As-tu réfléchi à ta vocation ? Saint François de Sales pourrait t’aider (9/10)

(suite de l’article précédent)

9. Venons-en au fait

Chers jeunes,
si nous regardons nos journées, nous faisons des choix du matin au soir, nous sommes appelés à décider à la fois de choses simples dans notre vie quotidienne, mais parfois nous sommes aussi confrontés à des choix sur des choses qui affectent notre vie et qui sont d’une importance vitale. Heureusement, la plupart des choix que nous faisons concernent la sphère des choses les plus simples, sinon il serait très difficile et fatigant d’accomplir cette tâche importante. Cependant, les décisions importantes sont là et méritent donc notre attention.
Tout d’abord, rappelez-vous qu’il ne faut jamais se laisser entraîner dans la course aux décisions rapides. Si vous devez choisir entre deux choses, surtout lorsqu’il s’agit de réalités importantes de la vie (marcher vers le mariage avec cette personne, faire des pas concrets vers la vie consacrée ou sacerdotale), vous devez prendre le temps de discerner ce qui est juste.
Un deuxième aspect à considérer est de se rappeler que l’on est libre de choisir ce que l’on veut ou ce que l’on pense être juste. Car si Dieu est tout-puissant et peut tout faire, il ne veut pas nous priver de la liberté qu’il nous a donnée. Lorsque Dieu nous appelle à vivre là où nous pouvons être pleinement heureux selon sa volonté, il veut que cela se fasse avec notre plein consentement et que nous choisissions non pas par la force ou la contrainte, mais en toute liberté.
Troisièmement, je vous rappelle qu’aux carrefours des choix, il est essentiel de se laisser guider : la liberté doit être accompagnée, car il est difficile de trouver le chemin seul. Faire des choix pleinement libres implique d’être clair sur le bien que les autres peuvent recevoir de moi, et sur la façon dont je peux me réaliser pleinement lorsque je suis pour les autres. Je vous ai déjà écrit à ce sujet, mais permettez-moi de vous rappeler que c’est là que nous avons le plus besoin d’une voix extérieure pour vous confirmer, ou vous corriger, ou vous dissuader de faire des choix qui marquent votre avenir.
L’une des questions qui se pose évidemment dans ce mouvement de choix, surtout les plus importants, est la suivante : comment être sûr d’avoir fait le bon choix ? La question est légitime, car personne ne veut se tromper et nous aimerions tous faire le bon choix une fois pour toutes. Nous aimerions presque pouvoir choisir une fois et ne plus jamais avoir à revenir dessus et nous sentir à l’aise dans ce que nous avons déjà décidé. Dans ce sens, je pense qu’il faut souligner un aspect important. Il faut bien comprendre que choisir, prendre des décisions, ne peut jamais être quelque chose « une fois pour toutes », mais c’est un processus, un processus qui a parfois même de longues durées, qui permet d’approfondir les choses et donc d’atteindre de plus en plus la certitude morale que ce que j’ai fait est le bon choix. Quel que soit l’état de la vie, il n’est pas exigé qu’au moment du choix, on soit déjà parfait, conscient de tout ce que ce choix exige. Vous n’êtes pas appelés à une éternité aveugle, mais plutôt à un voyage vers une éternité consciente et forte des décisions prises quotidiennement, résultat d’une part de bonne volonté guidée par la prudence et la constance.
Pour bien vivre le temps du choix, il faut bien cultiver le premier mouvement, creuser sa vie sans se fier uniquement aux émotions et sans calculer uniquement avec l’intelligence. L’équilibre de toutes les composantes de la personne doit toujours être recherché et assuré, mais c’est surtout au début qu’il faut s’assurer que le choix que l’on a fait repose sur des bases solides. Une fois le choix initial effectué, il n’y a pas lieu de s’inquiéter si l’amertume ou la tiédeur se manifestent dans les premiers temps. En effet, le risque est de changer souvent et rapidement d’avis : une fois le choix fait, ne regardez pas trop à gauche ou à droite. Il est parfois facile, voire séduisant, de se laisser distraire, d’explorer ou de prendre d’autres chemins. En regardant trop ailleurs, vous risquez de vous engager dans une autre voie, de douter et de regretter votre choix initial. Si cela se produit en période d’euphorie et de découragement, en période de crise, ce qu’il est important de faire, c’est certainement de ne pas prendre de décisions à ce moment-là et de ne pas changer la décision initiale, mais de rester dans l’instant, en attendant un moment de calme qui puisse vous permettre de relire calmement ce qui a caractérisé la crise et de prendre ensuite des décisions à ce sujet, toujours en accord avec la conscience et dans un mouvement qui l’accompagne. Si l’on s’efforce toujours de maintenir ferme la volonté dans la poursuite du bien choisi, comme un parcours sérieux d’engagement, ou une expérience stable de vie communautaire pour la vie religieuse ou sacerdotale, Dieu ne manquera pas d’amener tout à une bonne fin. Comme nous l’avons déjà dit, ce chemin exige de nombreux « oui » individuels, chaque jour. Même les actions les plus indifférentes en apparence deviennent fécondes si elles sont orientées vers le Bien à poursuivre. C’est une question de persévérance qui devient une fidélité quotidienne.

Office de l’Animation Vocationnelle

(suite)




Don Bosco et sa mère

            En 1965, on a commémoré le 150ème anniversaire de la naissance de Don Bosco. Parmi les conférences données à cette occasion, il y eut celle de Mgr Giuseppe Angrisani, alors évêque de Casale et président national des anciens élèves prêtres. Dans son discours, l’orateur, se référant à Maman Marguerite, a dit de Don Bosco : « Heureusement pour lui, cette mère a été à ses côtés pendant de nombreuses années, et je pense et je crois avoir raison de dire que l’aigle des Becchi n’aurait pas volé jusqu’au bout du monde si l’hirondelle de la Serra di Capriglio n’était pas venue faire son nid sous la poutre de la très humble maison de la famille Bosco » (BS, sept. 1966, p. 10).
            L’image de l’illustre orateur est hautement poétique, mais elle exprime une réalité. Ce n’est pas pour rien que 30 ans plus tôt, G. Joergensen, sans vouloir profaner l’Ecriture Sainte, se permettait de commencer son Don Bosco publié par SEI par ces mots : « Au commencement était la mère ».
            L’influence maternelle dans les attitudes religieuses de l’enfant et dans la religiosité de l’adulte est reconnue par les experts en psychologie religieuse et est, dans notre cas, plus qu’évidente : saint Jean Bosco, qui a toujours eu la plus grande vénération pour sa mère, a copié d’elle un profond sens religieux de la vie. « Dieu dominait l’esprit de Don Bosco comme un soleil méridien » (Pietro Stella).

Dieu au sommet de ses pensées
            C’est un fait facile à documenter : Don Bosco a toujours eu Dieu au sommet de toutes ses pensées. Homme d’action, il était avant tout un homme de prière. Il rappelle lui-même que ce fut sa mère qui lui avait appris à prier, c’est-à-dire à converser avec Dieu :
            – Elle me faisait mettre à genoux avec mes frères matin et soir, et nous disions tous ensemble nos prières (MO 21-22).
            Lorsque Jean dut quitter le toit de sa mère pour aller travailler comme ouvrier agricole dans la ferme des Moglia, la prière était déjà sa nourriture et son réconfort habituels. Dans cette maison de Moncucco, « les devoirs d’un bon chrétien étaient accomplis avec la régularité d’habitudes domestiques invétérées, toujours tenaces dans les familles campagnardes, très tenaces à cette époque de saine vie rurale » (E. Ceria). Mais Jean faisait déjà quelque chose de plus : il priait à genoux, il priait souvent, il priait longuement. Même à l’extérieur de la maison, lorsqu’il conduisait les vaches au pâturage, il s’arrêtait de temps en temps pour prier.
            Sa mère avait également instillé dans son cœur une tendre dévotion à la Sainte Vierge. Lorsqu’il est entré au séminaire, elle lui a dit :
            – Quand tu es venu au monde, je t’ai consacré à la Sainte Vierge ; quand tu as commencé tes études, je t’ai recommandé la dévotion à cette Mère ; et si tu deviens prêtre, recommande et propage toujours la dévotion à Marie (MO, 89).
            Maman Marguerite, après avoir éduqué son fils Jean dans la petite maison des Becchi, après l’avoir maternellement suivi et encouragé dans son dur parcours vocationnel, vécut encore dix ans à ses côtés, assumant un rôle maternel très délicat dans l’éducation des jeunes qu’il avait recueillis, avec un style qui se perpétue dans tant d’aspects de la praxis éducative de Don Bosco : conscience de la présence de Dieu, assiduité qui est sens de la dignité humaine et chrétienne, courage qui inspire les œuvres, raison qui est dialogue et acceptation des autres, amour exigeant mais rassurant.
            Sans aucun doute, la mère a donc joué un rôle unique dans l’éducation et l’apostolat précoce de son fils, influençant profondément l’esprit et le style de son travail futur.
            Devenu prêtre et ayant commencé à travailler parmi les jeunes, Don Bosco donna le nom d’Oratoire à son œuvre. Ce n’est pas sans raison que le centre propulseur de toutes les œuvres de Don Bosco s’appelait l’Oratoire. Le titre indique l’activité dominante, le but principal d’une entreprise. Et Don Bosco, comme il l’a lui-même avoué, a donné le nom d’Oratoire à sa « maison » pour indiquer clairement que la prière était le seul pouvoir sur lequel il comptait.
            Il n’avait pas d’autre pouvoir à sa disposition pour animer ses oratoires, lancer l’hospice, résoudre le problème du pain quotidien, jeter les bases de sa Congrégation. Beaucoup, nous le savons, ont même douté de sa santé mentale.
            Ce que les grands ne comprenaient pas, les petits le comprenaient en revanche, c’est-à-dire les jeunes qui, après l’avoir connu, ne pouvaient plus s’en détacher. Ils voyaient en lui l’image vivante du Seigneur. Toujours calme et serein, tout à leur disposition, fervent dans la prière, facétieux dans la parole, paternel pour les guider vers le bien, gardant toujours vivante en chacun l’espérance du salut. Si quelqu’un, affirme un témoin, lui avait demandé de but en blanc : Don Bosco, où allez-vous ? il aurait répondu : Allons au Paradis !
            Ce sens religieux de la vie, qui imprègne toutes les œuvres et tous les écrits de Don Bosco, est un héritage évident de sa mère. La sainteté de Don Bosco était puisée à la source divine de la Grâce et modelée sur le Christ, maître de toute perfection, mais elle s’enracinait dans une valeur spirituelle maternelle, la sagesse chrétienne. Le bon arbre produit de bons fruits.

C’est ce qu’elle lui avait enseigné
            La mère de Don Bosco, Marguerite Occhiena, partageait avec son fils au Valdocco une vie de privations et de sacrifices depuis novembre 1846, date à laquelle, à 58 ans, elle avait quitté sa petite maison des Becchi, une vie de privations et de sacrifices entièrement consacrée aux enfants de la banlieue de Turin. Quatre années s’étaient écoulées et elle sentait ses forces décliner. Une grande lassitude avait pénétré ses os, une forte nostalgie dans son cœur. Elle entra dans la chambre de Don Bosco et lui dit : « Écoute-moi, Jean, il n’est plus possible de continuer ainsi. Chaque jour, les garçons me font un coup. Parfois, ils jettent par terre mon linge propre qui repose au soleil, parfois ils piétinent mes légumes dans le jardin. Ils déchirent mes vêtements de telle sorte qu’il n’y a plus moyen de les rapiécer. Ils perdent les chaussettes et les chemises. Ils emportent les outils de la maison pour s’amuser et me font marcher toute la journée pour les retrouver. Moi, au milieu de cette confusion, je perds la tête, vois ! Je suis sur le point de retourner aux Becchi ».
            Don Bosco fixa le visage de sa mère, sans parler. Puis il lui montra le crucifix accroché au mur. Maman Marguerite comprit. Ses yeux se remplirent de larmes.
            – Tu as raison, tu as raison, s’exclama-t-elle ; et elle retourna à ses tâches, pendant encore six ans, jusqu’à sa mort (G.B. LEMOYNE, Mamma Margherita, Torino, SEI, 1956, p. 155-156).
            Maman Marguerite nourrissait une profonde dévotion à la Passion du Christ, à cette Croix qui donnait sens, force et espérance à toutes ses croix. Elle l’avait enseigné à son fils. Un seul regard sur le Crucifix lui suffisait ! Pour elle, la vie était une mission à accomplir, le temps un don de Dieu, le travail une contribution humaine au plan du Créateur, l’histoire humaine une chose sacrée parce que Dieu, notre Seigneur, Père et Sauveur, est au centre, au début et à la fin du monde et de l’homme.
            Elle avait enseigné tout cela à son fils par la parole et par l’exemple. Mère et fils : une foi et une espérance placées en Dieu seul, et une charité ardente qui a brûlé dans leurs cœurs jusqu’à la mort.




La barque

Un soir, deux touristes qui se trouvaient dans un camping au bord d’un lac décidèrent de traverser le lac en barque pour aller prendre un « dernier verre » au bar de l’autre rive.
Ils y sont restés jusqu’à tard dans la nuit, vidant un bon nombre de bouteilles.
Lorsqu’ils sortirent du bar, ils titubaient quelque peu, mais ils réussirent à prendre place dans la barque pour entreprendre le voyage de retour.
Ils ont commencé à ramer d’un bon pas. Transpirant et soufflant, ils ont lutté durement pendant deux heures. Finalement, l’un dit à l’autre :
– Ne penses-tu pas que nous aurions déjà dû toucher l’autre rive depuis longtemps ?
– Bien sûr, répondit l’autre, mais peut-être n’avons-nous pas pagayé avec assez d’énergie.
Les deux hommes redoublèrent d’efforts et ramèrent résolument pendant une heure de plus. Ce n’est qu’à l’aube qu’ils se rendirent compte, étonnés, qu’ils étaient toujours au même endroit.
Ils avaient oublié de détacher la solide corde qui attachait leur bateau à la jetée.

Combien de personnes s’agitent et se tracassent toute la journée sans parvenir à quoi que ce soit, car elles ne se libèrent pas vraiment des liens et des habitudes gluantes.




L’exercice de la “bonne mort” dans l’expérience éducative de Don Bosco (3/5)

(suite de l’article précédent)

2. Les litanies de la bonne mort dans le contexte de la spiritualité des jeunes promue par Don Bosco
            Les litanies de la bonne mort incluses dans le Giovane provveduto méritent un discours à part ; bien qu’elles ne constituent qu’une partie de l’exercice, elles en sont le moment le plus intense émotionnellement. Le cœur de la pratique mensuelle, en effet, était l’examen de conscience, la confession bien faite, la communion fervente, la décision de se donner totalement à Dieu et la formulation de propositions opératoires de nature morale et spirituelle. Dans les volumes de prédication ou les manuels des siècles précédents, on ne trouve pas de textes analogues à la séquence litanique du Giovane provveduto, que Don Bosco attribue à « une protestante convertie à la religion catholique à l’âge de 15 ans, et morte à l’âge de 18 ans en odeur de sainteté ».[1] Il l’a tirée de livres pieux publiés à l’époque dans le Piémont.[2] La prière, « autorisée par Pie VII, mais qui circulait déjà à la fin du XVIIIe siècle »,[3] pouvait servir d’instrument efficace pour émouvoir les affections par la dramatisation imaginative des derniers moments de la vie : elle plaçait le fidèle sur son lit de mort, l’invitant à passer en revue les différentes parties du corps et les sens correspondants, considérés dans l’état où ils se trouveraient au moment de l’agonie, pour le secouer, stimuler sa confiance en la miséricorde divine et l’inciter à des résolutions de conversion et de persévérance. C’est un exercice qui plaisait à l’esprit romantique et que Don Bosco considérait comme particulièrement adapté sur le plan émotionnel et spirituel, comme en témoignent certains de ses textes narratifs. La formule a connu une grande fortune au cours du XIXe siècle ; on la retrouve reproduite dans divers recueils de prières, même en dehors du Piémont.[4] Il nous semble intéressant de la reproduire dans son intégralité :

Jésus mon Seigneur, Dieu de Bonté, Père de Miséricorde, je me présente devant Vous avec un cœur humilié et contrit. Je Vous recommande ma dernière heure et ce qui doit la suivre.
Quand mes pieds immobiles m’avertiront que ma course en ce monde est près de finir, miséricordieux Jésus, ayez pitié de moi.
Quand mes mains, tremblantes et engourdies, ne pourront plus serrer le Crucifix contre mon cœur, et que, malgré moi, elles le laisseront tomber sur mon lit de douleurs, miséricordieux Jésus, etc.

Quand mes yeux, voilés et troublés par l’effroi d’une mort imminente, porteront vers Vous leurs regards incertains et mourants, miséricordieux Jésus, etc.

Quand mes lèvres, froides et tremblantes, prononceront pour la dernière fois Votre adorable Nom, miséricordieux Jésus, etc.
Quand mes joues, pâles et livides, inspireront aux assistants la compassion et la terreur, et que mes cheveux, baignés des sueurs de la mort se dressant sur ma tête, annonceront ma fin prochaine, miséricordieux Jésus, etc.
Quand mes oreilles, au moment de se fermer à jamais aux discours des hommes, s’ouvriront pour entendre votre voix, qui prononcera la sentence irrévocable par laquelle sera fixé mon sort pendant toute l’éternité, miséricordieux Jésus, etc.
Quand mon imagination, agitée par des fantasmes horribles et effrayants, sera plongée dans des tristesses mortelles, et que mon esprit, troublé par le souvenir de mes iniquités et par la crainte de votre justice, luttera contre l’ange des ténèbres, qui voudrait me dérober la vue consolante de vos miséricordes, et me jeter dans le désespoir, miséricordieux Jésus, etc.
Quand mon faible cœur, oppressé par la douleur de la maladie, sera saisi des horreurs de la mort, et épuisé par les efforts qu’il aura faits contre les ennemis de mon salut, miséricordieux Jésus, etc.
Quand je verserai mes dernières larmes, symptômes de ma destruction, recevez-les en sacrifice d’expiation, afin que je meure comme une victime de pénitence, et dans ce terrible moment, miséricordieux Jésus, etc.
Quand mes parents et mes amis, assemblés autour de moi, s’attendriront sur mon douloureux sort, et vous invoqueront pour moi, miséricordieux Jésus, etc.
Quand j’aurai perdu l’usage de tous les sens, et que le monde entier aura disparu pour moi, et que je gémirai dans les angoisses de la dernière agonie et le travail de la mort, miséricordieux Jésus, etc.
Quand les derniers soupirs de mon cœur presseront mon âme de sortir de mon corps, acceptez-les comme les signes d’une sainte impatience d’aller à Vous, miséricordieux Jésus, etc.
Quand mon âme, sur le bord de mes lèvres, sortira pour toujours de ce monde, et laissera mon corps pâle, glacé et sans vie, acceptez la destruction de mon être comme un hommage que je viens rendre à votre divine majesté, miséricordieux Jésus, etc.
Enfin, quand mon âme paraîtra devant Vous, et qu’elle verra pour la première fois la splendeur immortelle de votre majesté, ne la rejetez pas de devant votre face, mais daignez me recevoir dans le sein amoureux de votre miséricorde, afin que je chante éternellement vos louanges, miséricordieux Jésus, etc.
Prions. Ô Dieu, qui, en nous condamnant à la mort, nous en avez caché le moment et l’heure, faites qu’en passant tous les jours de ma vie dans la justice et la sainteté, je puisse mériter de sortir de ce monde dans votre saint amour, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec Vous dans l’unité du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.[5]

            Le rationalisme du XVIIIe siècle et le goût baroque pour le macabre et le funèbre, encore présents dans l’Apparecchio alla morte de saint Alphonse-Marie de Liguori,[6] firent place au XIXe siècle à la sensibilité romantique qui préférait suivre la voie du sentiment qui, « pour atteindre l’intellect, va d’abord directement au cœur et, en faisant sentir au cœur la force et la beauté de la religion, fixe l’attention de l’intellect et facilite son consentement », comme l’a écrit Monseigneur Angelo Antonio Scotti.[7] Par conséquent, même dans la perspective de la mort, on préférait insister sur les leviers émotionnels et les sentiments pour provoquer une réponse généreuse au don absolu de soi fait par le divin Sauveur pour le salut de l’humanité. Les auteurs spirituels et les prédicateurs considéraient qu’il était important et nécessaire de décrire « les afflictions et les oppressions qui sont inséparables des efforts que l’âme doit naturellement faire pour briser les liens du corps »,[8] sans oublier la description de la mort sereine du juste. Ils voulaient faire entrer la foi dans le concret de l’existence pour stimuler la réforme des mœurs et une vie chrétienne plus authentique et plus fervente : « Certes, l’espoir de mériter une bonne agonie et une sainte mort a été et sera toujours le ressort le plus puissant pour inciter les hommes à abandonner le vice ; car le spectacle d’un méchant, qui meurt comme il a vécu, est une grande leçon pour tous les mortels ».[9]
            La séquence des litanies de la bonne mort incluse dans le Giovane provveduto doit donc être considérée entièrement en fonction du succès de la récollection mensuelle et des idéaux de vie chrétienne que le Saint proposait aux jeunes, en ajoutant qu’elle était particulièrement adaptée à la sensibilité émotionnelle et culturelle de ce moment historique précis. Si aujourd’hui la lecture de ces formules génère le sentiment d’inquiétude évoqué par Delumeau et offre une représentation « somme toute navrante » de la pédagogie religieuse de Don Bosco,[10] c’est avant tout parce qu’elles sont extrapolées de leur cadre de référence. Au contraire, comme le montrent la pratique éducative de l’Oratoire et les témoignages narratifs laissés par Don Bosco, non seulement les âmes de ces jeunes trouvaient plaisir et stimulation à les réciter, mais elles contribuaient effectivement à rendre l’exercice de la bonne mort fécond en fruits moraux et spirituels. Pour sonder leur fécondité éducative primitive, il faut les ancrer dans l’ensemble de la proposition substantielle de vie chrétienne présentée par Don Bosco et dans l’expérience fervente, active et stimulante de l’Oratoire.
            L’horizon global de référence peut déjà être saisi dans les petites méditations qui introduisent le Giovane provveduto, où Don Bosco entend avant tout présenter « une méthode de vie courte et facile, mais suffisante » pour que les jeunes lecteurs puissent « devenir la consolation de leurs parents, l’honneur de leur patrie, de bons citoyens sur la terre pour être un jour les heureux habitants du Ciel ».[11] Avant tout, il les encourage à « élever leur regard », à contempler la beauté de la création et la très haute dignité de l’homme, la plus sublime des créatures, doté d’une âme spirituelle faite pour aimer le Seigneur, pour croître en vertu et en sainteté, destiné au Paradis, à la communion éternelle avec Dieu.[12] La considération de l’amour divin sans limites, qui nous a été révélé dans le sacrifice du Christ pour le salut de l’humanité, et de la prédilection particulière de Dieu pour les enfants et les jeunes, doit les inciter à correspondre avec générosité, à « orienter toutes leurs actions » vers la réalisation de la fin pour laquelle ils ont été créés, avec la ferme volonté de faire tout ce qui peut plaire au Seigneur et d’éviter « ce qui peut le dégoûter ».[13] Et puisque le salut d’une personne « dépend ordinairement du temps de la jeunesse », il est indispensable de commencer à servir le Seigneur dès le plus jeune âge : « Si nous commençons une bonne vie maintenant que nous sommes jeunes, nous serons bons à un âge avancé, bonne sera notre mort et début d’un bonheur éternel. Au contraire, si les vices s’emparent de nous dans notre jeunesse, ils continueront à chaque étape de notre vie jusqu’à la mort. Trop fatal gage d’une éternité des plus malheureuses.[14]
            Don Bosco invite donc les adolescents à se donner « à temps à Dieu », à s’engager joyeusement à son service, en surmontant le préjugé selon lequel la vie chrétienne est triste et mélancolique : « Ce n’est pas vrai, sera mélancolique celui qui sert le diable, lui qui, bien qu’il s’efforce de se montrer content, aura toujours un cœur qui pleure, lui disant : tu es malheureux parce que tu es l’ennemi de Dieu […]. Courage donc, mes amis, donnez-vous à temps à la vertu, et je vous assure que vous aurez toujours un cœur joyeux et content, et vous saurez combien il est doux de servir le Seigneur ».[15]
            La vie chrétienne consiste essentiellement à servir le Seigneur dans une « sainte allégresse » ; c’est l’une des idées les plus fécondes et les plus originales de l’héritage spirituel et pédagogique de Don Bosco : « Si tu fais cela, quelle consolation tu éprouveras à l’heure de la mort ! Au contraire, si tu ne te décides pas à servir Dieu, combien de regrets tu éprouveras à la fin de tes jours ! »[16] Celui qui tarde à se convertir, qui consume ses jours dans l’oisiveté ou dans des dissipations inutiles et nuisibles, dans les péchés ou dans les vices, court le risque de ne plus avoir l’occasion, le temps et la grâce de revenir à Dieu avec le danger de la damnation éternelle.[17] En effet, la mort peut le surprendre au moment où il s’y attend le moins : « Malheur à celui qui n’est pas dans la grâce de Dieu à ce moment-là ».[18] Mais la miséricorde divine offre au pécheur repenti le sacrement de la Pénitence, un moyen sûr de retrouver la grâce et, avec elle, la paix du cœur. Célébré régulièrement et avec les dispositions requises, ce sacrement devient non seulement un instrument efficace de salut, mais aussi un moment éducatif privilégié où le confesseur, « ami fidèle de l’âme », peut orienter en toute sécurité le jeune sur le chemin du salut et de la sainteté. La Confession se prépare par un bon examen de conscience, en demandant au Seigneur la lumière : « Éclairez-moi de votre grâce, afin que je connaisse mes péchés maintenant, comme vous me les ferez connaître quand je me présenterai devant votre jugement. Faites, ô mon Dieu, que je les déteste avec une vraie contrition ».[19] La célébration régulière du sacrement garantit la sérénité nécessaire pour vivre une vie vraiment heureuse : « Il me semble que c’est le moyen le plus sûr de vivre des jours heureux au milieu des afflictions de la vie, au terme de laquelle nous verrons nous aussi, avec sérénité, s’approcher le moment de la mort ».[20]
            L’amitié avec Dieu retrouvée à travers la confession trouve son sommet dans la Communion eucharistique, moment privilégié où le jeune s’offre tout entier pour que Dieu « prenne possession » de son cœur et en devienne le maître incontesté. Dans l’acte où il s’ouvre sans réserve à l’action sanctifiante et transfiguratrice de la grâce, il éprouve la joie ineffable qui accompagne une authentique expérience spirituelle et est amené à désirer ardemment la communion éternelle avec Dieu : « Si je veux quelque chose de grand, je vais recevoir la sainte hostie dans laquelle se trouve le corpusquod pro nobis traditum est, ce même corps, avec le sang, l’âme et la divinité, que Jésus-Christ a offert à son Père éternel pour nous sur la croix. Qu’est-ce qui me manque pour être heureux ? Rien en ce monde : il me manque seulement la vision bienheureuse et sans voile au ciel de celui que maintenant, dans la foi, je contemple et j’adore sur l’autel ».[21]
            Malgré la forte charge émotionnelle qui caractérise le sentiment religieux du XIXe siècle, la spiritualité proposée par Don Bosco est très concrète. En effet, il présente la conversion comme un processus d’appropriation des promesses baptismales, qui commence au moment où le jeune, de manière « franche et résolue », décide de répondre à l’appel divin,[22] de détacher son cœur de l’affection pour le péché pour pouvoir aimer Dieu par-dessus tout et se laisser docilement modeler par la grâce. La conversion se traduit donc par une vie active et ardente, animée par la charité, dans une tension positive et joyeuse vers la perfection, en commençant par les petites choses quotidiennes. La ferveur de la charité inspire une mortification « positive » des sens, centrée sur le dépassement de soi, la réforme de la vie, l’accomplissement ponctuel des devoirs, la cordialité et le service du prochain. Cette mortification n’a rien d’afflictif, car elle est une adhésion généreuse à la vie avec ses imprévus et ses difficultés, elle est la capacité de supporter les adversités quotidiennes, elle est la constance dans la fatigue, elle est la sobriété et la tempérance, elle est la force d’âme. Toute occasion peut donc devenir l’expression de l’amour de Dieu, un amour qui pousse la personne à vivre et à travailler « en sa présence », à tout faire et à tout supporter par amour pour lui.
            La charité anime la prière d’une manière particulière, car, à travers les petites pratiques, les oraisons jaculatoires, les visites et les dévotions, elle nourrit le désir de communion affectueuse, devient offrande inconditionnelle de soi, adaptation joyeuse à la volonté divine, désir d’union mystique et aspiration à la communion éternelle du Paradis.
            Don Bosco résume sa proposition dans des formules simplificatrices, mais il n’abaisse pas le niveau et rappelle constamment aux jeunes qu’il est nécessaire de se décider résolument : « De combien de choses avons-nous donc besoin pour nous rendre saints ? D’une seule chose : il faut le vouloir. Oui, si seulement vous le voulez, vous pouvez être saints : il suffit de le vouloir« . C’est ce que montrent les exemples de saints « qui ont vécu dans de basses conditions et au milieu des fatigues d’une vie active », mais qui se sont sanctifiés simplement « en faisant bien tout ce qu’ils avaient à faire. Ils ont rempli tous leurs devoirs envers Dieu, souffrant tout pour lui, lui offrant leurs douleurs, leurs peines : voilà la grande science du salut éternel et de la sainteté ».[23]
            L’expérience de Michel Magon, élève de l’Oratoire du Valdocco, est éclairante. « Abandonné à lui-même – écrit Don Bosco – il risquait de s’engager sur le triste chemin du mal » ; le Seigneur l’invita à le suivre ; « il écouta l’appel affectueux et, en répondant constamment à la grâce divine, en vint à susciter l’admiration de tous ceux qui l’ont connu, montrant ainsi combien sont merveilleux les effets de la grâce de Dieu sur ceux qui s’efforcent d’y correspondre ».[24] Décisif est le moment où le garçon, après avoir pris conscience de sa situation et surmonté, avec l’aide de son éducateur, le profond sentiment d’angoisse et de culpabilité qui le tourmentait, a senti qu' »il était temps de rompre avec le démon » et a décidé de « se donner à Dieu » à travers une bonne confession et une ferme résolution.[25] Don Bosco raconte les émotions et les réflexions de l’adolescent dans la nuit qui suivit la confession : rétabli dans la grâce de Dieu et rassuré sur son salut éternel,[26] il éprouve une joie irrépressible.

             « Il est difficile, disait-il, d’exprimer les sentiments qui ont occupé mon pauvre cœur pendant cette nuit mémorable. Je la passai presque entièrement sans dormir. Je restai assoupi quelques instants, et rapidement mon imagination me faisait voir l’enfer ouvert et rempli de démons. Je chassai bien vite cette lugubre image, en réfléchissant que mes péchés avaient été tous pardonnés, et qu’à ce moment il me semblait voir un grand nombre d’anges qui me faisaient voir le paradis en me disant : – Vois quel grand bonheur t’est réservé, si tu es constant dans tes résolutions !
            Arrivé à la moitié du temps de repos fixé, j’étais si plein de contentement, d’émotion et d’affections diverses, que, pour donner un peu d’air à mon âme, je me suis levé, je me suis mis à genoux, et j’ai répété plusieurs fois ces paroles : Oh ! combien sont malheureux ceux qui tombent dans le péché, mais combien ceux qui vivent dans le péché sont encore plus malheureux ! Je crois que s’ils goûtaient ne serait-ce qu’un instant la grande consolation qu’éprouvent ceux qui sont dans la grâce de Dieu, ils iraient tous se confesser pour apaiser la colère de Dieu, donner un répit aux remords de la conscience et jouir de la paix du cœur. Ô péché, péché ! quel terrible fléau pour ceux qui te laissent entrer dans leur cœur ! Mon Dieu, à l’avenir, je ne veux plus jamais vous offenser ; au contraire, je veux vous aimer de toutes les forces de mon âme ; si, par malheur, je tombais même dans un petit péché, j’irai vite me confesser ».[27]

            Nous trouvons ici les clés pour interpréter l’horizon de sens dans lequel Don Bosco place la fonction pédagogique et spirituelle de l’exercice de la bonne mort.

(suite)


[1] Bosco, Il Giovane provveduto, 140.

[2] Nous trouvons la même formule, avec des variations mineures, dans une brochure anonyme intitulée Mezzi da praticarsi e risoluzioni da farsi dopo una buona confessione per mantenersi nella grazia di Dio riacquistata, Vigevano, s.e., 1842, 33-36. Cf. aussi Il cristiano in chiesa, ovvero affettuose orazioni per la Messa, per la Confessione e Comunione e per l’adorazione del Santissimo Sacramento. Operetta spirituale del P. Fulgenzio M. Riccardi di Torino, Min. Oss., Torino, G.B. Paravia 1845, où l’attribution de la séquence est, dans la formulation, similaire à celle de Don Bosco : « Litanie per ottenere una buona morte composte da una Damigella nata tra i Protestanti, convertasi alla Religione Cattolica all’età di quindici anni, e morta di diciotto in istima universale di santità » (ibid., 165).

[3] Pietro Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica. Vol. II : Mentalità religiosa e spiritualità, Roma, LAS, 1981, 340. Cf. aussi Michel Bazart, Don Bosco et l’exercice de la bonne mort, in « Cahiers Salésiens » N. 4, Avril 1981, 7-24.

[4] Par exemple, on le trouve, avec quelques remaniements stylistiques et des amplifications mineures, sous le titre « Gémissements et supplications pour une bonne mort », dans Giuseppe Riva, Manuale di Filotea. Ventunesima edizione nuovamente riveduta ed aumentata, Milano, Serafino Majocchi, 1874, 926-927.

[5] Bosco, Il giovane provveduto, 138-142.

[6] Voir par exemple la première considération « Portrait d’un homme mort depuis peu », dans Alfonso Maria de Liguori, Opere ascetiche, vol. 8, Apparecchio alla morte, Torino, Giacinto Marietti, 1825, 10-19.

[7] Angelo Antonio Scotti, Osservazioni sulle false dottrine e sulle funeste conseguenze dell’opera del Lauvergne intitolata « De l’agonie et de la mort dans toutes les classes de la societé ». Dissertazione letta nell’Accademia di Religione Cattolica in Roma il dì 4 luglio 1844, Roma, Tipografia delle Belle Arti, 1844, 3. Scotti polémique contre l’auteur français, médecin et scientifique, qui considère comme fausse l’affirmation selon laquelle seuls les vrais catholiques meurent en paix : les athées ou les adeptes d’autres religions ou même les individus immoraux et mauvais peuvent aussi mourir sereinement, alors qu’il n’est pas rare que de saints hommes, les personnes de grande vertu et les ascètes, surtout parmi les catholiques, souffrent d’agonies atroces et désespérées, car tout dépend du type de maladie, de la lucidité cérébrale, de l’état d’affaiblissement physiologique ou psychique et des angoisses induites par le fanatisme religieux, cf. Hubert Lauvergne, De l’agonie et de la mort dans toutes les classes de la société sour le rapport humanitaire, physiologique et religieux, 2 vol, Paris, Librairie de J.-B. Baillière et C. Gosselin, 1842.

[8] Giovanni Bosco, Vita del giovanetto Savio Domenico allievo dell’Oratorio di S. Francesco di Sales, Torino, Tip. G.B. Paravia e Comp., 1859, 116.

[9] Scotti, Osservazioni sulle false dottrine, 14-15.

[10] Stella, Don Bosco nella storia della religiosità cattolica, vol. II, 341.

[11] Bosco, Le jeune homme providentiel, 7.

[12] Cf. ibid., 10.

[13] Ibid., 10-11.

[14] Ibid., 6.

[15] Ibid., 13.

[16] Ibid., 32.

[17] Cf. ibid., 32-34.

[18] Ibid., 38.

[19] Ibid., 93.

[20] Bosco, Vita del giovanetto Savio Domenico, 136.

[21] Ibid., 69.

[22] Giovanni Bosco, Cenno biografico sul giovanetto Magone Michele allievo dell’Oratorio di S. Francesco di Sales, Torino, Tip. G.B. Paravia e Comp., 1861, 4-5.

[23] Jean Bosco, Vita di santa Zita serva e di sant’Isidoro contadino. Torino, P. De-Agostini, 1853, 6-7.

[24] Bosco, Cenno biografico sul giovanetto Magone Michele, 5.

[25] Ibid., 20-21.

[26] Après avoir terminé [la confession], avant de quitter le confesseur, il lui dit : « Vous semble-t-il que tous mes péchés me sont pardonnés ? Si je mourais cette nuit, serais-je sauvé ? – Va en paix, lui fut répondu. Le Seigneur qui, dans sa grande miséricorde, t’a attendu jusqu’ici pour que tu aies le temps de faire une bonne confession, t’a certainement pardonné tous tes péchés ; et si, dans ses adorables décrets, il voulait t’appeler cette nuit à l’éternité, tu seras sauvé » (ibid., 21).

[27] Ibid., 21-22.




Les Salésiens en Azerbaïdjan, semeurs d’espoir

Histoire d’un jeune homme qui exprime sa gratitude pour le travail de l’unique communauté salésienne d’Azerbaïdjan, point de référence pour de nombreux jeunes de la capitale.

L’Azerbaïdjan (officiellement la République d’Azerbaïdjan) est un pays situé dans la région de la Transcaucasie, bordé à l’est par la mer Caspienne, au nord par la Russie, à l’ouest par la Géorgie et l’Arménie et au sud par l’Iran. Il abrite une population d’environ 10 millions d’habitants, qui parlent la langue azerbaïdjanaise, qui appartient à la famille des langues turques. La principale richesse du pays est le pétrole et le gaz. Devenu indépendant en 1918, l’Azerbaïdjan a été le premier État démocratique laïque à majorité musulmane. Son indépendance n’a toutefois duré que deux ans, puisqu’il a été incorporé en 1920 à l’Union soviétique qui venait de naître. À la chute de l’empire soviétique, le pays a retrouvé son indépendance en 1991. Durant cette période, la région du Haut-Karabakh, peuplée principalement d’Arméniens, a déclaré son indépendance sous le nom de République d’Artsakh, ce qui a entraîné plusieurs guerres. Elle est réapparue dans l’actualité internationale après la récente attaque de l’Azerbaïdjan, le 19 septembre 2023, qui a conduit à la suppression de ladite république et à l’exode de la quasi-totalité des habitants arméniens de cette région vers l’Arménie.

La présence de chrétiens dans cette région est mentionnée dès les premiers siècles après Jésus-Christ. Au IVe siècle, le roi caucasien Urnayr a officiellement déclaré le christianisme religion d’État, et ce jusqu’au VIIIe siècle où, à la suite d’une guerre, l’islam s’est imposé. Aujourd’hui, la religion majoritaire est l’islam chiite et les chrétiens, toutes confessions confondues, représentent 2,6 % de la population.
La présence des catholiques dans le pays remonte à 1882, date de la fondation d’une paroisse ; en 1915, une église a été construite dans la capitale Bakou, démolie par les communistes soviétiques en 1931, ce qui a entraîné la dissolution de la communauté et l’arrestation du prêtre de la paroisse, qui est mort un an plus tard dans un camp de travail forcé.

Après la chute du communisme, la communauté catholique de Bakou a été reconstituée en 1997 et, après une visite du pape saint Jean-Paul II en Azerbaïdjan en 2002, un terrain a été obtenu pour la construction d’une nouvelle église, consacrée à l’Immaculée Conception et inaugurée le 29 avril 2007.

La présence salésienne en Azerbaïdjan a été inaugurée au cours de l’année jubilaire 2000, dans la capitale Bakou, la plus grande ville du pays, avec une population de plus de 2 millions d’habitants.

Le directeur de la maison salésienne de Bakou, le père Martin Bonkálo, nous dit que la mission salésienne s’incarne dans des contextes différents et toujours nouveaux, en réponse aux défis et aux besoins de la jeunesse. C’est ainsi que les échos de Don Bosco se font également entendre en Azerbaïdjan, en Asie centrale, un pays à majorité musulmane qui a connu le régime soviétique au siècle dernier.
Sept salésiens vivent et travaillent dans cette maison, dont cinq prêtres et deux coadjuteurs, appartenant à la Province slovaque (SLK). Ils s’occupent de la paroisse Sainte-Marie et du Centre éducatif  » Maryam « . Il s’agit d’une œuvre de développement intégral des jeunes : évangélisation, catéchèse, éducation et aide sociale.
Dans tout le pays, les catholiques sont un petit troupeau qui professe sa foi avec courage et espérance. Le travail des Salésiens est donc basé sur le témoignage de l’amour de Dieu sous différentes formes. Les relations avec la population sont ouvertes, claires et amicales : cela favorise l’épanouissement de l’action éducative.

Les jeunes sont comme tous les jeunes du monde, avec leurs peurs et leurs talents. Leur plus grand défi est de recevoir une bonne éducation pour gagner leur vie. Les jeunes recherchent un environnement éducatif et des personnes capables sur le plan professionnel et humain, qui sachent communiquer le chemin à suivre pour chercher le sens de la vie.
Les Salésiens s’engagent à regarder vers l’avenir, à développer leur présence dans le pays, à la rendre plus internationale, et à rester fidèles au charisme transmis par Don Bosco, avec joie et enthousiasme.

Shamil, ancien élève du centre salésien de Bakou, raconte : « Je suis entré en contact avec le centre Maryam en 2012 et cette rencontre s’est avérée fondamentale pour le reste de ma vie. À l’époque, j’avais fait mon service militaire et je terminais mes études dans une école d’informatique. J’avais besoin d’évoluer professionnellement, mais en même temps, j’avais grand besoin d’amis dans le monde réel ! Je suis arrivé à Bakou en provenance de la province et j’ai rencontré un ami dans la rue qui m’a parlé du Centre Maryam. Nous sommes donc allés le visiter ensemble et c’est à partir de là que s’est ouvert un beau chapitre de ma vie. Dès le premier jour, je me suis retrouvé dans un monde différent, difficile à expliquer, je dis dans mon cœur qu’il s’agit d’une île. C’est devenu pour moi une île d’humanité, dans un monde moderne souvent intéressé par l’utilisation des gens et ne se souciant pas vraiment d’eux.

Sans que je m’en rende compte, le programme du centre de jeunesse avait commencé et je faisais partie d’une équipe. Les uns jouaient au volley-ball, d’autres au tennis de table, un groupe de garçons grattait la guitare… Plus tard, nous nous sommes assis dans le réfectoire et chacun a eu l’occasion de partager un mot pour exprimer son opinion sur la journée écoulée, ses impressions ou ses nouvelles idées. Moi qui étais plutôt timide, j’ai commencé à parler des événements de la journée et de sujets généraux sans aucune difficulté ni retenue. Parmi les nombreux cours proposés par le centre, j’ai décidé de commencer par le cours de graphisme Photoshop et le cours d’anglais. Lorsque j’ai dû quitter mon emploi pour des raisons de santé, j’ai également perdu le toit au-dessus de ma tête. La solution a été de travailler au Centre en tant que gardien, avec certaines tâches et responsabilités. J’ai été à l’essai pendant un mois et je suis heureux de n’avoir déçu personne et d’avoir trouvé un nouveau foyer. Lorsque le Père Stefan a commencé à développer le projet de réseau informatique de l’Académie Cisco au Centre en 2014, mon parcours professionnel en tant qu’ingénieur réseau a commencé. Au cours de la même période, j’ai pu apprendre trois métiers : la soudure, l’électricité et la plomberie. En 2016, je suis devenu instructeur officiel de Cisco et cela fait maintenant six ans que je travaille en tant qu’ingénieur réseau. Cet emploi nous a permis, à moi et à ma famille, de reprendre pied après des années de vie très précaire. En plus de mon travail, je donne des cours sur les réseaux informatiques, je suis devenu animateur et je participe à l’organisation de camps d’été pour les enfants. Je ne peux qu’être reconnaissant à Don Bosco pour tout ce qu’il m’a donné dans la vie ».

Il y a beaucoup d’histoires de jeunes comme Shamil, qui ont réussi à changer leur vie grâce au travail des Salésiens de Bakou, et nous espérons que ce travail pourra prospérer et continuer à être fructueux.

Marco Fulgaro




As-tu réfléchi à ta vocation ? Saint François de Sales pourrait t’aider (8/10)

(suite de l’article précédent)

8. Prière ou service

Chers jeunes,
la charité et la prière vont toujours de pair. Je dois vous dire que, de la personne de Jésus, une de ses affirmations m’a toujours beaucoup touché : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur ». (Mt 11, 29).
En effet, Jésus, doux et humble de cœur, a toujours fortement uni son être de Fils du Père qui l’aime et avec lequel il est en parfaite harmonie, à l’autre dimension, celle de la charité et de l’amour du prochain : « Ce que vous avez fait au plus petit, c’est à moi que vous l’avez fait… il lui sera pardonné parce qu’il a beaucoup aimé… j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger… ».
Vous me demandez comment vous pouvez devenir saint dans votre vie quotidienne : par la prière et l’apostolat. Alors que la prière nourrit l’amitié avec Dieu, à travers le silence, les sacrements et la Parole de Dieu, la charité conduit à aimer ses frères et sœurs, à construire la communauté jusqu’à la communion. L’apostolat, le don de soi aux frères et aux sœurs, en premier lieu aux voisins, est aussi la manière de commencer à rencontrer Dieu : si, en effet, vous vous donnez à vos frères et sœurs avec un cœur doux et humble, vous rencontrerez ce Jésus qui dit : « C’est à moi que vous l’avez fait ». La sainteté chrétienne (que j’appelais autrefois « dévotion ») consiste précisément en ceci : c’est l’amour de Dieu qui agit en nous et nous nous y livrons dans notre don aux autres, vivement, volontiers et de tout cœur.
L’amour de Dieu et l’amour du prochain ne sont pas seulement les deux principaux commandements, mais ils sont le miroir l’un de l’autre ; on pourrait dire qu’ils sont l’un pour l’autre. Pour vous aider à comprendre cela, je me souviens avoir donné un jour un conseil à une femme qui s’engageait fortement dans la prière : « Une âme qui vit une liberté qui vient de Dieu, si elle est interrompue dans sa prière, sortira avec un visage détendu et un cœur bienveillant envers le fauteur de troubles qui l’a dérangée, parce que tout est égal pour elle, soit servir Dieu en méditant, soit le servir en supportant son prochain ; l’une ou l’autre chose est la volonté de Dieu, mais à ce moment-là, il est nécessaire de supporter et d’aider son prochain ».
Vous pensez peut-être qu’il est très compliqué de vivre ainsi dans votre monde. La culture et le moment historique/religieux dans lesquels j’ai vécu étaient certainement très conflictuels, mais imprégnés d’un sens religieux et d’un respect pour la foi chrétienne largement répandue. Ce n’est pas le cas à votre époque.
Cependant, je peux vous dire que moi aussi j’ai dû (et voulu) vivre pendant quelques années une forme résolument difficile de travail missionnaire dans un pays hostile, gouverné civilement et religieusement par des calvinistes.
En y repensant, je pourrais vous raconter quelques éléments de mon expérience et, peut-être, vous offrir quelques petites suggestions sur la manière de vivre dans cette période complexe. Afin de connaître les motivations de nos « adversaires » huguenots, j’ai demandé au pape la permission de lire plusieurs textes, interdits à l’époque à un catholique, dans un contexte où le catholicisme était âprement contesté. Mon but était de trouver un terrain d’entente, puis d’aller à la racine de leurs théories, surtout si elles étaient ambiguës ou incorrectes.
Même lorsque j’étais insulté, menacé, accusé de magie, calomnié, je répondais avec douceur aux gens simples, mais avec une fermeté culturelle absolue à ceux qui étaient de mauvaise foi. Combien de prières, de pénitences, de jeûnes j’ai offerts au Seigneur pour nos pauvres frères. Vous portez l’Évangile avec toute votre personne et beaucoup plus efficacement avec une aide concrète, une volonté d’écoute, une humilité d’approche qui, très souvent, dissout l’arrogance.
À une dame et mère de famille, que j’ai suivie épistolairement pendant plusieurs années, je donnais un conseil qui peut vous être utile :
« Il ne faut pas seulement être dévoué et aimer le dévouement, mais il faut le rendre aimable à tous : vous le rendrez aimable si vous le rendez utile et agréable. Les malades aimeront votre dévouement s’ils se consolent par votre charité ; votre famille si elle vous reconnaît plus attentive à son bien-être, plus douce dans les affaires, plus aimable dans vos corrections… votre mari s’il voit que plus votre dévouement grandit, plus vous êtes cordiale avec lui et plus douce est l’affection que vous lui portez ; vos parents et amis s’ils voient en vous plus de franchise, d’indulgence et d’accomplissement de leurs volontés qui ne sont pas contraires à celles de Dieu. Bref, vous devez rendre votre dévotion attrayante ».

Office de l’Animation Vocationnelle

(suite)




L’exercice de la “bonne mort” dans l’expérience éducative de Don Bosco (2/5)

(suite de l’article précédent)

1. L’exercice de la bonne mort dans les institutions salésiennes et la tradition séculaire des Praeparationes ad mortem

            Dès les débuts de l’Oratoire du Valdocco (1846-47), Don Bosco proposa aux jeunes l’exercice mensuel de la bonne mort comme moyen ascétique visant à stimuler – à travers une vision chrétienne de la mort – une attitude constante de conversion et de dépassement des limites personnelles et à assurer, à travers une confession et une communion bien faites, les conditions spirituelles et psychologiques favorables à un cheminement fructueux de vie chrétienne et à la construction des vertus, en coopération docile avec l’action de la grâce de Dieu. À l’époque, cette pratique était en vigueur dans la plupart des paroisses et des institutions religieuses et éducatives. C’était pour le peuple l’équivalent de la récollection mensuelle. Dans les oratoires salésiens, elle se faisait le dernier dimanche de chaque mois et consistait, comme nous le lisons dans le Règlement, « en une préparation soignée, afin de faire une bonne confession et communion, et d’ajuster les choses spirituelles et temporelles, comme si nous étions à la fin de notre vie ».[1]
            Cet exercice deviendra une pratique courante dans toutes les institutions éducatives salésiennes. Dans les collèges et les internats, il était pratiqué en commun le dernier jour du mois par les éducateurs et les garçons.[2] Les Constitutions salésiennes elles-mêmes, dès le premier projet, en ont établi la norme : « Le dernier jour de chaque mois sera un jour de retraite spirituelle, où, laissant autant que possible les affaires temporelles, chacun se recueillera en lui-même, fera l’exercice de la bonne mort, mettant en ordre les choses spirituelles et temporelles, comme s’il devait quitter le monde et partir pour l’éternité ».[3]
            Le déroulement était simple. Les garçons, réunis dans la chapelle, prononçaient ensemble les formules prévues dans le Giovane provveduto, qui leur donnaient le sens spirituel et théologique essentiel de cette pratique. Tout d’abord, on récitait la prière du pape Benoît XIII « pour implorer de Dieu la grâce de ne pas mourir de mort imprévue » et pour obtenir, par les mérites de la passion du Christ, de ne pas être « trop vite retiré de ce monde », afin d’avoir encore un « espace de pénitence » à disposition et de se préparer à « un passage heureux et dans la grâce de Dieu […], afin de t’aimer [Seigneur Jésus] de tout mon cœur, de te louer et de te bénir à tout jamais ». Ensuite, on lisait l’oraison à saint Joseph pour implorer « le pardon complet » des péchés, la grâce d’imiter ses vertus, de marcher « toujours par le chemin qui conduit au Ciel » et d’être défendu « des ennemis de l’âme au terme de la vie ; afin que, réconforté par la douce espérance de s’envoler […] pour posséder la gloire éternelle dans le Paradis, on expire en prononçant les très saints noms de Jésus, de Joseph et de Marie ». Enfin, un lecteur lisait la litanie de la bonne mort, à laquelle on répondait par cette invocation : « Jésus miséricordieux, ayez pitié de moi ».[4] L’exercice de dévotion était suivi de la confession personnelle et de la communion « générale ». On invitait pour l’occasion des confesseurs « extraordinaires », afin que chacun ait la possibilité et la pleine liberté de régler ses affaires de conscience.
            Les religieux salésiens, en plus des prières récitées en commun avec les élèves, faisaient un examen de conscience plus articulé. Le 18 septembre 1876, Don Bosco expliqua à ses disciples comment le rendre fructueux :

             « Il sera très utile de comparer un mois à l’autre : ai-je fait un progrès ce mois-ci, ou y a-t-il eu un recul ? Puis on en vient aux détails : dans telle vertu ou dans telle autre, comment me suis-je comporté ?
            Et surtout passons en revue ce qui concerne les vœux et les pratiques de piété : en ce qui concerne l’obéissance, comment me suis-je comporté ? Ai-je progressé ? Par exemple, ai-je bien fait l’assistance qui m’a été confiée ? Comment l’ai-je faite ? Dans cet enseignement, comment me suis-je engagé ? En ce qui concerne la pauvreté, qu’il s’agisse des habits, de la nourriture, des cellules, ai-je quelque chose qui n’est pas pauvre ? ai-je désiré satisfaire ma gourmandise ? me suis-je plaint quand je manquais de quelque chose ? Vient ensuite la chasteté : n’ai-je pas fait naître en moi de mauvaises pensées ? Me suis-je détaché de plus en plus de l’amour de mes proches ? Me suis-je mortifié dans la gourmandise, les regards, etc.
            Et puis passer en revue les pratiques depiété et noter surtout s’il y a eu tiédeur ordinaire, si les pratiques ont été faites sans élan.
            Cet examen, qu’il soit plus ou moins long, doit toujours être fait. Comme il y en a plusieurs qui ont des occupations dont ils ne peuvent se dispenser aucun jour du mois, il sera possible de les continuer, mais que chacun, le jour dit, fasse en sorte de faire ces considérations et prenne de bonnes résolutions spéciales ».[5]

            L’objectif était d’effectuer un suivi régulier de la vie personnelle en vue d’un perfectionnement constant. Ce rôle primordial de stimulation et de soutien de la croissance vertueuse explique que Don Bosco, dans l’introduction aux Constitutions, en vienne à affirmer que la pratique mensuelle de la bonne mort constitue, avec la retraite annuelle, « la partie fondamentale des pratiques de piété, celle qui, d’une certaine manière, les embrasse toutes », et conclut en disant : « Je crois que l’on peut dire que le salut d’un religieux est assuré si, chaque mois, il s’approche des Saints Sacrements, et règle les affaires de sa conscience comme s’il devait quitter cette vie pour l’éternité ».[6]
            Au fil du temps, l’exercice mensuel a été affiné, comme nous le lisons dans une note insérée dans les Constitutions promulguées par Don Rua après le Xe Chapitre général :

             « a. L’exercice de la bonne mort se fera en commun, et outre ce que prescrivent nos Constitutions, on se rappellera les règles suivantes : I) En plus de la méditation habituelle du matin, on fera encore une demi-heure de méditation le soir, et cette méditation se fera sur une des fins dernières ; II) On fera un examen de conscience du mois, et une confession plus soignée que d’habitude, comme s’il s’agissait de la dernière de la vie, et on recevra la sainte communion comme viatique ; III) Après la Messe et les prières habituelles, on récitera les prières indiquées dans le manuel de piété ; IV) On réfléchira pendant au moins une demi-heure au progrès ou au recul que l’on a fait dans la vertu au cours du mois écoulé, surtout en ce qui concerne les résolutions prises durant la retraite, l’observance des Règles, et on prendra de fermes résolutions pour une vie meilleure ; V) On relira ce jour-là toutes les Constitutions de la Pieuse Société, ou du moins une partie d’entre elles ; VI) Il sera bon aussi de se choisir un saint patron pour le mois qui va commencer.
            b. Si quelqu’un ne peut, à cause de ses occupations, faire l’exercice de la bonne mort en commun, ni accomplir toutes les pratiques de piété susmentionnées, il n’accomplira, avec la permission du directeur, que les pratiques compatibles avec son emploi, remettant les autres à un jour plus propice ».[7]

            Ces indications révèlent une continuité et une harmonie substantielles avec la tradition séculaire de la praeparatio ad mortem, largement documentée par la production de livres depuis le début du XVIe siècle. Les appels évangéliques à une attente vigilante et active (cf. Mt 24,44 ; Lc 12,40), à la préparation en vue du jugement qui déterminera le sort éternel de chacun parmi les « bienheureux » ou les « maudits » (Mt 25,31-46), ainsi qu’à l’admonition quadragésimale « Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris« , ont constamment nourri au cours des siècles les réflexions des maîtres spirituels et des prédicateurs, inspiré des représentations artistiques, produit des rituels, donné lieu à des pratiques pieuses et pénitentielles, suggéré des intentions et des aspirations ardentes à la communion éternelle avec Dieu. Ils ont aussi suscité des craintes, des inquiétudes, parfois des angoisses, selon les sensibilités spirituelles et les visions théologiques des différentes époques.
            Les savantes réflexions sapientielles du De praeparatione ad mortem d’Érasme et d’autres humanistes,[8] empreintes d’un authentique esprit évangélique mais si érudites qu’elles ressemblaient à des exercices rhétoriques, avaient progressivement cédé la place, entre le XVIIe et le début du XVIIIe siècle, aux exhortations morales des prédicateurs et aux considérations méditatives des spiritualistes. Un opuscule du cardinal Giovanni Bona affirme que la meilleure préparation à la mort est la préparation éloignée, mise en œuvre par une vie vertueuse dans laquelle on s’exerce quotidiennement à mourir à soi-même et à fuir toute forme de péché, pour vivre selon la loi de Dieu en communion de prière avec lui ;[9] il exhortait à une prière constante pour obtenir la grâce d’une mort heureuse ; il suggérait de consacrer un jour par mois à la préparation prochaine à la mort dans le silence et la méditation, en purifiant l’âme par une « confession très diligente et douloureuse », après un examen précis de son état, et en s’approchant de la communion per modum Viatici, avec une intense dévotion ;[10] il invitait ensuite le fidèle à terminer la journée en s’imaginant étendu sur son lit de mort, au moment du dernier instant :

             « Vous renouvellerez des actes plus intenses d’amour, d’action de grâce et de désir de voir Dieu ; vous demanderez pardon pour tout ; vous direz : « Seigneur Jésus-Christ, en cette heure de ma mort, mettez votre passion et votre mort entre votre jugement et mon âme. Père, je remets mon esprit entre tes mains. Aidez-moi, saints de Dieu, hâtez-vous, ô anges, de soutenir mon âme et de l’offrir au Très-Haut » […]. Puis vous imaginerez que votre âme est conduite au terrible jugement de Dieu et que, par les prières des saints, votre vie sera prolongée pour que vous puissiez faire pénitence ; vous proposant alors avec force de vivre plus saintement, vous vous considérerez et vous vous comporterez à l’avenir comme mort au monde et ne vivant que pour Dieu et pour la pénitence ».[11]

            Giovanni Bona terminait sa Praeparatio ad mortem par une pieuse aspiration centrée sur le désir du Paradis, imprégnée d’un intense souffle mystique.[12] Le cardinal cistercien avait été l’élève des jésuites. C’est d’eux qu’il avait tiré l’idée de la journée mensuelle de préparation à la mort.
            La méditation sur la mort faisait partie intégrante des exercices spirituels et des missions populaires : la mort est certaine, le moment de son arrivée est incertain, il faut s’y préparer car lorsqu’elle viendra, Satan multipliera ses assauts pour nous ruiner éternellement : « Quelle conclusion en tirer ? […] Prendre dès maintenant de bonnes habitudes. Ne vous contentez pas de vivre dans la grâce de Dieu, ni de demeurer un seul instant dans le péché ; mais menez habituellement une vie telle, par l’exercice continuel des bonnes œuvres, qu’au dernier moment le Démon n’ait pas la tentation de me faire perdre pour toute l’Éternité ».[13]
            À partir du XVIIe siècle et tout au long du XVIIIe, les prédicateurs soulignaient l’importance du thème, en modulant leurs réflexions selon la sensibilité du goût baroque, avec une forte accentuation des aspects dramatiques, sans toutefois détourner l’attention des auditeurs du fond : l’acceptation sereine de la mort, l’appel à la conversion du cœur, la vigilance constante, la ferveur dans les œuvres vertueuses, l’offrande de soi à Dieu et l’aspiration à la communion éternelle d’amour avec lui. Progressivement, l’exercice de la bonne mort a pris une importance croissante, jusqu’à devenir l’une des principales pratiques ascétiques du catholicisme. Un opuscule anonyme d’un jésuite du XVIIe siècle proposait, par exemple, un modèle d’exercice de la bonne mort :

             « Choisissez un jour de chaque mois le plus libre de toute autre affaire, pendant lequel vous devez, avec une diligence particulière, vous adonner à la prière, à la confession, à la communion et à la visite du Saint-Sacrement.
            L’oraison de ce jour devra durer jusqu’à deux fois deux heures, et le sujet de cette oraison peut être celui que nous allons mentionner. Dans la première heure, imaginez le plus vivement possible l’état dans lequel vous vous trouverez au moment de mourir […]. Considérez ce que vous voudriez avoir fait au moment de mourir, premièrement envers Dieu, deuxièmement envers vous-même, troisièmement envers votre prochain, mêlant à cette méditation diverses affections ferventes, de repentir, de bons propos et de demandes au Seigneur, afin d’implorer de lui le courage de vous amender. La seconde oraison aura pour sujet les motifs les plus forts que l’on puisse trouver pour accepter volontiers la mort de la part de Dieu […]. Les sujets de cette Méditation seront l’offrande de notre vie au Seigneur, une protestation que si nous pouvions la prolonger au-delà du bon plaisir divin, nous ne le ferions pas ; une demande pour savoir offrir ce sacrifice avec cet esprit d’amour qu’exige le respect dû à sa très aimable Providence et à ses dispositions.
            La confession doit être faite par vous avec un soin tout particulier, et comme si c’était la dernière fois que vous alliez vous purifier dans le sang très précieux de Jésus-Christ […].
            La communion, elle aussi, doit être faite avec une préparation hors de l’ordinaire, et comme si l’on communiait pour le Viatique, en adorant ce Seigneur que l’on espère adorer pour l’Éternité ; en le remerciant pour la vie qu’il nous a accordée, en lui demandant pardon de l’avoir si mal dépensée ; en vous offrant prêt à la terminer, parce qu’il le veut ainsi, et enfin en demandant à sa grâce de nous assister dans ce grand passage, afin que votre âme, appuyée sur son Bien-Aimé, passe en toute sécurité de ce Désert au Royaume.[14]

            L’engagement à diffuser l’exercice de la bonne mort ne limitait pas les considérations des prédicateurs et des directeurs spirituels au sujet des fins dernières, comme s’ils voulaient fonder l’édifice spirituel uniquement sur la peur de la damnation éternelle. Ces auteurs connaissaient les dégâts psychologiques et spirituels que l’inquiétude et l’angoisse du salut produisaient sur les âmes les plus sensibles. Les recueils de méditations produits entre la fin du XVIIe siècle et le milieu du XVIIIe siècle n’ont pas seulement insisté sur la miséricorde de Dieu et l’abandon à lui, pour conduire les fidèles à l’état permanent de sérénité spirituelle propre à ceux qui ont intégré la conscience de leur propre finitude temporelle dans une solide vision de foi, mais ils ont parcouru tous les thèmes de la doctrine et de la pratique chrétiennes, de la morale privée et publique : vérité de la foi et sujets évangéliques, vices et vertus, sacrements et prière, œuvres de charité spirituelles et matérielles, ascèse et mysticisme. La réflexion sur le destin éternel de l’homme s’étendait à la proposition d’une vie chrétienne exemplaire et ardente, marquée par des parcours spirituels orientés vers la sanctification personnelle et l’affinement du vécu quotidien et social, sur la toile de fond d’une théologie substantielle et d’une anthropologie chrétienne raffinée.
            L’un des exemples les plus éloquents est fourni par les trois volumes du jésuite Giuseppe Antonio Bordoni, qui rassemblent les méditations offertes chaque semaine pendant plus de vingt ans aux confrères de la Compagnie de la bonne mort, qu’il avait établie dans l’église des Saints Martyrs de Turin (1719). L’ouvrage, très apprécié pour sa solidité théologique, sa forme dépourvue de fioritures rhétoriques et sa richesse en exemples concrets, a été réédité des dizaines de fois jusqu’au seuil du XXe siècle.[15] Également liés au milieu religieux turinois, nous avons les Discorsi sacri e morali per l’esercizio della buona morte – plus marqués par le goût de l’époque mais tout aussi solides – prêchés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par le prêtre Giorgio Maria Rulfo, directeur spirituel de la Compagnie de l’Humilité formée par des dames de la noblesse.[16]
            La pratique proposée par saint Jean Bosco aux élèves de l’Oratoire et des institutions éducatives salésiennes avait donc une solide tradition spirituelle de référence.

(suite)


[1] Giovanni Bosco, Regolamento dell’Oratorio di S. Francesco di Sales per gli esterni, Torino, Tipografia Salesiana, 1877, 44.

[2] Giovanni Bosco, Regolamento per le case della Società di S. Francesco di Sales, Torino, Tipografia Salesiana, 1877, 63 (parte II, capo II, art. 4) : « Une fois par mois, tous feront l’exercice de la bonne mort, en s’y préparant par un sermon ou un exercice de piété ».

[3] [Giovanni Bosco], Regole o Costituzioni della Società di S. Francesco di Sales secondo il Decreto di approvazione del 3 aprile 1874, Torino, Tipografia Salesiana, 1877, 81 (cap. XIII, art. 6). La même norme était inscrite dans les Constitutions des Filles de Marie Auxiliatrice, avec une formulation très semblable : « Le premier dimanche ou le premier jeudi du mois sera un jour de récollection spirituelle, au cours duquel, laissant autant que possible les affaires temporelles, chacune se recueillera, fera l’exercice de la bonne mort, mettant en ordre ses affaires spirituelles et temporelles, comme si elle devait quitter le monde et aller à l’éternité. Qu’on fasse un peu de lecture selon les besoins, et si possible la Supérieure demandera au Directeur un sermon ou une conférence sur le sujet », Regole o Costituzioni per le Figlie di Maria SS. Ausiliatrice aggregate alla Società Salesiana (éd. 1885), Titolo XVII, art. 5, in Giovanni Bosco, Costituzioni per l’Istituto  delle Figlie di Maria Ausiliatrice (1872-1885). Testi critici a cura di Cecilia Romero, Roma, LAS, 1983, 325.

[4] Giovanni Bosco, Il giovane provveduto per la pratica de’ suoi obblighi degli esercizi di cristiana pietà per la recita dell’uffizio della Beata Vergine e de principali vespri dell’anno coll aggiunta di una scelta di laudi sacre ecc., Torino, Tipografia Paravia e Comp. 1847, 138-142.

[5] Archivio Centrale Salesiano, A0000409 Prediche di don Bosco – Esercizi Lanzo 1876, quaderno XX, ms di Giulio Barberis, pp. 10-11.

[6] Giovanni Bosco, Ai Soci Salesiani, in Regole o Costituzioni della Società di S. Francesco di Sales (ed. 1877), 38.

[7] Costituzioni della Società di S. Francesco di Sales precedute dall’introduzione scritta dal Fondatore sac. Giovanni Bosco, Torino, Tipografia Salesiana, 1907, 227- 231.

[8] Des. Erasmi Roterodami liber cum primis pius, de praeparatione ad mortem, nunc primum et conscriptus et aeditus…, Basileae, in officina Frobeniana per Hieronymum Frobenium & Nicolaum Episcopium 1533, 3-80 (Quomodo se quisque debeat praeparare ad mortem). Cf. également Pro salutari hominis ad felicem mortem praeparatione, hinc inde ex Scriptura sacra, et sanctis, doctis, et christianissimis doctoribus, ad cujusdam petitionem, et aliorum etiam utilitatem, a Sacrarum literarum professor Ludovico Bero conscripta et nunc primum edita, Basileae, per Joan. Oporinum, 1549.

[9] Giovanni Bona, De praeparatione ad mortem…, Roma, in Typographia S. Michaelis ad Ripam per Hieronimum Maynardi, 1736, 11-13.

[10] Ibid., 67-73.

[11] Ibid., p. 74-75.

[12] Ibid., 126-132 : « Affectus animae suspirantis ad Paradisum ».

[13] Carlo Ambrogio Cattaneo, Esercizi spirituali di sant’Ignazio, Trento, per Gianbatista Monauni, 1744, 74.

[14] Esercizio di preparazione alla morte proposto da un religioso della Compagnia di Gesù per indirizzo di chi desidera far bene un tale passo, Roma, per gl’Eredi del Corbelletti [1650], ff. 3v-6v.

[15] Giuseppe Antonio Bordoni, Discorsi per l’esercizio della buona morte, Venezia, nella stamperia di Andrea Poletti, 1749-1751, 3 vol. ; la dernière édition est celle de Turin par Pietro Marietti en 6 volumes (1904-1905).

[16] Giorgio Maria Rulfo, Discorsi sacri, e morali per l’esercizio della buona morte, Torino, presso i librai B.A. Re e G. Rameletti, 1783-1784, 5 vol.




Alexandre Planas Saurì, le martyr sourd (2/2)

(suite de l’article précédent)

Le salésien
            Il est proche des malades, des enfants. L’Oratoire, que les salésiens avaient fondé aux débuts de la maison, prit fin avec son départ en 1903. Mais la paroisse de Sant Vicenç reprit le flambeau grâce à un jeune homme, Joan Juncadella, catéchiste-né, et grâce au Sourd, son grand assistant. Une amitié très forte et une collaboration permanente naquirent entre eux, et ne prirent fin qu’avec la tragédie de 1936. Alexandre s’occupait de la propreté et de l’ordre des lieux, mais il s’est vite révélé être un véritable animateur des jeux et des excursions qui étaient organisés. Et au besoin, il n’hésitait pas à mettre à disposition l’argent qu’il avait économisé.
Et en lui il y avait un cœur salésien. Sa surdité ne lui a pas permis de professer comme salésien, ce qu’il souhaitait certainement. Cependant, il semble qu’il ait prononcé des vœux privés, avec la permission de l’inspecteur de l’époque, le père Filippo Rinaldi, d’après le témoignage d’un des directeurs de la maison, le père Crescenzi.
            Il manifesta son identification avec la cause salésienne de mille façons, mais d’une manière particulièrement significative en s’occupant personnellement de la maison pendant presque 30 ans et en la défendant dans la situation difficile de l’été et de l’automne 1936.
« Il semblait être le père de chacun d’entre nous ». Quand, en 1935, trois garçons se noyèrent dans la rivière, « la douleur de cet homme fut comme celle de perdre trois fils à la fois ». Nous savons que les salésiens ne le considéraient pas comme un employé, mais comme un membre de la famille ou un coopérateur. Aujourd’hui, nous pourrions peut-être parler d’un laïc consacré, dans le style des Volontaires de Don Bosco. « Un salésien de grande stature spirituelle ».

Attaché à la Croix, véritable témoin de foi et de réconciliation
            À l’automne 1931, les salésiens revinrent à Sant Vicenç dels Horts. Les troubles qui ont conduit à la chute de la monarchie espagnole ont affecté la maison d’El Campello (Alicante) où se trouvait alors l’Aspirantat. La décision fut donc prise de le déplacer à Sant Vicenç. La maison, bien que relativement délabrée, était prête. L’achat d’une tour adjacente lui permit de s’agrandir. C’est là que se déroula la vie des aspirants, dont le témoignage sur le Sourd a permis de dresser le portrait de l’homme, de l’artiste, du croyant et du salésien que nous venons de rappeler.

Le Christ cloué sur la croix, dans la cour de la maison, par Alexandre

La déposition dans les mains de Marie, dans la cour de la maison, par Alexandre

Le Saint Sépulcre, dans la cour de la maison, par Alexandre

            Il n’y a pas lieu d’évoquer ici la situation critique des années 1931-1936 en Espagne. Malgré tout, la vie à l’Aspirantat de Sant Vicenç se déroula normalement. Le moteur de la vie quotidienne était la conscience vocationnelle des jeunes, qui les poussait toujours à regarder vers l’avenir dans l’espoir de s’attacher définitivement à Don Bosco à une date pas trop lointaine.
            Puis vint la révolution du 18 juillet 1936. Ce même jour, les salésiens et les jeunes se rendirent en pèlerinage au sanctuaire de Tibidabo. À leur retour, dans l’après-midi, les choses étaient en train de changer. En quelques jours, la maison paroissiale du village fut incendiée, le séminaire salésien saisi. Un climat d’intolérance religieuse s’était répandu partout, le curé et le vicaire furent arrêtés et tués, les forces de l’ordre n’ayant pas pu ou su faire face aux désordres. À Sant Vicenç, le pouvoir fut pris par le « Comité antifasciste », clairement antichrétien.
            Si, dans un premier temps, la vie des éducateurs fut épargnée en raison de leur action auprès des élèves de la maison, ils durent néanmoins assister à la destruction et à l’incendie de tous les objets religieux, en particulier des trois monuments érigés par le Sourd. « Combien il a souffert » en se voyant contraint de collaborer à la destruction de ce qui était l’expression de sa profonde spiritualité et en assistant à l’expulsion des prêtres.
            À cette époque, le Sourd prit clairement conscience du nouveau rôle que la révolution lui imposait : sans cesser d’être le principal lien de la communauté avec le monde extérieur (il s’était toujours déplacé librement en tant que garçon de courses et en cas de besoin), il devait garder les biens comme avant et, surtout, protéger les séminaristes. « En réalité, c’est lui qui représentait les salésiens et nous servait de père ». En quelques jours, en effet, il ne restait plus que les coadjuteurs et un groupe de plus en plus restreint de jeunes aspirants.
            L’expulsion définitive des uns et des autres eut lieu le 12 novembre. À Sant Vicenç, il ne restait plus que M. Alexandre. Pour les derniers jours de sa vie, nous n’avons que trois faits certains : deux des coadjuteurs expulsés sont revenus au village le 16 pour le convaincre de chercher un endroit plus sûr à l’extérieur du village, ce qu’Alexandre a refusé. Il ne pouvait pas quitter la maison qu’il avait gardée pendant tant d’années, ni maintenir l’esprit salésien même au milieu de ces circonstances difficiles. L’un d’eux, Eliseo García, ne voulant pas le laisser seul, resta avec lui. Quelques jours plus tard, voyant qu’Eliseo n’était pas rentré à Sarriá, un autre coadjuteur salésien et un séminariste sont allés à Sant Vicenç pour prendre de leurs nouvelles. Une amie qu’ils connaissaient et qui tenait un bar leur a dit : « Ils ne savent pas ce qui s’est passé ? » Elle nous a raconté en quelques mots la disparition du Sourd et d’Eliseo ».
            Comment a-t-il passé cette dernière semaine ? Connaissant les habitudes du Sourd, toujours fidèle à ses principes et à sa façon de faire, il n’est pas difficile de l’imaginer. On le voit aidant les uns et les autres, sans cacher sa foi et sa charité, avec la conscience de faire le bien, contemplant le mystère de la passion et de la mort du Christ, réel et présent dans la vie des persécutés, des disparus et des assassinés… Peut-être avec l’espoir d’être le gardien non seulement des biens des salésiens, mais aussi de beaucoup de personnes du peuple dans les souffrances. Il n’a pas voulu se séparer de son crucifix, comme nous l’avons rappelé, même pendant les mois de persécution religieuse qui ont abouti à son martyre. C’est avec cette foi, avec cette espérance, avec cet immense amour qu’il entendra de la part du Seigneur de gloire : « Très bien, bon et fidèle serviteur. Tu as été fidèle dans les petites choses ; je te confierai beaucoup plus. Entre dans la joie de ton Seigneur » (Mt 25, 21).

L’Évangile du Sourd
            Arrivé à ce point, tout esprit, aussi insensible soit-il, ne peut que se taire et tenter de recueillir, du mieux qu’il peut, le précieux héritage spirituel qu’Alexandre a laissé à la Famille salésienne, sa famille d’adoption. Pouvons-nous dire quelque chose de « son évangile », c’est-à-dire de la Bonne Nouvelle qu’il a fait sienne et qu’il continue de nous proposer par sa vie et sa mort ?
            Alexandre est comme le « sourd qui peut à peine parler » de Mc 7,32. L’appel de ses parents à Jésus pour la guérison aurait été continuel. Comme lui, Jésus l’a emmené dans un endroit isolé, loin des siens, et lui a dit : « Ephatha! ». Le miracle ne consistait pas dans la guérison de l’oreille physique, mais dans celle de l’oreille spirituelle. Il me semble que l’acceptation de sa situation dans un esprit de foi a été l’une des expériences fondatrices de sa vie croyante qui l’a conduit à proclamer aux quatre vents, comme le sourd de l’Évangile: « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets » (Mc 7,37).
            Et à partir de là, nous pouvons contempler dans la vie du Sourd « le trésor caché du Royaume » (Mt 13,44) ; « le levain qui fait fermenter toute la pâte » (Mt 13,33) ; Jésus lui-même « qui accueille les malades » et « bénit les enfants » ; Jésus qui prie le Père pendant des heures et des heures et nous enseigne le Notre Père (rendre gloire au Père, désirer le Royaume, faire sa volonté, avoir confiance dans le pain quotidien, pardonner, libérer du mal…) (Mt 7,9-13) ; « l’intendant de la maison qui tire de son sac des choses nouvelles et des choses anciennes comme il l’entend » (Mt 13,52) ; « le bon Samaritain qui a pitié de l’homme battu, s’approche de lui, panse ses plaies et prend soin de sa guérison » (Lc 10,33-35) ; « le Bon Pasteur, gardien de la bergerie, qui entre par la porte, aime les brebis, jusqu’à donner sa vie pour elles » (Jn 10,7-11)… En un mot, une icône vivante des Béatitudes, de toutes les Béatitudes, dans la vie de tous les jours (Mt 5,3-12).
            Mieux encore, nous pouvons nous approcher d’Alexandre et contempler avec lui le Mystère de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus. Un mystère qui adviendra dans sa vie, de la naissance à la mort. Un mystère qui le fortifie dans sa foi, nourrit son espérance et le remplit d’amour pour rendre gloire à Dieu, qui s’est fait tout à tous avec les enfants et les jeunes de la maison salésienne, et avec les villageois de Sant Vicenç, surtout les plus pauvres, y compris ceux qui lui ont ôté la vie : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23, 34). Fais de moi, Seigneur, un témoin de la foi et de la réconciliation. Qu’eux aussi, un jour, puissent entendre ces mots de tes lèvres : « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis » (Lc 23, 43).
            Bienheureux Alexandre Planas Saurí, laïc, martyr salésien, témoin de la foi et de la réconciliation, semence féconde de la civilisation de l’Amour pour le monde d’aujourd’hui, intercède pour nous.

Père Joan Lluís Playà, sdb




Le bienheureux Michel Rua, une fleur singulière née dans le jardin de la Compagnie de l’Immaculée

            Dominique Savio arrive à l’Oratoire du Valdocco à l’automne 1854, à la fin de la peste mortelle qui a décimé la ville de Turin. Il se lie immédiatement d’amitié avec Michel Rua, Jean Cagliero, Jean Bonetti et Joseph Bongiovanni, avec qui il allait à l’école en ville. Selon toute vraisemblance, il ne savait rien de la « Société salésienne » dont Don Bosco avait commencé à parler à certains de ses jeunes en janvier de cette année-là. Mais au printemps suivant, il eut une idée qu’il confia à Joseph Bongiovanni. Il y avait à l’Oratoire des garçons merveilleux, mais aussi des garnements qui se comportaient mal, et des garçons en souffrance, qui luttaient dans leurs études, qui avaient le mal du pays. Chacun de son côté essayait de les aider. Pourquoi les jeunes les plus décidés ne pourraient-ils pas s’unir, dans une « société secrète », pour devenir un groupe compact de petits apôtres dans la masse des autres ? Joseph est d’accord. Ils en parlent avec certains. L’idée leur plut. On décide d’appeler le groupe « Compagnie de l’Immaculée ». Don Bosco donne son accord : on fera un essai, on rédigera un petit règlement. D’après les procès-verbaux de la Compagnie conservés dans les Archives salésiennes, nous savons que les membres qui se réunissaient une fois par semaine étaient une dizaine : Michel Rua (élu président), Dominique Savio, Joseph Bongiovanni (élu secrétaire), Célestin Durando, Jean-Baptiste Francesia, Jean Bonetti, Ange Savio (clerc), Joseph Rocchietti, Jean Turchi, Louis Marcellino, Joseph Reano, François Vaschetti. Jean Cagliero manquait à l’appel car il était en convalescence après une grave maladie et vivait auprès de sa mère. L’article final du règlement, approuvé par tous, y compris par Don Bosco, disait :  » Une confiance sincère, filiale, illimitée en Marie, une tendresse singulière envers Elle, une dévotion constante nous rendront supérieurs à tout obstacle, tenaces dans nos résolutions, rigides envers nous-mêmes, aimables envers le prochain, exacts en tout « .
            Les membres de la Compagnie choisissent de « soigner » deux catégories de garçons, appelés « clients » dans le langage secret des procès-verbaux. La première catégorie comprenait les indisciplinés, ceux qui parlaient mal et avaient le coup de poing facile. Chaque membre prenait en charge l’un d’entre eux et lui servait d' »ange gardien » aussi longtemps que c’était nécessaire (Michel Magon a eu un « ange gardien » persévérant !). La deuxième catégorie était celle des nouveaux arrivants. Ils les aidaient à passer les premiers jours, quand ils ne connaissaient encore personne, ne savaient pas jouer, ne parlaient que le dialecte de leur pays et avaient le mal du pays. (François Cerruti a eu Dominique Savio comme « ange gardien » et a raconté le charme de leurs premières rencontres).
            Dans les procès-verbaux, on peut voir le déroulement de chaque réunion : un moment de prière, quelques minutes de lecture spirituelle, une exhortation mutuelle à se confesser et à communier ; « ensuite, on discute des clients pris en charge. On exhorte à la patience et à la confiance en Dieu envers ceux qui semblent tout à fait sourds et insensibles ; à la prudence et à la douceur envers ceux qui sont faciles à persuader ».
            En comparant les noms des participants à la Compagnie de l’Immaculée avec les noms des premiers ‘inscrits’ à la Pieuse Société, on a l’impression émouvante que la ‘Compagnie’ était la ‘répétition générale’ de la Congrégation que Don Bosco était sur le point de fonder. Elle a été le petit champ où ont germé les premières graines de la floraison salésienne. La « Compagnie » est devenue le levain de l’Oratoire. Elle transformait des garçons ordinaires en petits apôtres avec une formule très simple : une rencontre hebdomadaire avec une prière, l’écoute d’une bonne page, une exhortation mutuelle à fréquenter les sacrements, un programme concret sur la manière de faire et sur les jeunes à aider dans le milieu où ils vivaient, une discussion sans prétention pour partager les succès et les échecs des jours écoulés. Don Bosco était très content. Et il souhaitait qu’elle soit transplantée dans chaque œuvre salésienne qui naîtrait, pour qu’elle soit là aussi un centre de jeunes engagés et de futures vocations salésiennes et sacerdotales. Dans les quatre pages de conseils que Don Bosco donna à Michel Rua qui allait fonder la première maison salésienne en dehors de Turin, à Mirabello (elles sont l’une des meilleures synthèses de son système éducatif et seront remises à chaque nouveau directeur salésien), nous lisons ces deux lignes : « Essaie de fonder la Société de l’Immaculée Conception, mais tu n’en seras que le promoteur et non le directeur ; considère-la comme l’affaire des jeunes ». Dans chaque œuvre salésienne, un groupe de jeunes engagés, désigné sous le nom que l’on veut, mais photocopie de l’ancienne « Société de l’Immaculée Conception » ! Ne serait-ce pas là le secret que Don Bosco nous confie pour faire germer à nouveau les vocations salésiennes et sacerdotales ? C’est une certitude : la Congrégation salésienne a été fondée et s’est développée en impliquant des jeunes, qui se sont laissés convaincre par la passion apostolique et le rêve de vie de Don Bosco. Nous devons raconter aux jeunes l’histoire des débuts de la Congrégation, dont les jeunes ont été les « cofondateurs ». La plupart (Rua, Cagliero, Bonetti, Durando, Marcellino, Bongiovanni, Francesia, Lazzero, Savio) étaient des compagnons de Dominique Savio et des membres de la Compagnie de l’Immaculée ; douze sont restés fidèles à Don Bosco jusqu’à leur mort. Il faut espérer que cet événement « fondateur » nous aidera à impliquer toujours plus les jeunes d’aujourd’hui dans l’engagement apostolique pour le salut d’autres jeunes.




As-tu réfléchi à ta vocation ? Saint François de Sales pourrait t’aider (7/10)

(suite de l’article précédent)

7. Qui trouve un ami… ?

Chers jeunes,
le don et la responsabilité d’une amitié authentique et chrétienne ont caractérisé toute mon existence. Probablement avec une telle intensité qu’elle est devenue l’une des sources les plus concrètes pour découvrir et redécouvrir la beauté de l’amour de Dieu, surtout dans les moments sombres et délicats.
Ce désir très profond d’aimer mes proches à la manière de Dieu et d’aimer sereinement mes amis à cause de l’amour que j’ai reçu du bon Jésus, m’a conduit à exprimer une sorte de promesse : « Dans mon cœur, le désir de conserver toutes mes amitiés restera toujours très ardent ».
Je pense que l’amitié n’est pas seulement une complicité, des plaisanteries légères, des confidences qui excluent peut-être les autres avec malice, des petites vendettas… mais une authentique éducation à l’acceptation de l’amour divino-humain que Jésus-Christ a eu pour nous.
Dans ma famille, la joie de l’amitié consistait à recevoir et à donner un amour simple et authentique. A Paris, j’ai eu des amis authentiques, des collègues d’études qui m’ont aidé en me transmettant les notes des cours de théologie que je ne pouvais pas suivre et en me suggérant les meilleurs cours à suivre. À Padoue, le discernement dans l’amitié signifiait pour moi distinguer les vrais amis de ceux qui ne recherchaient qu’une vie estudiantine insouciante de ma part. Ces derniers m’ont aussi fait de lourdes plaisanteries, mais j’ai toujours su leur répondre, avec décision et rectitude d’esprit.
Lorsque je suis devenu prêtre, j’ai eu l’occasion de nouer une véritable amitié avec le sénateur Favre. La différence d’âge et de responsabilité était très grande : mais la relation amicale a toujours été sereine et respectueuse, et d’après les lettres que nous avons échangées, une affection fraternelle d’une qualité difficile à atteindre.
En tant qu’évêque, en 1604, j’ai rencontré Madame Françoise de Chantal, qui s’est ensuite consacrée et a fondé avec moi la congrégation des Visitandines. Je décrirais l’amitié entre nous comme « plus blanche que la neige et plus pure que le soleil », d’abord comme une direction spirituelle menée à partir du cœur et ensuite comme un échange de dons dans l’Esprit. Le thème prédominant de ce qui a été un riche échange de lettres et de conversations a été l’orientation vers le chemin de la confiance totale en Dieu : de l’amitié entre personnes humaines éclairées par l’Esprit au cœur de la relation avec Jésus-Christ, à qui nous pouvons nous abandonner avec une confiance totale, dans la lumière et dans la tempête, dans la joie et dans les jours les plus sombres.

Office de l’Animation Vocationnelle

(suite)