Entre l’admiration et la douleur

Aujourd’hui, je vous dis au revoir pour la dernière fois dans cette page du Bulletin Salésien. Le 16 août, jour où nous commémorons la naissance de Don Bosco, mon service en tant que Recteur Majeur des Salésiens de Don Bosco prend fin.
C’est toujours une raison pour dire Merci ! D’abord à Dieu, à la Congrégation et à la Famille salésienne, à tant de personnes chères et d’amis, à tant d’amis du charisme de Don Bosco, aux nombreux bienfaiteurs.

            Je profite encore de cette occasion pour vous transmettre, avec mes salutations, quelque chose que j’ai vécu récemment. D’où le titre de cette salutation : Entre l’admiration et la douleur. Je vous raconte la joie qui a rempli mon cœur à Goma, dans la République démocratique du Congo, blessée par une guerre interminable, la joie et le témoignage que j’ai reçus hier.
            Il y a trois semaines, après avoir visité l’Ouganda (au camp des réfugiés de Palabek qui, grâce à l’aide et au travail des salésiens durant ces dernières années, n’est plus un camp de réfugiés soudanais mais un lieu où des dizaines de milliers de personnes se sont installées et ont trouvé une nouvelle vie), j’ai traversé le Rwanda et je suis arrivé à la frontière dans la région de Goma, une terre merveilleuse, belle et riche en ressources naturelles (et précisément pour cette raison si désirée et désirable). Or, à cause des conflits armés, il y a dans cette région plus d’un million de personnes déplacées qui ont dû quitter leur maison et leur terre. Nous aussi, nous avons dû quitter la présence salésienne de Sha-Sha, qui a été occupée militairement.
            Ce million de personnes déplacées est arrivé dans la ville de Goma. À Gangi, l’un des quartiers, se trouve l’œuvre salésienne « Don Bosco ». J’ai été extrêmement heureux de voir le bien qu’on y fait. Des centaines de garçons et de filles ont une maison. Des dizaines d’adolescents ont été retirés de la rue et vivent dans la maison de Don Bosco. C’est là précisément qu’ont pu trouver un foyer 82 nouveau-nés, ainsi que des jeunes, garçons et filles, qui à cause de la guerre, ont perdu leurs parents ou ont été abandonnés parce que leurs parents ne pouvaient pas s’occuper d’eux.
            Et c’est là, dans ce nouveau Valdocco, qui n’est que l’un des nombreux Valdocco du monde, qu’une communauté de trois religieuses de San Salvador, avec un groupe de dames, s’occupe de ces petits enfants avec le soutien de la maison salésienne et les secours provenant de la générosité des bienfaiteurs et de la Providence. Lorsque je suis allé leur rendre visite, les sœurs avaient habillé tout le monde en tenue de fête, même les enfants qui dormaient dans leur berceau. Comment ne pas sentir mon cœur se remplir de joie devant tant de bonté, malgré la douleur causée par l’abandon et la guerre !
            Mais mon cœur a été touché lorsque j’ai rencontré plusieurs centaines de personnes venues me saluer à l’occasion de ma visite. Elles font partie des 32 000 personnes déplacées qui ont quitté leurs maisons et leurs terres à cause des bombes et sont venues chercher refuge. Ils l’ont trouvé dans les terrains de jeu et sur l’emplacement de la maison Don Bosco à Gangi. Ils n’ont rien, ils vivent dans des baraques de quelques mètres carrés. Telle est la réalité qu’ils vivent. Ensemble, nous cherchons chaque jour un moyen de trouver de la nourriture. Mais savez-vous ce qui m’a le plus frappé ? Ce qui m’a le plus impressionné, c’est que lorsque j’étais avec ces centaines de personnes, principalement des personnes âgées et des mères avec enfants, elles n’avaient pas perdu leur dignité, ni leur joie, ni leur sourire. J’ai été étonné et mon cœur a été attristé par tant de souffrance et de pauvreté, même si nous faisons tout notre possible au nom du Seigneur.

Un concert extraordinaire
            J’ai ressenti une autre grande joie en recevant un témoignage de vie qui m’a fait penser aux adolescents et aux jeunes de nos œuvres, et aux nombreux enfants de parents qui me lisent peut-être et qui ont l’impression que leurs enfants sont démotivés, s’ennuient dans la vie ou n’ont de passion pour presque rien. Parmi les invités de notre maison ces jours-ci, il y avait une pianiste extraordinaire qui a parcouru le monde en donnant des concerts et qui a fait partie de grands orchestres philharmoniques. Ancienne élève des salésiens, elle avait comme grande référence et modèle un salésien, aujourd’hui décédé. Elle a voulu nous offrir ce concert dans le parvis de la basilique du Sacré-Cœur en hommage à Marie Auxiliatrice, qu’elle aime beaucoup, et en remerciement pour tout ce que sa vie a été jusqu’à présent.
            Et je dis pour conclure que notre chère amie de 81 ans nous a donné un concert magnifique, d’une qualité exceptionnelle. Elle était accompagnée de sa fille. Et à cet âge, peut-être quand certains des aînés de nos familles disent depuis longtemps qu’ils n’ont plus envie de faire quelque chose qui demande un effort, notre chère amie, qui pratique le piano tous les jours, bougeait ses mains avec une merveilleuse agilité, immergée dans la beauté de la musique et de son interprétation. Une bonne musique, un sourire généreux à la fin de sa prestation et la remise des orchidées à Notre-Dame Auxiliatrice, c’est tout ce dont nous avions besoin en cette merveilleuse matinée. Et mon cœur de salésien ne pouvait s’empêcher de penser à ces garçons, à ces filles et à ces jeunes qui n’ont peut-être pas eu ou n’ont plus rien qui les motive dans leur vie. Quant à elle, notre amie pianiste du concert, elle vit avec une grande sérénité ses 81 ans et, comme elle me l’a dit, continue à offrir le don que Dieu lui a fait et trouve chaque jour de plus en plus de raisons de le faire.
            Voilà bien une autre leçon de vie et un autre témoignage qui ne laisse pas le cœur indifférent.

            Merci, mes amis, merci du fond du cœur pour tout le bien que nous faisons ensemble. Aussi petit soit-il, il contribue à rendre notre monde un peu plus humain et un peu plus beau. Que le bon Dieu vous bénisse !




Le rêve des 9 ans

La série des « songes » de Don Bosco commence par celui qu’il fit à l’âge de neuf ans, vers 1824. C’est l’un des plus importants, sinon le plus important, parce qu’il indique une mission que lui confie la Providence et qui se concrétise dans un charisme particulier de l’Église. Beaucoup d’autres suivront, la plupart rassemblés dans les « Mémoires biographiques » et repris dans d’autres publications consacrées à ce sujet. Nous nous proposons de présenter les plus importants dans plusieurs articles ultérieurs.

            À cet âge, je fis un rêve qui est resté profondément gravé dans mon esprit pour le reste de ma vie. Dans mon sommeil, il me semblait que je me trouvais près de chez moi, dans une cour très spacieuse, où une multitude d’enfants étaient rassemblés et s’amusaient. Certains riaient, d’autres jouaient, beaucoup blasphémaient. En entendant ces blasphèmes, je bondis au milieu d’eux, faisant usage de mes poings et de mes paroles pour les faire taire. C’est alors qu’apparut un homme d’allure majestueuse, dans la force de l’âge et magnifiquement vêtu. Un manteau blanc l’enveloppait tout entier, et son visage étincelait au point que je ne pouvais le regarder. Il m’appela par mon nom et m’ordonna de me mettre à la tête de ces enfants, en ajoutant ces mots :
            – Ce n’est pas avec des coups, mais par la douceur et la charité que tu devras gagner tes amis. Commence donc immédiatement à les instruire de la laideur du péché et de l’excellence de la vertu.
            Confus et effrayé, je répondis que j’étais un pauvre enfant ignorant, incapable de parler de religion à ces garçons. Alors les gamins, cessant de se battre, de crier et de blasphémer, vinrent tous se grouper autour de celui qui parlait.
            Ne sachant que dire, j’ajoutai :
            – Qui êtes-vous pour m’ordonner quelque chose d’impossible ?
            – C’est justement parce que ces choses te semblent impossibles que tu dois les rendre possibles par l’obéissance et l’acquisition de la science.
            – Où, par quel moyen pourrai-je acquérir la science ?
            – Je te donnerai une maîtresse ; sous sa direction tu pourras devenir un sage, car sans elle toute sagesse devient sottise.
            – Mais qui êtes-vous, pour me parler de la sorte ?
            – Je suis le fils de celle que ta mère t’a appris à saluer trois fois par jour.
            – Ma mère me dit de ne pas fréquenter les inconnus sans sa permission ; dites-moi donc votre nom.
            – Mon nom, demande-le à ma mère.
            À cet instant, je vis près de lui une dame d’aspect majestueux, vêtue d’un manteau qui resplendissait de toutes parts, comme si chaque point eût été une étoile brillante. Remarquant que mes questions et mes réponses étaient de plus en plus confuses, elle me fit signe d’approcher et me prit doucement par la main : « Regarde », me dit-elle. Je regardai et m’aperçus que ces enfants s’étaient tous enfuis, et à leur place, je vis une multitude de chevreaux, de chiens, de chats, d’ours et d’autres animaux.
            – Voilà ton champ d’action, voilà où tu dois travailler. Rends-toi humble, fort et robuste, et ce que tu vas voir se produire maintenant pour ces animaux, tu devras le faire pour mes fils.
            Je détournai alors les yeux, et voici qu’au lieu d’animaux féroces, apparurent autant d’agneaux apprivoisés, qui bondissaient et bêlaient comme s’ils fêtaient cet homme et cette femme.
            Toujours dans mon sommeil, je me mis alors à pleurer et je demandai qu’on veuille bien parler de manière compréhensible, car je ne comprenais pas ce qu’on voulait me signifier.
            Elle me mit alors la main sur la tête et me dit : « Tu comprendras tout en son temps. »
            À ces mots, un bruit me réveilla.
            Je demeurai éberlué. C’était comme si j’avais mal aux mains à cause des coups de poing donnés, mal au visage à cause des gifles reçues. Et puis, ce personnage, cette dame, ce qui avait été dit et entendu, tout cela m’obsédait au point que je ne pus me rendormir cette nuit-là.
            Le matin, je m’empressai de raconter ce rêve, d’abord à mes frères, qui éclatèrent de rire, puis à ma mère et à ma grand-mère. Chacun donnait son interprétation. Mon frère Joseph me dit : « Tu deviendras gardien de chèvres, de moutons ou d’autres animaux ». Ma mère : « Qui sait si tu ne dois pas devenir prêtre ». Antonio, d’un ton sec : « Tu seras peut-être chef de brigands ». Mais ma grand-mère, qui savait beaucoup de théologie (elle était parfaitement illettrée) prononça la sentence définitive : « Il ne faut pas donner d’importance aux rêves ».
            J’étais de l’avis de ma grand-mère, et pourtant je n’ai jamais pu m’enlever ce rêve de l’esprit. Les choses que je vais dire ci-dessous lui donneront un sens. J’ai toujours gardé le silence ; mes proches n’y ont pas prêté attention. Mais quand, en 1858, je me rendis à Rome pour négocier avec le Pape au sujet de la congrégation salésienne, il me fit tout raconter minutieusement, même les choses qui avaient seulement l’apparence du surnaturel. Je racontai alors pour la première fois le rêve que j’avais fait à l’âge de neuf ou dix ans. Le Pape m’ordonna de l’écrire dans son sens littéral, minutieux et de le laisser comme encouragement à mes fils de la congrégation, ce qui était le but de ce voyage à Rome. (Mémoires de l’Oratoire Saint-François de Sales, par Don Bosco ; MB I, 123-125)




La sainteté salésienne

L’Esprit Saint poursuit sans cesse son œuvre cachée dans les âmes, les conduisant à la sainteté. Nombreux sont les membres de la Famille salésienne qui ont mené une vie digne du titre de chrétien : beaucoup de personnes consacrées, de laïcs et de jeunes ont vécu leur vie dans la foi et ont apporté la grâce de Dieu à leur prochain. Il revient à la Postulation générale des Salésiens de Don Bosco d’étudier leur vie et leurs écrits et de proposer à l’Église de reconnaître leur sainteté.
Il y a quelques jours, on a inauguré le nouveau siège de la Postulation. Nous souhaitons que la mise en place de cette nouvelle structure soit l’occasion d’un engagement renouvelé en faveur des causes de canonisation, non seulement de la part de ceux qui y travaillent directement, mais aussi de tous ceux qui peuvent y contribuer. Laissons-nous guider dans cette tâche par Don Pierluigi Cameroni, le Postulateur général pour les causes des saints.

Il est nécessaire d’exprimer une profonde gratitude et une louange à Dieu pour la sainteté déjà reconnue dans la Famille salésienne de Don Bosco et pour celle qui est en cours de reconnaissance. L’aboutissement d’une Cause de béatification et de canonisation est un événement d’une importance et d’une valeur ecclésiale extraordinaires. Il s’agit en effet de discerner la réputation de sainteté d’un baptisé qui a vécu de façon héroïque les béatitudes évangéliques ou qui a donné sa vie pour le Christ.
De Don Bosco à nos jours, il existe une tradition de sainteté qui mérite l’attention, parce qu’elle est une incarnation du charisme qui est né avec lui et qui s’est exprimé dans une pluralité d’états de vie et de formes. Il s’agit d’hommes et de femmes, de jeunes et d’adultes, de consacrés et de laïcs, d’évêques et de missionnaires qui, dans des contextes historiques, culturels et sociaux différents, dans le temps et dans l’espace, ont fait briller le charisme salésien d’une lumière singulière, représentant un patrimoine qui joue un rôle efficace dans la vie et la communauté des croyants et des personnes de bonne volonté.

Engagement a diffuser la connaissance, l’imitation et l’intercession des membres de notre famille candidats à la sainteté

Suggestions pour promouvoir une Cause

– Encourager la prière avec l’intercession du/de la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu, à travers des images (également les reliques ex-indumentis), des brochures, des livres… à distribuer dans les familles, les paroisses, les maisons religieuses, les centres de spiritualité, les hôpitaux pour demander la grâce des miracles et des faveurs par l’intercession du/de la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu.

– Il est particulièrement efficace de diffuser la neuvaine du/de la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu, en invoquant son intercession dans divers cas de nécessité matérielle et spirituelle.
Deux éléments formateurs sont soulignés : la valeur de la prière insistante et confiante et celle de la prière communautaire. Rappelons l’épisode biblique de Naam le Syrien (2 Rois 5,1-14), où l’on discerne plusieurs éléments : le signalement de l’homme de Dieu par une jeune fille, l’injonction de se baigner sept fois dans le Jourdain, le refus indigné et plein de ressentiment, la sagesse et l’insistance des serviteurs de Naam, l’obéissance de Naam, l’obtention non seulement de la guérison physique, mais du salut. Rappelons aussi la description de la première communauté de Jérusalem, lorsqu’il est dit : « Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus, et avec ses frères » (Ac 1,14).

– Il est recommandé d’organiser chaque mois, le jour de la mort du/de la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu, un moment de prière et de commémoration.

– Publier un bulletin d’information trimestriel ou quadrimestriel sur l’évolution de la Cause, les anniversaires et événements particuliers, les témoignages, les grâces… pour souligner que la Cause est vivante et suivie.

– Organiser une fois par an une journée commémorative, en soulignant des aspects particuliers ou des anniversaires de la figure du/de la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu, en impliquant des groupes particulièrement « intéressés » par son témoignage (par exemple, les prêtres, religieux, jeunes, familles, médecins, missionnaires…).

– Recueillir et documenter les grâces et les faveurs attribuées au/à la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu. Il est utile de disposer d’un carnet dans lequel on peut noter et signaler les grâces demandées et celles reçues, comme preuve de la réputation de sainteté et de signes. En particulier, dans le cas de guérisons et/ou de prétendus miracles, il est important de rassembler d’urgence toute la documentation médicale prouvant le cas et les preuves attestant de l’intercession.

– Constituer un Comité pour la promotion de cette Cause, également en vue de la béatification et de la canonisation. Les membres de ce Comité devraient être des personnes particulièrement sensibles à la promotion de la Cause : représentants du diocèse et de la paroisse d’origine, responsables de groupes et d’associations, médecins (pour l’étude des miracles allégués), historiens, théologiens et experts en spiritualité…

– Promouvoir la connaissance par le biais de biographies, d’éditions critiques d’écrits et d’autres productions multimédias.

– Présenter périodiquement la figure du/de la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu dans le bulletin paroissial et le journal diocésain, ainsi que dans le Bulletin Salésien.

– Avoir un site ou un lien dédié au/à la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu avec sa vie, des données et des nouvelles liées à la Cause de béatification et de canonisation, des demandes de prières, des notifications de grâces…

– Revoir et réorganiser les environnements dans lesquels il a vécu. Organiser un espace d’exposition. Elaborer un itinéraire spirituel sur ses traces, en mettant en valeur les lieux (maison natale, église, lieux de vie…) et les signes.

– Commander des archives avec toute la documentation cataloguée et informatisée relative au/à la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu.

– Créer un fonds économique pour soutenir à la fois les dépenses de la Postulation de la Cause et le travail de promotion et d’animation de la Cause elle-même.

– Promouvoir des œuvres de charité et d’éducation au nom du/de la Bienheureux/se, Vénérable, Serviteur/Servante de Dieu, par le biais de projets, de jumelages…

Attention particulières aux prétendus miracles !

– Cultiver notre regard « théologique » pour saisir les miracles qui se produisent chaque jour dans notre vie et autour de nous.
– Prier et faire prier pour les différents cas qui se présentent, et demander que par l’intercession d’un Serviteur de Dieu ou d’un Vénérable ou d’un Bienheureux, le Seigneur intervienne avec sa grâce et opère non seulement un miracle objectivement sur la santé corporelle, mais aussi une conversion véritable et sincère.
– Faire mieux comprendre ce qu’est un miracle « démontrable » et à quoi il sert dans une Cause de canonisation, en montrant non seulement l’aspect scientifique et médical, mais aussi l’aspect théologique.
– Nommer une personne désignée à qui l’on peut communiquer et rapporter les grâces et les miracles présumés. Suivre une cause pour certifier un miracle est un très grand engagement pour un promoteur qui doit faire preuve d’un véritable amour pour le/la Serviteur/Servante de Dieu.
– Faire prendre conscience que nous devons avoir plus de foi dans l’intercession de nos saints.
– Communiquer en demandant une grâce pour nous unir dans la prière. Ne pas se lasser de prier.
– Suivre mieux et personnellement les personnes à qui l’on donne du matériel (neuvaines, cartes saintes, etc.) et choisir avec soin les lieux où le faire.
– Il est important de sensibiliser les fidèles à la prière continue, soutenue par une grande foi et disposée à toujours accepter la volonté de Dieu. Nous pouvons apprendre cela en regardant la vie et les souffrances de nos saints.
– En plus des prières, il est important d’être proche par la présence des familles en grande difficulté et de leur donner des reliques.
– Dans le cas d’un prétendu miracle, il est nécessaire de procéder rigoureusement selon une méthodologie scientifique en rassemblant les preuves, les témoignages, les avis médicaux, etc. et en classant éventuellement toutes les informations par ordre chronologique.

Le miracle se compose de deux éléments essentiels : l’élément scientifique et l’élément théologique. Le second conditionne toutefois le premier.

Il convient de préparer

1. Un rapport bref et précis sur les circonstances particulières qui ont caractérisé le cas ; il s’agit d’un récit chronologique de tous les éléments de l’événement prodigieux, qu’il s’agisse des éléments scientifiques ou des éléments théologiques. Les faits chronologiques comprennent : les généralités sur la personne guérie ; les symptômes de la maladie ; la chronologie des événements médico- scientifiques ; l’indication des heures décisives de la guérison ; la clarification du diagnostic et du pronostic du cas, en mettant en évidence toutes les recherches effectuées. Aperçu de la thérapie suivie, illustration du mode de guérison, c’est-à-dire quand la dernière observation a été faite avant la guérison, l’intégralité de la guérison, présentée de manière très détaillée, et la permanence de la guérison.

2. Une liste de textes pouvant contribuer à la recherche de la vérité du cas (la personne guérie, parents, médecins, infirmiers, personnes ayant prié…).

3. Tous les documents relatifs à l’affaire. Les documents médicaux, cliniques et instrumentaux (par exemple, les dossiers médicaux, les rapports médicaux, les examens de laboratoire et les investigations instrumentales) sont requis pour les guérisons miraculeuses présumées.

Discernement initial avant d’entamer une cause

Tout d’abord, il est nécessaire, de la part du Provincial et de son Conseil ou du/de la Supérieure ou Responsable de groupe, d’enquêter et de documenter avec la plus grande diligence la fama sanctitatis et signorum du/de la candidat/e et la pertinence de la Cause, afin de vérifier la véracité des faits et la formation conséquente d’une certitude morale motivée. En outre, il est essentiel que la Cause en question intéresse une partie pertinente et significative du peuple de Dieu et qu’elle ne soit pas l’intention de quelques groupes ou même de quelques individus. Tout cela implique un discernement initial plus raisonné et documenté, afin d’éviter la dispersion des énergies, des forces, du temps et des ressources.
Il est ensuite essentiel d’identifier la bonne personne (vice-postulateur) qui prendra la cause à cœur et aura le temps et la possibilité de la suivre dans toutes ses étapes.
Il faut également se rappeler que le lancement et la poursuite d’une cause nécessitent un investissement considérable en termes de ressources humaines et financières.

Conclusion

La sainteté reconnue, ou en voie de reconnaissance, est d’une part déjà une réalisation du radicalisme évangélique et de la fidélité au projet apostolique de Don Bosco, à considérer comme une ressource spirituelle et pastorale ; d’autre part, elle est une provocation à vivre sa vocation avec fidélité pour être disponible à témoigner de l’amour jusqu’à l’extrême. Nos Saints, Bienheureux, Vénérables et Serviteurs de Dieu sont l’incarnation authentique du charisme salésien et des Constitutions ou Règlements de nos Instituts et Groupes dans les temps et les situations les plus divers, en surmontant cette mondanité et cette superficialité spirituelle qui minent à la racine notre crédibilité et notre fécondité. Les saints sont de véritables mystiques de la primauté de Dieu dans le don généreux de soi, des prophètes de la fraternité évangélique, des serviteurs des frères et sœurs avec créativité.

Le cheminement de la sainteté est un parcours à faire ensemble, en compagnie des saints. La sainteté se vit et se réalise ensemble. Les saints sont toujours en compagnie : là où il y en a un, il y en a toujours beaucoup d’autres. La sainteté quotidienne fait fleurir la communion et est un générateur « relationnel ». La sainteté se nourrit de relations, de confiance, de communion. En vérité, comme la liturgie de l’Église nous fait prier dans la préface des saints : « Dans leur vie, vous nous offrez un exemple, dans leur intercession une aide, dans la communion de la grâce un lien d’amour fraternel. Forts de leur témoignage, affrontons le bon combat de la foi, pour partager au-delà de la mort la même couronne de gloire ».




Merveilles de la Mère de Dieu invoquée sous le titre de Marie Auxiliatrice (7/13)

(suite de l’article précédent)

Chap. XIII. Institution de la fête de Marie secours des chrétiens.

            La façon merveilleuse dont Pie VII a été libéré de son emprisonnement est le grand événement qui a donné lieu à l’institution de la fête de Marie secours des chrétiens.
            L’empereur Napoléon Ier avait déjà opprimé le Souverain Pontife de plusieurs façons, en le dépouillant de ses biens, en dispersant les cardinaux, les évêques, les prêtres et les religieux, et en les privant également de leurs biens. Après cela, Napoléon exigea du pape des choses qu’il ne pouvait pas lui accorder. Au refus de Pie VII l’empereur répond par la violence et le sacrilège. Le pape est arrêté dans son propre palais et, avec le cardinal Pacca, son secrétaire, emmené de force à Savone où le souverain pontife persécuté, mais toujours glorieux, passe plus de cinq ans dans une sévère captivité. Mais là où il y a le pape, il y a le chef de la religion et la présence de tous les vrais catholiques. C’est ainsi que Savone devint d’une certaine manière une autre Rome. Tant de démonstrations d’affection excitèrent la jalousie de l’empereur, qui voulait que le vicaire de Jésus-Christ soit humilié ; il ordonna donc que le pontife soit transféré à Fontainebleau, un château situé non loin de Paris.
            Pendant que le chef de l’Église gémissait comme un prisonnier séparé de ses conseillers et de ses amis, il ne restait plus aux chrétiens qu’à imiter les fidèles de l’Église primitive lorsque saint Pierre était en prison, c’est-à-dire à prier. Le vénérable pontife priait, et avec lui tous les catholiques priaient, implorant l’aide de Celle qui est appelée Magnum in Ecclesia praesidium (puissante protectrice de l’Église). On pense généralement que le pontife a promis à la Sainte Vierge d’instituer une fête pour honorer le titre de Marie secours des chrétiens, s’il pouvait revenir à Rome sur le trône pontifical. Entre-temps, tout souriait au terrible conquérant. Après avoir fait résonner son nom redouté sur toute la terre, marchant de victoire en victoire, il avait transporté ses armes dans les régions les plus froides de la Russie, croyant y trouver de nouveaux triomphes. Mais la divine Providence lui avait au contraire préparé des désastres et des défaites.
            Émue de pitié par les gémissements du vicaire de Jésus-Christ et les prières de ses enfants, Marie changea en un instant le sort de l’Europe et du monde.
            Les rigueurs de l’hiver de Russie et la déloyauté de nombreux généraux français mirent à néant tous les espoirs de Napoléon. La plus grande partie de cette formidable armée périt victime du gel ou ensevelie sous la neige. Les quelques troupes épargnées par les rigueurs du froid abandonnèrent l’Empereur, qui dut s’enfuir, battre en retraite à Paris et se livrer aux mains des Anglais, qui l’emmenèrent prisonnier sur l’île d’Elbe. La justice put alors reprendre son cours ; le pontife fut rapidement libéré ; Rome l’accueillit avec le plus grand enthousiasme, et le chef de la chrétienté, désormais libre et indépendant, put reprendre le gouvernement de l’Église universelle. Ainsi libéré, Pie VII voulut immédiatement donner un signe public de reconnaissance à la Sainte Vierge. Tous, en effet, reconnaissaient que c’était à son intercession qu’il devait sa libération inattendue. Accompagné de quelques cardinaux, il se rendit à Savone où il couronna la prodigieuse image de la Miséricorde vénérée dans cette ville ; et c’est avec une foule sans précédent, en présence du roi Victor-Emmanuel Ier et d’autres princes, que se déroula la majestueuse fonction au cours de laquelle le pape plaça une couronne de pierres précieuses et de diamants sur la tête de la vénérable effigie de Marie.
            De retour à Rome, il voulut accomplir la deuxième partie de sa promesse en instituant une fête spéciale dans l’Église, pour attester ce grand prodige devant la postérité.
            Rappelant que de tout temps la Sainte Vierge a été proclamée le secours des chrétiens, il s’appuya sur ce que saint Pie V avait fait après la victoire de Lépante en ordonnant qu’on insère dans les litanies de la Sainte Vierge l’invocation : Auxilium Christianorum ora pro nobis. Il voulait ainsi expliquer et étendre de plus en plus cette dévotion que le pape Innocent XI avait décrétée en instituant la fête du saint nom de Marie. Pour commémorer perpétuellement sa prodigieuse libération, celle des cardinaux et des évêques et la liberté rendue à l’Église, et pour qu’il y ait un monument perpétuel à cet effet parmi tous les peuples chrétiens, Pie VII institua la fête de Marie Auxilium Christianorum, qui sera célébrée chaque année le 24 mai. Ce jour a été choisi parce que c’est ce jour-là, en 1814, qu’il a été libéré et qu’il a pu retourner à Rome sous les applaudissements les plus vifs des Romains. (Ceux qui souhaitent en savoir plus sur ce que nous avons brièvement exposé ici peuvent consulter Artaud : Vita di Pio VII ; l’article de Moroni : Pie VII ; P. Carini : Il sabato santificato ; Carlo Ferreri : Corona di fiori etc. Discursus praedicabiles super litanias Lauretanas du P. Giuseppe Miecoviense). Tant qu’il vécut, le glorieux pontife Pie VII encouragea le culte marial ; il approuva les associations et les confréries qui lui étaient dédiées et accorda de nombreuses indulgences pour les pratiques pieuses effectuées en son honneur. Un seul fait suffit à démontrer la grande vénération de ce pontife envers Marie Auxiliatrice.
            En 1817, un nouveau tableau de la Vierge devait être placé à Rome dans l’église Santa Maria in Monticelli, confiée aux Prêtres de la Doctrine chrétienne. Le 11 mai, ce tableau fut apporté au pontife au Vatican pour qu’il le bénisse et lui impose un titre. Dès qu’il vit l’image pieuse, le pape ressentit une si grande émotion dans son cœur qu’il prononça instantanément cette magnifique invocation : Maria Auxilium Christianorum, ora pro nobis. À la voix du Saint-Père firent écho tous les fils dévoués de Marie et lors de la première inauguration (le 15 du même mois), il y eut un véritable transport de personnes, de joie et de dévotion. Les offrandes, les vœux et les prières ferventes se sont poursuivis jusqu’à aujourd’hui. On peut donc dire que cette image est continuellement entourée de fidèles qui demandent et obtiennent des grâces par l’intercession de Marie, secours des chrétiens.

Chap. XIV. La découverte de l’image de Marie Auxilium Christianorum de Spolète.

            En racontant l’histoire de la découverte de la prodigieuse image de Marie Auxilium Christianorum dans les environs de Spolète, nous transcrivons littéralement le rapport fait par Monseigneur Arnaldi, archevêque de cette ville.
            Dans la paroisse Saint-Luc, entre Castelrinaldi et Montefalco, dans l’archidiocèse de Spolète, en pleine campagne loin de la ville et à l’écart de la route, il existait au sommet d’une petite colline une image ancienne de la Vierge embrassant l’enfant Jésus, peinte à fresque dans une niche. À côté, quatre images qui semblaient abîmées par le temps représentaient saint Barthélemy, saint Sébastien, saint Blaise et saint Roch. Depuis longtemps exposées aux éléments, elles avaient non seulement perdu de leur vivacité, mais elles avaient même presque entièrement disparu. Seule la vénérable image de Marie avec l’enfant Jésus a été bien conservée. Il reste encore un vestige de mur qui montre qu’une église a existé à cet endroit. D’aussi loin que l’on se souvienne, ce lieu a été totalement oublié, et réduit à un repaire de reptiles et notamment de serpents.
            Depuis plusieurs mois déjà, cette vénérable image avait suscité en quelque sorte son propre culte au moyen d’une voix entendue à plusieurs reprises par un enfant de moins de cinq ans, nommé Enrico. La voix l’appelait par son nom et l’image se manifestait à lui d’une manière qu’il ne réussissait pas à bien exprimer. Cependant, elle n’avait pas attiré l’attention du public avant le 19 mars de l’année 1862.
            Un jeune paysan des environs, âgé de trente ans, souffrant par suite de nombreux maux devenus chroniques, et abandonné par ses médecins, se sentit inspiré pour aller vénérer l’image de Marie. Il déclara qu’après s’être recommandé à la Sainte Vierge en ce lieu, il sentit revenir les forces qu’il avait perdues et en quelques jours, sans avoir recours à aucun remède naturel, il retrouva une santé parfaite. D’autres personnes ont également ressenti, sans savoir comment ni pourquoi, une impulsion naturelle à aller vénérer cette image sainte, et ont rapporté des grâces provenant de cette image. Ces événements remirent en mémoire et en discussion parmi les habitants la faible voix de l’enfant, à qui on n’avait naturellement accordé aucun crédit ni aucune importance, comme il se devait. C’est alors que l’on apprit que la mère de l’enfant avait perdu sa trace lors de la prétendue apparition et avait pu finalement le retrouver près de la petite église en ruines. On apprit également qu’une brave femme, affligée par Dieu de grands maux, avait annoncé au moment de sa mort, il y a un an, que la Sainte Vierge voulait être honorée et vénérée à cet endroit, qu’on y construirait un sanctuaire et que les fidèles y afflueraient en grand nombre.
            De fait, un grand nombre de personnes y affluent, non seulement du diocèse, mais aussi des diocèses voisins de Todi, Pérouse, Foligno, Nocera, Narni, Norcia, etc., et le nombre augmente de jour en jour, surtout les jours de fête, jusqu’à cinq ou six mille. C’est là le plus grand prodige bien attesté, car on n’en voit pas de semblable ailleurs.
            Le miracle des miracles, c’est le grand concours des fidèles qui affluent de tous côtés comme s’ils étaient conduits par une lumière et une force célestes : un concours spontané, un concours inexplicable et inexprimable. Même les ennemis de l’Église, même ceux qui sont boiteux dans leur foi, sont obligés d’avouer qu’ils ne peuvent pas expliquer cet enthousiasme sacré du peuple… Nombreux sont les infirmes que l’on dit guéris, fréquentes sont les grâces prodigieuses et singulières. Bien qu’il faille procéder avec la plus grande prudence pour discerner les rumeurs et les faits, il semble indubitable qu’une femme, affligée d’une maladie mortelle, a été guérie en invoquant cette image sacrée. Un jeune homme de Villa San Giacomo, qui avait les pieds broyés par les roues d’une charrette et obligé de marcher avec des béquilles, a visité la sainte image et a ressenti une telle amélioration qu’il a jeté ses béquilles et a pu rentrer chez lui sans elles, parfaitement libre. D’autres guérisons ont également eu lieu.
            Il ne faut pas oublier que certains incrédules, après être allés visiter la sainte image et s’être moqués d’elle, sont venus sur place et, contre leur gré, ont éprouvé le besoin de s’agenouiller et de prier, et sont revenus avec des sentiments complètement différents, parlant publiquement des merveilles de Marie. Le changement produit chez ces personnes à l’esprit et au cœur corrompus fit une sainte impression sur le peuple (fin du témoignage de l’archevêque Arnaldi).
            Cet archevêque voulut se rendre lui-même sur les lieux avec de nombreux ecclésiastiques et son vicaire pour constater la vérité des faits, et il y trouva des milliers de fidèles. Il ordonna la restauration de l’effigie, quelque peu abîmée en diverses parties. Ayant déjà recueilli la somme de six cents écus à titre d’offrandes, il chargea d’excellents artistes de dessiner un sanctuaire, en insistant pour que les fondations en soient posées sans tarder.
            Pour accroître la gloire de Marie et la dévotion des fidèles envers une Mère si puissante, il ordonna de couvrir provisoirement et avec soin la niche où l’on vénère l’image miraculeuse, et d’ériger un autel pour la célébration de la sainte Messe.
            Ces dispositions apportèrent une consolation indicible aux fidèles, et à partir de ce moment, le nombre de personnes venant de tous les horizons augmenta chaque jour.
            L’image pieuse n’avait pas une appellation particulière, et le pieux archevêque jugea qu’elle devait être vénérée sous le nom d’Auxilium Christianorum, qui semblait le plus approprié à l’attitude de la Vierge. Il a également prévu qu’il y aurait toujours un prêtre en charge du sanctuaire ou un laïc de bonne réputation.
            Le rapport de ce prélat se termine par le récit d’un nouveau trait de la bonté de Marie invoquée aux pieds de cette image.
            « Une jeune fille d’Acquaviva était en période de probation dans ce monastère de Sainte-Marie de l’Étoile comme sœur converse. Atteinte d’une maladie rhumatismale générale, tous ses membres étant paralysés, elle fut obligée de retourner dans sa famille.
            « Malgré tous les remèdes essayés par ses parents, elle ne put jamais être guérie et depuis quatre ans elle était continuellement alitée, victime d’une affection chronique. Entendant parler des grâces de cette merveilleuse image, elle souhaita y être portée sur un char. Dès qu’elle se trouva devant la vénérable image, elle connut une amélioration remarquable, et peu après elle retrouva l’usage de tous ses membres et retourna à pied à sa maison. On raconte également de grandes grâces obtenues par des personnes originaires de Foligno.
            « La dévotion envers Marie augmente toujours plus d’une manière très consolante pour mon cœur. Que Dieu soit toujours béni qui, dans sa miséricorde, a daigné ranimer la foi dans toute l’Ombrie par la prodigieuse manifestation de sa sainte mère Marie. Bénie soit la Sainte Vierge qui, par cette manifestation, a daigné montrer sa préférence à l’archidiocèse de Spolète.
            Bénis soient Jésus et Marie qui, par cette manifestation miséricordieuse, ouvrent le cœur des catholiques à une espérance plus vive.

            Spolète, 17 mai 1862. »

† GIOVANNI BATTISTA ARNALDI.

            C’est ainsi que la vénérable image de Marie Auxiliatrice près de Spolète, peinte en 1570 et restée près de trois siècles sans honneur, a connu à notre époque une grande célébrité grâce aux faveurs que la Reine des Cieux accorde à ses fidèles en ce lieu. Et cet humble endroit est devenu un véritable lieu de pèlerinage, où affluent des personnes de toute part. Les pieux bénéficiaires de Marie laissent des témoignages de leur gratitude au moyen de généreuses offrandes, grâce auxquelles on a pu poser les fondations d’un majestueux sanctuaire, qui atteindra bientôt l’achèvement désiré.

(suite)




Le parcours éducatif de Don Bosco (2/2)

(suite de l’article précédent)

Le marché des jeunes bras
            L’époque historique dans laquelle Don Bosco a vécu n’était pas des plus heureuses. Dans les quartiers de Turin, le saint éducateur découvre un véritable « marché des jeunes bras » : la ville se remplit de plus en plus de mineurs exploités de façon inhumaine.
            Don Bosco lui-même se souvient que les premiers garçons qu’il a pu approcher étaient « des tailleurs de pierre, des maçons, des plâtriers, des burineurs et d’autres qui venaient de villages lointains ». Partout ils étaient employés sans être protégés par aucune loi. Ils étaient « colporteurs, vendeurs d’allumettes, cireurs de chaussures, ramoneurs, garçons d’écurie, colporteurs de brochures, serviteurs des commerçants au marché, tous pauvres garçons vivant à la journée ». Il les a vus grimper sur les échafaudages des maçons, chercher une place d’apprenti dans les magasins, errer de-ci de-là comme ramoneurs. Il les a vus jouer pour de l’argent au coin des rues ; s’il essayait de les approcher, ils se détournaient avec méfiance et mépris. Ce n’étaient plus les garçons des Becchi, fascinés par les contes ou les tours de passe-passe. C’étaient les « loups » de ses rêves, premiers effets de la révolution industrielle qui allait bouleverser le monde.
            Ils arrivent par centaines de leur village à la grande ville, à la recherche d’un travail. Ils ne trouvent que des lieux sordides, où s’entasse toute la famille, sans air, sans lumière, fétides à cause de l’humidité et des bouches d’égout. Dans les usines et les ateliers, aucune mesure d’hygiène, aucun règlement si ce n’est celui imposé par le patron.
            Fuir la pauvreté de la campagne pour aller à la ville signifiait aussi accepter des salaires médiocres ou s’adapter à un niveau de vie risqué pour avoir quelque chose à gagner. Ce n’est qu’en 1886 qu’arrivera une première loi, grâce aussi au zèle du prêtre des apprentis, qui réglementera de quelque manière le travail des mineurs. Dans les chantiers en construction, Don Bosco voit « des enfants de huit à douze ans, loin de leur pays, au service des maçons, passant leurs journées à monter et descendre des échafaudages peu sûrs, exposés au soleil et au vent, à grimper sur les échelles chargés de chaux et de briques, sans autre aide éducative que des rebuffades grossières ou des coups ».
            Don Bosco en vient rapidement aux conclusions. Ces garçons ont besoin d’une école et d’un travail qui leur ouvrent un avenir plus sûr, ils ont besoin d’être des jeunes avant tout, de vivre l’exubérance de leur âge, sans se morfondre sur les trottoirs et encombrer les prisons. La réalité sociale de notre époque semble un écho de celle d’hier : d’autres immigrés, d’autres visages frappent comme un fleuve en crue aux portes de nos consciences.
            Don Bosco a été un éducateur doué d’intuition et de sens pratique, réticent aux solutions intellectuelles, aux méthodologies absconses et aux projets abstraits. La page éducative est écrite par le saint avec sa vie, avant de l’être avec sa plume. C’est la façon la plus convaincante pour donner crédit à un système éducatif. Pour faire face à l’injustice, à l’exploitation morale et matérielle des mineurs, il crée des écoles, organise des ateliers artisanaux de toutes sortes, invente et promeut des initiatives contractuelles pour protéger les mineurs, stimule les consciences avec des propositions de formation au travail. À la politique vide du gouvernement et aux manifestations intéressées de la rue il répond par des structures d’accueil efficaces, des services sociaux innovants, objet d’estime et d’admiration même des anticléricaux les plus ardents de l’époque. Et l’histoire d’aujourd’hui n’est pas si différente de celle d’hier ; rappelons-nous que l’histoire porte l’habit que ses tailleurs confectionnent de leurs propres mains et avec leurs propres idées.
            Don Bosco a cru dans le jeune, il a parié sur ses capacités, peu nombreuses ou nombreuses, visibles ou cachées. Ami de tant d’enfants des rues, il savait lire le potentiel de bonté caché dans leur cœur. Il a su creuser dans la vie de chacun et en tirer de précieuses ressources pour tailler un habit à la mesure de la dignité de ses jeunes amis. Une pédagogie qui ne touche pas à l’être même de la personne et ne sait pas conjuguer les valeurs éternelles de toute créature, en dehors de toute logique historique et culturelle, court le risque d’intervenir sur des personnes abstraites ou seulement en surface.
            L’impact sur le terrain de son époque fut déterminant. Il a regardé autour de lui, partout ; il a vu et créé l’impossible pour réaliser ses saintes utopies. Il est entré en contact avec les réalités extrêmes de la déviance juvénile. Il est entré dans les prisons et a pu regarder à l’intérieur de ce fléau avec courage et un esprit sacerdotal. C’est cette expérience qui l’a profondément marqué. Il a abordé les maux de la ville en se laissant toucher personnellement, conscient de l’existence de tant de jeunes qui attendaient que quelqu’un s’occupe d’eux. Il a vu avec son cœur et son esprit leurs traumatismes humains ; il a même pleuré, mais il ne s’est pas arrêté aux barreaux ; il a réussi à crier avec la force de son cœur, à ceux qu’il a rencontrés, que la prison n’est pas un bon cadeau pour la vie, mais qu’il y a une autre façon de vivre la vie. Il l’a crié à travers des choix concrets, attentif à ces voix provenant des cellules insalubres, semant des gestes de proximité envers cette foule de jeunes de la rue aveuglés par l’ignorance et refroidis par l’indifférence des gens. Ce fut la hantise de toute une vie : empêcher que tant de jeunes ne finissent derrière les barreaux ou pendus à la potence. Il n’est absolument pas concevable que son système préventif n’ait aucun lien avec cette expérience de jeunesse amère et choquante. Même s’il l’avait voulu, il n’aurait jamais pu oublier la dernière nuit passée à côté d’un jeune homme condamné à la pendaison, ni l’accompagnement des condamnés à mort et son évanouissement à la vue de la potence. Comment est-il concevable que son cœur n’ait pas eu une réaction en passant devant les gens qui se montraient peut-être satisfaits, ou peut-être apitoyés sur le sort du condamné, en voyant une jeune vie étouffée par la logique humaine qui règle ses comptes à ceux qui ont fini dans un ravin et ne se baisse pas pour tendre une main pour les en sortir ? Le paysan des Becchi, au cœur grand comme le sable de la mer, a été une main toujours tendue vers la jeunesse pauvre et abandonnée.

Un héritage précieux
            Tout homme laisse toujours une trace de son passage sur la terre. Don Bosco a laissé à l’histoire l’incarnation d’une méthode éducative qui est aussi une spiritualité, le fruit d’une sagesse éducative expérimentée dans le labeur quotidien, aux côtés des jeunes. On a beaucoup écrit sur ce précieux héritage !
            Le champ éducatif est aujourd’hui plus complexe que jamais, car il évolue dans un tissu culturel décousu. Il existe un très grand pluralisme méthodologique dans les interventions pratiques, tant sur le plan social que politique.
            L’éducateur est confronté à des situations difficiles à décrypter et souvent contradictoires, à des modèles tantôt permissifs, tantôt autoritaires. Que faire ? Malheur à l’éducateur incertain, retenu par le doute ! Celui qui éduque ne peut vivre dans l’indécision et la perplexité, faisant la navette « entre ceci ou cela ». Éduquer dans une société fragmentée n’est pas facile. Face à une catégorie importante de marginaux, très fragmentée, il n’est pas facile d’apporter la lumière ; ce qui compte, c’est le subjectif, l’intérêt personnel, la tendance à se réfugier dans des idéaux éphémères et transitoires. Après les années où prévalait l’engagement personnel, nous sommes passés au rejet ou au désintérêt pour la vie publique, pour la politique : peu de participation, peu de désir d’engagement.
            À l’absence d’un centre fournissant des repères stables, s’ajoute l’absence d’un socle de certitudes, capable de donner aux jeunes l’envie de vivre et l’amour du service pour les autres.
            Et pourtant, dans ce monde d’hégémonies provisoires, dépourvu de culture unitaire, aux éléments hétérogènes et isolés, apparaissent de nouveaux besoins : une meilleure qualité de vie, des relations humaines plus constructives, l’affirmation d’une solidarité centrée sur le volontariat. Un besoin de nouveaux espaces ouverts de dialogue et de rencontre se manifeste : ce sont les jeunes qui décident comment, où et quoi se dire.
            À l’heure de la bioéthique, de la télécommande, de la recherche des choses belles et simples de la terre, nous cherchons le nouveau visage de la pédagogie. Une pédagogie qui prend le vêtement de l’accueil, de la disponibilité, de l’esprit de famille, qui génère la confiance, la joie, l’optimisme, la sympathie, qui ouvre des horizons d’espérance, qui cherche les voies et moyens pour promouvoir la nouveauté de la vie. C’est la pédagogie du cœur humain, l’héritage le plus précieux que Don Bosco a laissé à la société.
            Sur ce tissu, ouvert et sensible à la prévention, il faut construire avec courage et volonté un avenir meilleur pour les jeunes perturbés d’aujourd’hui. Il est toujours possible d’actualiser l’intervention pédagogique de Don Bosco, car elle est fondée sur la nature de tout être humain. Ce sont les critères de la raison, de la religion et de l’amour bienveillant, le trinôme sur lequel tant de jeunes ont été formés pour devenir « d’honnêtes citoyens et de bons chrétiens ».
            Il ne s’agit pas d’une étude abstraite, répétons-le, mais d’un mode de vie, de l’adhésion à un esprit, qui contient des valeurs nées et développées dans l’homme, créé à l’image et à la ressemblance du Créateur. L’extraordinaire prédilection pour les jeunes, le profond respect pour leur personne et leur liberté, le souci d’allier les besoins matériels à ceux de l’esprit, la patience pour vivre au rythme de la croissance ou du changement du jeune en sujet actif et non passif de tout processus éducatif, telle est la synthèse de ce « précieux héritage ».
            Mais il y a un autre aspect. Il y a un compte ouvert avec la société : les jeunes de l’avenir demandent un Don Bosco « universel« , au-delà des frontières de sa famille apostolique. Combien de nos jeunes n’ont jamais entendu parler de Don Bosco !
            Il est urgent de relancer son message, toujours vivant. Si nous négligeons ce processus naturel de réactualisation, nous risquons aussi de tuer les signes positifs présents dans la culture d’aujourd’hui qui, bien qu’avec des sensibilités différentes et des finalités et motivations opposées, a à cœur la promotion humaine du jeune.
            La pédagogie de Don Bosco, avant d’être traduite en documents de réflexion et en écrits systématiques, a pris le visage de tous les jeunes qu’il a éduqués. Chaque page de son système éducatif porte un nom, un fait, une réussite, peut-être aussi des échecs. Le secret de sa sainteté ? Les jeunes ! « Pour vous j’étudie, pour vous je travaille, pour vous je suis prêt à donner ma vie ».
            Aux jeunes sans amour Don Bosco a redonné l’amour. Pour les jeunes sans famille, parce qu’elle n’existait pas ou parce qu’elle était physiquement et spirituellement loin d’eux, Don Bosco a cherché à construire ou à reconstruire l’environnement et le climat de la famille. Homme doté d’une profonde volonté d’amélioration par un changement continuel, Don Bosco s’est laissé guider par la certitude que tous les jeunes, réellement, pouvaient devenir meilleurs. Un germe de bonté, une possibilité de réussite étaient en chaque jeune ; il suffisait de trouver le chemin : « Il prit à cœur le sort de milliers de petits vagabonds et de petits voleurs par abandon ou par misère, gamins et jeunes affamés et sans abri ».
            Ceux que la société mettait en marge étaient pour Don Bosco à la première place, ils étaient l’objet de sa foi. Les jeunes rejetés par la société représentaient même sa gloire ; c’était le défi à relever à un moment de l’histoire où l’attention et le souci éducatif de la société et des organisations étaient dirigés vers les jeunes « comme il faut », le plus « comme il faut » possible.
            Don Bosco a senti la puissance de l’amour dans l’éducateur. Il ne se souciait pas du tout de s’adapter et de se conformer aux systèmes, méthodes et concepts pédagogiques en usage à son époque. Il était un ennemi déclaré d’une éducation qui mettait l’accent sur l’autorité avant tout, qui prônait une relation froide et détachée entre les éducateurs et les élèves. La violence punissait momentanément les vicieux, mais ne les guérissait pas. C’est pourquoi il n’acceptait pas et n’a jamais autorisé les punitions « exemplaires », censées avoir un effet préventif, en instillant la peur, l’anxiété et l’angoisse.
            Il comprenait qu’aucune éducation n’était possible sans gagner le cœur du jeune ; sa méthode éducative était celle qui conduisait au consensus et à la participation du jeune. Il était convaincu qu’aucun effort pédagogique ne porterait ses fruits tant qu’il n’aurait pas trouvé son fondement dans une entière disponibilité à l’écoute.
            Il y a une caractéristique qui concerne la sphère dans laquelle se déroule l’éducation et qui est typique de la pédagogie de Don Bosco : la création et la préservation d’un climat de joie, où chaque jour devient une fête. Une telle joie n’existe, et il ne peut en être autrement, que dans un contexte de créativité, qui exclut l’ennui, tout sentiment de lassitude de ne pas savoir comment occuper le temps. Dans ce domaine, Don Bosco possédait une inventivité et une habileté extraordinaires qui lui permettaient non seulement de divertir les jeunes, mais de les attirer à lui par des jeux, des récitations, des chants, des promenades. Le monde de la gaieté représentait un passage obligé pour sa pédagogie.
            Les jeunes doivent bien sûr découvrir où se situe leur erreur, et pour cela ils ont besoin de l’aide de l’éducateur, y compris de sa désapprobation, mais celle-ci ne doit absolument pas s’accompagner de violence. La désapprobation est un appel à la conscience. L’éducateur doit être le guide des valeurs et non de sa propre personne. Dans l’intervention éducative, un lien trop fort de l’élève à la personne de l’éducateur peut menacer l’effet favorable de l’activité éducative de l’éducateur ; un mythe, généré par l’émotivité, peut facilement surgir au point d’en faire un idéal absolutisé. Les jeunes ne doivent pas être disposés à faire notre volonté : ils doivent apprendre à faire ce qui est juste et significatif pour leur croissance humaine et existentielle. L’éducateur travaille pour l’avenir, mais il ne peut pas travailler sur l’avenir ; il doit donc accepter d’être continuellement exposé à la révision de son travail, de ses méthodologies et surtout il doit se préoccuper continuellement de découvrir de plus en plus profondément la réalité de l’éduqué, afin d’intervenir au bon moment.
            Don Bosco disait : « Il ne suffit pas que le premier cercle, c’est-à-dire celui de la famille, soit sain, il faut aussi que le deuxième cercle, inévitable, formé par les amis de l’enfant, soit sain. Commencez par lui dire qu’il y a une grande différence entre les camarades et les amis. On ne choisit pas ses camarades ; on les trouve sur les bancs de l’école et sur le lieu de travail ou lors de réunions. Les amis, en revanche, il peut et doit les choisir… N’entravez pas la vivacité naturelle de l’enfant et ne dites pas qu’il est mauvais parce qu’il ne tient pas en place ».
            Mais cela ne suffit pas ; le jeu et le mouvement peuvent occuper une bonne partie, mais pas toute la vie de l’enfant. Le cœur a besoin de sa nourriture propre, il a besoin d’aimer.
             « Un jour, après une série de considérations sur Don Bosco, j’ai invité les garçons de notre centre à exprimer par un dessin, par un mot, par un geste l’image qu’ils s’étaient faite du saint.
            Certains dessinèrent la figure du prêtre entouré de garçons. Un autre dessina un barreau : le visage d’un garçon était esquissé à l’intérieur, tandis que de l’extérieur une main essayait de forcer une chaîne. Un autre encore, après un long silence, représenta deux mains qui se serraient. Un troisième dessina des cœurs à volonté, aux formes les plus variées et, au centre, un demi-buste de Don Bosco, avec beaucoup, beaucoup de mains qui touchaient ces cœurs. Un dernier a écrit un seul mot : père ! La plupart de ces garçons ne connaissent pas Don Bosco. »
             « Je rêvais depuis longtemps de les accompagner à Turin, mais les circonstances ne nous avaient pas toujours été favorables. Et après plusieurs tentatives infructueuses, nous avions réussi à constituer un groupe de huit garçons, tous avec des condamnations pénales. Deux jeunes avaient été autorisés à sortir de prison pendant quatre jours, trois étaient assignés à résidence, les autres étaient soumis à diverses obligations.
            J’aimerais avoir une plume d’artiste pour décrire les émotions que j’ai lues dans leurs yeux pendant qu’ils écoutaient le récit de leurs semblables que Don Bosco avait aidés. Ils déambulaient dans ces lieux bénis comme s’ils revivaient leur propre histoire. Dans les salles du saint, ils suivirent la sainte messe avec un recueillement émouvant. Je les revois fatigués, appuyant leur tête contre la châsse de Don Bosco, les yeux fixés sur son corps, murmurant des prières. Ce qu’ils ont dit, ce que Don Bosco a dit à ces garçons, je ne le saurai jamais. Avec eux, j’ai goûté à la joie de ma vocation. »
            Chez Don Bosco, nous trouvons une sagesse supérieure centrée sur la vie concrète de chaque garçon ou jeune qu’il rencontrait : leur vie devenait sa vie, leurs souffrances devenaient ses souffrances. Il ne se reposait pas tant qu’il ne les avait pas aidés. Les garçons qui entraient en contact avec Don Bosco se sentaient ses amis, ils sentaient qu’il était à leurs côtés, ils percevaient sa présence, ils goûtaient son affection. Ils étaient ainsi en sécurité, moins seuls : pour ceux qui vivent en marge, c’est le plus grand soutien qu’ils puissent recevoir.
            Dans un manuel d’école primaire, jauni et usé par les années, j’ai lu quelques phrases, écrites à l’encre, au bas de l’histoire du jongleur des Becchi. Celui qui les avait écrites était quelqu’un qui avait entendu parler du petit Jean Bosco pour la première fois : « Seul Dieu, sa Parole, est la règle immortelle et le guide de notre comportement et de nos actions. Dieu est là malgré les guerres. La terre, malgré les haines, continue à nous donner le pain pour vivre. »

            Don Alfonso Alfano, sdb




Missionnaires aux Pays-Bas

Dans l’imaginaire commun, les « missions » concernent le sud du monde. En réalité, il ne s’agit pas d’un critère géographique de base et l’Europe est également une destination pour les missionnaires salésiens. Dans cet article, nous parlerons des Pays-Bas.

Lorsque Don Bosco rêvait, entre 1871 et 1872, de « barbares » et de « sauvages », selon le langage de l’époque, hommes de grande taille au visage féroce, vêtus de peaux de bêtes, marchant dans une région qui lui était totalement inconnue avec, au loin, des missionnaires dans lesquels il reconnaissait ses salésiens, il ne pouvait pas prévoir l’énorme développement de la Congrégation salésienne dans le monde. Trente-cinq ans plus tard – 18 ans après sa mort – les salésiens créèrent leur première province en Inde et 153 ans plus tard, l’Inde deviendra le premier pays au monde en nombre de salésiens. Ce que Don Bosco n’aurait jamais pu imaginer, c’est que les salésiens indiens viendraient en Europe, en particulier aux Pays-Bas, pour travailler comme missionnaires et pour vivre et expérimenter leur vocation.

Nous rencontrons le père Biju Oledath sdb, né en 1975 à Kurianad, dans le Kerala, au sud de l’Inde. Salésien depuis 1993, il est arrivé aux Pays-Bas comme missionnaire en 1998, après avoir étudié la philosophie au collège salésien de Sonada. Après son stage pratique, il termina ses études de théologie à l’Université catholique de Louvain, en Belgique. En 2004, il a été ordonné prêtre en Inde et a servi comme jeune prêtre dans la paroisse d’Alapuzha, au Kerala, avant de retourner l’année suivante aux Pays-Bas en tant que missionnaire. Il vit et travaille actuellement dans la communauté salésienne à Assel.

Dans le cœur du père Biju, quand il était jeune, il y avait la graine de la mission ad gentes et, en particulier, le désir d’être destiné à l’Afrique, à la suite de ses confrères indiens partis pour le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda. Ce rêve missionnaire était alimenté par leurs récits et leurs écrits, lettres et articles sur le travail salésien en Afrique. Cependant, ses supérieurs pensaient qu’il était encore trop jeune et qu’il n’était pas encore prêt pour cette étape. Sa famille pensait également qu’il était trop dangereux pour lui de partir à ce moment-là. « Avec le recul, nous dit Don Biju, je suis d’accord avec eux : je devais d’abord terminer ma formation initiale et je voulais vraiment étudier la théologie dans une bonne université. Cela n’aurait pas été si facile dans ces pays à cette époque ».

Mais si le désir missionnaire est sincère et vient de Dieu, arrive le moment de l’appel. La vocation missionnaire salésienne, en effet, est un appel à l’intérieur de l’appel commun à la vie consacrée. C’est ainsi qu’en 1997, le père Biju s’est vu offrir la mission ad gentes en Europe, aux Pays-Bas, un projet certainement très différent de la vie missionnaire en Afrique. Après son stage pratique, il partit étudier la théologie à l’Université catholique de Louvain (Belgique). « J’ai hésité un moment avant d’avaler le morceau, mais j’étais quand même heureux de pouvoir partir pour un nouveau pays », admet le père Biju, toujours déterminé à parcourir le monde au service des jeunes.

Il n’est pas facile de connaître le lieu où on est envoyé comme missionnaire. Peut-être a-t-on entendu quelque chose sur le pays ou quelque histoire à son sujet. « J’avais déjà entendu parler des Pays-Bas, je savais qu’ils se trouvaient sous le niveau de la mer et j’avais lu l’histoire d’un enfant qui avait mis son doigt dans une digue pour empêcher une inondation, sauvant ainsi le pays. J’ai immédiatement cherché un atlas mondial et j’ai d’abord eu du mal à trouver les Pays-Bas parmi tous les autres grands pays européens ». Le père de Don Biju, inquiet de la distance et du long voyage, s’opposait au projet, tandis que sa mère le poussait à obéir à sa vocation et à suivre son rêve de bonheur.

Avant d’arriver en Europe, il lui a fallu attendre longtemps pour obtenir un visa pour les Pays-Bas. Entre-temps, le père Biju fut destiné à travailler avec les enfants de la rue à Bangalore. À la mi-décembre 1998, par une froide journée d’hiver, il arriva enfin à l’aéroport d’Amsterdam, où le provincial et deux autres salésiens attendaient le missionnaire indien. L’accueil chaleureux compensa le choc culturel provoqué par le nouveau contexte, très différent de celui de l’Inde, où il fait toujours chaud et où de nombreuses personnes vivent dans la rue. L’inculturation prend du temps ; il faut s’habituer, apprendre à connaître et à comprendre des dynamiques qui sont totalement inconnues dans le milieu d’origine.
La première année du père Biju a été consacrée à faire connaissance avec les différentes maisons et œuvres salésiennes : « Je me suis rendu compte qu’il y avait des gens très gentils et j’ai commencé à m’adapter à toutes ces nouvelles impressions et habitudes ». Les Pays-Bas ne sont pas seulement froids et pluvieux, mais il y a aussi de belles journées, ensoleillées et chaudes. Les salésiens ont été très gentils et accueillants avec le père Biju, soucieux de le mettre à l’aise pour qu’il se sente chez lui. La façon dont les Hollandais vivent leur foi chrétienne est certainement très différente de celle de l’Inde, et l’impact peut être choquant : de grandes églises avec peu de monde, principalement des personnes âgées, une musique et des chants différents, un style plus modeste. En plus de cela, Don Biju nous dit : « La nourriture, la famille, les amis, et surtout la proximité des jeunes salésiens de mon âge me manquaient beaucoup ».  Mais au fur et à mesure qu’on comprend mieux la situation, les différences commencent à avoir du sens et une logique.

Pour être un missionnaire salésien efficace en Europe, travailler dans une société sécularisée exige souvent une capacité d’adaptation, une sensibilité culturelle et une compréhension progressive du contexte local, qui ne peuvent être obtenues du jour au lendemain. Ce travail demande de la patience, l’aide de la prière, l’étude et la réflexion pour découvrir la foi à la lumière d’une nouvelle culture. Cette ouverture permet aux missionnaires de dialoguer avec sensibilité et respect envers la nouvelle culture, en reconnaissant la diversité et la pluralité des valeurs et des perspectives religieuses.
Les missionnaires doivent développer une foi et une spiritualité personnelles profondément enracinées dans le lieu où ils se trouvent, être des hommes de prière, faire face au déclin des taux d’affiliation religieuse, à la diminution de l’intérêt et de l’ouverture aux questions spirituelles, et à l’absence de nouvelles vocations à la vie religieuse et salésienne.
Le risque est grand de se perdre dans une société sécularisée où le matérialisme et l’individualisme prévalent et où l’ouverture et l’intérêt pour les questions spirituelles sont moindres. Si l’on n’y prend pas garde, un jeune missionnaire peut facilement tomber dans le scepticisme et dans l’indifférence religieuse et spirituelle. Dans tous ces moments, il est important d’avoir un directeur spirituel qui peut aider à faire un bon discernement.

Comme le père Biju, quelque 150 salésiens ont été envoyés dans toute l’Europe depuis le début du nouveau millénaire. Ce continent a besoin d’être rechristianisé, la foi catholique d’être revigorée et soutenue. Les missionnaires sont un don pour la communauté locale, tant au niveau salésien qu’au niveau de l’Église et de la société. La richesse de la diversité culturelle est un don réciproque pour ceux qui accueillent et pour ceux qui sont accueillis, et aide à ouvrir des horizons en montrant un visage plus « catholique », c’est-à-dire plus universel de l’Église. Les missionnaires salésiens apportent aussi une bouffée d’air frais dans certaines provinces qui ont du mal à opérer un changement de génération, où les jeunes sont moins intéressés par la vocation à la vie consacrée.

Malgré la tendance à la sécularisation, il y a des signes d’un renouveau de l’intérêt spirituel aux Pays-Bas, en particulier parmi les jeunes générations. Au cours des dernières années, on constate une ouverture à la spiritualité et un recul des sentiments antireligieux. Ce phénomène se manifeste sous diverses formes, notamment dans des formes alternatives d’appartenance à l’Église, dans l’exploration de pratiques spirituelles alternatives, dans la pleine prise de conscience de soi et la réévaluation des croyances religieuses traditionnelles. Il est de plus en plus nécessaire d’aider les jeunes, car un groupe important d’entre eux souffre de solitude et de dépression, malgré le bien-être général de la société. En tant que salésiens, nous devons lire les signes des temps pour être proches des jeunes et les aider.

Nous voyons des signes d’espérance pour l’Église dans l’apport des migrants chrétiens qui arrivent en Europe et dans les changements démographiques, culturels et de vie dans de nombreuses communautés locales. Dans la communauté salésienne de Assel, les jeunes chrétiens immigrés du Moyen-Orient se rassemblent souvent, apportant leur foi vibrante et leurs capacités à notre communauté salésienne.
« Tout cela me procure un grand sentiment de bien-être et me fait réaliser à quel point il est bon de pouvoir travailler ici, dans ce qui était pour moi au départ un pays étranger ».

Prions pour que la flamme missionnaire reste toujours allumée et qu’il ne manque pas de missionnaires prêts à écouter l’appel de Dieu à porter son Évangile sur tous les continents à travers le témoignage simple et sincère de leur vie.

Marco Fulgaro




Don Bosco et la « Consolata »

            Le plus ancien pilone (petit pilier avec une image votive) de la région des Becchi semble remonter à 1700. Il a été érigé au fond de la plaine vers le « Mainito », là où se réunissaient les familles qui vivaient dans l’ancienne « Scaiota », devenue ensuite une ferme salésienne. Aujourd’hui elle a été restructurée et transformée en maison de jeunes qui accueille des groupes de jeunes pèlerins du sanctuaire et de la maison de Don Bosco.
            C’est le pilone de la Consolata, avec une statue de la Vierge Consolatrice des affligés, toujours ornée de fleurs champêtres apportées par les fidèles. Le petit Jean Bosco a dû passer de nombreuses fois devant cette image, en enlevant son chapeau et en murmurant un Ave Maria comme le lui avait appris sa mère.
            En 1958, les salésiens ont restauré cet ancien pilone et l’ont inauguré au cours d’une cérémonie solennelle pour le mettre au service de la communauté et de la population, comme le relate la chronique de cette année-là conservée dans les archives de l’Institut Bernardi Semeria.
            Cette statue de la Consolata pourrait donc être la première image de la Vierge que Don Bosco a vénérée dès son enfance, tout près de chez lui.

À la « Consolata » de Turin
            Déjà comme étudiant et séminariste à Chieri, Don Bosco a dû se rendre à Turin pour vénérer la Vierge Consolatrice (MB I, 267s). Mais il est certain qu’il célébra sa deuxième messe, en tant que nouveau prêtre, précisément au sanctuaire de la Consolata. C’était « pour remercier – comme il l’a écrit – la Grande Vierge Marie des innombrables faveurs qu’elle m’avait obtenues de son Divin Fils Jésus » (MO 115).
            À l’époque de l’Oratoire itinérant sans domicile fixe, Don Bosco se rendait avec ses garçons dans une église de Turin pour la messe du dimanche, et le plus souvent à la Consolata (MB II, 248. 346).
            Au mois de mai 1846-1847, pour remercier la Vierge Consolatrice de leur avoir enfin donné une demeure stable, il y emmena ses jeunes pour faire la Sainte Communion tandis que les bons Pères Oblats de la Vierge Marie, qui officiaient au Sanctuaire, se prêtaient à entendre leurs confessions (MB II, 430).
            Lorsque, au cours de l’été 1846, Don Bosco tomba gravement malade, ses garçons ne se contentèrent pas de manifester leur chagrin par des larmes. Craignant que les moyens humains ne suffisaient pas à sa guérison, ils se relayaient du matin au soir au sanctuaire de la Consolata pour prier la Sainte Vierge de conserver en vie leur ami et père malade.
            Certains d’entre eux faisaient même des promesses exagérées et d’autres jeûnaient au pain et à l’eau pour que la Vierge les exauce. Ils furent exaucés et Don Bosco promit à Dieu que sa vie jusqu’à son dernier souffle serait entièrement pour eux.
            Les visites de Don Bosco et de ses garçons à la Consolata continuèrent. Invité une fois à chanter la messe dans le sanctuaire avec ses jeunes, il arriva à l’heure prévue avec sa Schola cantorum improvisée, apportant avec lui la partition d’une messe qu’il avait composée pour l’occasion.
            L’organiste du sanctuaire était le célèbre maestro Bodoira que Don Bosco invita à l’orgue. Ce dernier ne daigna même pas jeter un coup d’œil à la partition de Don Bosco ; lorsqu’il s’apprêta à jouer la musique, il n’y comprit rien et quitta dépité son poste d’organiste.
            Don Bosco s’assit alors à l’orgue et accompagna la messe en suivant sa partition constellée de signes que lui seul pouvait comprendre. Les jeunes qui s’étaient auparavant perdus dans les notes du célèbre organiste, continuèrent jusqu’à la fin sans problème et leurs voix argentines attirèrent l’admiration et la sympathie de tous les fidèles présents à l’office (MB III, 148).
            De 1848 à 1854, Don Bosco accompagnait ses garçons en procession dans les rues de Turin jusqu’à la Consolata. Ils chantaient des louanges à la Vierge tout au long du chemin, puis participaient à la sainte messe qu’il célébrait.
            Lorsque Maman Marguerite mourut le 25 novembre 1856, Don Bosco alla ce matin-là célébrer la Sainte Messe de suffrage dans la chapelle souterraine du Sanctuaire de la Consolata. Il s’arrêta pour prier longuement devant l’image de Marie Consolatrice, la suppliant d’être une mère pour lui et pour ses fils. Et Marie exauça ses prières (MB V, 566).
            Au sanctuaire de la Consolata, Don Bosco n’a pas seulement eu l’occasion de célébrer la Sainte Messe à plusieurs reprises, mais un jour, il a également voulu la servir. En entrant dans le sanctuaire pour une visite, il entendit le signal du début de la messe et se rendit compte que le servant de messe manquait à l’appel. Il se leva, alla à la sacristie, prit le missel et servit la messe avec dévotion (MB VII, 86).
            Et la présence de Don Bosco au sanctuaire n’a jamais cessé, surtout à l’occasion de la neuvaine et de la fête de la Consolata.

Statue de la Consolata dans la chapelle Pinardi
            Le 2 septembre 1847, Don Bosco acheta pour 27 lires une statuette de Marie Consolatrice qu’il plaça dans la chapelle Pinardi.
            En 1856, au cours de la démolition de la chapelle, Don Francesco Giacomelli, compagnon de séminaire et grand ami de Don Bosco, souhaitant garder pour lui ce qu’il considérait comme le souvenir insigne de la fondation de l’Oratoire, emporta la petite statue à Avigliana, dans sa maison paternelle.
            En 1882, sa sœur fit construire près de sa maison un pilone avec une niche dans laquelle elle plaça la précieuse relique.
            À la suite de l’extinction de la famille Giacomelli, lorsque les Salésiens eurent connaissance du pilone d’Avigliana, ils réussirent à récupérer l’ancienne statue. Elle revint à l’Oratoire de Turin le 12 avril 1929, 73 ans après le jour où Don Giacomelli l’avait enlevée de la première chapelle (E. GIRAUDI, L’Oratorio di Don Bosco, Torino, SEI, 1935, p. 89s).
            Aujourd’hui, la petite statue historique reste le seul rappel du passé dans la nouvelle chapelle Pinardi. Elle représente son trésor le plus cher et le plus précieux.
            Don Bosco, qui a répandu le culte de Marie Auxiliatrice dans le monde entier, n’a jamais oublié sa première dévotion à la Vierge, vénérée dès son enfance au pilone des Becchi sous le titre de « Consolata ». Lorsqu’il arriva à Turin comme jeune prêtre diocésain, pendant la période héroïque de son Oratoire, c’est auprès de la Vierge Consolatrice dans son Sanctuaire qu’il puisa lumière et conseils, courage et réconfort pour la mission que le Seigneur lui avait confiée.
            C’est aussi pour cette raison qu’il est considéré à juste titre comme l’un des « Saints turinois ».




Edmond Obrecht. J’ai déjeuné avec un saint

Dans la biographie d’un célèbre abbé, l’émotion de la rencontre avec Don Bosco.

Aujourd’hui, il est assez facile de rencontrer un saint élevé sur les autels, cela m’est arrivé plusieurs fois. J’en ai rencontré plusieurs : le cardinal de Milan Ildefonso Schuster (qui m’a confirmé) et les papes Jean XXIII et Paul VI ; avec Mère Teresa j’ai conversé, avec le pape Jean-Paul II j’ai même déjeuné. Mais il y a un siècle, ce n’était pas si facile, et approcher personnellement un saint élevé sur les autels était une expérience qui restait gravée dans l’esprit et le cœur de la personne chanceuse. Ce fut le cas de l’abbé trappiste français Dom Edmond Obrecht (1852-1935). En 1934, lors de la canonisation de Don Bosco, trois jours après la cérémonie solennelle, il confie au rédacteur en chef de l’hebdomadaire catholique américain Louisville Record sa grande satisfaction d’avoir rencontré personnellement le nouveau saint, de lui avoir serré la main, voire d’avoir déjeuné avec lui.
Que s’était-il passé ? L’épisode est relaté dans sa biographie.

Quatre heures avec Don Bosco
Né en Alsace en 1852, Edmond Obrecht était devenu moine trappiste à l’âge de 23 ans. Dès qu’il fut nommé prêtre en 1879, le Père Edmond fut envoyé à Rome comme secrétaire du Procureur général des trois Observances trappistes qui, en 1892, allaient être réunies en un seul Ordre avec la maison générale de la Trappe des Trois Fontaines dans la capitale italienne.
Pendant son séjour à Rome, il avait congé le dimanche et en profita pour aller célébrer avec ses frères cisterciens dans la basilique de la Sainte Croix en Jérusalem. Le célébrant titulaire étant le vicaire de Rome, le cardinal Lucido Maria Parocchi, le père Edmond a eu l’occasion de le servir à plusieurs reprises lors d’offices pontificaux solennels et d’apprendre à bien le connaître.
Le 14 mai 1887, la consécration de l’église du Sacré-Cœur de Rome, à côté de l’actuelle gare Termini, est prévue : une église magnifique qui a coûté une fortune à Don Bosco et pour laquelle il s’est donné « corps et âme » afin de réussir à l’achever. Il y parvint et, malgré sa santé déjà bien compromise (il mourra huit mois plus tard), il tint à assister à la cérémonie solennelle de consécration.
Pour cette très longue célébration (cinq heures à huis clos), le Card. Parocchi était accompagné du Père Edmond. Ce fut pour lui une expérience décidément inoubliable. Il écrira 50 ans plus tard : « Pendant cette longue cérémonie, j’ai eu le plaisir et l’honneur de m’asseoir à côté de Don Bosco dans le presbytère de l’église et, après la consécration, j’ai été admis à la même table que lui et le cardinal. C’est la seule fois de ma vie que j’ai été en contact étroit avec un saint canonisé et l’impression profonde qu’il a faite sur moi est restée dans mon esprit pendant toutes ces longues années ». Le Père Edmond avait beaucoup entendu parler de Don Bosco qui, à une époque où les relations diplomatiques du Saint-Siège avec le nouveau Royaume d’Italie étaient rompues, était tenu en haute estime et en grande considération par les hommes politiques de l’époque : Zanardelli, Depretis, Nicotera. Les journaux avaient parlé de ses interventions pour régler de graves questions concernant la nomination de nouveaux évêques et la prise de possession des biens des différents diocèses.
Dom Edmond ne se contenta pas de cette expérience inoubliable. Plus tard, au cours d’un voyage, il passa par Turin et voulut s’arrêter pour visiter la grande œuvre salésienne de Don Bosco. Il en resta admiratif et ne put que aussi se réjouir le jour de sa béatification (2 juin 1929).

Post Scriptum
La veille de la consécration de l’église du Sacré-Cœur, le 13 mai 1887, le pape Léon XIII avait reçu Don Bosco en audience pendant une heure au Vatican. Il avait été très cordial avec lui et avait même plaisanté sur le fait que Don Bosco, vu son âge, était proche de la mort (mais il était plus jeune que le pape !), mais Don Bosco avait une pensée qu’il n’osait peut-être pas exprimer au pape lui-même. Il le fit quelques jours plus tard, le 17 mai, en quittant Rome : il lui demande s’il peut payer tout ou une partie du coût de la façade de l’église : une belle somme, 51 000 lires [230 000 euros]. Courage ou impudence ? Confiance extrême ou simple impudence ? Toujours est-il que quelques mois plus tard, le 6 novembre, Don Bosco revient à la charge et demande l’intervention de Monseigneur Francesco della Volpe, prélat domestique du Pape, pour obtenir – écrit-il – « la somme de 51.000 francs, que la charité du Saint-Père lui a fait espérer de payer lui-même… notre économe se rend à Rome pour régler les frais de cette construction ; il s’adressera à l’V.E. pour obtenir la meilleure réponse possible ». Il assure que « nos orphelins, plus de trois cent mille, prient chaque jour pour Sa Sainteté ». Et il concluait : « Pardonnez cette écriture pauvre et laide. Je ne peux plus écrire ».
Pauvre Don Bosco : en mai, dans cette église, célébrant devant l’autel de Marie Auxiliatrice, il avait pleuré plusieurs fois parce qu’il voyait se réaliser le rêve de neuf ans ; mais six mois plus tard, son cœur était encore dans l’angoisse parce que, à la mort qu’il sentait proche, il laissait une lourde dette pour clôturer les comptes de cette même église.
Il y a consacré plusieurs années, « jusqu’à son dernier souffle ». Parmi les dizaines de milliers de personnes qui passent chaque jour devant cette église en sortant de la gare Termini par la Via Marsala, très peu le savent.




Le parcours éducatif de Don Bosco (1/2)

Sur les chemins du cœur
            Don Bosco a pleuré à la vue des garçons qui finissaient en prison. Hier comme aujourd’hui, le calendrier du mal est implacable ; heureusement, celui du bien l’est aussi. Et toujours plus. J’ai le sentiment que les racines d’hier sont les mêmes que celles d’aujourd’hui. Comme hier, d’autres jeunes trouvent aujourd’hui un chez-soi dans la rue et dans les prisons. Je crois que la mémoire de ce prêtre des jeunes qui n’avaient pas de paroisse est le thermomètre irremplaçable pour mesurer la température de notre intervention éducative.
            Don Bosco a vécu à une époque de pauvreté sociale impressionnante. On était alors au début du processus d’agrégation des jeunes dans les grandes métropoles industrielles. Les autorités policières elles-mêmes dénonçaient ce danger : nombreux étaient les « gamins qui, élevés sans principes de Religion, d’Honneur et d’Humanité, finissaient par pourrir totalement dans la haine« , lit-on dans les chroniques de l’époque. C’était la pauvreté croissante qui poussait une grande multitude d’adultes et de jeunes à vivre d’expédients, et en particulier de vols et d’aumônes.
            Le délabrement urbain fit exploser les tensions sociales, qui allaient de pair avec les tensions politiques. Vers le milieu du 19e siècle, les mauvais garçons et les jeunes égarés attiraient l’attention du public, ébranlant les sensibilités gouvernementales.
            Au phénomène social s’ajoutait un paupérisme éducatif évident. L’éclatement de la famille préoccupait surtout l’Église, et la prévalence du système répressif était à l’origine du malaise croissant de la jeunesse. Les relations entre parents et enfants, éducateurs et éducateurs, étaient affectées. Don Bosco devra affronter un système fait de « mauvais traitements » en proposant celui de l’amorevolezza (amour bienveillant).
            Une vie aux limites du licite et de l’illicite de tant de parents, et la nécessité de se procurer le nécessaire pour survivre conduiront une multitude de jeunes au déracinement familial, au détachement de leur terre d’origine. La ville est de plus en plus encombrée de gamins et de jeunes à la recherche d’un emploi ; pour beaucoup de ceux qui viennent de loin, c’est aussi le manque d’un coin où dormir.
            Il n’était pas rare de rencontrer une femme, comme Maria G., en train de mendier, qui utilisait des enfants qu’elle plaçait à des points stratégiques de la ville ou devant les portes des églises. Souvent, les parents eux-mêmes confiaient leurs enfants aux mendiants, qui les utilisaient pour susciter la pitié des autres et recevoir plus d’argent. Cela ressemble comme une photocopie au système pratiqué dans une grande ville du Sud : la location des enfants d’autrui pour apitoyer le passant et rendre la mendicité plus rentable.
            Mais c’était le vol qui était la véritable source de revenus, un phénomène qui s’est développé et est devenu imparable dans le Turin du XIXe siècle. Le 2 février 1845, neuf gamins âgés de onze à quatorze ans comparaissaient devant le commissaire de police de la ville, accusés d’avoir dévalisé la boutique d’un libraire en volant de nombreux volumes […] et divers articles de papeterie, à l’aide d’un crochet. La nouvelle race des voleurs de bourses suscitait des plaintes constantes de la part de la population. Il s’agissait presque toujours d’enfants abandonnés, sans parents, ni proches, ni moyens de subsistance, très pauvres, chassés et abandonnés de tous, qui finissaient par voler.
            Le tableau de la déviance juvénile était impressionnant. La délinquance, avec l’état d’abandon de tant de garçons, se répandait comme une traînée de poudre. Le nombre croissant de « vauriens« , de « voleurs de bourses impénitents » dans les rues et sur les places n’était cependant qu’un aspect d’une situation plus générale. La fragilité de la famille, le grand malaise économique, l’immigration constante et forte de la campagne vers la ville, alimentaient une situation précaire face à laquelle les forces politiques se sentaient impuissantes. Le malaise grandissait à mesure que la criminalité s’organisait et pénétrait les structures publiques. Les premières manifestations de violence des bandes organisées apparaissent, agissant par des actes d’intimidation soudains et répétés, destinés à créer un climat de tension sociale, politique et religieuse.
            Il faut rappeler ici les bandes de jeunes, connues sous le nom de cocche, qui se répandaient en nombre variable, prenant des noms différents selon les quartiers où elles étaient implantées. Leur seul but était « d’effrayer les voyageurs, de les maltraiter s’ils se plaignaient, de commettre des actes obscènes envers les femmes, et d’attaquer un soldat ou un policier isolé« . En réalité, il ne s’agissait pas d’associations criminelles, mais plutôt de bandes, formées non seulement de Turinois, mais aussi d’immigrés, des jeunes âgés de seize à trente ans qui se réunissaient spontanément, surtout le soir, pour donner libre cours à leurs tensions et à leurs frustrations de la journée. C’est dans cette situation, au milieu du XIXe siècle, que s’est déployée l’action de Don Bosco. Ce n’étaient plus les pauvres garçons, amis et compagnons d’enfance de son hameau des Becchi à Castelnuovo, ce n’étaient plus les bons compagnons de Chieri, mais « les loups, les bagarreurs, les marginaux » de ses rêves.
            C’est dans ce monde de conflits politiques, dans cette vigne où poussait l’ivraie en abondance, sur ce marché de jeunes bras embauchés pour la dépravation, parmi ces jeunes sans amour et mal nourris dans le corps et dans l’âme, que Don Bosco a été appelé à travailler. Le jeune prêtre écoute, il sort dans la rue, il voit, il s’émeut, mais, concret comme il l’était, il retrousse ses manches : ces garçons ont besoin d’une école, d’une éducation, d’un catéchisme, d’une formation au travail. Il n’y a pas de temps à perdre. Ils sont jeunes, ils ont besoin de donner un sens à leur vie, ils ont le droit d’avoir du temps et des moyens pour étudier, apprendre un métier, mais aussi du temps et de l’espace pour être heureux, pour jouer.

Va, regarde autour de toi !
            Sédentaires par profession ou par choix, informatisés dans la pensée et l’action, nous risquons de perdre l’originalité d’être, de partager, de grandir ensemble.
            Don Bosco n’a pas vécu à l’époque des préparations en éprouvette : il a légué à l’humanité la pédagogie du « compagnonnage« , le plaisir spirituel et physique de vivre à côté du garçon, petit parmi les petits, pauvre parmi les pauvres, fragile parmi les fragiles.
            Un prêtre de ses amis et son guide spirituel, Don Cafasso, connaissait Don Bosco, il connaissait son zèle pour les âmes, il sentait sa passion pour cette multitude de garçons. C’est lui qui l’a poussé à sortir dans la rue : « Va, regarde autour de toi ». Dès les premiers dimanches, le prêtre venu de la campagne, le prêtre qui n’avait pas connu son père, alla voir la misère des faubourgs de la ville. Il est resté choqué. « Il rencontra un grand nombre de jeunes de tous âges, témoigne son successeur Don Rua, qui erraient dans les rues et sur les places, surtout dans les faubourgs de la ville, jouant, se bagarrant, jurant et même faisant pire« .
            Il entre sur les chantiers, parle avec les ouvriers, contacte les employeurs. Il ressent des émotions qui le marqueront pour le reste de sa vie lorsqu’il rencontrait ces garçons. Et parfois, il trouve ces pauvres « petits maçons » allongés sur le sol dans un coin de l’église, fatigués, endormis, incapables d’entendre des sermons insignifiants pour leur vie de vagabonds. C’était peut-être le seul endroit où ils pouvaient trouver un peu de chaleur, après une journée de labeur, avant de s’aventurer à la recherche d’un endroit où passer la nuit. Ils entraient dans les boutiques, erraient sur les marchés, visitaient les coins de rue, où se trouvaient de nombreux petits mendiants. Partout, des garçons mal habillés et sous-alimentés. Il assiste à des scènes de malversations et de transgressions, et les coupables sont encore et toujours des jeunes.
            Quelque temps après, il passe de la rue aux prisons. « Pendant vingt années, sans arrêt, j’ai fréquenté les prisons royales de Turin et en particulier les prisons sénatoriales ; par la suite, j’y suis encore allé, mais non plus régulièrement… » (MB XV, 705).
            Que d’incompréhensions au départ ! Que d’insultes ! Une soutane en ce lieu, symbole peut-être d’une autorité détestée ! Don Bosco s’est approché de ces « loups » enragés et méfiants ; il écouta leurs histoires, mais surtout il fit sienne leur souffrance.
            Il comprit le drame de ces garçons : des exploiteurs malins les avaient poussés dans ces cellules. Et il devint leur ami. Ses manières simples et humaines redonnaient à chacun d’eux dignité et respect.
            Il fallait faire quelque chose et vite ; il fallait inventer un système différent, pour secourir ceux qui s’étaient égarés. « Quand le temps le permettait, il passait des journées entières dans les prisons. Chaque samedi, il y allait avec les poches pleines de tabac ou de pagnotes, mais dans le but de rencontrer spécialement les plus jeunes […], de les assister, de devenir leur ami, les invitant à venir à l’oratoire, quand ils avaient le bonheur de sortir de ce lieu de perdition » (MB II, 173).
            Dans la Generala, maison de correction inaugurée à Turin le 12 avril 1845, comme le précise le règlement de la maison pénale, « on rassemblait et on corrigeait au moyen du travail en commun, du silence et de la ségrégation nocturne dans des cellules spéciales les jeunes condamnés à une peine correctionnelle pour avoir agi sans discernement en commettant un délit, ainsi que les jeunes retenus en prison par amour paternel ». C’est dans ce contexte que s’est déroulée l’extraordinaire excursion à Stupinigi organisée par Don Bosco seul, avec l’accord du ministre de l’Intérieur, Urbano Rattazzi, sans gardiens, sur la seule base d’une confiance réciproque, d’un engagement de conscience et de la fascination de l’éducateur. Le ministre voulait connaître la « raison pour laquelle l’État n’a pas sur ces jeunes l’influence » du prêtre. « La force que nous avons est une force morale ; à la différence de l’État, qui ne sait que commander et punir, nous parlons avant tout au cœur de la jeunesse, et notre parole est la parole de Dieu ».
            Connaissant le système de vie adopté à l’intérieur de la Generala, le défi lancé par le jeune prêtre piémontais prend une valeur incroyable : demander un jour de « sortie libre » pour tous ces jeunes détenus. C’était de la folie et telle fut considérée la demande de Don Bosco. Il obtint l’autorisation au printemps 1855. Tout fut organisé par Don Bosco seul, avec l’aide des garçons eux-mêmes. Le consentement reçu du ministre Rattazzi était certainement un signe d’estime et de confiance pour le jeune prêtre. L’expérience qui consistait à conduire des garçons hors de cette maison de correction en toute liberté et de réussir à les ramener tous en prison, malgré ce qui se passait ordinairement à l’intérieur de la structure carcérale, avait quelque chose d’extraordinaire. Ce fut le triomphe de l’appel à la confiance et à la conscience, ce fut la mise à l’épreuve d’une idée, d’une expérience qui le guidera toute sa vie : parier sur les ressources cachées dans le cœur de tant de jeunes voués à une marginalisation irréversible.

En avant et en manches de chemise
            Aujourd’hui encore, dans un contexte culturel et social différent, les intuitions de Don Bosco ne sentent pas le moisi des choses « dépassées« , mais restent proactives. Surtout, ce qui reste surprenant dans cette dynamique de récupération des gamins et des jeunes entrés dans le circuit pénal, c’est l’esprit d’inventivité pour leur créer des opportunités de travail concrètes.
            Aujourd’hui, nous nous débattons pour offrir des emplois à nos mineurs en danger. Ceux qui travaillent dans le secteur social savent combien il est difficile de surmonter les mécanismes et les engrenages bureaucratiques pour réaliser, par exemple, de simples bourses de travail pour les mineurs. Avec des formules et des structures souples, Don Bosco a réalisé une sorte de « parrainage » des garçons auprès des employeurs, sous la tutelle éducative du garant.
            Les premières années de la vie sacerdotale et apostolique de Don Bosco ont été marquées par une recherche permanente en vue de sortir les gamins et les jeunes des dangers de la rue. Dans son esprit les projets étaient clairs, car dans son esprit et dans son âme était bien ancrée sa méthode éducative : « Pas avec des coups, mais avec la douceur« . Il était également convaincu qu’il n’était pas facile de transformer des loups en agneaux. Mais il avait la Providence divine de son côté.
            Et lorsqu’il était confronté à des problèmes immédiats, il ne reculait jamais. Il n’était pas du genre à « disserter » sur la condition sociologique des mineurs, ni le prêtre des compromis politiques ou formels ; il était saintement obstiné dans ses bonnes intentions, mais fortement tenace et concret pour les réaliser. Il avait un grand zèle pour le salut de la jeunesse et aucun obstacle ne pouvait conditionner cette sainte passion, qui marquait chaque pas et ponctuait chaque heure de sa journée.
             « Rencontrer dans les prisons des foules de jeunes et même d’enfants de douze à dix-huit ans, tous sains, robustes et éveillés ; les voir là inactifs et rongés par les insectes, privés de pain spirituel et temporel, expiant dans ces lieux de châtiment avec remords les péchés d’une dépravation précoce, tout cela horrifie le jeune prêtre. Il voit dans ces malheureux le déshonneur personnifié de la patrie, l’indignité de la famille, la honte d’eux-mêmes. Il voit surtout des âmes rachetées et libérées par le sang d’un Dieu et qui gémissent dans le vice, avec le danger évident de se perdre éternellement. S’ils avaient eu un AMI pour s’occuper d’eux avec amour, les assister et les instruire dans la religion les jours de fête, qui sait s’ils ne se seraient pas préservés du mal et de la ruine, et s’ils n’auraient pas évité de venir et de revenir dans ces lieux de malheur ? Il est certain qu’au moins le nombre de ces jeunes prisonniers aurait grandement diminué » (MB II, 63).
            Il retroussa ses manches et se donna corps et âme à la prévention de ces maux ; il donna toute sa contribution, son expérience, mais surtout sa perspicacité pour lancer ses propres initiatives ou celles d’autres associations. Ce qui inquiétait à la fois le gouvernement et les « sociétés » privées, c’était la sortie de prison. C’est précisément en 1846 que fut créée une structure associative autorisée par le gouvernement, qui ressemblait, au moins dans ses intentions et à certains égards, à ce qui se passe aujourd’hui dans le système pénal italien pour mineurs. Elle s’appelait « Société royale pour la protection des jeunes gens libérés de la maison d’éducation correctionnelle« . Son but était de soutenir les jeunes libérés de la Generala.
            Une lecture attentive des statuts nous ramène à certaines des mesures pénales qui sont aujourd’hui prévues comme mesures alternatives à la prison.
            Les membres de cette Société étaient divisés en « actifs », qui assumaient la charge de tuteurs, en « payeurs » et en « membres payeurs actifs ». Don Bosco était un « membre actif ». Don Bosco accepta plusieurs de ces jeunes, mais avec des résultats décourageants. Ce sont peut-être ces échecs qui l’ont décidé à demander aux autorités de lui envoyer des jeunes en prévention.
            Il n’est pas important ici de traiter des relations entre Don Bosco, les maisons de correction et les services collatéraux, mais plutôt de rappeler l’attention que le saint portait à ce groupe de mineurs. Don Bosco connaissait le cœur des jeunes de la Generala, mais surtout il se gardait bien de rester indifférent à la dégradation morale et humaine de ces pauvres et malheureux détenus. Il poursuivit sa mission, il ne les abandonna pas : « Depuis que le gouvernement a ouvert ce pénitencier et en a confié la direction à la Société de Saint-Pierre-aux-Liens, Don Bosco obtint de pouvoir aller de temps en temps parmi ces pauvres jeunes […]. Avec la permission du directeur des prisons, il leur enseignait le catéchisme, leur prêchait, entendait leurs confessions et, bien souvent, les entretenait amicalement en récréation, comme il le faisait avec ses fils de l’Oratoire » (BS 1882, n. 11, p. 180).
            L’intérêt de Don Bosco pour les jeunes en difficulté se concentra au fil du temps sur l’Oratoire, véritable expression d’une pédagogie préventive et récupératrice, étant un service social ouvert et multifonctionnel. Don Bosco a eu des contacts directs avec des jeunes querelleurs, violents, à la limite de la délinquance dans les années 1846-1850. Ce furent les rencontres avec les cocche, ces bandes ou groupes de quartier en conflit permanent. On raconte l’histoire d’un garçon de quatorze ans, fils d’un père ivrogne et anticlérical ; se trouvant par hasard à l’Oratoire en 1846, il se jette à corps perdu dans les diverses activités récréatives, mais refuse d’assister aux offices religieux, car selon les enseignements de son père, il ne veut pas devenir un « moisi et un crétin« . Don Bosco le fascine par sa tolérance et sa patience, ce qui lui fait changer de comportement en peu de temps.
            Don Bosco souhaitait également prendre en charge la gestion d’établissements de rééducation et de correction. Des propositions en ce sens étaient venues de différents horizons. Il y eut des tentatives et des contacts, mais les projets et les propositions d’accords n’aboutirent à rien. Tout cela suffit à montrer à quel point Don Bosco avait à cœur le problème des délinquants. Et s’il y avait des résistances, elles venaient toujours de la difficulté d’utiliser le système préventif. Partout où il trouvait un « mélange » de système répressif et de système préventif, il était catégorique dans son refus, comme il était également clair dans son rejet de toute dénomination ou structure qui sentait la « maison de correction ». Une lecture attentive de ces tentatives révèle le fait que Don Bosco n’a jamais refusé d’aider le garçon en difficulté, mais il s’est opposé à la gestion d’instituts, de maisons de correction ou à la direction d’œuvres fondées sur un compromis éducatif.
            La conversation qui eut lieu entre Don Bosco et le ministre Crispi à Rome en février 1878 est très intéressante. Crispi demanda à Don Bosco des nouvelles sur son œuvre et parla en particulier des divers systèmes éducatifs. Il déplora l’agitation qui régnait dans les prisons. Au cours de la conversation, le ministre resta fasciné par l’analyse de Don Bosco ; il lui demanda non seulement des conseils mais aussi un programme pour les maisons de correction (MB XIII, 483).
            Les réponses et les propositions de Don Bosco rencontrèrent de la sympathie, mais pas d’engagement : la fracture entre le monde religieux et le monde politique était grande. Don Bosco exprima son opinion en indiquant différentes catégories de garçons : les mauvais garçons, les dissipés et les bons. Pour le saint éducateur, il y avait un espoir de réussite pour tous, même pour les mauvais garçons, comme il désignait alors ceux que nous appelons aujourd’hui les jeunes à risque.
« Qu’ils ne deviennent pas pires ».  » …Avec le temps, les bons principes acquis pourront produire plus tard leur effet… beaucoup se remettent à raisonner ». C’était une réponse explicite et peut-être la plus intéressante.
            Après avoir mentionné la distinction entre les deux systèmes éducatifs, il nomme les jeunes qui doivent être considérés comme des jeunes à risque : ceux qui partent dans d’autres villes ou villages à la recherche d’un travail, ceux dont les parents ne peuvent ou ne veulent pas s’occuper, les vagabonds qui tombent entre les mains de la police ». Il indique aussi les mesures nécessaires et possibles : « des centres de jeunes ouverts les jours fériés, le suivi des jeunes au travail pendant la semaine, des maisons d’accueil pour la formation professionnelle et agricole ».
            Il propose non pas une gestion directe des institutions éducatives par le gouvernement, mais un soutien adéquat en bâtiments, équipements et subventions financières, et il présente une version du système préventif qui en conserve les éléments essentiels, sans la référence religieuse explicite. Par ailleurs, une pédagogie du cœur ne pouvait pas ignorer les problèmes sociaux, psychologiques et religieux.
            Don Bosco attribue leur égarement à l’absence de Dieu, à l’incertitude des principes moraux, à la corruption du cœur, à l’obscurcissement de l’esprit, à l’incapacité et à l’insouciance des adultes, en particulier des parents, à l’influence corrosive de la société et à l’action négative intentionnelle des « mauvais camarades » ou au manque de responsabilité de la part des éducateurs.
            Don Bosco joue beaucoup sur le côté positif : la volonté de vivre, le goût du travail, la redécouverte de la joie, la solidarité sociale, l’esprit de famille, les bons divertissements.

(suite)

            don Alfonso Alfano, sdb




Les mains de Dieu

Un maître voyageait avec un disciple chargé de s’occuper du chameau. Un soir, arrivé à une auberge, le disciple était si fatigué qu’il n’a pas attaché l’animal.
« Mon Dieu » pria-t-il en se couchant, « prends soin du chameau : je te le confie ».
Le lendemain matin, le chameau avait disparu.
– Où est le chameau ? demanda le maître.
– Je ne sais pas, répondit le disciple. Tu dois le demander à Dieu ! La nuit dernière, j’étais tellement épuisé que je lui ai confié notre chameau. Ce n’est certainement pas ma faute s’il s’est enfui ou a été volé. J’ai explicitement demandé à Dieu de veiller sur lui. Il est responsable. Vous m’incitez toujours à avoir la plus grande confiance en Dieu, n’est-ce pas ?
– Aie la plus grande confiance en Dieu, mais attache d’abord ton chameau, répondit le maître. Car Dieu n’a pas d’autres mains que les tiennes.

Dieu seul peut donner la foi ;
Vous, par contre, pouvez donner votre témoignage.
Dieu seul peut donner l’espoir ;
Toi, cependant, tu peux donner confiance à tes frères.
Dieu seul peut donner l’amour ;
Vous, cependant, pouvez apprendre aux autres à aimer.
Dieu seul peut donner la paix ;
Vous, cependant, pouvez semer l’unité.
Dieu seul peut donner la force ;
Vous, cependant, pouvez donner du soutien aux découragés.
Dieu seul est le chemin ;
Vous, cependant, pouvez montrer le chemin aux autres.
Dieu seul est la lumière ;
Vous, cependant, pouvez la faire briller aux yeux de tous.
Dieu seul est la vie ;
Toi, cependant, tu peux faire renaître chez les autres le désir de vivre.
Dieu seul peut faire ce qui semble impossible ;
Vous, cependant, pouvez faire ce qui est possible.
Dieu seul se suffit à lui-même ;
Lui, cependant, préfère compter sur vous.
(Chanson brésilienne)