Alexandre Planas Saurì, le martyr sourd (1/2)

Alexandre Planas Sauri, né à Mataró (Barcelone) le 31 décembre 1878, fut un collaborateur laïc des salésiens jusqu’à sa mort glorieuse en tant que martyr à Garraf (Barcelone) le 19 novembre 1936. Sa béatification a eu lieu avec d’autres salésiens et membres de la famille salésienne, le 11 mars 2001, par le pape saint Jean-Paul II.

            Dans la liste des martyrs espagnols, béatifiés par Jean-Paul II le 11 mars 2001, figure le laïc Alexandre PLANAS SAURÌ, qui fait partie des martyrs salésiens de la province de Tarragone, un sous-groupe de Barcelone. Les témoignages sur sa vie utilisent également les expressions « membre de la famille » ou « coopérateur », mais tous le définissent comme « un authentique salésien ». Le village de Sant Vicenç dels Horts, où il a vécu pendant 35 ans, le connaissait sous le surnom de « El Sord », « El Sord dels Frares » (Le Sourd des frères). C’est l’expression qui figure sur la belle plaque de l’église paroissiale, placée sur un côté du fond, à l’endroit exact où Alexandre se tenait lorsqu’il allait prier.
            Sa vie fut interrompue dans la nuit du 18 au 19 novembre 1936, ainsi que celle d’un coadjuteur salésien, Eliseo García, qui était resté avec lui pour ne pas le laisser seul, car Alexandre ne voulait pas quitter le village et chercher un endroit plus sûr. Dans les heures qui suivirent, tous deux furent arrêtés, condamnés par le comité anarchiste de la municipalité et conduits sur les rives du Garraf, au bord de la Méditerranée, où ils furent fusillés. Leurs corps n’ont pas été retrouvés. Alexandre avait 58 ans.
            Voilà une note qui aurait pu figurer à la page des faits divers de n’importe quel journal et tomber dans l’oubli le plus total. Mais ce n’a pas été le cas. L’Église les a proclamés tous deux bienheureux. Pour la Famille salésienne, ils ont été et seront toujours des « signes de foi et de réconciliation ». Dans les pages qui suivent, nous parlerons de M. Alexandre. Qui était cet homme que l’on surnommait el Sord dels frares ?

Les circonstances de sa vie
            Alexandre Planas Saurì est né à Mataró (province de Barcelone) en 1878, six ans avant que le train qui emmenait Don Bosco à Barcelone (pour visiter et rencontrer les salésiens et les jeunes de la maison de Sarriá), ne s’arrête à la gare de cette ville, pour prendre Mme Dorotea de Chopitea et les Martí Codolar qui voulaient l’accompagner pendant la dernière étape de son voyage vers Barcelone.
            On sait très peu de choses sur son enfance et son adolescence. Il a été baptisé dans la paroisse la plus populaire de la ville, Saint-Joseph et Saint-Jean. Il était sans aucun doute un garçon assidu aux célébrations dominicales, aux activités et aux fêtes paroissiales. À en juger par la trajectoire de sa vie ultérieure, c’était un jeune homme qui a su développer une vie spirituelle solide.
            Alexandre souffrait d’une déficience physique importante : il était totalement sourd et avait un corps disgracieux (petite taille et corps courbé). Les circonstances qui l’ont amené à Sant Vicenç dels Horts, une ville située à environ 50 km de sa ville natale, sont inconnues. La vérité est qu’en 1900, il se trouvait parmi les salésiens dans la petite ville de Sant Vicenç, en tant que commis aux activités quotidiennes de la maison salésienne : jardinage, nettoyage, agriculture, courses… Un jeune homme ingénieux et travailleur. Et surtout « bon et très pieux ».
            La maison de Sant Vicenç dels Horts fut achetée en 1895 par le père Philippe Rinaldi, ancien inspecteur d’Espagne, pour accueillir le noviciat et le scolasticat de philosophie qui allaient être réalisés par la suite. Ce fut le premier centre de formation salésien en Espagne. Alexandre y arrive en 1900 comme employé et gagne immédiatement l’estime de tous. Il s’y sent très à l’aise, pleinement intégré à l’esprit et à la mission de cette maison.
            À la fin de l’année scolaire 1902-1903, la maison connaît un changement de cap important. Le Recteur Majeur, le Père Michel Rua, avait créé les trois provinces d’Espagne. Celles de Madrid et de Séville décidèrent d’organiser la formation dans leurs provinces respectives. Celle de Barcelone transféra également le noviciat et la philosophie à Gérone. La maison de Sant Vicenç dels Horts resta pratiquement vide en quelques mois, habitée seulement par M. Alexandre.
            À partir de cette année et jusqu’en 1931 (28 ans !), il devint le gardien de cette maison. Mais pas seulement de la propriété, mais surtout des traditions salésiennes qui s’étaient fortement enracinées dans la population en quelques années. Une présence et un travail bénévoles, vivant comme un anachorète, mais nullement étranger aux amis de la maison qui le protégeaient, aux malades de la ville qu’il visitait, à la vie paroissiale qu’il fréquentait, aux paroissiens qu’il édifiait par l’exemple de sa piété, aux enfants de la catéchèse paroissiale et du patronage festif qu’il animait avec un jeune de la ville, Joan Juncadella, avec lequel il s’était lié d’une forte amitié. Distant et proche à la fois, avec une influence non négligeable sur les gens. Un personnage singulier. Le référent de l’esprit salésien dans le village. El sord dels frares.

L’homme

            Alexandre, handicapé et sourd, comprenait ses interlocuteurs grâce à son regard pénétrant, au mouvement de ses lèvres. Il répondait toujours avec lucidité, même si c’était à voix basse. Un homme au cœur bon et lumineux : « Un trésor placé dans un vilain pot de terre, mais nous, les enfants, avons pu percevoir parfaitement sa dignité humaine ».
            Il s’habillait pauvrement, toujours avec son sac en bandoulière, parfois accompagné d’un chien. Les salésiens l’ont laissé rester dans la maison. Il pouvait vivre de ce que produisait le jardin et de l’aide qu’il recevait de quelques personnes. Sa pauvreté était exemplaire, plus qu’évangélique. Et s’il avait quelque chose en trop, il le donnait aux pauvres. Avec ce genre de vie, il s’acquittait de la tâche de gardien de la maison avec une fidélité absolue.
            À côté de l’homme fidèle et responsable, apparaît l’homme bon, humble, plein d’abnégation, d’une amabilité invincible mais ferme. « Il ne permettait pas qu’on dise du mal de quelqu’un ». Jusque là arrivait la délicatesse de son cœur. « Le consolateur de toutes les familles ». Un homme au cœur transparent, aux intentions droites. Un homme qui s’est fait aimer et respecter. Les gens étaient avec lui.

L’artiste
            Alexandre avait aussi une âme d’artiste. D’artiste et de mystique. Isolé des bruits extérieurs, il vivait absorbé dans une contemplation mystique constante. Et il a su fixer dans la matière les sentiments les plus intimes de son expérience religieuse, qui tournait presque toujours autour de la passion de Jésus-Christ.
            Dans la cour de la maison, il créa trois monuments bien visibles : le Christ cloué sur la croix, sa déposition dans les mains de Marie et le saint sépulcre. Parmi les trois, c’était la croix qui présidait au milieu de la cour. Les passagers du train qui passait devant la ferme la voyaient parfaitement. D’autre part, dans l’une des dépendances de la maison, il avait installé un petit atelier où il exécutait les commandes qu’il recevait ou les petites images avec lesquelles il satisfaisait les goûts de la piété populaire et qu’il distribuait gratuitement à ses voisins.

Le croyant
            Mais ce qui dominait dans sa personnalité, c’était sa foi chrétienne. Il la professait au plus profond de son être et la manifestait en toute clarté, parfois même avec ostentation, en la professant en public. « Un vrai saint », un « homme de Dieu », disait-on. « Quand nous arrivions à la chapelle le matin ou l’après-midi, nous trouvions toujours, infailliblement, Alexandre en train de prier, à genoux, en train de faire ses pratiques de piété ». « Sa piété était très profonde ». Un homme totalement ouvert à la voix de l’Esprit, avec la sensibilité des saints. Ce qui est le plus admirable chez cet homme, c’est sa soif et sa faim de Dieu, « toujours à la recherche de plus de spiritualité ».
            La foi d’Alexandre s’ouvrait avant tout au mystère de Dieu : devant sa grandeur il tombait à genoux dans une profonde adoration : « Prosterné de tout son corps, les yeux baissés, plein de vie intérieure… à genoux dans un coin de l’église, la tête inclinée, absorbé dans le mystère de Dieu, tout entier plongé dans la méditation de la sainte complaisance, il laissait libre cours à ses affections et à ses émotions… »
            « Il passait des heures devant le tabernacle, agenouillé, le corps penché presque horizontalement vers la terre, après la communion ». De la contemplation de Dieu et de sa grandeur salvifique Alexandre tirait une grande confiance dans la Providence divine, mais aussi une aversion radicale pour le blasphème contre la gloire de Dieu et son saint nom. Il ne pouvait tolérer le blasphème. « En entendant blasphémer, soit il se crispait en regardant fixement la personne qui l’avait proféré, soit il murmurait avec compassion pour que la personne l’entende : « La Madone pleure, Notre-Seigneur pleure » ».
            Sa foi s’exprimait dans les dévotions traditionnelles de l’Eucharistie, comme nous l’avons vu, et du chapelet marial. Mais là où son élan religieux trouvait le canal le mieux adapté à ses besoins, c’était sans aucun doute dans la méditation de la passion du Christ. « Je me souviens de l’impression que nous avons eue en entendant le Sourd parler de la Passion du Christ ».
            Il portait le mystère de la croix dans sa chair et dans son âme. En son honneur, il avait érigé les monuments de la croix, de la déposition et de l’ensevelissement du Christ. Tous les témoignages mentionnent également le crucifix de fer qu’il portait suspendu à sa poitrine et dont la chaîne s’incrustait dans sa peau. Il dormait toujours avec un grand crucifix à côté de lui. Il ne voulait pas l’enlever, même pendant les mois de persécution religieuse qui ont abouti à son martyre. « Est-ce que je fais mal ? » disait-il, et s’ils me tuent, tant mieux, j’ai déjà le ciel ouvert ».
            Chaque jour, il faisait l’exercice du chemin de croix : « Quand il montait à la salle d’étude, M. Planas entrait dans la chapelle, et quand nous redescendions au bout d’une heure, il terminait le chemin de croix, qu’il faisait totalement incliné, au point que sa tête touche le sol ».
            Fondée sur cette expérience de la croix, à laquelle s’ajoutait sa profonde dévotion au Sacré-Cœur, la spiritualité du Sourd était projetée vers l’ascétisme et la solidarité. Il vivait en pénitent, dans une pauvreté évangélique et un esprit de mortification. Il dormait sur des planches, sans matelas ni oreiller, ayant à côté de lui un crâne qui lui rappelait la mort, et « quelques instruments de pénitence ». Ces pratiques ne lui ont pas été enseignées par les salésiens. Il les avait apprises auparavant en rappelant la spiritualité d’un père jésuite, saint Alphonse Rodríguez, dont il lisait le manuel dans la maison du noviciat et qu’il méditait parfois au cours de ces années.
            Mais son amour de la croix le poussait aussi à la solidarité. Son austérité était impressionnante. Il s’habillait comme les pauvres et mangeait frugalement. Il donnait tout ce qu’il pouvait donner, non pas de l’argent, car il n’en avait pas, mais toujours son aide fraternelle : « Quand il y avait quelque chose à faire pour quelqu’un, il laissait tout et allait là où on avait besoin de lui ». Ceux qui en bénéficièrent le plus étaient les enfants de la catéchèse et les malades. « Il ne manquait jamais le chevet d’un malade grave : il le veillait pendant que la famille se reposait. Et si personne dans la famille ne pouvait préparer le défunt, il était prêt à rendre ce service. Les pauvres malades étaient favorisés et, s’il le pouvait, il les aidait avec les aumônes qu’il recueillait ou avec le fruit de son travail ».

(suite)

don Joan Lluís Playà, sdb




L’horaire des trains

J’ai connu un homme qui connaissait par cœur l’horaire des trains, car la seule chose qui lui procurait de la joie était le chemin de fer. Il passait tout son temps à la gare, à regarder comment les trains arrivaient et comment ils repartaient. Il contemplait avec émerveillement les wagons, la force des locomotives, la taille des roues, il regardait avec étonnement les chefs de train sauter dans les wagons et le chef de gare.
Il connaissait chaque train, il savait d’où il venait, où il allait, quand il arriverait à un certain endroit et quels trains partaient de cet endroit et quand ils arriveraient.
Il connaissait les numéros des trains, il savait quel jour ils circulaient, s’ils avaient un wagon-restaurant, s’ils attendaient des correspondances ou non. Il savait quels trains ont des wagons postaux et combien coûte un billet pour Frauenfeld, pour Olten, pour Niederbipp ou ailleurs.
Il n’allait pas au bar, il n’allait pas au cinéma, il ne se promenait pas, il n’avait pas de bicyclette, de radio ou de télévision, il ne lisait pas de journaux ou de livres, et s’il recevait des lettres, il ne les lisait pas non plus. Pour faire ces choses, il n’avait pas le temps, car il passait ses journées à la gare, et ce n’est que lorsque l’horaire des chemins de fer changeait, en mai et en octobre, qu’on ne le voyait pas pendant quelques semaines.
Il s’asseyait donc chez lui, à sa table, et apprenait tout par cœur, lisait le nouvel horaire de la première à la dernière page, faisait attention aux changements et était heureux quand il n’y en avait pas. Il arrivait aussi que quelqu’un lui demandât l’heure de départ d’un train. Il devenait alors rayonnant et voulait savoir exactement quelle était la destination du voyage, et celui qui lui avait demandé le renseignement manquait certainement le train, car il ne le laissait pas passer, il ne se contentait pas de citer l’heure, il citait aussi le numéro du train, le nombre de wagons, les correspondances possibles, toutes les heures de départ ; il expliquait qu’on pouvait aller à Paris avec ce train, où il fallait descendre et à quelle heure on arriverait, et il ne comprenait pas que les gens ne s’intéressent pas à tout cela. Cependant, si quelqu’un le plantait là et partait avant d’avoir énuméré toutes ses connaissances, il se mettait en colère, l’insultait et lui criait dessus :
– Vous n’avez aucune idée des chemins de fer !
Personnellement, il n’est jamais monté dans un train.
Cela n’aurait eu aucun sens, disait-il, car il savait déjà à l’avance à quelle heure le train arrivait (Peter Bichsel).

De nombreuses personnes (parmi lesquelles de nombreux érudits distingués) savent tout de la Bible, même l’exégèse des versets les plus petits et les plus cachés, même le sens des mots les plus difficiles, et même ce que l’écrivain sacré a réellement voulu dire, même s’il semble en être autrement.
Mais ils ne transposent rien de ce qui est écrit dans la Bible dans leur vie personnelle.




As-tu réfléchi à ta vocation ? Saint François de Sales pourrait t’aider (6/10)

(suite de l’article précédent)

6. Tout va bien à la maison

Chers jeunes,
« Je pense que, dans le monde, il n’y a pas d’âmes qui aiment plus cordialement, plus tendrement et, pour tout dire, plus amoureusement que moi, parce qu’il a plu à Dieu de rendre mon cœur ainsi. On dit dans ma famille que la première phrase qui est apparue sur mes lèvres d’enfant a été : « Ma mère et Dieu m’aiment tant ».
Dès mon plus jeune âge, j’étais au milieu des gens. Mon père avait décidé que je ne serais pas éduqué dans notre château, mais dans une école plus normale, me comparant à d’autres camarades de classe et professeurs, bref, m’éloignant de l’espèce de « bulle d’amour » qui s’était créée au château.
De retour de mes études à Paris et à Padoue, j’étais bien convaincu de mon choix de devenir prêtre, mais mon père n’était pas tout à fait de cet avis : il m’avait préparé, à mon insu, une bibliothèque complète sur le droit, un poste de sénateur et une noble fiancée. Il n’était pas facile de le faire changer de voie. J’ai calmement présenté mes intentions à mon père : « Mon père, je vous servirai jusqu’à mon dernier souffle de vie, je promets tout le service à mes frères. Vous me parlez de réflexion, mon Père. Je peux vous dire que j’ai eu l’idée du sacerdoce depuis mon enfance ». Le père, pourtant « d’un esprit très ferme », pleure. La mère intervient doucement. Le silence se fait. La nouvelle réalité, sous la parole silencieuse de Dieu, fermente. Mon père dit : « Mon fils, fais en Dieu et pour Dieu ce qu’Il t’inspire. Pour Lui, je vous donne ma bénédiction ». Puis il n’en put plus : il s’enferma brusquement dans son bureau.
À la fin de la vie de mon père, j’ai eu la grâce de discerner dans la synthèse tout l’amour qui me l’avait rendu si cher : dans sa franchise, dans sa capacité à assumer des engagements importants, dans sa responsabilité de me guider jusqu’au bout, dans la confiance constante qu’il m’a témoignée, j’ai toujours discerné la bonté d’un homme noble, habitué lui aussi à une vie rude, mais avec un grand cœur. De plus, avec le temps, son tempérament vif s’est adouci, il a même appris à se laisser contredire : la bonne influence à long terme de ma mère a été déterminante.
Papa et maman m’ont vraiment montré deux visages différents, mais complémentaires, de la grâce et de la bonté de Dieu.
Peut-être vous êtes-vous aussi demandé, comme moi, comment vivre la fatigue de constater que la vocation que vous découvrez est différente de ce que les autres attendent de vous. J’ai proposé, tant aux hommes les plus simples de mon pays qu’au roi et à la reine de France, une voie très simple mais très exigeante : d’une part, « rien ne vous dérange » et « ne rien demander et ne rien refuser » ; d’autre part, que l’existence, avec les choix qu’elle comporte, trouve son sens dans le fait d’être confronté, même avec fatigue, exclusivement à vivre « comme il plaît à Dieu ». C’est seulement de là que naît la « joie parfaite », qui unit probablement tous les vrais saints, hommes et femmes de Dieu d’hier et d’aujourd’hui.

Office de l’Animation Vocationnelle

(suite)




Les livres itinérants de Don Bosco

Dans une lettre-circulaire, Don Bosco écrivait en juillet 1885 :  » Le bon livre entre même dans les maisons où le prêtre ne peut pas entrer… Parfois il reste poussiéreux sur une table ou dans une bibliothèque. Personne n’y pense. Mais l’heure de la solitude arrive, ou de la tristesse, ou de la douleur, ou de l’ennui, ou du besoin de récréation, ou de l’angoisse de l’avenir, et cet ami fidèle dépose sa poussière, ouvre ses pages et… ».

« Sans livres, il n’y a pas de lecture et sans lecture, il n’y a pas de connaissance ; sans connaissance, il n’y a pas de liberté », ai-je lu sur Internet, sans savoir s’il s’agissait d’une phrase d’un nostalgique ou d’un amoureux des livres ou d’un bon connaisseur de Cicéron.
Don Bosco, quant à lui, dès qu’il eut terminé ses études, devint immédiatement écrivain et certains de ses livres devinrent de véritables best-sellers avec des dizaines et des dizaines d’éditions et de réimpressions. Une fois la congrégation fondée, il invita ses jeunes collaborateurs à faire de même, en utilisant sa propre imprimerie installée dans la même maison du Valdocco. À une époque où les trois quarts des Italiens étaient analphabètes, il écrivait dans la circulaire susmentionnée : « Un livre dans une famille, s’il n’est pas lu par celui à qui il est destiné ou donné, est lu par le fils ou la fille, l’ami ou le voisin. Un livre dans un pays passe parfois entre les mains de cent personnes. Dieu seul sait le bien que produit un livre dans une ville, dans une bibliothèque ambulante, dans une société ouvrière, dans un hôpital, donné en gage d’amitié ». Et d’ajouter : « En moins de trente ans, le nombre de dossiers ou de volumes que nous avons distribués aux gens s’élève à environ vingt millions. Si certains livres ont été négligés, d’autres auront eu chacun une centaine de lecteurs, et l’on peut donc croire avec certitude que le nombre de ceux à qui nos livres ont fait du bien est bien supérieur au nombre de volumes publiés ».
Avec un peu d’imagination, nous pourrions dire que, d’une certaine manière, le réseau éditorial de Don Bosco annonce aujourd’hui aussi bien le livre en ligne, qui est à la portée de tous, en marchant seul, presque en errant, que le livre électronique, le seul qui, dans la crise persistante de la lecture en Italie ces dernières années, attire de nouveaux acheteurs et de nouveaux lecteurs, grâce aussi à son faible coût.

La concurrence
La concurrence pour lire un livre est forte : aujourd’hui, les gens passent des heures et des heures les yeux fixés sur Facebook, WhatsApp et Instagram, des blogs et des plateformes de toutes sortes pour envoyer et recevoir des messages, voir et envoyer des photos, regarder des films et écouter de la musique. En soi, ce sont peut-être toutes de bonnes choses, bonnes et justes, mais peuvent-elles remplacer la lecture d’un bon livre ?
Il est légitime d’en douter. Pour l’essentiel, les médias sociaux sont les promoteurs d’une sorte de culture de l’éphémère, du transitoire, du fragmentaire – même sans penser immédiatement au flot de fake news – où chaque nouvelle communication élimine la précédente. Les noms eux-mêmes le disent : SMS « short message service » ou Twitter, bird tweeting, Instagram, c’est-à-dire photo rapide postée sur place. Ils transmettent des informations rapides, partagent très brièvement des expériences et des humeurs avec des personnes avec lesquelles vous êtes déjà en contact. Les livres, les bons livres en revanche, ceux qui sont pensés et médités, sont capables de provoquer des questions, de nous faire percevoir profondément la beauté qui se trouve dans la nature et l’art sous toutes ses formes, dans la solidarité entre les gens, dans la passion et le cœur que nous mettons dans tout ce que nous faisons. Et ce n’est pas tout, car c’est précisément une vaste culture générale, fournie notamment par les livres d’histoire, qui offre aux classes dirigeantes la ductilité, la capacité d’orientation, la largeur d’horizon qui, associées à la compétence, sont nécessaires pour faire les choix d’ordre général et global qui leur incombent. Nous prenons conscience aujourd’hui du déficit d’une telle culture.

La bibliothèque de Don Bosco
Don Bosco, avec la diffusion de ses livres, avec la bibliothèque du Valdocco contenant 15.000 livres, avec son imprimerie, avec les bibliothèques des différentes maisons salésiennes, avec une foule de salésiens qui ont écrit des livres pour les jeunes, a fait grandir des milliers de jeunes en tant qu' »honnêtes citoyens et bons chrétiens ». Quelle mélancolie d’apprendre aujourd’hui qu’en Italie, environ un demi-million d’enfants fréquentent des écoles sans bibliothèque ! Bien sûr, il est plus facile et plus immédiatement rentable de construire de nouveaux supermarchés, de nouveaux centres commerciaux, des cinémas ultramodernes, des chaînes multinationales de technologie et d’innovation.
Livres papier ou livres en ligne – les bibliothèques d’aujourd’hui, grâce à la technologie, offrent d’intéressants services à distance de différents types – peu importe : tant qu’ils font grandir les gens en humanité. À une condition toutefois : qu’ils soient lisibles et disponibles pour tous, même pour les non-numériques, même pour ceux qui ne disposent pas d’outils de dernière génération, même pour ceux qui vivent dans des situations défavorisées. Don Bosco écrivait dans la lettre susmentionnée : « Rappelez-vous que saint Augustin, devenu évêque, bien que maître exalté des belles lettres et orateur éloquent, préférait les impropriétés de langage et l’absence d’élégance de style, au risque de ne pas être compris par le peuple ». C’est ce que les fils de Don Bosco continuent à faire aujourd’hui, avec des livres, des brochures de vulgarisation, des vidéos et des matériaux mis en ligne sur le web, qui continuent à circuler, aujourd’hui comme hier, dans toutes les langues, partout, jusqu’aux confins de la terre.




Don Bosco et les marenghi

            En 1849, l’imprimeur G. B. Paravia publia « Il sistema metrico decimale ridotto a semplicità précédé de quattro operazioni dell’aritmetica ad uso degli artigiani e della gente di campagna » édité par le prêtre Jean Bosco. Le manuel comprenait un appendice sur les monnaies les plus utilisées au Piémont et les principales monnaies étrangères.
            Pourtant, quelques années auparavant, Don Bosco connaissait si peu les monnaies nobles en usage dans le royaume de Sardaigne qu’il avait confondu un double de Savoie avec un marengo. Il était au début de son activité d’orateur et n’avait dû voir que très peu de pièces d’or jusqu’alors. En recevant un jour une pièce d’or, il courut la dépenser pour ses espiègleries, commandant diverses marchandises pour la valeur d’un marengo. Le commerçant, pratique et honnête, lui remit les marchandises qu’il avait commandées et lui rendit la monnaie, soit environ neuf lires.
– Mais comment, demanda Don Bosco, ne vous ai-je pas donné un marengo ?
            – Non, répondit le commerçant, votre pièce est de 28 et demi ! (MB II, 93)
            Dès le début, il n’y a pas d’avidité pour l’argent chez Don Bosco, mais seulement une avidité pour le bien !

Doubles de Savoie et marenghi
            Lorsqu’en mai 1814 le roi Victor Emmanuel Ier rentra en possession de ses Etats, il voulut rétablir l’ancien système monétaire basé sur la lire piémontaise de vingt sous de douze deniers chacun, système qui avait été remplacé par le système décimal lors de l’occupation française. Auparavant, six lires faisaient un écu d’argent et 24 un doublon savoyard d’or. Les sous-multiples ne manquaient évidemment pas, y compris la pièce de cuivre connue sous le nom de 5 sous mauriciens, ainsi appelée parce qu’elle portait l’image de saint Maurice au revers.
            Mais l’usage de compter en francs s’était alors tellement répandu que le roi décida en 1816 d’adopter également le système monétaire décimal, créant la nouvelle lire du Piémont d’une valeur égale au franc, avec ses multiples et sous-multiples relatifs, de la pièce d’or de 100 lires à la pièce de cuivre de 1 centime.
            Le doublon savoyard, quant à lui, poursuivit son chemin pendant de nombreuses années. Créé en 1755 par un édit de Charles Emmanuel III, il fut appelé, après la création de la nouvelle lire, pièce de vingt-neuf ou vingt-huit et demi-lires, précisément parce qu’il correspondait à 28,45 nouvelles lires. Elle était plus communément appelée Galin-a (poule) parce que, alors que la face portait l’image du souverain avec une natte, le revers montrait un oiseau aux ailes déployées, que l’artiste avait voulu représenter comme un aigle, mais qui, ventru, ressemblait plutôt à une poule.
            La pièce de vingt francs, appelée marengo parce qu’elle a été frappée par Napoléon à Turin en 1800 après la victoire de Marengo, est également restée en circulation pendant un certain temps avec les pièces d’or savoyardes. Elle portait sur la face le buste de Minerve et au revers la devise : Libertà – Egalité – Eridania. Elle correspondait à la pièce française appelée Napoléon d’or. Le terme « Eridania » désignait la terre où coule le Pô, le légendaire Eridano.
            Le nom « marengo » était également utilisé indifféremment pour la nouvelle pièce d’or de 20 lires de Victor Emmanuel Ier, tandis que le « marenghino » était la pièce d’or de 10 lires, ayant donc la moitié de la valeur du marengo, frappée plus tard par Charles Albert. Marengo et marenghino étaient des termes souvent utilisés l’un pour l’autre, comme franc et lire. Don Bosco les utilisait également de cette manière. La préface du « Galantuomo » de 1860 (l’almanach-étrenne destiné aux abonnés des « Letture Cattoliche ») en donne un exemple. Don Bosco joue le rôle d’un vendeur de boissons rafraîchissantes qui suit l’armée sarde dans la guerre de 59. Lors de la bataille de Magenta, raconte-t-il, il perd son sac d’argent et le capitaine de la compagnie le dédommage avec une poignée de « quinze marenghini étincelants ».
            Le 22 mai 1866, il écrit au capitaine Federico Oreglia, qu’il a envoyé à Rome pour recueillir des offrandes pour la nouvelle église de Marie Auxiliatrice :
            « Pour ce qui est de votre séjour à Rome, restez sans limite de temps, c’est-à-dire jusqu’à ce que vous ayez dix mille francs à rapporter pour l’église et pour payer le boulanger […].
            Que Dieu vous bénisse, Monsieur le Chevalier, qu’il bénisse vos travaux et que chacune de vos paroles sauve une âme et gagne un marengo. Amen » (E 459).
            Un vœu significatif de Don Bosco à un généreux collaborateur !

Napoléon avec et sans chapeau
            À partir du 1er mai 1866, outre la pièce d’or correspondant au Napoléon d’or portant sur la face l’image de Napoléon au chapeau, une monnaie de papier de la même valeur nominale, mais d’une valeur réelle bien inférieure, fut émise de force dans le Royaume d’Italie désormais constitué. Le peuple l’appela immédiatement Napoléon tête nue parce qu’elle portait l’effigie de Victor Emmanuel II sans chapeau.
            Don Bosco le savait aussi lorsqu’il dut rembourser au comte Federico Calieri un prêt de 1 000 francs qu’il lui avait consenti en 50 napoléons d’or. Il ne manque pas l’occasion de faire d’une pierre deux coups, profitant de la confiance qui lui est accordée. La comtesse Carlotta lui avait en effet déjà promis une offrande pour la nouvelle église. Il écrit donc à la comtesse le 29 juin 1866 : « Je lui dirai qu’après demain ma dette envers le comte expire et que je dois m’occuper de payer la dette pour acquérir le crédit. Lorsque vous étiez à la Casa Collegno, vous m’avez dit qu’à cette époque vous feriez une oblation pour l’église et pour l’autel de S. Joseph, mais vous n’avez pas fixé la somme avec précision. Ayez donc la bonté de me dire
1) si votre charité consiste à faire des oblations en ce moment pour nous et lesquelles ;
2) où dois-je diriger l’argent pour Mr. le Comte ?
3) si Mr le Comte a des paiements qu’il peut faire avec des billets, ou, comme il est raisonnable, qu’il change les billets en napoléons selon ce que j’ai reçu » (E 477).
            Comme on le comprend aisément, Don Bosco s’appuie sur l’offre de la comtesse et propose de régler sa dette au comte, si cela ne nuit à personne, en napoléons de papier. La réponse arrive et est consolante. L’argent devait être envoyé à Cesare, le fils du comte Callori, et pouvait être en papier-monnaie. Don Bosco écrit d’ailleurs à César le 23 juillet :
            « Avant la fin de ce mois, j’apporterai chez vous les mille francs que vous comme vous me l’avez écrit et je veillerai à apporter autant de napoléons, mais tous à tête découverte. Car si j’apportais cinquante napoléons avec le chapeau, peut-être brûleraient-ils Jupiter, Saturne et Mars » (E 489).
            Et peu après, il effectuera le très commode règlement, tandis que la comtesse lui donnera en même temps 1.000 francs pour la chaire de la nouvelle église (E 495). S’il y a une dette à payer, il y a une Providence qui est à l’oeuvre!

Argent et hypothèques
            Mais Don Bosco ne manipule pas que des marenghi et des napoléons. Dans ses poches, il trouvait plus souvent de la petite monnaie, des pièces de cuivre, qu’il utilisait pour les dépenses ordinaires comme prendre la voiture quand il quittait Turin, faire de petits achats et des aumônes et peut-être faire un geste que nous appellerions aujourd’hui charismatique, comme lorsqu’il versa dans les mains du maître d’œuvre Bozzetti les huit premiers sous pour la construction de la nouvelle église de Marie-Auxiliatrice.
            Huit sous, équivalant à 4 pièces de 10 centimes ou 8 pièces de 5, correspondaient à une « mutta » de l’ancien système, une pièce frappée en cuivre avec un peu d’argent, d’une valeur initiale de 20 sous piémontais, bientôt ramenée à huit sous. C’est l’ancienne lire piémontaise qui a été introduite dans le monde par Victor Amadeus III en 1794 et qui n’a été abolie qu’en 1865. Le mot « mutta » – in piémontaise mota (lire : muta) – signifie en soi « motte » ou « tuile ». Mote » était le nom donné aux tuiles fabriquées à partir d’écorce de chêne, utilisées pour le tannage du cuir et, après usage, encore utilisées pour brûler ou maintenir un feu allumé. Ces tuiles, autrefois grandes comme un pain, avaient été réduites par l’avarice des fabricants à des proportions si infimes que la population finit par appeler « mote » la lirette de Vittorio Amedeo.
            Selon les « Mémoires biographiques », certains zélateurs protestants, pour éloigner les garçons de l’Oratoire de Don Bosco, les attiraient en leur disant : « Qu’allez-vous faire à l’Oratoire ? Venez avec nous, vous vous amuserez autant que vous voudrez et vous aurez en cadeau deux mutte et un bon livre » (MB III, 402) Deux mutte suffisent pour faire un bon goûter.
            Mais Don Bosco séduit aussi avec ses mutte. Un jour, il se retrouva assis dans la loge à côté du cocher qui jurait fort pour faire courir les chevaux, et il lui promit une mutta s’il s’abstenait de jurer jusqu’à Turin, et il réussit dans son intention (MB VII, 189). En effet, avec une mutta, le pauvre cocher pouvait s’acheter au moins un litre de vin à boire avec ses collègues, tout en gardant précieusement les paroles qu’il avait entendues contre le vice du blasphème.

Le saint des millions
            Don Bosco a géré dans sa vie de grandes sommes d’argent, recueillies au prix d’énormes sacrifices, de quêtes humiliantes, de loteries laborieuses, d’incessantes pérégrinations. Avec cet argent, il donna du pain, des vêtements, un logement et du travail à de nombreux garçons pauvres, acheta des maisons, ouvrit des hospices et des collèges, construisit des églises, lança des initiatives non négligeables dans le domaine de l’imprimerie et de l’édition, lança les missions salésiennes en Amérique et, enfin, déjà affaibli par les maux et les douleurs de la vieillesse, il érigea la basilique du Sacré-Cœur à Rome, en obéissance au pape, une œuvre qui ne fut pas la moindre des causes de sa mort prématurée.
            Tout le monde ne comprenait pas l’esprit qui l’animait, tout le monde n’appréciait pas ses multiples activités et la presse anticléricale se livrait à des insinuations ridicules.
            Le 4 avril 1872, le périodique satirique turinois « Il Fischietto », qui surnomme Don Bosco « Dominus Lignus », affirme qu’il est doté de « fonds fabuleux ». Le 31 octobre 1886, le journal romain « La Riforma », organe politique crispin, publie un article sur ses expéditions missionnaires, présentant ironiquement le curé du Valdocco comme « un véritable industriel », comme l’homme qui a compris « que le bon marché est la clé du succès de toutes les plus grandes entreprises modernes », et poursuit : « Don Bosco a en lui quelque chose de cette industrie que l’on veut maintenant appeler, par antonomase, les frères Bocconi ». Il s’agit des frères Ferdinando et Luigi Bocconi, créateurs des grands magasins de détail ouverts à Milan dans ces années-là et appelés plus tard « La Rinascente ». Luigi Pietracqua, romancier et dramaturge dialectal, signa quelques jours après la mort de Don Bosco un sonnet satirique dans le journal turinois « ‘L Birichin », qui commençait comme suit :
            « Don Bòsch l’é mòrt – L’era na testa fin-a, Capace ‘d gavé ‘d sangh d’ant un-a rava, Perché a palà ij milion chiel a contava, E… sensa guadagneje con la schin-a ! ».
            (Don Bosco est mort – C’était un homme astucieux, Capable de tirer du sang d’un navet, parce qu’il comptait les millions par poignées, Et… sans les gagner à la sueur de son front).
            Et il continuait à vanter à sa manière le miracle de Don Bosco qui prenait l’argent de tout le monde en remplissant son sac devenu aussi grand qu’une cuve (E as fasìa 7 borsòt gròss com na tina). Ainsi enrichi, il n’avait plus besoin de travailler, il se contentait d’appâter les mouettes avec des prières, des croix et des saintes messes. Le sonneur blasphémateur conclut en appelant Don Bosco : « Saint Million ».
            Ceux qui connaissent le style de pauvreté dans lequel le saint a vécu et est mort peuvent facilement comprendre l’humour de bas étage de Pietracqua. Don Bosco était en effet un gestionnaire très habile de l’argent que la charité des bons lui apportait, mais il ne gardait jamais rien pour lui. Le mobilier de sa petite chambre au Valdocco se composait d’un lit en fer, d’une petite table, d’une chaise et, plus tard, d’un canapé, sans rideaux à la fenêtre, sans tapis, sans même une table de nuit. Dans sa dernière maladie, tourmenté par la soif, lorsqu’on lui offrit de l’eau de Seltz pour le soulager, il ne voulut pas la boire, croyant qu’il s’agissait d’une boisson onéreuse. Il fallut l’assurer qu’elle ne coûtait que sept cents la bouteille. « Il dit encore à Don Viglietti : – Laissez-moi aussi le plaisir de regarder dans les poches de mes vêtements ; il y a mon portefeuille et mon porte-monnaie. Je crois qu’il n’y a plus rien ; mais s’il y a de l’argent, donnez-le à don Rua. Je veux mourir pour que l’on dise : Don Bosco est mort sans un sou en poche » (MB XVIII, 493).
            Ainsi mourut le Saint des millions !




Le Vénérable Constantin Vendrame, apôtre du Christ

La cause de canonisation du serviteur de Dieu Constantin Vendrame progresse. Le 19 septembre 2023, le volume de la « Positio super Vita, Virtutibus et Fama Sanctitatis » a été remis à la Congrégation pour les causes des saints au Vatican. Présentons brièvement ce prêtre profès de la Société de Saint François de Sales.

Des collines de la Vénétie à celles du Nord-Est de l’Inde
Le Père Costantino Vendrame, Serviteur de Dieu, est né à San Martino di Colle Umberto (Trévise) le 27 août 1893. San Martino, un hameau de la commune de Colle Umberto, est un charmant petit pays de la région de Vénétie, dans la province de Trévise. Du haut de ses collines, San Martino est orienté à la fois vers la plaine sillonnée par le Piave et vers les Préalpes de la région de Belluno. Pays de collines qui regarde d’un côté vers les montagnes et de l’autre vers la plaine, San Martino a cette double caractéristique de proximité des grands centres de population et de projection idéale vers le monde sobre et retiré des montagnes. Le futur missionnaire Don Costantino retrouvera tout cela dans le Nord-Est de l’Inde, coincé entre les premiers contreforts de la chaîne himalayenne et la vallée du Brahmapoutre.

Sa famille appartenait également à ce monde de gens simples. Son père Pietro, forgeron de profession, et sa mère Elena Fiori, originaire de Cadore, se sont probablement connus dans les montagnes. Les liens de Don Vendrame avec ses frères étaient étroits : avec Giovanni, dont il gardait un souvenir fidèle ; avec Antonia, mère d’une famille nombreuse ; avec sa sœur bien-aimée Angela, à laquelle il était uni par une profonde affection, dans l’harmonie des œuvres et des intentions. Avec son exubérante créativité, Angela restera au service de sa paroisse et offrira souffrances et mérites pour l’entreprise apostolique et missionnaire de son frère. Le souvenir de son frère aîné Canciano, envolé vers le ciel à l’âge de 13 ans, était également très présent dans la famille.

Baptisé le lendemain de sa naissance (28 août) et confirmé en novembre 1898, bientôt orphelin de père, Costantino fit sa première communion le 21 juillet 1904. Au cours de son enfance passée dans les tâches quotidiennes, la vocation sacerdotale commence à se dessiner. Elle trouve peut-être ses racines dans le fait que le petit Costantino fut confié à la Vierge sur l’initiative de sa mère et cette initiative s’est ensuite transformée en une donation plus complète.
Au séminaire, que le Serviteur de Dieu fréquenta à Ceneda (Vittorio Veneto) avec succès, il manquait cependant le souffle missionnaire qu’il sentait en lui. Il se tourna alors vers les Salésiens et c’est dans la maison salésienne de Mogliano Veneto que, « dans la petite conciergerie, en 1912, avec le bon Père Dones, ma vocation salésienne et missionnaire a été décidée ».
Il parcourt les étapes de la formation à la profession religieuse parmi les fils de Don Bosco, d’abord comme aspirant (à partir d’octobre 1912 à Vérone), puis comme novice (à partir du 24 août 1913 à Ivrea), et enfin comme profès temporaire (en 1914) et perpétuel (à partir du 1er janvier 1920 à Chioggia). Il sera ordonné prêtre à Milan le 15 mars 1924. Dès son admission au noviciat, on le remarquait comme étant « très ferme dans la pratique et bien instruit ». Ses notes au séminaire avaient toujours été excellentes et il obtint de bons résultats dans la Société de Saint François de Sales.
Son parcours de préparation est marqué par le service militaire obligatoire. C’étaient les années de la Grande Guerre 1914-1918 (1915-1918 pour l’Italie). Au cours de cette période, le clerc Vendrame ne revient pas en arrière, il s’ouvre à ses supérieurs, il tient ses engagements. Les années de la Première Guerre mondiale ont encore renforcé en lui le courage qui lui sera tellement utile en mission.

Missionnaire de feu

Le 5 octobre 1924, le Père Costantino Vendrame reçoit le crucifix des missionnaires dans la basilique de Marie Auxiliatrice à Turin. Quelques semaines plus tard, il s’embarque à Venise pour l’Inde : destination l’Assam, dans le Nord-Est. Il y arrive à temps pour Noël. Sur une petite image il écrivit : « Sacré-Cœur de Jésus, en vous j’ai tout confié, en vous j’ai tout espéré et je n’ai pas été confondu ». Avec ses confrères pendant le voyage il médite À la rencontre du Roi d’Amour : « Tout est là, tout l’Évangile, toute la Loi. Je vous ai aimés […] », « je vous ai aimés plus que ma vie, parce que j’ai donné ma vie pour vous, et quand on a donné sa vie, on a tout donné ». Tel est le programme de son engagement missionnaire.

Alors que les salésiens plus jeunes avaient accompli la plus grande partie de leur première formation en Inde, il y arrive comme un homme fait, en pleine vigueur ; il a 31 ans et peut profiter non seulement de la dure expérience de la guerre, mais aussi de son apprentissage dans les oratoires italiens. Il rencontre une terre belle et difficile, où domine un paganisme de type animiste et où certaines sectes protestantes nourrissent une attitude de méfiance préalable ou d’opposition ouverte à l’encontre de l’Église catholique. Il choisit le contact avec la population, il décide de faire le premier pas et commence par les enfants, à qui il apprend à prier et qu’il fait jouer. Ce sont ces « petits amis » (peu de catholiques, quelques protestants, presque tous païens) qui parlent de Jésus et du missionnaire catholique dans leur famille et qui aident le Père Vendrame dans son apostolat. Il est aidé par ses confrères qui, au fil des années, le reconnaîtront comme le « pionnier » de l’activité missionnaire salésienne en Assam, et par de bons collaborateurs laïcs, formés au fil du temps.
De cette première période il laisse le souvenir d’un missionnaire « de feu », animé par le seul intérêt de la gloire de Dieu et du salut des âmes. Son style devient celui de l’Apôtre des Gentils, auquel il sera comparé pour l’efficacité propulsive de son annonce et la forte attraction des païens vers le Christ. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile » (cf. 1 Cor 9, 16), dit le P. Vendrame avec sa vie. Il s’expose à toutes les épreuves, pourvu que le Christ soit annoncé. En effet, pour lui aussi, « voyages innombrables, dangers des fleuves […], dangers des païens […] ; privations et labeurs, veilles sans nombre, faim et soif, jeûnes fréquents, froid et nudité » (cf. 2 Co 11, 26-27). Le Serviteur de Dieu devient un marcheur dans le Nord-Est de l’Inde, infesté de dangers de toutes sortes ; il subvient à ses besoins avec un régime alimentaire très maigre ; il doit faire face à des retours nocturnes ou à des nuits passées dans un froid presque glacial.

Toujours dans les tranchées
Au début de la deuxième guerre mondiale et dans les années qui ont suivi, le P. Constantin connut des moments particulièrement difficiles dus à la situation (camps militaires, extrême pauvreté en Inde du Sud) et à une opposition très dure contre l’Église en Inde du Nord-Est, mais il a pu profiter d’un fort entraînement préalable : sous la garde des Gurkhas, à Deoli, à Dehra Dun, comme missionnaire à Wandiwash dans le Tamil Nadu, à Mawkhar en Assam. À Deoli il est « recteur » des religieux du camp ; à Dehra Dun également il donne l’exemple.
Libéré à la fin de la guerre, mais empêché par des raisons politiques totalement étrangères à sa personne de retourner en Assam, le P. Vendrame, âgé de plus de 50 ans et usé par les privations, est affecté par Mgr Louis Mathias, archevêque de Madras, au Tamil Nadu. Là, le P. Costantino doit tout recommencer. Une fois de plus, il sait se faire aimer profondément, conscient – comme il l’écrit dans une lettre de 1950 à ses confrères prêtres du diocèse de Vittorio Veneto – des conditions extrêmement dures de son mandat missionnaire. Il était convaincu que partout il y a du bien à faire, partout il y a des âmes à sauver. Restant ad experimentum, afin de garantir la continuité de cette mission très pauvre, il retourne finalement en Assam. Il pouvait se reposer, mais on prévoyait d’établir une présence catholique à Mawkhar, un quartier de Shillong alors considéré comme le « fortin » des protestants.
Et c’est précisément à Mawkhar que le Serviteur de Dieu réalisa son chef-d’œuvre: la naissance d’une communauté catholique encore florissante aujourd’hui. Dans un contexte très éloigné de la sensibilité œcuménique d’aujourd’hui, la présence catholique fut d’abord durement combattue, puis tolérée, puis acceptée et enfin estimée. L’unité et la charité dont le père Vendrame a témoigné ont été pour Mawkhar une proclamation sans précédent et proprement « scandaleuse », qui a conquis les cœurs les plus durs et attiré la bienveillance de beaucoup. Il avait apporté le « miel de saint François », c’est-à-dire l’amorevolezza salésienne, inspirée par la douceur de saint François de Sales, sur une terre où les esprits s’étaient d’abord fermés.

Vers la ligne d’arrivée
Lorsque les douleurs osseuses devinrent lancinantes, il avouait dans une lettre : « c’est avec difficulté que j’ai pu contrôler le travail de la journée ». La dernière ligne droite du voyage terrestre se dessine. Le jour arrive où il demande à vérifier s’il reste de la nourriture : unique demande de la part de Don Vendrame, qui se contentait de l’essentiel et qui, rentrant tard, ne voulait jamais déranger pour dîner. Ce soir-là, il ne put même pas articuler quelques phrases : il était épuisé, vieilli prématurément. Il s’était tu jusqu’au bout, en proie à une arthrite qui affectait aussi sa colonne vertébrale.
L’hospitalisation se profile alors, mais à Dibrugarh: elle lui épargnerait l’afflux constant des gens et aux visiteurs la douleur d’assister impuissants à l’agonie de leur père. Le Serviteur de Dieu ira jusqu’à s’évanouir de douleur : chaque mouvement était devenu terrible pour lui.
À ses côtés il y a Mgr Oreste Marengo, son ami et compagnon au temps de la formation, devenu évêque de Dibrugarh, les Sœurs de Maria Bambina, quelques laïcs, le personnel médical, dont de nombreuses infirmières, conquises par sa douceur.
Tous voyaient en lui un véritable homme de Dieu, même les non-chrétiens. Don Vendrame, dans sa souffrance, pouvait dire, comme Jésus : « Je ne suis pas seul, car le Père est avec moi » (cf. Jn 16,32).
Éprouvé par la maladie et les complications d’une stase pulmonaire, il meurt le 30 janvier 1957, à la veille de la fête de saint Jean Bosco. Quelques jours plus tôt (24 janvier), dans sa dernière lettre à sa sœur Angela, il se projetait encore dans un dynamisme apostolique, lucide dans la souffrance mais toujours homme d’espérance.
Il était si pauvre qu’il n’avait même pas d’habit mortuaire convenable : Mgr Marengo lui en donna un pour qu’il soit vêtu plus dignement. Un témoin raconte combien le Père Costantino était beau dans la mort, encore mieux que dans la vie, enfin libéré des fatigues et des tensions qui avaient marqué tant de décennies.
Après un premier service funèbre et d’adieu à Dibrugarh, la veillée et les funérailles solennelles eurent lieu à Shillong. Les gens affluaient avec tant de fleurs que cela ressemblait à une procession eucharistique. La foule était immense, beaucoup se sont approchés des sacrements de la Réconciliation et de la Communion. Cette ferveur généralisée, même de la part de ceux qui s’en étaient détournés, a été l’un des plus grands signes qui ont accompagné la mort du P. Constantin.




As-tu réfléchi à ta vocation ? Saint François de Sales pourrait t’aider (5/10)

(suite de l’article précédent)

5. Après tout, est-ce que je peux y arriver tout seul ?

Chers jeunes,
J’ai appris par moi-même combien il est important d’être guidé spirituellement dans sa vie.
En 1586, à l’âge de 19 ans, j’ai vécu l’une des plus grandes crises de ma vie et j’ai essayé de la résoudre seul, mais sans grand succès. Cette expérience m’a fait comprendre qu’il n’est pas possible de se débrouiller seul dans la vie spirituelle, parce que dans le cœur humain se jouent constamment de fortes tensions entre l’amour de Dieu et l’amour de soi, et qu’il est difficile de les résoudre sans l’aide d’une personne qui vous accompagne sur le chemin.
Ainsi, lorsque je suis arrivé à Padoue pour poursuivre mes études universitaires, ma première préoccupation a été de trouver un bon guide spirituel avec lequel je pourrais élaborer un programme de vie personnel et ainsi prendre au sérieux mon chemin de croissance.
C’est là que j’ai fait l’expérience que le perfectionnisme et le volontarisme ne peuvent pas être les éléments qui permettent de cheminer dans une vie pleine, mais seulement l’acceptation de sa propre fragilité remise entièrement à Dieu.
Même après être devenu prêtre, j’ai continué mon chemin d’accompagnement et de direction spirituelle ; j’ai cependant découvert l’importance de partager le chemin de ma vie intérieure avec mon cousin Louis de Sales et, surtout, avec Antoine Favre, sénateur de Savoie. Malgré la diversité de nos vocations, nous avons partagé une véritable amitié spirituelle et marché ensemble sur les chemins du Seigneur.
Il était également important dans ma vie d’avoir un confesseur avec lequel je pouvais ouvrir ma conscience et demander pardon à Dieu. Cela m’a permis de combattre le péché à la racine et de devenir libre.
Appuyez-vous sur un guide spirituel, une personne familière de Dieu et en qui vous avez confiance, avec qui vous pouvez ouvrir votre cœur et lire votre histoire à la lumière de la Foi, afin de prendre conscience et de mettre en valeur les dons que vous avez reçus et les grandes possibilités qui s’offrent à vous. Pour moi, il n’y a pas de véritable accompagnement spirituel s’il n’y a pas d’amitié, c’est-à-dire d’échange, de communication, d’influence mutuelle. C’est le climat de base qui permet la direction spirituelle.
Je vous propose un petit chemin qui m’a aidé à cheminer avec mon guide spirituel et qui m’a permis de trouver un équilibre intérieur :
– Partez de votre vie réelle et de la situation concrète dans laquelle vous vivez avec ses ressources et ses limites, en essayant de faire l’unité dans les nombreuses expériences que vous vivez. Votre vie, en effet, court le risque d’être remplie de tant de choses à faire sans sens et sans direction. Je vous suggère de ne pas vous laisser distraire et d’être toujours présent dans le moment présent.
– Au cours de vos journées, vous êtes attiré et vous oscillez entre différentes forces, parfois peu harmonieuses entre elles : celle des sens, des émotions, de la rationalité et de la foi. Ce qui vous permet de trouver l’équilibre entre elles, c’est le dévouement, c’est-à-dire le fait de toujours mettre votre cœur dans les choses que vous faites, avec la conscience que chaque moment est une occasion et un appel à accomplir la volonté de Dieu dans votre vie.
Vous pouvez vous demander quel est l’intérêt de faire l’effort d’être accompagné. Il en va de l’authenticité de votre vie : à vous qui êtes pris par des angoisses, des peurs et des soucis, le chemin de l’accompagnement vous aidera à découvrir qui vous êtes vraiment, mais surtout pour Qui vous êtes.

Office de l’Animation Vocationnelle

(suite)




Âmes et chevaux de trait

Don Bosco écrivait la nuit, à la lueur d’une bougie, après une journée passée en prières, entretiens, rencontres, études, visites de courtoisie. Toujours pratique, tenace, avec une prodigieuse vision de l’avenir.

Da mihi animas, cetera tolle est la devise qui a inspiré toute la vie et l’action de Don Bosco, depuis l’Oratoire volant de Turin (1844) jusqu’à ses dernières initiatives sur son lit de mort (janvier 1888) pour que les Salésiens aillent en Angleterre et en Équateur. Mais pour lui, les âmes ne sont pas séparées des corps, à tel point que dès les années 1950, il avait proposé de consacrer sa vie pour que les jeunes soient « heureux sur la terre comme au ciel ». Un bonheur qui, sur terre, consistait pour ses jeunes « pauvres et abandonnés » à avoir un toit, une famille, une école, une cour de récréation, des amitiés et des activités agréables (jeux, musique, théâtre, sorties…) et surtout un métier qui leur garantisse un avenir serein.
D’où les ateliers « arts et métiers » du Valdocco – les futures écoles professionnelles – que Don Bosco a créés à partir de rien : une véritable start-up, pour parler comme aujourd’hui. Il s’était d’abord proposé comme premier instructeur de couture, de reliure, de cordonnerie… mais le progrès ne s’arrêtait pas et Don Bosco veut être à l’avant-garde.

La disponibilité de la force motrice
À partir de 1868, sur l’initiative du maire de Turin, Giovanni Filippo Galvagno, une partie des eaux du ruisseau Ceronda, qui prenait sa source à 1350 m d’altitude, fut captée par le canal Ceronda pour être distribuée aux différentes industries qui naissaient dans la zone nord de la capitale piémontaise, celle du Valdocco plus précisément. Le canal se divisa ensuite en deux branches à la hauteur du quartier de Lucento, celle de droite, achevée en 1873, après avoir traversé la Dora Riparia avec un pont-canal, continua à courir parallèlement à ce qui est aujourd’hui le Corso Regina Margherita et la Via San Donato pour se jeter ensuite dans le Pô. Don Bosco, toujours attentif à ce qui se passait dans la ville, demanda immédiatement à la mairie « la concession d’au moins 20 chevaux de force hydraulique » du canal qui passerait à côté du Valdocco. Une fois la demande accordée, il fit construire à ses frais les deux prises d’eau pour la prise et le retour, disposa les machines dans les ateliers de manière à ce qu’elles puissent facilement recevoir la force motrice et fit étudier par un ingénieur les moteurs nécessaires à cet effet. Lorsque tout était prêt, il demanda aux autorités, le 4 juillet 1874, de procéder au raccordement à ses frais. Sans réponse pendant plusieurs mois, il renouvela sa demande le 7 novembre. Cette fois, la réponse fut assez rapide. Elle semblait positive, mais il demanda d’abord quelques éclaircissements. Don Bosco lui répondit en ces termes :

« Très Illustre Monsieur le Maire,
Je m’empresse de transmettre à Votre Excellence les éclaircissements que j’ai eu l’honneur de vous demander dans votre lettre du 19 de ce mois, et j’ai l’honneur de vous informer que les industries auxquelles la force motrice de l’eau de Ceronda sera appliquée sont les suivantes :
1° Imprimerie pour laquelle il n’y a pas moins de 100 ouvriers.
2° Usine de pâte à papier dont le nombre d’ouvriers n’est pas inférieur à 26.
3° Fonderie de caractères,polices, chalcographie dont le nombre d’ouvriers n’est pas inférieur à 30.
4° Atelier de ferronnerie employant au moins 30 ouvriers.
5° Menuisiers, ébénistes, tourneurs à la scie hydraulique : 40 ouvriers au moins.
Total des ouvriers plus de 220′.

Ce nombre comprend les moniteurs et les jeunes étudiants. Dans ces conditions, en plus d’être soumis à des efforts physiques inutiles, ils n’auraient pas pu résister à la concurrence. Don Bosco ajoute d’ailleurs : « Ces travaux se font maintenant aux dépens d’une machine à vapeur pour l’imprimerie, mais pour les autres ateliers, ils se font à la force des bras, de telle sorte qu’ils ne pourraient pas résister à la concurrence de ceux qui utilisent la force motrice ».
Et pour éviter d’éventuels retards et craintes de la part des pouvoirs publics, il proposait immédiatement une caution : « Nous ne nous opposons pas au dépôt d’un titre de créance publique comme garantie, dès que l’on pourra savoir ce qu’il doit être ».

Il a toujours vu grand… mais s’est contenté du possible
Il fallait penser à l’avenir, à de nouveaux laboratoires, à de nouvelles machines et donc la demande d’électricité allait nécessairement augmenter. Don Bosco augmenta alors la demande et en invoqua les raisons existentielles et conjoncturelles :
« Mais tout en acceptant la force théorique de dix chevaux, je me vois dans l’obligation de constater que cette force est totalement insuffisante pour mon besoin, puisque le projet d’exécution, qui est en train de se réaliser, était basé sur la force de 30 [ ?] comme j’ai eu l’honneur de l’exposer dans ma lettre de novembre dernier. C’est pourquoi je vous prie de prendre en considération les travaux de construction déjà commencés, la nature de cet institut qui ne vit que de la charité, le nombre d’ouvriers qui y travaillent, le fait que nous avons été parmi les premiers à nous inscrire, et de vouloir bien nous accorder, sinon la force de 30 chevaux promise, du moins la force plus importante qui était encore disponible… ».
« On pourrait dire « à bon entendeur salut!».

Un entrepreneur à succès
La quantité d’eau accordée à l’Oratoire à cette occasion ne nous est pas parvenue. Le fait est que Don Bosco démontre une fois de plus les qualités d’un entrepreneur capable que tout le monde reconnaissait à l’époque et reconnaît encore aujourd’hui en lui : une histoire d’intégrité morale, le bon mélange d’humilité et de confiance en soi, de détermination et de courage, des compétences en communication et un flair pour l’avenir. Évidemment, comme carburant de toutes ses ambitions et aspirations, il y avait une seule passion : celle des âmes. Il avait, il est vrai, de nombreux collaborateurs, mais d’une certaine manière, tout lui est tombé dessus. La preuve tangible en sont les milliers de lettres, dont nous publions ici une inédite, corrigée et recorrigée à plusieurs reprises : des lettres qu’il écrivait généralement le soir ou la nuit à la lueur d’une bougie, après une journée passée en prières, entretiens, réunions, études, visites de courtoisie. Si le jour il planifiait son projet, la nuit lui permettait d’en rêver les développements. Et ceux-ci viendront dans les décennies suivantes, avec les centaines d’écoles professionnelles salésiennes disséminées dans le monde, avec des dizaines de milliers de garçons (puis de filles) qui aurait trouvé en elles un tremplin vers un avenir plein d’espérance.