Don Bosco et l’église du Saint-Suaire

La Santa Sindone (Saint Linceul) de Turin, improprement appelée Saint Suaire en français, appartenait à la Maison de Savoie depuis 1463, et fut transférée de Chambéry à Turin, la nouvelle capitale, en 1578.
            C’est cette même année qu’eut lieu la première Ostension, voulue par Emmanuel-Philibert en hommage au cardinal Carlo Borromeo, venu en pèlerinage à Turin pour la vénérer.

Les ostensions du XIXe siècle et le culte du Saint-Suaire
            Au XIXe siècle, les ostensions eurent lieu en 1815, 1842, 1868 et 1898. La première eut lieu lors du retour de la Maison de Savoie dans ses États, la deuxième pour le mariage de Victor-Emmanuel II avec Marie-Adélaïde de Habsbourg-Lorraine, la troisième pour le mariage d’Humbert Ier avec Marguerite de Savoie-Gênes, et la quatrième lors de l’Exposition universelle.
            Les saints turinois du XIXe siècle (Cottolengo, Cafasso et Don Bosco) avaient une grande dévotion envers le Saint-Suaire, à l’instar du bienheureux Sebastiano Valfré, apôtre de Turin pendant le siège de 1706.
            Les Mémoires biographiques nous assurent que Don Bosco l’a vénéré en particulier lors de l’Ostension de 1842. À l’occasion de celle de 1868, il emmena avec lui les garçons de l’oratoire pour le voir (MB II, 117 ; IX, 137).
            Aujourd’hui, l’inestimable toile, offerte par Humbert II de Savoie au Saint-Siège, est confiée à l’archevêque de Turin, « gardien pontifical », et conservée dans la somptueuse chapelle Guarini, derrière la cathédrale.
            À Turin, on trouve également, via Piave, à l’angle de via San Domenico, la Chiesa del Santo Sudario, construite par la confrérie du même nom et reconstruite en 1761. À côté de l’église se trouve le musée du Saint-Suaire et le siège de la Sodalité Cultores Sanctae Sindonis, un centre d’études auquel des savants salésiens ont apporté leur précieuse contribution, notamment le Père Noël Noguier de Malijay, Don Antonio Tonelli, Don Alberto Caviglia, Don Pietro Scotti et, plus récemment, Don Pietro Rinaldi et Don Luigi Fossati, pour n’en citer que les principaux.

L’église du Saint-Suaire à Rome
            Une église du « Santo Sudario » existe également à Rome, le long de la rue du même nom, qui va du Largo Argentina parallèlement au Corso Vittorio. Érigée en 1604 sur un projet de Carlo di Castellamonte, c’était l’église des Piémontais, des Savoyards et des Niçois, construite par la Confraternité du Saint-Suaire qui avait vu le jour à Rome à cette époque. Après 1870, elle devint l’église particulière de la Maison de Savoie.
            Pendant ses séjours à Rome, Don Bosco célébra plusieurs fois la messe dans cette église. Pour cette église et pour la maison adjacente il élabora un projet conforme au but de la confrérie alors disparue : se consacrer à des œuvres de charité en faveur de la jeunesse abandonnée, des malades et des prisonniers.
            La confrérie avait cessé ses activités au début du siècle et la propriété et l’administration de l’église avaient été transférées à la Légation sarde auprès du Saint-Siège. Dans les années 1860, l’église nécessitait d’importants travaux de rénovation, à tel point qu’en 1868 elle fut temporairement fermée.
            Mais dès 1867, Don Bosco avait eu l’idée de proposer au gouvernement de lui céder l’usage et l’administration de l’église, en offrant sa collaboration en argent pour achever les travaux de restauration. Prévoyant peut-être l’entrée prochaine des troupes piémontaises à Rome, il souhaitait y ouvrir une maison. Il pensa pouvoir le faire avant que la situation ne se précipite, rendant plus difficile l’obtention de l’approbation du Saint-Siège et le respect des accords par l’État (MB IX, 415-416).
            Il présenta alors la demande au gouvernement. En 1869, lors de son passage à Florence, il prépara un projet d’accord qu’il présenta à Pie IX en arrivant à Rome. Ayant obtenu l’assentiment de ce dernier, il passa à la demande officielle au ministère des Affaires étrangères. Malheureusement, l’occupation de Rome vint alors compromettre toute l’affaire. Don Bosco lui-même se rendit compte de l’inopportunité d’insister. En effet, qu’une congrégation religieuse ayant sa maison-mère à Turin prenne en charge, à cette époque, une église romaine appartenant à la Maison de Savoie, aurait pu apparaître comme un acte d’opportunisme et de servilité à l’égard du nouveau gouvernement.
            En 1874, Don Bosco tâta de nouveau le terrain auprès du gouvernement. Mais, malheureusement, des nouvelles intempestives diffusées par les journaux mirent définitivement fin au projet (MB X, 1233-1235).
            Quant à nous, il nous plaît de rappeler que Don Bosco a jeté les yeux sur cette église du Saint-Suaire, à la recherche d’une occasion favorable pour ouvrir une maison à Rome.




La dixième colline (1864)

Le rêve de la « Dixième Colline », raconté par Don Bosco en octobre 1864, est l’une des pages les plus évocatrices de la tradition salésienne. Dans ce rêve, le saint se retrouve dans une immense vallée remplie de jeunes : certains sont déjà à l’Oratoire, d’autres sont encore à rencontrer. Guidé par une voix mystérieuse, il doit les conduire au-delà d’un escarpement abrupt, puis à travers dix collines, symboles des dix commandements, vers une lumière qui préfigure le Paradis. Le char de l’Innocence, les cohortes pénitentielles et la musique céleste dessinent une fresque éducative : elles montrent la difficulté de préserver la pureté, la valeur du repentir et le rôle irremplaçable des éducateurs. Avec cette vision prophétique, Don Bosco anticipe l’expansion mondiale de son œuvre et son engagement à accompagner chaque jeune sur le chemin du salut.

            Don Bosco avait rêvé la nuit précédente. Au même moment, un jeune de Casal Monferrato, un certain C. E., fit lui aussi le même rêve au cours duquel il avait l’impression d’être avec Don Bosco et de lui parler. En se levant le matin, il était tellement impressionné qu’il alla raconter son rêve à son professeur, qui le pressa d’aller en parler à Don Bosco. Le jeune alla aussitôt et tomba sur lui au moment où il descendait l’escalier pour le chercher et lui raconter la même chose.
            Don Bosco avait eu l’impression de se trouver dans une immense vallée remplie de milliers et de milliers de jeunes, mais tellement nombreux qu’il ne pensait pas pouvoir en trouver un si grand nombre dans le monde entier. Parmi ces jeunes, il distinguait tous ceux qui avaient été et ceux qui étaient dans la maison. Tous les autres étaient ceux qui viendraient peut-être plus tard. Au milieu des jeunes il y avait les prêtres et les clercs de la maison.
            Une côte très élevée fermait la vallée d’un côté. Tandis que Don Bosco réfléchissait à ce qu’il devait faire de tous ces jeunes, une voix lui dit :
            – Tu vois cette côte ? Eh bien, toi et tes jeunes, vous devez grimper jusqu’au sommet.
            Alors Don Bosco donna l’ordre à tous ces jeunes de se diriger vers le point indiqué. Les jeunes se mirent en marche et, au pas de course, gravirent la pente. Les prêtres de la maison coururent également vers le haut, poussant les jeunes pour les faire avancer, relevant ceux qui tombaient et portant sur leurs épaules ceux qui étaient fatigués et ne pouvaient pas marcher. Don Rua avait retroussé les manches de sa soutane et travaillait plus fort que tous les autres. Il prenait même les jeunes deux par deux et les lançait en l’air sur la côte, sur laquelle ils tombaient sur leurs pieds, puis couraient allègrement de-ci de-là. Don Cagliero et Don Francesia parcouraient les rangs en criant :
            – Courage ! En avant, en avant, courage !
            En peu de temps, ces troupes de jeunes atteignirent le sommet de la côte. Don Bosco était monté à son tour et dit :
            – Et maintenant, qu’allons-nous faire ?
            Et la voix ajouta :
            – Tu dois franchir avec tes jeunes ces dix collines que tu vois devant toi l’une après l’autre.
            – Mais comment tous ces jeunes, si petits et si délicats, pourront-ils supporter un si long voyage ?
            – On portera ceux qui ne pourront pas aller avec leurs jambes, lui répondit-on.
            Et voici qu’à l’une des extrémités de la colline on vit apparaître et monter un chariot magnifique. Il est impossible de le décrire, tant il était beau, mais on peut tout de même en dire quelque chose. Il était triangulaire et avait trois roues qui se déplaçaient dans toutes les directions. Des trois angles partaient trois perches qui se rejoignaient en un point au-dessus du char, formant une sorte de tonnelle. Sur ce point de jonction s’élevait un magnifique étendard sur lequel était écrit en grosses lettres : Innocentia. Il y avait aussi une bande qui faisait le tour du chariot, marquant le bord et portant l’inscription : Adjutorio Dei Altissimi Patris et Filii et Spiritus Sancti (sous la protection du Dieu Très-Haut, Père et Fils et Saint-Esprit).
            Le chariot, resplendissant d’or et de pierres précieuses, s’avança et s’arrêta au milieu des jeunes. Au commandement, beaucoup d’enfants montèrent dessus. Ils étaient 500. Cinq cents sur plusieurs milliers étaient encore innocents.
            Après les avoir placés sur le chariot, Don Bosco réfléchissait à la direction à prendre, lorsqu’il vit s’ouvrir devant lui une route large et facile, mais toute semée d’épines. Soudain apparurent six jeunes qui étaient morts à l’Oratoire ; Ils étaient vêtus de blanc et portaient une autre belle bannière sur laquelle était écrit : Poenitentia. Ils allèrent se placer à la tête de toutes ces phalanges de jeunes qui allaient commencer la marche à pied. On donna alors le signal du départ. Beaucoup de prêtres se mirent au timon du chariot qui, tiré par eux, se met en marche. Les six vêtus de blanc le suivent. Derrière eux, tout le reste de la multitude. Sur une musique magnifique et inexprimable, les jeunes qui se trouvaient sur le char entonnent le psaume Laudate pueri Dominum (Louez Dieu, vous les petits, Ps 113, 1).
            Don Bosco marchait, enivré par cette musique céleste, lorsqu’il se souvint de se retourner pour voir si tous les jeunes l’avaient suivi. Mais quel spectacle douloureux ! Beaucoup étaient restés dans la vallée, beaucoup avaient rebroussé chemin. Brisé par la douleur, il décida de reprendre le chemin parcouru pour essayer de persuader les jeunes qui s’étaient découragés et les aider à le suivre. Mais on le lui interdit d’une façon absolue. Il s’écria :
            – Mais ces pauvres petits sont en train de se perdre !
            On lui répondit :
            – Tant pis pour eux. Ils ont été appelés comme les autres, et ils n’ont pas voulu te suivre. Ils ont vu le chemin qu’ils devaient prendre, et cela suffit.
            Don Bosco voulut répondre, il pria, il supplia. Tout fut inutile.
            – L’obéissance est pour toi aussi ! – lui dit-on. Et il dut continuer son chemin.
            La douleur n’était pas encore apaisée qu’un autre triste incident se produisit. Beaucoup de jeunes parmi ceux qui se trouvaient sur le chariot étaient tombés à terre l’un après l’autre. Sur 500, il en restait à peine 150 sous la bannière de l’innocence.
            Le cœur de Don Bosco fut pris d’une détresse insupportable. Espérant que ce n’était là qu’un rêve, il fit tout son possible pour se réveiller, mais se rendit compte que c’était une terrible réalité. Il battait des mains et entendait le bruit ; il gémissait et entendait son gémissement se répercuter dans la pièce ; il voulait chasser ce terrible fantasme, mais il ne pouvait pas.
            – Ah, mes chers jeunes ! s’exclamait-il à cet instant, en racontant son rêve. J’ai connu et j’ai vu ceux qui sont restés dans la vallée, ceux qui ont fait demi-tour ou qui sont tombés du chariot ! Je vous ai tous connus. Mais ne doutez pas, je ferai tout mon possible pour vous sauver. Beaucoup d’entre vous, que j’ai invités à se confesser, n’ont pas répondu à l’appel ! Par pitié, sauvez vos âmes.
            Beaucoup de jeunes parmi ceux qui étaient tombés du chariot étaient allés se placer au fur et à mesure dans les rangs de ceux qui marchaient derrière la deuxième bannière. Pendant ce temps, la musique du chariot devenait si douce qu’elle finit par vaincre la douleur de Don Bosco. On avait déjà franchi sept collines et après avoir atteint la huitième, la troupe entra dans un endroit merveilleux où ils s’arrêtèrent pour se reposer un peu. Les maisons y étaient d’une richesse et d’une beauté indescriptibles.
            Don Bosco s’adressa aux jeunes de cette région en ajoutant :
            – Je vous dirai avec sainte Thérèse ce qu’elle a dit des choses du paradis : ce sont des choses qu’on dévalue quand on en parle, parce qu’elles sont si belles qu’il est inutile de s’efforcer de les décrire. Je me contenterai donc de remarquer que les montants des portes de ces maisons semblaient être faits à la fois d’or, de cristal et de diamant, provoquant la surprise, le plaisir de l’œil et la joie. Les champs étaient remplis d’arbres sur lesquels on voyait à la fois des fleurs, des boutons, des fruits mûrs et des fruits verts. C’était un magnifique enchantement.
            Les jeunes allèrent partout de-ci de-là, les uns pour une chose, les autres pour une autre, car ils avaient une grande curiosité ainsi qu’une grande envie des fruits.
            C’est dans ce village que le jeune de Casale rencontra Don Bosco et eut ne long dialogue avec lui. Don Bosco et le jeune se souvenaient parfaitement des questions posées et des réponses reçues. Singulière combinaison de deux rêves.
            Une autre surprise étrange attendait ici Don Bosco. Ses jeunes lui apparurent soudain devenus vieux, sans dents, le visage plein de rides, les cheveux blancs, courbés, boitant, appuyés sur leur bâton. Don Bosco s’étonnait de cette métamorphose, mais la voix lui dit :
            – Tu t’étonnes ? Mais tu dois savoir que ce n’est pas depuis quelques heures que tu as quitté la vallée, mais depuis des années et des années. C’est cette musique qui a fait que ton voyage t’a paru court. Comme preuve, regarde ta physionomie et tu sauras que je dis la vérité. – Et on lui présenta un miroir. Il se regarda dans le miroir et vit qu’il avait l’air d’un vieil homme, avec un visage ridé et des dents mauvaises et peu nombreuses.
            Entre-temps, le groupe se remit en route et les jeunes demandaient de temps en temps à s’arrêter pour voir des choses nouvelles. Mais Don Bosco leur disait :
            – Allez, allez. Nous n’avons besoin de rien, nous n’avons pas faim, nous n’avons pas soif, allons.
            (Au loin, sur la dixième colline apparut une lumière qui augmentait comme si elle sortait d’une porte merveilleuse). Puis le chant reprit, mais d’une beauté telle qu’on ne peut l’entendre et la goûter qu’au Paradis. Ce n’était pas une musique instrumentale et elle ne ressemblait pas à des voix humaines. C’était une musique impossible à décrire. La jubilation qui inonda l’âme de Don Bosco fut tel qu’il se réveilla et se retrouva dans son lit.
            Don Bosco expliqua son rêve de la manière suivante :
            – La vallée est le monde. La grande côte représente les obstacles pour s’en détacher. – Le chariot, vous le comprenez. – Les troupes de jeunes à pied sont les jeunes qui ont perdu leur innocence et se sont repentis de leurs fautes.
            Don Bosco ajouta que les 10 collines représentaient les 10 commandements de la loi de Dieu, dont l’observance conduit à la vie éternelle.
            Puis il ajouta que, s’il le fallait, il était prêt à dire confidentiellement à certains jeunes ce qu’ils faisaient dans le rêve, s’ils étaient restés dans la vallée ou s’ils étaient tombés du chariot.
            Quand il descendit du pupitre, l’élève Ferraris Antonio s’approcha de lui et lui raconta – nous étions présents et nous avons entendu parfaitement ses paroles – qu’il avait rêvé la veille au soir qu’il était en compagnie de sa mère, qui lui avait demandé s’il rentrerait à la maison à Pâques pour les vacances. Il lui avait répondu qu’il irait au paradis avant Pâques. Puis, en confidence, il dit encore quelques mots à l’oreille de Don Bosco. Ferraris Antonio mourut le 16 mars 1865.
            Quant à nous, nous avons immédiatement mis le rêve par écrit, et le soir même du 22 octobre 1864, nous avons ajouté à la fin la note suivante. « Je tiens pour certain que Don Bosco a tenté de dissimuler avec ses explications ce qui est le plus surprenant dans le rêve, du moins dans certains de ses détails. L’explication des dix commandements ne me satisfait pas. La huitième colline sur laquelle Don Bosco fait une halte, et où il se voit comme dans un miroir tellement vieilli, je crois que cela indique que la fin de sa vie arrivera après ses soixante-dix ans. L’avenir nous le dira ».
            Ce futur est donc maintenant du passé, et nous sommes confirmés dans notre opinion. Le rêve indiquait à Don Bosco la durée de sa vie. Comparons ce rêve avec celui de la Roue, que nous n’avons pu connaître que quelques années plus tard. Chaque tour de la Roue représente dix ans ; il en va de même, semble-t-il, dans les déplacements de colline en colline. Chacune des dix collines représente dix ans, et ensemble elles signifient cent ans, le maximum de la vie d’un homme. Or nous voyons Don Bosco encore enfant commencer sa mission parmi ses camarades des Becchi pendant la première décennie et entreprendre ainsi son voyage. Il parcourt entièrement les sept collines, c’est-à-dire les sept collines dans leur totalité, c’est-à-dire sept décennies, ce qui signifie qu’il atteindra soixante-dix ans. Il gravit la huitième colline et s’arrête ; il voit des maisons et des champs merveilleusement beaux, c’est-à-dire sa Pieuse Société rendue grande et féconde par l’infinie bonté de Dieu. Il a encore un long chemin à parcourir sur la huitième colline et il repart, mais il n’atteint pas la neuvième, parce qu’il se réveille. De fait, il n’acheva pas la huitième décennie en mourant à l’âge de 72 ans et 5 mois.
            Qu’en pense le lecteur ? Nous ajouterons que le lendemain soir, Don Bosco nous interrogea sur ce que nous pensions du rêve. Nous lui avons répondu qu’il ne concernait pas seulement les jeunes, mais qu’il indiquait aussi l’expansion de la Pieuse Société dans le monde entier.
            – Mais quoi ? répliqua un de nos confrères ; nous avons déjà les collèges de Mirabello et de Lanzo et on en ouvrira sans doute quelques autres dans le Piémont. Que veux-tu de plus ?
            – Non, l’avenir que le rêve nous annonce sera bien autre chose.
            Et Don Bosco, en souriant, approuva notre conviction.
(1864, MB VII, 796-802)




L’éducation au féminin avec saint François de Sales

La pensée éducative de saint François de Sales dévoile une vision profonde et novatrice du rôle des femmes dans l’Église et la société de son époque. Persuadé que l’éducation des femmes était essentielle à la croissance morale et spirituelle de toute la communauté, le saint évêque de Genève a promu une éducation équilibrée, respectueuse de la dignité féminine tout en étant attentive aux fragilités. Avec un regard paternel et réaliste, il a su percevoir et mettre en valeur les qualités des femmes, les encourageant à cultiver la vertu, la culture et la dévotion. Fondateur de la Visitation avec Jeanne de Chantal, il a défendu avec vigueur la vocation féminine, même face aux critiques et aux préjugés. Son enseignement continue d’offrir des pistes de réflexion actuelles sur l’éducation, l’amour et la liberté dans le choix de sa propre vie.

            Lors de son voyage à Paris en 1619, François de Sales rencontra Adrien Bourdoise, un prêtre réformateur du clergé, qui lui reprocha vivement de trop s’occuper des femmes. L’évêque lui aurait répondu calmement que les femmes étaient au moins la moitié du genre humain, qu’en formant de bonnes chrétiennes on aurait de bons enfants et qu’avec de bons enfants on aurait de bons prêtres. D’ailleurs, saint Jérôme ne leur a-t-il pas consacré beaucoup de temps et d’écrits ? La lecture de ses lettres est recommandée par François de Sales à madame de Chantal, qui y trouvera entre autres beaucoup de choses pour l’éducation de ses filles. On en conclura que le rôle de la femme dans l’éducation justifiait amplement à ses yeux le temps et la sollicitude qu’il leur accordait.

Saint François de Sales et la femme
            « Il faut aider le sexe féminin, lequel on méprise », avait dit un jour l’évêque de Genève à Jean-François de Blonay. Pour comprendre ses préoccupations et sa pensée, il convient de les situer dans son époque. Il faut dire qu’un certain nombre de ses affirmations semblent encore très liées à la mentalité courante. Chez la femme de son temps il déplorait « cette féminine tendreté sur elle-même », la facilité « à se plaindre ou à désirer d’être plainte », une propension plus grande que chez les hommes à la croyance aux songes, à la crainte des esprits et à la crédulité des superstitions, et surtout les « entortillements dans ces pensées de vanité ». Parmi les conseils à madame de Chantal pour l’éducation de ses filles, il n’hésitait pas à écrire : « Ôtez-leur la vanité de l’âme : elle naît presque avec le sexe ».
            Cependant la femme est dotée de grandes qualités. Il écrivait à propos de madame de La Fléchère, qui venait de perdre son mari : « Quand je n’aurais que cette parfaite brebis en mon bercail, je ne me saurais fâcher d’être pasteur de cet affligé diocèse. Après notre madame de Chantal, je ne sais si j’ai fait rencontre d’une âme plus forte en un corps féminin, d’un esprit plus raisonnable et d’une humilité plus sincère ». Les femmes ne sont pas les dernières dans l’exercice des vertus. Comparées aux grands théologiens qui ont dit des merveilles sur les vertus, mais non pas pour les exercer, « il y a eu tant de saintes femmes qui ne savaient pas parler des vertus, lesquelles néanmoins en savaient très bien l’exercice ».
            Les plus dignes d’admiration sont les femmes mariées : « Ah ! mon Dieu, que les vertus d’une femme mariée sont agréables à Dieu car il faut qu’elles soient fortes et excellentes pour durer en cette vocation ! » Dans le combat de la chasteté, il estimait que « les femmes ont souvent combattu plus vaillamment que les hommes ».
            Fondateur d’une congrégation de femmes avec Jeanne de Chantal, il fut en relation constante avec les premières religieuses. À côté des louanges, les critiques commencèrent à pleuvoir. Le fondateur, poussé dans ses retranchements, dut se défendre et les défendre, non seulement en tant que religieuses, mais aussi en tant que femmes. Dans un document qui devait servir de préface aux Constitutions de la Visitation, on retrouve toute la verve polémique dont il savait faire preuve, dirigée non plus cette fois contre les « hérésiarques », mais contre les « censeurs » malveillants et ignorants de cet institut féminin :

La présomption et importune arrogance de plusieurs enfants de ce siècle, qui font profession de blâmer tout ce qui n’est pas selon leur esprit, me donne occasion, voire me force de faire cette préface, mes très chères sœurs, pour armer et mettre en défense votre sainte vocation contre la pointe de leurs langues empestées, afin que les bonnes et pieuses âmes, qui sans doute affectionnent votre tant aimable et honorable institut, trouvent ici de quoi repousser ces traits et flèches de la témérité de ces bizarres et insolents censeurs.

            Estimant peut-être qu’un tel préambule risquait de desservir la cause, François de Sales écrivit une seconde version édulcorée, afin de mettre en lumière l’égalité foncière des sexes. Après avoir cité la Genèse, il concluait : « La femme donc, non moins que l’homme, a la faveur d’avoir été faite à l’image de Dieu ; honneur pareil en l’un et en l’autre sexe ; leurs vertus sont égales ».

L’éducation des filles
             L’ennemi du véritable amour est la « vanité ». Comme chez les moralistes et les pédagogues de son temps, c’était le défaut que François de Sales craignait le plus dans l’éducation des filles. Il en a décrit avec une pointe d’ironie plusieurs manifestations. Voyez « ces demoiselles du monde, lesquelles pour être bien accommodées, s’en vont enflées d’orgueil et de vanité, la tête levée, les yeux ouverts, désirant être remarquées des mondains ».
            L’évêque de Genève s’amuse un peu en se moquant de ces « filles du monde » qui « portent leurs cheveux éparpillés et poudrés », dont la tête est « ferrée comme l’on ferre les pieds des chevaux », et qui « portent quantité d’affiquets ». Il y en a qui « portent des robes qui les serrent et les gênent extrêmement, et cela pour faire voir qu’elles ont la taille belle ». Voilà bien une « folie qui les rend d’ordinaire incapables de rien faire ».
            Que penser alors de certaines beautés artificielles changées en « boutiques de vanité » ? François de Sales préfère une « face nette et décrassée », il veut qu’il n’y ait rien d’affecté, car tout ce qui est fardé déplaît. Il vaut mieux s’en tenir en toute chose à la simplicité et au naturel. Faut-il pour autant condamner tout « artifice » ? Il admet fort bien que « s’il y a quelque défaut en la nature, il faut le corriger par le soin, en sorte que l’on voie l’amendement, mais pur et sans artifice ».
            Que dire des parfums, des affiquets et des habits ? À propos du parfum il dit dans un sermon en parlant de Marie-Madeleine : « C’est une chose excellente ; aussi celui qui est parfumé ressent quelque chose d’excellent », en ajoutant en connaisseur que « le musc d’Espagne est de grande estime parmi le monde ». Dans son chapitre sur « la bienséance des habits », il permet aux filles des affiquets, « parce qu’elles peuvent bien désirer d’agréer à plusieurs, quoique ce ne soit qu’afin d’en gagner un par un saint mariage ». Que voulez-vous ? disait-il avec un brin d’indulgence, « il faut bien que les filles soient un petit peu jolies ».
            C’était sans doute la lecture de la Bible qui l’avait préparé à ne pas bouder la beauté féminine. Chez la bien-aimée du Cantique des Cantiques, il admirait « la remarquable beauté de son visage qui semble un bouquet de fleurs ». Il décrit Jacob, rencontrant Rachel près du puits, qui « pleurait d’attendrissement en voyant une vierge qui lui plaisait et qui le charmait par les grâces de son visage ». Il aimait aussi conter l’histoire de sainte Brigide, née en Écosse, un pays où l’on trouve « les plus belles créatures qu’on puisse voir » ; elle-même était « une fille extrêmement belle », précisant qu’elle était « naturellement » belle.
            L’idéal salésien de la beauté s’appelle la « bonne grâce », qui désigne non seulement la beauté extérieure, mais aussi les mouvements, les gestes et les actions qui sont « comme l’âme et la vie de la beauté ». La grâce veut « la simplicité et la modestie », elle est une perfection qui vient de l’intérieur de la personne. La beauté unie à la grâce fait de Rébecca l’idéal féminin de la Bible. Elle était « si belle et si gracieuse auprès du puits où elle tirait de l’eau pour abreuver ses brebis », et sa générosité lui inspira de donner à boire non seulement au serviteur d’Abraham, mais aussi à ses chameaux.

Instruction et préparation à la vie
            Au temps de François de Sales, la femme avait peu de chances d’accéder à de fortes études. Les filles apprenaient ce qu’elles pouvaient chez elles avec leurs frères, ou quand la famille en avait la possibilité, dans un monastère. La lecture était certainement plus fréquente que l’écriture. Les collèges n’existaient que pour les garçons, ce qui veut dire que l’apprentissage du latin, langue de la culture, leur était pratiquement interdit.
            François de Sales n’était pas contraire aux femmes qui se rendaient savantes, à condition qu’elles ne tombent pas dans la pédanterie et la vanité. Il admirait sainte Catherine qui « fut fort savante, mais sa science était humble ». Parmi les correspondantes de l’évêque de Genève, une femme comme madame de La Fléchère avait étudié le latin, l’italien, l’espagnol et les beaux-arts, mais c’était une exception.
            Pour trouver leur place dans la vie, que ce soit dans la société civile ou dans la vie religieuse, les filles avaient souvent besoin à un certain moment d’une aide particulière. Georges Rolland rapporte que l’évêque s’occupa personnellement de plusieurs cas difficiles. Une femme de Genève, avec trois de ses filles, fut grandement assistée par l’évêque « et d’argent et de crédit ». Il mit une de ses filles en apprentissage chez une femme de la ville, et il lui paya sa pension pendant six années « en blé et en argent ». Il donna aussi cinq cents florins pour le mariage de la fille d’un imprimeur de Genève.
            L’intolérance religieuse du temps provoquait des drames parfois rocambolesques, auxquels l’évêque tentait de remédier. Élevée à Paris par ses parents dans « les erreurs de Calvin », Marie Judith Gilbert découvrit à dix-neuf ans le livre de l’Introduction à la vie dévote, qu’elle n’osait lire qu’en secret. Elle sympathisa avec son auteur dont elle entendit parler. Étroitement surveillée par son père et sa mère, elle réussit à se faire enlever en carrosse, se fit instruire dans la religion catholique et entra chez les sœurs de la Visitation.
            Le rôle social de la femme restait encore très limité. François de Sales n’était pas opposé par principe à l’intervention des femmes dans la vie publique. Parfois cependant il devait tempérer le zèle intempestif d’une correspondante toujours prête à redresser les torts en lui écrivant ces quelques lignes :

Votre sexe et votre vocation ne vous permettent d’empêcher le mal hors de chez vous que par l’inspiration et proposition du bien, et des remontrances simples, humbles et charitables à l’endroit des défaillants, et par avertissement aux supérieurs quand cela se peut.

            Il est significatif qu’une contemporaine de François de Sales, mademoiselle de Gournay, une des premières féministes avant la lettre, femme de lettres et auteur de textes polémiques comme son traité de L’égalité des hommes et des femmes et Le grief des dames, lui voua une grande admiration. Elle s’acharna toute sa vie à démontrer cette égalité en rassemblant tous les témoignages possibles, sans oublier celui du « bon et saint évêque de Genève ».

Éducation à l’amour
            François de Sales n’a pu tant parler de l’amour divin que parce qu’il a été très attentif aux manifestations de l’amour humain sous toutes ses formes. Tout amour a une histoire. Comme pour l’amour divin on peut décrire « l’histoire de la naissance, du progrès, de la décadence, des opérations, propriétés, avantages et excellences » de l’amour humain.
            L’amour naît de la contemplation du beau et le beau se laisse percevoir par les sens, surtout par les yeux. Il se produit un phénomène d’interaction entre le regard et la beauté, « le regard de la beauté nous la faisant aimer, et l’amour nous la faisant regarder ». L’odorat intervient également, car « les parfums n’ont point d’autre pouvoir pour attirer à leur suite que leur suavité ».
            Après les sens extérieurs interviennent les sens intérieurs, la fantaisie et l’imagination, qui magnifient et transfigurent le réel. « L’amour, par une imperceptible faculté, fait paraître la beauté que l’on aime, plus belle, et la vue pareillement affine l’amour pour lui faire trouver la beauté plus aimable ». On comprend alors pourquoi ceux qui ont peint Cupidon, le dieu de l’amour, lui ont bandé les yeux, disant que « l’amour est aveugle ». À ce stade on arrive à l’amour-passion, qui fait rechercher la rencontre et la conversation, qui désire le secret, et qui fait proférer des paroles qui seraient ridicules si elles ne sortaient d’un cœur passionné.
            Or, cet amour-passion, qui n’est peut-être qu’une « amourette », une « muguetterie », est sujet à bien des péripéties, si bien que l’auteur de l’Introduction présente plusieurs séries de considérations et de mises en garde à propos des « amitiés folâtres », qui ne sont souvent que des « avortons ou plutôt fantômes d’amitié ».
            François de Sales s’est exprimé aussi à propos du baiser, se demandant par exemple avec les commentateurs anciens comment Rachel avait permis à Jacob de l’embrasser. Il explique qu’il y a plusieurs sortes de baisers. Les baisers qui s’échangent fréquemment entre jeunes gens et qui ne sont pas mauvais au départ, peuvent le devenir à cause de la fragilité humaine. Mais le baiser peut aussi être bon. En certains pays la coutume le veut. Il est bon aussi quand c’est un témoignage d’amitié ou de respect. « Notre Jacob embrasse donc très innocemment sa Rachel ; Rachel accepte ce baiser de courtoisie et d’amitié de la part de cet homme au caractère bon et au franc visage ».
            Sur le plan affectif, l’éducation vise à promouvoir la maturité et l’autonomie du sujet, mais il faut du temps pour cela. Il n’est pas toujours facile de concilier la prudence des parents avec le désir de liberté des filles. C’est ainsi qu’une fille à qui on a défendu de sortir dans la rue dès qu’il fait nuit ne manquera pas de dire : « Mon Dieu, j’ai la plus terrible mère qui se peut dire ! Elle ne veut pas même que je sorte de la maison ». On ne lui a défendu de sortir que la nuit, et elle dit que c’est toujours.
            Dans la question de la danse et du bal, qui était également à l’ordre du jour, François de Sales évita les condamnations absolues, comme faisaient les rigoristes du temps, tant catholiques que protestants, tout en se montrant très prudent. Comme pour certains jeux, il y a danger quand on s’y affectionne et qu’on ne peut plus s’en passer : « Il faut que ce soit par récréation et non par affection, pour peu de temps et non jusqu’à se lasser ou s’étourdir ». Il est recommandé par ailleurs d’éviter les passe-temps qui favorisent « les folles amours ».

Le moment du choix
            Quand la jeune fille a grandi, arrive le jour où « il faudra lui parler, cela veut dire de la parole principale, qui est quand on parle aux filles de les marier ». Homme de son temps, François de Sales partageait dans une large mesure les idées qui accordaient aux parents un rôle important dans la détermination de la vocation de leurs enfants, que ce soit le mariage ou la vie religieuse. « On ne choisit pas pour l’ordinaire son prince et son évêque, son père et sa mère, ni même souvent son mari », constatait l’auteur de l’Introduction. Cependant il dit clairement que « les filles ne peuvent être mariées quand elles disent non ».
            La pratique courante est bien décrite dans ce passage de l’Introduction à la vie dévote parlant de la demoiselle qu’on veut marier : « Premièrement on lui propose le parti ; deuxièmement elle agrée la proposition, et en troisième lieu elle consent ». Comme les filles se mariaient souvent très jeunes, il ne faut pas s’étonner de leur immaturité affective. Elles aiment non seulement leur époux, constatait François de Sales, mais aussi « les bagues et bagatelles, et leurs compagnes avec lesquelles elles s’amusent éperdument à jouer, danser et folâtrer ».
            Le problème de la liberté du choix se posait également pour les enfants que l’on destinait à la vie religieuse. La fille de la baronne de Chantal, Françoise, devait être placée dans un monastère par sa mère qui désirait pour elle une vocation religieuse, mais l’évêque intervint : « Si Françoise veut de son gré être religieuse, bon ; autrement je n’approuve pas qu’on devance sa volonté par des résolutions ». Il conseille d’« user de modération » et de procéder plutôt par « inspirations suaves ».
            Certaines jeunes filles hésitaient entre la vie religieuse et le mariage, n’arrivant pas à se décider. Il encouragea la future madame de Longecombe à faire le pas du mariage qu’il voulut célébrer lui-même. Il fit cette bonne œuvre, dira plus tard son mari, à la demande de sa femme « qui avait en affection d’être épousée de sa main et qui peut-être, sans cela, n’aurait jamais pu franchir ce passage à cause de la grande aversion qu’elle avait au mariage ».

La femme et la dévotion
            Étranger à tout féminisme avant la lettre, François de Sales était conscient de l’exceptionnel apport de la femme au plan spirituel. D’autre part, on a fait remarquer qu’en favorisant la dévotion chez les femmes, l’auteur de l’Introduction a favorisé du même coup la possibilité pour elles d’une plus grande autonomie, et d’une forme de « vie privée au féminin ».
            La qualité principale de la femme réside dans sa « puissance d’aimer ». Jeanne de Chantal en était la démonstration vivante : « Je vous vois, ce me semble, ma chère fille, avec votre cœur vigoureux, qui aime et qui veut puissamment ». Après avoir énuméré un certain nombre de docteurs et de savants, il pouvait écrire dans la préface du Traité de l’amour de Dieu : « Qui a jamais mieux exprimé les célestes passions de l’amour sacré que sainte Catherine de Gênes, sainte Angèle de Foligno, sainte Catherine de Sienne, sainte Mathilde ? » À la suite d’une prédication à Grenoble il fit ce constat avec une pointe d’ironie : « Je ne vis jamais un peuple plus docile que celui-ci, ni plus porté à la piété. Surtout les dames y sont très dévotes, car ici, comme partout ailleurs, les hommes laissent aux femmes le soin du ménage et de la dévotion ».
            Les femmes pouvaient-elles se mêler des problèmes de la religion ? « Voici donc cette femme qui fait la théologienne », s’exclame François de Sales en parlant de la Samaritaine de l’Évangile. Faut-il nécessairement y voir une dépréciation des théologiennes ? Ce n’est pas sûr. D’autant qu’il affirme avec force : « Je vous dis qu’une pauvre femme peut autant aimer Dieu qu’un docteur en théologie ». La supériorité n’est pas toujours là où on pense.
            Il y a des femmes supérieures aux hommes, à commencer par la Sainte Vierge comparée à saint Joseph. Certes, François de Sales respecte toujours les principes de l’ordre établi par les lois religieuses et civiles de son temps, envers lesquelles il prêche l’obéissance, mais sa pratique témoigne d’une grande liberté d’esprit. C’est ainsi que pour le gouvernement des monastères de femmes, il estimait qu’il valait mieux qu’elles soient sous la juridiction de l’évêque que de leurs frères en religion, qui risqueraient de les contraindre de façon excessive.
            Les visitandines, quant à elles, ne dépendront d’aucun ordre masculin et n’auront aucun gouvernement central, chaque monastère étant placé directement sous la juridiction de l’évêque du diocèse. Aux sœurs de la Visitation en partance pour une nouvelle fondation il osa même décerner le titre inattendu d’« apôtresses », « non en la dignité, mais en l’office et au mérite ». C’est le témoignage silencieux des visitandines qui sera leur prédication.
            Si l’on entend bien la pensée de l’évêque de Genève, la mission ecclésiale de la femme est d’annoncer non pas la parole de Dieu, mais « la gloire de Dieu » par la beauté de leur témoignage. Les cieux, dit le psalmiste, racontent la gloire de Dieu sans paroles, par leur seule splendeur. Et « n’est-ce pas une plus grande merveille de voir une âme décorée de plusieurs grandes vertus que non pas le ciel décoré d’étoiles ? »




Joseph-Auguste Arribat : un Juste parmi les Nations

1. Profil biographique
            Le vénérable Joseph Auguste Arribat est né le 17 décembre 1879 à Trédou (Rouergue – France). La pauvreté de sa famille oblige le jeune Auguste à ne commencer ses études secondaires à l’oratoire salésien de Marseille qu’à l’âge de 18 ans. En raison de la situation politique du début du siècle, il commence la vie salésienne en Italie et reçoit la soutane des mains du bienheureux Michel Rua. De retour en France, il commence, comme tous ses confrères, la vie salésienne dans une semi-clandestinité, d’abord à Marseille puis à La Navarre, les deux maisons salésiennes fondées par Don Bosco en 1878.
            Ordonné prêtre en 1912, il est appelé sous les drapeaux pendant la Première Guerre mondiale et travaille comme infirmier brancardier. Après la guerre, le père Arribat a continué à travailler intensivement à La Navarre jusqu’en 1926, après quoi il est parti comme catéchiste à Nice où il est resté jusqu’en 1931. Il retourne à La Navarre en tant que directeur et en même temps responsable de la paroisse Saint-Isidore dans la vallée de Sauvebonne. Ses paroissiens l’appellent « le saint de la vallée ».
            À la fin de sa troisième année, il est envoyé à Morges, dans le canton de Vaud, en Suisse. Il reçoit ensuite trois mandats successifs de six ans chacun, d’abord à Millau, puis à Villemur et enfin à Thonon dans le diocèse d’Annecy. Sa période la plus dangereuse et la plus riche en grâces est sans doute son affectation à Villemur pendant la Seconde Guerre mondiale. De retour à La Navarre en 1953, le père Arribat y reste jusqu’à sa mort, le 19 mars 1963.

2. Profondément homme de Dieu
            Homme du devoir quotidien, rien n’était secondaire pour lui, et tout le monde savait qu’il se levait très tôt pour nettoyer les toilettes des élèves et la cour. Devenu directeur de la maison salésienne, et voulant faire son devoir jusqu’au bout et à la perfection, par respect et amour des autres, il finissait souvent ses journées très tard, écourtant ses heures de repos. Par contre, il était toujours disponible, accueillant pour tous, sachant s’adapter à chacun, qu’il s’agisse des bienfaiteurs et des grands propriétaires, ou des employés de la maison, gardant un souci permanent pour les novices et les confrères, et surtout pour les jeunes qui lui étaient confiés.
            Ce don total de soi s’est manifesté jusqu’à l’héroïsme. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il n’a pas hésité à accueillir des familles et des jeunes juifs, s’exposant ainsi au grave risque d’indiscrétion ou de dénonciation. Trente-trois ans après sa mort, ceux qui ont été directement témoins de son héroïsme ont reconnu la valeur de son courage et le sacrifice de sa vie. Son nom est inscrit à Jérusalem, où il a été officiellement reconnu comme un « Juste parmi les nations ».
            Il a été reconnu par tous comme un véritable homme de Dieu, qui a fait « tout par amour, et rien par force », comme le disait saint François de Sales. Voilà le secret d’un rayonnement dont il n’a peut-être pas lui-même mesuré toute l’ampleur.
            Tous les témoins ont noté la foi vivante de ce serviteur de Dieu, homme de prière, sans ostentation. Sa foi était la foi rayonnante d’un homme toujours uni à Dieu, d’un véritable homme de Dieu, et en particulier d’un homme de l’Eucharistie.
            Lorsqu’il célébrait la messe ou lorsqu’il priait, il émanait de sa personne une sorte de ferveur qui ne pouvait pas passer inaperçue. Un confrère a déclaré : « En le voyant faire son grand signe de croix, tout le monde ressentait un rappel opportun de la présence de Dieu. Son recueillement à l’autel était impressionnant ». Un autre salésien se souvient qu’ »il faisait ses génuflexions à la perfection avec un courage, une expression d’adoration qui conduisait à la dévotion ». Le même ajoutait : « Il a renforcé ma foi ».
            Sa vision de la foi transparaissait dans le confessionnal et dans les conversations spirituelles. Il communiquait sa foi. Homme d’espérance, il s’en remettait toujours à Dieu et à sa Providence, gardant le calme dans la tempête et répandant partout un sentiment de paix.
            Cette foi profonde s’est encore affinée en lui au cours des dix dernières années de sa vie. Il n’avait plus de responsabilités et ne pouvait plus lire facilement. Il ne vivait que de l’essentiel et en témoignait avec simplicité en accueillant tous ceux qui savaient bien que sa demi-cécité ne l’empêchait pas de voir clair dans leur cœur. Au fond de la chapelle, son confessionnal était un lieu assiégé par les jeunes et les voisins de la vallée.

3. « Je ne suis pas venu pour être servi… »
            L’image que les témoins ont conservée du Père Auguste est celle du serviteur de l’Évangile, mais au sens le plus humble. Balayer la cour, nettoyer les toilettes des élèves, faire la vaisselle, soigner et veiller les malades, bêcher le jardin, ratisser le parc, décorer la chapelle, attacher les chaussures des enfants, les coiffer, rien ne lui répugnait et il était impossible de le détourner de ces humbles exercices de charité. Le « bon père » Arribat, était plus généreux en actes concrets qu’en paroles : il donnait volontiers sa chambre au visiteur occasionnel, qui risquait d’être moins bien logé que lui. Sa disponibilité était permanente, de tous les instants. Son souci de propreté et de pauvreté digne ne le laissait pas tranquille, car la maison devait être accueillante. Homme de contact facile, il profitait de ses longues marches pour saluer tout le monde et dialoguer, même avec les « mangeurs de curés ».
            Le père Arribat a vécu plus de trente ans à Navarre, dans la maison que Don Bosco lui-même a voulu placer sous la protection de saint Joseph, chef et serviteur de la Sainte Famille, modèle de foi dans le silence et la discrétion. Par sa sollicitude pour les besoins matériels de la maison et par sa proximité avec toutes les personnes vouées au travail manuel, paysans, jardiniers, ouvriers, bricoleurs, gens de cuisine ou de buanderie, ce prêtre faisait penser à saint Joseph, dont il portait aussi le nom. Et n’est-il pas mort le 19 mars, jour de la fête de saint Joseph ?

4. Un authentique éducateur salésien
            « La Providence m’a confié de façon particulière le soin des enfants », disait-il pour résumer sa vocation spécifique de salésien, disciple de Don Bosco, au service des jeunes, notamment les plus démunis.
            Extérieurement, le père Arribat n’avait aucune des qualités particulières qui en imposent facilement aux jeunes. Ce n’était pas un grand sportif, ni un intellectuel brillant, ni un beau parleur qui attirait les foules, ni un musicien, ni un homme de théâtre ou de cinéma, rien de tout cela ! Comment expliquer l’influence qu’il exerçait sur les jeunes ? Son secret n’était autre que ce qu’il avait appris de Don Bosco, qui avait conquis son petit monde avec trois choses considérées comme fondamentales dans l’éducation de la jeunesse : la raison, la religion et l’amour bienveillant. En tant que « père et maître de la jeunesse », il savait parler le langage de la raison avec les jeunes, motiver, expliquer, persuader, convaincre ses élèves, en évitant les impulsions de la passion et de la colère. Il plaçait la religion au centre de sa vie et de son action, non pas dans le sens d’une imposition forcée, mais dans le témoignage lumineux de sa relation avec Dieu, Jésus et Marie. Quant à l’amour bienveillant avec lequel il a conquis le cœur des jeunes, il convient de rappeler à propos du serviteur de Dieu ce que saint François de Sales a dit : « On attrape plus de mouches avec une cuillerée de miel qu’avec un tonneau de vinaigre ».
            Le témoignage de Don Pietro Ricaldone, futur successeur de Don Bosco, qui écrivait après sa visite canonique en 1923-1924, fait particulièrement autorité : « Le père Arribat Augusto est catéchiste, confesseur et lit les notes de conduite ! C’est un saint confrère. Seule sa bonté peut rendre ses différents devoirs moins incompatibles ». Puis il répète son éloge : « C’est un excellent confrère, un peu fragile de santé. Grâce à ses bonnes manières, il jouit de la confiance des jeunes gens plus âgés qui vont presque tous vers lui ».
            Une chose frappante était le respect presque cérémonieux qu’il témoignait à tout le monde, mais surtout aux enfants. À un petit bonhomme de huit ans, il donnait le nom de « Monsieur ». Une dame témoigne : « Il respectait tellement l’autre que celui-ci était presque obligé de s’élever à la dignité qui lui était accordée en tant qu’enfant de Dieu, et tout cela sans même parler de religion ».
            Visage ouvert et souriant, ce fils de saint François de Sales et de Don Bosco ne gênait personne. Si la minceur de sa personne et son ascétisme rappelaient le saint curé d’Ars et Don Rua, son sourire et sa douceur étaient typiquement salésiens. Comme l’a dit un témoin : « C’était l’homme le plus naturel du monde, plein d’humour, spontané dans ses réactions, jeune de cœur ».
            Ses paroles, qui n’étaient pas celles d’un grand orateur, étaient efficaces parce qu’elles émanaient de la simplicité et de la ferveur de son âme.
            Un de ses anciens élèves témoigne : « Dans nos têtes d’enfants, dans nos conversations d’enfants, après avoir entendu les récits de la vie de Jean-Marie Vianney, nous nous représentions le Père Arribat comme s’il était pour nous le Saint Curé d’Ars. Les heures de catéchisme, présenté dans un langage simple mais vrai, étaient suivies avec beaucoup d’attention. Pendant la messe, les bancs du fond de la chapelle étaient toujours pleins. Nous avions l’impression de rencontrer Dieu dans sa bonté et cela a marqué notre jeunesse ».

5. Le père Arribat, un écologiste ?
            Voici un trait original qui vient compléter le portrait de ce personnage apparemment ordinaire. Il était considéré presque comme un écologiste avant la lettre. Petit agriculteur, il avait appris à aimer et à respecter profondément la nature. Ses compositions de jeunesse sont pleines de fraîcheur et d’observations très fines, avec une touche de poésie. Il partageait spontanément les travaux de ce monde rural, où il vécut une grande partie de sa longue vie.
            Parlant de son amour pour les animaux, combien de fois a-t-on vu « le bon père, une boîte sous le bras, pleine de mie de pain, faire laborieusement le chemin du réfectoire à ses colombes à petits pas très pénibles ». Fait incroyable pour ceux qui n’ont pas vu, raconte la personne qui a assisté à la scène, les colombes, dès qu’elles l’apercevaient, s’avançaient vers la grille comme pour lui souhaiter la bienvenue. Il ouvrait la cage et immédiatement elles venaient à lui, certaines se tenant sur ses épaules. « Il leur parlait avec des expressions dont je ne me souviens pas, c’était comme s’il les connaissait toutes. Lorsqu’un jeune garçon lui apporta un bébé moineau qu’il avait pris dans le nid, il lui dit : « Tu dois lui donner la liberté ». On raconte aussi l’histoire d’un chien-loup assez féroce, qu’il était le seul à pouvoir apprivoiser, et qui est venu se coucher à côté de son cercueil après sa mort.
            Ce rapide profil spirituel du Père Arribat nous a rappelé quelques traits des visages de saints dont il se sentait proche : la bonté aimante de Don Bosco, l’ascétisme de Don Rua, la douceur de saint François de Sales, la piété sacerdotale du saint curé d’Ars, l’amour de la nature de saint François d’Assise et le travail constant et fidèle de saint Joseph.




Le sage

L’empereur Cyrus le Grand aimait converser aimablement avec un ami très sage nommé Akkad.
Un jour, alors qu’il revenait épuisé d’une campagne de guerre contre les Mèdes, Cyrus s’arrêta chez son vieil ami pour passer quelques jours avec lui.
– Je suis épuisé, cher Akkad. Toutes ces batailles m’épuisent. Comme j’aimerais pouvoir m’arrêter et passer du temps avec vous, à bavarder sur les rives de l’Euphrate…
– Mais, cher sire, maintenant que vous avez vaincu les Mèdes, que ferez-vous ?
– Je veux m’emparer de Babylone et la soumettre.
– Et après Babylone ?
– Je soumettrai la Grèce.
– Et après la Grèce ?
– Je conquerrai Rome.
– Et après ça ?
– Je m’arrêterai. Je reviendrai ici et nous passerons des jours heureux à converser amicalement sur les rives de l’Euphrate…
– Et pourquoi, sire, mon ami, pourquoi ne pas commencer tout de suite ?

Il y aura toujours un autre jour pour dire : « Je t’aime ».
N’oublie pas tes proches aujourd’hui, chuchote-leur à l’oreille, dis-leur combien tu les aimes. Prends le temps de leur dire : « Je suis désolé », « s’il te plaît, écoute-moi », « merci ».
Demain, tu ne regretteras pas ce que tu as fait aujourd’hui.




Vénérable Octavio Ortiz Arrieta Coya, évêque

Octavio Ortiz Arrieta Coya, né à Lima, au Pérou, le 19 avril 1878, fut le premier salésien péruvien. Jeune homme, il se forma comme charpentier, mais le Seigneur l’appela à une mission plus élevée. Il prononça sa première profession salésienne le 29 janvier 1900 et fut ordonné prêtre en 1908. En 1922, il fut consacré évêque du diocèse de Chachapoyas, charge qu’il occupa avec dévouement jusqu’à sa mort, survenue le 1er mars 1958. Il refusa par deux fois la nomination au siège plus prestigieux de Lima, préférant rester proche de son peuple. Pasteur infatigable, il parcourut tout le diocèse pour connaître personnellement les fidèles et promut de nombreuses initiatives pastorales pour l’évangélisation. Le 12 novembre 1990, sous le pontificat de Saint Jean-Paul II, sa cause de canonisation fut ouverte, et il reçut le titre de Serviteur de Dieu. Le 27 février 2017, le pape François a reconnu ses vertus héroïques, le déclarant Vénérable.

            Le Vénérable Mgr Ottavio Ortiz Arrieta Coya a passé la première partie de sa vie comme garçon de l’oratoire, étudiant, puis est devenu lui-même salésien, engagé dans les œuvres des Fils de Don Bosco au Pérou. Il fut le premier salésien formé dans la première maison salésienne du Pérou, fondée à Rimac, un quartier pauvre, où il apprit à vivre une vie austère de sacrifice. Auprès des premiers salésiens arrivés au Pérou en 1891, il a connu l’esprit de Don Bosco et le système préventif. En tant que salésien de la première génération, il apprit que le service et le don de soi seraient l’horizon de sa vie ; c’est pourquoi, étant encore jeune salésien, il assuma d’importantes responsabilités, telles que l’ouverture de nouvelles œuvres et la direction d’œuvres existantes, faisant tout avec simplicité, esprit de sacrifice et dévouement total aux pauvres.
            Il vécut la deuxième partie de sa vie, à partir du début des années 1920, comme évêque de Chachapoyas, un immense diocèse, sans évêque depuis des années, où les conditions prohibitives du territoire s’ajoutaient à une certaine fermeture, surtout dans les villages les plus éloignés. Là, son champ d’apostolat avec tous ses défis était immense. Ortiz Arrieta était d’un tempérament vif, habitué à la vie communautaire ; il était en outre d’un esprit très exigeant, au point d’être appelé « pecadito » dans ses jeunes années, pour son exactitude à détecter ses défauts et ceux des autres et à s’en corriger. Il possédait également un sens inné de la rigueur et du devoir moral. Les conditions dans lesquelles il a dû exercer son ministère épiscopal étaient pourtant diamétralement opposées aux siennes : solitude et impossibilité de partager la vie salésienne et sacerdotale, malgré ses demandes répétées et presque suppliantes à sa Congrégation ; nécessité de tempérer sa rigueur morale avec une fermeté de plus en plus souple et presque désarmée ; exigeante conscience morale continuellement mise à l’épreuve par la superficialité et la tiédeur de la part de certains collaborateurs moins héroïques que lui, et d’un peuple de Dieu qui savait s’opposer à l’évêque quand sa parole devenait une dénonciation de l’injustice et un diagnostic des maux spirituels. Le chemin du Vénérable vers la plénitude de la sainteté, dans l’exercice des vertus, fut donc marqué par des épreuves, des difficultés et le besoin continuel de convertir son regard et son cœur, sous l’action de l’Esprit.
            Si nous trouvons certainement dans sa vie des épisodes que l’on peut définir comme héroïques au sens strict, nous devons aussi, et peut-être surtout, souligner les moments de son parcours vertueux où il aurait pu agir différemment, mais ne l’a pas fait ; céder au découragement, alors qu’il renouvela son espérance ; se contenter d’une grande charité, alors qu’il se montra pleinement disposé à exercer cette charité héroïque qu’il a pratiquée avec une fidélité exemplaire pendant plusieurs dizaines d’années. Lorsque, à deux reprises, on lui proposa un changement de siège, et dans le second cas, le siège primatial de Lima, il décida de rester parmi ses pauvres, ceux dont personne ne voulait, vraiment à la périphérie du monde, dans le diocèse qu’il avait toujours épousé et aimé tel qu’il était, en s’engageant de tout cœur à le rendre un peu meilleur. Il fut un pasteur « moderne » dans son style de présence et dans l’utilisation de moyens d’action tels que l’associationnisme et la presse. Homme au tempérament décidé et ferme dans ses convictions de foi, Mgr Ortiz Arrieta a certainement utilisé ses dons de chef, mais sans jamais manquer au respect et à la charité, dont il fit preuve avec une extraordinaire constance.
            Bien qu’il ait vécu avant le Concile Vatican II, la manière dont il a planifié et réalisé la tâche pastorale qui lui été confiée est toujours d’actualité : pastorale des vocations, soutien concret de ses séminaristes et de ses prêtres ; formation catéchétique et humaine des plus jeunes, pastorale des familles qui lui a permis de rencontrer des couples mariés en crise ou des couples non mariés réticents à régulariser leur union. Mgr Ortiz Arrieta n’éduquait pas seulement à travers son action pastorale concrète, mais par son comportement même, par sa capacité à discerner par lui-même, avant tout, ce que signifie et ce qu’implique le renouvellement de la fidélité au chemin parcouru. Il a vraiment persévéré dans la pauvreté héroïque, dans la force d’âme au milieu de toutes les épreuves de la vie et dans la fidélité radicale au diocèse qui lui avait été confié. Humble, simple, toujours serein, entre le sérieux et la douceur. La douceur de son regard laissait transparaître toute la tranquillité de son esprit. Tel fut le chemin de sainteté qu’il parcourut.
            Les belles caractéristiques que ses supérieurs salésiens avaient trouvées en lui avant son ordination sacerdotale en le décrivant comme une « perle salésienne » et en louant son esprit de sacrifice, sont revenues comme une constante tout au long de sa vie, y compris épiscopale. En effet, on peut dire qu’Ortiz Arrieta s’est « fait tout à tous, pour en sauver quelques-uns à tout prix » (1 Cor 9, 22). Il fut autoritaire avec les autorités, simple avec les enfants, pauvre parmi les pauvres, doux avec ceux qui l’insultaient ou essayaient de le délégitimer par ressentiment, toujours prêt à ne pas rendre le mal pour le mal, mais à vaincre le mal par le bien (cf. Rm 12, 21). Toute sa vie a été dominée par la primauté du salut des âmes. Il voulait que cette priorité soit aussi celle de ses prêtres, dont il essaya de combattre la tentation du repli sur une sécurité facile ou de la recherche de positions plus prestigieuses, au lieu de s’engager dans le service pastoral. On peut vraiment dire qu’il a adopté un style de vie chrétienne au profil élevé, faisant de lui un pasteur qui a incarné la charité pastorale de manière originale, soucieux de la communion au sein du peuple de Dieu, proche des plus nécessiteux, vrai témoin d’une vie de pauvreté évangélique.




Le volontariat missionnaire change la vie des jeunes au Mexique

Le volontariat missionnaire représente une expérience qui transforme profondément la vie des jeunes. Au Mexique, la Province Salésienne de Guadalajara a mis sur pied depuis des décennies un parcours organique de Volontariat Missionnaire Salésien (VMS) qui continue d’avoir un impact durable dans le cœur de beaucoup de garçons et de filles. Grâce aux réflexions de Margarita Aguilar, coordinatrice du volontariat missionnaire à Guadalajara, nous partagerons le chemin concernant les origines, l’évolution, les phases de formation et les motivations qui poussent les jeunes à s’engager pour servir les communautés au Mexique.

Origines
Le volontariat, compris comme un engagement en faveur des autres et né du besoin d’aider son prochain tant sur le plan social que spirituel, s’est renforcé au fil du temps avec la contribution des gouvernements et des ONG pour sensibiliser aux thèmes de la santé, de l’éducation, de la religion, de l’environnement et de bien d’autres encore. Dans la Congrégation Salésienne, l’esprit du volontariat est présent depuis les origines. Maman Marguerite a été, aux côtés de Don Bosco, parmi les premiers « volontaires » à l’Oratoire ; elle s’est engagée à aider les jeunes à accomplir la volonté de Dieu et à contribuer au salut de leurs âmes. C’est le Chapitre Général XXII (1984) qui commença à parler explicitement de volontariat, et les chapitres suivants insistèrent sur cet engagement comme une dimension inséparable de la mission salésienne.

Au Mexique, les Salésiens sont répartis en deux Provinces : Mexico (MEM) et Guadalajara (MEG). C’est précisément dans cette dernière qu’à partir du milieu des années 1980, un projet de volontariat des jeunes a pris forme. La Province de Guadalajara, fondée il y a 62 ans, offre depuis près de 40 ans la possibilité à des jeunes désireux d’expérimenter le charisme salésien de consacrer une période de leur vie au service des communautés, surtout dans les zones frontalières.

Le 24 octobre 1987, le provincial envoya un groupe de quatre jeunes avec des salésiens dans la ville de Tijuana, dans une zone frontalière en forte expansion salésienne. Ce fut le début du Volontariat Juvénile Salésien (VJS), qui se développa progressivement et s’organisa de manière de plus en plus structurée.

L’objectif initial était proposé aux jeunes d’environ 20 ans, disponibles pour consacrer un à deux ans à la construction des premiers oratoires dans les communautés de Tijuana, Ciudad Juárez, Los Mochis et d’autres localités du nord. Beaucoup se souviennent des premiers jours : pelle et marteau à la main, vie en commun dans des maisons simples avec d’autres volontaires, après-midis passés avec les enfants, adolescents et jeunes du quartier à jouer sur le terrain où allait naître l’oratoire. Il manquait parfois le toit, mais ne manquaient ni la joie, ni l’esprit de famille ni la rencontre avec l’Eucharistie.

Ces premières communautés de salésiens et de volontaires portèrent dans les cœurs l’amour pour Dieu, pour Marie Auxiliatrice et pour Don Bosco. Elles manifestaient un esprit pionnier, un ardent zèle missionnaire et un dévouement total au service des autres.

Évolution
Avec la croissance de la Province et de la Pastorale des Jeunes, on sentit la nécessité de parcours de formation clairs pour les volontaires. L’organisation s’est renforcée grâce à certains outils :
Questionnaire de candidature : chaque aspirant volontaire remplissait une fiche et répondait à un questionnaire qui décrivait ses caractéristiques humaines, spirituelles et salésiennes en vue d’une croissance de la personne.

Cours de formation initiale : ateliers de théâtre, jeux et dynamiques de groupe, catéchèse et outils pratiques pour les activités sur le terrain. Avant le départ, les volontaires se réunissaient pour conclure la formation et recevoir l’envoi dans les communautés salésiennes.

Accompagnement spirituel : le candidat était invité à se faire accompagner par un salésien dans sa communauté d’origine. Pendant un certain temps, la préparation a été effectuée de concert avec les aspirants salésiens, renforçant ainsi l’aspect vocationnel, même si cette pratique a ensuite subi des modifications en fonction de l’animation vocationnelle de la Province.

Rencontre provinciale annuelle : chaque décembre, à l’approche de la Journée Internationale du Volontaire (5 décembre), les volontaires se rencontrent pour évaluer l’expérience, réfléchir sur le parcours de chacun et consolider les processus d’accompagnement.

Visites aux communautés : l’équipe de coordination visite régulièrement les communautés où opèrent les volontaires, pour soutenir non seulement les jeunes eux-mêmes, mais aussi les salésiens et les laïcs de la communauté éducative-pastorale, renforçant les réseaux de soutien.

Projet de vie personnelle : chaque candidat élabore, avec l’aide de l’accompagnateur spirituel, un projet de vie qui aide à intégrer les dimensions humaine, chrétienne, salésienne, vocationnelle et missionnaire. Une période minimale de six mois de préparation est prévue, avec des interventions en ligne sur les différentes dimensions.

Implication des familles : réunions d’information avec les parents sur les processus du VJS, pour faire comprendre le parcours et renforcer le soutien familial.

Formation continue pendant l’expérience : chaque mois, on aborde une dimension (humaine, spirituelle, apostolique, etc.) à l’aide de supports de lecture, de réflexions et de travaux d’approfondissement en cours d’exécution.

Post-volontariat : après la fin de l’expérience, une réunion de clôture est organisée pour évaluer l’expérience, planifier les étapes suivantes et accompagner le volontaire dans sa réinsertion dans sa communauté d’origine et sa famille, avec des phases en présentiel et en ligne.

Nouvelles étapes et renouvellements
Récemment, l’expérience a pris le nom de Volontariat Missionnaire Salésien (VMS), en lien avec l’accent mis par la Congrégation sur la dimension spirituelle et missionnaire. Quelques nouveautés ont été introduites :

Pré-volontariat court : pendant les vacances scolaires (décembre-janvier, Semaine Sainte et Pâques, et surtout l’été), les jeunes peuvent expérimenter pendant de courtes périodes la vie en communauté et l’engagement de service, pour avoir un premier « aperçu » de l’expérience.

Formation à l’expérience internationale : un processus spécifique a été mis en place pour préparer les volontaires à vivre l’expérience en dehors des frontières nationales.

Une plus grande insistance sur l’accompagnement spirituel : il ne s’agit plus seulement d’ »envoyer travailler », mais de placer au centre la rencontre avec Dieu, afin que le volontaire découvre sa propre vocation et mission.

Comme le souligne Margarita Aguilar, coordinatrice du VMS à Guadalajara, « un volontaire a besoin d’avoir les mains vides pour pouvoir embrasser sa mission avec foi et espérance en Dieu. »

Motivations des jeunes
À la base de l’expérience VMS, il y a toujours la question : « Quelle est ta motivation pour devenir volontaire ? » On peut identifier trois types de motivations principales :

Motivation opérationnelle/pratique : vouloir effectuer des activités concrètes liées aux compétences personnelles (enseigner dans une école, servir à la cantine, animer un oratoire). En découvrant que le volontariat n’est pas seulement un travail manuel ou didactique, certains peuvent être déçus s’ils s’attendaient à une expérience purement opérationnelle.

Motivation liée au charisme salésien : d’anciens bénéficiaires d’œuvres salésiennes souhaitent approfondir et vivre plus intensément le charisme, imaginant une expérience intense comme une longue rencontre festive du Mouvement Salésien des Jeunes, mais pour une période prolongée.

Motivation spirituelle : il s’agit de ceux qui ont l’intention de partager leur expérience de Dieu et de le découvrir chez les autres. Cependant, cette « fidélité » est parfois conditionnée par certaines attentes, Par exemple, « d’accord, mais seulement dans cette communauté » ou « d’accord, mais si je peux revenir pour un événement familial »… Il faut aider le volontaire à mûrir son « oui » de manière libre et généreuse.

Trois éléments clés du VMS
L’expérience de Volontariat Missionnaire Salésien s’articule autour de trois dimensions fondamentales :

Vie spirituelle : Dieu est le centre. Sans la prière, les sacrements et l’écoute de l’Esprit, l’expérience risque de se réduire à un simple engagement dans le travail qui va fatiguer le volontaire et le conduire à abandonner la partie.

Vie communautaire : la communion avec les salésiens et avec les autres membres de la communauté renforce la présence du volontaire auprès des enfants, adolescents et jeunes. Sans communauté, il n’y a pas de soutien dans les moments difficiles ni de milieu pour grandir ensemble.

Vie apostolique : le témoignage joyeux et la présence affective parmi les jeunes évangélisent plus que toute activité formelle. Il ne s’agit pas seulement de « faire », mais d’ »être » sel et lumière au quotidien.

Pour vivre pleinement ces trois dimensions, il faut un parcours de formation intégrale qui accompagne le volontaire du début à la fin, embrassant chaque aspect de la personne (humain, spirituel, vocationnel) selon la pédagogie salésienne et le mandat missionnaire.

Le rôle de la communauté d’accueil
Pour être un instrument authentique d’évangélisation, le volontaire a besoin d’une communauté qui le soutienne, lui serve d’exemple et de guide. De son côté, la communauté accueille le volontaire pour l’intégrer, le soutenir dans les moments de fragilité et l’aider à se libérer des liens qui entravent le dévouement total. Comme le souligne Margarita, « Dieu nous a appelés à être sel et lumière de la Terre et beaucoup de nos volontaires ont trouvé le courage de prendre l’avion en laissant derrière eux leur famille, leurs amis, leur culture, leur mode de vie pour adopter le style de vie du missionnaire. »

La communauté offre des espaces de discussion, de prière commune, d’accompagnement pratique et émotionnel, afin que le volontaire puisse rester solide dans son choix et porter du fruit dans le service.

L’histoire du volontariat missionnaire salésien à Guadalajara est un exemple de la façon dont une expérience peut grandir, se structurer et se renouveler en apprenant à partir des erreurs et des succès. En plaçant toujours au centre la motivation profonde du jeune, la dimension spirituelle et communautaire, il offre un chemin capable de transformer non seulement le milieu que l’on sert, mais aussi la vie des volontaires eux-mêmes.
Margarita Aguilar nous dit : « Un volontaire a besoin d’avoir les mains vides pour pouvoir embrasser sa mission avec foi et espérance en Dieu. »

Nous remercions Margarita pour ses précieuses réflexions. Son témoignage nous rappelle que le volontariat missionnaire n’est pas un simple service, mais un chemin de foi et de croissance qui touche la vie des jeunes et des communautés, renouvelant l’espérance et le désir de se donner par amour de Dieu et du prochain.




Les petits agneaux et l’orage d’été (1878)

Le récit onirique qui suit, raconté par Don Bosco le soir du 24 octobre 1878, est bien plus qu’un simple divertissement pour les jeunes de l’Oratoire. À travers l’image délicate des agneaux surpris par une violente tempête estivale, le saint éducateur dessine une allégorie vivante des vacances scolaires : un temps apparemment insouciant, mais chargé de dangers spirituels. La prairie accueillante représente le monde extérieur, la grêle symbolise les tentations, tandis que le jardin protégé fait allusion à la sécurité offerte par la vie de grâce, les sacrements et la communauté éducative. Dans ce rêve, qui devient catéchèse, Don Bosco rappelle à ses garçons — et à nous — l’urgence de veiller, de recourir à l’aide divine et de se soutenir mutuellement pour revenir intacts à la vie quotidienne.

            Du départ en vacances et du retour, pas de nouvelles cette année, si ce n’est un rêve sur les effets que produisent habituellement les vacances. Don Bosco l’a raconté dans la soirée du 24 octobre. Dès qu’il en fit l’annonce, tous manifestèrent leur contentement.

            Je suis heureux de revoir mon armée de soldats contra diabolum (contre le diable). Cette expression, bien que latine, est comprise même par Cottino. J’aurais beaucoup de choses à vous dire, car c’est la première fois que je vous parle après les vacances. Mais pour l’instant, je veux vous raconter un rêve. Vous savez que les rêves se font pendant le sommeil et qu’il ne faut pas y croire ; mais s’il n’y a pas de mal à ne pas y croire, parfois il n’y a pas de mal non plus à y croire, car ils peuvent même servir d’instruction, comme, par exemple, celui-ci.
            J’étais à Lanzo lors de notre première retraite spirituelle et je dormais, quand, comme je l’ai dit, j’ai fait un rêve. Je me trouvais dans un endroit dont je ne pouvais pas savoir quelle région c’était, mais c’était près d’un village où il y avait un jardin, et près de ce jardin une vaste prairie. J’étais en compagnie de quelques amis qui m’invitèrent à entrer dans le jardin. J’y suis entré et j’ai vu un grand nombre de petits agneaux qui sautaient, couraient, faisaient des cabrioles selon leur habitude. Et voilà qu’une porte s’ouvre sur le pré et que ces petits agneaux courent dehors pour brouter.
            Cependant beaucoup ne songent pas à sortir, mais restent dans le jardin, allant çà et là, broutant quelques brins d’herbe. Ils se nourrissaient ainsi, bien qu’il n’y eût pas d’herbe aussi abondante que dans le pré où le plus grand nombre était accouru. – Je veux voir ce que font ces petits agneaux dehors, me dis-je. Nous sommes allés dans le pré et nous les avons vus en train de brouter tranquillement. Mais voici que, presque aussitôt, le ciel s’est assombri, des éclairs et le tonnerre ont suivi, et l’orage s’est approché.
            – Qu’adviendra-t-il de ces petits agneaux s’ils sont pris dans l’orage ? disais-je. Mettons-les à l’abri. – Et je me mis à les appeler. Alors, moi d’un côté et mes compagnons dispersés çà et là, nous essayâmes de les pousser vers la porte du jardin. Mais ils n’avaient aucune envie d’y entrer ; s’échappant de-ci, courant de-là, les petits agneaux avaient de meilleures jambes que nous. Entre-temps, des grosses gouttes commencèrent à tomber, puis vint la pluie et je n’ai pas pu rassembler ce troupeau. Un ou deux entrèrent dans le jardin, mais tous les autres, et ils étaient nombreux, restèrent dans le pré. – Eh bien, s’ils ne veulent pas venir, tant pis pour eux ! En attendant, retirons-nous. – Et nous allâmes dans le jardin.
            Il y avait là une fontaine sur laquelle était écrit en grosses lettres : Fons signatus, fontaine scellée. Elle était couverte, et voici qu’elle s’ouvre, l’eau s’élève, se sépare en formant un arc-en-ciel, mais en guise de voûte comme ce portique.
            Entre-temps les éclairs devenaient plus fréquents, suivis de coups de tonnerre plus bruyants, et la grêle commença à tomber. Quant à nous, avec tous les petits agneaux qui étaient dans le jardin, nous nous réfugiâmes sous cette merveilleuse voûte, où l’eau et la grêle ne pénétraient pas.
            – Mais qu’est-ce que c’est ? demandais-je à mes amis. Que vont devenir les pauvres agneaux qui sont dehors ?
            – Tu verras, me répondaient-ils. Observe le front de ces agneaux, qu’y trouves-tu ? – Je regardai et je vis que sur le front de chacun de ces animaux était écrit le nom d’un jeune de l’Oratoire.
            – Qu’est-ce que cela ? demandai-je.
            – Tu verras, tu verras !
            À ce moment je ne tenais plus en place et j’ai voulu sortir pour voir ce que devenaient ces pauvres agneaux qui étaient restés dehors. – Je vais rassembler ceux qui ont été tués et les envoyer à l’Oratoire, me suis-je dit. En sortant de dessous la voûte, j’ai pris la pluie à mon tour, et j’ai vu ces pauvres petites bêtes qui se traînaient par terre, qui bougeaient les pattes en essayant de se lever et d’aller vers le jardin, mais elles ne pouvaient pas marcher. J’ouvris la porte, j’élevai la voix, mais leurs efforts étaient inutiles. La pluie et la grêle les avaient tellement malmenés et continuaient à les maltraiter qu’ils faisaient pitié à voir : l’un était frappé à la tête, l’autre à la mâchoire, celui-ci à un œil, celui-là à une patte, d’autres à d’autres parties du corps.
            Au bout de quelque temps, la tempête avait cessé.
            – Observe, dit celui qui se tenait près de moi, observe le front de ces agneaux.
            Je regardai et je lus sur chaque front le nom d’un jeune de l’Oratoire. – Mais, dis-je, je connais le jeune qui porte ce nom, et il ne me paraît pas être un petit agneau.
            – Tu verras, tu verras, me répondit-on. – Alors on me présenta un vase d’or avec un couvercle d’argent, en disant :
            – Trempe ta main dans cet onguent et touche les plaies de ces petites bêtes et elles guériront aussitôt.
            Je commence à les appeler :
            – Brrr, brrr ! Elles ne bougent pas. J’essaie de m’approcher de l’une d’elles et elle s’éloigne en traînant les pieds. – Elle ne veut pas ? Tant pis pour elle ! m’exclamé-je. Je vais vers une autre. J’y vais, mais celle-là aussi me fuit. Autant j’en approchais pour les oindre et les guérir, autant elles me fuyaient. Je les suivais, mais je répétais ce jeu en vain. Enfin, j’en atteignis une ; la pauvre avait les yeux sortis de leurs orbites et si abîmés qu’ils faisaient pitié. Je les touchai avec la main, elle guérit et alla dans le jardin.
            En voyant cela, beaucoup d’autres cessèrent leur résistance, se laissèrent toucher et guérir et entrèrent dans le jardin. Mais beaucoup restèrent dehors, en général les plus touchées, et je n’ai pas pu les approcher.
            – Si elles ne veulent pas être guéries, tant pis pour elles ! Mais je ne sais pas comment les faire revenir dans le jardin.
            – Sois tranquille, dit l’un des amis qui m’accompagnait, elles viendront, elles viendront.
            – Nous verrons, lui dis-je. Je rapportai le vase d’or à sa place et retournai dans le jardin. Tout était changé, et je lus à l’entrée : Oratoire. Dès que je fus entré, voici que les agneaux qui ne voulaient pas venir s’approchent, entrent en cachette et courent reprendre leur place çà et là. Mais même alors, je ne pus approcher aucun d’entre eux. Il y en avait aussi plusieurs qui ne voulaient pas recevoir la pommade, et celle-ci se transformait pour eux en poison, et au lieu de les guérir, elle aggravait leurs plaies.
            – Regarde ! Tu vois cette bannière ? me dit un ami.
            Je me suis retourné et j’ai vu une grande bannière qui flottait, sur laquelle était écrit en grosses lettres le mot : Vacances.
            – Oui, je vois, répondis-je.
            – C’est la conséquence des vacances, m’expliqua une personne qui m’accompagnait, alors que j’étais bouleversé par ce spectacle. Tes jeunes quittent l’Oratoire pour aller en vacances, avec la bonne volonté de se nourrir de la parole de Dieu et de se maintenir dans le bien ; mais vient l’orage – ce sont les tentations – puis la pluie – ce sont les assauts du démon – ; puis la grêle tombe et c’est alors que ces malheureux tombent dans le péché. Certains guérissent encore par la confession, mais d’autres n’utilisent pas bien ce sacrement, ou ne l’utilisent pas du tout. Garde cela dans ton esprit et ne te lasse pas de répéter à tes jeunes que les vacances sont une grande tempête pour leurs âmes.
            En observant ces agneaux, je voyais chez certains d’entre eux des blessures mortelles ; je cherchais un moyen de les guérir, lorsque Don Scappini, qui avait fait du bruit en se levant dans la pièce voisine, me réveilla.
            Voilà le rêve, et bien qu’il s’agisse d’un rêve, il a néanmoins une signification qui ne fera pas de mal à ceux qui voudront bien le croire. Je peux aussi dire que j’ai remarqué quelques noms parmi les nombreux agneaux du rêve, et en les comparant avec les jeunes, j’ai vu qu’ils se comportaient exactement comme dans le rêve. Quoi qu’il en soit, nous devons, durant cette neuvaine de la Toussaint, correspondre à la bonté de Dieu qui veut nous faire miséricorde et, par une bonne confession, purifier les blessures de notre conscience. Nous devons ensuite nous mettre tous d’accord pour combattre le diable et, avec l’aide de Dieu, nous sortirons victorieux de ce combat et irons recevoir le prix de la victoire au Paradis.
            Ce rêve a dû certainement contribuer au bon démarrage de la nouvelle année scolaire. En effet, pendant la neuvaine de l’Immaculée Conception, les choses allaient déjà tellement bien que Don Bosco exprima sa satisfaction en disant :
            – Les jeunes en sont déjà au point où, les années précédentes, ils arrivaient à peine en février. – Et en la fête de l’Immaculée Conception, ils ont vu se renouveler la belle célébration de l’adieu à la quatrième expédition des Missionnaires.
(MB XIII 761-764)




Visiter Rome avec Don Bosco. Chronique de son premier voyage à Rome

C’est en 1858, du 18 février au 16 avril, que Don Bosco se rendit pour la première fois à Rome, accompagné du séminariste de vingt et un ans, Michel Rua. Quatre ans auparavant, l’Église avait célébré un Jubilé extraordinaire de six mois à l’occasion de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception (8 décembre 1854). Don Bosco saisit l’opportunité de cette grande fête spirituelle pour publier le volume « Le Jubilé et Pratiques dévotes pour la visite des églises ».
Lors de cette visite à la Ville Éternelle, la première de vingt visites, Don Bosco se comporta comme un véritable pèlerin jubilaire, se consacrant avec ferveur aux visites et aux dévotions prévues, jusqu’à participer aux solennels rites pascals officiés par le Pape. Ce fut une expérience intense, qu’il ne garda pas pour lui, mais qu’il partagea avec ses jeunes avec l’enthousiasme et la passion éducative qui le caractérisaient.
En décrivant minutieusement le voyage, les étapes et les lieux saints, Don Bosco avait un clair objectif apostolique et éducatif : faire revivre à ceux qui l’écoutaient ou le lisaient la même profonde expérience de foi, leur transmettant l’amour pour l’Église et pour la tradition chrétienne.
Nous invitons maintenant les lecteurs à s’unir spirituellement à Don Bosco, en parcourant idéalement les routes de la Rome chrétienne, pour se laisser fasciner par son élan et son zèle et, ensemble, renouveler notre foi.

À Gênes en chemin de fer
Le départ pour Rome était fixé au 18 février 1858. Cette nuit-là, il tomba presque un pied de neige sur les deux qui couvraient déjà le sol. À huit heures et demie, alors qu’il neigeait encore, avec l’émotion d’un père qui quitte ses enfants, je saluais les jeunes pour commencer le voyage vers Rome. Bien que nous fussions un peu pressés d’arriver à temps au train, nous nous attardâmes encore un peu pour faire notre testament : je ne voulais en effet laisser aucune affaire en suspens à l’Oratoire au cas où la Providence voudrait nous donner en pâture aux poissons de la Méditerranée […] Puis, en courant, nous nous rendîmes à la gare et, en compagnie de Don Mentasti […], nous partîmes en train à dix heures du matin.
Un incident désagréable se produisit ici : les wagons étaient presque complets, si bien que je dus laisser Rua et Don Mentasti dans un compartiment et trouver une place dans un autre […]

L’enfant juif
Je tombai par hasard près d’un garçon de dix ans. Remarquant son apparence simple et son bon visage, je me mis à converser avec lui et […] je remarquai qu’il était juif. Le père, qui était assis à côté de lui, m’assura que son fils était en quatrième année de primaire, mais il m’a semblé que son instruction n’allait au-delà de la deuxième. Cependant, il était d’esprit vif. Le père était content que je l’interroge, et il m’invita même à le faire parler de la Bible. Ainsi, je commençai à l’interroger sur la création du monde et de l’homme, sur le Paradis terrestre, sur la chute des ancêtres. Il répondait assez bien, mais je fus étonné quand je compris qu’il n’avait aucune idée du péché originel et de la promesse d’un Rédempteur.
– N’y a-t-il pas dans ta Bible la promesse de Dieu à Adam quand il le chassa du Paradis ?
– Non, dites-le-moi, répondit-il.
– Tout de suite. Dieu dit au serpent : puisque tu as trompé la femme, tu seras maudit parmi tous les animaux, et Un qui naîtra d’une femme te brisera la tête.
– Qui est ce Un dont on parle ?
– C’est le Sauveur qui devait libérer l’humanité de l’esclavage du démon.
– Quand viendra-t-il ?
– Il est déjà venu et c’est celui que nous appelons… 
Ici le père nous interrompit en disant :
– Ces choses-là, nous ne les étudions pas car elles ne concernent pas notre loi.
– Vous feriez bien de les étudier, car elles se trouvent dans les livres de Moïse et des prophètes auxquels vous croyez.
– D’accord, dit l’autre, j’y penserai. Maintenant, demandez-lui quelque chose en arithmétique. 
Voyant qu’il ne souhaitait pas que je lui parle de religion, nous conversâmes de choses agréables, si bien que le père, le fils et même les autres voyageurs commencèrent à se divertir et à rire de bon cœur. À la gare d’Asti, le garçon devait descendre, mais il n’arrivait pas à se décider à me quitter. Il avait les larmes aux yeux, me tenait la main et, ému, réussit seulement à me dire :
– Je m’appelle Sacerdote Leone di Moncalvo ; souvenez-vous de moi. En venant à Turin, j’espère pouvoir vous rendre visite. Le père, pour alléger l’émotion, dit qu’il avait cherché à Turin l’ »Histoire d’Italie » [que j’avais écrite]. Ne l’ayant pas trouvée, il me priait de lui en envoyer une copie. Je promis d’envoyer celle imprimée spécialement pour la jeunesse, puis je descendis moi aussi pour chercher mes compagnons afin de voir s’il y avait de la place dans leur compartiment. Je trouvai Rua qui avait les mâchoires fatiguées à force de bâiller, car de Turin à Asti, il s’était beaucoup ennuyé, ne sachant avec qui engager la conversation : ses compagnons de voyage ne parlaient que de bals, de théâtre et d’autres choses peu intéressantes […]

Vers Gênes
Nous arrivâmes vers les Apennins. Ils se dressaient devant nous, très hauts et très raides. Comme le train voyageait à grande vitesse, nous avions l’impression d’aller heurter les rochers, jusqu’à ce qu’il fasse soudainement noir dans le train. Nous étions entrés dans les tunnels. Ce sont des « trous » qui, passant sous les montagnes, font économiser plusieurs dizaines de milles […] Sans tunnels, il serait impossible de les franchir, et comme il y a beaucoup de montagnes, il existe plusieurs tunnels. L’un d’eux est long comme la distance entre Turin et Moncalieri ; ici le convoi resta dans l’obscurité pendant huit minutes, le temps nécessaire pour parcourir le tronçon de tunnel.

Nous fûmes surpris de constater que la neige diminuait à mesure que nous nous rapprochions de la riviera de Gênes. Mais quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous aperçûmes les campagnes sans un fil de blanc, les rives verdoyantes, les jardins pleins de couleurs, les amandiers en fleurs et les pêchers avec des bourgeons prêts à s’ouvrir au soleil ! Alors, en faisant une comparaison entre Turin et Gênes, nous nous disions qu’en cette saison, Gênes est le printemps et Turin l’hiver le plus rude.

Les deux montagnards
J’oubliais de parler de deux montagnards qui montèrent dans notre compartiment à la gare de Busalla. L’un était pâle et maladif à faire pitié, l’autre avait un air sain et vif, et, bien qu’il approchât des soixante-dix ans, il montrait la vigueur d’un homme de vingt-cinq ans. Il portait des culottes courtes et des guêtres presque déboutonnées, si bien qu’il montrait ses jambes nues jusqu’au genou fouettées par le froid. Il était en manches de chemise avec seulement un pull et une veste de tissu grossier jetée sur les épaules. Après l’avoir fait parler de divers sujets, je lui dis :
– Pourquoi n’ajustez-vous pas vos vêtements pour vous protéger du froid ? Il répondit :
– Voyez-vous, cher Monsieur, nous sommes des montagnards, et nous sommes habitués au vent, à la pluie, à la neige et à la glace. Nous ne remarquons presque pas la saison hivernale. Nos garçons marchent pieds nus dans la neige, ils s’y amusent même sans se soucier du froid. Cela m’a fait comprendre que l’homme vit d’habitudes, et que le corps est capable de supporter selon les cas le froid ou la chaleur, et ceux qui voudraient se protéger de chaque petit inconfort risquent d’affaiblir leur condition physique au lieu de la renforcer.

L’arrêt à Gênes
Mais voici Gênes, voici la mer ! Rua s’agite pour la voir, allonge le cou : ici il remarque un navire, là quelques bateaux, plus loin la lanterne qui est un très haut phare. Nous arrivons entre-temps à la gare et descendons du train. Le beau-frère de l’abbé Montebruno nous attendait avec quelques jeunes, et à peine à terre, ils nous accueillirent avec joie, et portant nos bagages, ils nous conduisirent à l’œuvre des Artigianelli qui est une maison semblable à notre Oratoire. Les compliments furent brefs car nous avions tous une grande faim ; il était trois heures et demie de l’après-midi et je n’avais pris qu’une tasse de café. À table, il semblait que rien ne pouvait nous rassasier ; cependant, à force d’avaler, le sac se remplit.
Immédiatement après, nous avons visité la maison : écoles, dortoirs, ateliers. Il me semblait voir l’Oratoire d’il y a dix ans. Les pensionnaires étaient vingt ; vingt autres mangeaient et travaillaient sur place mais dormaient ailleurs. Quel est leur régime alimentaire ? À midi, un bon plat de soupe, puis… rien d’autre. Le soir, une petite miche de pain que l’on mange debout, puis au lit !
À la fin, nous sommes sortis pour une promenade en ville qui, à vrai dire, est peu attrayante, bien qu’elle ait de magnifiques palais et de grands magasins. Les rues sont étroites, tortueuses et raides. Mais la chose la plus agaçante était un vent désagréable ; soufflant presque sans interruption, il vous enlevait le plaisir d’admirer quoi que ce soit, même les plus belles […]

À Gênes, en somme, nos attentes furent déçues. Comme si cela ne suffisait pas, le vent contraire empêcha l’accostage du navire sur lequel nous devions embarquer, si bien que, malgré nous, nous dûmes attendre jusqu’au lendemain […] Le matin, j’ai dit la messe dans l’église des Dominicains à l’autel du Bienheureux Sébastien Maggi, un frère qui a vécu il y a environ trois cents ans. Son corps est un prodige continuel, car il se conserve tout entier, flexible et avec une couleur comme s’il était mort depuis quelques jours […] Puis nous allâmes faire valider, c’est-à-dire signer le passeport. Le consul pontifical nous accueillit avec beaucoup de courtoisie […] Il chercha aussi à nous obtenir une réduction sur le bateau, mais cela ne fut pas possible.

À Civitavecchia par mer. L’embarquement
À six heures et demie du soir, avant de nous diriger vers le bateau à vapeur Aventino, nous saluâmes plusieurs ecclésiastiques venus des Artigianelli pour nous souhaiter un bon voyage. Les garçons eux-mêmes, attirés par les bonnes paroles, mais surtout par quelques plats supplémentaires au repas du jour, étaient devenus nos amis et semblaient avoir du chagrin de nous voir partir. Plusieurs d’entre eux nous accompagnèrent jusqu’à la mer ; puis, sautant avec agilité dans une petite barque, voulurent nous escorter jusqu’au bateau. Le vent était très fort ; n’étant pas habitués à voyager par mer, nous craignions de chavirer et de sombrer à chaque mouvement de la barque, et nos accompagnateurs riaient de bon cœur. Après vingt minutes, nous arrivâmes enfin au navire.

À première vue, il nous semblait un palais entouré par les vagues. Nous montâmes à bord, et après avoir déposé nos bagages dans un logement assez spacieux, nous nous assîmes pour nous reposer et réfléchir. Chacun éprouvait des sensations particulières qu’il ne savait comment exprimer. Rua observait tout et tous en silence. Et voici le premier contretemps : à l’heure du déjeuner, nous ne sommes pas allés manger tout de suite, et quand nous l’avons demandé, tout était fini. Rua dut dîner avec une pomme, une petite miche de pain et un verre de Bordeaux ; quant à moi, je me contentai d’un morceau de pain et d’un peu de ce vin excellent. À noter que lorsque l’on voyage en bateau, les repas sont compris dans le billet, donc que l’on mange ou non, on paie de toute façon.

Après, nous sommes montés sur le pont pour nous rendre compte de ce qu’était cet « Aventino ». Nous avons ainsi appris que les navires prennent leur nom des lieux les plus célèbres des lieux vers lesquels ils se dirigent. L’un s’appelle Vatican, un autre Quirinal, un autre Aventin, comme le nôtre, pour rappeler les sept célèbres collines de Rome. Ce navire part de Marseille, touche Gênes, Livourne, Civitavecchia, puis continue vers Naples, Messine et Malte. Au retour, il répète le même parcours jusqu’à Marseille. On l’appelle aussi bateau postal car il transporte des lettres, des plis, etc. Qu’il fasse beau ou mauvais temps, il part de toute façon.

Le mal de mer
On nous avait assigné la couchette qui est une sorte d’armoire à étages où les passagers s’allongent sur un matelas dans chaque étage. À dix heures, on leva l’ancre et le bateau, poussé par la vapeur et un vent favorable, commença à filer à grande vitesse vers Livourne. Quand nous fûmes au large, je fus assailli par le mal de mer qui me tourmenta pendant deux jours. Ce désagrément consiste en des vomissements fréquents, et quand on n’a plus rien à rejeter, les efforts deviennent plus violents, si bien que la personne devient si épuisée qu’elle refuse tout aliment. La seule chose qui peut apporter un certain soulagement est de se mettre au lit et de rester le corps entièrement étendu, quand les vomissements le permettent.

Livourne
La nuit du 20 février fut une mauvaise nuit. Le danger ne venait pas de la mer agitée, mais le mal de mer m’avait tellement accablé que je ne pouvais rester ni couché, ni debout. Je sautai de ma couchette et allai voir si Rua était vivant ou mort. Cependant, il n’avait qu’un peu de fatigue, rien d’autre. Il se leva immédiatement, se mettant à ma disposition pour alléger les désagréments de la traversée. Quand Dieu le voulut, nous arrivâmes au port de Livourne. Par port, on entend une baie de la mer protégée de la fureur des vents par des barrières naturelles ou des bastions construits par l’homme. Ici, les navires sont à l’abri de tout danger, ici ils déchargent leurs marchandises et en chargent d’autres pour d’autres destinations, ici ils font leurs approvisionnements. Les passagers qui le désirent peuvent aussi descendre à terre pour faire un tour en ville à condition de revenir à l’heure […]

Je souhaitais descendre pour visiter la ville, dire la messe et saluer quelques amis, mais je ne pus le faire ; en fait je fus contraint de retourner dans ma couchette et d’y rester bien tranquille à jeun. Un serveur nommé Charles me regardait avec un œil de compassion et de temps en temps il s’approchait de moi en m’offrant ses services. Le voyant si bon et courtois, je commençai à converser avec lui, et parmi d’autres choses, je lui demandai s’il ne craignait pas d’être ridiculisé en assistant un prêtre sous le regard de tant de personnes.
– Non, me dit-il en français, comme vous voyez, personne ne s’étonne, au contraire, tout le monde vous regarde avec bonté et désire vous aider. D’autre part, ma mère m’a appris à avoir un grand respect pour les prêtres afin de gagner la bénédiction du Seigneur. Charles alla ensuite appeler un médecin : chaque navire a son médecin et les principaux remèdes pour tout besoin. Le médecin vint et ses manières affables me soulagèrent un peu.
– Comprenez-vous le français ? me dit-il. Je répondis :
– Je comprends toutes les langues du monde, même celles qui ne sont pas écrites, même le langage des sourds-muets. Je plaisantais pour me réveiller de la somnolence qui m’avait pris. L’autre comprit et se mit à rire.
– Peut-être, ce n’est pas impossible ! disait-il en m’examinant. À la fin, il m’annonça qu’au mal de mer s’était ajoutée la fièvre et qu’une boisson de thé me ferait du bien. Je le remerciai et lui demandai son nom.
– Mon nom, dit-il, est Jobert de Marseille, docteur en médecine et chirurgie. Charles, attentif aux ordres du médecin, me prépara rapidement une tasse de thé, puis une autre, puis encore une autre. Et cela me fit du bien, au point que je réussis à m’endormir.
À cinq heures [de l’après-midi], le bateau leva l’ancre. Quand nous fûmes en haute mer, j’eus de nouveau des nausées encore plus violentes, restant agité pendant environ quatre heures, puis, par épuisement – je n’avais plus rien dans l’estomac – et aidé par le roulis du navire, je m’endormis et reposai d’un sommeil tranquille jusqu’à notre arrivée à Civitavecchia.

Payer, payer, payer
Le repos de la nuit m’avait redonné des forces. Bien qu’épuisé par le long jeûne, je me levai et préparai mes bagages. Nous étions sur le point de descendre quand on nous informa d’une dette que nous ne savions pas avoir contractée. Le café n’était pas compris dans le prix des repas mais devait être payé séparément, et nous qui en avions pris quatre tasses, payâmes un supplément de deux francs, c’est-à-dire cinquante centimes par tasse. Le capitaine, après avoir fait viser les passeports, nous remit le permis de débarquement. C’est alors que commença la série des pourboires : un franc chacun aux bateliers, un demi-franc pour les bagages (que nous portions nous-mêmes), un demi-franc à la douane, un demi-franc à celui qui nous invitait dans la voiture, un demi-franc au porteur qui s’occupait des bagages, deux francs pour le visa sur le passeport, un franc et demi au consul pontifical. On n’avait pas le temps d’ouvrir la bouche qu’il fallait déjà payer. En ajoutant que les pièces de monnaie changeaient de nom et de valeur et que nous devions nous fier à ceux qui nous faisaient le change […] À la douane, ils respectèrent un paquet adressé au cardinal Antonelli avec le sceau pontifical, dans lequel nous avions mis les choses les plus importantes […]

Après avoir terminé les opérations, je me rendis chez le barbier pour me raser une barbe de dix jours. Tout se passa bien, mais dans le salon, je ne pus détacher mon regard de deux cornes sur une table. Elles mesuraient environ un mètre et étaient ornées d’anneaux scintillants et de rubans. Je pensais qu’elles étaient destinées à un usage particulier, mais on me dit qu’elles étaient de génisse, que nous appelons bœuf, mises là seulement comme ornement […]

Vers Rome en diligence
Entre-temps, don Mentasti était en colère parce qu’il ne nous voyait pas arriver, tandis que la voiture nous attendait déjà. Nous nous étions mis à courir pour arriver à temps. Montés dans la voiture, nous partîmes pour Rome. La distance à parcourir était de 47 milles italiens, ce qui correspond à 36 milles piémontais. La route était très belle. Nous avions pris place dans le coupé d’où nous pouvions contempler les prairies verdoyantes et les haies fleuries. Une curiosité nous divertit beaucoup. Nous remarquâmes que tout allait par trois : les chevaux de notre voiture étaient attelés par trois ; nous rencontrâmes des patrouilles de soldats qui allaient par trois ; même certains paysans marchaient trois par trois, tout comme certaines vaches et certains ânes qui paissaient par trois. Nous riions de ces étranges coïncidences […]

Une pause pour les chevaux
À Palo, le cocher accorda aux voyageurs une heure de liberté pour avoir le temps de reposer les chevaux. Nous en profitâmes pour courir à la taverne voisine et apaiser notre faim. Les affaires nous avaient presque fait oublier de manger ; depuis vendredi midi, je n’avais pris qu’une tasse de café au lait. Nous nous sommes attaqués aux petits pains que nous avons mangés, ou plutôt dévorés complètement. En voyant ensuite le serveur tout épuisé et pâle, je lui demandai ce qu’il avait.
– J’ai des fièvres qui me tourmentent depuis des mois, répondit-il. Je fis alors le bon médecin :
– Laissez-moi faire, je vous prescris une recette qui chassera la fièvre pour toujours. Ayez seulement confiance en Dieu et en saint Louis. Prenant alors un morceau de papier avec un crayon, j’écrivis ma recette, lui recommandant de l’apporter à un pharmacien. Il était hors de lui, tout heureux, et, ne sachant comment exprimer sa gratitude, il n’arrêtait pas de me baiser la main, et voulait baiser aussi celle de Rua, qui, par modestie, ne le lui permit pas.

Parmi les rencontres sympathiques il y eut celle d’un gendarme pontifical. Il pensait me connaître, et je croyais le connaître, alors nous nous saluâmes tous les deux en grande fête. Et quand nous nous rendîmes compte de l’équivoque, l’amitié et les expressions de bienveillance et de respect continuèrent. Pour lui faire plaisir, je dus permettre qu’il me payât une tasse de café, et pour ma part, je lui offris un petit verre de rhum. Puis, m’ayant demandé de lui laisser un souvenir, je lui offris la médaille de saint Louis de Gonzague. Le nom de ce bon carabinier était Pedrocchi.

Dans la ville des papes
Remontés à nouveau dans la voiture et volant plus vite par le désir que par les pattes des chevaux, nous avions l’impression à chaque instant d’être arrivés à Rome. La nuit tombée, chaque fois que l’on apercevait au loin un buisson ou un arbre, Rua s’exclamait aussitôt :
– Voici la coupole de Saint-Pierre. Mais avant d’arriver, nous avons dû patienter jusqu’à dix heures et demie du soir, et comme il faisait déjà nuit noire, nous ne pouvions plus distinguer aucun détail. Un certain frisson cependant nous prit à la pensée que nous entrions dans la ville sainte. […] Arrivés enfin à destination, et n’ayant aucune connaissance des lieux, nous cherchâmes un guide qui, pour douze baiocchi, nous accompagna chez les De Maistre, via del Quirinale 49, aux Quatre Fontaines. Il était déjà onze heures. Nous fûmes accueillis avec bonté par le comte et la comtesse ; les autres étaient déjà au lit. Après nous être un peu restaurés, nous nous souhaitâmes bonne nuit et allâmes dormir.

San Carlino
La partie du Quirinal que nous habitons est appelée Quattro Fontane parce que quatre sources permanentes proviennent de quatre contrées et se rejoignent ici. En face de la maison où nous avions pris domicile se trouvait l’église des carmes. Ceux-ci étaient tous espagnols et appartenaient à l’ordre dit de la Rédemption des Esclaves. L’église fut construite en 1640 et dédiée à saint Charles ; mais pour la distinguer d’autres dédiées au même saint, on l’appela S. Carlino. Nous nous sommes rendus dans la sacristie, avons montré le Celebret (document pour pouvoir célébrer n.d.r.) et ainsi nous avons pu dire la messe. […] Nous passâmes presque toute la journée à mettre en ordre nos papiers, faire des commissions, porter des lettres […]

Le Panthéon
Profitant d’une heure qui nous restait avant la nuit, nous nous nous sommes rendus au Panthéon qui est l’un des monuments les plus anciens et les plus célèbres de Rome. Il fut construit par Marcus Agrippa, gendre de César Auguste, vingt-cinq ans avant l’ère vulgaire (av. J.-C. n.d.r.). On croit que cet édifice a été appelé Panthéon, qui signifie tous les dieux, parce qu’en fait il était dédié à toutes les divinités. La façade est vraiment superbe. Huit grosses colonnes soutiennent une élégante corniche. Juste après, voici un portique formé de seize colonnes faites d’un seul bloc de granit, puis le pronaos, ou avant-temple, constitué de quatre piliers cannelés, dans lesquels sont creusées des niches anciennement occupées par les statues d’Auguste et d’Agrippa.
À l’intérieur on découvre une haute coupole ouverte au milieu, par laquelle pénètre la lumière, mais aussi le vent, la pluie et la neige, quand elle tombe par ici. Les marbres les plus précieux servent ici de pavé ou d’ornement tout autour. Le diamètre est de cent trente-trois pieds, correspondant à dix-huit trabucchi (environ 55 m). Ce temple servit au culte des dieux jusqu’en 608 après Jésus-Christ, lorsque le pape Boniface IV, pour empêcher les désordres qui se commettaient pendant les sacrifices, le dédia au culte du vrai Dieu, c’est-à-dire à tous les saints.

Cette église a connu de nombreuses vicissitudes. Lorsque Boniface IV obtint ce monument de l’empereur Phocas, il le dédia au culte de Dieu et de la Vierge et fit transporter de divers cimetières vingt-huit chariots de reliques qu’il plaça sous l’autel majeur. Depuis lors, on commença à l’appeler Santa Maria ad Martyres. Parmi les choses que nous avons beaucoup appréciées, il y eut la visite de la tombe du grand Raphaël […] Maintenant, cette église porte aussi le nom de Rotonde, en raison de la forme de sa construction. Devant s’étend une place dont le centre est occupé par une grande fontaine en marbre, surmontée de quatre dauphins qui jettent continuellement de l’eau.

Saint-Pierre-aux-Liens
Le 23 février […] nous avons été très contents de la visite à Saint-Pierre-aux Liens, église située au sud de Rome à la limite de la ville. Ce fut une journée mémorable car elle coïncidait avec l’une des rares fois où l’on exposait les chaînes de saint Pierre, dont les clés sont gardées par le Saint-Père lui-même. Une tradition soutient que c’est saint Pierre lui-même qui a érigé ici la première église en la dédiant au Sauveur. Détruite par l’incendie de Néron, elle fut reconstruite par saint Léon le Grand en 442 et dédiée au premier Pape. On l’a appelée Saint-Pierre-aux-Liens, car le Pape y a placé la chaîne avec laquelle le Prince des Apôtres avait été enchaîné à Jérusalem sur l’ordre d’Hérode. Le patriarche Juvénal l’avait offerte à l’impératrice Eudoxie, qui à son tour l’envoya à Rome à sa fille Eudoxie junior, épouse de Valentinien III. À Rome, on conservait aussi la chaîne avec laquelle saint Pierre avait été enchaîné dans la prison Mamertine. Lorsque saint Léon voulut faire la comparaison entre celle-ci et celle de Jérusalem, les deux chaînes s’unirent l’une à l’autre de manière prodigieuse, de sorte qu’aujourd’hui elles forment une seule chaîne, qui est conservée dans un autel spécial à côté de la sacristie. Nous avons eu la consolation de toucher ces chaînes de nos propres mains, de les embrasser, de les mettre autour de notre cou et de les approcher de notre front. Nous avons également soigneusement vérifié pour essayer de discerner le point d’union des deux, mais cela ne nous a pas été possible. Nous avons seulement pu constater que la chaîne de Rome est plus petite que celle de Jérusalem.
À Saint-Pierre-aux-Liens se trouve le magnifique tombeau de Jules II […] C’est l’un des chefs-d’œuvre du célèbre Michel-Ange Buonarroti, qui est considéré comme l’un des plus grands artistes du marbre, l’auteur de la statue de Moïse placée près de l’urne. Le patriarche est représenté avec les tables de la loi sous son bras droit, en train de parler au peuple qu’il regarde fièrement, car il s’était rebellé. L’église est à trois nefs, séparées par vingt colonnes de marbre de Paros, et deux de granit bien conservé.

Saint-Louis des Français
Vers neuf heures, nous nous sommes rendus à Santa Maria sopra Minerva, où nous avons été reçus en audience privée par le cardinal Gaude pendant environ une heure et demie. Il parla avec nous en dialecte piémontais, s’intéressant à nos oratoires […] L’après-midi, nous sommes allés rendre visite au marquis Giovanni Patrizi […]. En face de son palais se trouve l’église Saint-Louis des Français qui donne son nom à la place et au quartier voisin. C’est une église bien entretenue et enrichie de nombreux marbres précieux. Sa singularité réside dans les sépultures des Français célèbres morts à Rome. En effet, le sol et les murs sont couverts d’épitaphes et de plaques. […]

Sainte-Marie-Majeure sur l’Esquilin
Du Quirinal part une route qui mène à l’Esquilin, ainsi nommé à cause des nombreux chênes qui couvraient autrefois la colline. Sur la partie haute s’élève Sainte-Marie-Majeure, dont tous les historiens sacrés ont raconté l’origine de la manière suivante. Un certain Giovanni, patricien romain, n’ayant pas d’enfants, désirait employer ses biens dans une œuvre de piété […] La nuit du 4 août 352, la Vierge lui apparut en rêve et lui ordonna de lui élever un sanctuaire à l’endroit où il trouverait le lendemain de la neige fraîche. La même vision se manifesta au pape de l’époque, Libère. Le jour suivant, comme la rumeur se répandit qu’une abondante neige était tombée sur la colline de l’Esquilin, Libère et Giovanni s’y rendirent, et, constatant le prodige, ils s’activèrent à mettre en pratique le commandement reçu dans la vision. Le Pape traça le plan du nouveau sanctuaire, qui fut rapidement achevé avec l’argent de Giovanni, et quelques années plus tard, Libère put procéder à la consécration […]

Devant l’église s’étend une vaste place au centre de laquelle se trouve l’ancienne colonne de marbre blanc, provenant du temple de la paix. Le pape Paul V, en 1614, la dota d’une base et d’un chapiteau, sur lequel il plaça la statue de la Vierge avec l’Enfant. L’architecture de la façade est majestueuse et est soutenue par de grosses colonnes de marbre qui forment un vaste vestibule. Au fond de celui-ci a été placée la statue de Philippe IV, roi d’Espagne, qui fit de nombreuses donations en faveur de cette église et voulut lui-même être inscrit parmi les chanoines. Le sol est en mosaïque précieuse travaillée avec des marbres de différents types, tous d’une valeur inestimable.
La chapelle à droite de l’autel majeur conserve la tombe de saint Jérôme, la crèche du Sauveur et l’autel du pape Libère. L’autel papal est recouvert de précieux marbres de porphyre, et soutenu par quatre angelots en bronze doré. En dessous s’ouvre la Confession, qui est une chapelle dédiée à saint Matthias. Nous sommes allés la visiter le jour de la station de carême, ainsi nous avons eu la chance de trouver exposé sur un riche autel la tête de saint Matthias. Nous l’avons observée attentivement, et nous avons remarqué que la peau restait attachée à la tête, qu’on apercevait même quelques cheveux attachés au crâne vénérable.

La Vierge et la peste
Dans la chapelle à gauche de l’autel, on peut observer un tableau de la Vierge attribué à saint Luc, très vénéré par le peuple. L’image a été tenue en grande considération par les papes. Saint Grégoire le Grand, lors de la terrible peste de 590, la porta en procession jusqu’au Vatican. C’était le 25 avril. Lorsque le cortège arriva près du mausolée d’Hadrien, on vit un ange qui remettait l’épée dans le fourreau, indiquant ainsi la cessation de la peste. En mémoire de ce prodige, le mausolée fut appelé Château Saint-Ange, et depuis lors, la procession se répète chaque année le jour de saint Marc Évangéliste. À Sainte-Marie-Majeure, tout est majestueux et grand ; mais la parole et l’écrit ne parviennent pas à la décrire en vérité. Qui la voit de ses propres yeux fixe son regard émerveillé dans chaque coin.

Aujourd’hui, mercredi de carême ici à Rome, on jeûne et cela signifie que sont interdits non seulement les aliments à base de viande, mais aussi toute soupe ou plat à base d’œufs, de beurre ou de lait. Les assaisonnements utilisés en ces mercredis sont l’huile, l’eau et le sel. La pratique est strictement observée par toutes les classes de personnes, tant et si bien que dans les marchés et les boutiques, ce jour-là, on ne trouve ni viande, ni œufs, ni beurre.

La légende de saint Galgan
Le soir, madame De Maistre nous raconta une histoire digne d’être retenue. Elle dit : L’année dernière, le vicaire général de Sienne est venu nous rendre visite. Parmi les nombreuses choses dont il avait l’habitude de nous parler, il nous raconta l’histoire de saint Galgan, soldat. Ce saint est mort depuis des siècles, et sa tête est conservée intacte ; mais la plus grande merveille est que chaque année, on lui coupe les cheveux, qui poussent insensiblement et retrouvent la même longueur l’année suivante. Un protestant, après avoir écouté ce prodige, se mit à rire en disant : laissez-moi sceller l’urne où est conservée la tête, et si les cheveux poussent malgré tout, je reconnaîtrai le miracle et deviendrai catholique. La chose fut rapportée à l’évêque qui répondit : je mettrai les sceaux épiscopaux pour garantir l’authenticité de la relique, qu’il mette les siens pour s’assurer du fait. Ainsi fut fait. Mais ce monsieur, impatient de voir si le prodige commençait à se produire, après quelques mois demanda à ouvrir l’urne. Imaginez sa surprise lorsqu’il vit que les cheveux de saint Galgan avaient déjà poussé comme ils l’auraient fait s’il avait été vivant ! Alors c’est vrai ! s’exclama-t-il. Je deviendrai catholique. En effet, l’année suivante, le jour de la fête du Saint, lui et sa famille renoncèrent au luthéranisme et embrassèrent la religion catholique, qu’il professe aujourd’hui d’une façon exemplaire.

Sainte-Pudentienne au Viminal
Partant des Quatre Fontaines, on monte au Viminal, ainsi nommé à cause des nombreux osiers ou joncs, qui le recouvraient autrefois. Au pied de cette colline, dans la maison de Pudens, sénateur romain, saint Pierre logea lorsqu’il vint à Rome. Le saint apôtre convertit son hôte à la foi et transforma sa maison en église. Saint Pie I, vers 160, à la demande des vierges Pudentienne et Praxède, filles du sénateur Pudens, consacra cette église, qui […] fut ensuite dédiée à Sainte Pudentienne parce qu’elle y avait habité et y était morte. De nombreux papes ont entrepris la restructuration de ce lieu qui contient de précieux témoignages chrétiens. Le puits de sainte Pudentienne mérite une attention particulière. On croit qu’elle y enterra les corps des martyrs. Au fond, on peut remarquer une grande quantité de reliques ; l’histoire dit qu’il contient les reliques de trois mille martyrs.

À côté de l’autel majeur, il y a une chapelle de forme oblongue avec un autel sur lequel on admire un groupe en marbre représentant Jésus qui remet les clés à saint Pierre. On croit que cet autel est celui sur lequel saint Pierre a célébré la messe, et sur lequel, à ma grande consolation, j’ai pu célébrer moi-même. On y conserve des morceaux d’éponge dont se servait Pudentienne pour recueillir le sang des plaies des martyrs, ou de la terre qui en était imprégnée.
En continuant vers la gauche, on arrive à une chapelle qui conserve le témoignage d’un grand miracle. Alors qu’il célébrait la messe, un prêtre douta de la possibilité de la présence réelle de Jésus dans l’hostie sainte. Après la consécration, l’hostie lui échappa des mains et, tombant sur le sol, rebondit d’abord sur une marche puis sur une autre. Là où elle frappa la première fois, le marbre resta presque perforé, et sur la deuxième marche se forma une cavité très profonde en forme d’hostie. Ces deux marches en marbre sont conservées en ce même lieu et soigneusement gardées.

Sainte-Praxède
Partant de Sainte-Pudentienne, en montant vers l’Esquilin, à peu de distance de Sainte-Marie-Majeure, on trouve l’église Sainte-Praxède. Vers l’an 162 après J.-C., au-dessus de l’endroit où se trouvaient les thermes, c’est-à-dire les bains de Novatus, saint Pie I éleva une église en l’honneur de cette vierge, sœur de Novatus, Pudentienne et Théotilus. L’endroit servit de refuge aux anciens chrétiens en temps de persécution. La Sainte, qui s’employait à fournir ce qui était nécessaire aux chrétiens persécutés, s’occupait également de recueillir les corps des martyrs qu’elle enterrait ensuite, versant leur sang dans le puits qui se trouve au milieu de l’église. Celle-ci est riche en ornements et en marbres précieux, comme presque toutes les églises de Rome.
Il y a aussi la chapelle des martyrs Zénon et Valentin, dont les corps, transportés par saint Pascal I en l’an 899, reposent sous l’autel. Ici se conserve également une colonne en jaspe, haute d’environ trois coudées, qu’un cardinal nommé Colonna fit transporter de Terre Sainte en l’an 1223. On pense que c’est celle à laquelle le Sauveur fut attaché pendant la flagellation.

Le Caelius
Depuis l’Esquilin, en regardant vers l’ouest, on voit la colline du Caelius. Autrefois, elle était appelée Querchetulano à cause des chênes qui la recouvraient. Plus tard, elle fut nommée Caelius d’après Caeles Vibenna, capitaine des Étrusques venus en aide à Rome, et que Tarquinius Priscus fit loger sur cette colline. La première chose que l’on remarque est le plus grand obélisque que l’on connaisse. Ramsès, pharaon d’Égypte, le fit ériger à Thèbes en le dédiant au soleil. Constantin le Grand le fit transporter à travers le Nil jusqu’à Alexandrie, mais, après sa mort, ce fut son fils Constance qui le transporta à Rome. Pour le voyage, on utilisa un vaisseau de trois cents rames, et à travers le Tibre, il fut conduit dans la ville et placé dans un endroit appelé Circus Maximus. Là, il tomba à terre et se brisa en trois parties. Le pape Sixte V le fit restaurer et ériger sur la place du Latran en 1588. L’obélisque atteint une hauteur de 153 pieds romains. Il est entièrement orné de hiéroglyphes et surmonté d’une haute croix.

À droite de la place se trouve le baptistère de Constantin avec l’église Saint-Jean in Fonte. On dit qu’elle a été construite par Constantin à l’occasion du baptême qu’il reçut du pape saint Sylvestre en l’an 324. Elle possède deux chapelles, l’une dédiée à saint Jean-Baptiste, l’autre à saint Jean l’Évangéliste, d’où son nom d’église S. Giovanni in Fonte. Le baptistère, qui est une cuve de grande largeur revêtue de marbres précieux, se trouve au milieu. La petite chapelle dédiée à saint Jean-Baptiste est considérée comme une chambre de Constantin, transformée en oratoire et dédiée au saint Précurseur par le pape saint Hilaire.

Saint-Jean-de-Latran
En sortant du baptistère et en traversant la vaste place, on trouve la basilique Saint-Jean-de-Latran. Cette célèbre construction est la première et principale église du monde catholique. Sur la façade on peut lire : Ecclesiarum Urbis et Orbis Mater et Caput (mère et tête de toutes les églises de Rome et du monde). C’est le siège du Souverain Pontife en tant qu’évêque de Rome ; après son couronnement, il va en prendre solennellement possession. Elle fut également appelée Basilique constantinienne, car fondée par Constantin le Grand. Elle fut ensuite appelée Basilique du Latran parce qu’érigée là où se trouvait le palais d’un certain Plautius Lateranus, que Néron a fait tuer ; et aussi Basilique du Sauveur à la suite d’une apparition du Sauveur survenue pendant la construction. On l’appelle encore Basilique d’Or à cause des précieux dons dont elle a été enrichie, et Basilique San Giovanni parce qu’elle est dédiée à saint Jean-Baptiste et à saint Jean Évangéliste.
C’est Constantin le Grand qui la fit construire près de son palais, vers l’an 324. Agrandie ensuite avec de nouveaux corps de bâtiment, elle fut cédée au saint Pontife. C’est ici que les papes résidèrent jusqu’au temps de Grégoire XI. Lorsque celui-ci ramena le Saint-Siège d’Avignon à Rome, il transféra sa résidence au Vatican.
En 1308, un terrible incendie la détruisit, mais Clément V, qui était alors à Avignon, envoya immédiatement ses agents avec de grandes sommes d’argent, et en peu de temps, elle fut reconstruite. Le portique est soutenu par vingt-quatre gros piliers ; au fond se trouve la statue de Constantin trouvée dans ses thermes au Quirinal. La grande porte en bronze est d’une hauteur extraordinaire. Elle provient de l’église Saint-Adrien in Campo Vaccino et a été transportée ici. Elle constitue un rare exemple de portes anciennes dites Quadrifores, c’est-à-dire construites de manière à pouvoir s’ouvrir en quatre parties, une à la fois sans que l’une mette en danger la stabilité de l’autre. À droite, il y a une porte murée qui ne s’ouvre que pendant l’année du jubilé et qui est appelée Porte Sainte.

L’intérieur est à cinq nefs. La longueur, la hauteur, la richesse des pavements, des sculptures et des peintures sont un enchantement pour les yeux. Il faudrait en écrire de gros volumes pour en parler dignement. Parmi les reliques insignes de cette église il y a les têtes des deux princes des Apôtres Pierre et Paul. Elles sont conservées sous l’autel majeur et encastrées dans une autre tête d’or. Il y a aussi une relique insigne de saint Pancrace martyr, et on y conserve une table que l’on pense être celle même sur laquelle Jésus célébra la sainte cène avec ses Apôtres.

En sortant de l’église par la porte principale et en traversant la place, on trouve la Scala Santa, un bâtiment que le pape Sixte V fit ériger pour y conserver l’escalier, qui se trouvait auparavant en morceaux dans l’ancien palais papal du Latran. Il est formé de vingt-huit marches en marbre blanc provenant du prétoire de Pilate à Jérusalem et que Jésus monta et descendit plusieurs fois pendant sa passion. Sainte Hélène, mère de Constantin, les envoya à Rome avec beaucoup d’autres choses sanctifiées par le sang de Jésus-Christ. Ce célèbre escalier est tenu en grande vénération et c’est pourquoi on le monte à genoux, et on redescend par l’un des quatre escaliers latéraux. Ces marches se sont creusées à cause du grand afflux de chrétiens qui les ont montées, si bien qu’elles ont été recouvertes de planches de bois. Le même Sixte V fit placer en haut de l’escalier la célèbre chapelle privée des papes, qui est pleine des plus insignes reliques, et que l’on appelle Sancta Sanctorum.

Cité du Vatican. La construction
La colline du Vatican contient tout ce qui existe de plus excellent dans les arts, et de mémorable dans la religion ; c’est pourquoi nous en donnerons une description un peu plus précise. Elle a été appelée Vatican d’après Vagitanus, une divinité qui était censée surveiller le vagissement des enfants. En effet, la première syllabe Va (va n.d.r.) dont est composé le mot est aussi le premier cri des enfants. La colline acquit de la renommée lorsque Caligula y construisit le cirque auquel on donna ensuite le nom de Néron. Pour passer de la rive gauche à la rive droite du Tibre, Caligula construisit le pont du Vatican, dit aussi Triomphal, qui n’existe plus maintenant. Le cirque de Néron commençait là où se trouve aujourd’hui l’église Sainte-Marthe et s’étendait jusqu’aux marches de l’ancienne basilique vaticane. Dans ce cirque fut enterré le corps du Prince des Apôtres […]

Là furent également enterrées les ossements d’autres papes, dont Lin, Clément, Anaclet, Évariste et d’autres encore. Le Mémorial de S. Pierre, c’est-à-dire le petit temple construit sur sa tombe, dura jusqu’aux temps de Constantin qui, à la demande de saint Sylvestre, vers 319, entreprit la construction d’une église en l’honneur de l’Apôtre. Elle fut érigée précisément autour de ce petit temple, en utilisant des matériaux prélevés sur des édifices publics. La construction fut appelée Basilique constantinienne, et à cette époque, elle était considérée comme l’une des plus célèbres de la chrétienté. Au milieu de cette église, faite en forme de croix latine, se trouvait l’autel dédié à saint Pierre sous lequel son corps était enterré, protégé par des grilles ; cet espace était déjà appelé la Confession de saint Pierre. Une fois le temple achevé et doté de riches ornements, le pape Sylvestre le consacra le 18 novembre 324 […] Les pontifes qui vinrent par la suite l’ont embelli et l’agrandi. Pendant onze siècles, il fut l’objet de la dévotion et de l’admiration des chrétiens qui se rendaient à Rome.

Au XVe siècle, il commençait à se détériorer, c’est pourquoi Nicolas V pensa à le rénover, mais il n’eut que le mérite de commencer les travaux, car la mort lui fit suspendre tout. Jules II reprit la construction en changeant son nom, qui passa de Basilique constantinienne à Saint-Pierre du Vatican, et posa la première pierre le 18 avril 1506. Les architectes furent Bramante, puis Fra Giocondo Domenico et Raffaello Sanzio. Après eux travaillèrent les architectes les plus célèbres et les esprits les plus sublimes de l’époque.

La grande place
 […] Devant la basilique s’ouvre une vaste place dont la longueur dépasse la moitié d’un kilomètre. Elle est formée de 284 colonnes et de 64 piliers qui, disposés en demi-cercle de chaque côté en quatre rangées, forment trois voies dont la plus large, celle du centre, permet le passage de deux voitures. Au-dessus de la colonnade sont placées 96 statues de saints, en marbre, d’une hauteur d’environ 10 pieds. Au centre, s’élève l’obélisque égyptien. Il est d’une seule pièce, et c’est le seul qui soit resté entier. Il mesure 126 pieds de hauteur, y compris la croix et le piédestal. Il n’a pas de hiéroglyphes. Nucoreus, roi d’Égypte, l’avait érigé à Héliopolis, d’où il fut prélevé et transporté à Rome par Caligula l’an 3 de son règne. Il fut placé dans le cirque construit au pied de la colline du Vatican, comme le montrent les inscriptions qui y sont lues. Ce cirque fut appelé de Néron parce qu’il s’y rendait fréquemment ; c’est ici que ce cruel empereur fit un massacre de chrétiens, les accusant d’être les auteurs de l’incendie de Rome qu’il avait lui-même allumé.

En 1818, on construisit une horloge solaire sur la place. Sur le sol on dessina les douze signes du zodiaque. L’obélisque faisait office de gnomon, et son ombre indiquait les stations du soleil. Tout autour, on écrivit les noms des vents avec la direction dans laquelle chacun d’eux souffle. De chaque côté, deux fontaines semblables jettent perpétuellement de l’eau dont les jets peuvent monter jusqu’à soixante pieds. La reine d’Écosse, accueillie avec pompe en ce lieu, regarda avec émerveillement les deux fontaines, pensant qu’elles avaient été faites spécialement pour l’accueillir. Non, dit un monsieur qui était à ses côtés, ces jets sont perpétuels.

Visite à Saint-Pierre
En marchant vers la façade de la basilique, on arrive à un magnifique escalier flanqué de deux statues, l’une de saint Pierre et l’autre de saint Paul, installées là par le pape Pie IX. En montant les marches, on se trouve devant la façade qui porte cette inscription : En l’honneur du Prince des Apôtres Paul V, Souverain Pontife, en l’an 1612, 7e de son pontificat. Au-dessus du portique s’étend la grande Loggia des bénédictions. La façade est majestueuse et imposante. Le portique est entièrement orné de marbres, de peintures en mosaïque et d’autres travaux élégants. Au fond du vestibule à droite, on peut observer la magnifique statue équestre de Constantin en train de contempler la prodigieuse croix qui lui apparut dans le ciel avant la bataille finale contre Maxence.

Du portique, on entre dans la basilique par quatre portes, dont la dernière à droite ne s’ouvre que pour l’année sainte. La porte principale est en bronze, d’une grande hauteur, et il faut de nombreux bras forts pour l’ouvrir. L’intérieur se présente à cinq nefs en plus de la croisée qui se termine par la tribune. La curiosité et la surprise nous ont conduits au milieu de la nef principale. Ici, nous nous sommes arrêtés pour admirer et réfléchir sans dire un mot. Il nous sembla voir la Jérusalem céleste. La longueur de la basilique est de 837 coudées, sa largeur de 607. C’est la plus grande église de toute la chrétienté. Après Saint-Pierre, la plus vaste est celle de Saint-Paul à Londres. Si l’on ajoute à l’église Saint-Paul celle de notre Oratoire, on obtient la longueur précise de Saint-Pierre.

Après être restés immobiles pendant un certain temps, nous avons cherché le bénitier. Nous avons aperçu deux angelots, à première vue très petits, tenant une sorte de coquille dans le premier pilier de la basilique. Cela nous étonna qu’une église aussi vaste ait un bénitier si petit. Mais l’étonnement se transforma en surprise lorsque nous vîmes les angelots devenir de plus en plus grands à mesure que nous nous approchions. La coquille devint un vase d’environ six pieds de circonférence, et les angelots de chaque côté nous montraient leurs mains avec des doigts aussi gros que notre bras. C’est la preuve que les proportions de ce merveilleux édifice sont si bien réglées qu’elles rendent moins sensible son ampleur, que l’on découvre de mieux en mieux en examinant chaque détail. Autour des piliers de la nef principale, on voit les statues en marbre des fondateurs des ordres religieux.

Dans le dernier pilier à droite se trouve la statue en bronze de saint Pierre, tenue en grande vénération. C’est saint Léon le Grand qui la fit fondre avec le bronze de celle de Jupiter Capitolin. Elle rappelle la paix que ce Pontife obtint d’Attila qui faisait rage contre l’Italie. Le pied droit qui dépasse du piédestal est usé par les lèvres des fidèles qui ne passent jamais devant lui sans la baiser avec respect. Pendant que nous admirions la statue, l’ambassadeur autrichien à Rome passa en s’inclinant devant le prince des Apôtres et lui baisa le pied.

Nefs et chapelles
Disons maintenant quelques mots sur les nefs latérales et les chapelles qui s’y trouvent. À droite, on rencontre d’abord la chapelle de la Pietà. En plus des magnifiques mosaïques et des statues qui l’ornent, on admire au-dessus de l’autel le célèbre groupe sculpté par Michel-Ange en marbre blanc, alors qu’il n’avait que vingt-quatre ans. C’est peut-être la plus belle sculpture du monde. Le même Michel-Ange en était si satisfait qu’il la signa sur la ceinture de Marie.

À gauche de la chapelle de la Pietà se trouve celle dédiée au Crucifix et à Saint Nicolas. De là, on entre dans la petite Chapelle de la Sainte Colonne, où est conservée, protégée par une grille en fer, l’une des colonnes à vis qui se trouvaient autrefois devant l’autel de la Confession de Saint Pierre. C’est cette colonne sur laquelle Jésus-Christ s’appuya lorsqu’il prêcha dans le temple de Salomon. On s’émerveille devant la partie touchée par les épaules sacrées du Sauveur et jamais couverte de poussière, ce qui fait qu’on n’a pas besoin de la dépoussiérer comme le reste.

Après la chapelle de la Pietà, on rencontre le monument funéraire de Léon XII, érigé par Grégoire XVI. Le Pape est représenté en train de bénir le peuple depuis la loggia au-dessus du portique ; tout autour, on voit les têtes des cardinaux assistant à la cérémonie. En face de ce tombeau se trouve le cénotaphe de Christine Alexandra, reine de Suède, morte à Rome le 19 avril 1689. Celle-ci, protestante, convaincue de la faible consistance de sa religion, se fit instruire dans le catholicisme et fit la solennelle abjuration à Innsbruck le 3 novembre 1655. Divers bas-reliefs qui ornent le tombeau représentent cet événement.

Suit la chapelle de Saint Sébastien, elle aussi riche en peintures et en marbres. En sortant à droite, on trouve le dépôt funéraire d’Innocent XII des Pignatelli de Naples. En face se trouve le tombeau de la célèbre comtesse Mathilde, illustre bienfaitrice de l’Église et soutien de l’autorité pontificale. Urbain VIII fit transférer ici ses cendres, les retirant du monastère de Saint Benoît à Mantoue. Elle fut la première des femmes illustres qui ont mérité un tombeau dans la basilique vaticane. La comtesse est représentée debout ; le tombeau est orné d’un bas-relief représentant l’absolution donnée par Grégoire VII à Henri IV, empereur d’Allemagne, à la demande de Mathilde et d’autres personnages, le 25 janvier 1077 dans la forteresse de Canossa.

On arrive ensuite à la chapelle du Saint-Sacrement, riche en marbres et mosaïques. À côté de l’autel, un escalier mène au palais pontifical. Cet autel est dédié à Saint Maurice et à ses compagnons martyrs, patrons principaux du Piémont. Les deux colonnes torsadées d’un seul tenant qui ornent l’autel sont deux des douze qui sont censées avoir été amenées à Rome de l’ancien temple de Salomon. Sur le sol devant l’autel, on admire le tombeau en bronze de Sixte IV Della Rovere. Il fut exécuté sur ordre de Jules II, son neveu, et représente les vertus et la science propres au défunt. Il contient les cendres des deux papes.

En sortant de la chapelle, voici à droite le tombeau de Grégoire XIII Buoncompagni. Il est orné de deux statues, la Religion et la Force ; au centre un grand bas-relief représente la réforme du calendrier, dite grégorienne. Ici sont représentés une quantité de personnages illustres qui ont participé à cette œuvre, tous en train de vénérer le Pape. En face, dans une urne en stuc, reposent les ossements de Grégoire XIV de la famille Sfrondato. Ici se termine la nef latérale et on entre dans la croix grecque d’après le dessin de Michel-Ange.

En sortant de la nef, à droite se trouve la Chapelle Grégorienne. Au-dessus de l’autel est vénérée une ancienne image de la Vierge du temps de Pascal II. En dessous repose le corps de Saint Grégoire de Nazianze, transféré sur ordre de Grégoire XIII de l’église des moniales du Champ de Mars. En poursuivant le chemin, on arrive au monument funéraire de Benoît XIV Lambertini, érigé par les cardinaux qu’il avait créés. De chaque côté du tombeau s’élèvent deux magnifiques statues représentant le Désintéressement et la Sagesse, les deux vertus les plus lumineuses de ce pape. La statue du Pape, debout, bénit le peuple d’un geste majestueux. Ce travail est si bien exécuté que le simple regard sur le Pape nous fait reconnaître en lui la grandeur et l’élévation de son âme. En face, on reconnaît l’autel de Saint Basile le Grand avec au-dessus un précieux tableau en mosaïque de l’empereur Valens s’évanouissant en présence du Saint, tandis qu’il le regardait célébrer la messe.

On arrive ensuite à la tribune. Le premier autel à droite est dédié à Saint Venceslas martyr, roi de Bohême ; celui du milieu est consacré aux saints Processus et Martinien, gardes de la prison Mamertine, convertis à la foi par saint Pierre, lorsque l’Apôtre y était enfermé. Ces deux saints ont donné leur nom à l’emplacement ; leurs corps reposent sous l’autel. Trois précieux bas-reliefs représentent saint Pierre en prison libéré par l’Ange (celui du milieu), saint Paul prêchant à l’Aréopage (celui à droite), le troisième les saints Paul et Barnabé, pris pour des divinités par les habitants de Lystres. On rencontre ensuite le tombeau de Clément XIII Rezzonico, sculpture d’Antonio Canova. C’est un chef-d’œuvre. Le tableau de l’autel qui se trouve en face du monument représente saint Pierre en danger de se noyer, soutenu par le Rédempteur. Plus loin, voici l’autel de saint Michel, puis celui de sainte Pétronille, fille de saint Pierre. Cette sainte est représentée dans une mosaïque qui raconte le déterrage de son cadavre pour le montrer à Flaccus, noble Romain, qui l’avait demandée en mariage. Dans la partie supérieure est figurée son âme qui, par ses prières, obtint de mourir vierge et est accueillie par Jésus-Christ. Plus loin, on voit le sarcophage de Clément X Altieri ; le bas-relief représente l’ouverture de la porte sainte pour le Jubilé de 1675. L’autel est surmonté du tableau de saint Pierre qui, aux prières d’une foule de mendiants, ressuscite la veuve Tabitha.

En gravissant deux marches de porphyre qui faisaient partie de l’autel majeur de l’ancienne basilique, on monte à l’Autel de la Chaire. Un groupe surprenant de quatre statues en métal soutient le siège pontifical. Les deux de devant représentent deux Pères latins, Ambroise et Augustin ; les deux de derrière les Pères grecs, Athanase et Jean Chrysostome. Le poids de ces groupes s’élève à 219.161 livres de métal. La chaire en bronze recouvre, comme précieuse relique, celle en bois marqueté de divers bas-reliefs en ivoire. Cette chaise est celle du sénateur Pudens qui servit l’Apôtre Pierre et plusieurs papes après lui.

Au-dessus de l’autel de la Chaire, comme fond, est figuré sur toile le Saint-Esprit entre des vitraux colorés et rayonnants de sorte que celui qui le regarde semble voir une étoile d’or resplendissante. En dessous, à gauche de celui qui regarde, se trouve le magnifique tombeau de Paul III Farnèse, monument très précieux pour ses sculptures. La statue du Pape assis sur l’urne est en bronze, les deux autres statues, en marbre, représentent la Prudence et la Justice. En face est placé le tombeau du pape Urbain VIII dont la statue est en bronze. La Justice et la Charité sont de chaque côté, sculptées en marbre blanc. Sur l’urne on distingue l’image de la mort en train d’écrire dans un livre le nom du Pape. Ici nous avons interrompu la visite : nous étions fatigués, la visite avait duré de onze heures du matin à cinq heures de l’après-midi.

Rome. Sainte-Marie de la Victoire
Du Quirinal, en regardant vers le sud, on voit la rue de Porta Pia, ainsi nommée d’après le pape Pie IV qui, pour l’embellir, a réalisé de nombreux travaux. Le long de cette route, près de la fontaine de l’Acqua Felice, s’élève à gauche l’église de Sainte-Marie de la Victoire, édifiée par Paul V en 1605, et ainsi nommée à cause d’une image miraculeuse de la Vierge qui y fut transportée par le père Dominique des Carmes Déchaussés. C’est à cette image, ou plutôt à la protection de Marie que le duc Maximilien de Bavière dut la grande victoire remportée en quelques jours contre les protestants, qui avaient mis à mal le royaume d’Autriche avec une armée très nombreuse. L’image prodigieuse est conservée sur l’autel majeur. Aux corniches sont accrochées les bannières prises aux ennemis : glorieux monument à la protection de Marie.

En mémoire de la libération de Vienne, la fête du Nom de Marie a été instituée, célébrée par toute la chrétienté le dimanche dans l’octave de la naissance de Marie. Cela se produisit le 12 septembre 1683 sous le pontificat d’Innocent XI. Dans cette même église, une solennité spéciale est célébrée le deuxième dimanche de novembre en souvenir de la célèbre victoire remportée par les chrétiens contre les Turcs à Lépante le 7 octobre 1571, sous Pie V. Quelques bannières prises aux Turcs sont également accrochées comme trophées à la corniche de cette église.
Devant Sainte-Marie de la Victoire se trouve la fontaine de Termini, appelée fontaine de Moïse, car dans une niche est sculptée la statue de Moïse qui, avec le bâton à la main, fait jaillir l’eau de la pierre. Elle est également appelée Acqua Felice d’après le frère Félix, qui est le nom de Sixte V lorsqu’il était au couvent.

L’île Tibérine
Dans l’après-midi, nous avons décidé d’aller avec le comte De Maistre visiter la grande œuvre Saint-Michel de l’autre côté du Tibre. Nous devions donc traverser le fleuve à la hauteur d’une petite île appelée Tibérine ou aussi Lycaonienne, d’après un temple dédié à Jupiter Lycaonien. Voici l’origine de cette île. Lorsque Tarquin fut expulsé de Rome, le Tibre était presque à sec, laissant à découvert quelques bancs de sable. Les Romains, poussés par la haine contre ce roi, allèrent dans ses champs, coupèrent les blés et l’épeautre qui étaient proches de la maturité et jetèrent tout dans le Tibre. La paille alla s’arrêter sur le sable, et en se déposant, la boue de sable que l’eau faisait couler parvint à se consolider au point qu’on put y cultiver et y habiter. Sur cette île, les païens élevèrent un temple en l’honneur d’Esculape ; mais en 973, on y déposa le corps de saint Barthélemy qui repose dans l’urne sous l’autel majeur.

Après avoir traversé le Tibre et continuant vers l’hospice Saint-Michel, on rencontre à droite l’église Sainte-Cécile, édifiée à l’endroit où se trouvait sa maison. Urbain I, vers le milieu du troisième siècle, la consacra, et saint Grégoire le Grand l’enrichit de nombreux objets précieux. En entrant à droite on trouve la chapelle où était le bain de sainte Cécile, où on dit qu’elle a reçu le coup mortel. L’autel majeur, protégé par une grille en fer, garde le corps de la sainte. Au-dessus de l’urne une sculpture émouvante en marbre la représente allongée et vêtue comme on l’a retrouvée dans le tombeau.

Arrivés à l’hospice Saint-Michel, nous avons eu une audience du Cardinal Tosti qui nous raconta divers épisodes qui lui étaient arrivés à l’époque de la république. Lui aussi fut contraint de vivre un certain temps loin de l’hospice pour ne pas devenir la victime d’un attentat. Parmi les divers objets volés dans cette triste circonstance à ce pieux cardinal, il y avait trois tabatières très précieuses, surtout pour leur antiquité et leur provenance. Quand on les apporta aux membres du triumvirat, Mazzini pensa en garder une pour lui et offrir les deux autres à ses compagnons. Mais ceux-ci n’osèrent pas les prendre. Mazzini arrangea tout, et gracieusement se les mit toutes les trois dans la poche !

Le Capitole
Sur le chemin du retour, à mi-chemin, se dresse la colline la plus haute de Rome, le Capitole, ainsi nommée d’après caput Toli, tête de Tolus, qui fut découverte alors que Tarquin le Superbe faisait aplanir le sommet pour l’ériger en forteresse. Nous avons monté un long escalier au bout duquel se dressent deux statues colossales représentant Castor et Pollux. Le plan qui forme la place s’appelait autrefois inter duos lucos, car il se trouvait entre les bosquets qui recouvraient les deux sommets. C’est ici que Romulus avait créé un abri pour les peuples voisins qui souhaitaient s’y réfugier. Le Capitole d’aujourd’hui n’a plus l’imposante allure guerrière, mais c’est une place majestueuse entourée de palais qui abritent des musées, et où se traitent les affaires municipales. Dans une partie de cette place se trouvait le temple de Jupiter Feretrius, ainsi nommé d’après les armes des vaincus que les vainqueurs allaient accrocher à l’autel de ce temple.

Au milieu de la place s’élève la célèbre statue équestre de Marc-Aurèle en pacificateur. C’est la plus belle parmi les plus anciennes statues en bronze qui aient été conservées intactes. Une partie des grands bâtiments qui entourent la place constitue le palais sénatorial, fondé par Boniface IX en 1390 sur le terrain où se trouvait l’ancien sénat des Romains. Sur le côté se trouve la source de l’Acqua Felice, ornée de deux statues couchées du Nil et du Tibre. De là, par un petit escalier, on accède à la tour du Capitole, érigée sous forme de campanile à l’endroit même où autrefois montaient les observateurs pour admirer Rome et surveiller les ennemis qui tenteraient de s’approcher de la ville. […]
Dans la partie la plus élevée vers l’orient se trouvait le temple de Jupiter Capitolin, qui était appelé de Jupiter Optimus Maximus, et avait été érigé par Tarquin le Superbe sur les fondations préparées par Tarquin l’Ancien qui en avait fait vœu pendant la guerre contre les Sabins. C’était juste au moment où on effectuait les fouilles qu’on a découvert le caput Toli.

Sainte-Marie in Aracoeli
Là où se trouvait le temple de Jupiter Capitolin se dresse maintenant la majestueuse église de Santa Maria in Aracoeli, édifiée au VIe siècle de l’ère vulgaire. Pendant un certain temps, elle fut appelée Santa Maria in Campidoglio, à cause du lieu où elle se trouvait. Elle fut ensuite appelée Aracoeli en raison du fait suivant. La foudre ayant frappé le Capitole, Auguste, par crainte d’un malheur, envoya interroger l’oracle de Delphes […] Pour cette raison, et pour certains oracles des Sibylles concernant la naissance du Sauveur, Auguste fit élever un autel intitulé Ara primogeniti Dei, autel du premier-né de Dieu. C’est de là que dérive le nom de Santa Maria in Aracoeli, après qu’une église fut élevée en l’honneur de la Mère de Dieu. L’intérieur est à trois nefs divisées par 22 colonnes de marbre ayant appartenant au temple de Jupiter Feretrius. L’autel majeur mérite une attention particulière, car au-dessus de celui-ci on vénère une image de Marie, que l’on pense être de saint Luc. Celle-ci, aux temps de saint Grégoire le Grand, fut portée en procession à travers Rome pour obtenir la libération de la peste. Le fait est représenté dans une peinture sur le pilier à côté de l’autel. Au milieu de la croisée se trouve la chapelle de sainte Hélène, où fut érigée l’Ara Primogeniti. La table de l’autel est une grande urne de porphyre, dans laquelle ont été déposés les corps de sainte Hélène, mère de Constantin, et des saints Abbondio et Abbondanzio.

Dans une pièce près de la sacristie on conserve une effigie miraculeuse de l’Enfant Jésus. Les langes qui l’entourent sont ornés de pierres précieuses. Elle est exposée à la vénération pendant les fêtes de Noël, dans une belle crèche représentée dans l’église à l’intérieur d’une chapelle. Avec l’Enfant, on a placé également les figures d’Auguste et de la Sibylle en souvenir d’une tradition qui affirme que la Sibylle de Cumes avait prédit la naissance du Sauveur et c’est pourquoi Auguste y éleva un autel.

En sortant de l’Aracoeli et en se dirigeant vers la partie occidentale du Capitole, on rencontre la roche Tarpéienne qui occupait la partie vers le Tibre, et qui s’appelait ainsi d’après la Vierge Tarpeia, qui y fut tuée par trahison lors de la guerre des Sabins. Du haut de ce rocher, on précipitait les traîtres de la patrie. Ici, de nombreux chrétiens furent martyrisés et jetés en bas en haine de la foi. Non loin se trouvait la Curie, et la cabane de Romulus, où il aurait attendu la réponse des vautours […]

En descendant vers le bas, voici le temple de la Concorde, construit par Camille en l’an 387 de Rome. […] Près de ce temple, sur le côté gauche en descendant, se trouvait celui de Jupiter Tonnant, dont il reste trois colonnes de marbre. Il fut érigé par Auguste sur le flanc du Capitole et dédié à Jupiter en remerciement pour avoir échappé à la foudre qui tua le serviteur qui le précédait.

La prison Mamertine
Le matin du 2 mars, avec la famille De Maistre, nous sommes allés visiter la prison Mamertine, qui se trouve au pied du Capitole dans la partie occidentale. Cette prison est ainsi nommée d’après Mamertus, ou Ancus Martius, 4e roi de Rome, qui la fit construire pour répandre la terreur parmi le peuple, et ainsi empêcher les vols et les meurtres. Servius Tullius, 6e roi de Rome, ajouta en-dessous un autre cachot qui fut appelé Tullianus. Il a deux sous-sols, qui présentent dans la voûte une ouverture capable de laisser passer un homme. À travers celle-ci, on descendait les condamnés avec une corde […]

Ici jaillit une source d’eau que saint Pierre aurait miraculeusement fait jaillir lorsqu’il était emprisonné avec saint Paul. Le prince des Apôtres se servit de cette eau pour baptiser les saints Processus et Martinien, gardiens de la prison, ainsi que 47 autres compagnons tous morts martyrs. Cette eau présente des aspects miraculeux. Son goût est naturel. Elle n’augmente jamais, ni ne diminue jamais de volume, quelle que soit la quantité qu’on y puise. Deux gentlemen anglais, comme pour se moquer des catholiques, voulurent essayer de vider la petite fosse d’eau qui ressemble à un petit vase. Ils se fatiguèrent, eux et leurs amis, mais l’eau resta toujours au même niveau. On raconte de nombreuses guérisons miraculeuses obtenues par son usage. À côté de la source se trouve une colonne de pierre à laquelle furent liés les deux princes des Apôtres. À côté de la colonne se trouve un petit autel où, à ma grande consolation, j’ai célébré la messe, à laquelle ont assisté la famille De Maistre et d’autres personnes pieuses. Au-dessus de l’autel, un bas-relief représente Paul prêchant et Pierre baptisant les gardes […]

Dans un coin du 1er étage de la prison, on remarque sur le mur l’empreinte d’un visage humain. On dit que saint Pierre reçut une forte gifle d’un sbire, si bien qu’en frappant son visage contre le mur, il y laissa l’empreinte de son visage qui, de manière miraculeuse, s’est conservée. Au-dessus de cette figure est sculptée cette ancienne inscription : « Dans ce rocher, Pierre frappa la tête, poussé par un sbire et le prodige demeure« . Au-dessus de cette prison fut édifiée une église, et au-dessus de celle-ci une autre encore dédiée à saint Joseph. C’est ici que siège la confrérie des charpentiers. Les membres se réunissent les jours de fête, assistent aux fonctions sacrées et veillent à tout ce qui est nécessaire pour l’entretien de l’église et nécessaire pour le nettoyage de la prison. Autrefois, pour arriver à l’entrée de la prison, on descendait par un escalier au bout duquel se trouvait l’ouverture par laquelle on précipitait les condamnés. Ces escaliers furent appelés Gémonies, à cause des gémissements des condamnés […]

Cité du Vatican. Dévotions jubilaires
Le 3 mars était destiné à la visite à Saint-Pierre. Partis à six heures et demie de chez nous avec une fraîcheur qui réjouissait la vie et rendait nos pas rapides, nous prîmes la direction de la colline du Vatican. Arrivés au Pont Aelius, ou Pont Saint-Ange, par lequel on traverse le Tibre, nous avons récité le Credo. Les Papes accordent cinquante jours d’indulgence à ceux qui récitent le symbole des Apôtres en passant sur ce pont. Il est appelé Aelius d’après Hadrien Aelius qui l’a construit. Mais il est aussi appelé pont Saint-Ange à cause du Château Saint-Ange, qui est le premier édifice que l’on rencontre sur la rive opposée.

Nous dirons quelques mots de ce château. L’empereur Hadrien voulut ériger un grand sépulcre sur la rive droite du Tibre. En raison de sa largeur, de sa longueur et de sa hauteur, on l’appela Mole Adriana. Lorsque l’empereur Théodose fit prélever les colonnes du mausolée d’Hadrien pour en doter la basilique Saint-Paul, cette construction resta dépourvue de la moitié supérieure et sans colonnes. En l’an 537, les troupes de Bélisaire assaillirent les Goths pour les éloigner de Rome, et alors presque tous les vestiges de ce mausolée furent réduits en morceaux. Au Xe siècle, on l’appelait Castro et Torre di Crescenzio d’après un certain Cescenzio Nomentano qui s’en empara et le fortifia. Peu après, l’histoire lui donna le nom de Château Saint-Ange, peut-être à cause d’une église dédiée à l’ange Michel. […] Mais l’opinion la plus probable reste celle qui raconte une procession voulue par saint Grégoire le Grand pour obtenir de la Vierge la libération de la peste, au cours de laquelle un ange apparut au sommet du Mausolée remettant l’épée dans son fourreau, signe que le fléau était sur le point de cesser. Maintenant, le Château Saint-Ange est réduit à une forteresse et c’est la seule de Rome.

En poursuivant notre chemin, nous sommes arrivés sur la grande place Saint-Pierre. Passant devant l’obélisque, nous avons enlevé notre chapeau, car les papes ont accordé cinquante jours d’indulgence à ceux qui font une révérence ou se découvrent la tête en passant près de cet obélisque, au-dessus duquel a été appliquée une croix contenant un morceau du Saint Bois de la croix de Jésus.
Nous voici donc de nouveau dans la Basilique Vaticane. Nous avions déjà visité la moitié plus la tribune, qui forme comme le chœur de l’autel papal, situé au milieu de la croisée, en face de la chaire de Pierre. Ce chœur fut ordonné par Clément VIII et consacré par lui en 1594 ; il renferme l’autel qui avait déjà été édifié par saint Sylvestre. Étant l’autel papal, seul le Pape y célèbre, et lorsque quelqu’un d’autre veut l’utiliser, il faut pour cela un « Bref » apostolique. Aux quatre côtés s’élèvent quatre grandes colonnes torsadées qui soutiennent un baldaquin orné de frises entièrement en bronze. La hauteur de ce baldaquin depuis le sol égale celle des plus hauts palais de Turin.

La tombe de Pierre : curiosités d’un saint
Devant l’autel papal, par un double escalier en marbre, on descend au niveau de la Confession. À l’extrémité des escaliers se trouvent deux colonnes d’albâtre d’Orte, un matériau très rare, transparent comme un diamant. Cent douze lampes brûlent continuellement autour de ce lieu vénérable. Au fond, s’ouvre une niche, formée sur l’ancien oratoire érigé par saint Sylvestre, où saint Anaclet « érigea une mémoire à saint Pierre« . Ici repose le corps du Prince des Apôtres. Dans les parois latérales, deux portes munies d’un portail en fer mènent aux grottes sacrées. Juste en face de la niche, le 28 novembre 1822, fut placée la statue en marbre de Pie VI, qui, à genoux, est en fervente prière. C’est l’une des plus belles œuvres d’Antonio Canova. Pie VI avait l’habitude, de jour et parfois même de nuit, de se rendre près de la tombe de saint Pierre pour prier. De son vivant, il manifesta le vif désir d’y être enterré et, à sa mort, on voulut exaucer son souhait. Mais après un creusement peu profond, on découvrit une tombe sur laquelle était inscrit : Linus episcopus. Tout fut immédiatement remis en place, et le Pape fut enterré dans un autre coin de l’église. Dans celui qui fut choisi, on plaça, au lieu du corps, la statue dont nous avons parlé. Nous avons vu et touché de nos mains tout ce qu’il y a ici de précieux, mais nous n’avons pas pu voir le corps du premier pape, car depuis des siècles le sépulcre n’a plus été ouvert de peur que quelqu’un ne tente d’en briser quelque relique.

Au-dessus de cette tombe, on a construit un bel autel, sur lequel j’ai eu la consolation de célébrer la sainte messe. Cet autel, avec la chapelle attenante, reçoit la lumière de quelques hublots recouverts de grilles en métal. Pendant la construction de la basilique se produisit un fait prodigieux, rapporté par un témoin oculaire. Avant que le toit ne soit terminé, des pluies tombèrent si fort que les eaux inondèrent le sol de la basilique jusqu’à un pied de hauteur. Malgré cette abondance, l’eau n’osa s’approcher de l’autel de la Confession, et ne descendit pas non plus dans l’oratoire inférieur à travers les trois hublots susmentionnés ; arrivée à proximité, elle s’arrêta, restant suspendue de sorte qu’aucune goutte ne parvint à mouiller ce sanctuaire. Après avoir observé chaque objet, regardé chaque coin, les murs, les voûtes, le sol, nous demandâmes s’il n’y avait rien d’autre à voir.
– Rien d’autre, nous fut-il répondu.
– Mais la tombe du saint apôtre, où est-elle ?
– Ici en dessous. Elle est située au même endroit qu’elle occupait lorsque l’ancienne basilique était debout […]
– Mais nous aimerions voir jusque-là.
– Ce n’est pas possible […]
– Mais le pape a dit que nous pourrions tout voir. Si en revenant vers lui, il nous demandait si nous avons tout vu, je serais désolé de ne pas pouvoir répondre affirmativement.
Le monsignore [qui nous accompagnait] envoya chercher quelques clés et ouvrit une sorte d’armoire. Ici s’ouvrait une cavité qui descendait sous terre. Il faisait tout noir.
– Êtes-vous satisfait ? me dit monseigneur.
– Pas encore, je voudrais voir.
– Et comment voulez-vous faire ?
– Envoyez chercher une canne et une allumette
. Ils apportèrent une canne et une allumette, mais quand on la fit descendre, elle s’éteignit immédiatement dans l’air sans oxygène. La canne n’atteignait pas le fond. Alors, on amena une autre canne, qui avait à son extrémité un crochet en fer. Ainsi, on parvint à toucher le couvercle de la tombe de saint Pierre. Il était à sept/huit mètres de profondeur. En le frappant légèrement, le son qui remontait indiquait que le crochet heurtait tantôt le fer, tantôt le marbre. Cela confirmait ce que les historiens anciens avaient écrit.

Il faudrait tout un volume pour décrire les choses vues. Ce qui existait dans la basilique constantinienne se conserve en plaques latérales, ou sur les pavés ou dans les voûtes des sous-sols. Je retiens une seule chose : l’image de Sainte Marie de la Bocciata, très ancienne, placée sur un autel souterrain. Le nom vient du fait suivant. Un jeune homme, par mépris ou, peut-être, par inadvertance, frappa avec une boule un œil de la figure de Marie. Un grand prodige se produisit. Du sang coula du front et de l’œil qui, encore rouge, se voit au-dessus des joues de l’image. Deux gouttes jaillirent latéralement sur la pierre qui est conservée et jalousement protégée derrière deux grilles de fer.

Autels, chapelles, sépulcres
Au-dessus de l’autel papal et de la tombe de saint Pierre s’élève la vaste coupole qui émerveille quiconque l’observe. Quatre grands piliers la soutiennent : chacun d’eux a cent cinquante pas de circonférence (environ vingt-cinq trabucchi). Tout autour de cette haute coupole, il y a des ouvrages élégants en mosaïque réalisés par les auteurs les plus célèbres. Sur les pilastres sont creusées quatre niches dites Loges des Reliques, à savoir la Sainte Face de Véronique, la Sainte Croix, la Sainte Lance, et Saint André. Parmi elles, celle de la Sainte Face est célèbre, car on croit que c’est ce linge dont le Sauveur se servit pour s’essuyer le visage ruisselant de sang. Il y laissa imprimée son effigie qu’il offrit à Véronique qui, en pleurant, l’accompagnait au Calvaire. Des personnes dignes de foi racontent que cette Sainte Face a suinté du sang plusieurs fois en 1849, en changeant même de couleur au point de modifier ses traits. Ces choses ont été écrites, et les chanoines de Saint-Pierre en témoignent.

En partant de l’autel papal et en continuant vers la partie méridionale, on rencontre le sépulcre d’Alexandre VIII Ottobuoni. Il fut érigé par son neveu, le cardinal Pietro Ottobuoni. La statue du Pape assis sur un trône est en métal. Deux statues en marbre sont de chaque côté, représentant la Religion et la Prudence. L’urne, couverte du bas-relief de la canonisation de Laurent Giustiniani, Jean de Capistran, Jean de San Facondo, Jean de Dieu et Pascal Baylon, a été faite par Alexandre VIII en 1690. À côté se dresse l’autel de saint Léon le Grand sur lequel on admire le surprenant bas-relief du Pontife allant à la rencontre du féroce Attila. En haut sont représentés Pierre et Paul, le Pape à côté et Attila, effrayé par l’apparition des deux et en train de rendre hommage au Pontife. Dans une urne sous l’autel repose le corps du saint pape et docteur de l’Église. Devant se trouve la tombe de Léon XII, mort en 1829, qui avait tant de vénération pour ce glorieux prédécesseur qu’il voulut être enterré à ses côtés. […]

L’autel qui suit est dédié à la Vierge de la Colonne, ainsi nommée parce qu’on y vénère l’image de Marie peinte sur une colonne de l’ancienne basilique constantinienne. Elle y fut placée en 1607. L’autel abrite les corps de Léon II, III et IV. En continuant le tour sur la ligne méridionale, on rencontre à droite le sépulcre d’Alexandre VII Chigi avec quatre statues : JusticePrudenceCharité et Vérité. Comme ce pontife avait toujours dans son esprit la pensée de la mort, le sculpteur a étendu un drap en relief, sous lequel la Mort montre une clepsydre, qui est sur le point de se vider. Le Pape est en train de prier, les mains jointes, à genoux. L’autel à gauche est dédié aux apôtres Pierre et Paul. On y représente la chute de Simon le Magicien. En face se trouve l’autel des saints Simon et Jude qui reposent ici. L’autel à droite, quant à lui, est dédié à saint Thomas et abrite le corps de Boniface IV, tandis que celui de gauche conserve les dépouilles de Léon IX. Devant la porte de la sacristie, l’autel des saints Pierre et André représente en précieuse mosaïque la mort d’Ananie et Saphire.

On arrive ainsi à la chapelle Clémentine, dont l’autel, dédié à saint Grégoire le Grand, est surmonté d’une belle mosaïque du saint en train de convaincre les incrédules. Sous l’autel repose son corps. Au-dessus de la porte qui mène à l’orgue se trouve le monument sépulcral de Pie VII. Le Pontife, assis sur un noble siège et vêtu des habits pontificaux, est en train de bénir. Les statues placées de chaque côté représentent la Sagesse et la Force. Avant d’arriver à la nef latérale, on rencontre l’autel de la Transfiguration dont la mosaïque représente la transfiguration du Sauveur sur le mont Thabor.

La nef latérale de gauche
Quand on entre dans la nef latérale, on rencontre de chaque côté deux sépulcres, à droite celui de Léon XI des Médicis. Un bas-relief décrit le Pontife qui absout Henri IV roi de France. […] Plus bas, il y a des roses sculptées avec la devise : Sic floruit, pour indiquer la caducité de la vie et symboliser la brièveté du pontificat de Léon XI, qui ne dura que 21 jours.
Le sarcophage de gauche est celui d’Innocent XI Odescalchi. Le bas-relief superposé représente la libération de Vienne des Turcs, survenue sous son pontificat. En s’enfonçant le long de la nef, on arrive à la chapelle du chœur, enrichie de mosaïques et de peintures. Sous l’autel repose le corps de saint Jean Chrysostome. Cette chapelle a un sous-sol où sont conservées les cendres de Clément XI. Elle est appelée Chapelle Sixtine en l’honneur de Sixte IV qui en avait érigé une autre au même endroit que l’ancienne basilique. À droite, on accède à la tribune du chœur, et à la Chapelle Julia, parce que Jules II en fut l’instigateur. Au-dessus de cette porte se trouve une urne en stuc qui renferme les cendres de Grégoire XVI, mort en 1846. Cette urne est réservée pour accueillir le cadavre du dernier pontife jusqu’à ce qu’une sépulture lui soit érigée.

Le sépulcre d’Innocent VIII de la famille Cibo est en face. Ce Pape est représenté en deux figures : dans l’une il est assis avec le fer de la lance à la main, pour faire allusion à celle avec laquelle Jésus fut transpercé, offerte par Bajazet II, empereur des Turcs ; l’autre le montre étendu, sous la première. […] En face de la petite porte qui mène à l’escalier de la coupole se trouve le cénotaphe de Jacques III, roi d’Angleterre, de la famille Stuart, mort à Rome le 1er janvier 1766, et de ses deux fils, Charles III et Henri IX, cardinal, duc d’York. Les trois bustes en bas-relief sont de Antonio Canova. La dernière chapelle est celle du Baptême. La cuve baptismale est en porphyre et formait le couvercle de l’urne de l’empereur Otton II qui fut ici transportée lorsque ses cendres furent placées dans les grottes vaticanes […]

Rome. Saint-André du Quirinal
Le permis de visite se terminait à midi et demi, si bien que Monsieur Carlo, qui nous guidait, et nous aussi guidés par un bon appétit, avons remis à une autre fois la montée sur la coupole et la visite du palais du Vatican. Après le déjeuner, et quelques heures de repos, nous avons jeté un coup d’œil au Quirinal et aux choses les plus importantes près de notre demeure. Le Quirinal est l’une des sept collines de la Rome antique, ainsi nommée à cause des Quirites venus habiter ici, et d’un temple dédié à Romulus, vénéré sous le nom de Quirinus. À notre gauche, en nous dirigeant vers la place Monte Cavallo, se trouve l’église Saint-André, où se trouve aujourd’hui le noviciat des Jésuites. Elle abrite le corps du saint dans une chapelle dédiée à saint Stanislas Kostka, à l’intérieur d’une urne en lapis-lazuli ornée de marbres précieux. À côté de cette église se trouve le monastère des sœurs Dominicaines. On dit que ces deux constructions ont été élevées sur les ruines du temple de Quirinus. À droite de la rue s’élève le majestueux palais du Quirinal, commencé par Paul III il y a environ 300 ans, et terminé par ses successeurs. Il est orné d’architectures, de sculptures, de peintures et de mosaïques de grand prix. Le Pape y habite une partie de l’année. Le palais a un vaste jardin d’environ un mille de périmètre. Parmi les autres merveilles, on admire un orgue qui joue alimenté par la force de l’eau qui coule.

Devant le Quirinal s’ouvre la place Monte Cavallo, ainsi nommée à cause de deux chevaux colossaux en bronze représentant Castor et Pollux. Pie VI fit ériger un obélisque au milieu de cette place. C’est un travail exécuté sur ordre de Smarre et Efre, princes d’Égypte, et transporté à Rome par l’empereur Claude. Il ne porte pas de hiéroglyphes. Au sud domine le magnifique palais Rospigliosi, érigé là où se trouvaient autrefois les thermes de Constantin. Les amateurs des beaux-arts peuvent y visiter de nombreux chefs-d’œuvre de peinture et de sculpture.

Sainte Croix en Jérusalem
Le 4 mars était dédié à la basilique Sainte-Croix-de-Jérusalem. Le temps était nuageux, et après avoir fait un peu de chemin, nous fûmes surpris par la pluie. Ne disposant pas de parapluie, nous arrivâmes trempés comme deux souris ; mais la consolation éprouvée lors de la visite nous compensa tant de l’eau que du désagrément subi. C’est l’une des sept basiliques que l’on visite pour gagner des indulgences. Fondée par Constantin le Grand, là où se trouvait le palais dit Sassorio, elle fut appelée Basilique Sassoriana et érigée en mémoire de la découverte de la sainte Croix faite par sainte Hélène, mère de l’empereur, à Jérusalem. Cette princesse fit transporter beaucoup de terre du Calvaire, prélevée à l’endroit où fut retrouvée la Croix du Christ. L’édifice prit le nom de Sainte-Croix en raison d’une partie considérable du saint Bois qui y est conservée, et on ajouta de Jérusalem parce que cette sainte relique, avec beaucoup d’autres, provenait de cette ville. L’église fut consacrée par le pape saint Sylvestre. Sous l’autel majeur reposent les corps de saint Césaire et de saint Anastase, martyrs […].

Devant l’autel se trouve la chapelle Grégorienne, dite privilégiée car on peut y gagner l’indulgence plénière applicable aux âmes du purgatoire, tant pour ceux qui célèbrent la messe que pour ceux qui l’écoutent. À cet autel, à ma grande consolation, j’ai également célébré. À côté de l’église se dresse le couvent des Cisterciens. Le père Abbé est un certain Marchini, piémontais, qui nous a témoigné beaucoup de courtoisie. Entre autres choses, il nous a fait visiter la bibliothèque, riche de vieux parchemins et d’autres œuvres […].

Un jour de pluie
Le 5 mars fut un jour pluvieux, c’est pourquoi nous l’avons presque entièrement consacré à écrire. Il y a quelque chose de singulier à Rome : il pleut et il y a du soleil en même temps, si bien qu’à certaines époques de l’année, il faut être continuellement muni d’un parapluie pour se protéger soit du soleil, soit de la pluie. À dix heures ce jour-là, le père Lolli, recteur du noviciat des Jésuites, passait à meilleure vie, à l’église Saint-André à Monte Cavallo ; étant piémontais, il demeura longtemps à Turin où il se rendit célèbre par sa prédication et son zèle dans l’apostolat du confessionnal. La reine de Sardaigne, Marie-Thérèse, l’avait choisi comme son confesseur […].

Ce jour-là, nous avons appris que les maladies à Rome s’étaient multipliées, et que la mortalité actuelle était quatre fois supérieure à la moyenne. Rien qu’au cours des mois de janvier et février, environ 6600 personnes sont mortes ; c’est un nombre très élevé, compte tenu de la population qui s’élève à environ 130 000 habitants. Vers le soir, je suis sorti pour me faire raser la barbe. Je suis allé dans une boutique et j’ai été servi assez bien ; mais j’ai pris la résolution de ne jamais y retourner, car les coups et les secousses que me donna ce barbier avec ses grandes mains étaient tels qu’il m’aurait déplacé dents et mâchoires, s’ils n’avaient pas eu des racines bien solides.

L’Hospice Saint-Michel
Répondant à l’invitation du cardinal Tosti, le 6 mars, nous sommes allés avec la famille De Maistre visiter l’Hospice Saint-Michel. En plus de ce que j’ai dit la fois précédente, je peux ajouter ce qui suit. Le premier acte de courtoisie dont nous avons été l’objet fut un somptueux petit déjeuner, auquel nous n’avons cependant pas pu participer, car nous l’avions pris avant de partir, et étant jour de jeûne, nous ne pouvions plus manger jusqu’au déjeuner. Aussi nous sommes-nous contentés d’une petite tasse de chocolat, que Son Éminence nous a dit être compatible avec le jeûne. On nous a également servi une boisson au goût excellent à la mandarine, une sorte de vin fait avec des fruits séchés et infusés avec de l’eau et du sucre. Seul Rua, qui n’était pas obligé au jeûne, mangea quelque chose de plus solide.

Puis nous avons commencé la visite de cet hospice spacieux où sont accueillies plus de huit cents personnes. Le cardinal Tosti nous accompagna partout. Nous nous sommes arrêtés particulièrement pour considérer le travail des jeunes. Ici, ils apprennent les mêmes métiers que ceux qu’ils apprennent chez nous : la plupart s’occupent de dessin, de peinture, de sculpture ; et beaucoup travaillent dans une imprimerie interne. Le Saint-Père, pour aider l’Hospice, lui a accordé le privilège d’imprimer en exclusivité les livres scolaires utilisés dans les États Pontificaux. Au-dessus de l’édifice, il y a une terrasse avec une vue magnifique. En regardant à l’ouest, on aperçoit le campement des Français venus libérer Rome […]. À midi et demi, lorsque les garçons étaient déjà à table, le cardinal étant lui aussi très fatigué, nous avons pris congé […].

Santa Maria in Cosmedin et la Bouche de la Vérité
Comme d’habitude, il pleuvait à merveille, et Rua et moi avions un seul parapluie très petit, nous avons trouvé le moyen de nous mouiller tous les deux. Nous avons traversé le Tibre sur un pont appelé Ponte Rotto parce qu’il s’était effondré, et a été remplacé par un pont en fer très semblable à celui que nous avons sur le Pô à Turin. Autrefois, il s’appelait pont Coclite, car c’est celui-là même où Horatius Coclès opposa une résistance héroïque à l’armée de Porsenna ; quand le pont fut coupé, il se jeta dans le Tibre, passant à la nage sur l’autre rive parmi les flèches des ennemis émerveillés.

On trouve ici une rue appelée Bouche de la Vérité, car au bout de celle-ci se trouvait l’endroit où l’on conduisait ceux qui devaient prêter serment. Maintenant, il y a une église appelée Santa Maria in Cosmedin, mot qui signifie ornement, car elle fut magnifiquement ornée par le pape Adrien I. À l’intérieur, on conserve la chaire que Saint-Augustin utilisa lorsqu’il enseignait la Rhétorique. Sous le vestibule, nous nous sommes retirés en attendant que cesse l’averse qui inondait toutes les rues. Pendant que nous étions là, nous avons jeté un coup d’œil sur la place appelée également Bouche de la Vérité.

Les bouviers
Il y avait de nombreux bœufs attelés qui paissaient, exposés à la pluie, à la boue et au vent. Les bouviers s’étaient abrités sous le même vestibule, se mettant à déjeuner avec un appétit enviable. Au lieu de la soupe et du plat, ils avaient un morceau de morue crue, dont chacun arrachait un morceau. Quelques petits pains de maïs et de seigle étaient leur pain. L’eau était leur boisson. Voyant en eux un air de simplicité et de bonté, je m’approchai et engageai cette conversation.
– Avez-vous bon appétit ?
– Beaucoup, répondit l’un d’eux.
– Est-ce que ce repas vous suffit pour apaiser votre faim et vous sustenter ?
– Cela nous suffit, grâce à Dieu, quand nous pouvons en avoir, car étant pauvres, nous ne pouvons prétendre à plus.
– Pourquoi ne conduisez-vous pas ces bœufs dans les étables ?
– Parce que nous n’en avons pas.
– Les laissez-vous toujours exposés au vent, à la pluie, à la grêle jour et nuit ?
– Toujours, toujours.
– Faites-vous de même dans votre village ?
– Oui, nous faisons de même, car là-bas non plus nous n’avons pas d’étable, et donc qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, jour et nuit, ils restent toujours dehors.
– Et les vaches et les veaux sont-ils également exposés à ces intempéries ?
– Certainement. Chez nous, il est d’usage que les animaux de l’étable restent toujours dans l’étable et ceux qui commencent à être dehors restent toujours dehors.
– Habitez-vous très loin d’ici ?
– Quarante milles.
– Les jours de fête, pouvez-vous assister aux fonctions sacrées ?
– Oh ! qui en doute ? Nous avons notre chapelle, le prêtre qui nous dit la messe, fait le sermon et le catéchisme, et tous, même ceux qui sont loin, s’efforcent d’y assister.
– Allez-vous aussi parfois vous confesser ?
– Oh ! Sans aucun doute. Y a-t-il des chrétiens qui n’accomplissent pas ces saints devoirs ?
 Maintenant, nous avons le jubilé et tous, nous nous efforcerons de bien le faire.
De cette conversation apparaît la bonne nature de ces paysans, qui dans leur simplicité vivent contents de leur pauvreté et heureux de leur état, tant qu’ils peuvent accomplir les devoirs de bon chrétien et s’acquitter de ce qui concerne leur commerce.

Santa Maria del Popolo
Le dimanche 7 mars était destiné à la visite de Santa Maria del Popolo. Des personnes pieuses de la noblesse désiraient que nous allions là célébrer la messe, afin de pouvoir faire la communion. C’était une pieuse dévotion. À neuf heures, M. Foccardi, personne serviable et pleine de foi, vint nous chercher avec sa propre voiture pour nous porter au lieu indiqué. Cette église fut construite sur le lieu où avaient été enterrés Néron et la famille Domitia. La tradition dit qu’y apparaissaient continuellement des spectres qui terrifiaient les habitants au point que personne ne voulait habiter dans les environs. Le pape Pascal II, en l’an 1099, y fit élever une église, et pour éloigner l’infestation diabolique, la dédia à la Très Sainte Vierge Marie. En 1227, l’ancienne église menaçait de s’effondrer et le peuple romain contribua généreusement aux frais de reconstruction. C’est pour cela qu’elle fut appelée Santa Maria del Popolo. Une église grandiose, riche en marbres et en peintures. Au maître-autel on vénère une image miraculeuse de la Vierge, que Grégoire IX fit venir de la chapelle du Sauveur au Latran. À côté se trouve le couvent des pères Augustins.

La Porte du Peuple s’appelait autrefois Porte Flaminia, parce qu’elle était au départ de la Via Flaminia […]. De cette porte, en tournant à droite, se trouve la Villa Borghèse, un majestueux édifice digne d’être visité par les touristes en raison des nombreux objets d’art qui y sont conservés. La Porte du Peuple délimite une grande place appelée Piazza del Popolo, embellie par de nombreuses fontaines et des obélisques, qui, comme chacun le sait, sont des monuments d’une haute antiquité érigés par les rois d’Égypte pour rendre immortelle la mémoire de leurs actions. Le superbe obélisque qui s’élève au milieu de la place fut construit à Héliopolis par ordre de Ramsès, roi d’Égypte, qui régna en 522 av. J.-C. L’empereur Auguste le fit transporter à Rome ; mais par malheur, il se renversa, se brisa et fut recouvert de terre. Le pape Sixte V, en 1589, le fit déterrer et l’éleva sur la place, après l’avoir doté au sommet d’une haute croix en métal. Ses quatre faces sont couvertes de hiéroglyphes, c’est-à-dire de symboles mystérieux que les Égyptiens utilisaient pour exprimer les choses sacrées et les mystères de leur théologie.

Au fond de la place s’élève l’église Santa Maria dei Miracoli, construite par Alexandre VII, et appelée ainsi à cause d’une image miraculeuse de la Vierge qui était auparavant peinte sous un arc près du Tibre. À gauche se trouve une autre église, Santa Maria di Monte Santo, parce qu’elle a été édifiée sur une autre église qui appartenait aux carmes de la province de Monte Santo. Elle fut inaugurée en 1662. Ayant ainsi satisfait notre dévotion et notre curiosité, nous sommes de nouveau montés en voiture qui nous a conduits chez la princesse Potoska, des comtes et princes Sobieski, anciens souverains de Pologne. Le petit déjeuner préparé pour nous était somptueux, mais trop raffiné, donc peu adapté à notre appétit. Nous nous sommes arrangés du mieux que nous avons pu. Nous sommes cependant restés très satisfaits de la conversation véritablement chrétienne que ces dames ont tenue pendant le temps que nous avons passé chez elles.
Une chose suscita notre étonnement. Une fois le repas terminé, la maîtresse de maison se fit apporter un bouquet de cigares et se mit à fumer. Malgré une conversation très animée, elle continua insatiablement à fumer un cigare après l’autre, et cela me mit mal à l’aise, étant contraint de supporter l’odeur de fumée qui imprégnait toute la maison. Cela me provoquait des nausées insupportables […].

Cité du Vatican. L’ascension de la grande coupole
Nous avons réservé le 8 mars pour visiter la célèbre coupole de Saint-Pierre. Le chanoine Lantieri nous avait procuré le billet nécessaire pour satisfaire cette curiosité. L’heure à laquelle l’ascension est permise va de 7 heures à 11 heures et demie du matin. Le temps était serein et donc propice. Après avoir célébré l’eucharistie dans l’église du Gesù, où se trouvent les Jésuites, à l’autel de saint François-Xavier, nous sommes arrivés au Vatican à 9 heures en compagnie de M. Charles De Maistre. Après la remise du billet, une petite porte s’est ouverte et nous avons commencé à monter par un escalier très confortable en forme de terrasse en pente. En montant, on rencontre diverses inscriptions qui rappellent le nom et l’année de tous les papes qui ont ouvert et fermé les années jubilaires. Près du palier de la terrasse sont inscrits les personnages les plus célèbres, rois ou princes, qui sont montés jusqu’à la coupole. Nous avons également eu le plaisir de lire le nom de plusieurs de nos souverains et de la famille royale.

Nous avons jeté un coup d’œil sur la terrasse de la basilique. Elle se présente comme une vaste place pavée où l’on peut jouer à la balle, aux boules et autres. Ici habitent quelques personnes chargées de l’entretien de la partie supérieure de la basilique : menuisiers, ferronniers, travailleurs de l’asphalte. Vers le centre de la terrasse se trouve une fontaine toujours ouverte, où Rua est allé boire.
Depuis la place en contrebas, nous avons observé les statues des douze apôtres qui ornent la haute corniche de la basilique. De là-haut, elles apparaissaient petites, mais en regardant de près, nous avons remarqué qu’un gros orteil avait la taille du corps d’un homme. Cela fait comprendre à quelle hauteur nous étions. Nous avons également visité la grande cloche qui a un diamètre de plus de trois mètres, ce qui équivaut à trois trabucchi de circonférence (environ 9 mètres n.d.r.).

Une vue qui nous a beaucoup intrigués fut le jardin du Vatican où le pape a l’habitude d’aller se promener à pied. On estime qu’il a la longueur qui va de la Porta Susa au début de la Via Po. Au sud, on apercevait de vastes campagnes. Notre guide nous a dit : – Tout ce terrain était couvert de soldats français quand ils sont venus libérer notre ville des rebelles. Et il nous montrait la basilique Saint-SébastienSaint-Pierre in Montorio, Villa Panfili, Villa Corsini, tous des bâtiments qui ont subi des dommages très graves en tant que champs de bataille.
Un escalier en colimaçon sur le flanc de la coupole nous a conduits jusqu’à la première balustrade. De ce palier, il nous semblait que nous volions haut et nous éloignions de la terre. Le guide nous a ouvert une petite porte qui menait à une balustrade intérieure qui faisait le tour de la coupole. J’ai voulu la mesurer, et marchant comme un bon voyageur, j’ai compté 230 pas avant de compléter le tour. Une curiosité : à n’importe quel point de la balustrade où vous vous trouvez, en parlant même à voix basse le visage tourné vers le mur, le moindre son se communique clairement d’un mur à l’autre. Nous avons également remarqué que les mosaïques de l’église qui apparaissaient très petites vues d’en bas prenaient là-haut des formes gigantesques.
– Courage, nous exhorta le guide, si nous voulons voir d’autres choses. C’est ainsi que nous avons emprunté un autre escalier en colimaçon et sommes arrivés à la deuxième balustrade. Ici, il nous semblait que nous nous étions élevés vers le Paradis, et lorsque nous sommes entrés dans la balustrade intérieure et que nous avons abaissé notre regard sur le sol de la basilique, nous avons réalisé l’extraordinaire hauteur à laquelle nous étions parvenus. Les personnes qui travaillaient ou marchaient là en bas semblaient des petits enfants. L’autel papal, surmonté d’un baldaquin en bronze qui dépasse en hauteur les plus hautes maisons de Turin, semblait un simple fauteuil.

Le dernier étage auquel nous sommes montés est celui qui repose sur la pointe de la coupole, d’où l’on jouit peut-être de la vue la plus majestueuse qui soit au monde. Tout autour, le regard se perd dans un horizon formé par les limites de la vue humaine. On dit qu’en regardant vers l’est, on peut voir la mer Adriatique, à l’ouest la Méditerranée. Quant à nous, nous n’avons pu apercevoir que le brouillard que le temps pluvieux des jours passés avait répandu un peu partout.

Il restait la sphère, un globe qui vu d’en bas semble une des balles que nous utilisons pour passer un peu de temps ; vue de près, elle apparaissait immense. Les plus courageux, passant par un petit escalier perpendiculaire et marchant comme dans un sac, se sont hissés comme des chats à une hauteur de deux trabucchi, soit six mètres. Certains n’ont pas eu assez de courage. Nous, qui étions un peu plus téméraires, y sommes parvenus. Dans cette boule tout apparaît merveilleux. On m’avait dit qu’elle pouvait contenir seize personnes ; mais il m’a semblé que trente pouvaient y tenir confortablement. Quelques trous, comme de petites fenêtres, permettent d’observer la ville et la campagne. Mais la grande hauteur donne une certaine sensation et ne rend pas la vision tout à fait agréable. Nous pensions qu’il faisait froid là-haut. Tout le contraire : le soleil frappant sur le bronze de la boule la réchauffait à tel point qu’il nous semblait être en plein été. Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles après le déjeuner, il n’est pas permis de monter là-haut à cause de la chaleur insupportable. Là, après avoir parlé de diverses choses concernant les jeunes de l’oratoire, satisfaits de notre entreprise, presque comme si nous avions remporté une grande victoire, nous avons commencé la descente d’un pas lent et grave, pour ne pas nous casser le cou, et sans plus nous arrêter, nous sommes arrivés au sol.

Pour nous reposer un peu, nous sommes allés écouter le sermon qui venait de commencer dans la basilique. Le prédicateur nous a plu. Bonne langue, beaux gestes, mais le thème ne nous intéressait pas beaucoup car il traitait de l’observance des lois civiles. Mais ce qui n’a pas servi à nourrir l’esprit a très bien servi à donner du repos au corps. Comme il nous restait encore un peu de temps, nous l’avons utilisé pour visiter la sacristie qui est une véritable magnificence digne de Saint-Pierre.
Alors il était déjà onze heures et demie, et à cause du jeûne et de toutes nos marches, nous avions un grand appétit et c’est pourquoi nous sommes allés faire une petite collation. Comme Rua, insatisfait, jugea bon d’aller déjeuner, je suis resté seul avec M. Charles De Maistre, compagnon inséparable de cette journée. Après nous être un peu restaurés, nous sommes allés rendre visite à Mgr Borromeo, majordome de Sa Sainteté, qui nous a très bien accueillis, et, après avoir parlé du Piémont et de Milan, sa patrie, il a noté nos noms pour nous inscrire sur le catalogue des personnes qui souhaitent recevoir la palme du Saint-Père lors de la cérémonie du Dimanche des Rameaux.

Dans les célèbres musées
À côté de la loggia de ce prélat, autour de la cour du palais pontifical se trouvent les Musées du Vatican. Nous y sommes entrés et avons vu des choses vraiment exceptionnelles. J’en décris seulement quelques-unes. Il y a une salle d’une longueur extraordinaire enrichie de marbres et de peintures très précieuses. Au milieu de la deuxième arcade se dresse une fontaine d’environ un mètre et demi, faite de malachite, un des marbres les plus précieux du monde. C’est un don fait par l’empereur de Russie au Souverain Pontife. Il y a divers autres objets de ce genre. Au fond de cette grande salle à gauche s’ouvre une sorte de long couloir qui abrite le musée chrétien […] Dans ce musée se trouve la Bibliothèque Vaticane, où sont conservés les manuscrits les plus célèbres de l’antiquité […].

En parcourant Rome
Du Vatican en allant vers le centre de Rome, nous sommes arrivés à la place Scossacavalli où travaillent les rédacteurs du célèbre périodique La Civiltà Cattolica. Nous nous sommes arrêtés pour leur rendre visite et avons éprouvé un véritable plaisir à observer que les principaux soutiens de cette publication sont piémontais. Je ressentais désormais un vif désir de rentrer chez moi, surmontant toute hésitation, et nous étions presque arrivés au Quirinal, lorsque M. Foccardi nous a vus passer devant sa boutique et nous a appelés à l’intérieur. À force d’invitations et de courtoisie, il nous a retenus un moment, et au moment où nous avons demandé à partir, il nous a dit :
– Voici la voiture, je vous accompagne jusqu’à chez vous. Tout en montant dans la voiture à contrecœur, je consentis pour lui faire plaisir. Mais Foccardi, désireux de rester plus longtemps avec nous, nous fit faire un long tour, si bien que nous sommes arrivés chez nous tard dans la nuit.

À mon arrivée, on m’a remis une lettre. Je l’ouvre et la lis. Il est notifié à M. l’Abbé Bosco que Sa Sainteté a bien voulu l’admettre à l’audience demain, neuf mars, de onze heures et quart à midi. Cette nouvelle, attendue et très désirée, me procura une révolution intérieure et pendant toute la soirée, je ne parvins à parler d’autre chose que du Pape et de l’audience.

L’audience papale. Santa Maria sopra Minerva
Le 9 mars était arrivé, le grand jour de l’audience papale. Mais d’abord, j’avais besoin de parler avec le cardinal Gaude ; c’est pourquoi j’allai dire la messe dans l’église Santa Maria sopra Minerva, où le cardinal avait sa demeure. Autrefois, c’était un temple que Pompée le Grand avait fait édifier à la déesse Minerve ; elle a été appelée Santa Maria sopra Minerva parce qu’elle a été construite précisément sur les ruines de ce temple. En l’année 750, le pape Zacharie l’a donnée à un couvent de moniales grecques. En 1370, elle est passée aux pères Dominicains qui l’officient encore aujourd’hui. Devant cette église s’ouvre une place où nous avons admiré un obélisque égyptien avec des hiéroglyphes, dont la base repose sur le dos d’un éléphant en marbre. En entrant, nous avons pu admirer l’un des édifices sacrés les plus beaux de Rome. Sous l’autel majeur repose le corps de sainte Catherine de Sienne. Après avoir célébré la messe et m’étant rendu en toute hâte auprès du cardinal Gaude, je lui ai parlé, puis nous sommes partis en direction du Quirinal.

Le petit menteur
En chemin, nous avons rencontré un garçon qui, avec bonne grâce, nous a demandé l’aumône et pour nous faire connaître sa condition, il nous a dit que son père était mort, sa mère avait cinq filles et qu’il savait parler italien, français et latin. Étonné, je lui ai adressé un discours en français auquel il a répondu par un seul oui sans comprendre ce que je disais, ni articuler d’autres expressions ; je l’ai alors invité à parler latin, et il, sans prêter attention à mes paroles, il s’est mis à réciter de mémoire les mots suivants : ego stabam bene, pater meus mortuus est l’annus passatus et ego sum rimastus poverus. Mater mea etc. À ce moment-là, nous n’avons pas pu nous empêcher de rire. Cependant, nous l’avons ensuite averti de ne pas dire de mensonges et nous lui avons offert un baiocco.

L’antichambre
Cependant, l’heure de l’audience approchait […] Arrivés au Vatican, nous montâmes les escaliers machinalement. Partout, il y avait des gardes nobles, habillés de manière à ressembler à des princes. Au premier étage, on nous ouvrit la porte qui menait aux salles pontificales. Gardes et valets, vêtus avec grand luxe, nous saluaient avec de profondes révérences. Après avoir remis le billet pour l’audience, nous fûmes conduits de salle en salle jusqu’à l’antichambre papale. Comme il y avait plusieurs autres personnes qui attendaient, nous avons attendu environ une heure et demie avant d’être reçus.

Nous avons utilisé ce temps à observer les personnes et le lieu où nous nous trouvions. Les domestiques du Pape étaient habillés presque comme les évêques de nos pays. Un monsignore, à qui l’on donne le titre de prélat domestique, introduisait à tour de rôle les personnes pour l’audience au fur et à mesure que se terminait la précédente. Nous avons admiré de grandes salles bien tapissées, majestueuses, mais sans luxe. Un simple tapis de drap vert couvrait le sol. Les tapisseries étaient en soie rouge mais sans ornements. Les chaises étaient en bois dur. Un fauteuil placé sur une estrade quelque peu élégante indiquait que c’était la salle pontificale. Tout cela nous a fait plaisir, car avec nos propres yeux, nous avons pu nous rendre compte de la fausse réputation que certains répandent contre l’espace et le luxe de la cour pontificale. Alors que nous étions plongés dans diverses pensées, la clochette sonna, et le prélat nous fit signe d’avancer pour nous présenter à Pie IX. À ce moment-là, je restai vraiment confus et je dus me faire violence pour rester calme.

Pie IX
Rua me suivit en apportant une copie des Lectures Catholiques. Une fois entrés, nous fîmes la génuflexion au début, puis au milieu de la salle, enfin, la troisième, aux pieds du Pape. Toute appréhension cessa lorsque nous aperçûmes dans le Pontife l’aspect d’un homme affable, vénérable, et en même temps le plus beau que puisse peindre un peintre. Nous ne pûmes pas baiser le pied, car il était assis à la petite table ; nous lui baisâmes cependant la main, et Rua, se souvenant de la promesse faite aux clercs, la baisa une fois pour lui et une fois pour ses compagnons. Alors le Saint-Père fit signe de nous lever et de nous mettre devant lui. Moi, selon l’étiquette, j’aurais voulu parler en restant à genoux.
– Non, dit-il, levez-vous. Il convient de noter qu’en nous annonçant au Pape, notre nom fut mal lu. En effet, au lieu d’écrire Bosco, on avait écrit Bosser, c’est pourquoi le Pape commença à m’interroger :
– Vous êtes piémontais ?
– Oui, Sainteté, je suis piémontais, et en ce moment je ressens la plus grande consolation de ma vie, me trouvant aux pieds du Vicaire du Christ.
– De quoi vous occupez-vous ?
– Sainteté, je m’occupe de l’instruction de la jeunesse et des Lectures Catholiques.
– L’instruction de la jeunesse a été un apostolat utile en tous temps, mais aujourd’hui elle l’est beaucoup plus. Il y en a aussi un autre à Turin qui s’occupe de jeunes. Alors je me rendis compte que le Pape avait sous la main un nom erroné, mais, sans savoir comment, lui aussi se rendit compte que je n’étais pas Bosser, mais Bosco ; ainsi il prit un aspect beaucoup plus festif et demanda beaucoup de choses concernant les jeunes, les clercs, les oratoires […]. Ensuite, avec un visage souriant, il me dit :
– Je me souviens de l’offrande qui m’a été envoyée à Gaète et des sentiments affectueux avec lesquels ces jeunes l’accompagnèrent. J’en profitai pour lui exprimer l’attachement de nos jeunes à sa personne et je le priai d’accepter une copie des Lectures Catholiques :
– Sainteté, lui dis-je, je vous offre une copie des petits volumes parus jusqu’ici au nom de la direction ; la reliure est l’œuvre des jeunes de notre école.
– Combien sont ces jeunes ?
– Sainteté, les jeunes de la maison sont environ deux cents, les relieurs sont quinze.
– Bien, répondit-il, je veux envoyer une médaille à chacun. Puis, étant allé dans une autre pièce, après quelques instants, il revint portant quinze petites médailles de la Conception :
– Celles-ci seront pour les jeunes relieurs, dit-il en me les tendant. Se tournant ensuite vers Rua, il lui en donna une plus grande en disant :
– Celle-ci est pour votre compagnon. Puis, se tournant à nouveau vers moi, il me tendit une petite boîte qui en renfermait une plus grande :
– Et celle-ci est pour vous. Nous nous étions agenouillés pour recevoir les cadeaux mais le Saint-Père nous invita à nous lever, et croyant ensuite que nous voulions partir, il était sur le point de nous congédier, quand je commençai à lui parler ainsi :
– Sainteté, j’aurais quelque chose de particulier à vous communiquer.
– Très bien, répondit-il […].
Le Saint-Père est très rapide à comprendre les questions et très prompt à donner les réponses, c’est pourquoi avec lui on traite en cinq minutes ce qui avec d’autres demanderait plus d’une heure. Cependant, la bonté du Pape et mon vif désir de rester avec lui prolongèrent l’audience de plus d’une demi-heure, un temps très considérable tant en ce qui concerne sa personne que l’heure du déjeuner qui, à cause de nous, avait été retardée […].

Le Janicule
À 13h30 du 10 mars, le père Giacinto des Carmes Déchaux venait nous chercher avec une calèche pour nous transporter à la basilique Saint-Pancrace et à San Pietro in Montorio. Ce sont deux églises situées sur le Janicule, appelé ainsi à cause de Janus qui, dit-on, y habitait. Au sommet de cette colline, de l’autre côté du Tibre, se trouve la basilique Saint-Pancrace, construite par le pape Félix II en 485, environ 100 ans après le martyre de Pancrace. Le général Narsès, ayant vaincu les Goths, fit une solennelle procession avec le pape Pélage depuis Saint-Pancrace jusqu’à Saint-Pierre. Saint Grégoire le Grand, qui avait une grande vénération pour cette église, y célébra plusieurs fois la messe et y tint quelques homélies, enfin il la donna aux moines bénédictins. En 1673, elle fut confiée aux Carmes Déchaux avec le couvent attenant et un séminaire pour les missions des Indes […]

Sous l’autel majeur, il y a un autre autel souterrain où était anciennement conservé le corps du Saint, protégé par une grille en fer. Il y avait l’usage de conduire ceux qui étaient soupçonnés de parjure devant cette grille, car s’ils étaient coupables, ils étaient pris d’un tremblement visible ou d’un autre accident.

Les Catacombes
– Venez avec moi, nous dit le père Giacinto, nous allons dans les catacombes. Il avait préparé une lampe pour chacun. Nous nous sommes mis à le suivre. Au milieu de l’église, il nous indiqua une trappe. Quand on souleva le couvercle, apparut une cavité sombre et profonde : c’étaient les catacombes qui commençaient. À l’entrée, il était écrit en latin : « En ce lieu a été décapité le martyr du Christ Pancrace« . Nous voilà dans les catacombes. Imaginez de longs couloirs, tantôt étroits et bas, tantôt hauts et spacieux, tantôt coupés par d’autres couloirs, tantôt en descente, tantôt en montée, et vous aurez la première idée de ces souterrains. À droite et à gauche, il y a de petites tombes creusées parallèlement dans le tuf. Ici, anciennement, on enterrait les chrétiens, surtout les martyrs. Ceux qui avaient donné leur vie pour la foi étaient désignés par des emblèmes particuliers. La palme était le signe de la victoire remportée contre les tyrans ; l’ampoule indiquait qu’il avait versé son sang pour la foi ; le « χ » signifiait qu’il était mort dans la paix du Seigneur ou qu’il avait souffert pour le Christ. Dans d’autres apparaissaient les instruments avec lesquels ils avaient été martyrisés. Parfois, ces emblèmes étaient enfermés dans la petite tombe du saint. Quand les persécutions n’étaient pas trop sévères, on écrivait le nom et le prénom du martyr et quelques lignes soulignant une circonstance importante de sa vie. […]
– Voici, nous dit le guide, voici le lieu où était enterré saint Pancrace, à côté de lui saint Denis son oncle et près d’ici un autre de ses parents. Puis nous avons visité quelques tombes réunies dans une petite chambre dont les murs portaient des inscriptions anciennes que nous n’avons pas su lire. Au milieu de la voûte était peint un jeune homme qui nous parut représenter saint Pancrace […].
Cette fois, le guide nous indiqua une crypte. Crypte, mot grec, signifie profondeur. C’est un espace plus grand que d’ordinaire où les chrétiens avaient l’habitude de se rassembler, en temps de persécution, pour écouter la Parole, assister à la messe et aux fonctions sacrées. D’un côté, il y a encore un ancien autel où il est possible de célébrer. D’ordinaire, c’était la tombe d’un martyr qui servait d’autel. Après un bout de chemin, on nous montra la chapelle où saint Félix, pape, avait l’habitude de se reposer et de célébrer l’Eucharistie. Son sépulcre est à peu de distance. Partout, on voyait des squelettes humains réduits en morceaux par le temps. Notre guide nous assura que dans peu de temps nous arriverions à un endroit où se conservaient des pierres tombales avec les inscriptions intactes.

Mais nous étions très fatigués, aussi parce que l’air souterrain et les difficultés du chemin nous avaient beaucoup fatigués. Chacun devait faire attention à ne pas se cogner la tête, à ne pas heurter avec les épaules et à ne pas glisser avec les pieds. Le guide nous avertissait que les souterrains sont très nombreux et que certains s’étendent jusqu’à quinze/vingt milles. Si nous étions allés seuls, nous aurions pu chanter le requiescant in pace, car il aurait été très difficile de retrouver le chemin pour revenir à la lumière. Cependant, notre guide était très pratique et en peu de temps nous ramena au point d’où nous étions partis […].

San Pietro in Montorio
Remontés dans la voiture avec le père Giacinto, nous nous dirigeâmes vers San Pietro in Montorio. Le mot est une corruption de « mont d’or », car ici le sol et le gravier prennent une couleur jaune semblable à l’or. Il a également été appelé Castro Aureo, forteresse d’or, en raison des vestiges de la forteresse d’Ancus Martius encore existants au sommet. C’est l’une des églises fondées par Constantin le Grand, riche en statues, peintures et marbres. Entre l’église et le couvent attenant se dresse un bâtiment appelé Tempietto de Bramante de forme ronde. Il s’agit de l’un des travaux les plus remarquables de Bramante. Il a été édifié à l’endroit où saint Pierre a été martyrisé. À l’arrière, un escalier mène à une chapelle souterraine circulaire, au milieu de laquelle se trouve un trou où brûle continuellement une lumière. C’est l’endroit où fut enfoncée la pointe de la croix sur laquelle saint Pierre fut cloué la tête en bas. L’église est située là où se termine le Janicule et commence le Vatican.

Près de San Pietro in Montorio se trouve la magnifique Fontana Paolina, construite par Paul V en 1612. L’eau jaillit de trois colonnes qui semblent un fleuve. Elle arrive de Bramario, un lieu distant à 35 milles de Rome. Ces eaux, en tombant, servent à faire tourner des meules de moulin et d’autres machines et se ramifient avantageusement en divers points de la ville […].

Une mésaventure
Le 11 mars, nous avons été occupés à écrire et à faire des commissions. L’épisode de ma mésaventure à Rome mérite d’être mentionné. Je suis allé rendre visite à monsignor Pacca, prélat domestique de Sa Sainteté. Au retour, j’étais accompagné du père Bresciani, ayant envoyé Rua chercher le père Botandi à Ponte Sisto. Le bon Bresciani me conduisit jusqu’à l’académie de la Sapienza puis m’indiqua où passer pour arriver au Quirinal :
– Traversez ce quartier, puis restez toujours à droite. Au lieu de prendre à droite, je pris à gauche, si bien qu’après une heure de marche, je me retrouvai à la Piazza del Popolo, distante de presque un mille de chez moi. Pauvre de moi ! Au moins si j’avais eu Rua avec moi, nous aurions pu nous consoler mutuellement, mais j’étais seul. Le temps était nuageux, un vent fort soufflait et il commençait à pleuvoir. Que faire ? Je n’avais guère envie de dormir au milieu de cette place. Alors en toute patience je montai sur le Pincio, appelé ainsi d’après le palais d’un seigneur nommé Pincio […]. Cette colline n’est pas très habitée et n’est pas l’une des sept collines de Rome […]

Sant’Andrea della Valle
Vendredi 12, je suis allé célébrer la messe à Sant’Andrea della Valle pour la distinguer d’autres églises consacrées au même Apôtre. Valle lui fut ajouté à la fois parce que la basilique se trouve au point le plus bas de Rome et aussi à cause d’un palais appartenant à la famille Valle. Autrefois, l’église était dédiée à saint Sébastien qui avait souffert le martyre ici. Près de là, on en construisit une autre, dédiée à saint Louis roi de France. Mais en 1591, un riche seigneur nommé Gesualdo la restructura en renouvelant entièrement son plan. C’est l’une des premières églises de Rome. Sa coupole mesure 64 palmes de diamètre, et donc après Saint-Pierre au Vatican, c’est la coupole la plus grande de toutes les coupoles de la ville.
La première chapelle en entrant à gauche a une grille en fer qui indique l’endroit du cloaque où l’on croit que le corps du martyr saint Sébastien a été jeté. Presque en face de cette église se trouve le palais Stoppani qui servit de résidence à l’empereur Charles V lorsqu’il vint à Rome, comme l’indique une inscription sur le mur au pied de l’escalier.

Saint-Grégoire-le-Grand
Une heure et demie après midi, avec M. François De Maistre, notre guide, nous sommes partis pour visiter l’église Saint-Grégoire-le-Grand. Elle est construite sur une partie du mont Caelius, anciennement appelée clivus Scauri, c’est-à-dire descente de Scaurus, et était la maison habitée par saint Grégoire et les siens. C’est lui qui l’a convertie en monastère, où il a ensuite résidé jusqu’à l’année 590, d’abord comme simple moine, puis comme abbé du monastère. Lorsqu’il fut élu pape (en 590), il dédia ce bâtiment à l’apôtre saint André, transformant une partie des locaux en église. Après sa mort, elle fut dédiée à lui-même.

C’est certainement l’une des plus belles églises de Rome. La première chapelle en entrant à gauche est dédiée à sainte Sylvie, mère de saint Grégoire. La dernière à droite est celle du S. Sacrement ; sur cet autel, saint Grégoire célébrait la messe. […]. C’est cet autel, vénérable par son titre et le patronage du saint Pape, qui a été rendu célèbre dans le monde entier par les privilèges accordés par de nombreux papes. Il arriva le fait suivant : sur l’ordre du saint un moine du monastère avait offert la messe pendant trente jours consécutifs en suffrage de l’âme de son frère défunt, à la suite de quoi un autre moine vit cette âme libérée des peines du purgatoire.

À côté de cette chapelle, il y en a une autre plus petite, où saint Grégoire se retirait pour se reposer. On montre encore avec précision l’endroit où se trouvait son lit. À côté se trouve la chaise en marbre sur laquelle il s’asseyait aussi bien pour écrire que pour annoncer la parole de Dieu au peuple.
Après l’autel majeur, on rencontre la chapelle qui abrite une image très ancienne et miraculeuse de la Vierge. On croit que c’est celle que le Saint gardait chez lui et chaque fois qu’il passait devant, il la saluait en disant « Ave, Maria ». Un jour cependant, le bon Pape, pressé par des affaires urgentes, sortit sans adresser la salutation habituelle à la Vierge. Et elle lui fit ce doux reproche : « Ave, Gregori ». Par ces mots, elle l’invitait à ne pas oublier la salutation qui lui était si agréable.

Dans une autre chapelle trône la statue de saint Grégoire, un travail conçu et dirigé par Michel-Ange. Le Saint est assis sur le trône avec une colombe près de l’oreille, ce qui rappelle ce que dit Pierre Diacre, familier du Saint, à savoir qu’à chaque fois que Grégoire prêchait ou écrivait, il avait toujours une colombe qui lui parlait à l’oreille. Au centre de la chapelle se trouve une grande table en marbre sur laquelle le Pape offrait chaque jour à manger à douze pauvres, les servant de ses propres mains. Un jour, un ange sous la forme d’un jeune homme s’assit à table avec les autres, puis disparut soudainement. Depuis lors, le Saint augmenta à treize le nombre des pauvres qu’il nourrissait. Ainsi naquit l’usage de placer treize pèlerins à la table que le Pape sert chaque année de sa main le jeudi saint. Au-dessus de la table est gravé le distique suivant : « Ici Grégoire nourrissait douze pauvres ; un ange s’assit à table et compléta le nombre de treize ».

Les Saints-Jean-et-Paul
En sortant de cette église et en tournant à droite, on rencontre celle des Saints-Jean-et-Paul. L’empereur Jovien permit au moine saint Pammachius de la construire en 400 en l’honneur de ces deux frères martyrs. Elle fut édifiée sur leur habitation, précisément là où ils subirent le martyre. Elle fut ensuite restaurée par saint Symmaque Pape vers 444 […] En entrant, un majestueux bâtiment se présente à la vue. Au milieu, une grille en fer délimite l’endroit où les saints furent tués. Leurs corps, enfermés dans une urne précieuse, reposent sous l’autel majeur. Dans la chapelle à côté, sous l’autel, est conservé le corps du bienheureux Paul de la Croix, fondateur des passionnistes, à qui l’église est confiée. Ce serviteur de Dieu est un Piémontais, né à Castellazzo dans le diocèse d’Alexandrie. Il mourut en 1775 à l’âge de 82 ans. Les nombreux miracles qui se produisent à Rome et ailleurs par son intercession ont fait croître la congrégation des passionnistes, ainsi nommés en raison du quatrième vœu qu’ils font, c’est-à-dire promouvoir la vénération envers la passion du Seigneur.

Un de ces religieux, un Génois, frère André, après nous avoir accompagnés pour voir les choses les plus importantes de l’église, nous conduisit au couvent, un bel édifice qui abrite environ quatre-vingts de ces Pères, en grande partie piémontais.
– Voici, nous dit frère André, la chambre où mourut notre saint Fondateur. Nous y sommes entrés et avons admiré dans un recueillement dévot le lieu d’où partit son âme pour s’envoler au ciel.
– Là se trouve la chaise, les vêtements, les livres et d’autres objets qui ont servi au Bienheureux. Chaque objet est placé sous scellé et est distribué comme relique aux fidèles chrétiens. Cette chambre est aujourd’hui une chapelle où on célèbre la messe.

Arcs de Constantin et de Titus
Après avoir salué l’aimable frère André, nous nous sommes dirigés vers Saint-Laurent in Lucina. Mais après avoir fait un peu de chemin, nous nous sommes retrouvés sous l’Arc de Constantin. Cet arc est conservé presque intact. Une inscription du sénat et du peuple romain indique qu’il fut dédié à l’empereur Constantin à l’occasion de la victoire remportée sur le tyran Maxence. Cet empereur, devenu chrétien, fit placer au-dessus de l’arc une statue tenant une croix en main en mémoire de la croix qui lui apparut devant l’armée, pour rappeler à tout le monde qu’il professait la religion de Jésus crucifié.
Après avoir fait un autre bout de chemin, voici un autre arc, l’Arc de Titus. Il existe trois arcs à Rome et celui de Titus est le plus ancien et le plus élégant. Il est orné de bas-reliefs qui commémorent les victoires remportées par ce valeureux guerrier, et parmi eux est sculpté le chandelier du temple de Jérusalem en mémoire de la chute de cette ville et de son temple. Sous cet arc passait la célèbre Voie Sacrée, l’une des plus anciennes de Rome, ainsi appelée parce que c’est par elle qu’on portait chaque mois les choses sacrées sur la Forteresse, et parce qu’elle était parcourue par les augures pour aller prendre leurs réponses.

Arrivés à Saint-Laurent in Lucina, nous n’avons pas pu entrer à cause des travaux qu’on y effectuait. […] Cette église est l’une des plus vastes paroisses de Rome ; elle fut érigée par Sixte III avec le consentement de l’empereur Valentinien en l’honneur de saint Laurent martyr. Pour la distinguer des autres églises élevées en l’honneur de ce lévite, elle fut nommée in Lucina, soit à cause de la sainte martyre de ce nom, soit peut-être d’après le lieu qui s’appelait ainsi. Annexé à cette église, vers le cours, se trouve le palais Ottobuoni, construit vers l’an 1300 sur les ruines d’un grand édifice ancien appelé Palais de Domitien. Comme nous étions fatigués et que l’heure du déjeuner approchait, nous sommes rentrés chez nous […].

Sainte-Marie-des-Anges
[…] Le 13 mars, la station de carême était à Saint-Marie-des-Anges, et nous y sommes allés pour gagner l’indulgence plénière et pour prier Dieu en faveur de notre maison. Pour distinguer cette église d’une autre du même nom, on la situe près des Thermes de Dioclétien, car elle est construite sur le lieu où s’élevaient autrefois les célèbres thermes, c’est-à-dire les bains de l’empereur Dioclétien. Le souverain pontife Pie IV confia au vaste génie de Michel-Ange Buonarroti la mission de transformer en église une partie de ces superbes édifices. Dans un salon des thermes, il y avait déjà une petite église dédiée à saint Cyrille martyr. Celle-ci fut incluse dans la nouvelle église, que le Pape dédia à sainte Marie des Anges, pour faire plaisir au duc et roi de Sicile, dévot des Anges, qui coopéra beaucoup à sa construction.

Le jour de la station de carême, l’église est ornée avec une élégance particulière, et les reliques les plus insignifiantes sont exposées à la vénération publique. Dans une chapelle à côté de l’autel majeur se trouvait le reliquaire avec de nombreuses reliques parmi lesquelles nous avons remarqué les corps de saint Prosper, saint Fortunat, saint Cyrille, de plus la tête de saint Justin et de saint Maxime martyrs et de nombreux autres. Ainsi, notre dévotion satisfaite, nous sommes rentrés chez nous vers six heures, très fatigués et avec un bon appétit.

Sainte-Marie-du-Chêne
Dimanche 14 mars, nous avons célébré à la maison, puis nous sommes allés visiter un oratoire, selon les indications reçues du marquis Patrizi. L’église où se rassemblent les jeunes s’appelle Saint-Marie-du-Chêne. Voici son origine, qui remonte aux temps de Jules II. Une image de Marie avait été peinte sur une tuile par un certain Battista Calvaro, qui la plaça sur un chêne dans sa vigne à Viterbe. Cette image resta cachée pendant soixante ans, jusqu’à ce qu’en 1467 elle commence à se manifester en accordant tant de grâces et de miracles que les fidèles qui venaient la visiter élevèrent avec leurs offrandes une église et un monastère. Le Pape Jules II souhaita qu’il y ait aussi à Rome un sanctuaire dédié à Marie du Chêne, qui est celui dont nous parlons.
Entrés dans l’église, et arrivés dans la spacieuse sacristie, nous fûmes réjouis par la vue d’une quarantaine de garçons. Par leur vivacité, ils ressemblent beaucoup aux espiègles de notre oratoire. Leurs fonctions sacrées se déroulent toutes le matin. Messe, confession, catéchisme et une brève instruction, c’est ce qu’on fait pour eux […].

Après-midi, les jeunes vont à Saint-Jean-des-Florentins, un autre oratoire où il n’y a que la récréation sans fonctions à l’église. Nous y sommes allés et avons vu environ une centaine de jeunes qui s’amusaient à perdre haleine. Leurs jeux étaient la tombola et la cloche, connues aussi chez nous. Ils pratiquent également le jeu du trou qui consiste en cinq trous assez larges dans lesquels on met deux châtaignes ou autre chose. D’une distance de six pas, on fait rouler une boule. Celui qui réussit à la faire entrer dans l’un des trous gagne ce qu’il y a à l’intérieur. Nous fûmes très déçus par le fait qu’ils n’avaient que la récréation. S’il y avait un prêtre parmi eux, celui-ci pourrait faire du bien à leurs âmes, car il y a un grand besoin. D’autant plus que nous avons trouvé chez eux de bonnes dispositions. Plusieurs prenaient plaisir à dialoguer avec nous. Ils nous baisaient plusieurs fois la main, à moi et aussi à Rua qui, malgré lui, était contraint d’acquiescer […]

De retour à la maison, nous reçûmes la visite de Mgr Mérode, maître de chambre de Sa Sainteté. Après quelques politesses, il m’annonça que le Saint-Père m’invitait à prêcher les exercices spirituels aux détenues dans les prisons près de Sainte-Marie-des-Anges aux thermes de Dioclétien. Chaque désir du Pape est pour moi un commandement et donc j’acceptai avec un véritable plaisir […]

À la prison des femmes
À deux heures de l’après-midi, je me rendis chez la supérieure de la prison pour convenir du jour et de l’heure pour commencer la prédication. Elle me dit :
– Si cela vous convient, vous pouvez commencer tout de suite, car les femmes sont à l’église et il n’y a personne pour prêcher. Ainsi, j’ai commencé tout de suite et la semaine fut presque entièrement consacrée à ce ministère. La maison de correction s’appelle Aux Thermes de Dioclétien car elle est située au même endroit où se trouvaient les thermes de cet empereur célèbre. Y étaient hébergées 260 détenues coupables de graves délits et condamnées à la prison […]. Les exercices se déroulèrent avec satisfaction. La prédication simple et populaire que nous utilisons chez nous s’est révélée fructueuse dans cette prison. Le samedi, après la dernière prédication, la mère supérieure m’annonça avec grand plaisir qu’aucune des condamnées n’avait omis de s’approcher des Sacrements.

Deux épisodes
Un épisode agréable est arrivé au Saint-Père cette semaine. Le comte Spada lui rendit visite et engagea cette conversation :
– Sainteté, j’aimerais vous demander un souvenir de cette visite.
– Demandez ce que vous voulez et j’essaierai de vous satisfaire.
– Je voudrais quelque chose d’extraordinaire.
– Très bien, demandez donc.
– Sainteté, je souhaiterais avoir comme souvenir votre tabatière.
– Mais elle est pleine d’un tabac de qualité inférieure.
– Peu importe ; elle me sera très chère.
– Prenez-la, je vous en fais cadeau avec plaisir
. Le comte Spada partit plus heureux avec cette tabatière qu’avec un grand trésor. Elle est simple, en corne de buffle, reliée par deux anneaux en laiton et ne vaut pas quatre sous, mais elle est très précieuse en raison de sa provenance. Le bon comte la montre à ses amis comme un objet digne de vénération […]

Une autre anecdote m’a été racontée sur ce vénérable Pontife. L’année dernière, alors que le Saint-Père voyageait à travers ses États, il se trouva à proximité de Viterbe. Une petite fille portant un fagot de bois, voyant que la voiture pontificale s’était arrêtée, pensa que ces messieurs voulaient acheter son fagot. Elle courut vers eux :
– Monsieur, dit-elle au Saint-Père, achetez-le, le bois est très sec.
– Nous n’en avons pas besoin, 
répondit le Pape.
– Achetez-le, je vous le donne pour trois 
baiocchi.
– Prends les trois 
baiocchi et garde ton fagot. Le Saint-Père lui donna trois écus, puis se prépara à remonter dans la voiture. Mais la petite fille voulait que le Saint-Père prenne son fagot.
– Prenez-le, vous serez contents ; dans votre voiture, il y a beaucoup de place. Pendant que le Pape et sa cour riaient de cette affaire, la mère de la fillette, qui travaillait dans un champ voisin, accourut en criant :
– Saint-Père, Saint-Père, pardonnez ; cette pauvre fille est ma fille. Elle ne vous connaît pas. Ayez pitié de nous qui sommes dans une grande misère. Le Pape ajouta encore six écus et continua son chemin […]

Saint-Paul hors les murs
Le 22 mars, dimanche, Don Bosco se rendit chez le cardinal vicaire, l’éminentissime Costantino Patrizi […] Sorti du Vicariat, il se rendit à Saint-Paul-hors-les-Murs pour vénérer le tombeau du grand Apôtre des Gentils et admirer les merveilles de cette immense basilique. Après avoir marché un mille, il arriva au célèbre endroit appelé Ad Aquas Salvias, où saint Paul versa son sang pour Jésus-Christ. C’est précisément à cet endroit, où se trouvent trois sources d’eau miraculeuses, jaillies des mottes sur lesquelles la tête tranchée du saint Apôtre fit trois bonds, qu’une église a été construite. Don Bosco pria également dans l’église voisine de Sancta Maria Scala Coeli, de forme octogonale, édifiée sur le cimetière de saint Zénon, un tribun qui subit le martyre sous Dioclétien, avec 10203 de ses compagnons d’armes […]

Le Colisée
Le 23 mars, son regard ébahi contempla les gigantesques ruines de l’amphithéâtre Flavien ou Colisée, de forme ovale, avec une circonférence extérieure de 527 mètres, et encore haut de cinquante mètres par endroits. À l’époque de sa splendeur, il était couvert de marbres, orné de colonnades, de centaines de statues, d’obélisques, de quadriges en bronze ; et à l’intérieur, il soutenait tout autour d’immenses gradins, qui pouvaient contenir environ 200000 personnes, pour assister aux combats de bêtes féroces et de gladiateurs, et aux massacres de milliers de martyrs. Don Bosco entra dans l’arène des spectacles qui mesure 241 mètres de circonférence […]

Saint-Clément
Le 24, Don Bosco se rendit à la basilique Saint-Clément pour vénérer les reliques du quatrième pape après saint Pierre, et celles de saint Ignace martyr, évêque d’Antioche ; ainsi que pour admirer l’architecture de l’antique église à trois nefs. Dans celle du milieu, devant l’autel de la Confession, un enclos en marbre blanc délimite le chœur pour le clergé. Il est doté de deux pupitres, l’un pour le chant de l’évangile, près duquel se dresse la petite colonne du cierge pascal, et l’autre pour la lecture de l’épître. À côté de ce dernier se trouvait le lutrin pour les chanteurs et lecteurs des prophéties et des autres livres des Écritures ; autour de l’abside, les sièges des prêtres, et, au fond, au centre sur trois marches, la chaire épiscopale […].

De là, Don Bosco se dirigea vers l’église des Quatre-Couronnés, pour visiter les tombeaux des martyrs Sévère, Séverin, Carpophore et Victorin, tués sous Dioclétien. Il passa ensuite à Saint-Jean devant la Porte Latine, près de laquelle se dresse une chapelle sur le lieu où saint Jean Évangéliste fut plongé dans la chaudière d’huile bouillante ; de là, il continua jusqu’à la petite église Quo Vadis, ainsi nommée parce qu’à cet endroit le Seigneur apparut à saint Pierre qui sortait de Rome pour échapper à la persécution :
– Seigneur, où vas-tu ? s’écria l’Apôtre étonné. Et Jésus lui répondit :
– Je vais pour être crucifié une nouvelle fois. Saint Pierre comprit et retourna à Rome où l’attendait le martyre. Après avoir vu cette petite église, Don Bosco refit le chemin, après avoir jeté un coup d’œil sur la Via Appia, le long de laquelle on compte de nombreux mausolées de l’époque du paganisme, qui rappellent la fin de toute grandeur humaine.

Don Bosco… salésien !
Une scène charmante se produisit le matin du 25 mars. Après avoir traversé le Tibre, Don Bosco vit sur une petite place une trentaine de garçons qui s’amusaient. Il se dirigea vers eux sans hésiter et eux, suspendant leurs jeux, le regardaient émerveillés. Il leva alors la main en tenant entre ses doigts une médaille, puis s’exclama :
– Vous êtes trop nombreux et je suis désolé de ne pas avoir assez de médailles pour en offrir une à chacun d’entre vous. Ceux-ci, prenant courage, tendaient leurs mains en criant à pleine voix :
– Ça ne fait rien, ça ne fait rien… à moi, à moi ! Don Bosco ajouta :
– Eh bien, comme je n’en ai pas pour tous, je veux offrir cette médaille au plus gentil. Qui parmi vous est le plus gentil ?
– C’est moi, c’est moi !
 crièrent-ils tous ensemble. Il continua :
– Comment puis-je faire, si vous êtes tous également gentils ? Alors je la donnerai au plus espiègle ! Qui parmi vous est le plus espiègle ?
– C’est moi, c’est moi !
 répondirent-ils avec des cris assourdissants.
Le marquis Patrizi et ses amis, à une certaine distance, souriaient tout émus et stupéfaits de voir Don Bosco traiter si familièrement ces garçons, qu’il rencontrait pour la première fois ; et ils s’exclamaient :
– Voici un autre saint Philippe Néri, ami de la jeunesse. Don Bosco en effet, comme s’il avait été un ami déjà connu de ces enfants, continua à les interroger, s’ils avaient déjà assisté à la messe, dans quelle église ils avaient l’habitude d’aller, s’ils fréquentaient les oratoires qui étaient dans ces parages. […] Le dialogue était animé. Après les avoir exhortés à être toujours de bons chrétiens, Don Bosco promit qu’il passerait une autre fois par cette place et offrirait une médaille à chacun ; puis, les saluant affectueusement, il retourna vers ses accompagnateurs en montrant la médaille. Il n’avait rien donné aux garçons, et pourtant il les avait laissés contents.

Santo Stefano Rotondo
Le 26 mars, Don Bosco retourna au Caelius dans la spacieuse église Santo Stefano Rotondo, ainsi nommée à cause de sa forme ronde. Le corniche circulaire est soutenue par 56 colonnes. Tout autour des murs sont peintes les scènes des atrocités que subirent les martyrs. Elle est ornée de mosaïques du VIIe siècle, représentant Jésus crucifié, avec quelques saints, et conserve les corps de deux confesseurs de la foi : saint Primus et saint Félicien. De là, Don Bosco passa à Sainte-Marie in Dominica, ou de la Navicella, la barque en marbre qui se trouve sur la place. Elle a trois nefs séparées par 18 colonnes et contient des mosaïques du IXe siècle. Parmi celles-ci, la Vierge est à la place d’honneur parmi de nombreux anges et à ses pieds est agenouillé le pape Pascal […].

Cependant, le Saint-Père avait exprimé le désir que Don Bosco assiste au Vatican au dévot et magnifique spectacle des cérémonies de la Semaine Sainte. Il avait donc chargé monsignor Borromeo de l’inviter en son nom, et de lui procurer une place d’où il puisse assister confortablement aux rites sacrés. Ce monsignor le fit rechercher toute la journée sans succès. Enfin, à une heure très tardive, le messager le trouva chez De Maistre où il était retourné après une journée de visites. En disant qu’il venait par ordre du Pape, il fut introduit et présenta à Don Bosco la lettre d’invitation, par laquelle il était admis à recevoir la palme bénie des mains mêmes du Pape. Don Bosco la lut immédiatement et s’exclama qu’il irait avec grand plaisir.

Pâques romaines de Don Bosco. Le Dimanche des Rameaux
Dimanche 28 mars, avec le clerc Rua, il entra dans la basilique Saint-Pierre bien avant le début des fonctions. Le comte Carlo De Maistre l’accompagna à sa place, dans la tribune des diplomates. Il était très attentif car il connaissait l’importance des cérémonies de l’Église. À ses côtés se tenait un milord anglais protestant, émerveillé par tant de solennité. À un certain moment, un chanteur de la chapelle Sixtine exécuta un solo tellement bien que Don Bosco en fut ému aux larmes et le milord se tourna vers lui en s’exclamant en latin, car dans une autre langue il ne savait pas comment se faire comprendre :
– Post hoc paradisus ! Ce monsieur, après un certain temps, non seulement se convertit au catholicisme, mais devint prêtre et évêque. Après avoir béni les rameaux, le corps diplomatique défila à tour de rôle devant le Pontife, et chaque ambassadeur et ministre reçut la palme de ses mains. Don Bosco et le séminariste Rua s’agenouillèrent également aux pieds du Pape et reçurent la palme. Ainsi le voulut Pie IX : Don Bosco n’était-il pas l’ambassadeur de Dieu ? Le séminariste Rua retourna chez les Rosminiens et offrit la sienne au père Pagani, qui l’apprécia beaucoup […].

Don Bosco caudataire
Le cardinal Marini, l’un des deux assistants au trône, prit Don Bosco comme caudataire afin qu’il puisse assister à toutes les fonctions de la semaine sainte, Ainsi, en robe violette, il se tenait tout le temps presque à côté du Pape, et put apprécier les chants grégoriens et les musiques d’Allegri et de Palestrina.
Le jeudi saint, le cardinal Mario Mattei, étant le plus ancien des évêques suburbicaires, pontifia à la place du cardinal doyen empêché. Don Bosco suivit le Pontife qui portait processionnellement le Saint-Sacrement dans la chapelle Pauline pour le placer dans l’urne spécialement préparée ; il l’accompagna jusqu’à la Loggia vaticane d’où le Pape bénit Rome et le monde ; il assista au lavement des pieds fait par le Pontife à treize prêtres, et participa à la cène commémorative, servie par le Vicaire de Jésus-Christ lui-même.

La bénédiction Urbi et Orbi
[…] Le 4 avril, les salves d’artillerie du Château Saint-Ange annonçaient le jour de Pâques. Pie IX descendit dans la basilique vers dix heures pour la messe pontificale. Immédiatement après, précédé par le cortège des évêques et des cardinaux, il se rendit à la Loggia pour la bénédiction Urbi et Orbi. Avec le cardinal Marini et un évêque, Don Bosco resta un instant près du rebord recouvert d’un magnifique drap, sur lequel avaient été déposés trois Trirègnes d’or. Le cardinal dit à Don Bosco :
– Observez le spectacle ! Don Bosco parcourait la place de ses yeux ébahis. Une foule de 200.000 personnes s’y entassait, le visage tourné vers la Loggia. Les toits, les fenêtres, les terrasses des maisons, tout était occupé. L’armée française remplissait une partie de l’espace compris entre l’obélisque et l’escalier de Saint-Pierre. Les bataillons de l’infanterie pontificale étaient alignés à droite et à gauche. Derrière, la cavalerie et l’artillerie. Des milliers de voitures étaient arrêtées sur les deux côtés de la place, près des portiques de Bernini, et au fond près des maisons. Surtout sur les voitures à louer se tenaient des groupes de personnes qui semblaient dominer la place. C’était un vacarme assourdissant, un piétinement de chevaux, une confusion incroyable. Personne ne peut se faire une idée d’un tel spectacle.

Pris au piège
Don Bosco avait laissé le Pape dans la basilique pendant qu’il vénérait les reliques précieuses, croyant qu’il mettrait du temps à apparaître. Absorbé dans contemplation de tous ces gens de toutes nationalités, il ne remarqua pas l’arrivée de la sedia gestatoria sur laquelle était assis le Pape. Il se trouva dans une position difficile ; coincé entre la sedia papale et la balustrade, il pouvait à peine bouger ; tout autour, des cardinaux, des évêques, des cérémoniaires et des porteurs étaient entassés, si bien qu’il ne voyait aucune issue pour se tirer d’affaire. Tourner le visage vers le Pape était inconvenant ; lui tourner le dos était incivil ; rester au centre du balcon était ridicule. Ne pouvant faire mieux, il se tourna sur le côté ; alors la pointe d’un pied du Pape se posa sur son épaule.

À ce moment-là, un silence solennel régnait sur la grande place au point qu’on aurait pu entendre le bourdonnement d’une mouche. Les chevaux eux-mêmes restaient immobiles. Don Bosco, pas du tout troublé et attentif à chaque détail, remarqua qu’on n’entendit qu’un seul hennissement et le son d’une horloge qui sonnait les heures pendant que le Pape récitait les prières rituelles. Voyant que le sol de la Loggia était couvert de feuillages et de fleurs, il se pencha et ramassa quelques fleurs qu’il mit entre les pages du livre qu’il tenait à la main. Enfin, Pie IX se leva pour bénir : il ouvrit les bras, leva les mains vers le ciel, les étendit sur la multitude qui baissa le front, et sa voix sonore, puissante et solennelle en chantant la formule de la bénédiction s’entendait au-delà de la place Rusticucci et depuis le grenier des Pères de la Civiltà Cattolica.

La foule répondit par une immense ovation. Alors le cardinal Ugolini lut en latin le Bref de l’indulgence plénière et tout de suite après le cardinal Marini le répéta en italien. Don Bosco s’était agenouillé, et quand il se releva, le cortège papal avait déjà disparu. Toutes les cloches sonnaient à fête, le canon tonnait depuis le Château Saint-Ange, les musiques militaires faisaient résonner leurs trompettes. Le cardinal Marini, accompagné du caudataire, descendit et se dirigea vers sa voiture. À peine celle-ci se mit-elle en mouvement, que Don Bosco se sentit pris d’un malaise provoqué par ce mouvement qui lui retournait l’estomac ; ne pouvant plus résister, il manifesta au cardinal son incommodité. Sur son conseil, il monta à côté du cocher, mais le malaise ne diminua pas. Alors il descendit pour marcher à pied. Étant en habit violet, il aurait été l’objet de curiosité ou de moquerie s’il avait traversé Rome ainsi ; c’est pourquoi le secrétaire descendit gentiment de la voiture et l’accompagna au palais […].

Le souvenir du Pape
Le 6 avril, Don Bosco retourna à une audience particulière de Pie IX avec le clerc Rua et le théologien Murialdo, admis au Vatican par l’intercession de Don Bosco lui-même. Ils entrèrent dans l’antichambre à neuf heures du soir, et immédiatement Don Bosco fut introduit. Dès que le Pape le vit devant lui, lui il dit d’un air sérieux :
– Abbé Bosco, où vous êtes-vous caché le jour de Pâques pendant la bénédiction papale ? Là, devant le Pape, l’épaule sous son pied comme si le Pontife avait besoin d’être soutenu par Don Bosco.
– Saint-Père, répondit-il calmement et humblement, j’ai été pris par surprise et je demande pardon si je vous ai offensé d’une manière ou d’une autre !
– Et vous ajoutez encore l’affront de me demander si vous m’avez offensé ? Don Bosco regarda le Pape et il eut l’impression qu’il faisait semblant : un sourire commençait à apparaître sur ses lèvres. Mais qu’est-ce qui vous a pris de ramasser des fleurs à ce moment-là ? Il a fallu toute la gravité de Pie IX pour ne pas éclater de rire. […]
– Maintenant, Très Saint-Père, supplia Don Bosco, ayez la bonté de me suggérer une consigne que je puisse répéter à mes jeunes, comme souvenir du Vicaire du Christ.
– La présence de Dieu ! répondit le Pape. Dites à vos jeunes qu’ils se comportent toujours avec cette pensée !… Et vous n’avez rien à me demander ? Vous désirez certainement quelque chose aussi.
– Saint-Père, Votre Sainteté a bien voulu m’accorder ce que j’ai demandé, maintenant il ne me reste plus qu’à vous remercier du fond du cœur.
– Et pourtant, et pourtant, vous désirez encore quelque chose. À ces mots Don Bosco se tenait là comme suspendu sans prononcer un mot. Le Pontife ajouta :
– Mais comment ? Vous ne désirez pas faire en sorte que vos jeunes soient joyeux, quand vous serez de retour parmi eux ?
– Sainteté, cela oui.
– Alors attendez. Quelques instants auparavant étaient entrés dans cette pièce le théologien Murialdo, le clerc Rua et don Cerutti de Varazze, chancelier à la Curie Archiépiscopale de Gênes. Ils restèrent stupéfaits de la familiarité avec laquelle le Pape traitait Don Bosco et de ce qu’ils voyaient dans cette circonstance. Le Pape avait ouvert le coffre, en avait tiré une poignée de pièces d’or et sans les compter les avait portées à Don Bosco en disant :
– Prenez et donnez ensuite un bon goûter à vos garçons. Chacun peut imaginer l’impression que fit sur Don Bosco cet acte de bonté de Pie IX. Avec une grande bienveillance le Pape s’adressait aussi aux ecclésiastiques arrivés, bénissait les chapelets, les crucifix et d’autres objets de dévotion qui lui étaient présentés, et donnait à tous une médaille souvenir.

Le défi éducatif de Don Bosco
Parmi les cardinaux à qui il voulut rendre hommage, il y avait l’Éminentissime Tosti, qui lui avait permis de parler aux jeunes de l’Hospice Saint-Michel. Celui-ci, satisfait de la courtoisie de Don Bosco, voulut l’avoir comme compagnon à l’heure de sa promenade. Ainsi tous deux montèrent en voiture. On commença à parler du système le plus adapté à l’éducation des jeunes. Don Bosco restait persuadé que les élèves de cet hospice n’avaient pas de familiarité avec les supérieurs ; au contraire, ils les craignaient ; cela ne convenait pas, car les éducateurs étaient des prêtres. C’est pourquoi il disait :
– Voyez-vous, Éminence, il est impossible d’éduquer correctement les jeunes s’ils n’ont pas confiance en leurs supérieurs.
– Mais comment, répliquait le cardinal, peut-on gagner cette confiance ?
– En faisant en sorte qu’ils s’approchent de nous, en éliminant toute cause qui les éloigne.
– Et comment peut-on faire pour les rapprocher de nous ?
– En nous approchant d’eux, en cherchant à nous adapter à leurs goûts, en nous rendant semblables à eux. Voulez-vous que nous fassions un essai ? Dites-moi : à quel endroit de Rome peut-on trouver un bon nombre de garçons ?
– À la Piazza Termini et à la Piazza del Popolo, répondit le cardinal.
– Eh bien, allons à la Piazza del Popolo.

Le cardinal donna l’ordre au cocher. À peine arrivés, Don Bosco descendit de voiture, et le prélat resta à l’observer. Ayant vu un groupe de jeunes qui jouaient, il s’approcha, mais les espiègles s’enfuirent. Alors il les appela avec de bonnes manières et ceux-ci, après quelques hésitations, s’approchèrent. Don Bosco leur offrit quelques petites choses, demanda des nouvelles de leurs familles, demanda quel jeu ils faisaient et les invita à continuer. Il s’arrêta d’abord pour les regarder, puis il commença à y participer. Alors d’autres qui observaient de loin accoururent en grand nombre des quatre coins de la place autour du prêtre, qui accueillait tous avec affection et qui avait pour chacun une bonne parole et un petit cadeau. Il demandait s’ils étaient bons, s’ils disaient les prières, s’ils allaient se confesser. Quand il voulut s’éloigner, ils le suivirent sur une bonne distance, le laissant seulement lorsqu’il remonta en voiture. Le cardinal était émerveillé.
– Avez-vous vu ?
– Vous aviez raison !
 s’exclama le cardinal […].

Les dernières visites
Les dernières visites de Don Bosco furent réservées à la Confession de Saint Pierre et aux Catacombes. Après avoir prié dans la basilique Saint-Sébastien, ayant vu deux des flèches qui blessèrent le saint tribun et la colonne à laquelle il fut attaché, il descendit dans les galeries souterraines qui abritèrent les os de milliers de martyrs, et où saint Philippe Néri passa tant de nuits en prière. Il passa ensuite aux Catacombes Saint-Calliste. Là l’attendait le chevalier Jean-Baptiste De Rossi, qui les avait découvertes, et auquel monsignor di San Marzano l’avait présenté.
Quiconque entre dans ces lieux éprouve une telle émotion, qu’elle lui reste toute sa vie. Don Bosco était absorbé dans des pensées saintes en parcourant ces souterrains, où les premiers chrétiens avaient trouvé la force nécessaire pour affronter le martyre dans la messe, les prières en commun, le chant des psaumes et des prophéties, la communion eucharistique, l’écoute des évêques et des papes. Il est impossible de contempler sans émotion ces loculi qui avaient renfermé les corps ensanglantés ou brûlés de tant de héros de la foi, les tombes de quatorze papes qui avaient donné leur vie pour témoigner de ce qu’ils enseignaient, et la crypte de sainte Cécile.

Don Bosco observait les très anciennes fresques qui représentaient Jésus-Christ et l’Eucharistie, les images du mariage de la Sainte Vierge avec saint Joseph, l’Assomption de Marie au ciel, la Mère de Dieu avec l’enfant dans les bras ou sur les genoux. Il était ravi par le sentiment de modestie qui brillait dans ces images, dans lesquelles l’art chrétien primitif avait su reproduire la beauté incomparable de l’âme et de l’idéal très élevé de la perfection morale qui doit être attribuée à la Vierge. D’autres figures de saints et de martyrs ne manquaient pas non plus. Don Bosco sortit des catacombes à 18 heures. Il y était entré à 8 heures du matin […]

Retour à la maison
Le 14 avril, Don Bosco partit de Rome avec le clerc Rua, heureux d’avoir pu jeter les bases de la Société de Saint François de Sales. […] Il prit une voiture à louer, fit une brève halte à Palo où il trouva l’aubergiste parfaitement délivré de ses fièvres : sa guérison avait été instantanée. Celui-ci n’oubliera jamais ce qui s’est passé, et vers 1875 ou 1876, arrivé à Gênes pour des raisons commerciales, il voulut continuer son voyage jusqu’à Turin. Ayant demandé et su par télégraphe que Don Bosco était à l’Oratoire, il y alla ; mais ce jour-là, il était à déjeuner chez M. Occelletti Carlo. Alors il se rendit là pour le trouver et lui faire fête sans fin. M. Occelletti se souvint toujours avec grand plaisir du récit qu’il avait entendu de cette guérison. Arrivé à Civitavecchia et ayant rendu visite au délégué pontifical, Don Bosco se rendit au port pour embarquer.

Les vagues cette fois-ci étaient calmes et le temps était beau, si bien qu’il put descendre à Livourne, s’entretenir avec quelques amis et visiter quelques églises. Ils reprirent la mer au crépuscule, et don Rua se souvient que le navire arriva au port de Gênes à l’aube d’une splendide aurore qui illuminait le magnifique panorama de cette superbe ville. Ayant à peine mis le pied sur terre, Don Bosco se rendit au collège des Artigianelli, où l’attendaient Don Montebruno et M. Giuseppe Canale. Après-midi, il monta dans le train. En traversant la ville, il éprouva une agréable surprise : lorsque les cloches sonnèrent l’Angelus, de nombreuses personnes dans les rues et sur les places se découvraient la tête, et mêmes les porteurs s’étaient levés de leurs bancs pour réciter la prière. Plus d’une fois, il raconta le fait pour l’édification de ses élèves. Il arriva à Turin le 16 avril, accueilli par les jeunes avec tant de fête et d’affection, qu’aucun père ne pourrait en souhaiter davantage de ses propres fils.




Béatification de Camille Costa de Beauregard. Et après…?

Le diocèse de Savoie et la ville de Chambéry ont vécu trois journées historiques, les 16, 17 et 18 mai 2025. Un compte rendu des faits et des perspectives d’avenir.

            Les reliques de Camille Costa de Beauregard ont été transférées du Bocage à l’église Notre-Dame (lieu du baptême de Camille), le vendredi 16 mai. Un magnifique cortège a ensuite parcouru les rues de la ville à partir de vingt heures. Après les cors des Alpes, les cornemuses ont pris le relais pour ouvrir la marche, suivies d’un char fleuri transportant un portrait géant du « père des orphelins ». Suivaient ensuite les reliques, sur une civière portée par de jeunes lycéens du Bocage, vêtus de magnifiques sweats rouges sur lesquels on pouvait lire cette phrase de Camille : « Plus la montagne est haute, mieux on voit loin« . Plusieurs centaines de personnes de tous âges défilaient ensuite, dans une ambiance « bon enfant ». Le long du parcours, les curieux, respectueux, s’arrêtaient, ébahis, de voir passer ce cortège insolite.
            À l’arrivée à l’église Notre-Dame, un prêtre était là pour animer une veillée de prière soutenue par les chants d’une belle chorale de jeunes. La cérémonie se déroulait donc dans un climat détendu, mais recueilli. Tous défilaient, à la fin de la veillée, pour vénérer les reliques et confier à Camille une intention personnelle. Un très beau moment !
            Samedi 17 mai. Grand jour ! Depuis Pauline Marie Jaricot (béatifiée en mai 2022), la France n’avait pas connu de nouveau « Bienheureux ». Aussi toute la Région Apostolique se trouvait représentée par ses évêques : Lyon, Annecy, Saint-Étienne, Valence, etc… À ceux-ci s’étaient ajoutés deux anciens archevêques de Chambéry : Monseigneur Laurent Ulrich, actuellement archevêque de Paris et Monseigneur Philippe Ballot, évêque de Metz. Deux évêques du Burkina Faso avaient fait le déplacement pour participer à cette fête. De nombreux prêtres diocésains étaient venus concélébrer, ainsi que plusieurs religieux dont sept Salésiens de Don Bosco. Le nonce apostolique en France, Monseigneur Celestino Migliore, avait mission de représenter le cardinal Semeraro (Préfet du Dicastère pour les causes des saints) retenu à Rome pour l’intronisation du pape Léon XIV. Inutile de dire que la cathédrale était comble, ainsi que les chapiteaux et le parvis et le Bocage : plus de trois mille personnes en tout.
            Quelle émotion, lorsqu’après la lecture du décret pontifical (signé la veille seulement par le pape Léon XIV) lu par le père Pierluigi Caméroni, postulateur de la cause, le portrait de Camille a été dévoilé dans la cathédrale ! Quelle ferveur dans ce grand vaisseau ! Quelle solennité soutenue par les chants d’une magnifique chorale interdiocésaine et du grand orgue merveilleusement servi par le maître Thibaut Duré ! Bref, une cérémonie grandiose pour cet humble prêtre qui donna toute sa vie au service des plus petits !
            Un reportage a été assuré par RCF Savoie (une station de radio régionale française qui fait partie du réseau RCF, Radios Chrétiennes Francophones) avec des interviews de plusieurs personnalités impliquées dans la défense de la cause de Camille, et d’autre part, par la chaîne KTO (la chaîne de télévision catholique de langue française) qui retransmettait en direct cette magnifique célébration.
            Une troisième journée, Dimanche 18 mai, venait couronner cette fête. Elle se déroulait au Bocage, sous un grand chapiteau ; c’était une messe d’action de grâce présidée par Monseigneur Thibault Verny, archevêque de Chambéry, entouré des deux évêques africains, du Provincial des Salésiens et de quelques prêtres, dont le père Jean-François Chiron (président, depuis treize ans, du Comité Camille créé par Monseigneur Philippe Ballot) qui prononçait une homélie remarquable. Une foule considérable était venue participer et prier. À la fin de la messe, une rose « Camille Costa de Beauregard fondateur du Bocage » a été bénie par le père Daniel Féderspiel, Provincial des Salésiens de France (cette rose, choisie par les anciens élèves, offerte aux personnalités présentes, est en vente dans les serres du Bocage).
            Après la cérémonie, les cors des Alpes ont donné un concert jusqu’au moment où le pape Léon, lors de son discours, au moment du Regina Coeli, a déclaré être très joyeux de la première béatification de son pontificat, le prêtre de Chambéry Camille Costa de Beauregard. Tonnerre d’applaudissements sous le chapiteau !
            L’après-midi, plusieurs groupes de jeunes du Bocage, lycée et maison des enfants, ou scouts, se sont succédé sur le podium pour animer un moment récréatif. Oui ! Quelle fête !

            Et maintenant ? Tout est fini ? Ou y a-t-il un après, une suite ?
            La béatification de Camille n’est qu’une étape dans le processus de canonisation. Le travail continue et vous êtes appelés à y contribuer. Que reste-t-il à faire ? Faire connaître toujours mieux la figure du nouveau Bienheureux autour de nous, par de multiples moyens, car il est nécessaire que beaucoup le prient afin que son intercession nous obtienne une nouvelle guérison inexplicable par la science, ce qui permettrait d’envisager un nouveau procès et une canonisation rapide. La sainteté de Camille serait alors présentée au monde entier. C’est possible, il faut y croire ! Ne nous arrêtons pas en chemin !

            Nous disposons de plusieurs moyens, tels que :
            – le livre Le bienheureux Camille Costa de Beauregard La noblesse du cœur, de Françoise Bouchard, Éditions Salvator ;
            – le livre Prier quinze jours avec Camille Costa de Beauregard, du père Paul Ripaud, Éditions Nouvelle Cité ;
            – une bande dessinée : Bienheureux Camille Costa de Beauregard, de Gaëtan Evrard, Éditions Triomphe ;
            – les vidéos à découvrir sur le site des « Amis de Costa« , et celle de la béatification ;
            – les visites des lieux de mémoire, au Bocage à Chambéry ; elles sont possibles en contactant soit l’accueil du Bocage, soit directement Monsieur Gabriel Tardy, directeur de la Maison des Enfants.

            À tous, merci de soutenir la cause du bienheureux Camille, il le mérite bien !

Père Paul Ripaud, sdb