Élection du 266e successeur de saint Pierre

Chaque décès ou renonciation d’un Pontife ouvre l’une des phases les plus délicates de la vie de l’Église catholique : l’élection du Successeur de saint Pierre. Bien que le dernier conclave remonte à mars 2013, lorsque Jorge Mario Bergoglio est devenu le pape François, comprendre comment on élit un pape reste fondamental pour saisir le fonctionnement d’une institution millénaire qui influence plus de 1,3 milliard de fidèles et — indirectement — la géopolitique mondiale.

1. La vacance du siège
Tout commence par la vacance du siège, c’est-à-dire la période qui s’écoule entre la mort (ou la renonciation) du Pontife régnant et l’élection du nouveau. La Constitution apostolique Universi Dominici Gregis, promulguée par Jean-Paul II le 22 février 1996 et mise à jour par Benoît XVI en 2007 et 2013, établit des procédures détaillées.

Constatation de la vacance
En cas de décès, le Cardinal Camerlingue — aujourd’hui le cardinal Kevin Farrell — constate officiellement le décès, ferme et scelle l’appartement pontifical, et notifie l’événement au Cardinal Doyen du Collège cardinalice.
En cas de renonciation, la vacance du siège prend effet à l’heure indiquée dans l’acte de démission, comme ce fut le cas à 20h00 le 28 février 2013 pour Benoît XVI.

Administration ordinaire
Pendant la vacance du siège, le Camerlingue gère matériellement le patrimoine du Saint-Siège mais ne peut accomplir d’actes qui relèvent exclusivement du Pontife (nominations épiscopales, décisions doctrinales, etc.).

Congrégations générales et particulières
Tous les cardinaux — électeurs ou non — présents à Rome se réunissent dans la Salle du Synode pour discuter des questions urgentes. Les « réunions particulières » incluent le Camerlingue et trois cardinaux tirés au sort à tour de rôle ; les « générales » convoquent l’ensemble du collège cardinalice et sont utilisées, entre autres, pour fixer la date de début du conclave.

2. Qui peut élire et qui peut être élu
Les électeurs
Depuis le motu proprio Ingravescentem aetatem (1970) de Paul VI, seuls les cardinaux n’ayant pas atteint 80 ans avant le début de la vacance du siège ont droit de vote. Le nombre maximum d’électeurs est fixé à 120, mais peut être temporairement dépassé en raison de consistoires rapprochés.
Les électeurs doivent :
– être présents à Rome au début du conclave (sauf raisons graves) ;
– prêter serment de garder le secret ;
– loger à la Domus Sanctae Marthae, la résidence voulue par Jean-Paul II pour garantir dignité et discrétion.
La clôture n’est pas un caprice médiéval : elle vise à protéger la liberté de conscience des cardinaux et à préserver l’Église de toute ingérence indue. Violer le secret entraîne l’excommunication automatique.

Les éligibles
En théorie, tout baptisé de sexe masculin peut être élu pape, puisque la charge de Pierre est de droit divin. Cependant, du Moyen Âge à aujourd’hui, le pape a toujours été choisi parmi les cardinaux. Si un non-cardinal ou même un laïc était choisi, il devrait immédiatement recevoir l’ordination épiscopale.

3. Le conclave : étymologie, logistique et symbolisme
Le terme « conclave » vient du latin cum clave, « avec clé » : les cardinaux sont « enfermés » jusqu’à l’élection, pour éviter toute pression extérieure. La clôture est garantie par plusieurs règles :
– Lieux autorisés : Chapelle Sixtine (votes), Domus Sanctae Marthae (logement), un parcours réservé entre les deux bâtiments.
– Interdiction de communication : appareils électroniques remis, interdiction de signaux, contrôle microspy.
– Secret assuré aussi par un serment prévoyant des sanctions spirituelles (excommunication latae sententiae) et canoniques.

4. Ordre du jour typique du conclave
1. Messe « Pro eligendo Pontifice » dans la Basilique Saint-Pierre le matin de l’entrée en conclave.
2. Procession dans la chapelle Sixtine en récitant le Veni Creator Spiritus.
3. Serment individuel des cardinaux, prononcé devant l’Évangéliaire.
4. Extra omnes ! (« Tous dehors ! ») : le Maître des Célébrations liturgiques pontificales congédie les non-électeurs.
5. Premier vote (facultatif) l’après-midi du jour d’entrée.
6. Double vote quotidien (matin et après-midi) suivi du dépouillement.

5. Procédure du vote
Chaque tour suit quatre étapes :
5.1. Praescrutinium. Distribution et remplissage en latin de la bulletin « Eligo in Summum Pontificem… ».
5.2. Scrutinium. Chaque cardinal, portant le bulletin plié, prononce : « Testor Christum Dominum… ». Il dépose le bulletin dans l’urne.
5.3. Postscrutinium. Trois scrutateurs tirés au sort comptent les bulletins, lisent à haute voix chaque nom, l’enregistrent et perforent le bulletin avec une aiguille et du fil.
5.4. Incinération. Bulletins et notes sont brûlés dans un four spécial ; la couleur de la fumée indique le résultat.
Pour être élu, il faut la majorité qualifiée, c’est-à-dire les deux tiers des voix valides.

6. La fumée : noire pour l’attente, blanche pour la joie
Depuis 2005, pour rendre le signal sans équivoque aux fidèles place Saint-Pierre, un réactif chimique est ajouté :
– Fumée noire (fumata nera) : aucun élu.
– Fumée blanche (fumata bianca) : pape est élu, les cloches sonnent.
Après la fumée blanche, il faut encore 30 minutes à une heure avant que le nouveau pape soit annoncé par le Cardinal Diacre sur la place Saint-Pierre. Peu après (de 5 à 15 minutes), le nouveau pape apparaîtra pour donner la bénédiction Urbi et Orbi.

7. « Acceptasne electionem ? » – Acceptation et nom pontifical
Quand quelqu’un atteint le seuil nécessaire, le Cardinal Doyen (ou le plus ancien par ordre et ancienneté juridique, si le Doyen est l’élu) demande : « Acceptasne electionem de te canonice factam in Summum Pontificem ? » (Acceptes-tu l’élection ?). Si l’élu consent — Accepto ! — on lui demande : « Quo nomine vis vocari ? » (Sous quel nom veux-tu être appelé ?). L’adoption du nom est un acte chargé de significations théologiques et pastorales : il rappelle des modèles (François d’Assise) ou des intentions réformatrices (Jean XXIII).

8. Rites suivants immédiatement
8.1 Vestition.
8.2 Entrée dans la Chapelle des Pleurs, où le nouveau pape peut se recueillir.
8.3 Oboedientia : les cardinaux électeurs défilent pour le premier acte d’obéissance.
8.4 Annonce au monde : le cardinal Protodiacre apparaît sur la Loggia centrale avec le célèbre « Annuntio vobis gaudium magnum : habemus Papam ! ».
8.5 Première bénédiction « Urbi et Orbi » du nouveau Pontife.

À partir de ce moment, il prend possession de la charge et commence officiellement son pontificat, tandis que le couronnement avec le pallium pétrinien et l’anneau du Pêcheur a lieu lors de la messe d’inauguration (généralement le dimanche suivant).

9. Quelques aspects historiques et évolution des normes
I–IIIe siècle. Acclamation du clergé et du peuple romain. En l’absence de réglementation stable, l’influence impériale était forte.
1059 – In nomine Domini. Collège cardinalice. Nicolas II limite l’intervention laïque ; naissance officielle du conclave.
1274 – Ubi Periculum. Clôture obligatoire. Grégoire X réduit les manœuvres politiques, instaure la réclusion.
1621–1622 – Grégoire XV. Scrutin secret systématique. Perfectionnement des bulletins ; exigences des deux tiers.
1970 – Paul VI. Limite d’âge à 80 ans. Réduit l’électorat, favorisant des décisions plus rapides.
1996 – Jean-Paul II. Universi Dominici Gregis. Codification moderne du processus, introduit la Domus Sanctae Marthae.

10. Quelques données concrètes de ce conclave
Cardinaux vivants : 252 (âge moyen : 78,0 ans).
Cardinaux votants : 134 (135). Le cardinal Antonio Cañizares Llovera, archevêque émérite de Valence, Espagne, et le cardinal John Njue, archevêque émérite de Nairobi, Kenya, ont annoncé qu’ils ne pourront pas participer au conclave.
Sur les 135 cardinaux votants, 108 (80 %) ont été nommés par le pape François. 22 (16 %) ont été nommés par le pape Benoît XVI. Les 5 restants (4 %) ont été nommés par le pape saint Jean-Paul II.
Parmi les 135 cardinaux votants, 25 ont participé comme électeurs au conclave de 2013.
Âge moyen des 134 cardinaux électeurs participants : 70,3 ans.
Années moyennes de service comme cardinal des 134 cardinaux électeurs participants : 7,1 ans.
Durée moyenne d’un pontificat : environ 7,5 ans.

Début du conclave : 7 mai, Chapelle Sixtine.
Cardinaux votants au conclave : 134. Nombre de votes requis pour l’élection : 2/3, soit 89 votes.

Horaire des votes : 4 votes par jour (2 le matin, 2 l’après-midi).
Après 3 jours complets (ou à définir), le vote est suspendu pendant une journée entière (« pour permettre une pause de prière, une discussion informelle entre les électeurs et une brève exhortation spirituelle »).
Suivent 7 autres tours de scrutin et une autre pause jusqu’à une journée entière.
Suivent 7 autres tours de scrutin et une autre pause jusqu’à une journée entière.
Suivent 7 autres tours de scrutin puis une pause pour évaluer la suite.

11. Dynamiques « internes » non écrites
Malgré le cadre juridique strict, le choix du pape est un processus à la fois spirituel et humain influencé par :
– le profil des candidats (« papabili ») : origine géographique, expériences pastorales, compétences doctrinales.
– les courants ecclésiaux : curial ou pastoral, réformiste ou conservateur, sensibilités liturgiques.
– l’agenda global : relations œcuméniques, dialogue interreligieux, crises sociales (migrants, changement climatique).
– les langues et réseaux personnels : les cardinaux ont tendance à se regrouper par régions (groupe des « Latino-américains », « Africains », etc.) et à échanger informellement lors des repas ou des « promenades » dans les jardins du Vatican.

Un événement à la fois spirituel et institutionnel
L’élection d’un pape n’est pas un simple acte technique comparable à une assemblée d’entreprise. Malgré sa dimension humaine, c’est un acte spirituel guidé essentiellement par l’Esprit Saint.
Le soin apporté aux règles minutieuses — du scellement des portes de la Sixtine à la combustion des bulletins — montre comment l’Église a transformé sa longue expérience historique en un système aujourd’hui perçu comme stable et solennel.
Savoir comment on choisit un pape n’est donc pas qu’une curiosité : c’est comprendre la dynamique entre autorité, collégialité et tradition qui soutient la plus ancienne institution religieuse encore active à l’échelle mondiale. Et, à une époque de changements vertigineux, cette « fumée » qui s’élève du toit de la Sixtine continue de rappeler que des décisions séculaires peuvent encore toucher le cœur de milliards de personnes, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église.
Que cette connaissance des données et des procédures nous aide à prier plus profondément, comme il convient de le faire avant chaque décision importante qui affecte notre vie.




Le nouveau Siège Central des Salésiens. Rome, Sacré-Cœur

Aujourd’hui, la vocation originelle de la maison du Sacré-Cœur connaît un nouveau départ. Tradition et innovation continuent de caractériser le passé, le présent et l’avenir de cette œuvre si significative.

            Que de fois Don Bosco a souhaité venir à Rome pour ouvrir une maison salésienne ! Dès son premier voyage en 1858, son objectif était d’être présent dans la Ville Éternelle avec une présence éducative. Il est venu à Rome une vingtaine de fois et ce n’est que lors de son dernier voyage en 1887 qu’il réussit à réaliser son rêve en ouvrant la maison du Sacré-Cœur à Castro Pretorio.
            L’œuvre salésienne est située dans le quartier de l’Esquilin, né en 1875, après la brèche de Porta Pia et à cause de la nécessité du Royaume d’Italie de construire les ministères dans la nouvelle capitale. Le quartier, également appelé Umbertino, est d’architecture piémontaise, toutes les rues portent le nom de batailles ou d’événements liés au nouvel État. Dans ce quartier, qui rappelle Turin, ne pouvait manquer une église, qui soit aussi une paroisse, construit par un Piémontais, Don Giovanni Bosco. Le nom de l’église n’a pas été choisi par Don Bosco, mais par la volonté de Léon XIII, désireux de relancer une dévotion, plus que jamais actuelle, au Cœur de Jésus.
            Aujourd’hui, la maison du Sacré-Cœur est entièrement rénovée pour répondre aux besoins du Siège Central des Salésiens. Depuis sa fondation jusqu’à nos jours, la maison a subi plusieurs transformations. L’œuvre est née comme paroisse et comme sanctuaire international pour la diffusion de la dévotion au Sacré-Cœur, mais dès le début l’objectif déclaré par Don Bosco était de construire à côté une maison pour accueillir jusqu’à 500 jeunes pauvres. Don Rua mène l’œuvre à son terme et ouvre des ateliers pour artisans (école d’arts et métiers). Dans les années suivantes, le collège et le lycée classique voient le jour. Pendant quelques années, elle a également été le siège de l’université (Athénée pontifical salésien) et une maison de formation pour les salésiens qui étudiaient dans les universités romaines tout en s’impliquant dans l’école et dans l’oratoire (parmi ces étudiants, on compte également Don Quadrio). Elle a également été le siège de la province romaine d’abord, puis de la Circonscription de l’Italie Centrale à partir de 2008. Depuis 2017, en raison du déménagement de Via della Pisana, elle est devenue le Siège Central des Salésiens. La restructuration a commencé en 2022 pour adapter les locaux à sa fonction de maison du Recteur Majeur. Dans cette maison ont vécu ou sont passés Don Bosco, Don Rua, le cardinal Cagliero (son appartement était situé au premier étage de Via Marsala), Zeffirino Namuncurà, Mgr Versiglia, Artemide Zatti, tous les Recteurs Majeurs successeurs de Don Bosco, Saint Jean-Paul II, Sainte Thérèse de Calcutta, le pape François. Parmi les directeurs de la maison, il faut signaler Mgr Giuseppe Cognata ; c’est sous sa direction, en 1930, que la statue du Sacré-Cœur a été installée sur le clocher.
            Grâce au Sacré-Cœur, le charisme salésien s’est répandu dans différents quartiers de Rome. De fait, toutes les autres présences salésiennes de Rome ont été une ramification de cette maison : le Testaccio, l’Institut Pie XI, le Borgo Ragazzi Don Bosco, Don Bosco Cinecittà, Gerini, l’Université Pontificale Salésienne.

Carrefour d’accueil
            Les deux traits déterminants de la Maison du Sacré-Cœur sont, depuis le début :
            1) la catholicité. Ouvrir une maison à Rome a toujours signifié pour les fondateurs des ordres religieux une proximité avec le Pape et un élargissement des horizons au niveau universel. Lors de la première conférence aux coopérateurs salésiens au monastère Tor De’ Specchi à Rome en 1874, Don Bosco avait affirmé que les salésiens se répandraient dans le monde entier et qu’aider leurs œuvres signifiait vivre l’esprit catholique le plus authentique.
            2) l’attention aux jeunes pauvres. L’œuvre est située près de la gare, carrefour d’arrivées et de départs, lieu où se sont toujours retrouvés les plus pauvres. Cela est inscrit dans l’histoire du Sacré-Cœur.
            Au début, la maison accueillait les jeunes pauvres pour leur enseigner un métier, puis l’oratoire a accueilli les jeunes du quartier. Après la guerre, la maison a recueilli et soigné les sciuscià (garçons qui ciraient les chaussures des personnes qui sortaient de la gare), puis on les a transférés au Borgo Ragazzi Don Bosco. Au milieu des années 1980, lors de la première immigration en Italie, des jeunes immigrés ont été accueillis en collaboration avec la Caritas naissante. Dans les années 1990, un centre recevait de jour des jeunes en alternative à la prison et leur enseignait les rudiments de la lecture et de l’écriture et un métier. Depuis 2009, un projet d’intégration entre jeunes réfugiés et jeunes italiens a permis de nombreuses initiatives d’accueil et d’évangélisation. La Maison du Sacré-Cœur a également été le siège du Centre National des Œuvres Salésiennes d’Italie pendant environ 30 ans.

Le nouveau départ
            Aujourd’hui, la vocation originelle de la maison du Sacré-Cœur connaît un nouveau départ. Tradition et innovation continuent de caractériser le passé, le présent et l’avenir de cette œuvre si significative.
            Tout d’abord, la catholicité continue de se vivre grâce à la présence du Recteur Majeur avec son conseil et des confrères qui s’occupent de la dimension mondiale. Une vocation à l’accueil de nombreux salésiens qui viennent du monde entier et trouvent au Sacré-Cœur un lieu pour se sentir chez eux, expérimenter la fraternité, rencontrer le successeur de Don Bosco. En même temps, c’est le lieu d’où le Recteur Majeur anime et gouverne la Congrégation en traçant les lignes pour être fidèles à Don Bosco aujourd’hui.
            Ensuite, la présence d’un lieu salésien significatif où Don Bosco a écrit la lettre de Rome et a compris le rêve des neuf ans. À l’intérieur de la maison se trouvera le Musée de la Maison de Don Bosco à Rome qui, sur trois étages, racontera la présence du Saint dans la ville éternelle. La centralité de l’éducation comme « affaire de cœur » dans son Système Préventif, la relation avec les Papes qui ont aimé Don Bosco et que lui le premier a aimé et servi, le Sacré-Cœur comme lieu d’expansion du charisme dans le monde entier, le parcours difficile d’approbation des Constitutions, la compréhension du rêve des neuf ans et son dernier souffle éducatif en écrivant la lettre de Rome : tels sont les thèmes principaux qui, sous une forme multimédia immersive, seront racontés à ceux qui visiteront l’espace muséal.
            Troisièmement, la dévotion au Sacré-Cœur représente le centre du charisme. Avant même de recevoir l’invitation à construire l’église du Sacré-Cœur, Don Bosco avait orienté les jeunes vers cette dévotion. Dans le Giovane provveduto, on trouve déjà des prières et des pratiques de piété adressées au Cœur du Christ. Mais avec l’acceptation de la proposition de Léon XIII, il devient un véritable apôtre du Sacré-Cœur. Il n’épargne pas ses forces pour chercher des fonds pour l’église. Le soin apporté aux moindres détails insuffle dans les choix architecturaux et artistiques de la Basilique sa pensée et sa dévotion au Sacré-Cœur. Pour soutenir la construction de l’église et de la maison, il fonde la Pieuse Œuvre du Sacré-Cœur de Jésus, la dernière des cinq fondations réalisées par Don Bosco au cours de sa vie avec le concours des Salésiens, des Filles de Marie Auxiliatrice, des Coopérateurs Salésiens, et de l’Association des Dévots de Marie Auxiliatrice. Elle a été érigée pour la célébration perpétuelle de six messes quotidiennes dans l’église du Sacré-Cœur à Rome. Tous les inscrits, vivants et défunts, y participent, à travers la prière et les bonnes œuvres accomplies par les Salésiens et les jeunes dans toutes leurs maisons.
            La vision de l’Église qui découle de la fondation de la Pieuse Œuvre est celle d’un « corps vivant », composé de vivants et de défunts en communion entre eux à travers le Sacrifice de Jésus, renouvelé quotidiennement dans la célébration eucharistique au service des jeunes les plus pauvres. Le désir du Cœur de Jésus est que tous soient un (ut unum sint) comme Lui et le Père. La Pieuse Œuvre unit, à travers la prière et les offrandes, les bienfaiteurs vivants et défunts, les Salésiens du monde entier et les jeunes qui vivent dans la maison du Sacré-Cœur. Ce n’est que par la communion, qui a sa source dans l’Eucharistie, que les bienfaiteurs, les Salésiens et les jeunes peuvent contribuer à construire l’Église, à la faire resplendir dans son visage missionnaire. La Pieuse Œuvre a également pour tâche de promouvoir, de diffuser, d’approfondir la dévotion au Sacré-Cœur dans le monde entier et de la renouveler selon les temps et le sentiment de l’Église.

La gare centrale pour évangéliser
            Enfin, l’attention aux jeunes pauvres se manifeste dans la volonté missionnaire d’atteindre les jeunes de Rome à travers le Centre de Jeunes ouvert Via Marsala, juste à la sortie de la gare Termini où passent chaque jour environ 300 000 personnes. Un lieu qui soit une maison pour les nombreux jeunes italiens et étrangers qui visitent Rome ou vivent à Rome et qui ont une soif, parfois inconsciente, de Dieu. De plus, autour de la gare Termini s’amassent depuis toujours des pauvres marqués par la fatigue de la vie. Une autre porte ouverte sur Via Marsala, outre celle du Centre des Jeunes et de la Basilique, exprime le désir de répondre aux besoins de ces personnes avec le Cœur du Christ, car en elles resplendit la gloire de son visage.
            La prophétie de Don Bosco sur la Maison du Sacré-Cœur du 5 avril 1880 accompagne et guide la réalisation de ce qui vient d’être dit :

Don Bosco voyait loin. Notre Mgr Giovanni Marenco rappelait une de ses paroles mystérieuses, que le temps ne devait pas effacer. Le jour même où il accepta cette offre très onéreuse, le Bienheureux lui demanda :
– Sais-tu pourquoi nous avons accepté la maison de Rome ?
– Moi non, répondit celui-ci.
– Eh bien, fais attention. Nous l’avons acceptée parce que, lorsque le Pape sera celui qui n’est pas encore et comme il doit être, nous mettrons dans notre maison la gare centrale pour évangéliser la campagne romaine. Ce sera une œuvre non moins importante que celle d’évangéliser la Patagonie. Alors les Salésiens seront connus et leur gloire resplendira. (MB XIV, 591-592).

don Francesco Marcoccio




Le Père Crespi et le Jubilé de 1925

En 1925, en vue de l’Année Sainte, le Père Carlo Crespi s’est fait le promoteur d’une exposition missionnaire internationale. Rappelé du Collège Manfredini d’Este, il fut chargé de documenter les entreprises missionnaires en Équateur, en recueillant des matériaux scientifiques, ethnographiques et audiovisuels. Grâce à des voyages et des projections, son œuvre unit Rome et Turin, soulignant l’engagement salésien et renforçant les liens entre les institutions ecclésiastiques et civiles. Son courage et sa vision ont transformé le défi missionnaire en un succès d’exposition, laissant une empreinte indélébile dans l’histoire de Propaganda Fide et dans celle de l’action missionnaire salésienne.

            Quand Pie XI voulut programmer à Rome une Exposition Missionnaire Internationale en vue de l’Année Sainte de 1925, les Salésiens prirent leur propre initiative avec une Exposition Missionnaire, qui devait se tenir à Turin en 1926, également en fonction du 50e anniversaire des Missions salésiennes. Dans ce but, les Supérieurs ont tout de suite pensé à Don Carlo Crespi et l’ont rappelé du Collège Manfredini d’Este, où il avait été affecté pour enseigner les sciences naturelles, les mathématiques et la musique.
            À Turin, Don Carlo prit contact avec le Recteur Majeur, Don Filippo Rinaldi, avec le supérieur pour les missions, Don Pietro Ricaldone et, en particulier, avec Mgr Domenico Comin, vicaire apostolique de Méndez et Gualaquiza (Équateur), qui devait soutenir son initiative. C’est à cette occasion que les voyages, les explorations, les recherches, les études et tout ce qui devait naître de l’œuvre de Carlo Crespi ont reçu l’aval et le feu vert officiel des Supérieurs. Bien qu’il manquât encore quatre ans pour l’Exposition projetée, ils demandèrent à Don Carlo de s’en occuper directement, afin de réaliser un travail scientifiquement sérieux et crédible.
            Il s’agissait de :
            1. Créer un climat d’intérêt en faveur des Salésiens opérant dans la mission équatorienne de Méndez, en valorisant leurs travaux par le biais de documentations écrites et orales, et en prévoyant une collecte de fonds.
            2. Recueillir du matériel pour l’aménagement de l’Exposition Missionnaire Internationale de Rome et le transférer ensuite à Turin, pour commémorer solennellement les cinquante premières années des missions salésiennes.
            3. Effectuer une étude scientifique dudit territoire afin de convoyer les résultats, non seulement dans les expositions de Rome et Turin, mais surtout dans un musée permanent et dans une œuvre historique, géographique et ethnographique précise.
            À partir de 1921, les Supérieurs chargèrent Don Carlo de mener dans différentes villes italiennes des activités de propagande en faveur des missions. Pour sensibiliser l’opinion publique à ce sujet, Don Carlo organisa la projection de documentaires sur la Patagonie, la Terre de Feu et les Indiens du Mato Grosso. Aux films tournés par les missionnaires il adjoignit des commentaires musicaux exécutés personnellement au piano.
            La propagande avec des conférences rapporta environ 15 000 lires [correspondant à 14 684 €], dépensées ensuite pour les voyages, le transport et pour les matériels suivants : un appareil photo, une caméra, une machine à écrire, quelques boussoles, des théodolites, des niveaux à bulle, des pluviomètres, une trousse de médicaments, des outils d’agriculture, des tentes de campement.
            Plusieurs industriels de la région de Milan offrirent quelques quintaux de tissus pour une valeur de 80 000 lires [78 318 €], tissus qui furent répartis par la suite au profit des Indiens.
            Le 22 mars 1923, le Père Crespi s’embarque sur le bateau à vapeur « Venezuela », à destination de Guayaquil, le port fluvial et maritime le plus important de l’Équateur, la capitale commerciale et économique du pays, surnommée pour sa beauté « La Perle du Pacifique ».
            Plus tard, il évoquera avec une grande émotion son départ pour les Missions : « Je me souviens de mon départ de Gênes le 22 mars de l’année 1923 […]. Quand on leva les ponts qui nous tenaient encore attachés à la terre natale, et que le navire commença à bouger, mon âme fut envahie par une joie bouleversante, surhumaine, ineffable, telle que je ne l’avais jamais ressentie à aucun moment de ma vie, pas même le jour de ma première communion, pas même le jour de ma première messe. À cet instant, je commençai à comprendre ce qu’était le missionnaire et ce que Dieu lui réservait […]. Priez avec ferveur, afin que Dieu nous conserve la sainte vocation et nous rende dignes de notre sainte mission ; afin que ne périsse aucune des âmes, que dans ses décrets éternels Dieu a voulu sauver par notre intermédiaire ; afin qu’il fasse de nous de vaillants champions de la foi, jusqu’à la mort, jusqu’au martyre » (Carlo Crespi, Nouveau départ. L’hymne de reconnaissance, dans le Bollettino Salesiano, L, n.12, décembre 1926).
            Don Carlo a rempli la mission reçue en mettant en pratique ses connaissances universitaires, en particulier à travers l’échantillonnage de minéraux, de flore et de faune provenant de l’Équateur. Mais très vite, il est allé au-delà de la mission qui lui avait été confiée, en s’enthousiasmant pour des thèmes de caractère ethnographique et archéologique qui, par la suite, occuperont beaucoup de moments de sa vie intense.
            Dès ses premières recherches, Carlo Crespi ne se limite pas à admirer, mais il recueille, classe, note, photographie, filme et documente tout ce qui attire son attention de chercheur. Avec enthousiasme, il s’aventure dans l’Est équatorien pour des films, des documentaires et pour recueillir de précieuses collections botaniques, zoologiques, ethniques et archéologiques.
            C’est ce monde magnétique qui vibrait déjà dans son cœur avant même d’y arriver, auquel il fait référence dans ses carnets : « En ces jours, une voix nouvelle, insistante, résonne dans mon âme, une nostalgie sacrée des pays de mission ; parfois aussi par le désir de connaître en particulier des choses scientifiques. Oh ! Seigneur ! Je suis disposé à tout, à abandonner la famille, les parents, les compagnons d’études ; le tout pour sauver quelques âmes, si tel est ton désir, ta volonté » (Sans lieu, sans date. – Notes personnelles et réflexions du Serviteur de Dieu sur des thèmes de nature spirituelle extraits de 4 petits cahiers).
            Un premier itinéraire, d’une durée de trois mois, le conduisit de Cuenca à Gualaceo, Indanza et se termina à la rivière Santiago. Il atteignit ensuite la vallée du fleuve San Francesco, la lagune de Patococha, Tres Palmas, Culebrillas, Potrerillos (la localité la plus haute, à 3 800 m d’altitude), Rio Ishpingo, la colline de Puerco Grande, Tinajillas, Zapote, Loma de Puerco Chico, Plan de Milagro et Pianoro. Dans chacun de ces lieux, il recueillit des échantillons à faire sécher et à intégrer dans les différentes collections. Des carnets de terrain et de nombreuses photographies documentent le tout avec précision.
            Carlo Crespi organisa un deuxième voyage à travers les vallées de Yanganza, Limón, Peña Blanca, Tzaranbiza, ainsi que le long du sentier d’Indanza. Comme il est facile de le supposer, les déplacements à l’époque étaient difficiles : il n’existait que des chemins muletiers, sans compter les précipices, les conditions climatiques inhospitalières, les bêtes dangereuses, les ophidiens mortels et les maladies tropicales.
            À cela s’ajoutait le danger d’attaques de la part des habitants indomptables de l’Est, que Don Carlo réussit cependant à approcher, ce qui lui permettra de réaliser le long métrage « Los invencibles Shuaras del Alto Amazonas », qu’il tournera en 1926 et qui sera projeté le 26 février 1927 à Guayaquil. Surmontant tous ces pièges, il réussit à réunir six cents variétés de coléoptères, soixante oiseaux empaillés au plumage merveilleux, des mousses, des lichens, des fougères. Il étudia environ deux cents espèces locales et, en utilisant la sous-classification des lieux visités par les naturalistes sur les Allioni, il trouva 21 variétés de fougères, appartenant à la zone tropicale en dessous de 800 m d’altitude ; 72 à la zone subtropicale qui va de 800 à 1 500 m d’altitude ; 102 à la région subandine, entre 1 500 et 3 400 m d’altitude, et 19 à la zone andine, supérieure à 3 600 m d’altitude (Très intéressant est le commentaire du professeur Roberto Bosco, prestigieux botaniste et membre de la Société Botanique Italienne qui, quatorze ans plus tard, en 1938, décida d’étudier et d’ordonner systématiquement « la magnifique collection de fougères » préparée en quelques mois par le « Prof. Carlo Crespi, herborisant en Équateur).
            Les espèces les plus dignes d’intérêt, étudiées par Roberto Bosco, ont été baptisées « Crespiane ».
            Résumons. Dès octobre 1923, pour préparer l’Exposition Vaticane, Don Carlo avait organisé les premières excursions missionnaires à travers tout le Vicariat, jusqu’à Méndez, Gualaquiza et Indanza, en recueillant des matériaux ethnographiques et beaucoup de documentation photographique. Les dépenses furent couvertes au moyen des tissus et des financements recueillis en Italie. Avec le matériel recueilli, qu’il allait ensuite transférer en Italie, il organisa une Exposition, entre les mois de juin et juillet 1924, dans la ville de Guayaquil. Son travail suscita des jugements enthousiastes, des reconnaissances et des aides. De cette Exposition il fera mention, dix ans plus tard, dans une lettre du 31 décembre 1935 aux Supérieurs de Turin, pour les informer sur les fonds recueillis de novembre 1922 à novembre 1935.
            Le Père Crespi passa le premier semestre de 1925 dans les forêts de la zone de Sucùa-Macas à étudier la langue Shuar et à recueillir du matériel supplémentaire pour l’Exposition missionnaire de Turin. En août de la même année, il entama une négociation avec le Gouvernement pour obtenir un gros financement : elle s’est conclue le 12 septembre par un contrat de 110 000 sucres (équivalant à 500 000 lires de l’époque et qui aujourd’hui seraient 489 493,46 €), qui a permis de terminer le chemin muletier Pan-Méndez). De plus, il obtint la permission de retirer de la douane 200 quintaux de fer et de matériel saisi à certains commerçants.
            En 1926, Don Carlo revint en Italie en apportant des cages avec des animaux vivants de la zone orientale de l’Équateur (une collecte difficile d’oiseaux et d’animaux rares) et des caisses avec du matériel ethnographique, pour l’Exposition Missionnaire de Turin, qu’il a organisée personnellement et où il a tenu également le discours officiel de clôture le 10 octobre.
            Dans la même année, il s’occupa d’organiser l’Exposition et, ensuite, de tenir plusieurs conférences. Il participa au Congrès Américain de Rome où il fit deux conférences scientifiques. Cet enthousiasme et cette compétence et recherche scientifique répondaient parfaitement aux directives des Supérieurs, et, par conséquent, à travers l’Exposition Missionnaire Internationale de 1925 à Rome et de 1926 à Turin, l’Équateur a pu être largement connu. De plus, au niveau ecclésial, il contacta l’Œuvre de Propaganda Fide, la Sainte Enfance et l’Association pour le Clergé Indigène. Au niveau civil, il noua des relations avec le Ministère des Affaires Étrangères du Gouvernement Italien.
            Ses contacts et entretiens avec les Supérieurs de la Congrégation Salésienne eurent de bons résultats. En premier lieu, les Supérieurs lui firent cadeau de 4 prêtres, 4 séminaristes, 9 confrères coadjuteurs et 4 sœurs pour le Vicariat. De plus, il obtint une série d’aides économiques des Organismes du Vatican et du matériel sanitaire pour les hôpitaux, pour une valeur d’environ 100 000 lires (97 898,69 €). Comme cadeau des Supérieurs Majeurs pour l’aide apportée à l’Exposition Missionnaire, ils se chargèrent de la construction de l’Église de Macas, avec deux quotes-parts de 50 000 lires (48 949, 35 €), envoyées directement à Mgr Domenico Comin.
            Après avoir conclu sa tâche de collectionneur, fournisseur et animateur des grandes expositions internationales, le Père Crespi retourna en 1927 en Équateur, devenue sa seconde patrie. Il s’installa dans le Vicariat, sous la juridiction de l’évêque, Mgr Comin. Dans un esprit d’obéissance, il entreprenait souvent des voyages de propagande, pour assurer des subventions et des fonds spéciaux, nécessaires aux œuvres des missions, telles que la route Pan Méndez, l’Hôpital Guayaquil, l’école Guayaquil à Macas, l’Hôpital Quito à Méndez, l’École agricole de Cuenca, ville où, dès 1927, il avait commencé à développer son apostolat sacerdotal et salésien.
            Pendant quelques années, il continua aussi à s’occuper de sciences, mais toujours dans un esprit apostolique.

Carlo Riganti
Président de l’Association Carlo Crespi

Image: 24 mars 1923 – Le Père Carlo Crespi en partance pour l’Équateur sur le bateau à vapeur Venezuela