénètre dans l’abbaye, l’arrête et le déporte à Paris. Le cardinal refuse catégoriquement de soutenir la formation d’un gouvernement polonais pro-nazi. Il est interné d’abord en Lorraine, puis en Westphalie. Libéré par les troupes alliées, il rentre dans son pays en 1945.
Dans la nouvelle Pologne libérée du nazisme, il découvre le communisme. Il défend courageusement les Polonais contre l’oppression marxiste athée, échappant même à plusieurs tentatives d’assassinat. Il meurt le 22 octobre 1948 d’une pneumonie, à l’âge de 67 ans. Des milliers de personnes ont assisté à ses funérailles.
Le cardinal Hlond était un homme vertueux, un exemple lumineux de religieux salésien et un pasteur généreux et austère, capable de visions prophétiques. Obéissant à l’Église et ferme dans l’exercice de son autorité, il a fait preuve d’une humilité héroïque et d’une constance sans équivoque dans les moments les plus difficiles. Il a cultivé la pauvreté et pratiqué la justice envers les pauvres et les nécessiteux. Les deux piliers de sa vie spirituelle, à l’école de saint Jean Bosco, étaient l’Eucharistie et Marie Auxiliatrice.
Dans l’histoire de l’Église de Pologne, le cardinal Auguste Hlond a été l’une des figures les plus éminentes pour le témoignage religieux de sa vie, pour la grandeur, la variété et l’originalité de son ministère pastoral, pour les souffrances qu’il a affrontées avec un esprit chrétien intrépide à cause du Royaume de Dieu. L’ardeur apostolique a caractérisé le travail pastoral et la physionomie spirituelle du Vénérable Auguste Hlond, qui a pris comme devise épiscopale Da mihi animas coetera tolle. Es vrai fils de saint Jean Bosco, il l’a confirmée par sa vie d’homme consacré et d’évêque, en témoignant d’une infatigable charité pastorale.
Il faut rappeler son grand amour pour la Vierge, appris dans sa famille, et la grande dévotion du peuple polonais pour la Mère de Dieu, vénérée dans le sanctuaire de Częstochowa. En outre, depuis Turin, où il a commencé son parcours de salésien, il a diffusé le culte de Marie Auxiliatrice en Pologne et a consacré la Pologne au Cœur Immaculé de Marie. Sa confiance en Marie l’a toujours soutenu dans l’adversité et à l’heure de sa dernière rencontre avec le Seigneur. Il est mort avec le chapelet dans les mains, en disant aux personnes présentes que la victoire, lorsqu’elle arrivera, sera la victoire de Marie Immaculée.
Le Vénérable cardinal Auguste Hlond est un témoin singulier de la nécessité d’accepter chaque jour le chemin de l’Évangile, même s’il nous apporte des problèmes, des difficultés, voire des persécutions : c’est cela la sainteté. « Jésus nous rappelle combien de personnes sont persécutées et ont été persécutées simplement parce qu’elles luttaient pour la justice, parce qu’elles vivaient leurs engagements envers Dieu et envers les autres. Si nous ne voulons pas sombrer dans une médiocrité obscure, ne prétendons pas à une vie confortable, car ‘celui qui veut sauver sa vie la perdra’ » (Mt 16,25). Nous ne pouvons pas attendre, pour vivre l’Évangile, que tout soit favorable autour de nous, car souvent les ambitions de pouvoir et les intérêts mondains jouent contre nous… La croix, en particulier les fatigues et les souffrances que nous endurons pour vivre le commandement de l’amour et le chemin de la justice, est une source de maturation et de sanctification » (François, Gaudete et Exsultate, nn. 90-92).




L’éducation de la conscience avec saint François de Sales

Il semble bien que ce soit l’avènement de la réforme protestante qui ait mis à l’ordre du jour le problème de la conscience, et plus précisément de la « liberté de conscience ». Dans une lettre de 1597 à Clément VIII, le prévôt de Sales se plaignait au pape de la « tyrannie » que la « république de Genève » faisait peser « sur les consciences catholiques ». Il demandait au Saint-Siège d’intervenir auprès du roi de France pour qu’il obtienne que les Genevois accordent « ce qu’ils appellent liberté de conscience ». Hostile aux solutions militaires de la crise protestante, il laissait entrevoir dans la libertas conscientiae une issue possible à la confrontation violente, à condition que la réciprocité soit respectée. Revendiquée par Genève en faveur de la Réforme et revendiquée par François de Sales en faveur du catholicisme, la liberté de conscience allait devenir un des piliers de la mentalité moderne.

Dignité de la personne humaine
La dignité de l’individu réside dans sa conscience et la conscience signifie en premier lieu sincérité, honnêteté, franchise, conviction. Le prévôt de Sales avouait par exemple « pour la décharge de [sa] conscience » que le projet des Controverses lui avait été en quelque sorte imposé par autrui. Quand il apportait ses raisons en faveur de la doctrine et de la pratique catholiques, il prenait soin de dire qu’il le faisait « en conscience ». « Dites-moi en conscience », demandait-il avec insistance à ses contradicteurs. Quant à la « bonne conscience », c’est elle qui fait que l’on évite certains actes qui nous mettent en contradiction avec nous-mêmes.
Cependant la conscience subjective individuelle ne peut pas toujours être tenue comme garante de la vérité objective. On n’est pas toujours obligé de croire ce que quelqu’un vous dit en conscience. « Montrez-moi clairement, dit le prévôt aux messieurs de Thonon, que lorsque vous me dites que telle et telle inspiration se passe en votre conscience, vous ne mentez point, vous ne me trompez point ». La conscience peut être victime de l’illusion, de façon volontaire ou même involontaire. « Les plus avares, non seulement ne confessent pas de l’être, mais ils ne pensent pas en leur conscience de l’être ».
La formation de la conscience est une tâche essentielle, parce que la liberté comporte le risque de « faire le bien et le mal », mais « choisir le mal, ce n’est pas user mais abuser de notre liberté ». Tâche rude, parce que la conscience nous apparaît parfois comme un adversaire, mais c’est un bon adversaire qui « combat toujours contre nous et pour nous » : « il résiste toujours à nos mauvaises inclinations », mais il le fait pour notre bien. Quand l’homme pèche, « le reproche intérieur vient contre sa conscience avec l’épée au poing », mais c’est « pour l’outrepercer d’une sainte crainte ».
Un des moyens pour exercer une liberté responsable est de pratiquer « l’examen de conscience ». C’est faire comme les colombes qui « se mirent » « auprès des eaux très pures », et qui « se nettoient, purifient et ornent au mieux qu’elles peuvent ». Philothée est invitée à faire cet examen tous les soirs, en se demandant « comme on s’est comporté en toutes les heures du jour ; et pour faire cela aisément, on considérera où, avec qui, et en quelle occupation on a été ».
Une fois l’an, nous devrions faire un examen approfondi de « l’état de notre âme » envers Dieu, envers le prochain et envers nous-mêmes, sans oublier un « examen sur les affections de notre âme ». L’examen, dit-il aux visitandines, vous conduira à chercher « bien au fond de votre conscience ».
Comment décharger sa conscience quand on sent peser sur elle une erreur ou une faute ? Certains le font d’une mauvaise manière en jugeant et en accusant les autres « du vice auquel ils se sont voués », pensant ainsi « adoucir les remords de leurs consciences ». C’est ainsi qu’on multiplie le risque des jugements téméraires. Au contraire, « ceux qui ont bien soin de leurs consciences ne sont guère sujets au jugement téméraire ». Il faut mettre à part le cas des parents, des éducateurs et des responsables du bien public car « une bonne partie de leur conscience consiste à regarder et veiller sur celle des autres ».

Le respect de soi
La conscience exige le respect de soi et des autres. De l’affirmation de la dignité et de la responsabilité de chacun devra naître le respect de soi. Déjà Socrate et toute l’antiquité païenne et chrétienne avaient montré le chemin :

C’est une parole des philosophes, mais qui a été approuvée pour bonne par les docteurs chrétiens : « Connais-toi toi-même », c’est-à-dire, connais l’excellence de ton âme afin de ne la point avilir ni mépriser.

Certains de nos actes constituent non seulement une offense à Dieu, mais aussi une offense à la dignité de l’homme, à sa raison. Leurs conséquences sont déplorables : « La ressemblance et image de Dieu que nous avons est barbouillée et défigurée, la dignité de notre esprit déshonorée », nous sommes rendus « semblables aux bêtes insensées, nous rendant esclaves de nos passions et renversant l’ordre de la raison ».
Il y a des extases et des ravissements qui nous élèvent au-dessus de notre condition naturelle, et d’autres qui nous rabaissent : « Ô hommes, s’écrie l’auteur du Traité de l’amour de Dieu, jusques à quand serez-vous si insensés que de vouloir ravaler votre dignité naturelle, descendant volontairement et vous précipitant en la condition des bêtes brutes » ?
Le respect de soi permettra d’éviter ces deux périls opposés que sont l’orgueil et la dépréciation des dons qui sont en nous. En un siècle où le sens de l’honneur était exalté au maximum, François de Sales a dû intervenir pour dénoncer ses méfaits, notamment dans la question du duel, qui faisait « hérisser les cheveux en tête » à l’évêque de Genève, et plus encore l’orgueil insensé qui en était la cause. « Je suis scandalisé, écrit-il à l’épouse d’un mari duelliste ; en vérité, je ne puis penser comme l’on peut avoir un courage si déréglé, même pour des bagatelles et choses de rien ». En se battant en duel, c’est comme « s’ils s’étaient entreservis de bourreau l’un à l’autre ».
D’autres, à l’inverse, n’osent pas reconnaître les dons qu’ils ont reçus et manquent ainsi au devoir de reconnaissance. François de Sales dénonce « certaine fausse et niaise humilité qui leur empêche de regarder rien en eux qui soit bon ». Ils ont tort car « les biens que Dieu met en nous veulent être reconnus, estimés et grandement honorés ».
Le premier prochain que je dois respecter et aimer, semble vouloir dire François de Sales, c’est moi-même. Le véritable amour envers moi-même et le respect que je me dois veulent que je tende à la perfection et que je me corrige, s’il en est besoin, mais avec douceur, raisonnablement et plutôt « par voie de compassion » que par colère et avec emportement.
Il existe en effet un amour de soi qui est non seulement légitime, mais bienfaisant et commandé : « Charité bien ordonnée commence par soi-même », dit le proverbe, et c’est bien la pensée de François de Sales, à condition de ne pas confondre l’amour de soi et l’amour-propre. L’amour de soi est bon en lui-même. Philothée est invitée à s’interroger sur la façon dont elle s’aime elle-même :

Tenez-vous bon ordre en l’amour de vous-même ? car il n’y a que l’amour désordonné de nous-mêmes qui nous ruine. Or, l’amour ordonné veut que nous aimions plus l’âme que le corps, que nous ayons plus de soin d’acquérir les vertus que toute autre chose.

Au contraire, l’amour-propre est un amour égoïste, narcissique, replié sur lui-même, jaloux de sa propre beauté et uniquement préoccupé de son intérêt : « Narcisse, disent les profanes, était un enfant si dédaigneux qu’il ne voulut jamais donner son amour à personne ; mais enfin en se regardant dans une claire fontaine, il fut extrêmement épris de sa beauté. »

Le « respect que l’on doit aux personnes »
Si l’on se respecte soi-même on sera plus porté à respecter les autres. Le fait que nous sommes l’image de Dieu a pour corollaire l’affirmation que « tous les hommes ont cette même dignité ». Tout en vivant lui-même dans une société d’ancien régime, fortement inégalitaire, François de Sales a promu une pensée et une pratique du « respect que l’on doit aux personnes ».
Il faut commencer par l’enfant. La mère de saint Bernard, dit l’auteur de l’Introduction, aimait ses enfants à peine nés « avec respect comme chose sacrée et que Dieu lui avait confiée ». Un reproche très grave adressé par François de Sales aux païens était leur mépris de la vie des êtres sans défense. Le respect de l’enfant à naître s’exprime dans ce passage d’une lettre à une femme enceinte écrite selon la rhétorique baroque de l’époque. Il l’encourage en lui expliquant que l’« enfant qui se forme au milieu de [ses] entrailles est non seulement « une image vivante de la divine Majesté », mais aussi l’image de sa mère. Il recommandait à une autre :

Offrez souvent à la gloire éternelle de notre Créateur la petite créature à la formation de laquelle il vous a voulu prendre pour coopératrice.

Un autre aspect du respect d’autrui concerne le respect de sa liberté. La découverte de nouvelles terres avait eu pour conséquence néfaste la résurgence de l’esclavage, qui ne rappelait que trop les pratiques des anciens Romains au temps du paganisme. La vente d’êtres humains ravalait ceux-ci au rang des bêtes :

Marc Antoine acheta un jour deux jeunes jouvenceaux que lui présenta un certain maquignon ; car en ce temps-là, comme il se fait encore en quelques contrées, l’on vendait les enfants : il y avait des hommes qui en faisaient provision et usaient de ce trafic comme l’on fait des chevaux en nos pays.

De manière plus subtile, le respect d’autrui est continuellement menacé par la médisance et la calomnie. François de Sales insiste beaucoup sur les « péchés de langue ». Un chapitre de l’Introduction traite explicitement « de l’honnêteté des paroles et du respect que l’on doit aux personnes ». Ruiner la réputation de quelqu’un, c’est commettre un « homicide spirituel » ; c’est ôter « la vie civile » à celui duquel on médit. Aussi, « en blâmant le vice », on s’efforcera d’épargner le plus possible « la personne en laquelle il est ».
Certaines catégories de personnes sont facilement dénigrées ou méprisées. François de Sales défend la dignité des hommes du peuple en s’appuyant sur l’Évangile : « Saint Pierre, commente-t-il, était un homme rude, grossier, un viel pêcheur, métier mécanique, et d’une basse condition ; saint Jean, au contraire, était un jeune gentilhomme, doux, agréable, savant ; saint Pierre ignorant. » Or, c’est saint Pierre qui fut choisi pour conduire les autres et être le « supérieur universel ».
Il proclame la dignité des malades, disant que « les âmes qui sont en croix sont déclarées reines ». Dénonçant la « cruauté envers les pauvres » et exaltant la « dignité des pauvres », il justifie et précise l’attitude qu’il faut avoir envers eux en expliquant « combien nous devons les honorer, et partant les visiter comme représentant Notre-Seigneur ». Personne n’est inutile, personne n’est insignifiant : « Il n’y a nulle si mauvaise pièce au monde qui ne soit utile a quelque chose ; mais il faut lui trouver son usage et son lieu ».

L’« unidivers » salésien
Le problème qui a toujours tourmenté les sociétés humaines a été celui de concilier la dignité et la liberté de chaque individu avec celles des autres. Il reçoit chez François de Sales un éclairage original grâce à l’invention d’un mot nouveau. En effet, étant donné que l’univers est formé de « toutes choses créées tant visibles qu’invisibles » et que « toute leur diversité se réduit en unité », il propose de l’appeler « unidivers », c’est-à-dire « unique et divers, unique avec diversité et divers avec unité ».
Pour lui, chaque être est unique. Les personnes sont comme les perles dont parle Pline : « elles sont tellement uniques une chacune en ses qualités, qu’il ne s’en trouve jamais deux qui soient parfaitement pareilles ». Il est significatif que ses deux ouvrages principaux, l’Introduction et le Traité, s’adressent à une personne individuelle, Philothée et Théotime. Que de variété et de diversité entre les êtres ! « Certes, comme nous voyons qu’il ne se trouve jamais deux hommes semblables ès dons naturels, aussi ne s’en trouve-t-il jamais de parfaitement égaux ès surnaturels ». La variété l’enchantait même d’un point de vue purement esthétique, mais il craignait une curiosité indiscrète sur les causes :

Si quelqu’un s’enquérait pourquoi Dieu fait les melons plus gros que les fraises, ou les lis plus grands que les violettes, pourquoi le romarin n’est pas une rose, ou pourquoi l’œillet n’est pas un souci, pourquoi le paon est plus beau qu’une chauve-souris, ou pourquoi la figue est douce et le citron aigrelet, on se moquerait de ses demandes et on lui dirait : Pauvre homme, puisque la beauté du monde requiert la variété, il faut qu’il y ait des différentes et inégales perfections ès choses, et que l’une ne soit pas l’autre ; c’est pourquoi les unes sont petites, les autres grandes, les unes aigres, les autres douces, les unes plus, et les autres moins belles. […] Toutes ont leur prix, leur grâce et leur émail, et toutes, en l’assemblage de leurs variétés, font une très agréable perfection de beauté.

La diversité n’empêche pas l’unité, bien plus elle l’enrichit et l’embellit. Chaque fleur a ses caractéristiques propres qui la distinguent de toutes les autres : « Ce n’est pas le propre des roses d’être blanches, ce me semble, car les vermeilles sont plus belles et de meilleure odeur ; c’est néanmoins le propre du lys ». Certes, François de Sales ne supporte pas la confusion et le désordre, mais il est également ennemi de l’uniformité. La diversité des êtres peut conduire à la dispersion et à la rupture de la communion, mais s’il y l’amour, « lien de la perfection », rien n’est perdu, au contraire la diversité est magnifiée dans la communion.
S’il y bien chez François de Sales une réelle culture de l’individu, celle-ci ne vise pas toutefois une fermeture au groupe, à la communauté ou à la société. Il voit spontanément l’individu inséré dans un milieu ou « état » de vie, qui marque fortement l’identité et l’appartenance de chacun. On ne pourra pas fixer un programme ou un projet de vie égal pour tous, tout simplement parce qu’il sera appliqué et mis en œuvre différemment « par le gentilhomme, par l’artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée » ; il faut en outre l’adapter « aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier ». François de Sales voit la société répartie en milieux de vie fortement marqués par l’appartenance sociale et les solidarités de groupe, comme lorsqu’il traite « de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés ».
L’amour personnalise, et donc individualise. L’affection qui lie une personne à une autre est unique, comme l’éprouva François de Sales au contact de madame de Chantal :

Chaque affection a sa particulière différence d’avec les autres ; celle que je vous ai a une certaine particularité qui me console infiniment, et, pour dire tout, qui m’est extrêmement profitable.

Le soleil luit pour tous et pour chacun : « éclairant un endroit de la terre [il] ne l’éclaire pas moins que s’il n’éclairait point ailleurs et qu’il éclairât cela seul ».

L’être humain est en devenir
Humaniste chrétien, François de Sales croit enfin à la nécessité et à la possibilité du perfectionnement de la personne humaine. Érasme avait forgé la formule : Homines non nascuntur sed finguntur. Alors que l’animal est un être prédéterminé, guidé par l’instinct, l’homme au contraire est en perpétuelle évolution. Non seulement il change, mais il peut se changer lui-même, soit en mieux soit en pire.
Toute la préoccupation de François de Sales fut de se perfectionner lui-même, et d’aider les autres à se perfectionner, non seulement dans le domaine religieux, mais en toute chose. De la naissance à la tombe, l’homme est en apprentissage. Faisons comme le crocodile qui « ne cesse jamais de croître tandis qu’il est en vie ». En effet, « de demeurer en un état de consistance longuement, il est impossible : qui ne gagne, perd en ce trafic ; qui ne monte, descend en cette échelle ; qui n’est vainqueur, est vaincu en ce combat ». Il cite saint Bernard qui disait : « Il est écrit très spécialement de l’homme, que jamais il n’est en un même état : il faut ou qu’il avance, ou qu’il retourne en arrière ». Il faut avancer :

Ne connais-tu pas que tu es au chemin, et que le chemin n’est pas fait pour s’asseoir mais pour marcher ? Et il est tellement fait pour marcher, que marcher s’appelle cheminer.

Cela signifie aussi que la personne est éducable, capable d’apprendre, de se corriger et de s’améliorer. Cela est vrai à tous les niveaux. L’âge parfois n’y fait rien. Voyez ces petits chanteurs de la cathédrale, qui dépassent déjà de loin les capacités de l’évêque dans leur domaine :
J’admire ces petits enfants, qui à peine savent parler et qui chantent déjà leur partie, entendant toutes ces notes et ces règles de musique où je ne pense pas que je puisse rien comprendre, moi qui suis homme fait et qu’on voudrait bien faire passer pour quelque grand personnage.

Personne dans ce bas monde n’est parfait :

Il y en a qui de leurs naturels sont légers, les autres rébarbatifs, les autres durs à recevoir les opinions d’autrui, les autres sont inclinés à l’indignation, les autres à la colère, les autres à l’amour ; et en somme, il se trouve peu de personnes esquelles on ne puisse remarquer quelques sortes de telles imperfections.

Faut-il donc désespérer de pouvoir améliorer son tempérament en corrigeant quelques-unes de nos inclinations naturelles ? Nullement :

Quoiqu’elles soient comme propres et naturelles à un chacun, si est-ce que par le soin et affection contraire on les peut corriger et modérer, et même on peut s’en délivrer et purger : et je vous dis, Philothée, qu’il le faut faire. On a bien trouvé le moyen de changer les amandiers amers en amandiers doux, en les perçant seulement au pied pour en faire sortir le suc ; pourquoi est-ce que nous ne pourrons pas faire sortir nos inclinations perverses pour devenir meilleurs ?

D’où la conclusion optimiste mais exigeante : « Il n’y a point de si bon naturel qui ne puisse être rendu mauvais par les habitudes vicieuses ; il n’y a point aussi de naturel si revêche qui, par la grâce de Dieu premièrement, puis par l’industrie et diligence, ne puisse être dompté et surmonté ». Si l’homme est éducable, il ne faut désespérer de personne et se garder des jugements tout faits sur les personnes :

Ne dites pas : un tel est un ivrogne, encore que vous l’ayez vu ivre ; ni, il est adultère, pour l’avoir vu en ce péché ; ni, il est inceste, pour l’avoir trouvé en ce malheur ; car un seul acte ne donne pas le nom à la chose. […] Encore qu’un homme ait été vicieux longuement, on court fortune de mentir quand on le nomme vicieux.

L’homme n’a jamais fini de cultiver sa conscience, qui est son jardin secret. C’est la leçon que le fondateur des visitandines leur inculquait quand il les appelait « à cultiver la terre et le jardin » de leurs cœurs et de leurs esprits, car il n’existe pas d’« homme si parfait qui n’ait besoin de travailler, tant pour accroître la perfection que pour la conserver ».




Don Jose-Luis Carreno, missionnaire salésien

Don José Luis Carreño (1905-1986) a été décrit par l’historien Joseph Thekkedath comme « le salésien le plus aimé du sud de l’Inde » dans la première partie du XXe siècle. Partout où il a vécu – que ce soit en Inde britannique, dans la colonie portugaise de Goa, aux Philippines ou en Espagne – nous trouvons des salésiens qui gardent avec affection sa mémoire. Mais, chose étrange, nous ne disposons pas encore d’une biographie adéquate de ce grand salésien, à l’exception de la volumineuse lettre mortuaire rédigée par Don José Antonio Rico : « José Luis Carreño Etxeandía, ouvrier de Dieu ». Nous espérons que cette lacune pourra bientôt être comblée. Don Carreño a été l’un des artisans de la région Asie du Sud, et nous ne pouvons pas nous permettre de l’oublier.

José-Luis Carreño Etxeandía est né à Bilbao, en Espagne, le 23 octobre 1905. Orphelin de mère à l’âge de huit ans, il fut accueilli dans la maison salésienne de Santander. En 1917, à l’âge de douze ans, il entra à l’aspirantat de Campello. Il se souvient qu’à cette époque « on ne parlait pas beaucoup de Don Bosco… Mais pour nous, Don Binelli était un Don Bosco, sans parler de Don Rinaldi, alors Préfet Général, dont les visites nous laissaient une sensation surnaturelle, comme lorsque les messagers de Yahweh visitèrent la tente d’Abraham ».
Après le noviciat et le post-noviciat, il effectua son stage comme assistant des novices. Il devait être un clerc brillant, car Don Pedro Escursell écrit de lui au Recteur Majeur : « Je parle en ce moment même avec l’un des clercs modèles de cette maison. Il est assistant dans la formation du personnel de cette Province ; il me dit qu’il demande depuis longtemps à être envoyé en mission et qu’il a renoncé à le demander parce qu’il ne reçoit pas de réponse. C’est un jeune homme d’une grande valeur intellectuelle et morale. »
À la veille de son ordination sacerdotale, en 1932, le jeune José-Luis écrivit directement au Recteur Majeur, s’offrant pour les missions. L’offre fut acceptée, et il fut envoyé en Inde, où il débarqua à Mumbai en 1933. À peine un an plus tard, lorsque la Province de l’Inde du Sud fut érigée, il fut nommé maître des novices à Tirupattur : il avait à peine 28 ans. Avec ses extraordinaires qualités d’esprit et de cœur, il devint rapidement l’âme de la maison et laissa une profonde impression sur ses novices. « Il nous a conquis avec son cœur paternel », écrit l’un d’eux, l’archevêque Hubert D’Rosario de Shillong.
Don Joseph Vaz, un autre novice, racontait souvent comment Carreño s’était rendu compte qu’il tremblait de froid pendant une conférence. « Attends un instant, hombre », dit le maître des novices, et il sortit. Peu après, il revint avec un pull bleu qu’il donna à Joe. Joe remarqua que le pull était étrangement chaud. Puis il se rappela que sous sa soutane, son maître portait quelque chose de bleu… qui n’était plus là. Carreño lui avait donné son propre pull.
En 1942, lorsque le gouvernement britannique en Inde interna tous les étrangers des pays en guerre avec la Grande-Bretagne, Carreño ne fut pas inquiété, étant citoyen d’un pays neutre. En 1943, il reçut un message via Radio Vatican : il devait prendre la place de Don Eligio Cinato, inspecteur de la province de l’Inde du Sud, lui aussi interné. À la même période, l’archevêque salésien Louis Mathias de Madras-Mylapore l’invita à être son vicaire général.
En 1945, il fut officiellement nommé inspecteur, fonction qu’il occupa de 1945 à 1951. L’un de ses tout premiers actes fut de consacrer la Province au Sacré-Cœur de Jésus. De nombreux salésiens étaient convaincus que la croissance extraordinaire de la Province du Sud était due précisément à ce geste. Sous la direction de Don Carreño, les œuvres salésiennes doublèrent. L’un de ses actes les plus clairvoyants fut le lancement d’un collège universitaire dans le village reculé et pauvre de Tirupattur. Le Sacred Heart College finirait par transformer tout le district.
Carreño fut également le principal artisan de l’« indianisation » du visage salésien en Inde, cherchant dès le début des vocations locales, au lieu de s’appuyer exclusivement sur les missionnaires étrangers. Un choix qui s’avéra providentiel : d’abord, parce que le flux de missionnaires étrangers cessa, il s’interrompit pendant la guerre ; ensuite, parce que l’Inde indépendante décida de ne plus accorder de visas aux nouveaux missionnaires étrangers. « Si aujourd’hui les salésiens en Inde sont plus de deux mille, le mérite de cette croissance doit être attribué aux politiques initiées par Don Carreño », écrit Don Thekkedath dans son histoire des salésiens en Inde.
Don Carreño, comme nous l’avons dit, n’était pas seulement inspecteur, mais aussi vicaire de Mgr Mathias. Ces deux grands hommes, qui s’estimaient profondément, étaient cependant très différents de tempérament. L’archevêque était partisan de mesures disciplinaires sévères envers les confrères en difficulté, tandis que Don Carreño préférait des procédures plus douces. Le visiteur extraordinaire, Don Albino Fedrigotti, semble avoir donné raison à l’archevêque, qualifiant Don Carreño d’« excellent religieux, un homme au grand cœur », mais aussi « un peu trop poète ».
On ne manqua pas non plus de l’accuser d’être un mauvais administrateur, mais il est significatif qu’une figure comme Don Aurelio Maschio, grand procureur et architecte des œuvres salésiennes de Mumbai, ait rejeté avec décision cette accusation. En réalité, Don Carreño était un innovateur et un visionnaire. Certaines de ses idées – comme celle d’impliquer des volontaires non salésiens pour un service de quelques années – étaient, à l’époque, regardées avec suspicion, mais aujourd’hui elles sont largement acceptées et activement promues.
En 1951, à la fin de son mandat officiel d’inspecteur, on demanda à Carreño de rentrer en Espagne pour s’occuper des Salésiens Coopérateurs. Ce n’était pas la vraie raison de son départ, après dix-huit ans en Inde, mais Carreño accepta avec sérénité, même si ce ne fut pas sans douleur.
En 1952, on lui demanda d’aller à Goa, où il resta jusqu’en 1960. « Goa fut un coup de foudre », écrivit-il dans Urdimbre en el telar. Goa, de son côté, l’accueillit dans son cœur. Il poursuivit la tradition des salésiens qui servaient comme directeurs spirituels et confesseurs du clergé diocésain, et fut même le patron de l’association des écrivains de langue konkani. Surtout, il gouverna la communauté de Don Bosco Panjim avec amour, prit soin avec une paternité extraordinaire des nombreux garçons pauvres et, encore une fois, se dédia activement à la recherche de vocations à la vie salésienne. Les premiers salésiens de Goa – des personnes comme Thomas Fernandes, Elias Diaz et Romulo Noronha – racontaient avec les larmes aux yeux comment Carreño et d’autres passaient par le Goa Medical College, juste à côté de la maison salésienne, pour donner leur sang et ainsi obtenir quelques roupies avec lesquelles acheter des vivres et d’autres biens pour les garçons.
En 1961 eut lieu l’action militaire indienne avec l’annexion de Goa. À ce moment-là, Don Carreño se trouvait en Espagne et ne put plus retourner dans sa terre bien-aimée. En 1962, il fut envoyé aux Philippines comme maître des novices. Il n’accompagna que trois groupes de novices, car en 1965, il demanda à rentrer en Espagne. À l’origine de sa décision, il y avait une sérieuse divergence de vision entre lui et les missionnaires salésiens venant de Chine, et spécialement avec Don Carlo Braga, supérieur de la Visitatoria. Carreño s’opposa avec force à la politique d’envoyer les jeunes salésiens philippins nouvellement profès à Hong Kong pour les études de philosophie. Il se trouva que, finalement, les supérieurs acceptèrent la proposition de retenir les jeunes salésiens aux Philippines, mais à ce moment-là, la demande de Carreño de rentrer dans son pays avait déjà été acceptée.
Don Carreño ne passa que quatre ans aux Philippines, mais là aussi, comme en Inde, il laissa une empreinte indélébile, « une contribution incommensurable et cruciale à la présence salésienne aux Philippines », selon les mots de l’historien salésien Nestor Impelido.
De retour en Espagne, il a collaboré avec les Procures Missionnaires de Madrid et de New Rochelle, et à l’animation des provinces ibériques. Beaucoup en Espagne se souviennent encore du vieux missionnaire qui visitait les maisons salésiennes, contaminant les jeunes avec son enthousiasme missionnaire, ses chansons et sa musique.
Mais dans son imagination créative, un nouveau projet prenait forme. Carreño se consacra de tout son cœur au rêve de fonder un Pueblo Misionero avec deux objectifs : préparer de jeunes missionnaires – principalement originaires d’Europe de l’Est – pour l’Amérique latine ; et offrir un refuge aux missionnaires « retraités » comme lui, qui pourraient également servir de formateurs. Après une longue et douloureuse correspondance avec les supérieurs, le projet prit finalement forme dans l’Hogar del Misionero à Alzuza, à quelques kilomètres de Pampelune. La composante vocationnelle missionnaire ne décolla jamais, et très peu de missionnaires âgés rejoignirent effectivement Carreño. Son principal apostolat durant ces dernières années resta celui de la plume. Il laissa plus de trente livres, dont cinq dédiés au Saint-Suaire, auquel il était particulièrement attaché.
Don José-Luis Carreño est décédé en 1986 à Pampelune, à l’âge de 81 ans. Malgré les hauts et les bas de sa vie, ce grand amoureux du Sacré-Cœur de Jésus put affirmer, lors du jubilé d’or de son ordination sacerdotale : « Si il y a cinquante ans ma devise de jeune prêtre était ‘Le Christ est tout’, aujourd’hui, vieux et submergé par son amour, je l’écrirais en lettres d’or, car en réalité LE CHRIST EST TOUT ».

Don Ivo COELHO, sdb




Les sept allégresses de la Vierge Marie

Au cœur de l’œuvre éducative et spirituelle de Saint Jean Bosco, la figure de la Vierge Marie occupe une place privilégiée et lumineuse. Don Bosco ne fut pas seulement un grand éducateur et fondateur, mais aussi un fervent dévot de la Vierge Marie, qu’il vénérait avec une profonde affection et à laquelle il confiait chacun de ses projets pastoraux. L’une des expressions les plus caractéristiques de cette dévotion est la pratique des « Sept allégresses de la Vierge Marie », proposée de manière simple et accessible dans sa publication « Il giovane provveduto », l’un des textes les plus diffusés de sa pédagogie spirituelle.

Une œuvre pour l’âme des jeunes
En 1875, Don Bosco publiait une nouvelle édition de son livre « Il giovane provveduto per la pratica de’ suoi doveri negli esercizi di cristiana pietà », un manuel de prières, d’exercices spirituels et de règles de conduite chrétienne conçu pour les jeunes. Ce livre, rédigé dans un style sobre et paternel, visait à accompagner les jeunes dans leur formation morale et religieuse, en les introduisant à une vie chrétienne intégrale. Il y avait également une place pour la dévotion aux « Sept allégresses de la Très Sainte Vierge Marie », une prière simple mais intense, structurée en sept points. Contrairement aux « Sept douleurs de la Vierge Marie », beaucoup plus connues et répandues dans la piété populaire, les « Sept allégresses » de Don Bosco mettent l’accent sur les joies de la Très Sainte Vierge au Paradis, conséquence d’une vie terrestre vécue dans la plénitude de la grâce de Dieu.
Cette dévotion a des origines anciennes et fut particulièrement chère aux Franciscains, qui la diffusèrent à partir du XIIIe siècle, sous le nom de Rosaire des Sept Allégresses de la Bienheureuse Vierge Marie (ou Couronne Séraphique). Dans sa forme franciscaine traditionnelle, c’est une prière dévotionnelle composée de sept dizaines d’Ave Maria, chacune précédée d’un mystère joyeux (allégresse) et introduite par un Notre Père. À la fin de chaque dizaine, on récite un Gloire au Père. Les allégresses sont : 1. L’Annonciation de l’Ange ; 2. La Visitation à Sainte Élisabeth ; 3. La Naissance du Sauveur ; 4. L’Adoration des Mages ; 5. Le Recouvrement de Jésus au Temple ; 6. La Résurrection du Fils ; 7. L’Assomption et le Couronnement de Marie au ciel.
Don Bosco, s’inspirant de cette tradition, en offre une version simplifiée, adaptée à la sensibilité des jeunes.
Chacune de ces allégresses est méditée au cours de la récitation d’un Ave Maria et d’un Gloria.

La pédagogie de la joie
Le choix de cette dévotion proposée aux jeunes ne répond pas seulement à un goût personnel de Don Bosco, mais s’inscrit pleinement dans sa vision éducative. Il était convaincu que la foi devait être transmise par la joie, non par la peur ; par la beauté du bien, non par la crainte du mal. Les « Sept allégresses » deviennent ainsi une école de joie chrétienne, une invitation à reconnaître que, dans la vie de la Vierge, la grâce de Dieu se manifeste comme lumière, espérance et accomplissement.
Don Bosco connaissait bien les difficultés et les souffrances que beaucoup de ses jeunes affrontaient quotidiennement : la pauvreté, l’abandon familial, la précarité du travail. C’est pourquoi il leur offrait une dévotion mariale qui ne se limitait pas aux pleurs et à la douleur, mais qui était aussi une source de consolation et de joie. Méditer les allégresses de Marie signifiait s’ouvrir à une vision positive de la vie, apprendre à reconnaître la présence de Dieu même dans les moments difficiles, et se confier à la tendresse de la Mère céleste.
Dans la publication « Il giovane provveduto », Don Bosco écrit des mots touchants sur le rôle de Marie : il la présente comme une mère aimante, un guide sûr et un modèle de vie chrétienne. La dévotion à ses allégresses n’est pas une simple pratique dévotionnelle, mais un moyen d’entrer en relation personnelle avec la Vierge Marie, d’imiter ses vertus et de recevoir son aide maternelle dans les épreuves de la vie.
Pour le saint turinois, Marie n’est pas distante ou inaccessible, mais proche, présente et active dans la vie de ses enfants. Cette vision mariale, fortement relationnelle, traverse toute la spiritualité salésienne et se reflète également dans la vie quotidienne des oratoires : des lieux où la joie, la prière et la familiarité avec Marie vont de pair.

Un héritage vivant
Aujourd’hui encore, la dévotion aux « Sept allégresses de la Vierge Marie » conserve toute sa valeur spirituelle et éducative. Dans un monde marqué par les incertitudes, les peurs et les fragilités, elle offre un chemin simple mais profond pour découvrir que la foi chrétienne est, avant tout, une expérience de joie et de lumière. Don Bosco, prophète de la joie et de l’espérance, nous enseigne que l’authentique éducation chrétienne passe par la valorisation des affections, des émotions et de la beauté de l’Évangile.
Redécouvrir aujourd’hui les « Sept allégresses » signifie aussi retrouver un regard positif sur la vie, sur l’histoire et sur la présence de Dieu. La Vierge Marie, par son humilité et sa confiance, nous enseigne à garder et à méditer dans notre cœur les signes de la vraie joie, celle qui ne passe pas, car fondée sur l’amour de Dieu.
À une époque où les jeunes cherchent lumière et sens, les paroles de Don Bosco restent d’actualité : « Si vous voulez être heureux, pratiquez la dévotion à la Sainte Vierge ». Les « Sept allégresses » sont alors une petite échelle vers le ciel, un rosaire de lumière qui unit la terre au cœur de la Mère céleste.

Voici le texte original tiré de « Il giovane provveduto per la pratica de suoi doveri negli esercizi di cristiana pieta« , 1875 (pp. 141-142), avec nos titres.

Les sept allégresses de Marie au Ciel

1. Pureté cultivée
Réjouissez-vous, ô Épouse immaculée du Saint-Esprit, pour le contentement que vous goûtez maintenant au Paradis, car par votre pureté et votre virginité vous êtes exaltée au-dessus de tous les Anges et sublimée au-dessus de tous les saints.
Je vous salue et Gloire.

2. Sagesse recherchée
Réjouissez-vous, ô Mère de Dieu, pour le plaisir que vous éprouvez au Paradis, car de même que le soleil ici-bas illumine le monde entier, ainsi vous, par votre splendeur, ornez et faites resplendir tout le Paradis.
Je vous salue et Gloire.

3. Obéissance filiale
Réjouissez-vous, ô Fille de Dieu, pour la sublime dignité à laquelle vous avez été élevée au Paradis, car toutes les Hiérarchies des Anges, des Archanges, des Trônes, des Dominations et de tous les Esprits Bienheureux vous honorent, vous révèrent et vous reconnaissent comme Mère de leur Créateur, et vous obéissent au moindre signe.
Je vous salue et Gloire.

4. Prière continue
Réjouissez-vous, ô Servante de la Très Sainte Trinité, à cause du grand pouvoir que vous avez au Paradis, car toutes les grâces que vous demandez à votre Fils vous sont aussitôt accordées ; bien plus, comme le dit saint Bernard, aucune grâce n’est accordée ici-bas qui ne passe par vos très saintes mains.
Je vous salue et Gloire.

5. Humilité vécue
Réjouissez-vous, ô très auguste Reine, car vous seule avez mérité de siéger à la droite de votre très saint Fils, qui siège à la droite du Père Éternel.
Je vous salue et Gloire.

6. Miséricorde pratiquée
Réjouissez-vous, ô Espérance des pécheurs, Refuge des affligés, pour le grand plaisir que vous éprouvez au Paradis en voyant que tous ceux qui vous louent et vous révèrent en ce monde sont récompensés par le Père Éternel par sa sainte grâce sur terre, et par son immense gloire au ciel.
Je vous salue et Gloire.

7. Espérance récompensée
Réjouissez-vous, ô Mère, Fille et Épouse de Dieu, car toutes les grâces, toutes les joies, toutes les allégresses et toutes les faveurs que vous goûtez maintenant au Paradis ne diminueront jamais ; bien plus, elles augmenteront jusqu’au jour du jugement et dureront éternellement.
Je vous salue et Gloire.

Oraison à la très bienheureuse Vierge.
Ô glorieuse Vierge Marie, Mère de mon Seigneur, source de toute notre consolation, par ces allégresses dont j’ai fait mémoire avec la plus grande dévotion possible, je vous prie d’obtenir de Dieu le pardon de mes péchés, et l’aide continuelle de sa sainte grâce, afin que je ne me rende jamais indigne de votre protection, mais que j’aie la chance de recevoir toutes ces faveurs célestes que vous avez l’habitude d’obtenir et de partager avec vos serviteurs, qui font pieuse mémoire de ces allégresses dont déborde votre beau cœur, ô Reine immortelle du Ciel.

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Dialogue familial

Fils : Avez-vous entendu ce qui s’est passé en Ukraine ?
Père : Bah !
Mère : La soupe est-elle assez salée ?
Fils : C’est un problème, n’est-ce pas ?
Père : Oui.
Fils : Alors, qu’en penses-tu ?
Père : Tu as raison, il manque un peu de sel.
Mère : Tiens, prends-le.
Fils : C’est étrange de voir comment on en est arrivé là.
Mère : Combien as-tu obtenu en mathématiques ?
Père : Je n’ai jamais rien compris aux mathématiques.
Mère : Il fait froid ce soir…

Un mari écoute sa femme pendant 17 secondes au maximum, puis il commence à parler.
Une femme écoute son mari pendant 17 secondes au maximum, puis elle commence à parler.
Le mari et la femme écoutent leurs enfants pendant…




L’oratoire festif du Valdocco

En 1935, suite à la canonisation de Don Bosco en 1934, les Salésiens prirent soin de recueillir des témoignages à son sujet. Un certain Pietro Pons, qui avait fréquenté dans son enfance l’oratoire festif du Valdocco pendant une dizaine d’années (de 1871 à 1882), et qui avait également suivi deux années d’école primaire (avec des classes sous la Basilique de Marie Auxiliatrice), le 8 novembre, a donné un beau témoignage de ces années. Nous en extrayons quelques passages, presque tous inédits.

La figure de Don Bosco
Il était le centre d’attraction de tout l’Oratoire. Voici comment notre ancien oratorien Pietro Pons se souvient de lui à la fin des années 70 : « Il n’avait plus de vigueur, mais il était toujours calme et souriant. Il avait deux yeux qui perçaient et pénétraient l’esprit. Il apparaissait parmi nous : c’était une joie pour tout le monde. D. Rua, D. Lazzero étaient à ses côtés comme s’ils avaient le Seigneur au milieu d’eux. D. Barberis et tous les garçons couraient vers lui, l’entouraient, certains marchant sur le côté, d’autres derrière lui pour lui faire face. C’était une chance, un privilège convoité de pouvoir être près de lui, de lui parler. Il se promenait en parlant et en regardant tout le monde avec ces deux yeux qui tournaient dans tous les sens, électrisant les cœurs de joie ».
Parmi les épisodes qui lui sont restés en mémoire 60 ans plus tard, il en évoque deux en particulier : « Un jour… il est apparu seul devant la porte du sanctuaire. C’est alors qu’une bande de garçons se précipite pour l’écraser comme un coup de vent. Mais il tient à la main le parapluie, qui a un manche et une tige aussi épaisse que celle des paysans. Il le lève et, s’en servant comme d’une épée, jongle pour repousser cet assaut affectueux, tantôt à droite, tantôt à gauche, pour ouvrir le passage. Il touche l’un avec la pointe, l’autre sur le côté, mais entre-temps les autres s’approchent de l’autre côté. Le jeu, la plaisanterie se poursuit, réjouissant les cœurs, impatients de voir le bon Père revenir de son voyage. Il avait l’air d’un curé de village, mais d’un bon curé ».

Les jeux et le petit théâtre
Un oratoire salésien sans jeux est impensable. L’ancien élève âgé se souvient : « la cour était occupée par un bâtiment, l’église Maria A. et au bout d’un muret… une sorte de cabane reposait dans l’angle gauche, où il y avait toujours quelqu’un pour surveiller ceux qui entraient… Dès qu’on entrait à droite, il y avait une balançoire avec un seul siège, puis les barres parallèles et la barre fixe pour les plus grands, qui s’amusaient à faire des pirouettes et des sauts périlleux, et aussi le trapèze, et le simple tremplin, qui se trouvaient cependant près des sacristies, au-delà de la chapelle Saint-Joseph ». Et encore : « Cette cour était d’une belle longueur et se prêtait très bien à des courses de vitesse partant du côté de l’église et y revenant au retour. On y jouait aussi aux cercueils brisés, aux courses en sac et aux piñatas. Ces derniers jeux étaient annoncés dès le dimanche précédent. Il en était de même pour le mât de cocagne, mais l’arbre était planté avec la partie fine en bas pour qu’il soit plus difficile d’y monter. Il y avait des loteries, et le billet était payé un ou deux centimes. Dans la petite maison, il y avait une petite bibliothèque dans une armoire ».

Au jeu s’ajoutait le fameux « petit théâtre » sur lequel on jouait des drames authentiques comme « Le fils du croisé », on chantait les romances de Don Cagliero et on présentait des « comédies musicales » comme le Cordonnier incarné par le légendaire Carlo Gastini [brillant animateur des anciens élèves]. La pièce, à laquelle les parents assistaient gratuitement, se déroulait dans la salle située sous la nef de l’église Maria A., mais l’ancien oratoire rappelle également qu’ »une fois, elle a été jouée à la maison Moretta [l’actuelle église paroissiale située près de la place]. Les pauvres y vivaient dans la plus grande misère. Dans les caves que l’on aperçoit sous le balcon, il y avait une pauvre mère qui, à midi, portait sur ses épaules son Charles, dont le corps était raide à cause d’une maladie, pour qu’il prenne un bain de soleil ».

Offices religieux et réunions de formation
À l’oratoire festif, les offices religieux ne manquent pas le dimanche matin : messe avec communion, prières du bon chrétien ; l’après-midi, récréation, catéchisme et sermon de Don Giulio Barberis. D. Bosco n’est jamais venu dire la messe ou prêcher, mais seulement visiter et rester avec les garçons pendant la récréation… Les catéchistes et les assistants avaient leurs élèves avec eux dans l’église pendant les offices et leur enseignaient le catéchisme. La petite doctrine était donnée à tous. La leçon devait être apprise par cœur à chaque fête, ainsi que l’explication ». Les fêtes solennelles se terminaient par une procession et un goûter pour tous : « En sortant de l’église après la messe, il y avait un petit déjeuner. Un jeune homme à droite devant la porte donnait la miche de pain, un autre à gauche y mettait deux tranches de salami avec une fourchette ». Ces garçons se contentaient de peu, mais ils étaient ravis. Lorsque les garçons de l’intérieur se joignaient aux oratoriens pour chanter les vêpres, on pouvait entendre leurs voix dans la Rue Milano et la Rue Cours d’Appel !
Les réunions des groupes de formation se tenaient également à l’oratoire festif. Dans la petite maison près de l’église Saint-François, il y avait « une petite salle basse qui pouvait contenir une vingtaine de personnes… Dans la salle il y avait une petite table pour le conférencier, il y avait des bancs pour les réunions et les conférences des anciens en général, et de la Compagnie de Saint Louis, presque tous les dimanches ».

Qui étaient les Oratoriens ?
De ses quelque 200 compagnons – mais leur nombre diminuait en hiver en raison du retour des travailleurs saisonniers dans leurs familles – notre vieil homme plein d’entrain se souvient que beaucoup étaient originaires de Biella « presque tous « bic », c’est-à-dire qu’ils portaient le seau en bois plein de chaux et le panier en osier plein de briques aux maçons des bâtiments ». D’autres étaient « apprentis maçons, mécaniciens, ferblantiers ». Pauvres apprentis : ils travaillaient tous les jours du matin au soir et ce n’est que le dimanche qu’ils pouvaient s’offrir un peu de récréation « chez Don Bosco » (c’est ainsi que s’appelait son oratoire) : « Nous jouions à la mouche à âne, sous la direction de celui qui était alors M. Milanesio [futur prêtre qui fut un grand missionnaire en Patagonie]. M. Ponzano, devenu prêtre, était professeur de gymnastique. Il nous faisait faire des exercices libres, avec des bâtons, sur des appareils ».
Les souvenirs de Pietro Pons sont beaucoup plus vastes, aussi riches en suggestions lointaines qu’ils étaient imprégnés d’une ombre de nostalgie ; ils attendent d’être connus dans leur intégralité. Nous espérons le faire bientôt.




Personne ne chassait les poules (1876)

Situé en janvier 1876, ce passage présente l’un des « rêves » les plus évocateurs de Don Bosco, un outil privilégié avec lequel le saint turinois secouait et guidait les jeunes de l’Oratoire. La vision s’ouvre sur une plaine immense où s’activent les semeurs : le blé, symbole de la Parole de Dieu, ne germera que s’il est protégé. Mais des poules voraces s’abattent sur la semence et, tandis que les paysans chantent des versets évangéliques, les clercs chargés de la garde restent muets ou distraits, laissant tout se perdre. La scène, animée par des dialogues spirituels et des citations bibliques, devient une parabole du murmure qui étouffe le fruit de la prédication et un avertissement à la vigilance active. Avec des tons à la fois paternels et sévères, Don Bosco transforme l’élément fantastique en une leçon morale incisive.

Dans la deuxième quinzaine de janvier, le Serviteur de Dieu fit un rêve symbolique dont il parla à quelques salésiens. Don Barberis lui demanda de le raconter en public, parce que les jeunes aimaient beaucoup ses rêves, qu’ils leur faisaient beaucoup de bien et qu’ils les affectionnaient à l’Oratoire.
– Oui, c’est vrai, répondit le Bienheureux, ils font du bien et sont écoutés avec empressement. Le seul qui en souffre, c’est moi, car je devrais avoir des poumons de fer. On peut dire qu’il n’y a personne dans l’Oratoire qui ne se sente ébranlé par de tels récits. Car la plupart du temps ces rêves concernent tout le monde, et chacun veut savoir dans quel état je l’ai vu, ce qu’il doit faire, ce que signifie ceci ou cela ; et moi, je suis tourmenté jour et nuit. Si donc je veux éveiller le désir de confessions générales, je n’ai rien d’autre à faire que de raconter un rêve… Ecoute, fais ce que je te dis : dimanche, j’irai parler aux jeunes, et toi, tu m’interrogeras en public ; alors je raconterai mon rêve.
Le 23 janvier, après la prière du soir, il monta sur son estrade. Son visage rayonnant de joie manifestait, comme toujours, son contentement d’être au milieu de ses fils. Après quelques instants de silence, Don Barberis demanda la parole et l’interrogea :
– Excusez-moi, Don Bosco, me permettez-vous de vous poser une question ?
– Parle.
– J’ai entendu dire que ces dernières nuits vous avez rêvé de semence, de semeur, de poulets, et que vous l’avez déjà raconté à l’abbé Calvi. Voulez-vous nous le raconter à nous aussi ? Cela nous ferait très plaisir.
– Tu es bien curieux, répondit Don Bosco d’un ton de reproche. Et là, ce fut un éclat de rire général.
– Peu importe, savez-vous, que vous me traitiez de curieux, pourvu que vous nous parliez du rêve. Et avec ma question, je pense que j’interprète les souhaits de tous les jeunes qui l’écouteront certainement très volontiers.
– Si c’est le cas, je vous le dirai. Je ne voulais rien dire, parce qu’il y a des choses qui concernent plusieurs d’entre vous en particulier, et quelques-unes aussi pour toi, qui vous brûlent un peu les oreilles ; mais puisque vous me le demandez, je vais les raconter.
– Mais, Don Bosco, si j’ai mérité une bastonnade, ne me la donnez pas ici en public.
– Je dirai les choses telles que je les ai rêvées, et que chacun prenne ce qui le concerne. Mais avant tout, chacun doit bien se rappeler que les rêves se font en dormant, et que dans le sommeil on ne raisonne pas. Par conséquent, s’il y a quelque chose de bon, un avertissement à recevoir, on le prend. Pour le reste, que personne n’ait d’appréhension. J’ai dit que je rêvais la nuit en dormant, car il y a des gens qui rêvent aussi le jour et quelquefois même tout éveillés, et cela dérange un peu les professeurs, pour qui ils sont des élèves ennuyeux.

Il me semblait que j’étais loin d’ici et que je me trouvais à Castelnuovo d’Asti, ma terre natale. J’avais devant moi une grande étendue de terre, située dans une vaste et belle plaine ; mais ce terrain n’était pas à nous et je ne savais pas à qui elle appartenait.
Dans ce champ, j’ai vu beaucoup de gens qui travaillaient avec des houes, des bêches, des râteaux et d’autres outils. Certains labouraient, d’autres semaient le blé, d’autres aplanissaient la terre, d’autres encore faisaient autre chose. Ici et là se trouvaient les responsables qui dirigeaient le travail, et parmi eux, il me semblait que j’y étais moi aussi. Ailleurs on entendait chanter des chœurs de paysans. J’observais tout cela avec étonnement sans pouvoir me donner la raison de cet endroit. Je me disais à moi-même : – Mais pourquoi ces gens font un travail si dur ? Et je me répondais à moi-même : – Pour donner du pain à mes jeunes. – Et j’étais vraiment émerveillé en voyant ces bons agriculteurs qui n’abandonnaient pas leur travail un seul instant et continuaient leur tâche avec la même constance et la même diligence. Seuls quelques-uns riaient et plaisantaient entre eux.
Pendant que je contemplais cette belle scène, je regarde autour de moi et je me vois entouré de quelques prêtres et beaucoup d’abbés, certains proches, d’autres à distance. Je me suis dit : – Mais je rêve, mes abbés sont à Turin, ici nous sommes à Castelnuovo. Comment cela se fait-il ? Je suis habillé pour l’hiver de la tête aux pieds, hier encore j’avais si froid, et maintenant ici on sème le blé. – Je me frottais les mains en me promenant et je disais : – Mais je ne rêve pas, c’est vraiment un champ ; cet abbé qui est ici est l’abbé A. en personne ; cet autre est l’abbé B. Et alors comment puis-je voir en rêve telle chose et telle autre ?
C’est alors que j’aperçus un vieil homme à l’air avenant et sage, qui m’observait attentivement, moi et les autres. Je m’approchai de lui et lui demandai :
– Dites-moi, brave homme, écoutez ! Qu’est-ce que je vois et que je ne comprends pas ? Où sommes-nous ? Qui sont ces travailleurs ? À qui appartient ce champ ?
– Oh ! me répond l’homme, voilà de bonnes questions à poser ! Vous êtes prêtre et vous ignorez ces choses ?
– Expliquez-moi donc ! Croyez-vous que je rêve, ou que je suis éveillé ? Car il me semble que je rêve, et les choses que je vois ne me paraissent pas possibles.
– Très possibles, voire réelles, et il me semble que vous êtes bien réveillé. Vous ne vous en rendez pas compte ? Il parle, il rit, il plaisante.
– Et pourtant, ai-je ajouté, il y a des gens qui ont l’impression de parler, d’écouter et d’agir dans leurs rêves comme s’ils étaient éveillés.
– Mais non, laissez tout cela de côté. Vous êtes ici en corps et en âme.
– Eh bien, soit. Mais si je suis éveillé, dites-moi à qui appartient ce champ.
– Vous avez étudié le latin : quel est le premier nom de la deuxième déclinaison que vous avez étudié dans le Donat ? Vous le savez encore ?
– Eh ! oui, je le sais ; mais quel rapport avec ce que je vous demande ?
– Il y a un grand rapport. Dites-moi donc quel est le premier substantif que l’on étudie dans la seconde déclinaison.
– C’est Dominus.
– Et comment se présente-t-il au génitif ?
– Domini !
– Très bien, Domini ; ce champ est donc Domini, du Seigneur.
– Ah ! je commence à comprendre quelque chose ! m’exclamai-je.
J’étais étonné par la leçon de ce bon vieillard. Pendant ce temps, je voyais plusieurs personnes venir avec des sacs de grain à semer, et un groupe de paysans qui chantait : Exit, qui seminat, seminare semen suum (Le semeur est sorti pour semer sa semence, Lc 8,5).
Je trouvais dommage qu’on jette cette semence et qu’on la laisse pourrir dans la terre. Ce grain était si beau ! – Ne vaudrait-il pas mieux, me disais-je, le moudre et en faire du pain ou des pâtes ? – Mais je me suis dit : Celui qui ne sème pas ne récolte pas ; si on ne jette pas la semence et si elle ne pourrit pas, que récoltera-t-on alors ?
À ce moment-là, j’ai vu sortir de tous côtés une multitude de poules qui parcouraient le champ ensemencé pour attraper tout le grain qu’on semait.
Et le groupe de chanteurs continuait à chanter : Venerunt aves caeli, sustulerunt frumentum et reliquerunt zizaniam (Les oiseaux du ciel sont venus, ont récolté le blé et ont laissé l’ivraie).
Je jette un coup d’œil autour de moi et j’observe les abbés qui étaient avec moi. L’un d’eux, les mains croisées, regardait avec une froide indifférence ; un autre discutait avec ses compagnons ; certains haussaient les épaules, d’autres regardaient le ciel, d’autres riaient du spectacle, d’autres poursuivaient tranquillement leur récréation et leurs jeux, d’autres vaquaient à leurs occupations ; mais personne n’effrayait les poules pour les chasser. Je me tourne vers eux très peiné, et les appelant tous par leur nom, je leur dis :
– Que faites-vous ? Ne voyez-vous pas que ces poules mangent tout le grain ? Ne voyez-vous pas qu’elles détruisent toutes les bonnes semences, qu’elles anéantissent les espoirs de ces bons paysans ? Que récolterons-nous ensuite ? Pourquoi restez-vous muets ? Pourquoi ne criez-vous pas, pourquoi ne les faites-vous pas partir ?
Mais les abbés haussaient les épaules, me regardaient sans rien dire. Certains d’entre eux ne se sont même pas retournés ; ils n’avaient pas fait attention à ce champ avant, et ils n’y ont pas fait attention après que j’ai crié.
– Sots que vous êtes ! continuai-je. Les poulets ont déjà le goitre plein. Vous ne pouviez pas taper des mains et faire comme ça ? – Et pendant ce temps, je frappais des mains, me trouvant dans une véritable impasse, car mes paroles ne servaient à rien. Certains ont alors commencé à chasser les poules, mais je me répétais à moi-même : Oh oui, maintenant que tout le grain a été mangé, vous chassez les poules.
C’est alors que j’ai été frappé par le chant du groupe de paysans qui chantaient : Canes muti nescientes latrare (chiens muets qui ne savent pas aboyer, Is 56,10).
Alors je me suis tourné vers le bon vieillard et, pris entre l’étonnement et l’indignation, je lui ai dit :
– Oh, expliquez-moi ce que je vois, je n’y comprends rien. Quelle est cette semence que l’on jette par terre ?
– Mais quoi ! Semen est verbum Dei (La semence est la parole de Dieu, Lc 8,11).
– Mais qu’est-ce que cela veut dire, quand je vois les poulets qui la mangent ?
Le vieillard, changeant de ton, reprit :
– Oh ! si vous voulez une explication plus complète, je vais vous la donner. Le champ, c’est la vigne du Seigneur, dont il est question dans l’Évangile, et qui peut aussi être comprise comme le cœur de l’homme. Les cultivateurs sont les ouvriers de l’Évangile qui sèment la parole de Dieu surtout par la prédication. Cette parole devrait produire beaucoup de fruits dans le cœur, comme dans un terrain bien préparé. Mais voilà ! Les oiseaux du ciel viennent et l’emportent.
– Que signifient ces oiseaux ?
– Dois-je vous dire ce qu’ils indiquent ? Ils indiquent les murmures. Après avoir entendu un bon sermon, on va trouver les camarades. L’un commente un geste, ou la voix, ou une parole du prédicateur, et tout le fruit du sermon est perdu. Un autre accuse le prédicateur lui-même de quelque défaut physique ou intellectuel ; un troisième se moque de son italien, et tout le fruit du sermon est perdu. Il en est de même d’une bonne lecture, qui devient inutile à cause des murmures. Les murmures sont d’autant plus mauvais qu’ils sont généralement secrets, cachés, et qu’ils vivent et croissent là où on ne les attend pas. Même si le blé se trouve dans un champ peu cultivé, il germe, croît, s’élève assez haut et porte du fruit. Lorsque, dans un champ fraîchement ensemencé, un orage survient, le champ est battu et ne porte plus autant de fruits, mais il en porte quand même. Même si la graine n’est pas très belle, elle poussera quand même : elle portera peu de fruits, mais elle en portera quand même. Par contre, lorsque les poules ou les oiseaux picorent la semence, il n’y a plus rien à faire : le champ ne donne ni beaucoup ni peu, il ne porte plus du tout de fruit. Si la prédication, les exhortations et les bonnes intentions sont suivis d’autres choses comme la distraction, la tentation, etc., les fruits seront moins nombreux. Quand il y a des murmures, des paroles mauvaises ou d’autres choses semblables, il n’y a plus d’espoir, tout est immédiatement perdu. Et qui a le devoir de frapper dans les mains, d’insister, de crier, de surveiller pour éviter ces murmures et ces mauvaises paroles ? Vous le savez !
– Mais que faisaient donc ces abbés ? demandai-je. Ne pouvaient-ils pas empêcher tout ce mal ?
– Ils n’ont rien empêché, a-t-il poursuivi. Certains sont restés muets comme des statues, d’autres n’ont pas fait attention, n’ont pas réfléchi, n’ont pas vu et sont restés les bras croisés ; d’autres n’ont pas eu le courage d’empêcher ce mal ; d’autres encore, un petit nombre, se sont joints aux murmurateurs, ont pris part à leurs calomnies en détruisant la parole de Dieu. Toi qui es prêtre, insiste sur ce point ; prêche, exhorte, parle, et n’aie jamais peur d’en dire trop. Fais savoir à tous le mal que l’on fait en critiquant ceux qui prêchent, qui exhortent, qui donnent de bons conseils. Se taire quand on voit un désordre et ne pas l’empêcher, surtout de la part de ceux qui le pourraient ou le devraient, c’est se rendre complice du mal d’autrui.
Impressionné par ces paroles, je voulais encore regarder, observer ceci et cela, réprimander les abbés, les inciter à faire leur devoir. Mais déjà ils s’activaient et tentaient de chasser les poules. Quant à moi, après avoir fait quelques pas, j’ai trébuché sur un râteau destiné à niveler la terre et abandonné dans le champ, et je me suis réveillé. Laissons maintenant tout cela de côté et venons-en à la morale. Don Barberis ! Que dis-tu de ce rêve ?
– Je dis, répondit Don Barberis, que c’est une bonne bastonnade, et que c’est bien fait pour celui qui la mérite.
– Eh bien sûr, reprit Don Bosco, c’est une leçon qui doit nous faire du bien ; ne l’oubliez pas, mes amis, pour éviter en tout point les murmures entre vous, comme un mal extraordinaire, en les fuyant comme on fuit la peste, et non seulement en les évitant vous-mêmes, mais en cherchant à tout prix à les faire éviter aux autres. Il y a parfois de bons conseils, des actions excellentes qui ne font pas autant de bien comme d’empêcher les murmures et toutes les paroles qui peuvent nuire à autrui. Armons-nous de courage et combattons-les franchement. Il n’y a pas de plus grand malheur que de faire perdre la parole de Dieu. Et pour cela il suffit d’une expression ou d’une plaisanterie.

Je vous ai raconté un rêve que j’ai fait il y a quelques nuits, mais la nuit dernière, j’ai fait un autre rêve, que je veux aussi vous raconter. L’heure n’est pas encore trop tardive, il n’est que neuf heures et je peux vous le raconter. Mais j’essaierai de ne pas être trop long.
Il me semblait que j’étais dans un lieu dont je ne me souviens plus. Je n’étais plus à Castelnuovo, mais il me semble que je n’étais pas non plus à l’Oratoire. Quelqu’un est venu en toute hâte m’appeler :
– Don Bosco, venez! Don Bosco, venez!
– Mais pourquoi un tel empressement ? répondis-je.
– Savez-vous ce qui s’est passé ?
– Je ne comprends pas ce que tu veux dire ; explique-toi clairement, répondis-je anxieusement.
– Ne savez-vous pas, Don Bosco, que ce jeune si bon, si plein de vie, est gravement malade, voire mourant ?
– Je crois que tu veux te moquer de moi, lui dis-je ; ce matin j’ai parlé et marché avec lui, et maintenant tu me dis qu’il est mourant.
– Ah, Don Bosco, je ne cherche pas à vous tromper et je crois devoir vous dire la pure vérité. Ce jeune a grand besoin de vous et souhaite vous voir et vous parler pour la dernière fois. Mais venez vite, sinon vous n’êtes plus à temps.
Sans savoir où, je me hâtai à sa suite. J’arrive dans un lieu et je vois des gens tristes, en pleurs, qui me disent : Faites vite, il arrive à la fin.
– Mais que s’est-il passé ? répondis-je. On me fait entrer dans une chambre, où je vois un jeune homme couché, le visage tout pâle, d’une couleur presque cadavérique, avec une toux et des râles qui l’étouffaient et lui permettaient à peine de parler.
– Mais n’es-tu pas un tel de ceux-là ? lui dis-je.
– Oui, c’est moi !
– Comment vas-tu ?
– Je vais mal.
– Et comment se fait-il que je te vois en cet état ? Hier et ce matin je te voyais encore en train de te promener tranquillement sous le préau.
– Oui, répondit le jeune homme, hier et ce matin je me promenais sous le préau ; mais maintenant dépêchez-vous, j’ai besoin de me confesser ; je vois qu’il me reste peu de temps.
– Ne t’inquiète pas, ne t’inquiète pas ; tu t’es confessé il n’y a pas longtemps.
– C’est vrai, et il me semble que je n’ai pas une grosse peine sur le cœur ; mais je désire recevoir la sainte absolution avant de me présenter au divin Juge.
J’ai écouté sa confession. Mais entre-temps, j’ai constaté que son état s’aggravait visiblement et qu’un catarrhe l’étouffait. – Il faut faire vite, me dis-je, si je veux qu’il reçoive aussi le saint viatique et l’extrême onction. En réalité, il ne pourra même plus recevoir le viatique, parce qu’il faut du temps pour les préparatifs, et parce que la toux risque de l’empêcher d’avaler. Vite l’huile sainte !
Sur ce, je sors de la pièce et j’envoie immédiatement un homme chercher les saintes huiles. Les jeunes qui se trouvaient dans la salle me demandaient :
– Mais est-il vraiment en danger, est-il vraiment en train de mourir, comme on le dit ?
– Hélas ! répondis-je. Ne voyez-vous pas qu’il respire de plus en plus mal et que le cathare est en train de l’étouffer ?
– Mais il vaut mieux lui apporter aussi le viatique et l’envoyer dans les bras de Marie avec ce fortifiant !
Pendant que je m’affairais à faire le nécessaire, j’entends une voix qui dit :
– Il a expiré !
Je rentre dans la chambre et je trouve le malade les yeux fermés ; il ne respire plus, il est mort.
– Je demande aux deux qui l’assistaient s’il est mort, et ils me répondent : il est mort !
– Mais comment, si vite ? Dites-moi : n’est-ce pas un tel ?
– Oui, c’est lui.
– Je n’en crois pas mes yeux ! Hier encore, il marchait avec moi sous le préau.
– Hier, il marchait et maintenant il est mort, répondirent-ils.
– Heureusement, c’était un bon garçon, ajoutai-je. Et je disais aux jeunes qui l’entouraient :
– Vous voyez, vous voyez ? Il n’a même pas pu recevoir le viatique et l’extrême-onction. Mais remercions le Seigneur, qui lui a donné le temps de se confesser. Ce jeune était bon, il fréquentait suffisamment les sacrements et nous espérons qu’il est allé vers une vie heureuse, ou au moins vers le purgatoire. Mais si le même sort était arrivé à d’autres, qu’en serait-il de certains aujourd’hui ?
Cela dit, nous nous mîmes tous à genoux et nous récitâmes un De profundis pour l’âme du pauvre défunt.
Alors je suis allé dans ma chambre, quand je vois arriver Ferraris de la librairie (le coadjuteur Giovanni Antonio Ferraris, libraire), qui me dit, tout agité :
– Don Bosco, savez-vous ce qui est arrivé ?
– Eh ! malheureusement je le sais ! Il est mort un tel, répondis-je.
– Ce n’est pas ça, il y en a deux autres qui sont morts.
– Quoi ? Qui ?
– Un tel et un tel.
– Mais quand ? Je ne comprends pas.
– Oui, deux autres, qui sont morts avant que vous veniez.
– Pourquoi alors vous ne m’avez-vous pas appelé ?
– On n’avait plus le temps. Mais pouvez-vous me dire quand celui-là est mort ?
– Il est mort maintenant, répondis-je.
– Savez-vous quel jour et quel mois nous sommes ? continua Ferraris.
– Oui, je sais, nous sommes le 22 janvier, le deuxième jour de la neuvaine de saint François de Sales.
– Non, dit Ferraris. Vous vous trompez, Don Bosco, regardez bien. – Je regarde le calendrier et je vois : 26 mai.
– Elle est bien bonne, celle-là ! m’exclamai-je. On est en janvier, et je vois bien à ma tenue qu’on ne s’habille pas comme ça en mai ; en mai, il n’y a pas de chauffage.
– Je ne sais pas quoi vous dire, ni quelle raison vous donner, mais nous sommes le 26 mai.
– Mais si notre camarade est mort seulement hier et nous étions en janvier.
– Vous vous trompez, insistait Ferraris, nous étions au temps pascal.
– Et en voilà encore une autre !
– Temps pascal, c’est sûr, nous étions pendant le temps pascal, et celui qui est mort pendant la Pâque a eu beaucoup plus de chance que les deux autres, qui sont morts au mois de Marie.
– Tu te moques de moi, lui dis-je. Explique-toi mieux, sinon je ne te comprends pas.
– Je ne me moque pas du tout. C’est ainsi. Si vous voulez en savoir plus, et que je m’explique mieux, faites attention !
Il ouvrit les bras, puis frappa les mains l’une contre l’autre bruyamment en faisant clac ! Et je me suis réveillé. Puis je me suis exclamé : – Oh, Dieu merci, ce n’était pas la réalité, mais un rêve. Comme j’ai eu peur !
Voilà le rêve que j’ai fait cette nuit. Donnez-lui l’importance que vous voulez. Moi-même, je ne veux pas y croire tout à fait. Aujourd’hui, cependant, j’ai voulu voir si ceux qui me semblaient morts dans mon rêve étaient encore en vie et je les ai vus en bonne santé et vigoureux. Il n’est certainement pas opportun que je vous dise leurs noms, et je ne vous le ferai pas. Cependant, je garderai un œil sur ces deux. S’ils ont besoin d’un bon conseil pour bien vivre, je le leur donnerai, et je les préparerai en douceur, sans qu’ils s’en rendent compte ; ainsi, s’il leur arrive de devoir mourir, la mort ne les prendra pas au dépourvu. Mais que personne n’aille dire : c’est celui-ci, c’est celui-là. Que chacun pense à lui-même.
Et n’ayez aucune appréhension à ce sujet. L’effet que cela doit produire en vous est simplement ce que le Divin Sauveur nous a suggéré dans l’Évangile : Estote parati, quia, qua hora non putatis, filius hominis veniet (Soyez prêts, car le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne pensez pas, Lc 12, 40). C’est un grand avertissement, mes chers jeunes, que le Seigneur nous donne. Soyons toujours prêts, car à l’heure où nous nous y attendons le moins, la mort peut venir, et celui qui n’est pas préparé à bien mourir risque fort de mal mourir. Je me tiendrai prêt le mieux possible et vous ferez de même, afin qu’à l’heure où il plaira au Seigneur de nous appeler, nous soyons prêts à passer dans l’heureuse éternité. Bonne nuit.

Les paroles de Don Bosco étaient toujours écoutées dans un silence religieux, mais lorsqu’il racontait ces choses extraordinaires, on n’entendait pas le moindre toussement ni le moindre bruit des pieds parmi les centaines de garçons présents. L’impression vive durait des semaines et des mois, et elle s’accompagnait de changements radicaux dans la conduite de certains malappris. Puis il y avait un attroupement autour du confessionnal de Don Bosco. Il ne venait à l’esprit de personne de supposer qu’il avait inventé ces histoires pour effrayer et améliorer la vie des jeunes, parce que les annonces de morts imminentes se réalisaient toujours et certains états de conscience vus en rêve correspondaient à la réalité.
Mais la peur produite par ces sinistres prédictions n’était-elle pas un cauchemar oppressant ? Il semble que non. Il y avait trop de possibilités et de suppositions dans une foule de plus de huit cents jeunes pour que chacun en fût préoccupé. De plus, la persuasion très répandue que ceux qui mouraient à l’Oratoire allaient certainement au paradis, et que Don Bosco préparait les élus sans les effrayer, contribuait à bannir toute peur de leur esprit. D’autre part, on sait combien est grande l’inconstance de la jeunesse : sur le moment, l’imagination des jeunes est frappée et ébranlée, mais ensuite la mémoire se libère bientôt de toute appréhension et peur. C’est ce qu’attestent unanimement les survivants de l’époque.
Après le départ des jeunes au dortoir, quelques confrères qui entouraient le Bienheureux n’arrêtaient pas de lui poser des questions pour savoir si l’un d’entre eux était au nombre de ceux qui allaient mourir. Le Serviteur de Dieu répétait en souriant comme d’habitude et en secouant la tête :
– Oh ! bien sûr, je viendrai vous dire qui c’est, avec le risque de faire mourir quelqu’un avant l’heure !
Voyant que rien ne sortait, ils lui demandèrent si, dans le premier rêve, il y avait aussi des abbés qui se comportaient comme les poules, c’est-à-dire qui murmuraient. Don Bosco s’arrêta de marcher, tourna les yeux vers ses interlocuteurs et dit avec un fin sourire : – Eh ! quelques-uns oui, mais peu, et c’est tout ce que je dirai. – Ils lui demandèrent alors de dire au moins s’ils étaient parmi les chiens muets. Le Bienheureux s’en tint à des généralités, observant qu’il fallait prendre garde d’éviter et de faire éviter les murmures et en général tous les désordres, surtout les mauvaises conversations. – Malheur au prêtre et à l’abbé, dit-il, qui, chargé de veiller, voit des désordres et ne les empêche pas ! Je veux que l’on sache et que l’on croie qu’en disant « murmures », je n’entends pas seulement le fait de critiquer autrui, mais tout discours, toute expression, toute parole, qui peut empêcher la parole de Dieu de porter du fruit chez autrui. De façon générale, je veux dire que c’est un grand mal que de se taire quand on a connaissance d’un désordre, de ne pas l’empêcher ou de ne pas chercher à le faire cesser par les responsables.
Un des plus audacieux posa au Serviteur de Dieu une question plutôt délicate.
– Et Don Barberis, que fait-il dans le rêve ? Vous avez dit qu’il y en avait aussi pour lui, et Don Barberis lui-même semblait s’attendre à une bonne correction. – Don Barberis était présent. Don Bosco a d’abord laissé entendre qu’il ne voulait pas répondre. Puis, comme il ne restait plus que quelques prêtres à ses côtés et que Don Barberis était heureux qu’il révèle le secret, le Bienheureux dit :
– Eh ! Don Barberis ne prêche pas assez sur ce point, il n’insiste pas sur ce sujet autant qu’il le faudrait. Don Barberis confirma que ni l’année précédente, ni durant l’année en cours, il n’avait jamais insisté à dessein sur ces questions dans ses conférences aux novices. Il fut donc très heureux de la remarque, qu’il conserva avec soin pour l’avenir.
Cela dit, ils montèrent les escaliers et, après avoir baisé la main de Don Bosco, tous partirent se reposer. Tous, sauf Don Barberis qui, comme d’habitude, l’accompagna jusqu’à la porte de sa chambre. Don Bosco, voyant qu’il était encore tôt et se rendant compte qu’il ne pourrait pas dormir, parce qu’il était fortement impressionné par le rêve, fit entrer Don Barberis dans sa chambre contre son habitude, et lui dit :
– Puisque nous avons encore du temps, nous pouvons faire deux pas dans la chambre.
Il continua ainsi à parler pendant une demi-heure. Il dit entre autres choses :
– Dans le rêve, j’ai vu tout le monde, et j’ai vu l’état dans lequel chacun se trouvait : celui qui était une poule, celui qui était un chien muet, ceux qui s’étaient mis à l’œuvre après avoir été avertis et ceux qui n’avaient pas bougé. Je me sers de cette connaissance pour confesser, exhorter en public et en privé chaque fois que je vois que cela produit du bien. Au début, je n’accordais pas beaucoup d’attention à ces rêves, mais j’ai découvert qu’ils valent largement plusieurs sermons. Pour certains ils sont même plus efficaces qu’une retraite, et c’est pourquoi je m’en sers. Et pourquoi pas ? Nous lisons dans l’Ecriture Sainte : Probate spiritus (éprouvez les esprits, 1 Jn 4,1) ; quod bonum est tenete (retenez ce qui est bon, 1 Tes 5,21). Je vois qu’ils sont profitables, je vois qu’ils plaisent, pourquoi les garder en secret ? Je constate même qu’ils aident beaucoup à s’affectionner à la Congrégation.
– J’ai moi-même expérimenté, interrompit le Père Barberis, combien ces rêves étaient utiles et salutaires. Même racontés ailleurs, ils font du bien. Là où Don Bosco est connu, on peut dire que ce sont des rêves ; là où il n’est pas connu, on peut les présenter comme des similitudes. Ah ! si l’on pouvait en faire une collection en les présentant comme des similitudes. Ils seraient recherchés et lus par les petits et les grands, par les jeunes et les vieux, pour le plus grand bien de leurs âmes.
– Certainement ! Ils feraient du bien, j’en suis intimement convaincu.
– Mais peut-être, regretta Don Barberis, personne ne les a recueillis par écrit.
– Moi, reprit Don Bosco, je n’ai pas le temps, et je ne me souviens plus de beaucoup d’entre eux.
– Ceux dont je me souviens, reprit Don Barberis, ce sont les rêves qui parlaient des progrès de la Congrégation, de l’extension du manteau de la Vierge…
– Ah, oui ! s’exclama le Bienheureux. Et il mentionna plusieurs visions de ce genre. Il prit ensuite un air plus sérieux et il poursuivit non sans un certain trouble :
– Quand je pense à ma responsabilité dans la position où je me trouve, je tremble de tout mon être… Quel immense compte j’aurai à rendre à Dieu de toutes les grâces qu’il nous donne pour la bonne marche de notre Congrégation !
(MB XII, 40-51)

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Maison Salésienne de Castel Gandolfo

Entre les vertes collines des Castelli Romani et les eaux tranquilles du lac Albano, se dresse un lieu où l’histoire, la nature et la spiritualité se rencontrent de manière singulière : Castel Gandolfo. Dans ce contexte riche en mémoire impériale, en foi chrétienne et en beauté paysagère, la présence salésienne représente un point d’ancrage d’accueil, de formation et de vie pastorale. La Maison Salésienne, avec son activité paroissiale, éducative et culturelle, poursuit la mission de saint Jean Bosco, offrant aux fidèles et aux visiteurs une expérience d’Église vivante et ouverte, immergée dans un environnement qui invite à la contemplation et à la fraternité. C’est une communauté qui, depuis près d’un siècle, marche au service de l’Évangile au cœur même de la tradition catholique.

Un lieu béni par l’histoire et la nature
Castel Gandolfo est un joyau des Castelli Romani, situé à environ 25 km de Rome, immergé dans la beauté naturelle des Collines d’Albano et surplombant le suggestif lac Albano. À environ 426 mètres d’altitude, ce lieu se distingue par son climat doux et accueillant, un microclimat qui semble préparé par la Providence pour accueillir ceux qui cherchent le repos, la beauté et le silence.

Déjà à l’époque romaine, ce territoire faisait partie de l’Albanum Caesaris, un ancien domaine impérial fréquenté par les empereurs depuis l’époque d’Auguste. Cependant, ce fut l’empereur Tibère qui, le premier, y résida de manière stable, tandis que plus tard Domitien y fit construire une splendide villa, dont les vestiges sont aujourd’hui visibles dans les jardins pontificaux. L’histoire chrétienne du lieu commence avec la donation de Constantin à l’Église d’Albano : un geste qui marque symboliquement le passage de la gloire impériale à la lumière de l’Évangile.

Le nom Castel Gandolfo dérive du latin Castrum Gandulphi, le château construit par la famille Gandolfi au XIIe siècle. Lorsque le château passa au Saint-Siège en 1596, il devint la résidence d’été des Pontifes, et le lien entre ce lieu et le ministère du Successeur de Pierre devint profond et durable.

La « Specola Vaticana » : contempler le ciel, louer le Créateur
L’observatoire astronomique du Vatican, fondé par le pape Léon XIII en 1891 et transféré dans les années 1930 à Castel Gandolfo en raison de la pollution lumineuse de Rome, revêt une importance spirituelle particulière. Elle témoigne de la manière dont la science, lorsqu’elle est orientée vers la vérité, conduit à louer le Créateur.
Au fil des ans, la Specola a contribué à des projets astronomiques majeurs tels que la Carte du Ciel et à la découverte de nombreux objets célestes.

Avec la détérioration continue des conditions d’observation, même dans les Castelli Romani, l’activité scientifique s’est principalement déplacée dans les années 1980 vers l’Observatoire du Mont Graham en Arizona (USA), où le Vatican Observatory Research Group poursuit ses recherches astrophysiques. Castel Gandolfo reste cependant un centre d’études important. Depuis 1986, il accueille tous les deux ans la Vatican Observatory Summer School, dédiée aux étudiants et diplômés en astronomie du monde entier. La Specola organise également des conférences spécialisées, des événements de vulgarisation, des expositions de météorites et des présentations de matériaux historiques et artistiques sur le thème astronomique, le tout dans un esprit de recherche, de dialogue et de contemplation du mystère de la création.

Une église au cœur de la ville et de la foi
Au XVIIe siècle, le pape Alexandre VII confia à Gian Lorenzo Bernini la construction d’une chapelle palatine pour les employés des Villas Pontificales. Le projet, initialement conçu en l’honneur de saint Nicolas de Bari, fut finalement dédié à saint Thomas de Villeneuve, religieux augustin canonisé en 1658. L’église fut consacrée en 1661 et confiée aux Augustins, qui la gérèrent jusqu’en 1929. Avec la signature des Accords du Latran, le pape Pie XI confia aux Augustins la charge pastorale de la nouvelle Paroisse Pontificale de Sant’Anna au Vatican, tandis que l’église de San Tommaso da Villanova fut ensuite confiée aux Salésiens.

La beauté architecturale de cette église, fruit du génie baroque, est au service de la foi et de la rencontre entre Dieu et l’homme. De nombreux mariages, baptêmes et liturgies y sont célébrés aujourd’hui, attirant des fidèles du monde entier.

La maison salésienne
Les Salésiens sont présents à Castel Gandolfo depuis 1929. À cette époque, le village connut un développement notable, tant démographique que touristique, également grâce au début des célébrations papales dans l’église Saint-Thomas-de-Villeneuve. Chaque année, lors de la solennité de l’Assomption, le pape célébrait la Sainte Messe dans la paroisse pontificale, une tradition initiée par saint Jean XXIII le 15 août 1959, lorsqu’il sortit à pied du Palais Pontifical pour célébrer l’Eucharistie parmi le peuple. Cette coutume s’est maintenue jusqu’au pontificat du pape François, qui a interrompu les séjours estivaux à Castel Gandolfo. En 2016, en effet, l’ensemble du complexe des Villas Pontificales a été transformé en musée et ouvert au public.

La maison salésienne a fait partie de l’Inspection Romaine et, de 2009 à 2021, de la Circonscription Salésienne Italie Centrale. Depuis 2021, elle est passée sous la responsabilité directe du Siège Central, avec un directeur et une communauté nommés par le Recteur Majeur. Actuellement, les salésiens présents proviennent de différentes nations (Brésil, Inde, Italie, Pologne) et sont actifs dans la paroisse, les aumôneries et l’oratoire.

Les espaces pastoraux, bien qu’appartenant à l’État de la Cité du Vatican et donc considérés comme des zones extraterritoriales, font partie du diocèse d’Albano- Les salésiens participent activement à la vie pastorale de ce diocèse. Ils sont impliqués dans la catéchèse diocésaine pour adultes, dans l’enseignement à l’école théologique diocésaine, et au Conseil Presbytéral en tant que représentants de la vie consacrée.

Outre la paroisse Saint-Thomas-de-Villeneuve, les Salésiens gèrent également deux autres églises : Marie-Auxiliatrice (également appelée « Saint-Paul », du nom du quartier) et Madone-du-Lac, voulue par saint Paul VI. Toutes deux furent construites entre les années 1960-1970 pour répondre aux besoins pastoraux d’une population en croissance.

L’église paroissiale conçue par Bernini est aujourd’hui la destination de nombreux mariages et baptêmes célébrés par des fidèles du monde entier. Chaque année, avec les autorisations nécessaires, des dizaines, parfois des centaines de célébrations y ont lieu.

Le curé est responsable de la communauté paroissiale, mais également aumônier des Villas Pontificales et il accompagne spirituellement les employés du Vatican qui y travaillent.

L’oratoire, actuellement géré par des laïcs, voit l’implication directe des Salésiens, notamment dans la catéchèse. Lors des week-ends, des fêtes et des activités estivales comme l’Estate Ragazzi, des étudiants salésiens résidant à Rome y collaborent également, offrant un précieux soutien. Près de l’église Marie-Auxiliatrice existe également un théâtre actif, avec des groupes paroissiaux qui organisent des spectacles, lieu de rencontre, de culture et d’évangélisation.

Vie pastorale et traditions
La vie pastorale est rythmée par les principales fêtes de l’année : saint Jean Bosco en janvier, Marie Auxiliatrice en mai avec une procession dans le quartier San Paolo, la fête de la Madonna del Lago – et donc la fête du Lac – le dernier samedi d’août, avec la statue portée en procession sur une barque sur le lac. Cette dernière célébration implique de plus en plus les communautés environnantes, attirant de nombreux participants, dont de nombreux motards, avec lesquels on a commené d’organiser des moments de rencontre.

Le premier samedi de septembre, la fête patronale de Castel Gandolfo est célébrée en l’honneur de saint Sébastien, avec une grande procession en ville. La dévotion à saint Sébastien remonte à 1867, lorsque la ville fut épargnée par une épidémie qui frappa durement les villages voisins. Bien que la mémoire liturgique tombe le 20 janvier, la fête locale est célébrée en septembre, à la fois en souvenir de la protection obtenue et pour des raisons climatiques et pratiques.

Le 8 septembre on célèbre le patron de l’église, saint Thomas de Villeneuve, coïncidant avec la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie. À cette occasion a également lieu la fête des familles, destinée aux couples qui se sont mariés dans l’église de Bernini : elles sont invitées à revenir pour une célébration communautaire, une procession et un moment convivial. L’initiative a eu d’excellents résultats et se consolide au fil du temps.

Une curiosité : la boîte aux lettres
À côté de l’entrée de la maison salésienne se trouve une boîte aux lettres, connue sous le nom de « Boîte des correspondances », considérée comme la plus ancienne encore en usage. Elle remonte en effet à 1820, vingt ans avant l’introduction du premier timbre au monde, le célèbre Penny Black (1840). C’est une boîte officielle des Postes Italiennes toujours active, mais aussi un symbole éloquent : une invitation à la communication, au dialogue, à l’ouverture du cœur. Le retour du pape Léon XIV à sa résidence d’été l’augmentera sûrement.

Castel Gandolfo reste un lieu où le Créateur parle à travers la beauté de la création, la Parole proclamée et le témoignage d’une communauté salésienne qui, dans la simplicité du style de Don Bosco, continue d’offrir accueil, formation, liturgie et fraternité, rappelant à ceux qui fréquentent ces lieux en quête de paix et de sérénité que la vraie paix et sérénité ne se trouvent qu’en Dieu et dans sa grâce.